Une improvisation collective qui ne triche pas ne saurait rivaliser avec la composition.
Elle ne saurait être une
composition instantanée car
·
elle ne saurait inventer instantanément une situation complexe, originalement stratifiée ;
·
moins encore, elle ne saurait la développer.
Elle doit donc jouer de
ses atouts spécifiques : l’exploration
instantanée de gestes musiciens
(instrumentistes) plutôt que l’exploitation longuement mûrie de gestes musicaux.
(janvier 2008)
De l’improvisation collective
Propositions pour l’atelier musical
ENS, le premier lundi du mois, de 20 heures à 22 heures au 46 rue d’Ulm (salle d’orgue : à droite dans le hall d’entrée)
François Nicolas (Ens)
Il n’y a pas l’improvisation : il y a des
improvisations de types très différents. Détaillons les logiques hétérogènes
qui coexistent ainsi sous un même nom.
Improvisation individuelle/collective
Il faut d’abord distinguer l’improvisation individuelle
(vieille pratique de la musique « classique ») de l’improvisation
collective (ré-invention, dans la musique occidentale, de la fin des années
soixante : disons à partir du free-jazz…).
Ces deux types d’improvisation se distinguent radicalement,
non seulement par leur histoire en Occident, mais plus essentiellement par leur
structure immanente, par leur logique interne : si l’on peut soutenir
qu’une improvisation individuelle est « une composition instantanée »
(voir les pratiques traditionnelles des compositeurs — Bach, ou Liszt… — ou aujourd’hui
les improvisations des organistes…), on ne peut le soutenir de la même manière
pour une improvisation collective, du moins pour ce type d’improvisation collective
qui ne se réduit pas à une série d’improvisations individuelles. Ainsi le jazz,
avant le free jazz, était très peu une
improvisation collective mais plutôt une succession d’improvisations
individuelles (les « chorus ») : une série de petites
compositions instantanées (très codifiées, balisées par la mélodie, la
« grille » harmonique, et le tempo), donc de petites variations enchaînées…
Il y a par contre, depuis le free jazz, une logique de l’improvisation collective bien différente où chaque
musicien de l’ensemble improvise simultanément hors schémas préétablis. Cette improvisation
collective produit une superposition sonore qui relève au choix d’une
polyphonie, d’une hétérophonie ou d’une vaste masse sonore en mouvement (quand
l’un de la voix musicale est
dissous, d’où un « timbre » global plutôt qu’une pluralité de voix).
Improvisation sérielle/collective
On conviendra alors de distinguer :
— l’improvisation « sérielle », ou succession
d’improvisations individuelles : le pluriel des pupitres est ici un chapelet
d’individualités, un ensemble ordonné d’éléments ;
— l’improvisation « collective » proprement dite,
ou improvisation simultanée de tous : le groupe de musiciens est ici une
formation concertante, une union de parties.
— Individuelle
— Sérielle
— Collective
Tout en pratiquant les différents types d’improvisation, il
s’agira de mettre l’accent sur sa forme collective, qui est aujourd’hui la
pratique musicale la plus originale.
·
L’improvisation ne s’improvise pas. D’où le travail préalable de l’improvisateur…
·
L’intérêt de l’improvisation n’est nullement d’être une
supposée plus grande « liberté » du musicien.
Être libre, ce n’est pas évoluer
sans contraintes mais évoluer en se considérant responsable des contraintes
qu’on a décidées. Toute improvisation est saturée de contraintes, contraintes
spécifiques à ce genre musical qu’il s’agit précisément de connaître,
comprendre et pratiquer — ainsi, pour qui découvre l’improvisation, la difficulté
est surtout qu’il y a plus de choses à taire qu’à dire… —.
·
L’improvisation collective n’est pas une composition instantanée.
En fait, elle n’a guère de rapport avec la composition musicale.
·
On n’enseigne pas l’improvisation collective : ce
n’est pas à proprement parler une matière
musicale. On éduque à l’improvisation collective (en la pratiquant, et la
verbalisant : analyse, discussion, critique, réécoute…).
·
« La musique improvisée [collectivement] n’existe pas ; il
n’existe que des improvisateurs. » (A.
Savouret).
En effet la musique que génère l’improvisation
(collective) n’est pas véritablement détachable des musiciens qui l’ont
produite. En réalité, l’improvisation (collective) est plus faite pour le musicien
qui la pratique que pour la musique qui en jaillit.
·
Dans l’improvisation collective, l’expression du
musicien l’emporte sur la transmission d’un contenu musical : on entend
l’expression du/des musicien(s) — expression musicienne — plutôt qu’un expression musicale proprement dite (celle d’une œuvre).
·
L’improvisation collective est faite pour ceux qui la
pratiquent plutôt que pour un public l’écoutant. L’improvisation collective n’a
pas à proprement parler de public exogène. Elle s’adresse aux musiciens en
train de jouer, susceptibles d’intervenir, non à des auditeurs extérieurs. En
ce sens, elle ressemble à une conversation parlée : on ne peut durablement
l’écouter qu’à condition d’être susceptible à tout moment d’y intervenir, de participer
au colloque des idées échangées…
·
Une improvisation collective ne s’écoute pas comme on
écoute une œuvre. Dans l’improvisation collective, on écoute le groupe des
musiciens plutôt qu’une « musique » proprement dite ; on écoute
la manière dont un peu de musique peut venir hasardeusement se déposer sur
cette pratique et envelopper les musiciens.
Quelques principes
de l’improvisation collective…
·
« Dans l’improvisation collective, quand il y a
une volonté trop individuelle, cela ne marche plus. »
·
« Dans une improvisation collective, toute
proposition individuelle doit être claire. »
Même si l’improvisation collective ne peut, à l’égal
de l’improvisation individuelle, être conçue comme une « composition instantanée »,
l’improvisateur doit cependant intervenir avec la même conviction musicienne
que si ce qu’il jouait et proposait au groupe était écrit sur une partition,
rentrait donc dans un plan préétabli et disposait ainsi d’une intention compositionnelle
bien définie. Il doit ce faisant adresser sa proposition à un auditeur générique
plutôt qu’à ses partenaires ; il doit faire comme s’il n’attendait rien de
ses partenaires, comme si ceux-ci allaient rester indifférents à sa
proposition. Mais bien sûr, il n’est pas sourd à ce que jouent ses partenaires
et continue de les écouter : si ceux réagissent et infléchissent leur propos,
il en tiendra alors compte dans le déroulé de son intervention.
·
On remarquera la contradiction patente des deux règles
précédentes. Cette contradiction contribue au dynamisme propre de
l’improvisation collective.
·
En improvisation collective, « il n’y a pas de
fausses routes, il n’y a que des déroutes » (A. Grillo).
·
Dans l’improvisation collective, il faut « réfléchir
avant et après mais pas pendant » (on
entendra ici réfléchir au sens de
verbaliser).