Échelle architecturale et tempo musical
(Rencontres
« Architectures imaginaires » de la Passerelle des Arts)
Journées Ensad-Ens — 5 février 2004
François Nicolas (Ens)
L’enregistrement vidéo de cette journée et donc de
cette intervention est disponible à l’adresse suivante :
http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=130
Jean-Loup Bourget nous invite à réfléchir sur les
« architectures imaginaires » de la musique.
Pour ma part, je déclinerai ce thème en deux sens, très
distincts :
• Je présenterai demain un dispositif électroacoustique
original — la Timée — construit par
l’Ircam, qui renouvelle le rapport à l’espace architectural de la musique
diffusée par haut-parleurs. [1]
• Je voudrai ce matin me demander comment le musicien
peut-il penser la musique avec
l’architecture ? Je vais le faire en montant un dispositif
singulier : celui d’un face à face entre la catégorie architecturale
d’échelle et la catégorie musicale de tempo.
En quelque sorte, et à l’inverse de la voie explorée demain
avec la Timée où l’espace architectural berce
le temps musical, je voudrais ici mettre mes pas dans ceux de Parsifal — « Ici le temps devient espace » — et me
demander s’il est possible imaginairement que le temps musical devienne espace architectural, plus précisément
que le tempo devienne échelle, s’il est possible d’imaginer des échelles de
temps et des tempi de l’espace…
Je procéderai globalement en 5 temps :
1) du mètre musical au module architectural,
2) en architecture, du module à l’échelle,
3) de l’échelle architecturale au tempo musical,
4) en musique, du mètre au tempo,
5) pour me demander ultimement s’il est possible de repasser du tempo musical à l’échelle architecturale.
Pour cela, voici d’abord cette image :
Il s’agit d’une série de façades qui, par quelques
décorations élémentaires, évoque (de gauche à droite) des entrepôts, puis des
immeubles d’habitation, des ateliers et pour finir un pavillon d’aristocrate…
Notons que l’échelle de cette image (et par là celle des bâtiments décrits) est soulignée, en sus des fonctionnalités évoquées précédemment, par l’ajout de personnages humains aux deux extrémités.
Quel rapport y a-t-il entre cette image architecturale et la musique ? En quoi cet alignement de façades se distingue-t-il de ceux représentés dans ces photos de frontons parisiens ?
En ceci : ces « architectures imaginaires » sont directement déduites d’une partition musicale dont voici un extrait — il s’agit d’une de mes œuvres Deutschland, composée en 1989 pour voix et petit orchestre —.
Deutschland – Éd. Jobert
L’extrait retenu est rythmiquement structuré par une série
de modulations métriques.
Une modulation métrique, c’est un changement de mètre tel qu’il y ait au moins une valeur rythmique commune aux deux mètres qui va fonctionner comme pivot. C’est là une transposition du principe de la modulation tonale où un même accord supporte simultanément deux fonctions harmoniques — relative chacune à une tonalité — en sorte que pivotent autour de cet accord les deux tonalités ainsi enchaînées. Cette même logique du pivot, transposée de l’harmonie au rythme, est à l’œuvre dans les modulations métriques, par exemple dans celles-ci :
Pourquoi la première transformation de tempo est-elle une
modulation métrique et pas seulement un changement de mètre ? Parce que la
durée de la mesure reste identique dans le changement de tempo : elle
reste à une fréquence (un « tempo ») de 30 : la blanche (pour
« noire = 60 ») égale la blanche pointée (pour « noire
= 90 »).
Dans la seconde ligne, un autre pivot est ajouté, qui
concerne cette fois l’impulsion élémentaire composant chaque pulsation :
ainsi la croche de triolet (pour « noire = 60 ») égale le croche
(pour « noire = 90 ») selon une fréquence inchangée de 180.
Tout ceci peut se représenter simplement en hiérarchisant les durées en trois couches : celle de la mesure, celle de la pulsation et celle de l’impulsion. On peut alors calculer la fréquence de chacune pour un tempo donné ce qui dans notre second petit exemple donnera ceci :
|
2/4 à 60 |
3/4 à 90 |
Mesure |
blanche = 30 = blanche pointée |
|
Pulsation |
60 = noire |
noire = 90 |
Impulsion |
croche de triolet = 180 = croche |
Ainsi la modulation métrique se donne comme un changement de fréquence pour la pulsation (de 60 à 90) tandis que mesures et impulsions gardent la même fréquence (respectivement 30 et 180) par-delà la transformation du mètre de 2/4 en 3/4.
Deutschland ne cesse de procéder à ce genre d’opérations, qu’on peut bien sûr considérablement diversifier. L’extrait que j’ai sélectionné réalise une série de modulations que présente le schéma rythmique suivant de la partie de percussions :
Si je récapitule le feuilleté rythmique de l’impulsion, de la pulsation et de la mesure, j’obtiens ici (en ne relevant que les fréquences) :
|
3/4 à 48 |
2/4 à 48 |
3/4 à 64 |
2/4 à 64 |
3/4 à 80 |
2/4 à 80 |
Mesure |
16 |
24 |
21 |
32 |
27 |
40 |
Pulsation |
48 |
64 |
80 |
|||
Impulsion |
480 |
384 |
320 |
240 |
Chaque mesure pivote ici sur une valeur stable quand les
autres couches rythmiques varient : successivement la pulsation (à 48),
puis l’impulsion (à 384), puis à nouveau la pulsation (à 64), etc. Au total, on
a le résultat paradoxal d’un tempo principal (voir l’évolution de la noire) qui
s’accélère quand l’impulsion de base, elle, ralentit. Cet effet sensible de
scission métrique est l’objectif musical propre de ce passage…
Comment passer des modulations métriques musicales à des
modulations architecturales de façades ?
Par une transposition du feuilleté des durées musicales (de
l’impulsion, de la pulsation et de la mesure) en un feuilleté des hauteurs
architecturales (de la pierre de taille, de l’étage et du bâtiment).
Je convertis le feuilleté d’un mètre musical en un feuilleté architectural de modules au moyen du tableau suivant :
Feuilleté musical du mètre (mes. 150-156) :
Nombre de pulsations par mesure Fréquence de la mesure Durée de la mesure |
3 16 3,75 |
2 24 2,5 |
3 21 2,86 |
2 32 1,87 |
3 27 2,22 |
2 40 1,5 |
3 40 1,5 |
Fréquence de la pulsation Durée de la pulsation |
48 1,25 |
64 0,94 |
80 0,75 |
120 0,5 |
|||
Nombre d’impulsions par pulsation Fréquence de l’impulsion Durée de l’impulsion |
10 480 0,12 |
8 / 6 384 0,16 |
5 / 4 320 0,19 |
3 / 2 240 0,25 |
Feuilleté architectural du module :
Nombre d’étages par bâtiment Hauteur du bâtiment |
3 37,5 |
2 25 |
3 28,6 |
2 18,7 |
3 22,2 |
2 15 |
3 15 |
Hauteur de l’étage |
12,5 |
9,4 |
7,5 |
5 |
|||
Nombre de pierres de taille par étage Hauteur de la pierre |
10 1,2 |
8 / 6 1,6 |
5 / 4 1,9 |
3 / 2 2,5 |
Soit la structure suivante :
qui, librement habillée et étendue en largeur [2],
génère la série de façades présentée précédemment.
J’ai ainsi transposé des structures musicales en structures
architecturales par homologie entre tempo et échelle, ou, plus précisément, entre
mètre musical et module architectural.
Pour parler le langage de la théorie mathématique des modèles, j’ai élaboré une petite théorie du mètre musical pour supposer ensuite que le module architectural pourrait en être modèle (hétérodoxe : les logiciens y reconnaîtront un usage singulier du théorème de Lowenheim-Skolem : toute théorie supporte un modèle pathologique). [3]
À quoi cet usage inattendu du module architectural comme
modèle « hérétique » d’une théorie musicale du mètre peut-il bien
servir ?
J’appelle ce type de modèle — qui se glisse sous la théorie à la place du modèle pour lequel elle a été construite — un modèle fictif. On pourrait dire que ce modèle fictif est en position métaphorique par rapport au modèle canonique mais je préfère parler ici de fiction car il ne s’agit pas ici simplement d’un « comme » mais plus profondément d’un « comme si » : dans notre cas, faisons « comme si » le module architectural (et par là l’échelle) était homologue du mètre musical (et par là du tempo) et voyons où ceci nous conduit.
D’où deux questions :
• Qu’en est-il de l’échelle en architecture et pas
seulement du module ? Comment le feuilleté architectural ainsi produit
touche-t-il à la (ou les) notion(s) d’échelle en architecture ?
• Qu’en est-il corrélativement du tempo musical et pas
seulement du mètre ? L’abord ici retenu de la modulation métrique rend-il
correctement compte de la notion musicale de tempo ?
Pour ressaisir la notion architecturale d’échelle, je m’appuierai
sur les travaux de Philippe Boudon en en résumant ce qui m’est aujourd’hui
nécessaire…
Échelle se dit en
architecture en de nombreux sens et la polysémie du mot semble, à lire
l’architecturologie, inépuisable. Il me faut donc tailler dans ce massif de
quoi poursuivre ma fiction.
Je rassemblerai pour cela les nombreuses acceptions de la
notion d’échelle architecturale en quatre grands types :
Échelle(s)
Absolues |
Représentées |
Représentation Rapport représentant/représenté |
Plan, maquette |
Réelles |
Mesure Rapport résultat/étalon |
Tailles réelles |
|
Relatives |
Exogènes |
Usages Échelle humaine Échelles sociales (fonctions) |
Taille des marches, sièges… Signifier la solennité, la classe sociale… |
Endogènes |
Proportions Parties au tout Entre dimensions |
Rapport des fenêtres aux portes Rapport hauteur/largeur pour la façade |
Sous l’hypothèse générique qu’une échelle est un rapport, on
distinguera échelles absolues et relatives, puis, par subdivision, quatre
grands types.
D’abord l’échelle la plus banale : celle de la
représentation, celle de la maquette ou du plan. Il s’agit de rapporter la
taille d’une image à la taille de l’objet dont elle est image. Appelons ce
premier type d’échelle absolue échelle de représentation.
Ensuite on a l’échelle « réelle » c’est-à-dire
donnant la taille de l’objet selon l’unité en vigueur : en mètres dans
notre cas. Il s’agit bien là d’un rapport (entre l’objet architectural et
« le mètre-étalon » [4]).
Appelons ce second type d’échelle absolue échelle de mesure.
Viennent ensuite, parmi les échelles relatives, celles qu’on
dira exogènes dans la mesure où elles vont rapporter l’objet architectural à
d’autres choses que lui. Vous me direz : c’était déjà le cas pour les
échelles absolues précédentes : oui, sauf que l’étalon était là purement
physique, indifférent donc à la spécificité de la discipline architecturale. Le
troisième type d’échelles concerne les usages architecturaux prévus pour le
bâtiment examiné, et en premier lieu son usage éventuel par l’homme — on parle
à ce titre d’échelle humaine — [5].
Je regrouperai dans ce troisième type toutes les échelles
provenant des usages et fonctionnalités prévues pour le bâtiment en
question : on fixera par exemple l’échelle de monumentalité d’un arc de
triomphe en rapportant sa taille à celle de son environnement immédiat (cas de
la Place du même nom à Paris) ou à celle de la ville pour laquelle il
fonctionne comme portail (Porte St-Martin et St-Denis à Paris…). J’appellerai
ce troisième type d’échelle échelle d’usages. Elles étalonnent par exemple les marches et les sièges à l’échelle
humaine et ajustent plus généralement le bâtiment à ses fonctions [6].
Enfin quatrième et dernier type d’échelle : les
échelles relatives endogènes qui rapportent différentes parties entre elles ou
au tout. Il s’agit par exemple ici de rapporter la taille des fenêtres à celle
des portes, la largeur d’une façade à sa hauteur (voyez notre série
précédente), etc. J’appellerai ce type échelle des proportions. On pourrait parler également d’échelle de module
(en continuant d’utiliser ce mot dans son acception grecque [7]).
Ma transposition précédente à partir du mètre musical
produisait ce type de module (des proportions relatives ne préjugeant pas de
leurs échelles absolues). À ce titre, j’ai donc transposé le mètre musical en
une échelle de proportions.
Il se déduit de cet examen sommaire plusieurs points :
• Les échelles d’un bâtiment sont potentiellement en
nombre infini [8] ce qui à
proprement parler interdit de parler de « son » échelle.
• Les échelles d’un bâtiment composent un faisceau, qui
se noue autour d’une échelle privilégiée : celle qui l’arrime à l’espace
réel (l’échelle de mesure).
• Au total le faisceau des échelles (qui peut faire
l’économie de l’échelle de représentation
une fois le bâtiment édifié), se noue autour d’une échelle princeps (échelle
de mesure) par entrecroisement d’échelles
relatives : les unes exogènes (d’usages), les autres endogènes (de proportions).
En ce point, une transposition peut être faite terme à terme de l’échelle vers le tempo, ce que présente le tableau suivant :
|
Échelles |
Tempi |
||
Absolues |
Représentées |
Représentation Rapport représentant/représenté |
Plan |
Partition en notation proportionnelle |
Réelles |
Mesure Rapport résultat/étalon |
Tailles réelles |
Durées réelles |
|
Relatives |
Exogènes |
Usages • Échelle humaine • Échelles sociales (fonctions) |
• Taille des marches, sièges… • Signifier la solennité, richesse… |
• Lien des durées avec la marche, avec les affects… • Signifier par un tempo la solennité, la douleur… Permettre la danse, la prière… |
Endogènes |
Proportions • Parties au tout • Entre dimensions |
• Fenêtres à portes • Hauteur sur largeur de la façade |
• « Échelle » des tempi au cours d’une pièce donnée • « Échelle » du feuilletage : impulsions/pulsations/mesures |
L’homologie échelle-tempo semble ainsi pouvoir se prolonger
assez loin.
Remarquons que j’ai ce faisant inversé ma fiction initiale puisque désormais je mets la notion musicale de tempo à l’épreuve de la théorie architecturologique de l’espace : je fais maintenant « comme si » la notion de tempo pouvait se couler dans le moule théorique de l’échelle. J’use donc successivement de deux fictions croisées : l’une où l’architecture vient à la place de la musique dans une théorie du tempo, l’autre, inverse, où la musique vient à la place de l’architecture dans une théorie de l’échelle. [9]
Pour mettre en évidence le point de réel de notre fiction,
le point où l’homologie échelle-tempo va buter, il me faut maintenant explorer
plus avant la notion musicale de tempo.
Comme l’échelle pour l’architecture, le tempo pour la
musique se dit en plusieurs sens. Partons pour cela des tempi chez Mozart.
À l’époque de Mozart, le métronome n’existait pas encore, et
un tempo, c’était essentiellement un nom.
Un livre érudit [10] recense l’usage de 92 noms de tempo dans tout le catalogue de Mozart. Les voici, dans un ordre alphabétique :
(Un) poco adagio
(Un) poco adagio e maestoso
Adagio
Adagio cantabile
Adagio ma non molto
Adagio ma non troppo
Adagio maestoso
Adagio un poco andante
Molto adagio
Molto adagio cantabile
Allegretto
Allegretto grazioso
Allegretto ma non troppo
Allegretto maestoso
Allegretto moderato
Allegretto vivace
Allegretto vivo
(Un) poco allegro
Allegro
Allegro (ma) non troppo
Allegro agitato
Allegro aperto
Allegro assai
Allegro comodo
Allegro con brio
Allegro con spirito
Allegro di molto
Allegro grazioso
Allegro ma molto moderato
Allegro ma non molto
Allegro maestoso
Allegro moderato
Allegro molto
Allegro non presto
Allegro non troppo
Allegro risoluto
Allegro spiritoso
Allegro vivace
Allegro vivace assai
Molto allegro
Amoroso
(Un) poco andante
Andante
Andante (di) molto
Andante (ma) adagio
Andante (ma) poco adagio
Andante (ma) poco sostenuto
Andante (ma) sostenuto
Andante agitato
Andante con moto
Andante con moto e grazioso
Andante grazioso
Andante maestoso
Andante moderato
Andante un poco allegretto
Andante un poco allegro
Molto andante
Andantino
Andantino cantabile
Andantino con moto
Andantino espressivo
Andantino sostenuto
Andantino sostenuto e cantabile
Andantino sostenuto e languido
Andantino grazioso
Cantabile
Con espressione
Grave
(Tempo) grazioso
Grazioso un poco
Larghetto
Largo
Maestoso
Maestoso assai
Marcia
Menuetto allegretto
Menuetto allegro
Menuetto cantabile
Menuetto galante
Menuetto moderato
Tempo di minuetto
Tempo di minuetto grazioso
Moderato
Moderato e maestoso
Tempo moderato
Con moto
Presto
Presto assai
Molto presto
Prestissimo
Risoluto
Vivace
Remarquons l’importance, dans ce lexique, des noms
d’affects :
Adagio = doucement
Allegro = gai
Andante = avec allant, en marchant
Largo = large
Maestoso = majestueux
Presto = rapide, vif
etc.
Le nom du tempo est ainsi immédiatement référé à l’activité
humaine : la marche, les émotions, bref on retrouve ici cette
« échelle humaine » si décisive en architecture.
Peut-on algébriser plus avant cette topologie [11], en particulier en l’ordonnant ? Le livre de Jean-Pierre Marty le réalise — je ne discuterai pas ici de la validité musicologique de sa réponse — en associant un nombre à chaque nom. On aboutit ainsi à un ordre subdivisé en 8 parties (3 principales, 3 intermédiaires et 2 extrêmes) [+ danses : menuets…] pour une échelle totale des tempi (c’est-à-dire des fréquences) allant de 1 à 12 (la fréquence de la noire allant de 30 à 360).
L’ossature de cet ordre est le suivant :
Grave/Largo
ADAGIO (46)
Larghetto
Andantino
ANDANTE (92)
Allegretto
ALLEGRO (168)
Presto/Prestissimo
Voici la mise en ordre métronomique à laquelle aboutit notre auteur pour un mètre simple (mesure à 4/4) :
|
30 |
Grave |
|
36 |
Largo |
|
|
A D A G I O |
|
Molto adagio Adagio cantabile Molto adagio cantabile |
|
46 |
Adagio Adagio ma non troppo |
|
|
50 |
Adagio maestoso |
|
|
52 |
Un poco adagio e maestoso Adagio un poco andante Adagio ma non molto |
|
|
54 |
(Un) poco adagio |
|
|
LARGHETTO |
|
Menuetto cantabile |
|
|
Larghetto |
|
|
|
Tempo di minuetto grazioso |
|
|
A N D A N T I N O |
|
Andantino sostenuto Andantino sostenuto e languido Andantino sostenuto e cantabile Andantino cantabile Andantino espressivo |
|
|
Andantino |
|
|
|
Tempo di minuetto (lent) |
|
|
|
Andantino grazioso |
|
|
|
Tempo di minuetto 3/8 |
|
|
|
Andantino con moto |
|
|
A N D A N T E |
76 |
Andante maestoso Andante (ma) adagio Andante (ma) sostenuto Un poco andante |
|
|
Maestoso assai |
|
|
|
Maestoso |
|
|
|
Marcia (religieuse) |
|
|
|
Andante moderato Andante (ma) poco adagio Andante (ma) poco sostenuto Cantabile Con espressione Amoroso |
|
|
84 |
Moderato (I) Tempo moderato |
|
|
|
Menuetto moderato Menuetto galante |
|
|
92 |
Andante |
|
|
|
Marcia |
|
|
92 |
Andante agitato |
|
|
|
Andante grazioso (Tempo) grazioso Grazioso un poco Allegretto Andante un poco allegro |
|
|
|
Andante con moto Con moto |
|
|
100 |
Risoluto |
|
|
116 |
Molto andante Andante (di) molto Andante con moto e grazioso Andante un poco allegretto |
|
|
|
116 |
Marcia |
|
A L L E G R E T T O |
|
Allegretto grazioso Allegretto moderato Allegretto maestoso |
|
|
Tempo di minuetto (rapide) |
||
|
Allegretto Allegretto ma non troppo |
||
|
Menuetto allegretto |
||
120 |
Allegretto vivo Allegretto vivace |
||
A L L E G R O |
|
Allegro maestoso Allegro comodo Allegro grazioso Allegro ma molto moderato (Un) poco allegro Allegro non troppo |
|
|
Allegro moderato Allegro risoluto |
||
152 |
Moderato (II) Moderato e maestoso |
||
168 |
Allegro Allegro (ma) non troppo Allegro ma non molto Allegro non presto |
||
168 |
Allegro agitato Allegro aperto |
||
168 |
Menuetto allegro |
||
184 |
Allegro con spirito Allegro spiritoso Allegro con brio |
||
|
Allegro vivace Vivace |
||
200 |
Allegro molto Molto allegro Allegro di molto Allegro vivace assai |
||
240 |
Allegro assai |
||
|
276 |
Presto |
|
360 |
Prestissimo Molto presto Presto assai |
En vérité, il faut associer à un même nom de tempo plusieurs
nombres car la fréquence ainsi désignée varie selon le contexte, en particulier
selon le type de mètres dans lesquels la pulsation considérée (ici la noire)
intervient.
Si l’on prend l’exemple du nom « andante » (sans autre qualificatif !), l’éventail des fréquences (chez Mozart) devient celui-ci :
|
Simple |
Composé |
||||||||||||
|
q |
e |
q. |
q/e |
h/q |
q/e |
q./e |
e/q |
q/h |
e/q. |
||||
|
c |
3/4 |
2/4 |
4/8 |
6/8 |
6/8 |
c |
3/4 |
C |
2/4 |
6/8 |
c |
C |
6/8 |
Andante |
92 |
92 |
92 |
84 |
84 |
66 |
72/144 |
72/144 |
60/120 |
56/112 |
50/152 |
104/52 |
88/44 |
112/37 |
On voit ici que l’écart des tempi peut aller du simple au
triple (de 52 à 120) pour une même noire écrite !
Il apparaît donc que le nombre principal associé au nom (en
l’occurrence 92 pour le nom andante)
désigne un point d’accumulation dans un voisinage mesurable beaucoup plus
vaste.
Ceci n’est pas propre au nom retenu : voici la taille des voisinages pour les principaux noms examinés :
BASE |
Minimum |
Maximum |
Rapport |
Médiane |
Médiane/Base |
|
Largo |
36 |
36 |
54 |
1,5 |
45 |
1,3 |
Molto adagio |
36 |
24 |
60 |
2,5 |
42 |
1,2 |
Adagio |
46 |
28 |
66 |
2,4 |
47 |
1,0 |
Adagio maestoso |
50 |
50 |
66 |
1,3 |
58 |
1,2 |
Un poco adagio e maestoso |
52 |
30 |
60 |
2,0 |
45 |
0,9 |
(Un) poco adagio |
54 |
33 |
72 |
2,2 |
53 |
1,0 |
Larghetto |
|
33 |
76 |
2,3 |
55 |
|
Andantino sostenuto |
|
36 |
84 |
2,3 |
60 |
|
Andantino |
|
40 |
92 |
2,3 |
66 |
|
Andantino grazioso |
|
48 |
60 |
1,3 |
54 |
|
Andante maestoso |
76 |
44 |
104 |
2,4 |
74 |
1,0 |
Andante moderato |
|
52 |
112 |
2,2 |
82 |
|
Moderato (I) |
84 |
66 |
90 |
1,4 |
78 |
0,9 |
Andante |
92 |
52 |
120 |
2,3 |
86 |
0,9 |
Andante grazioso |
|
60 |
132 |
2,2 |
96 |
|
Andante con moto |
|
50 |
108 |
2,2 |
79 |
|
Molto andante |
116 |
54 |
116 |
2,1 |
85 |
0,7 |
Allegretto grazioso |
|
72 |
108 |
1,5 |
90 |
|
Allegretto |
|
72 |
176 |
2,4 |
124 |
|
Allegretto vivo |
|
120 |
126 |
1,1 |
123 |
|
Allegro maestoso |
|
60 |
138 |
2,3 |
99 |
|
Allegro moderato |
|
72 |
152 |
2,1 |
112 |
|
Moderato (II) |
152 |
84 |
152 |
1,8 |
118 |
0,8 |
Allegro |
168 |
80 |
192 |
2,4 |
136 |
0,8 |
Allegro agitato |
168 |
58 |
168 |
2,9 |
113 |
0,7 |
Allegro con spirito |
184 |
100 |
184 |
1,8 |
142 |
0,8 |
Allegro vivace |
|
88 |
224 |
2,5 |
156 |
|
Allegro molto |
200 |
116 |
240 |
2,1 |
178 |
0,9 |
Allegro assai |
240 |
126 |
264 |
2,1 |
195 |
0,8 |
Presto |
276 |
150 |
304 |
2,0 |
227 |
0,8 |
Prestissimo |
360 |
180 |
360 |
2,0 |
270 |
0,8 |
Quelques rapides commentaires sur ce tableau :
• Pour chaque nom, l’écart se fait en moyenne du simple
au double.
• En général, le point d’accumulation n’est pas
« au centre » du voisinage.
Le point d’accumulation n’est au centre du voisinage que
pour les tempi « modérés » (ceux de l’intervalle [54 — 76]).
Par rapport au nombre de base (point d’accumulation),
— l’écart pour les tempi lents (≤ 50) s’ouvre surtout
vers des tempi plus rapides ;
— vis versa, pour les tempi rapides (≥ 84) où l’écart s’ouvre surtout vers des tempi plus lents.
Je résume : un tempo musical, c’est donc l’association
d’un nom et d’un nombre, plus exactement d’un nom et d’un voisinage
mesurable d’un nombre.
Complétons notre examen en allant regarder du côté de Chopin
jouant ses Mazurkas.
Voici ce que nous ont transmis des élèves de Chopin [12].
« Je m’aventurais un jour à lui faire la remarque que,
jouées par lui, la plupart de ses Mazurkas semblaient notées non à 3/4 mais à
4/4 du fait qu’il s’attardait avec insistance sur la première note de la
mesure. Il le nia énergiquement, jusqu’à ce que je lui aie fait jouer une Mazurka
tandis que je comptais tout haut à quatre temps, ce qui jouait parfaitement. Il
expliqua alors en riant que c’était le caractère national de la danse qui se
trouvait à l’origine de cette particularité. À entendre jouer Chopin, le plus
remarquable était qu’on avait l’impression d’un rythme à 3/4 tout en entendant
une mesure binaire. » Hallé [13]
Voici un exemple possible de transformation du 3/4 de la
mazurka en un 4/4 par allongement du premier temps
Autre témoignage :
« Un jour Meyerbeer arriva chez Chopin pendant ma
leçon. […] Nous jouions la Mazurka en ut op. 33. […] Meyerbeer prit place,
je continuai. — « C’est une mesure à deux quatre » dit Meyerbeer. Il me fallut répéter, tandis que
Chopin, crayon en main, frappait la mesure sur le piano ; son regard
s’enflammait. — « Deux quatre » répéta tranquillement Meyerbeer. Si jamais j’ai vu Chopin s’emporter,
ce fut à cet instant. […] «C’est à trois quatre » dit-il d’une voix forte. […] Il me poussa de la
chaise et se mit lui-même au piano. Trois fois il joua le morceau en comptant à haute voix et
frappant la mesure du pied ; il était hors de lui ! Meyerbeer resta
sur son affirmation et ils se quittèrent fâchés. » Lenz [14]
Voici comment il est envisageable que le mètre ternaire de
cette mazurka (opus 33 n°3) ait été changé en une mesure en 2/4 ou en C :
Que voit-on sur ces deux exemples ? Que le tempo
musical est éminemment flexible, non seulement que sa valeur peut varier selon
les interprétations, mais qu’elle peut — doit — le faire en cours
d’interprétation : le tempo n’est pas une valeur mécanique, ni dans son
attribution (on l’a vu avec Mozart), ni une fois attribuée (on le voit avec
Chopin) car il est une flexion locale, une dynamique constamment mouvante, une
agogique : la vitesse de paramétrage est donc souple (l’étalon de vitesse
est en caoutchouc et non pas rigide).
En ce sens le tempo musical n’est pas simplement l’arrimage
d’un nombre (prélevé dans un voisinage mesuré) à un nom. Il est aussi le
dynamisme d’un paramétrage du mètre. Ces fluctuations s’appellent rubato.
Le tempo rubato (ou
temps dérobé) qui apparaît au 18° siècle [15]
a trois dimensions :
— Général :
Flexibilité du tempo qui dérobe le temps d’un battement régulier (cf. mètre en
caoutchouc). Cela peut aller jusqu’à une altération du mètre : cf. nos
exemples de mazurkas.
— Régional :
Altération d’une main quand l’autre garde un tempo strict (cf. également Frédéric
Chopin selon ses élèves, et… Eroll Garner)
— Local : notes
ornementales jouées avant/après le temps, etc.
Il faut donc penser le tempo musical comme faisceau agogique de trois déterminations [16] :
· · Un nom, qui désigne une allure globale ;
· · Un nombre, qui algébrise cette allure et l’ossature ;
·
· Un rubato, qui topologise l’allure en la déformant
localement.
Ou encore le tempo est un nom qui signifie le croisement
d’une algèbre (du nombre) et d’une topologie (du rubato), qui désigne le
produit d’une algèbre topologique (quand il s’agit de passer de la partition à
la musique vivante) et d’une topologie algébrique (quand il s’agit d’écouter
une musique en cours d’exécution). Soit l’agogique d’une désignation, d’une algèbre
et d’une topologie.
C’est au point de ce faisceau du tempo, qui n’est plus
seulement le feuilleté d’une métrique, que va buter notre périple.
*
Résumons où nous en sommes.
Je me suis demandé comment il était possible de bâtir des fictions rapportant musique et architecture :
J’ai pour cela parcouru quatre étapes :
1) construction d’une homologie entre le feuilleté
architectural du module et le feuilleté musical du mètre,
2) insertion du feuilleté du module dans le faisceau
des échelles,
3) construction d’une homologie entre le faisceau
architectural de l’échelle et le faisceau musical du tempo,
4) insertion du feuilleté du mètre dans le faisceau du tempo.
Ceci fait, je me demande alors s’il est possible de
reprendre la rotation dans l’autre sens, en particulier si l’on peut bâtir une
homologie de l’échelle sur le tempo comme on a pu en bâtir une du module
architectural sur le mètre musical.
C’est là que notre homologie générale bute un point de
réel : la flexion agogique du tempo n’a pas vraiment d’équivalent dans
l’échelle même si l’architecturologie se plaît à faire valoir que le mètre de
l’architecte — à l’égal du mètre de Chopin… — est parfois en caoutchouc. [17]
Il n’y a pas et ne saurait y avoir en architecture cette mobilité de la
construction musicale qui s’effectue dans le temps et s’efface aussitôt
qu’affirmée. La fixité d’une échelle architecturale semble établir le point de
réel où bute notre homologie.
Cette fixité tient somme toute à cet autre aspect :
pour l’architecte, l’échelle est un embrayeur sur l’espace réel.
L’échelle permet à la fois de fixer la taille réelle et définitive des
bâtiments préfigurés (échelle de mesure),
mais également (échelles d’usages)
de mettre en rapport ce bâtiment et son lieu d’accueil : mettre par
exemple en rapport la porte monumentale et la ville dont elle constitue
l’entrée…
Pour l’architecte, l’espace réel préexiste à la fois en sa
dimension abstraite (les trois dimensions mesurables de l’espace euclidien
ordinaire) et en sa figure concrète (le lieu où le bâtiment à édifier va
prendre place). À ces deux titres, l’espace réel existe pour l’architecte et
les échelles (à la seule exception de l’échelle relative endogène des proportions)
permettent d’embrayer sur cet espace réel.
Or en ce point, nulle transposition à mon sens n’est
possible vers la musique : certes le tempo permet de mesurer les durées
musicales en secondes et minutes mais le tempo musical opère, lui, sur des
fréquences [18]. L’essence
du tempo musical tient précisément au fait de ne pas aborder la durée musicale
en la mesurant (comme le font par contre certes partitions par des notations
proportionnelles, rapprochant alors la partition d’une carte ou d’un plan ce
qu’en vérité elle n’est nullement [19])
mais comme la fréquence d’une répétition.
Le tempo saisit les durées musicales comme fréquence, non en
secondes, car son essence est d’être une allure, une agogique, une
dynamique : la durée musicale est moins l’intervalle abstrait entre deux
instants que la durée concrète d’un moment d’exposition sonore. En ce sens, une
durée musicale est elle-même une agogique intérieure : il s’y passe
quelque chose [20].
Le tempo musical n’est donc pas un quadrillage en secondes
du temps (seul le tempo comme nombre pourrait le suggérer). C’est un faisceau
agogique où la dynamique intérieure de la pulsation [21]
compte autant que son « espacement » temporel.
À tous ces titres, il faut tenir que pour le musicien le
temps à proprement parler n’existe pas, c’est-à-dire n’ek-siste pas à
la musique : le temps chronométrique des horloges n’est nullement une
ek-sistence préalable dans laquelle la musique devrait trouver son moment et
sur lequel elle devrait embrayer. Somme toute, le temps réel n’ek-siste pas à
la musique comme l’espace réel ek-siste à l’architecture.
Vous me direz : mais pourtant l’informatique musicale
ne cesse de parler d’un « temps réel » ? [22]
Oui mais, précisément, ce « temps réel » est celui de l’informatique,
non de la musique. Et ceci est clairement attesté par le fait qu’ici
« temps réel » s’oppose à « temps différé », ce qui indique
que le temps dont il est ici question est le temps… du calcul informatique, non
de la musique ! « Temps réel » veut simplement dire que le temps
chronométrable des calculs informatiques devient alors négligeable. Le résultat
en est précisément que la musique peut ignorer ce temps de calcul exogène car
il ne produit plus de parasites, de ces « transitoires »
informatiques qui n’ont guère musicalement d’intérêt.
Le « temps réel » de l’électroacoustique n’est pas
pour la musique le réel du temps : c’est une contrainte chronométrique —
comme il y a des contraintes de tessiture ou de nombre de touches sur le
clavier du piano —.
La musique en fait n’a pas la contrainte d’embrayer sur un
temps réel. Le temps chronométrique ordinaire du concert (il se déroule tel
jour, à telle heure, et en tel endroit) ne joue pas plus de rôle déterminant
dans le temps musical à l’œuvre que n’en joue le lieu du concert : pas d’homologie
donc en ce point avec les rapports d’imbrication entre espace architectural et
espace urbanistique.
Et le fait que le temps musical d’une œuvre soit
objectivement mesurable [23]
ne dit pas grand-chose de ce qui importe à l’écoute, laquelle traverse l’œuvre
de l’intérieur de son déroulement et ne se situe pas en extériorité face à
l’œuvre comme devra par contre le faire le musicologue : autant dire que
pour l’écoute — et le réel de la musique, à mon sens, tient à l’écoute — la
musique est sans façades, là où la façade d’une architecture contribue de
manière essentielle à son réel [24].
Avec ce thème des façades, je suis revenu à mon propos de
départ, ce qui bien classiquement annonce une coda.
Si le temps musical n’a pas pour réel le temps physique — la
chronométrie et la chronologie —, c’est parce que la musique est art de
l’écoute bien plus que du temps et donc que la question du temps n’est pas pour
la musique la question principale.
Il me semble qu’en ce point la position de l’architecture
n’est pas symétrique car l’architecture est bien art de l’espace (la sculpture
étant plutôt art du volume) — laissons ici en plan la question de l’urbanisme
(qui ne semble guère un art mais plutôt un discours, parfois savant) et celle,
plus délicate, d’un éventuel art paysagiste autonome — : l’architecture
est création d’espaces sensibles.
On voit alors que mes deux fictions croisées ne sont pas
symétrisables :
— la fiction du tempo comme modèle fictif d’une théorie
architecturale de l’échelle ne semble guère rencontrer de butée,
— mais à l’inverse la fiction de l’échelle comme modèle
fictif d’une théorie musicale du tempo bute sur la topologie du tempo musical,
sur ce rubato où temps dérobé au temps du chronomètre…
Ainsi la fiction fonctionne bien dans un sens mais mal dans
l’autre. Mais peut-être est-ce là simplement illusion de musicien, qui par
définition subjective la musique plutôt que l’architecture !
Si ce que je soutiens là est vrai, il faudrait alors poser
qu’il y a bien place pour une architecture de la musique mais qu’il n’y a guère
de moment pour une musique de l’architecture : nos disciplines semblent
ainsi moins disposées orthogonalement (figure spatiale !) que rapportées
selon une polarisation (figure vectorielle, plus dynamique).
Dans ces conditions, continuer d’explorer la musique comme
modèle fictif de l’architecturologie pourrait passer par un examen plus subtil
de ce qu’il y a en architecture de proprement dynamique. Explorer la dynamique proprement architecturale (et
plus seulement sa statique spatiale) permettrait peut-être de mettre le tempo
musical en rapport avec d’autres composantes architecturologiques que celles de
module et d’échelles.
D’où cette ultime suggestion : peut-être faut-il ici
aller regarder du côté de la composition architecturale des parcours, soit la
difficile question de savoir comment tel ou tel parcours extérieur-intérieur
d’un bâtiment permet de synthétiser le faisceau d’échelles évoqué précédemment.
Y a-t-il à ce titre des parcours privilégiés, des parcours insensés ou ineptes ?
Comment le bâtiment lui-même polarise-t-il cette diversité des parcours possibles ?
Compose-t-il un faisceau de parcours autour d’un trajet principal, autour de
deux ou trois principales traversées ?
Plus encore, telle architecture suggère-elle qu’il faille l’habiter (plutôt qu’à proprement parler la parcourir) pour en prendre véritablement mesure sensible ?
Autant que de questions où l’on retrouverait peut-être le
tempo musical en sa dynamique singulière [25]…
Autant dire que cette dernière proposition est pour moi une manière de relancer
les dés en vue de rencontres éventuelles entre musiciens et architectes.
––––
[1] Cette
nouvelle source sonore, en forme de cube — plus précisément en sa version
de concert de trois cubes superposés —, prend position dans la vieille
alliance entre musique et architecture qui voit l’espace sensible construit par
les architectes — le lieu — servir de berceau aux sonorités projetées
par les instruments de musique. La musique joue de l’espace sensible que lui
délivre l’architecture — cet espace concret fait de murs et de
plafonds, de sols et de revêtements, de formes et de tailles — : elle
choisit où y disposer ses instruments, elle modèle son jeu instrumental sur les
caractéristiques acoustique du lieu fourni, elle tire parti des réflexions sur
les parois, de la réverbération offerte. Je dirai que l’espace architectural
concret sert ici d’écrin au temps musical : le musicien prend acte de
l’espace concret qui lui est fourni et tente d’en tirer le meilleur parti
musical. En ce sens, la Timée que je
présenterai demain vise à donner aux musiciens de nouveaux moyens pour
permettre à la musique diffusée par haut-parleurs de prendre appui sur l’espace
architectural concret et non plus d’y être indifférent. Vous voyez qu’ici
l’architecture mobilisée par la musique n’a rien d’imaginaire mais est prise au
contraire dans sa matérialité maximale, dans sa réalité concrète la plus
immédiate.
[2] Le nombre de
« travées » consécutives identiques équivaudrait ici au nombre de
mesures semblables consécutives.
[3] Rappelons
qu’en cette acception logico-mathématique du concept de modèle, ce terme
désigne l’original à copier, non le modèle réduit théorique qu’entendent à
l’inverse sous ce même vocable les chercheurs en sciences sociales…
[4] Ce
« mètre-étalon », pour n’être plus déposé au Pavillon de Sèvre mais
procéder d’une longueur d’onde, n’en est pas moins le référent de toute mesure
de ce type.
[5] On sait que
rapporter la taille d’un bâtiment à celle de l’homme ne va nullement de
soi : Viollet-le-Duc nous avait déjà rappelé que les Grecs n’en avaient
cure.
[6] Comme le
suggère Viollet-le-Duc, si une cabane à chiens autorise qu’un âne s’y loge,
c’est que l’âne en question… est l’architecte.
[7] que Le
Corbusier semble avoir réactivé en proposant son Modulor…
[8] Philippe
Boudon montre bien que la mesure d’une simple piscine municipale associe un
très grand nombre d’échelles.
[9] On pourrait
s’intéresser au décalage chronologique entre invention architecturale de
l’échelle et invention musicale du tempo. Viollet-le-Duc écrit ainsi :
« Les Grecs, dans leur architecture, ont admis un
module, on n’en saurait douter ;
ils ne paraissent pas avoir eu d’échelle. […] L’échelle apparaît dans les
édifices romains ; elle devient impérieuse dans l’architecture du moyen
âge. »
Ainsi les Grecs avaient des modules, mais pas
d’échelle alors que le Moyen Âge avait des mètres mais pas de tempo.
L’échelle apparaît chez les Romains et devient
impérieuse dans l’architecture du Moyen Âge. Du côté de la musique le tempo
apparaît (comme nom) à la Renaissance mais il devient impérieux au 18° siècle
et ne se mesure que depuis le 19° siècle.
[10] Les
indications de tempo de Mozart, Jean-Pierre
Marty – Librairie Seguier, Paris 1991
[11] Relevons la
topologie de ce lexique
• Il y a des points d’accumulation constituant des voisinages :
— 5 majeurs : adagio, allegro (allegretto),
andante (andantino), menuetto, presto
— 4 mineurs : grazioso, largo, maestoso,
moderato
Noter le recouvrement de certains voisinages (adagio e
maestoso, adagio un poco andante, etc.)
• Il y a des isolats (vivace, cantabile) qui peuvent cependant composer
dans des voisinages (allegretto vivace, adagio cantabile, etc.)
[12] Chopin
vu par ses élèves – Jean-Jacques
Eigeldinger ; À La Baconnière - Payot, 1979
[13] p. 110
[14] p. 111
[15] Voir Stolen
Time de Richard Huston (Clarendon Press
Oxford, 1994)
[16] On
retrouve, ce faisant, des propriétés de ce qu’on peut appeler les triades
duales de la temporalité musicale sensible : {flux, moment, instant} /
{flèche, durée, présent}.
[17] Peut-être
est-il vrai que ce n’est pas tout à fait le même mètre qui intervient en
architecture selon différentes directions et dans différentes échelles;
peut-être également qu’à l’intérieur d’une même échelle et selon une même
direction le mètre de l’architecte est parfois susceptible de variations progressives,
selon par exemple qu’on s’éloigne d’un centre en sorte de modifier l’impression
générale de profondeur (voir en particulier le jardin de Versailles qu’on voit
différemment selon tel ou tel point de vue et dont l’ordonnancement est
intelligible du point du château, donc du point de vue du Roi).
[18]
{noire = 60} veut dire qu’il y a 60 de ces noires dans une minute, et que
ces noires sont identiques les unes aux autres.
[19] puisque
l’écriture musicale proprement dite — et donc la lettre — fait ici
coupure avec une représentation visuelle homologique.
[20] A minima,
une noire signifie des transitoires d’attaque, une résonance et de transitoires
d’extinction, et c’est cette topologie des transitoires qui rend musicalement
intéressant les sons projetés par les instruments de musique.
[21] On appelle
« tactus » cette pulsation musicalisée car dynamiquement
habitée — songeons au swing de la
pulsation dans le jazz… —.
[22] Qui compose
une œuvre mixte sait bien qu’il lui faut synchroniser au centième de seconde le
jeu instrumental et le calcul informatique en temps rée.l
[23] par
exemple, l’interprétation de l’Héroïque
par Toscanini dure près de deux fois moins de minutes que celle de Furtwängler…
[24] Peu importe
ici que cette façade soit en homologie avec son intérieur — comme dans
l’art romain ou l’art du Moyen Âge pour Viollet-le-Duc ou, plus spécifiquement
dans l’art gothique pour Panofsky — ou qu’elle en soit disjointe —
comme dans l’art grec pour Viollet-le-Duc ou l’art roman pour Panofsky…—.
[25] dynamique
d’une projection sonore à partir du corps à corps entre un musicien et son
instrument en vue d’une dynamique d’écoute.