Échelle architecturale et tempo musical

(Rencontres « Architectures imaginaires » de la Passerelle des Arts)

Journées Ensad-Ens — 5 février 2004

 

François Nicolas (Ens)

 

L’enregistrement vidéo de cette journée et donc de cette intervention est disponible à l’adresse suivante :

http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=130

 

 

Jean-Loup Bourget nous invite à réfléchir sur les « architectures imaginaires » de la musique.

Deux manières de rapporter musique et architecture

Pour ma part, je déclinerai ce thème en deux sens, très distincts :

• Je présenterai demain un dispositif électroacoustique original — la Timée — construit par l’Ircam, qui renouvelle le rapport à l’espace architectural de la musique diffusée par haut-parleurs. [1]

• Je voudrai ce matin me demander comment le musicien peut-il penser la musique avec l’architecture ? Je vais le faire en montant un dispositif singulier : celui d’un face à face entre la catégorie architecturale d’échelle et la catégorie musicale de tempo.

En quelque sorte, et à l’inverse de la voie explorée demain avec la Timée où l’espace architectural berce le temps musical, je voudrais ici mettre mes pas dans ceux de Parsifal — « Ici le temps devient espace » — et me demander s’il est possible imaginairement que le temps musical devienne espace architectural, plus précisément que le tempo devienne échelle, s’il est possible d’imaginer des échelles de temps et des tempi de l’espace…

Je procéderai globalement en 5 temps :

1) du mètre musical au module architectural,

2) en architecture, du module à l’échelle,

3) de l’échelle architecturale au tempo musical,

4) en musique, du mètre au tempo,

5) pour me demander ultimement s’il est possible de repasser du tempo musical à l’échelle architecturale.

 

 

1° : « Ici le mètre musical devient module architectural »

Pour cela, voici d’abord cette image :

Il s’agit d’une série de façades qui, par quelques décorations élémentaires, évoque (de gauche à droite) des entrepôts, puis des immeubles d’habitation, des ateliers et pour finir un pavillon d’aristocrate…

Notons que l’échelle de cette image (et par là celle des bâtiments décrits) est soulignée, en sus des fonctionnalités évoquées précédemment, par l’ajout de personnages humains aux deux extrémités.

 

Quel rapport y a-t-il entre cette image architecturale et la musique ? En quoi cet alignement de façades se distingue-t-il de ceux représentés dans ces photos de frontons parisiens ?

 

 

 

En ceci : ces « architectures imaginaires » sont directement déduites d’une partition musicale dont voici un extrait — il s’agit d’une de mes œuvres Deutschland, composée en 1989 pour voix et petit orchestre —.

 

Deutschland – Éd. Jobert

L’extrait retenu est rythmiquement structuré par une série de modulations métriques.

Des modulations métriques…

Une modulation métrique, c’est un changement de mètre tel qu’il y ait au moins une valeur rythmique commune aux deux mètres qui va fonctionner comme pivot. C’est là une transposition du principe de la modulation tonale où un même accord supporte simultanément deux fonctions harmoniques — relative chacune à une tonalité — en sorte que pivotent autour de cet accord les deux tonalités ainsi enchaînées. Cette même logique du pivot, transposée de l’harmonie au rythme, est à l’œuvre dans les modulations métriques, par exemple dans celles-ci :

 

 

Pourquoi la première transformation de tempo est-elle une modulation métrique et pas seulement un changement de mètre ? Parce que la durée de la mesure reste identique dans le changement de tempo : elle reste à une fréquence (un « tempo ») de 30 : la blanche (pour « noire = 60 ») égale la blanche pointée (pour « noire = 90 »).

Dans la seconde ligne, un autre pivot est ajouté, qui concerne cette fois l’impulsion élémentaire composant chaque pulsation : ainsi la croche de triolet (pour « noire = 60 ») égale le croche (pour « noire = 90 ») selon une fréquence inchangée de 180.

Tout ceci peut se représenter simplement en hiérarchisant les durées en trois couches : celle de la mesure, celle de la pulsation et celle de l’impulsion. On peut alors calculer la fréquence de chacune pour un tempo donné ce qui dans notre second petit exemple donnera ceci :

 

 

2/4 à 60

3/4 à 90

Mesure

blanche = 30 = blanche pointée

Pulsation

60 = noire

noire = 90

Impulsion

croche de triolet = 180 = croche

 

Ainsi la modulation métrique se donne comme un changement de fréquence pour la pulsation (de 60 à 90) tandis que mesures et impulsions gardent la même fréquence (respectivement 30 et 180) par-delà la transformation du mètre de 2/4 en 3/4.

 

Deutschland ne cesse de procéder à ce genre d’opérations, qu’on peut bien sûr considérablement diversifier. L’extrait que j’ai sélectionné réalise une série de modulations que présente le schéma rythmique suivant de la partie de percussions :

 

 

Si je récapitule le feuilleté rythmique de l’impulsion, de la pulsation et de la mesure, j’obtiens ici (en ne relevant que les fréquences) :

 

 

3/4 à 48

2/4 à 48

3/4 à 64

2/4 à 64

3/4 à 80

2/4 à 80

Mesure

16

24

21

32

27

40

Pulsation

48

64

80

Impulsion

480

384

320

240

 

Chaque mesure pivote ici sur une valeur stable quand les autres couches rythmiques varient : successivement la pulsation (à 48), puis l’impulsion (à 384), puis à nouveau la pulsation (à 64), etc. Au total, on a le résultat paradoxal d’un tempo principal (voir l’évolution de la noire) qui s’accélère quand l’impulsion de base, elle, ralentit. Cet effet sensible de scission métrique est l’objectif musical propre de ce passage…

Du mètre musical au module architectural…

Comment passer des modulations métriques musicales à des modulations architecturales de façades ?

Par une transposition du feuilleté des durées musicales (de l’impulsion, de la pulsation et de la mesure) en un feuilleté des hauteurs architecturales (de la pierre de taille, de l’étage et du bâtiment).

Je convertis le feuilleté d’un mètre musical en un feuilleté architectural de modules au moyen du tableau suivant :

 

Feuilleté musical du mètre (mes. 150-156) :

 

Nombre de pulsations par mesure

Fréquence de la mesure

Durée de la mesure

3

16

3,75

2

24

2,5

3

21

2,86

2

32

1,87

3

27

2,22

2

40

1,5

3

40

1,5

Fréquence de la pulsation

Durée de la pulsation

48

1,25

64

0,94

80

0,75

120

0,5

Nombre d’impulsions par pulsation

Fréquence de l’impulsion

Durée de l’impulsion

10

480

0,12

8 / 6

384

0,16

5 / 4

320

0,19

3 / 2

240

0,25

 

Feuilleté architectural du module :

 

Nombre d’étages par bâtiment

Hauteur du bâtiment

3

37,5

2

25

3

28,6

2

18,7

3

22,2

2

15

3

15

Hauteur de l’étage

12,5

9,4

7,5

5

Nombre de pierres de taille par étage

Hauteur de la pierre

10

1,2

8 / 6

1,6

5 / 4

1,9

3 / 2

2,5

 

Soit la structure suivante :

 

 

qui, librement habillée et étendue en largeur [2], génère la série de façades présentée précédemment.

D’un modèle fictif…

J’ai ainsi transposé des structures musicales en structures architecturales par homologie entre tempo et échelle, ou, plus précisément, entre mètre musical et module architectural.

Pour parler le langage de la théorie mathématique des modèles, j’ai élaboré une petite théorie du mètre musical pour supposer ensuite que le module architectural pourrait en être modèle (hétérodoxe : les logiciens y reconnaîtront un usage singulier du théorème de Lowenheim-Skolem : toute théorie supporte un modèle pathologique). [3]

 

À quoi cet usage inattendu du module architectural comme modèle « hérétique » d’une théorie musicale du mètre peut-il bien servir ?

J’appelle ce type de modèle — qui se glisse sous la théorie à la place du modèle pour lequel elle a été construite — un modèle fictif. On pourrait dire que ce modèle fictif est en position métaphorique par rapport au modèle canonique mais je préfère parler ici de fiction car il ne s’agit pas ici simplement d’un « comme » mais plus profondément d’un « comme si » : dans notre cas, faisons « comme si » le module architectural (et par là l’échelle) était homologue du mètre musical (et par là du tempo) et voyons où ceci nous conduit.

 

D’où deux questions :

• Qu’en est-il de l’échelle en architecture et pas seulement du module ? Comment le feuilleté architectural ainsi produit touche-t-il à la (ou les) notion(s) d’échelle en architecture ?

• Qu’en est-il corrélativement du tempo musical et pas seulement du mètre ? L’abord ici retenu de la modulation métrique rend-il correctement compte de la notion musicale de tempo ?

2° : la notion architecturale d’échelle

Pour ressaisir la notion architecturale d’échelle, je m’appuierai sur les travaux de Philippe Boudon en en résumant ce qui m’est aujourd’hui nécessaire…

Échelle se dit en architecture en de nombreux sens et la polysémie du mot semble, à lire l’architecturologie, inépuisable. Il me faut donc tailler dans ce massif de quoi poursuivre ma fiction.

Quatre types d’échelles

Je rassemblerai pour cela les nombreuses acceptions de la notion d’échelle architecturale en quatre grands types :

Échelle(s)

Absolues

Représentées

Représentation

Rapport représentant/représenté

 

Plan, maquette

Réelles

Mesure

Rapport résultat/étalon

 

Tailles réelles

Relatives

Exogènes

Usages

Échelle humaine

Échelles sociales (fonctions)

 

Taille des marches, sièges…

Signifier la solennité, la classe sociale…

Endogènes

Proportions

Parties au tout

Entre dimensions

 

Rapport des fenêtres aux portes

Rapport hauteur/largeur pour la façade

 

Sous l’hypothèse générique qu’une échelle est un rapport, on distinguera échelles absolues et relatives, puis, par subdivision, quatre grands types.

Échelle de représentation

D’abord l’échelle la plus banale : celle de la représentation, celle de la maquette ou du plan. Il s’agit de rapporter la taille d’une image à la taille de l’objet dont elle est image. Appelons ce premier type d’échelle absolue échelle de représentation.

Échelle de mesure

Ensuite on a l’échelle « réelle » c’est-à-dire donnant la taille de l’objet selon l’unité en vigueur : en mètres dans notre cas. Il s’agit bien là d’un rapport (entre l’objet architectural et « le mètre-étalon » [4]). Appelons ce second type d’échelle absolue échelle de mesure.

Échelle d’usages

Viennent ensuite, parmi les échelles relatives, celles qu’on dira exogènes dans la mesure où elles vont rapporter l’objet architectural à d’autres choses que lui. Vous me direz : c’était déjà le cas pour les échelles absolues précédentes : oui, sauf que l’étalon était là purement physique, indifférent donc à la spécificité de la discipline architecturale. Le troisième type d’échelles concerne les usages architecturaux prévus pour le bâtiment examiné, et en premier lieu son usage éventuel par l’homme — on parle à ce titre d’échelle humaine — [5].

Je regrouperai dans ce troisième type toutes les échelles provenant des usages et fonctionnalités prévues pour le bâtiment en question : on fixera par exemple l’échelle de monumentalité d’un arc de triomphe en rapportant sa taille à celle de son environnement immédiat (cas de la Place du même nom à Paris) ou à celle de la ville pour laquelle il fonctionne comme portail (Porte St-Martin et St-Denis à Paris…). J’appellerai ce troisième type d’échelle échelle d’usages. Elles étalonnent par exemple les marches et les sièges à l’échelle humaine et ajustent plus généralement le bâtiment à ses fonctions [6].

Échelle des proportions

Enfin quatrième et dernier type d’échelle : les échelles relatives endogènes qui rapportent différentes parties entre elles ou au tout. Il s’agit par exemple ici de rapporter la taille des fenêtres à celle des portes, la largeur d’une façade à sa hauteur (voyez notre série précédente), etc. J’appellerai ce type échelle des proportions. On pourrait parler également d’échelle de module (en continuant d’utiliser ce mot dans son acception grecque [7]).

Ma transposition précédente à partir du mètre musical produisait ce type de module (des proportions relatives ne préjugeant pas de leurs échelles absolues). À ce titre, j’ai donc transposé le mètre musical en une échelle de proportions.

Un faisceau d’échelles

Il se déduit de cet examen sommaire plusieurs points :

• Les échelles d’un bâtiment sont potentiellement en nombre infini [8] ce qui à proprement parler interdit de parler de « son » échelle.

• Les échelles d’un bâtiment composent un faisceau, qui se noue autour d’une échelle privilégiée : celle qui l’arrime à l’espace réel (l’échelle de mesure).

• Au total le faisceau des échelles (qui peut faire l’économie de l’échelle de représentation une fois le bâtiment édifié), se noue autour d’une échelle princeps (échelle de mesure) par entrecroisement d’échelles relatives : les unes exogènes (d’usages), les autres endogènes (de proportions).

3° : Cette fois, de l’échelle au tempo

En ce point, une transposition peut être faite terme à terme de l’échelle vers le tempo, ce que présente le tableau suivant :

 

 

Échelles

Tempi

Absolues

Représentées

Représentation

Rapport représentant/représenté

 

Plan

 

Partition en notation proportionnelle

Réelles

Mesure

Rapport résultat/étalon

 

Tailles réelles

 

Durées réelles

Relatives

Exogènes

Usages

• Échelle humaine

• Échelles sociales (fonctions)

 

• Taille des marches, sièges…

• Signifier la solennité, richesse…

 

• Lien des durées avec la marche, avec les affects…

• Signifier par un tempo la solennité, la douleur… Permettre la danse, la prière…

Endogènes

Proportions

• Parties au tout

• Entre dimensions

 

• Fenêtres à portes

• Hauteur sur largeur de la façade

 

• « Échelle » des tempi au cours d’une pièce donnée

• « Échelle » du feuilletage : impulsions/pulsations/mesures

 

L’homologie échelle-tempo semble ainsi pouvoir se prolonger assez loin.

Remarquons que j’ai ce faisant inversé ma fiction initiale puisque désormais je mets la notion musicale de tempo à l’épreuve de la théorie architecturologique de l’espace : je fais maintenant « comme si » la notion de tempo pouvait se couler dans le moule théorique de l’échelle. J’use donc successivement de deux fictions croisées : l’une où l’architecture vient à la place de la musique dans une théorie du tempo, l’autre, inverse, où la musique vient à la place de l’architecture dans une théorie de l’échelle. [9]

 

Pour mettre en évidence le point de réel de notre fiction, le point où l’homologie échelle-tempo va buter, il me faut maintenant explorer plus avant la notion musicale de tempo.

4° : La notion musicale de tempo

Comme l’échelle pour l’architecture, le tempo pour la musique se dit en plusieurs sens. Partons pour cela des tempi chez Mozart.

À l’époque de Mozart, le métronome n’existait pas encore, et un tempo, c’était essentiellement un nom.

Le tempo comme nom

Un livre érudit [10] recense l’usage de 92 noms de tempo dans tout le catalogue de Mozart. Les voici, dans un ordre alphabétique :


(Un) poco adagio

(Un) poco adagio e maestoso

Adagio

Adagio cantabile

Adagio ma non molto

Adagio ma non troppo

Adagio maestoso

Adagio un poco andante

Molto adagio

Molto adagio cantabile

 

Allegretto

Allegretto grazioso

Allegretto ma non troppo

Allegretto maestoso

Allegretto moderato

Allegretto vivace

Allegretto vivo

(Un) poco allegro

Allegro

Allegro (ma) non troppo

Allegro agitato

Allegro aperto

Allegro assai

Allegro comodo

Allegro con brio

Allegro con spirito

Allegro di molto

Allegro grazioso

Allegro ma molto moderato

Allegro ma non molto

Allegro maestoso

Allegro moderato

Allegro molto

Allegro non presto

Allegro non troppo

Allegro risoluto

Allegro spiritoso

Allegro vivace

Allegro vivace assai

Molto allegro

 

Amoroso

 

(Un) poco andante

Andante

Andante (di) molto

Andante (ma) adagio

Andante (ma) poco adagio

Andante (ma) poco sostenuto

Andante (ma) sostenuto

Andante agitato

Andante con moto

Andante con moto e grazioso

Andante grazioso

Andante maestoso

Andante moderato

Andante un poco allegretto

Andante un poco allegro

Molto andante

Andantino

Andantino cantabile

Andantino con moto

Andantino espressivo

Andantino sostenuto

Andantino sostenuto e cantabile

Andantino sostenuto e languido

Andantino grazioso

 

Cantabile

 

Con espressione

 

Grave

 

(Tempo) grazioso

Grazioso un poco

 

Larghetto

Largo

 

Maestoso

Maestoso assai

 

Marcia

 

Menuetto allegretto

Menuetto allegro

Menuetto cantabile

Menuetto galante

Menuetto moderato

Tempo di minuetto

Tempo di minuetto grazioso

 

Moderato

Moderato e maestoso

Tempo moderato

 

Con moto

 

Presto

Presto assai

Molto presto

Prestissimo

 

Risoluto

 

Vivace


Remarquons l’importance, dans ce lexique, des noms d’affects :

Adagio = doucement

Allegro = gai

Andante = avec allant, en marchant

Largo = large

Maestoso = majestueux

Presto = rapide, vif

etc.

Le nom du tempo est ainsi immédiatement référé à l’activité humaine : la marche, les émotions, bref on retrouve ici cette « échelle humaine » si décisive en architecture.

Le tempo comme nombre

Peut-on algébriser plus avant cette topologie [11], en particulier en l’ordonnant ? Le livre de Jean-Pierre Marty le réalise — je ne discuterai pas ici de la validité musicologique de sa réponse — en associant un nombre à chaque nom. On aboutit ainsi à un ordre subdivisé en 8 parties (3 principales, 3 intermédiaires et 2 extrêmes) [+ danses : menuets…] pour une échelle totale des tempi (c’est-à-dire des fréquences) allant de 1 à 12 (la fréquence de la noire allant de 30 à 360).

 

L’ossature de cet ordre est le suivant :

Grave/Largo

ADAGIO (46)

Larghetto

Andantino

ANDANTE (92)

Allegretto

ALLEGRO (168)

Presto/Prestissimo

 

Voici la mise en ordre métronomique à laquelle aboutit notre auteur pour un mètre simple (mesure à 4/4) :

 

 

30

Grave

 

36

Largo

 

A

D

A

G

I

O

 

Molto adagio

Adagio cantabile

Molto adagio cantabile

 

46

Adagio

Adagio ma non troppo

 

50

Adagio maestoso

 

52

Un poco adagio e maestoso

Adagio un poco andante

Adagio ma non molto

 

54

(Un) poco adagio

 

LARGHETTO

 

Menuetto cantabile

 

 

Larghetto

 

 

Tempo di minuetto grazioso

 

A

N

D

A

N

T

I

N

O

 

Andantino sostenuto

Andantino sostenuto e languido

Andantino sostenuto e cantabile

Andantino cantabile

Andantino espressivo

 

 

Andantino

 

 

Tempo di minuetto (lent)

 

 

Andantino grazioso

 

 

Tempo di minuetto 3/8

 

 

Andantino con moto

 

A

N

D

A

N

T

E

76

Andante maestoso

Andante (ma) adagio

Andante (ma) sostenuto

Un poco andante

 

 

Maestoso assai

 

 

Maestoso

 

 

Marcia (religieuse)

 

 

Andante moderato

Andante (ma) poco adagio

Andante (ma) poco sostenuto

Cantabile

Con espressione

Amoroso

 

84

Moderato (I)

Tempo moderato

 

 

Menuetto moderato

Menuetto galante

 

92

Andante

 

 

Marcia

 

92

Andante agitato

 

 

Andante grazioso

(Tempo) grazioso

Grazioso un poco

Allegretto

Andante un poco allegro

 

 

Andante con moto

Con moto

 

100

Risoluto

 

116

Molto andante

Andante (di) molto

Andante con moto e grazioso

Andante un poco allegretto

 

 

116

Marcia

A

L

L

E

G

R

E

T

T

O

 

Allegretto grazioso

Allegretto moderato

Allegretto maestoso

 

Tempo di minuetto (rapide)

 

Allegretto

Allegretto ma non troppo

 

Menuetto allegretto

120

Allegretto vivo

Allegretto vivace

A

L

L

E

G

R

O

 

Allegro maestoso

Allegro comodo

Allegro grazioso

Allegro ma molto moderato

(Un) poco allegro

Allegro non troppo

 

Allegro moderato

Allegro risoluto

152

Moderato (II)

Moderato e maestoso

168

Allegro

Allegro (ma) non troppo

Allegro ma non molto

Allegro non presto

168

Allegro agitato

Allegro aperto

168

Menuetto allegro

184

Allegro con spirito

Allegro spiritoso

Allegro con brio

 

Allegro vivace

Vivace

200

Allegro molto

Molto allegro

Allegro di molto

Allegro vivace assai

240

Allegro assai

 

276

Presto

360

Prestissimo

Molto presto

Presto assai

 

Un point d’accumulation dans un voisinage mesurable

En vérité, il faut associer à un même nom de tempo plusieurs nombres car la fréquence ainsi désignée varie selon le contexte, en particulier selon le type de mètres dans lesquels la pulsation considérée (ici la noire) intervient.

Si l’on prend l’exemple du nom « andante » (sans autre qualificatif !), l’éventail des fréquences (chez Mozart) devient celui-ci :

 

 

Simple

Composé

 

q

e

q.

q/e

h/q

q/e

q./e

e/q

q/h

e/q.

 

c

3/4

2/4

4/8

6/8

6/8

c

3/4

C

2/4

6/8

c

C

6/8

Andante

92

92

92

84

84

66

72/144

72/144

60/120

56/112

50/152

104/52

88/44

112/37

 

On voit ici que l’écart des tempi peut aller du simple au triple (de 52 à 120) pour une même noire écrite !

Il apparaît donc que le nombre principal associé au nom (en l’occurrence 92 pour le nom andante) désigne un point d’accumulation dans un voisinage mesurable beaucoup plus vaste.

Ceci n’est pas propre au nom retenu : voici la taille des voisinages pour les principaux noms examinés :

 


BASE

Minimum

Maximum

Rapport

Médiane

Médiane/Base

Largo

36

36

54

1,5

45

1,3

Molto adagio

36

24

60

2,5

42

1,2

Adagio

46

28

66

2,4

47

1,0

Adagio maestoso

50

50

66

1,3

58

1,2

Un poco adagio e maestoso

52

30

60

2,0

45

0,9

(Un) poco adagio

54

33

72

2,2

53

1,0

Larghetto

 

33

76

2,3

55

 

Andantino sostenuto

 

36

84

2,3

60

 

Andantino

 

40

92

2,3

66

 

Andantino grazioso

 

48

60

1,3

54

 

Andante maestoso

76

44

104

2,4

74

1,0

Andante moderato

 

52

112

2,2

82

 

Moderato (I)

84

66

90

1,4

78

0,9

Andante

92

52

120

2,3

86

0,9

Andante grazioso

 

60

132

2,2

96

 

Andante con moto

 

50

108

2,2

79

 

Molto andante

116

54

116

2,1

85

0,7

Allegretto grazioso

 

72

108

1,5

90

 

Allegretto

 

72

176

2,4

124

 

Allegretto vivo

 

120

126

1,1

123

 

Allegro maestoso

 

60

138

2,3

99

 

Allegro moderato

 

72

152

2,1

112

 

Moderato (II)

152

84

152

1,8

118

0,8

Allegro

168

80

192

2,4

136

0,8

Allegro agitato

168

58

168

2,9

113

0,7

Allegro con spirito

184

100

184

1,8

142

0,8

Allegro vivace

 

88

224

2,5

156

 

Allegro molto

200

116

240

2,1

178

0,9

Allegro assai

240

126

264

2,1

195

0,8

Presto

276

150

304

2,0

227

0,8

Prestissimo

360

180

360

2,0

270

0,8

 

Quelques rapides commentaires sur ce tableau :

• Pour chaque nom, l’écart se fait en moyenne du simple au double.

• En général, le point d’accumulation n’est pas « au centre » du voisinage.

Le point d’accumulation n’est au centre du voisinage que pour les tempi « modérés » (ceux de l’intervalle [54 — 76]).

Par rapport au nombre de base (point d’accumulation),

— l’écart pour les tempi lents (≤ 50) s’ouvre surtout vers des tempi plus rapides ;

— vis versa, pour les tempi rapides (≥ 84) où l’écart s’ouvre surtout vers des tempi plus lents.

 

Je résume : un tempo musical, c’est donc l’association d’un nom et d’un nombre, plus exactement d’un nom et d’un voisinage mesurable d’un nombre.

Le tempo comme rubato…

Complétons notre examen en allant regarder du côté de Chopin jouant ses Mazurkas.

Voici ce que nous ont transmis des élèves de Chopin [12].

D’un 3/4 devenant 4/4…

« Je m’aventurais un jour à lui faire la remarque que, jouées par lui, la plupart de ses Mazurkas semblaient notées non à 3/4 mais à 4/4 du fait qu’il s’attardait avec insistance sur la première note de la mesure. Il le nia énergiquement, jusqu’à ce que je lui aie fait jouer une Mazurka tandis que je comptais tout haut à quatre temps, ce qui jouait parfaitement. Il expliqua alors en riant que c’était le caractère national de la danse qui se trouvait à l’origine de cette particularité. À entendre jouer Chopin, le plus remarquable était qu’on avait l’impression d’un rythme à 3/4 tout en entendant une mesure binaire. » Hallé [13]

Voici un exemple possible de transformation du 3/4 de la mazurka en un 4/4 par allongement du premier temps

D’un 3/4 devenant 2/4…

Autre témoignage :

« Un jour Meyerbeer arriva chez Chopin pendant ma leçon. […] Nous jouions la Mazurka en ut op. 33. […] Meyerbeer prit place, je continuai. — « C’est une mesure à deux quatre » dit Meyerbeer. Il me fallut répéter, tandis que Chopin, crayon en main, frappait la mesure sur le piano ; son regard s’enflammait. — « Deux quatre » répéta tranquillement Meyerbeer. Si jamais j’ai vu Chopin s’emporter, ce fut à cet instant. […] «C’est à trois quatre » dit-il d’une voix forte. […] Il me poussa de la chaise et se mit lui-même au piano. Trois fois il joua le morceau en comptant à haute voix et frappant la mesure du pied ; il était hors de lui ! Meyerbeer resta sur son affirmation et ils se quittèrent fâchés. » Lenz [14]

Voici comment il est envisageable que le mètre ternaire de cette mazurka (opus 33 n°3) ait été changé en une mesure en 2/4 ou en C :

Que voit-on sur ces deux exemples ? Que le tempo musical est éminemment flexible, non seulement que sa valeur peut varier selon les interprétations, mais qu’elle peut — doit — le faire en cours d’interprétation : le tempo n’est pas une valeur mécanique, ni dans son attribution (on l’a vu avec Mozart), ni une fois attribuée (on le voit avec Chopin) car il est une flexion locale, une dynamique constamment mouvante, une agogique : la vitesse de paramétrage est donc souple (l’étalon de vitesse est en caoutchouc et non pas rigide).

En ce sens le tempo musical n’est pas simplement l’arrimage d’un nombre (prélevé dans un voisinage mesuré) à un nom. Il est aussi le dynamisme d’un paramétrage du mètre. Ces fluctuations s’appellent rubato.

Les trois dimensions du rubato

Le tempo rubato (ou temps dérobé) qui apparaît au 18° siècle [15] a trois dimensions :

Général : Flexibilité du tempo qui dérobe le temps d’un battement régulier (cf. mètre en caoutchouc). Cela peut aller jusqu’à une altération du mètre : cf. nos exemples de mazurkas.

Régional : Altération d’une main quand l’autre garde un tempo strict (cf. également Frédéric Chopin selon ses élèves, et… Eroll Garner)

Local : notes ornementales jouées avant/après le temps, etc.

Le tempo comme faisceau agogique de trois déterminations

Il faut donc penser le tempo musical comme faisceau agogique de trois déterminations [16] :

·      · Un nom, qui désigne une allure globale ;

·      · Un nombre, qui algébrise cette allure et l’ossature ;

·      · Un rubato, qui topologise l’allure en la déformant localement.

Ou encore le tempo est un nom qui signifie le croisement d’une algèbre (du nombre) et d’une topologie (du rubato), qui désigne le produit d’une algèbre topologique (quand il s’agit de passer de la partition à la musique vivante) et d’une topologie algébrique (quand il s’agit d’écouter une musique en cours d’exécution). Soit l’agogique d’une désignation, d’une algèbre et d’une topologie.

5° : Où la rétrogradation du parcours bute en un point…

C’est au point de ce faisceau du tempo, qui n’est plus seulement le feuilleté d’une métrique, que va buter notre périple.

*

Résumons où nous en sommes.

Je me suis demandé comment il était possible de bâtir des fictions rapportant musique et architecture :

 

 

Quatre étapes

J’ai pour cela parcouru quatre étapes :

1) construction d’une homologie entre le feuilleté architectural du module et le feuilleté musical du mètre,

2) insertion du feuilleté du module dans le faisceau des échelles,

3) construction d’une homologie entre le faisceau architectural de l’échelle et le faisceau musical du tempo,

4) insertion du feuilleté du mètre dans le faisceau du tempo.

 

 

Rétrogradation ?

Ceci fait, je me demande alors s’il est possible de reprendre la rotation dans l’autre sens, en particulier si l’on peut bâtir une homologie de l’échelle sur le tempo comme on a pu en bâtir une du module architectural sur le mètre musical.

Point de butée de nos fictions

C’est là que notre homologie générale bute un point de réel : la flexion agogique du tempo n’a pas vraiment d’équivalent dans l’échelle même si l’architecturologie se plaît à faire valoir que le mètre de l’architecte — à l’égal du mètre de Chopin… — est parfois en caoutchouc. [17] Il n’y a pas et ne saurait y avoir en architecture cette mobilité de la construction musicale qui s’effectue dans le temps et s’efface aussitôt qu’affirmée. La fixité d’une échelle architecturale semble établir le point de réel où bute notre homologie.

Cette fixité tient somme toute à cet autre aspect : pour l’architecte, l’échelle est un embrayeur sur l’espace réel. L’échelle permet à la fois de fixer la taille réelle et définitive des bâtiments préfigurés (échelle de mesure), mais également (échelles d’usages) de mettre en rapport ce bâtiment et son lieu d’accueil : mettre par exemple en rapport la porte monumentale et la ville dont elle constitue l’entrée…

Pour l’architecte, l’espace réel préexiste à la fois en sa dimension abstraite (les trois dimensions mesurables de l’espace euclidien ordinaire) et en sa figure concrète (le lieu où le bâtiment à édifier va prendre place). À ces deux titres, l’espace réel existe pour l’architecte et les échelles (à la seule exception de l’échelle relative endogène des proportions) permettent d’embrayer sur cet espace réel.

Où le temps musical n’embraye pas sur un supposé « temps réel ».

Or en ce point, nulle transposition à mon sens n’est possible vers la musique : certes le tempo permet de mesurer les durées musicales en secondes et minutes mais le tempo musical opère, lui, sur des fréquences [18]. L’essence du tempo musical tient précisément au fait de ne pas aborder la durée musicale en la mesurant (comme le font par contre certes partitions par des notations proportionnelles, rapprochant alors la partition d’une carte ou d’un plan ce qu’en vérité elle n’est nullement [19]) mais comme la fréquence d’une répétition.

Le tempo saisit les durées musicales comme fréquence, non en secondes, car son essence est d’être une allure, une agogique, une dynamique : la durée musicale est moins l’intervalle abstrait entre deux instants que la durée concrète d’un moment d’exposition sonore. En ce sens, une durée musicale est elle-même une agogique intérieure : il s’y passe quelque chose [20].

Le tempo musical n’est donc pas un quadrillage en secondes du temps (seul le tempo comme nombre pourrait le suggérer). C’est un faisceau agogique où la dynamique intérieure de la pulsation [21] compte autant que son « espacement » temporel.

Où pour la musique le temps n’ek-siste pas…

À tous ces titres, il faut tenir que pour le musicien le temps à proprement parler n’existe pas, c’est-à-dire n’ek-siste pas à la musique : le temps chronométrique des horloges n’est nullement une ek-sistence préalable dans laquelle la musique devrait trouver son moment et sur lequel elle devrait embrayer. Somme toute, le temps réel n’ek-siste pas à la musique comme l’espace réel ek-siste à l’architecture.

Du « temps réel » de l’informatique, non de la musique

Vous me direz : mais pourtant l’informatique musicale ne cesse de parler d’un « temps réel » ? [22] Oui mais, précisément, ce « temps réel » est celui de l’informatique, non de la musique. Et ceci est clairement attesté par le fait qu’ici « temps réel » s’oppose à « temps différé », ce qui indique que le temps dont il est ici question est le temps… du calcul informatique, non de la musique ! « Temps réel » veut simplement dire que le temps chronométrable des calculs informatiques devient alors négligeable. Le résultat en est précisément que la musique peut ignorer ce temps de calcul exogène car il ne produit plus de parasites, de ces « transitoires » informatiques qui n’ont guère musicalement d’intérêt.

Le « temps réel » de l’électroacoustique n’est pas pour la musique le réel du temps : c’est une contrainte chronométrique — comme il y a des contraintes de tessiture ou de nombre de touches sur le clavier du piano —.

La musique en fait n’a pas la contrainte d’embrayer sur un temps réel. Le temps chronométrique ordinaire du concert (il se déroule tel jour, à telle heure, et en tel endroit) ne joue pas plus de rôle déterminant dans le temps musical à l’œuvre que n’en joue le lieu du concert : pas d’homologie donc en ce point avec les rapports d’imbrication entre espace architectural et espace urbanistique.

Du réel de la musique : l’écoute plutôt que le temps…

Et le fait que le temps musical d’une œuvre soit objectivement mesurable [23] ne dit pas grand-chose de ce qui importe à l’écoute, laquelle traverse l’œuvre de l’intérieur de son déroulement et ne se situe pas en extériorité face à l’œuvre comme devra par contre le faire le musicologue : autant dire que pour l’écoute — et le réel de la musique, à mon sens, tient à l’écoute — la musique est sans façades, là où la façade d’une architecture contribue de manière essentielle à son réel [24].

Coda

Avec ce thème des façades, je suis revenu à mon propos de départ, ce qui bien classiquement annonce une coda.

Si le temps musical n’a pas pour réel le temps physique — la chronométrie et la chronologie —, c’est parce que la musique est art de l’écoute bien plus que du temps et donc que la question du temps n’est pas pour la musique la question principale.

D’une dissymétrie entre musique et architecture

Il me semble qu’en ce point la position de l’architecture n’est pas symétrique car l’architecture est bien art de l’espace (la sculpture étant plutôt art du volume) — laissons ici en plan la question de l’urbanisme (qui ne semble guère un art mais plutôt un discours, parfois savant) et celle, plus délicate, d’un éventuel art paysagiste autonome — : l’architecture est création d’espaces sensibles.

On voit alors que mes deux fictions croisées ne sont pas symétrisables :

— la fiction du tempo comme modèle fictif d’une théorie architecturale de l’échelle ne semble guère rencontrer de butée,

— mais à l’inverse la fiction de l’échelle comme modèle fictif d’une théorie musicale du tempo bute sur la topologie du tempo musical, sur ce rubatotemps dérobé au temps du chronomètre…

Ainsi la fiction fonctionne bien dans un sens mais mal dans l’autre. Mais peut-être est-ce là simplement illusion de musicien, qui par définition subjective la musique plutôt que l’architecture !

Si ce que je soutiens là est vrai, il faudrait alors poser qu’il y a bien place pour une architecture de la musique mais qu’il n’y a guère de moment pour une musique de l’architecture : nos disciplines semblent ainsi moins disposées orthogonalement (figure spatiale !) que rapportées selon une polarisation (figure vectorielle, plus dynamique).

Une proposition

Dans ces conditions, continuer d’explorer la musique comme modèle fictif de l’architecturologie pourrait passer par un examen plus subtil de ce qu’il y a en architecture de proprement dynamique. Explorer la dynamique proprement architecturale (et plus seulement sa statique spatiale) permettrait peut-être de mettre le tempo musical en rapport avec d’autres composantes architecturologiques que celles de module et d’échelles.

Qu’en est-il de la pensée architecturale des parcours ?

D’où cette ultime suggestion : peut-être faut-il ici aller regarder du côté de la composition architecturale des parcours, soit la difficile question de savoir comment tel ou tel parcours extérieur-intérieur d’un bâtiment permet de synthétiser le faisceau d’échelles évoqué précédemment. Y a-t-il à ce titre des parcours privilégiés, des parcours insensés ou ineptes ? Comment le bâtiment lui-même polarise-t-il cette diversité des parcours possibles ? Compose-t-il un faisceau de parcours autour d’un trajet principal, autour de deux ou trois principales traversées ?

Parcourir/Habiter ?

Plus encore, telle architecture suggère-elle qu’il faille l’habiter (plutôt qu’à proprement parler la parcourir) pour en prendre véritablement mesure sensible ?

 

Autant que de questions où l’on retrouverait peut-être le tempo musical en sa dynamique singulière [25]… Autant dire que cette dernière proposition est pour moi une manière de relancer les dés en vue de rencontres éventuelles entre musiciens et architectes.

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[1] Cette nouvelle source sonore, en forme de cube — plus précisément en sa version de concert de trois cubes superposés —, prend position dans la vieille alliance entre musique et architecture qui voit l’espace sensible construit par les architectes — le lieu — servir de berceau aux sonorités projetées par les instruments de musique. La musique joue de l’espace sensible que lui délivre l’architecture — cet espace concret fait de murs et de plafonds, de sols et de revêtements, de formes et de tailles — : elle choisit où y disposer ses instruments, elle modèle son jeu instrumental sur les caractéristiques acoustique du lieu fourni, elle tire parti des réflexions sur les parois, de la réverbération offerte. Je dirai que l’espace architectural concret sert ici d’écrin au temps musical : le musicien prend acte de l’espace concret qui lui est fourni et tente d’en tirer le meilleur parti musical. En ce sens, la Timée que je présenterai demain vise à donner aux musiciens de nouveaux moyens pour permettre à la musique diffusée par haut-parleurs de prendre appui sur l’espace architectural concret et non plus d’y être indifférent. Vous voyez qu’ici l’architecture mobilisée par la musique n’a rien d’imaginaire mais est prise au contraire dans sa matérialité maximale, dans sa réalité concrète la plus immédiate.

[2] Le nombre de « travées » consécutives identiques équivaudrait ici au nombre de mesures semblables consécutives.

[3] Rappelons qu’en cette acception logico-mathématique du concept de modèle, ce terme désigne l’original à copier, non le modèle réduit théorique qu’entendent à l’inverse sous ce même vocable les chercheurs en sciences sociales…

[4] Ce « mètre-étalon », pour n’être plus déposé au Pavillon de Sèvre mais procéder d’une longueur d’onde, n’en est pas moins le référent de toute mesure de ce type.

[5] On sait que rapporter la taille d’un bâtiment à celle de l’homme ne va nullement de soi : Viollet-le-Duc nous avait déjà rappelé que les Grecs n’en avaient cure.

[6] Comme le suggère Viollet-le-Duc, si une cabane à chiens autorise qu’un âne s’y loge, c’est que l’âne en question… est l’architecte.

[7] que Le Corbusier semble avoir réactivé en proposant son Modulor

[8] Philippe Boudon montre bien que la mesure d’une simple piscine municipale associe un très grand nombre d’échelles.

[9] On pourrait s’intéresser au décalage chronologique entre invention architecturale de l’échelle et invention musicale du tempo. Viollet-le-Duc écrit ainsi :

« Les Grecs, dans leur architecture, ont admis un module, on n’en saurait douter ; ils ne paraissent pas avoir eu d’échelle. […] L’échelle apparaît dans les édifices romains ; elle devient impérieuse dans l’architecture du moyen âge. »

Ainsi les Grecs avaient des modules, mais pas d’échelle alors que le Moyen Âge avait des mètres mais pas de tempo.

L’échelle apparaît chez les Romains et devient impérieuse dans l’architecture du Moyen Âge. Du côté de la musique le tempo apparaît (comme nom) à la Renaissance mais il devient impérieux au 18° siècle et ne se mesure que depuis le 19° siècle.

[10] Les indications de tempo de Mozart, Jean-Pierre Marty – Librairie Seguier, Paris 1991

[11] Relevons la topologie de ce lexique

• Il y a des points d’accumulation constituant des voisinages :

— 5 majeurs : adagio, allegro (allegretto), andante (andantino), menuetto, presto

— 4 mineurs : grazioso, largo, maestoso, moderato

Noter le recouvrement de certains voisinages (adagio e maestoso, adagio un poco andante, etc.)

• Il y a des isolats (vivace, cantabile) qui peuvent cependant composer dans des voisinages (allegretto vivace, adagio cantabile, etc.)

[12] Chopin vu par ses élèves – Jean-Jacques Eigeldinger ; À La Baconnière - Payot, 1979

[13] p. 110

[14] p. 111

[15] Voir Stolen Time de Richard Huston (Clarendon Press Oxford, 1994)

[16] On retrouve, ce faisant, des propriétés de ce qu’on peut appeler les triades duales de la temporalité musicale sensible : {flux, moment, instant} / {flèche, durée, présent}.

[17] Peut-être est-il vrai que ce n’est pas tout à fait le même mètre qui intervient en architecture selon différentes directions et dans différentes échelles; peut-être également qu’à l’intérieur d’une même échelle et selon une même direction le mètre de l’architecte est parfois susceptible de variations progressives, selon par exemple qu’on s’éloigne d’un centre en sorte de modifier l’impression générale de profondeur (voir en particulier le jardin de Versailles qu’on voit différemment selon tel ou tel point de vue et dont l’ordonnancement est intelligible du point du château, donc du point de vue du Roi).

[18] {noire = 60} veut dire qu’il y a 60 de ces noires dans une minute, et que ces noires sont identiques les unes aux autres.

[19] puisque l’écriture musicale proprement dite — et donc la lettre — fait ici coupure avec une représentation visuelle homologique.

[20] A minima, une noire signifie des transitoires d’attaque, une résonance et de transitoires d’extinction, et c’est cette topologie des transitoires qui rend musicalement intéressant les sons projetés par les instruments de musique.

[21] On appelle « tactus » cette pulsation musicalisée car dynamiquement habitée — songeons au swing de la pulsation dans le jazz… —.

[22] Qui compose une œuvre mixte sait bien qu’il lui faut synchroniser au centième de seconde le jeu instrumental et le calcul informatique en temps rée.l

[23] par exemple, l’interprétation de l’Héroïque par Toscanini dure près de deux fois moins de minutes que celle de Furtwängler…

[24] Peu importe ici que cette façade soit en homologie avec son intérieur — comme dans l’art romain ou l’art du Moyen Âge pour Viollet-le-Duc ou, plus spécifiquement dans l’art gothique pour Panofsky — ou qu’elle en soit disjointe — comme dans l’art grec pour Viollet-le-Duc ou l’art roman pour Panofsky…—.

[25] dynamique d’une projection sonore à partir du corps à corps entre un musicien et son instrument en vue d’une dynamique d’écoute.