Didon & ƒnŽe

Didon

Dido

ƒnŽe

Aeneas

ChĻur

 

 

 

 

ƒcoutons !

ƒcoutons Didon la malheureuse, cette femme dŽcha”nŽe !

Son amour vient de sombrer. Ne surnagent que dŽpit et furie.

Sur quel Žcueil, un tel naufrage ?

Perfide !

EspŽrais-tu, perfide, dissimuler ton forfait et quitter sournoisement cette terre ?

Rien ne te retient donc, ni notre amour, ni notre alliance, ni Didon condamnŽe ˆ la mort ?

En plein hiver, tu te h‰tes dÕappareiller et dÕaffronter la haute mer avec ses vents hostiles, cruel ƒnŽe !

Si tu ne cherchais un nouveau lieu et une terre inconnue, si lÕantique Troie Žtait encore debout, si tu ne souhaitais que revenir en ce bercail, oserais-tu dŽfier ainsi la mer dŽmontŽe ?

Tu me fuis donc ?

Perfide !

Dissimulare etiam sperasti, perfide, tantum posse nefas, tacitusque mea decedere terra ?

Nec te noster amor, nec te data dextera quondam, nec moritura tenet crudeli funere Dido ?

Quin etiam hiberno moliris sidere classem, et mediis properas aquilonibus ire per altum, crudelis ?

Quid, si non arua aliena domosque ignotas peteres, sed Troia antiqua maneret, Troia per undosum peteretur classibus ¾quor ?

Mene fugis ?

 

 

 

Je tÕen prie : par mes larmes et ta promesse, puisque, dans mon malheur, je nÕai que ces recours, par notre union et les premiers pas de notre passion, si tu mÕas accordŽ quelque mŽrite, si tu as trouvŽ en moi quelque douceur, par tout ceci, prends pitiŽ dÕune existence qui vacille et, je tÕen conjure, si tu restes encore sensible ˆ ces prires, renonce ˆ ton idŽe !

Ė cause de toi, les peuples nomades et les tyrans qui mÕentourent se lvent, hostiles.

Ė cause de toi, ma pudeur se voit flŽtrie, et ce renom dÕantan qui mՎgalait aux Žtoiles ressort souillŽ.

Toi qui fus mon h™te, ˆ qui mÕabandonnes-tu ainsi, presque morte ?

Ė quoi dŽsormais dois-je mÕattendre ?

Ah, si du moins tu mÕavais laissŽe une postŽritŽ avant de dŽguerpir ! Ah, si du moins un petit ƒnŽe sous mes yeux jouait dans mon palais me rappelant tes traits, je me verrais dŽjˆ moins abusŽe et dŽlaissŽe !

Per ego has lacrimas dextramque tuam te, quando aliud mihi iam miser¾ nihil ipsa reliqui, per conubia nostra, per inceptos hymen¾os, si bene quid de te merui, fuit aut tibi quicquam dulce meum, miserere domus labentis, et istam oro, si quis adhuc precibus locus, exue mentem.

Te propter Libyc¾ gentes Nomadumque tyranni odere, infensi Tyrii.

Te propter eundem exstinctus pudor, et qua sola sidera adibam, fama prior.

Cui me moribundam deseris, hospes ?

Quid moror ?

Saltem si qua mihi de te suscepta fuisset ante fugam suboles, si quis mihi paruulus aula luderet ®neas, qui te tamen ore referret, non equidem omnino capta ac deserta uiderer.

 

 

Devant les siens, ƒnŽe a raturŽ lÕintimitŽ partagŽe. Et lÕintŽrieur dÕune femme, amoureusement explorŽ au fil des nuits, se voit rŽpandu parmi les pierres, exposŽ au soleil de quiconque.

Voici une femme bafouŽe, gant retournŽ, viscres ˆ lÕair, tendre Žcume devenue bave.

Les tensions qui accordaient ce corps attendri par la possession ne sont plus contenues dans quelque enlacement.

Voici Didon Žperdue, tourbillonnant fŽbrile dans le chaos de ses rages.

Quel Žtait cet amour dÕune PhŽnicienne pour un Troyen, cette couture dÕune femme accomplie et dÕun jeune homme inabouti ? MŽritaient-ils ce dŽsastre ?

ƒcoutons-les !

Que devrais-je me cacher ?, lÕavenir pourrait-il me rŽserver le pire ?

Mes pleurs lÕont-ils affectŽ ?

A-t-il seulement tournŽ les yeux vers moi ?

A-t-il, vaincu, pleurŽ ˆ son tour ? A-t-il eu pitiŽ de celle quÕil aimait ?

Quel pire encore ˆ supposer ?

Aucune confiance nulle part !

Quand il Žtait naufragŽ et dŽmuni, je lÕai accueilli et, insensŽe, jÕai partagŽ avec lui mon royaume.

JÕai sauvŽ de la mort sa flotte naufragŽe et ses compagnons.

HŽlas, les Furies sÕemparent de mon esprit et emportent mon corps !

Nam quid dissimulo, aut qu¾ me ad maiora reseruo ?

Num fletu ingemuit nostro ?

Num lumina flexit ?

Num lacrimas uictus dedit, aut miseratus amantem est ?

Qu¾ quibus anteferam ?

Nusquam tuta fides.

Eiectum litore, egentem excepi, et regni demens in parte locaui.

Amissam classem, socios a morte reduxi.

Heu furiis incensa feror !

Je suis passant, venant de Troie, allant je ne sais o rŽtablir une Justice quÕun destin mÕa confiŽe.

Ma qute nÕest pas complte : je dois apprendre de mon pre ce qui manque ˆ ma charge. Un rendez-vous mÕattend dans la caverne des morts-vivants, au-delˆ de Charon et du Styx.

Carthage nÕest quÕun repos. Je sais le courage, appris contre les Grecs. JÕai compris au fil de mon odyssŽe lÕintelligence des situations imprŽvues. Mais je sais aussi sans savoir que la justice est plus encore.

Et voici que Didon ajoute son amour, et me fixe rendez-vous sur ce recoin dÕAfrique.

I am passing through, coming from Troy, going I know not where to restore a Justice that fate has entrusted to me.

My quest is not complete: I must learn from my father what is lacking in my charge. An encounter awaits me in the cave of the living dead, beyond Charon and the Styx.

Carthage is only a resting place. I know courage, learnt from the Greeks. From my odyssey I know the intelligence of unforeseen situations. But I also know without knowing it, that justice is yet more.

And see here Dido adds her love, and prepares an encounter in this corner of Africa.

 

Non, je ne te retiens pas ! Non, je ne rŽfute pas tes paroles !

Va, poursuis ta chimre au grŽ des vents, cherche un royaume par-delˆ les mers !

SÕil y a encore une justice sous les cieux, jÕespre – oui, jÕespre – que tu puiseras tes malheurs ˆ grands seaux contre les Žcueils et que tu appelleras souvent Didon !

Absente, je te poursuivrai de sombres feux, et lorsque la mort glacŽe mÕaura scindŽe de mon corps, je demeurerai lˆ, tapie dans lÕombre.

Et tu seras alors ch‰tiŽ, ™ cruel !

Et je lÕapprendrai par la grande rumeur roulant aux enfers.

Neque te teneo, neque dicta refello.

I, sequere Italiam uentis, pete regna per undas !

Spero equidem mediis, si quid pia numina possunt, supplicia hausurum scopulis, et nomine Dido s¾pe uocaturum.

Sequar atris ignibus absens, et cum frigida mors anima seduxerit artus, omnibus umbra locis adero.

Dabis, improbe, poenas !

Audiam et h¾c Manis ueniet mihi fama sub imos.

Tu mÕas appris, Didon, lÕamour des bouches et des voix, les respirations qui se chevauchent, les doigts qui fouillent les chevelures et les langues qui Žpousent les paumes.

Mais que mÕas-tu murmurŽ dans la grotte de nos nuits ? QuÕas-tu chuchotŽ au berceau de mes paupires ?

De quel secret tÕes-tu parŽe, boussole opaque aux tempes dÕun homme ?

You have taught me, Dido, the love of mouths and of voices, of overlapping breaths, of searching fingers and the languages of palms.

But what have you murmured in the cave of our nights? What have you whispered to the cradle of my eyelids?

With what secret have you dressed yourself, opaque compass for the temples of a man?

ŅGreat minds against themselves conspire.Ó [1]

Il nÕy a dÕamour que nos amours. Il nÕy a que notre amour pour soutenir le monde.

Il nÕy a, il nÕy a que nous. Il nÕy a que les amants.

Elle lui a murmurŽ :

Ē Il nÕy a dÕamour que nos amours. Il nÕy a que notre amour pour soutenir le monde.

Il nÕy a que nos corps enlacŽs pour accueillir ce qui nous vient au bord des lvres du fond des mers, de lÕhorizon sableux et des Žtoiles brouillŽes. Č

Elle lui a chuchotŽ :

Ē Pour revivre il suffit quՈ tes lvres jÕemprunte / le souffle de mon nom murmurŽ tout un soir. Č [2]

Pourquoi oppose-t-il des oreilles de plomb ˆ mes paroles ?

O se prŽcipite-t-il ainsi ?

QuÕil attende au moins quelque vent favorable ˆ sa frileuse dŽbandade !

Mais je nÕinvoquerai plus cette ancienne alliance quÕil a trahie.

Je ne demande quÕun court rŽpit, quÕun bref moment pour Žponger ma fureur, le temps dÕapprendre ˆ pleurer ma dŽfaite.

JÕimplore cette ultime faveur.

Cur mea dicta neget duras demittere in auris.

Quo ruit ?

Exspectet facilemque fugam uentosque ferentis.

Non iam coniugium antiquum, quod prodidit, oro.

Tempus inane peto, requiem spatiumque furori, dum mea me uictam doceat fortuna dolere.

Extremam hanc oro ueniam.

 

 

Infelix Dido ! 

Ē Hic / sunt lacrym¾ rerum, et mentem mortalia tangunt. Č [3]

 

 

Tu mÕas rŽvŽlŽ, Didon, la vie duelle, la passion double, lÕamour doublŽ de soie et de salive.

Mais la justice, Didon ?, cette cause qui mÕexige depuis que les Grecs ont rasŽ Troie et ont jurŽ ˆ la face du monde : Ē Que nul ne sÕen souvienne ! Č ?

Comment adjoindre nos rendez-vous nocturnes ˆ cet au-delˆ ?

You have revealed to me, Dido, dual life, double passion, love doubled with silk and spit.

But justice, Dido? This cause that urges me since the Greeks razed Troy and swore to the world: ŅLet none remember it!Ó

How to attach our nocturnal meetings to this beyond?

 

Que puis-je faire maintenant ?

Vais-je rallier leurs vaisseaux et me plier aux dernires exigences des Troyens ?

Ne me sont-ils pas redevables de les avoir nagure secourus et nÕont-ils aucune reconnaissance pour cet ancien bienfait ?

Ė supposer que je le veuille, qui me laissera monter ˆ bord et qui accueillera sur son fier navire une femme dŽsormais ha•e ?

Mais que faire dÕautre ? Seule, fugitive, accompagnerai-je ces marins triomphants ? Ou, entourŽe de la foule des miens, vais-je mՎlancer et rejeter ˆ la mer ceux-lˆ mmes que jÕy ai arrachŽs ? Vais-je livrer leurs voiles aux temptes ?

En, quid ago ?

Iliacas igitur classes atque ultima Teucrum iussa sequar ?

Quiane auxilio iuuat ante leuatos, et bene apud memores ueteris stat gratia facti ?

Quis me autem, fac uelle, sinet, ratibusue superbis inuisam accipiet ?

Quid tum, sola fuga nautas comitabor ouantes, an Tyriis omnique manu stipata meorum inferar, et quos Sidonia uix urbe reuelli, rursus agam pelago, et uentis dare uela iubebo ?

Ē La justice ? Une vertu ! LÕamour ? Une passion ! La vertu protge la passion, sans lÕadopter. Č Paroles de Troie !

ŅJustice? A virtue! Love? A passion! Virtue protects passion, without adopting it.Ó Words of Troy!

Ē NÕest pas sage qui joue au sage ! Č

 

Ē NÕest pas juste qui soustrait un amour ! La vertu ne peut se nourrir de contraires ! Č Paroles de sage !

Oh, Dieu ! LՎtranger sÕen ira-t-il donc en ayant leurrŽ notre pays ?

La ville ne prendra-t-elle pas les armes pour le poursuivre ? Et notre flotte ne sortira-t-elle pas le combattre ?

H‰tez-vous, incendiez, lancez, tirez, ramez !

Mais que dis-je ? O suis-je ?

Quelle folie emporte ma raison ?

Malheureuse Didon, est-ce maintenant que tu dŽcouvres tes torts ?

CÕest en lui remettant ton tr™ne que tu aurais dž rŽflŽchir !

Pro Iuppiter, ibit hic et nostris inluserit aduena regnis ?

Non arma expedient, totaque ex urbe sequentur, deripientque rates alii naualibus ?

Ite, ferte citi flammas, date tela, impellite remos !

Quid loquor, aut ubi sum ?

Qu¾ mentem insania mutat ?

Infelix Dido, nunc te facta impia tangunt.

Tum decuit, cum sceptra dabas.

Je suis encore trop jeune, Didon, pour tresser les passions et marier les vertus.

Et je ne sais rŽpondre ˆ ton amour - supplŽment qui dŽborde et dŽtourne - que par la soustraction.

I am still too young, Dido, to weave passions and marry virtues.

I do not know how to respond to your love - a supplement that overflows and diverts - other than by subtraction.

Botte de paille que ce jeune homme mesurŽ face ˆ Didon assurŽe dans sa dŽmesure !

Voici de sourdes Žnergies libŽrŽes par le sŽisme ; les voilˆ qui traversent cette femme et sÕengouffrent entre un amour barrŽ et le dŽpart interdit.

Voilˆ ce que vaut la parole de qui pourtant hŽrite dÕune haute lignŽe !

Et je nÕai su me saisir de son corps pour le mettre en pices, pour le disperser sur les flots ?

Et je nÕai su exterminer ses compagnons par le fer, je nÕai su offrir son fils en sacrifice sur lÕautel du pre ?

LÕissue dÕun tel combat eut ŽtŽ indŽcise, soit ! Mais qui aurais-je craint, puisque je vais mourir ?

JÕaurais moi-mme mis le feu ˆ son camp, jÕaurais moi-mme enflammŽ le pont de ses navires, et jÕaurais moi-mme anŽanti le pre avec le fils en mÕimmolant au mme brasier !

SÕil est vraiment nŽcessaire que cette tte inf‰me atteigne un port et aborde une terre, quÕil en soit ainsi ! Mais quÕau moins, tourmentŽ dans la guerre par un peuple farouche, banni de chez lui, ƒnŽe en soit rŽduit ˆ implorer secours ˆ la vue des siens projetŽs dans une mort indigne, et que, livrŽ aux lois dÕune paix inique, il ne puisse jouir ni de son royaume ni de la gloire escomptŽe mais quÕil tombe avant son heure et demeure sans sŽpulture au milieu des sables !

Voici ma prire, et voici lÕultime vĻu que je scelle de mon sang.

En dextra fidesque, quem secum patrios aiunt portare Penate !

Non potui abreptum diuellere corpus, et undis spargere ?

Non socios, non ipsum absumere ferro Ascanium, patriisque epulandum ponere mensis ?

Verum anceps pugn¾ fuerat fortuna : fuisset !

Quem metui moritura ?

Faces in castra tulissem, implessemque foros flammis, natumque patremque cum genere extinxem, memet super ipsa dedissem.

Si tangere portus infandum caput ac terris adnare necesse est, hic terminus h¾ret : at bello audacis populi uexatus et armis, finibus extorris, auxilium imploret, uideatque indigna suorum funera !

Nec, cum se sub leges pacis iniqu¾ tradiderit, regno aut optata luce fruatur, sed cadat ante diem, mediaque inhumatus harena !

H¾c precor, hanc uocem extremam cum sanguine fundo.

Je dois renouer le fil des hautes mers et des vents capricieux.

Je dois partir, Didon, reprendre ma longue errance.

Le courage face aux Grecs face ˆ une femme me fait dŽfaut.

Je te demande pardon, je nÕai gure la force. Je ne peux faire alliance. Je reste faible, et je te fuis.

JÕemporte ma fuite comme une faute. Je passe mon tour. Pardon, Didon !

Ē Souviens-toi de moi ! Č

 

Je cherchais une sĻur, je suis tombŽ sur une femmeÉ

I must retie the thread of the seas, and of the capricious winds.

I must leave, Dido, and resume my wandering.

The courage that I learnt in the face of the Greeks fails me in the face of a woman.

I ask your forgiveness, I barely have the strength. I cannot make an alliance. I remain weak, and I flee from you.

I carry my flight like a fault. I pass my turn. I am sorry, Dido!

ŅRemember me!Ó [4]

 

I sought a sister, I fell upon a wifeÉ

Entre la certitude dÕun amour ici et la promesse dÕune justice ailleurs, qui aura eu raison ?

DÕun c™tŽ cette femme mure dressant sa tente o le hasard lÕa conduite ; de lÕautre ce jeune homme incertain qui erre de rive en rive.

Ė droite une femme qui pousse arrire, campŽe sur le socle dÕun prŽsent aimŽ ; ˆ gauche un homme tirŽ avant par lÕaimant dÕun futur.

 

 

 

 

Et rien entre les deux,

rien pour conjurer lՎventrement de cet amour !

Rien que nous, participants ˆ cet Žcartlement.


Didon

Perfide !

Dissimulare etiam sperasti, perfide, tantum posse nefas, tacitusque mea decedere terra ?

Nec te noster amor, nec te data dextera quondam, nec moritura tenet crudeli funere Dido ?

Quin etiam hiberno moliris sidere classem, et mediis properas aquilonibus ire per altum, crudelis ?

Quid, si non arua aliena domosque ignotas peteres, sed Troia antiqua maneret, Troia per undosum peteretur classibus ¾quor ?

Mene fugis ?

Per ego has lacrimas dextramque tuam te, quando aliud mihi iam miser¾ nihil ipsa reliqui, per conubia nostra, per inceptos hymen¾os, si bene quid de te merui, fuit aut tibi quicquam dulce meum, miserere domus labentis, et istam oro, si quis adhuc precibus locus, exue mentem.

Te propter Libyc¾ gentes Nomadumque tyranni odere, infensi Tyrii.

Te propter eundem exstinctus pudor, et qua sola sidera adibam, fama prior.

Cui me moribundam deseris, hospes ?

Quid moror ?

Saltem si qua mihi de te suscepta fuisset ante fugam suboles, si quis mihi paruulus aula luderet ®neas, qui te tamen ore referret, non equidem omnino capta ac deserta uiderer.

 

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Nam quid dissimulo, aut qu¾ me ad maiora reseruo ?

Num fletu ingemuit nostro ?

Num lumina flexit ?

Num lacrimas uictus dedit, aut miseratus amantem est ?

Qu¾ quibus anteferam ?

Nusquam tuta fides.

Eiectum litore, egentem excepi, et regni demens in parte locaui.

Amissam classem, socios a morte reduxi.

Heu furiis incensa feror!

 

Neque te teneo, neque dicta refello.

I, sequere Italiam uentis, pete regna per undas !

Spero equidem mediis, si quid pia numina possunt, supplicia hausurum scopulis, et nomine Dido s¾pe uocaturum.

Sequar atris ignibus absens, et cum frigida mors anima seduxerit artus, omnibus umbra locis adero.

Dabis, improbe, pĻnas !

Audiam et h¾c Manis ueniet mihi fama sub imos.

 

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Il nÕy a dÕamour que nos amours. Il nÕy a que notre amour pour soutenir le monde.

 

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Cur mea dicta neget duras demittere in auris.

Quo ruit ?

Exspectet facilemque fugam uentosque ferentis.

Non iam coniugium antiquum, quod prodidit, oro.

Tempus inane peto, requiem spatiumque furori, dum mea me uictam doceat fortuna dolere.

Extremam hanc oro ueniam.

 

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En, quid ago ?

Iliacas igitur classes atque ultima Teucrum iussa sequar ?

Quiane auxilio iuuat ante leuatos, et bene apud memores ueteris stat gratia facti ?

Quis me autem, fac uelle, sinet, ratibusue superbis inuisam accipiet ?

Quid tum, sola fuga nautas comitabor ouantes, an Tyriis omnique manu stipata meorum inferar, et quos Sidonia uix urbe reuelli, rursus agam pelago, et uentis dare uela iubebo ?

 

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Pro Iuppiter, ibit hic et nostris inluserit aduena regnis ?

Non arma expedient, totaque ex urbe sequentur, deripientque rates alii naualibus ?

Ite, ferte citi flammas, date tela, impellite remos !

Quid loquor, aut ubi sum ?

Qu¾ mentem insania mutat ?

Infelix Dido, nunc te facta impia tangunt.

Tum decuit, cum sceptra dabas.

En dextra fidesque, quem secum patrios aiunt portare Penates !

Non potui abreptum diuellere corpus, et undis spargere ?

Non socios, non ipsum absumere ferro Ascanium, patriisque epulandum ponere mensis ?

Verum anceps pugn¾ fuerat fortuna: fuisset !

Quem metui moritura ?

Faces in castra tulissem, implessemque foros flammis, natumque patremque cum genere extinxem, memet super ipsa dedissem.

Si tangere portus infandum caput ac terris adnare necesse est, hic terminus h¾ret: at bello audacis populi uexatus et armis, finibus extorris, auxilium imploret, uideatque indigna suorum funera !

Nec, cum se sub leges pacis iniqu¾ tradiderit, regno aut optata luce fruatur, sed cadat ante diem, mediaque inhumatus harena !

H¾c precor, hanc uocem extremam cum sanguine fundo.

 

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ChĻur

ƒcoutons !

ƒcoutons Didon la malheureuse, cette femme dŽcha”nŽe !

Son amour vient de sombrer. Ne surnagent que dŽpit et furie.

Sur quel Žcueil, un tel naufrage ?

 

Devant les siens, ƒnŽe a raturŽ lÕintimitŽ partagŽe. Et lÕintŽrieur dÕune femme, amoureusement explorŽ au fil des nuits, se voit rŽpandu parmi les pierres, exposŽ au soleil de quiconque.

Voici une femme bafouŽe, gant retournŽ, viscres ˆ lÕair, tendre Žcume devenue bave.

Les tensions qui accordaient ce corps attendri par la possession ne sont plus contenues dans quelque enlacement.

Voici Didon Žperdue, tourbillonnant fŽbrile dans le chaos de ses rages.

 

Quel Žtait cet amour dÕune PhŽnicienne pour un Troyen, cette couture dÕune femme accomplie et dÕun jeune homme inabouti ? MŽritaient-ils ce dŽsastre ?

ƒcoutons-les !

ƒnŽe

I am passing through, coming from Troy, going I know not where to restore a Justice that fate has entrusted to me.

My quest is not complete: I must learn from my father what is lacking in my charge. An encounter awaits me in the cave of the living dead, beyond Charon and the Styx.

Carthage is only a resting place. I know courage, learnt from the Greeks. From my odyssey I know the intelligence of unforeseen situations. But I also know without knowing it, that justice is yet more.

And see here Dido adds her love, and prepares an encounter in this corner of Africa.

 

You have taught me, Dido, the love of mouths and of voices, of overlapping breaths, of searching fingers and the languages of palms.

But what have you murmured in the cave of our nights? What have you whispered to the cradle of my eyelids?

With what secret have you dressed yourself, opaque compass for the temples of a man?

ChĻur

Ē Great minds against themselves conspire. Č

 

*

 

Elle lui a murmurŽ :

Ē Il nÕy a dÕamour que nos amours. Il nÕy a que notre amour pour soutenir le monde.

Il nÕy a que nos corps enlacŽs pour accueillir ce qui nous vient au bord des lvres du fond des mers, de lÕhorizon sableux et des Žtoiles brouillŽes. Č

Elle lui a chuchotŽ :

Ē Pour revivre il suffit quՈ tes lvres jÕemprunte

   le souffle de mon nom murmurŽ tout un soir. Č

 

*

 

Infelix Dido ! 

Ē Hic / sunt lacrym¾ rerum, et mentem mortalia tangunt. Č

ƒnŽe

Il nÕy a, il nÕy a que nous. Il nÕy a que les amants.

 

*

 

You have revealed to me, Dido, dual life, double passion, love doubled with silk and spit.

But justice, Dido? This cause that urges me since the Greeks razed Troy and swore to the world: ŅLet none remember it!Ó

How to attach our nocturnal meetings to this beyond?

ChĻur

Ē NÕest pas sage qui joue au sage ! Č

ƒnŽe

ŅJustice? A virtue! Love? A passion! Virtue protects passion, without adopting it.Ó Words of Troy!

ChĻur

Ē NÕest pas juste qui soustrait un amour ! La vertu ne peut se nourrir de contraires ! Č

Paroles de sage !

ƒnŽe

I am still too young, Dido, to weave passions and marry virtues.

I do not know how to respond to your love - a supplement that overflows and diverts - other than by subtraction.

ChĻur

Botte de paille que ce jeune homme mesurŽ face ˆ Didon assurŽe dans sa dŽmesure !

Voici de sourdes Žnergies libŽrŽes par le sŽisme ; les voilˆ qui traversent cette femme et sÕengouffrent entre un amour barrŽ et le dŽpart interdit.

ƒnŽe

I must retie the thread of the seas, and of the capricious winds.

I must leave, Dido, and resume my wandering.

The courage that I learnt in the face of the Greeks fails me in the face of a woman.

I ask your forgiveness, I barely have the strength. I cannot make an alliance. I remain weak, and I flee from you.

I carry my flight like a fault. I pass my turn. I am sorry, Dido!

ŅRemember me!Ó

ChĻur

Entre la certitude dÕun amour ici et la promesse dÕune justice ailleurs, qui aura eu raison ?

DÕun c™tŽ cette femme mure dressant sa tente o le hasard lÕa conduite ; de lÕautre ce jeune homme incertain qui erre de rive en rive.

Ė droite une femme qui pousse arrire, campŽe sur le socle dÕun prŽsent aimŽ ; ˆ gauche un homme tirŽ avant par lÕaimant dÕun futur.

ƒnŽe

I sought a sister, I fell upon a wifeÉ

ChĻur

Et rien entre les deux, rien pour conjurer lՎventrement de cet amour !

 

Rien que nous, participants ˆ cet Žcartlement.

 

***



[1] Purcell : Ē Les grands esprits conspirent contre eux-mmes. Č

[2] MallarmŽ

[3] Virgile (I.462) : Malheureuse Didon ! Ē Ici mme, les larmes coulent au spectacle du monde, et le destin des hommes frappe les esprits. Č

[4] Purcell