La puissance et la gloire du grand orgue

(De la Sonate I pour orgue de Jean-Pierre Leguay)

 

 

Franois Nicolas

(compositeur, professeur associŽ ˆ lĠEns)

 

 

 

Cette sonate (1973-1974) en deux mouvements, dĠenviron 20 minutes (9+11), dŽploie un grand orgue particulirement Žclatant dont la sŽduction sonore immŽdiate emporte lĠadhŽsion, singulirement dans un final dŽtonnant.

Comment expliciter la dynamique interne de cette Ïuvre ?

MatŽriau

Commenons par dŽgager quelques traits de son matŽriau.

PolaritŽ diatonique/chromatique

La sonate attaque dĠun geste bref (exemple 1), qui se trouve rŽpŽtŽ ˆ cinq reprises, sans autre modification que la durŽe du silence qui le cl™t :

Exemple 1 (page 2, dŽbut du 1Ħ systme, notŽ p. 2 : 1Ħ)

Ce geste introduit une polaritŽ chromatisme/diatonisme qui sera une ressource constante de toute lĠÏuvre : en effet, ce geste superpose une sŽquence chromatique et un mŽlisme diatonique pour se conclure sur un accord de nature chromatique :

Exemple 2 (p. 2 : 1Ħ)

Cette dualitŽ peut tre figurŽe par la matrice suivante :

chromatisme

c

h

r

o

m

a

t

i

s

m

e

diatonisme

Cette matrice — contraste horizontal entre chromatisme et diatonisme dŽbouchant sur une verticalitŽ chromatique — chemine tout au long de lĠÏuvre, ne cessant de nourrir son matŽriau en tensions intŽrieures, en Žnergies souterraines. Par exemple, cette fois dans le second mouvement :

Exemple 3 (p. 20 : 3Ħ-4Ħ)

Parfois lĠÏuvre expose horizontalement un matŽriau chromatique verticalement disposŽ, comme dans la seconde mesure de lĠÏuvre :

Exemple 4 (p. 2 : 1Ħ-2Ħ)

Bloc

La dualitŽ diatonique/chromatique peut prendre dĠautres formes : par exemple celle-ci, plus compacte :

Exemple 5 (p. 6 : 3Ħ)

Le contraste diatonisme (main droite + pŽdalier) et chromatisme (main gauche) est ici toujours prŽsent mais il se trouve noyŽ dans une logique gŽnŽrale de cluster. Le contraste qui se trouve ici prŽpondŽrant tient au statisme de la main droite quand les registres de la main gauche et du pŽdalier se dŽplacent par mouvements contraires.

Cependant, en raison de sa forte prŽgnance perceptive, lĠensemble constituera une sorte de bloc compact plut™t quĠun geste exposant son contraste intŽrieur (comme dans lĠexemple 1).

Guirlande mŽlodique

La figuration du matŽriau horizontal reste en gŽnŽral plut™t neutre : il sĠagit moins de mŽlodies ciselŽes selon un profil rythmiquement individualisŽ que de guirlandes ; par exemple celle-ci :

Exemple 6 (p. 22 : 1Ħ)

Polyphonie gŽnŽrique

Cette neutralitŽ figurative des voix horizontales conduit ˆ des polyphonies de nature gŽnŽrique : dans lĠexemple suivant, une polyphonie ˆ cinq voix entremle des mŽlismes eux-mmes gŽnŽriques plut™t que des mŽlodies individualisŽes.

Exemple 7 (p. 10 : 1Ħ)

 

On remarquera la directionnalitŽ univoque de chaque partie, engendrant, par mouvements parallles ou contraires, une polyphonie multivoque selon le schŽma suivant :

 

Bien sžr, cette lecture horizontale (polyphonique) du Ç quintet È ici en jeu doit tre complŽtŽe dĠune lecture verticale (harmonique) qui met cette fois en valeur une substance harmonique du passage composŽe par les notes tenues, lecture qui interprte alors les notes non tenues comme notes de passage entre ces harmonies. O la sŽquence gagne en polyvalence de lecture et dĠŽcouteÉ

Au total, lĠÏuvre compose ici moins une polyphonie singulire (avec des caractŽristiques individualisŽes) que le principe gŽnŽral de Ç la È polyphonie, une sorte de polyphonie abstraite, un peu comme celle que Jean-SŽbastien Bach met au cÏur de sa pice en sol BWV 572 : le tissu polyphonique miroite dans la gŽnŽricitŽ de ses fils.

Accords-timbres

De mme, les agrŽgats verticaux ont souvent une fonction dĠaccords-timbres plut™t quĠˆ proprement parler dĠharmonies.

Exemple 8 (p. 21 : 3Ħ)

Singulirement ˆ la fin de la seconde mesure de cet exemple, les accords prŽsentent un agrŽgat en glissement chromatique si bien quĠil sĠagit moins ici dĠencha”ner des harmonies que dĠassocier un timbre ˆ un mŽlisme chromatique descendant (prŽsentŽ ˆ la pŽdale). LĠŽcriture prend ici pour modle une technique instrumentale propre ˆ lĠorgue : lĠaccouplement des claviers au pŽdalier, le rŽalisant ici selon des intervalles que la registration traditionnelle nĠoffre pas (sixte 2 2/5 pour lĠintervalle entre la fondamentale ˆ la pŽdale et la note grave de la main droite, septime majeure 2 2/15 pour lĠintervalle entre la pŽdale et la note aigu‘ de la main droite) ou peu (septime 4 4/7, pour lĠintervalle entre la pŽdale et la main gauche), soit, au 7Ħ accord de la 2Ħ mesure, de bas en haut : {la#, sol#, sol bŽcarre, la bŽcarre}.

En quelque sorte, lĠŽcriture rŽalise, ˆ sa manire, une extension dĠun prototype instrumental.

Rythmiquement

CaractŽristiques privatives

Pas de mtre

Sur le plan rythmique, le matŽriau est prŽsentŽ hors de toute inscription mŽtrique : aucun mtre nĠest explicitement notŽ lors mme que des barres de mesure sont bien inscrites. Il est vrai que ce trait est gŽnŽral dans la musique dĠorgue de Jean-Pierre Leguay. Il nĠen est pas moins remarquable.

Si lĠon tente de reconstituer le mtre ˆ lĠÏuvre, on remarque son importante flexibilitŽ et sa grande souplesse : il nĠy a jamais le mme mtre pour deux mesures de suite si bien que cĠest la catŽgorie mme de Ç mesure È qui semble ici impertinente, lors mme que les barres Ç de mesure È semblent pourtant en maintenir le principe.

Pas de rythmes irrationnels

Ce trait dĠŽcriture (quĠon dira privatif : Ç ne pas noter le mtre È) est associŽ ˆ un trait plus gŽnŽral de lĠŽcriture rythmique : celle-ci est faite dĠadditions et de multiplications de petites durŽes, presque jamais de divisions de grandes durŽes. Ainsi, lĠencha”nement des durŽes exclut presque systŽmatiquement lĠusage de valeurs irrationnelles — obtenues par division dĠune valeur longue en un nombre inhabituel de valeurs plus brves toutes identiques (5:4, 7:4, 9:8, etc.) —.

CaractŽristiques affirmatives

Addition et multiplication des durŽes

LĠŽcriture rythmique utilise systŽmatiquement soit la rŽpŽtition de valeurs brves (voir lĠexemple 6), soit la combinaison (variŽe) dĠune brve valeur et de valeurs plus longues obtenues par multiplication simple de la prŽcŽdente. Ce point est illustrŽ par lĠexemple suivant :

Exemple 9 (p. 4 : 5Ħ-6Ħ)

Valeurs ajoutŽes

Une manire privilŽgiŽe de varier le rythme consiste en la technique de la Ç valeur ajoutŽe È : elle revient ˆ altŽrer une rŽgularitŽ mŽtrique par adjonction dĠune petite valeur. Par exemple lĠencha”nement des mtres (implicites) de lĠexemple prŽcŽdent et inscrit par mes soins (la partition ne les expose pas) est le suivant : 4/4+1/8, 4/4+3/16, 4/4+1/8, 4/4+1/16, etc.

Ces mtres, variŽs au moyen de valeurs ajoutŽes, encadrent une guirlande rythmique obtenue par addition variŽe dĠune petite durŽe de base (la double croche) et de son double (la croche). Remarquer que cĠest la rŽgularitŽ de 12 hauteurs associŽe ˆ une combinatoire variŽe de deux durŽes (double croche/croche) qui gŽnre, par entrecroisement, la variŽtŽ du Ç mtre È.

DŽploiement du matŽriau

Comment ce matŽriau va-t-il se dŽployer dans le temps propre de lĠÏuvre ?

RepŽrons, lˆ encore, quelques traits de cette Žcriture.

Accord-timbre en Žvolution

Les accords — dont jĠai dit quĠils Žtaient ici le plus souvent conus comme des timbres plut™t que comme que des harmonies — vont dŽployer de vastes parcours quĠil faut lˆ aussi comprendre moins comme des Žvolutions harmoniques que comme des dŽploiements-repliements de sonoritŽs-timbres.

LĠexemple suivant nous fournit un bon exemple dĠune telle sonoritŽ-timbre, solidement fondŽe sur une pŽdale immobile, qui se dŽploie vers lĠaigu avant de replonger dans le grave par glissement dĠune note aprs lĠautre. Au total, chaque note nouvelle peut tre entendue comme dŽcrivant une mŽlodie (le schme de la mŽlodie supŽrieure de cet accord-timbre Žvolutif est restituŽ dans la dernire portŽe de lĠexemple suivant) :

Exemple 10 (p. 6 : 4Ħ ˆ p. 7 : 1Ħ-2Ħ)

Attention : cet exemple simplifie la partition en uniformisant les durŽes (une noire pour chaque hauteur nouvelle) pour mieux faire ressortir le schme harmonico-mŽlodique du passage.

On remarquera le contraste intŽrieur ˆ cette masse (entre la fixitŽ du pŽdalier et le parcours des mains) qui gŽnre un Žclairage rŽciproque entre immobilitŽ et mobilitŽ.

Variation par petits dŽplacements

Le matŽriau est frŽquemment variŽ selon un principe Žconomique de petits dŽplacements. On en avait vu une premire illustration avec la guirlande rythmique de lĠexemple 9 (rŽpŽtition de 12 hauteurs variŽes mais combinatoire mobile de deux durŽes). En voici un autre o cette fois la variation est obtenue par condensation progressive :

Exemple 11 (p. 13 : 3Ħ/p. 28 : 3Ħ et 4Ħ)

Variation par superposition de blocs de diffŽrentes durŽes

Une autre manire de varier la prŽsentation dĠun matŽriau consiste ˆ superposer deux rŽgularitŽs de durŽes inŽgales en sorte que leur agrŽgation soit elle-mme constamment diffŽrente. Dans lĠexemple suivant, un ensemble de 18 doubles croches (main droite) est associŽ ˆ un ensemble de 5 hauteurs (main gauche) de durŽe globale plus brve si bien que la rŽpŽtition inchangŽe de chacune gŽnre une superposition constamment renouvelŽe.

Exemple 12 (p. 15 : 4Ħ ˆ 16 :1Ħ/p. 31 : 1Ħ-3Ħ)

Variation par permutations intŽrieures

Une autre manire de varier la prŽsentation dĠun matŽriau fondamentalement stable consiste en une permutation incessante de ses ŽlŽments. Dans lĠexemple suivant, un groupe de 4 hauteurs fixes (de bas en haut : au pŽdalier do, ˆ la main gauche sol et do#, ˆ la main droite la) est rŽpŽtŽ 9 fois dans un ordre constamment renouvelŽ.

Exemple 13 (p. 24-25) : extrait de la trame gŽnŽrale

Au total

RŽsumons.

EfficacitŽ de lĠŽcriture

Le matŽriau est ici composŽ selon quelques principes dĠŽcriture simples et efficaces : contrastes diatonisme/chromatisme, fixitŽ/mobilitŽ des registres, dŽploiement de trains dĠimpulsions par prolifŽration de valeurs brves, rŽpŽtitions variŽes par dŽplacements combinatoires,É

Parfois lĠŽcriture se dissout en de plus simples notations, tels les clusters de lĠemballage final dont ne sont plus inscrites que les extrŽmitŽs.

Au total lĠŽcriture est ici constamment au service de son rŽsultat sonore.

Ce point est dĠautant plus ˆ remarquer que les figures et gestes prŽsentŽs sont, comme on lĠa vu, de facture plus gŽnŽrique quĠindividualisŽe : lĠÏuvre compose avec des entitŽs (tels le bloc de clusters, le timbre en Žventail, la polyphonie de mŽlismes croisŽs) plut™t quĠavec des individualitŽs. La seule individualitŽ qui contraste franchement avec cette gŽnŽricitŽ est le geste qui ouvre la sonate (voir exemple 1), geste qui va dĠailleurs servir tout au long du premier mouvement de vŽritable signal pŽriodisant le mouvement, son individualitŽ identifiable contrastant avec la plasticitŽ des situations rencontrŽes.

Logique de prolifŽration (extension)

LĠÏuvre, ˆ proprement parler, ne dŽveloppe pas son matŽriau ; elle ne fait pas jouer par exemple un nouveau r™le (Žventuellement dramatique) au contraste initial entre diatonisme et chromatisme. LĠÏuvre procde plut™t par dŽploiement, par extension. Ici le matŽriau ne sĠaltre pas mais se prŽsente plut™t comme restant le mme mais sous un nouveau jour. [1]

Logique de contraste (sans mŽdiation)

Le passage dĠun Žtat ˆ lĠautre, dĠune situation musicale ˆ une autre se fait alors sous la figure du contraste plut™t que par transition, ou mŽdiation. Il sĠagit ici moins dĠun processus dialectique (o une contradiction entre forces opposŽes se convertit dĠun Žtat en un autre) que dĠun parcours fait de basculements, de sauts, de rencontres. Pas de mŽdiations ici entre des tendances opposŽes mais le frottement net, le basculement abrupt dĠun Žtat ˆ lĠautre.

Physique ˆ lĠÏuvre

Une physique des forces et Žnergies

Le caractre relativement neutre du matŽriau mobilisŽ comme le caractre contrastŽ des encha”nements conduit ˆ interprŽter les forces ici en jeu de manire essentiellement physique : lĠÏuvre joue en effet dĠŽnergies, de champs de forces, de fractures gŽologiques, de couches sŽdimentŽes, de contrastes entre matires de diffŽrentes consistances (la dualitŽ diatonisme/chromatisme est sans doute ˆ comprendre non comme contradiction ˆ caractre dramatique, ou comme ressource discursive, mais plut™t comme superposition-enchevtrement de matŽrialitŽs hŽtŽrognes, tel lĠargile et la craie, le silex et la glaise). Ce qui importe ici, ce sont donc moins des figures comme telles, des thmes ou mŽlodies, des harmonies discursivement articulŽes que des masses et des blocs, des Žnergies et rŽsistances, des poussŽes et blocages, des champs et coulŽesÉ

Si cette Ïuvre relve dĠune physique plus que dĠune discursivitŽ, il faut entendre ce mot physique au double sens dĠune physique naturelle (voir ce qui vient dĠtre dit) mais Žgalement dĠune physique du corps instrumental, en lĠoccurrence de la vaste machine-orgue dont Jean-Pierre Leguay est bien sžr un ma”tre.

La puissance musicale dĠun corps instrumental

Il est clair en effet que la plupart des caractŽristiques jusquĠici relevŽes trouvent leur raison musicale dĠtre dans lĠinstrument convoquŽ : lĠorgue, et plus encore le grand orgue symphonique qui se trouve au principe de cette Ïuvre. Il est patent que cette sonate ne trouve pas dans lĠorgue un vŽhicule de circonstance mais quĠelle est faite Ç pour È lĠorgue, un peu comme lĠarchet est fait pour la corde.

Cette adŽquation entre Žcriture et instrument est manifeste dans les points suivants.

Les silences comme durŽes de rŽverbŽration

Il y a dĠabord un jeu de silences qui prennent leur vŽritable sens dĠtre emplis dĠune vaste rŽverbŽration. Ainsi les silences variŽs venant conclure le geste initial (exemple 1) — Ç long È (p. 2 : 1Ħ), Ç court È (p. 3 : 2Ħ/p. 8 : 3Ħ), Ç long È puis Ç trs long È (p. 11 : 4Ħ) — sont-ils moins des attentes que des rŽsolutions : des Žcoulements des sonoritŽs Žclatantes du grand orgue dans lĠespace de la vaste nef. Ces silences ne sŽparent pas : ils parachvent le geste qui les prŽcde en incluant la rŽverbŽration de la nef comme un paramtre musical ˆ part entire.

Des timbres plus que des harmonies

De mme une certaine conception timbrale des harmonies (stables dans lĠexemple 8, en glissement dans lĠexemple 10) sĠaccorde avec le gŽnie propre de cet instrument o les effets sonores les plus remarquables peuvent tre obtenus par registration judicieuse donnant corps ˆ une simple enveloppe mŽlodique.

Une Žconomie dĠŽcriture

LĠŽconomie dĠŽcriture de cette Ïuvre est une manire de confier son destin ˆ la gr‰ce propre de lĠinstrument dans lequel elle sĠincarne. Ë ce titre, cette Žconomie dŽsigne une aptitude de la partition ˆ fonctionner comme tablature : ˆ indiquer le geste ˆ accomplir plus encore que le rŽsultat sonore, lequel sera dĠautant plus ŽloignŽ du geste effectuŽ quĠentre les deux lĠinstrument aura mis en jeu son vaste corps. Et quel corps plus vaste et plus puissant que le grand orgue symphonique !

Ceci ˆ proprement parler interdit dĠailleurs de tenir cette sonate comme Žtant Ç pour È orgue. Il faudrait plut™t dire quĠelle est une sonate dĠorgue, ou, mieux, parler ici dĠune sonate-orgue.

Ç Sonate È ?

Cette Ïuvre, donc, sonne orgue. Ceci suffit ˆ lŽgitimer son titre de Sonate (mme si on pouvait Žgalement lŽgitimer cette nomination par une signification plus souterraine attachŽe ˆ la dualitŽ diatonisme/chromatisme ; mais jĠai indiquŽ quĠˆ mon sens cette dualitŽ constituait moins un ressort dramatique — comme dans la sonate classique — quĠun contraste physico-acoustique de matŽriauxÉ).

StratŽgie de lĠÏuvre

Une fois prŽsentŽs le matŽriau et ses modalitŽs contrastŽes de dŽploiement, que dire de la dynamique gŽnŽrale de lĠÏuvre et singulirement de sa stratŽgie globale ?

Commenons par les plans formels des deux mouvements.

Premier mouvement

Dans le premier mouvement, la segmentation est signalŽe par le retour du geste initial (exemple 1). DĠo trois parties (que jĠindiquerai en numŽrotant cette fois les systmes de chaque mouvement [2]) :

A : 1 ˆ 6 (champ harmonico-timbral : voir exemple 4)

B : 7 ˆ 29

B1 : 7 ˆ 24 (cette partie, qui se distingue de la suivante par la registration, correspond trs exactement au 16Ħ prŽlude que le compositeur, quelques annŽes plus tard, extraira sans modifications de cette sonate)

B2 : 25 ˆ 29 (nouveau champ vertical dĠaccords-timbres)

C : 30 ˆ 42 (champ polyphonique : voir exemple 7)

Second mouvement

Il faut, comme de juste dans une Ïuvre pour orgue, se rŽfŽrer ˆ la registration pour trouver la pŽriodisation la plus pertinente. DĠo quatre parties pour ce mouvement :

D : 1 ˆ 31 (champ de guirlandes sĠŽpaississant en champ de timbres)

E : 32 ˆ 50 (verticalisation — exemple 8 — puis retour ˆ un champ horizontal de guirlandes — exemple 6)

F : 51 ˆ 58 (champ de trilles striŽ dĠimpulsions : voir exemple 13)

G : 59 ˆ 98 (vaste embrasement conclusif, inaugurŽ par une reprise [3] — systmes 64 ˆ 82 — de la partie D prŽcŽdente — systmes 2 ˆ 19 —).

Moment de la fin

Un moment particulirement remarquable de cette Ïuvre est celui de sa fin. LĠemballement gŽnŽral y enlve lĠadhŽsion de lĠauditeur, Žclairant de manire trs convaincante tout le dŽploiement qui lĠa prŽcŽdŽ.

Ce moment est lentement conduit par une profonde pŽdale qui rŽappara”t page 24 (1Ħ systme) aprs sa disparition en dŽbut de partie G (p. 26 : 1Ħ). Le mouvement mŽlodique de cette pŽdale (fonds et anches 16, 8, 4 + mixtures) est rŽsumŽ dans lĠexemple ci-suit qui prŽsente les hauteurs parcourues en faisant fi de leurs durŽes (variables mais toutes trs longues) :

Exemple 14 (p. 27-35) : progression du pŽdalier

Le chromatisme de cette conduite mŽlodique est patent. La montŽe progressive du registre associŽe ˆ lĠimpact sonore du tumulte dŽclenchŽ par les claviers conduit ˆ une apothŽose chromatique Žclatante.

 

Comme toujours, le moment de la fin dĠune Ïuvre appelle ˆ une comprŽhension rŽtroactive de lĠensemble. Il suggre ici la lente Ždification dĠun triomphe que jĠaimerais nommer Ç la puissance et la gloire du grand orgue È.

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[1] Il faudrait donc associer cette logique ˆ celle de Schubert plut™t que de Beethoven, si lĠon retient de Stockhausen (repris par Pousseur) lĠidŽe que Schubert varie lĠŽclairage dĠun objet immobile lˆ o Beethoven varie lĠobjet sous un Žclairage constantÉ

[2] Un dŽcompte des mesures serait Žgalement possible. Mais le caractre manifestement contingent du mtre dans cette Ïuvre suggre de se rŽfŽrer plut™t ˆ la notation graphique des systmes.

[3] On remarquera au passage que cette reprise Ç oublie È la premire mesure du passage rŽpŽtŽ, ce qui contribue ˆ varier sa prŽsentation. Plus essentiellement, la nouvelle registration brouille profondŽment lĠidentitŽ de ces deux occurrences en sorte de gŽnŽrer un sentiment dĠŽtrange familiaritŽ, difficilement dŽcomposable ˆ lĠoreille entre ce qui est Ç mme È (toutes les notesÉ) et ce qui est Ç autre È (la registration)É