Quel moment-faveur dans Duelle ?

 (ENS, 27 mai 2004)

François Nicolas

 

 


F. Nicolas : Duelle (2000-2001) 48’

Pour mezzo, violon, piano et Timée

Texte de G. Lloret

Commande de l’Ircam

Éd. Jobert

Création le 13 juin 2001 (Festival Agora, Ircam) par M. Kobayashi, N. Miribel et F. Tanada

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Moment-faveur proposé : dans X (mes. 463 et surtout 464 : p. 188)

 

Autres possibilités (moments délectables) :

·       I : entrée du clavecin en R2x (p. 3)

·       III : (mes. 107) entrée de la voix parlant anglais doublée par le clavecin (p. 53)

·       V : (mes. 202) entrée de la voix parlant russe doublée par la flûte (p. 92)

·       VII.2 : entrée de la voix parlant allemand doublée par le violon (p. 123)

·       IX : (mes. 406) le grand cantus firmus à l’orgue apparaissant sous l’ancien tohu-bohu (p. 172)

·       IX.7 : « La noria des mères » (p. 179)

·       XI : entrée du second piano en R2x avec la séquence III.1

·       XI : la fin évanouissante du choral de Jean-Sébastien Bach (vers 2’55” de la cadence — p. 199)

 

Je privilégie le moment-faveur de X car il s’agit là d’une transfiguration de la voix parlée dans le corps du violon jouant la Chaconne de Jean-Sébastien Bach.

Techniquement = vocoder de phase — il s’agit là d’une opération dissymétrique : le violon « dans » la voix parlée donnerait tout autre chose que, comme ici, la voix « dans » le violon —.

On a ici une voix qui joue du violon, qui violonne plutôt qu’un violon qui parle. La coïncidence des deux phrasés (texte et musique) a d’ailleurs été un petit miracle inattendu du montage.

Ce moment-faveur touche à une intension essentielle de Duelle : la manière dont la musique se rapporte à une voix parlée, le rapport entre musique et voix parlées (fixées par l’enregistrement). Cf. exploitation des structures musicales implicitement présentes dans une voix parlée — dans ce cas (cf. III, V, VII) la musique dégage du parlé non musical un squelette, une structure qui lui est homogène —. Ici, c’est l’inverse : la structure du fragment est musicale (c’est la chaconne de Bach) mais son « habillage », sa chair, son timbre est la voix parlant. D’où une voix parlant dans le violon, une voix se glissant dans le corps du violon. La voix ici s’introduit dans la musique quand, jusque-là (cf. III, V, VII…), c’était plutôt la musique qui s’introduisait dans la voix. D’où un renversement, lié à un traitement particulier de la Timée : violon en cardio horizontal arrière (Kz-) pendant que la voix, dupliquée, part en diagonale vers le haut.

En un sens ce moment-faveur de X est une réplique inversée de III-V-VII : ici, la voix est l’âme du violon quand avant la musique devenait l’âme de la parole.

 

VII

X

La musique structure la voix.

La voix ossature la musique.

La voix timbre le violon.

Le violon phrase la voix.

Le violon joue dans la parole

La voix parle dans le violon

Le violon parle

La parole violonne

La musique épouse la voix parlée. Elle en est l’âme.

La voix parlée épouse le violon. Elle en est l’âme.

Écriture

Notation (tablature informatique)

 

Noter : les moments III-V-VII s’écrivent. Le moment-faveur X ne s’écrit pas musicalement : il se note ; cf. le timbre ne s’écrit pas mais se note. Ici, il se note par tablature (comme on note : « clarinette », « violon », ou autres).


 

X

 

VII