Théorie de l’écoute musicale (6)

 (ENS, 18 mars 2004)

François Nicolas

 

Structures II (1962) de Boulez

Structures pour deux pianos :

(I) Premier Livre (1951-1952)

(II) Deuxième Livre (1956-1961)

 

Structures I : cf. « série généralisée » — cf. Modes de valeurs et d’intensités de Messiaen (1949)

Structures II (dix ans plus tard) : cf. « œuvre ouverte » — cf. Troisième Sonate (1956-1957) et Pli selon Pli (1957-1962)

En fait combinatoire de grands blocs-parties par alternatives que dirige le piano I.

Partage :

Chapitre I (8 à 9’)

Chapitre II (11 à 13’) dont voici le plan :

Introduction   Pièce 1    Textes A  Encarts     Textes B  Pièce 2

La pièce 2 est dans le grave quand la pièce 1 était dans l’aigu.

Notre moment-faveur se situe à l’attaque de la pièce 2 par le premier piano dans l’ultra-grave [a].

 

 



 

 

Ce qui est ici saisissant, c’est l’irruption d’une rage, l’emport d’une énergie brute, la sauvagerie d’un martèlement venant confondre toutes les subtiles distinctions antérieurement disposées [b]. Ce qui était jusque-là soigneusement ouvragé, distribué en structures attentivement réparties plonge d’un coup dans l’indistinction d’une colère noire, d’une violente tempête. La notation expressive sur la partition est explicite : « tantôt violent et désordonné, tantôt d’une violence sourde et contenue ».

Ce qui se passe ici est l’apparition à nu d’une faculté de l’œuvre jusque-là inconnue : certes l’aptitude à cette sourde violence pouvait être devinée précédemment dans l’astreinte persévérante des calculs, derrière la contention méticuleuse de l’excès, mais elle n’était pas présentée comme telle. En ce moment où le discours musical bascule dans l’ultra-grave du piano [c], les contraintes antérieures explosent pour exposer crûment ce qui jusque-là œuvrait sourdement.

Le moment-faveur consiste en cette saisie de l’oreille par un engloutissement des structures dans la lumière noire des graves, engloutissement violent qui rétroactivement interroge l’intension musicale jusque-là à l’œuvre et éclaire le travail antérieur comme effort pour contenir des énergies qui maintenant libèrent leur crudité. C’est en quelque sorte la rupture du barrage qui, libérant les tensions accumulées, révèle leur existence jusqu’à présent sous-estimée.

 



[a] Le départ du premier piano se fait après la page 67 ou la page 70.

[b] de hauteurs, de registres, de durées, de dynamiques…

[c] On l’aura compris : le moment-faveur est à proprement parler celui du plongeon ; ce qui suit — la longue stase colérique dans le bas du clavier — relèverait plutôt d’« un beau passage » au sens adornien des Schöne Stellen.