Théorie de l’écoute musicale (2)

Confrontations internes [a] : l’écoute, cet impensé du musicien

 

(ENS, 20 novembre 2003)

 

 

François Nicolas

 

 


I.    Une contradiction

Repartons d’une contradiction :

• D’un côté l’œuvre musicale pense l’écoute. L’œuvre est à l’écoute, l’écoute est à l’œuvre. Nous verrons (cours n° 5) quel sens précis donner à ces expressions.

• D’un autre côté, force est de constater que le musicien, lui, ne semble pas penser l’écoute mais, thématisant la pratique de son oreille, de son « entendre », il s’avère réfléchir autre chose que l’écoute : la perception, l’audition, l’ouïe et la compréhension. Je vais m’expliquer aujourd’hui sur ces différents sens, sur ces distinctions. Si l’on use du mot « écoute » en un sens précis, restreint, on constatera que l’écoute est l’impensé du musicien.

Notre contradiction se dit alors ainsi, en tendant un peu les choses (vous connaissez la maxime d’Heidegger : penser, c’est aggraver) et considérant non seulement que l’œuvre musicale pense l’écoute mais que ce qu’elle pense, c’est à proprement parler l’écoute : ce que pense l’œuvre, c’est-à-dire l’écoute, est l’impensé du musicien.

Cette thèse, ou plutôt, en l’état actuel de nos réflexions, cette hypothèse, a le mérite d’être abrupte. Il nous faudra sans doute l’assouplir mais pour le moment, elle a pour vertu de trancher et par là d’appeler à investigation.

Suit alors cette question : s’il est vrai que l’écoute — ce que pense l’œuvre — est l’impensé du musicien, pourquoi cela ?

I.1.   Impensable ?

Et d’abord, l’écoute serait-elle l’impensable du musicien ? Serait-elle la tache aveugle du musicien, celle qui l’identifierait en le marquant dans le dos et qu’il ne saurait voir ? Si tel était le cas, notre projet de théoriser l’écoute musicale, en intériorité à la musique — non en philosophe par exemple — devrait être conçue comme un forçage de cette tache aveugle, comme une sorte d’événement de pensée rendant possible ce qui jusque-là était tenu pour impossible [1].

I.1.a.    L’écoute musicale serait-elle pensée ailleurs qu’en musique ?

Première piste pour nous : si l’écoute musicale était l’impensable du musicien, peut-être ne le serait-elle pas pour d’autres, peut-être que l’écoute musicale aurait été déjà pensée ailleurs qu’en musique : cela voudrait dire que théoriser l’écoute musicale, ou la penser dans le médium du langage verbal, pourrait jusqu’ici avoir été l’apanage des non-musiciens : des philosophes, des poètes, des écrivains, pourquoi pas des théologiens, des psychanalystes, etc. Dans ce cas, notre projet pourrait être d’immanentiser la pensée langagière (ou verbale) de l’écoute musicale, de lui donner place et sens de l’intérieur même de la pensée musicienne.

Il nous faut constater ici que tel n’est pas le cas, qu’il n’existe pas, à la disposition du musicien, de telles théories non musiciennes de l’écoute musicale : pas de théorie philosophique, ou poétique, ou psychanalytique, ou théologique ! Il y a certes des indications, des touches, des bribes — nous les évoquerons aujourd’hui —, mais pas de théorie déployée susceptible de tenter le musicien paresseux. Il n’y a donc guère de tentation d’économiser l’effort musicien que nous devons produire.

I.1.b.   L’écoute, tache aveugle du musicien ?

Mais cet effort est-il bien celui de forcer un impensable ?

Je ne le pense pas : si l’écoute musicale a été l’impensé du musicien, elle n’est pas pour autant son impensable. Pourquoi ? Précisément parce que l’écoute musicale n’est pas la tache aveugle du musicien. Et pourquoi l’écoute musicale n’est-elle pas la tache aveugle du musicien ? Parce que l’écoute musicale est l’affaire avant tout de l’œuvre, non du musicien. L’écoute musicale n’est pas l’identificateur du musicien mais de l’œuvre. L’écoute musicale ne saurait donc être la tache aveugle du musicien puisqu’elle n’en constitue nullement le propre : le propre de l’écoute musicale est à l’œuvre, non au musicien. Et si le musicien peut se mettre à écouter, ce sera précisément parce qu’il s’incorporera à cette écoute à l’œuvre qui aura toujours précédé son appropriation. Ou encore c’est parce que l’œuvre pense l’écoute, c’est parce que l’écoute est une pensée à l’œuvre que l’écoute n’est pas la tache aveugle du musicien, la marque de fabrique qu’il porterait dans le dos.

Ce qui somme toute se vérifie d’ailleurs à ce fait élémentaire : le musicien n’a nullement l’exclusivité, parmi les individus, de l’écoute musicale et n’importe qui, payant sa place de concert et venant s’asseoir dans un fauteuil de la salle est susceptible de devenir écouteur, de s’incorporer à l’écoute à l’œuvre qui va se déployer à partir de musiciens jouant de leurs instruments.

I.1.c.    Un impensé qui n’est pas impensable

Notre situation, à nous musiciens voulant aujourd’hui théoriser l’écoute musicale, est donc celle-ci : cette écoute est jusqu’à présent l’impensé des musiciens mais elle n’est pas pour autant leur impensable. Par ailleurs cette écoute musicale n’a pas non plus été sérieusement pensée par des non-musiciens, par des philosophes, des poètes, des théologiens ou des psychanalystes. Je vous énonce ainsi un constat qu’il va bien sûr me falloir étayer, et tel est l’enjeu propre de ce second cours : examiner ce qui s’est dit, pensé de l’écoute musicale, tant par les musiciens que par des philosophes, poètes, etc. Nous verrons que beaucoup de choses très intéressantes ont été dites, et pensées, qui nous éclairent, qui vont nous guider mais que rien ne se présente — à ma connaissance ! — comme une théorie de l’écoute musicale, ni théorie musicienne, ni théorie philosophique, ni théorie autre…

S’il y a un impensé qui n’est pas un impensable, notre tache ne sera donc pas de forcer un impossible mais de partir de ce qu’il y a pour ajouter le pas de plus que nous ambitionnons.

Nous ne nous affrontons donc pas ici à un mur, mais nous embrassons un nouveau territoire si ce n’est vierge du moins guère exploré puisque seulement visité jusqu’ici de quelques brèves incursions.

I.2.   Il y a pensée (musicale) et pensée (musicienne)…

On pourrait dire aussi : que l’écoute — ce que pense l’œuvre — soit l’impensé du musicien n’est pas étonnant si l’on veut bien prendre en compte que le même mot « penser » intervient ici en deux occurrences qui ne s’équivalent pas : en effet le musicien ne pense pas comme pense l’œuvre. Le musicien pense en mots — pour cette part du moins de la pensée musicienne que j’appelle intellectualité musicale [2]— alors que l’œuvre pense « en sons ». Pensée musicienne et pensée musicale font ainsi deux bien au-delà du seul terrain de l’écoute. Je tiens d’ailleurs que l’œuvre pense aussi la pensée qu’elle est [3]. Quand on dit du musicien qu’il pense la pensée musicale, cela veut donc dire en fait qu’il la verbalise (ce que l’œuvre ne fait pas !), qu’il la projette dans l’espace discursif du langage verbal.

Penser, réfléchir/verbaliser

Fixons ici notre vocabulaire pour simplifier nos énoncés :

— gardons le verbe penser pour désigner le travail de l’œuvre : on dira ainsi que l’œuvre pense l’écoute musicale ;

— introduisons le verbe réfléchir pour indiquer cette pensée de la pensée qui est aussi à l’œuvre : ainsi l’œuvre réfléchit, par exemple sa généalogie musicale ;

— utilisons enfin le verbe verbaliser pour pointer la pensée propre du musicien : ainsi, le musicien verbalise l’écoute musicale en catégorisant cette pensée de l’œuvre.

I.3.   Notre contradiction…

Notre contradiction de départ se dira alors : le musicien n’a pas jusqu’à présent verbalisé l’écoute que l’œuvre, pourtant, pense et réfléchit depuis toujours.

I.4.   Pourquoi l’impensé de l’écoute par le musicien ?

Pour deux raisons, je crois :

I.4.a.    Montée en régime de l’intellectualité musicale

D’abord la montée en régime de l’intellectualité musicale depuis les Lumières. Et l’intellectualité musicale suit la pensée musicale plutôt qu’elle ne la précède. [4]

Donc, pas besoin d’intellectualité musicale pour écouter la musique à l’œuvre ! Cf. l’intellectualité musicale sert plutôt d’arrière et d’intendance musiciens à la pensée musicale…

I.4.b.   Les compositeurs sont mal placés pour écouter leurs œuvres

Ensuite les compositeurs, qui sont les moteurs de l’intellectualité musicale, ne sont pas les mieux placés pour écouter leurs œuvres. Écouter son œuvre est un défi [5].

*

Voyons maintenant ce qui, jusqu’à présent, a été verbalisé par les musiciens et la distinction possible entre différentes activités de l’oreille musicienne que ces considérations induisent.

II.  Ce qui s’est déjà dit de l’écoute musicale

J’ai prélevé dans les écrits des musiciens [6] ce qui touchait à la pratique d’entendre la musique.

Je vais reprendre leurs énoncés, les commenter au fur et à mesure et à partir de là introduire à la diversité de « l’entendre la musique ». Pour ne pas vous prendre par surprise, je propose de différencier cinq modalités de l’entendre :

1. Percevoir

2. Auditionner

3. Comprendre

4. Ouïr

5. Écouter

Je vais introduire au fur et à mesure ce réseau catégoriel grâce à ces lectures pour dans un second temps, plus systématique, le reformuler synthétiquement.

Méthode d’exposition

Pas de recension encyclopédique.

Mon objectif est d’affirmer une théorie musicienne de l’écoute musicale. Il me faut pour cela montrer de quelle manière l’écoute musicale a été massivement impensée, par les musiciens comme par les autres, et reste non théorisée.

Pas ici de « théorie contre théorie »

Bâtir une telle théorie ne pourra donc se faire pour nous contre une autre théorie, malheureusement.

Des points de vue

Cela devra se dessiner au creux des points de vue existants, en leurs manques. C’est ainsi que je vais procéder.

Quelques problématiques constituées

Ils existent cependant, à défaut de théories proprement dites, ce que j’appellerai des problématiques constituées sur l’écoute musicale, problématiques qui s’avèrent toutes latérales par rapport à l’ambition de ce cours. On pourra alors distinguer

·       des problématiques musiciennes : celles de Pierre Schaeffer, d’André Boucourechliev, d’Helmut Lachenmann ;

·       des problématiques non musiciennes : sociologique (Adorno), sémiotique (Barthes), psychoacoustique…

Je n’en traiterai pas en détail. Une année n’y suffirait pas. Je n’en dirai que quelques mots, pour simplement situer ces problématiques par rapport à mon propos théorique.

II.1. Points de vue

II.1.a.  Points de vue de musiciens

Schumann [7]

— Il manifeste en premier lieu une attention à l’audition :

·       La plupart des assistants, à la première ou à la seconde audition, s’attachent trop aux détails. (118)

Cf. l’audition comme allant des détails à la totalité.

·       Après deux auditions et un coup d’œil fortuit jeté sur la composition musicale de l’œuvre dans la partition… (168)

L’audition est, en effet, le premier travail du compositeur, plus généralement du musicien et plus particulièrement du professeur de musique, lequel fait passer des « auditions » bien nommées.

·       Si nous embrassons dans son ensemble, sans nous laisser troubler par les petits angles, souvent aigus sans doute, qui en jaillissent, si nous saisissons en un large point de vue tout le premier allégro, alors nous voyons apparaître nettement la forme suivante… (119)

Ici il s’agit de bâtir une Forme, moins totalisante que globalisante. Ceci s’articule à ce que j’appellerai « compréhension » : cette manière d’entendre de la musique qui se dira la « comprendre » et qui consiste à l’envelopper « en un large point de vue »…

— Maintenant quelques notations dispersées qui consonent plus directement avec que j’appelle « écoute » :

·       On se reprend à dresser l’oreille à nouveau. (32)

·       Cette impression de sécurité… Nous avons abordé sans savoir comment… Ici, du reste, tout est aux écoutes… (109)

·       Nous restons là, pris à l’improviste, du premier au dernier son, comme dans un cercle magique qui s’enroule autour de nous sans que nous en puissions apercevoir le commencement ni la fin. (281)

L’écoute comme attention, comme mise aux aguets, qui est éveillée par surprise, « à l’improviste »…

·       Il ne faut pas trop longtemps s’arrêter à une première lecture, pour ne pas perdre la piste (226)

Idée intéressante : Il y a une piste à suivre, que l’oreille devine comme n’importe quel pisteur. Cette piste, je l’appellerai (cf. cours n° 5) « fil d’écoute ».

— Une dernière notation, cette fois sur l’audition intérieure (laquelle n’est pas à proprement parler, j’y reviendrai un « entendre » mais un « imaginer » puisqu’il n’y a ici nulle présence sonore) :

·       Lisez beaucoup de musique, cela rend l’audition intérieure plus fine. [8]

Berlioz [9]

Quasiment rien de spécifique sur l’entendre musical comme tel, à l’exception d’indications qui consonent avec ma problématique des moments-faveurs (j’en traiterai lors du cours n° 4). Cette simple citation pour aujourd’hui :

·       Combien il y a d’individus qui aient remarqué [dans le Freyschütz de Weber] la phrase dont le souvenir seul vient de vous émouvoir. […] Eh bien ! citez à qui vous voudrez cette mélodie sublime, et vous verrez que, sur cent mille personnes qui ont entendu le Freyschütz, il n’y en a peut-être pas dix qui l’aient seulement remarquée. (38-39 [10])

Cela commence sur un possible moment-faveur et cela conclut sur ce qui m’intéresse aujourd’hui : l’écoute est rare (Berlioz chiffre ici cette rareté à 1 auditeur sur 10 000)…

Chopin [11]

Chopin a peu écrit (cf. sa position d’anti-intellectualité musicale). Il s’agit d’ailleurs ici de propos rapportés.

·       Oubliez qu’on vous écoute et écoutez-vous toujours vous-même. (24)

·       Quand les yeux ne voient ni notes ni touches, quand tout disparaît, à ce moment seulement l’ouïe réagit avec une entière finesse — et alors on peut véritablement se bien entendre, remarquer chaque défaut. (51)

Clairement, ces indications concernent l’auto-audition et l’auto-perception du musicien : la perception comme aptitude à « remarquer » chaque erreur, et l’audition comme un « bien entendre » (ce qui en constitue en effet une définition recevable).

Liszt [12]

·       Une nouvelle génération [de musiciens] marche et avance. Faisons place à ces nouveaux envoyés ; écoutons la parole, la prédication de leurs œuvres ! (23)

Liszt ici met en scène ce que j’appellerai le paradigme prédicatif de l’écoute musicale : l’écoute musicale aurait pour modèle l’écoute du fidèle. C’est intéressant — on y reviendra la fois prochaine — car il est vrai que l’écoute fidèle est bien une écoute, non une perception, ni une audition, ni une ouïe et qu’elle bien plus qu’une pure et simple compréhension du discours écouté. Dans cette logique, l’écoute musicale aurait pu être, en quelque sorte, théorisée par la théologie de la prédication, on y reviendra le prochain cours.

·       La musique avait produit sur moi son effet accoutumé, elle m’avait isolé au milieu de tous. (129)

Notation intéressante : l’écoute isole au milieu de tous au lieu de relier. Elle isole le non-solitaire. Remarque très juste : l’écoute de la musique, loin de faire un public par fusion d’une collection d’individus, disperse, émiette, disloque les liens et dissout les rapprochements. Ainsi quand vous avez vraiment écouté, vous ne pouvez savoir si votre voisine a ou non partagé cette écoute…

Wagner [13]

— D’abord une notation sur l’audition

·       Il est d’une extrême difficulté de saisir la IX° symphonie dès la première audition. (51)

Remarquons que, comme la plupart des indications sur l’audition (voir plus haut Schumann), il y a implicitement l’idée de plusieurs auditions : l’audition est ce qui se monte en série (je soutiens, par exemple, que la troisième audition est musicalement la bonne) alors que l’écoute prend la forme d’une singularité, irrépétable et incumulable ; il s’agira toujours d’une écoute.

·       Ainsi que le rêve le confirme à chaque expérience, à côté de ce monde, il en est un second qui doit être connu de la conscience au moyen d’une fonction cérébrale dirigée vers l’intérieur que Schopenhauer appelle précisément « l’organe du rêve ». Nous savons d’expérience, avec une égale certitude, qu’à côté du monde dont nous avons des représentations visuelles, il en est un second, présent à notre conscience, perceptible uniquement par l’ouïe, un « monde du son » dont nous pouvons dire qu’il est au premier ce que le rêve est à l’état de veille. De même que le monde contemplé en rêve exige, pour prendre forme, une activité particulière de notre cerveau, de même la musique exige, pour pénétrer notre conscience, une activité cérébrale analogue. (87)

·       Nous avons comparé l’œuvre du musicien à la vision du somnambule devenu lucide (147)

On trouve ici la première expression d’un nouveau paradigme pour l’écoute musicale : celui de l’écoute de l’inconscient (écoute du rêve, qui deviendra écoute psychanalytique — on en reparlera  la fois prochaine).

Rimsky-Korsakov [14]

·       Ce qu’on admirait le plus [chez Bach] c’était certains passages, certaines phrases courtes mais pleines de caractère, certaines introductions, certaines suites d’accords dissonants, certains points d’orgue, certaines conclusions brusques, etc. Dans la plupart des cas, on critiquait un morceau par fragments séparés. […] On n’examinait jamais une œuvre comme un tout. (36)

Cette citation m’intéresse car elle relève une particularité intéressante de l’écoute, qu’on trouve chez ces compositeurs non pas lorsqu’ils enseignent mais lorsqu’ils discutent entre eux : il ne s’agit pas d’une audition (ce qui serait « examiner une œuvre comme un tout ») mais de ce qui s’apparente à notre écoute car logé dans des détails, subjectivés à partir de moments singuliers, une manière donc de s’intéresser à l’œuvre qui ne se soucie plus de sa totalisation mais plutôt du point par où l’épouser. Remarquer alors que ces moments sont « courts » et « brusques » : ce seront là des caractéristiques importantes de nos moments-faveurs…

Mahler [15]

Comme Chopin, Mahler a peu ou pas écrit. Pour trouver trace chez lui d’énoncés sur l’activité musicale de l’oreille, il faut aller chercher dans des propos recueillis. Je n’ai trouvé que ceci :

·       Pour juger une œuvre, il faut la considérer comme un tout. (41)

Mahler traite ici de l’audition : c’est à mon sens l’emploi du mot « tout » qui signe ce point.

Albert Schweitzer [16]

Un autre exemple, où seule l’audition se trouve thématisée :

·       Dans sa recherche de la trop grande précision de langage, il [Jean-Sébastien Bach] lui arrive parfois d’outrepasser les limites naturelles de la musique. Il est indéniable qu’on trouve dans ses œuvres bien des pages qui causent une déception à l’audition. (217-218)

·       La cantate n° 109 est presque insupportable à l’audition (218)

Luigi Nono [17]

·       L’enregistrement sur bande et la diffusion radiophonique ou sur compact sont des ‘falsifications’. […] On n’écoute qu’une espèce de ‘photographie’ de l’événement réel, qui n’est évidemment pas un événement réel.

Oui ! Les haut-parleurs constituent des images de musique plutôt que de la musique proprement dite…

Une question : l’écoute musicale peut-elle être en jeu dans le rapport auditif aux haut-parleurs ?

·       On commence à savoir qu’écouter, ce n’est pas seulement écouter de la musique traditionnelle, mais aussi écouter la ville, écouter les milieux acoustiques dans lesquels on vit.

Non ! L’écoute musicale a une singularité irréductible par rapport aux autres types d’écoute, qui ne tient pas seulement à l’intention de l’auditeur (ce serait l’écouteur qui ferait l’écoute…) mais qui s’inscrit dans la matière même de ce qui est à écouter…

Autres musiciens

Rien de très nouveau chez d’autres musiciens.

Michel Philippot

·       Peut-être, lorsqu’il s’agit de musique, est-il nécessaire d’écouter pour entendre ? [18]

L’écoute — c’est-à-dire en fait ici l’attention auditive — est ordonnée au comprendre : position sérielle canonique…

André Souris

·       L’évolution la plus récente de l’esprit musical appelle, et engendre un type d’auditeur en tous points différents [de l’auditeur passif, de type wagnérien, que les entrepreneurs de concerts visent à perpétuer par tous les moyens]. L’exercice de la musique, qui tendait naguère au divertissement ou à la délectation, est devenu aujourd’hui un mode de connaissance et d’existence, mettant en jeu la totalité des facultés spirituelles […] tandis que pour l’auditeur commun, il reste un moyen d’évasion.

Cf. le sérialisme a conscience de requérir un autre type d’attention, et d’audition (on ne compte pas et ne regroupe pas les éléments sériels comme on peut le faire pour des éléments tonaux…)

·       Il arrive qu’on écoute sans entendre. Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer avec quelque distance les conditions les plus courantes du concert. Il semble que tout soit agencé pour détourner l’auditeur de l’opération essentielle, sa participation à la vie de l’œuvre exécutée[19]

Remarquons :

1) Il s’agit ici pour Souris non de recevoir mais de participer à l’œuvre.

2) Ici, entendre est thématisé comme plus difficile qu’écouter. Si écouter semble spontané (en tous les cas point initial), il ne s’agit pas là d’une simple inversion de nos termes : la cible du propos semble être ici ce que nous appellerons « le comprendre ».

Spectraux

Cf. Murail, Grisey, etc. On y retrouve le mixte traditionnel entre perception, audition et compréhension

Gould ?

Rien trouvé de notable sur notre sujet précis (qui n’est pas le concert ni l’enregistrement).

II.1.b.  Autres points de vue

Deux auteurs non-musiciens ici [20]:

Pierre-Jean Jouve [21]

·       La musique est plus rare encore que l’amour (I.929)

·       Nous ne savons pas que ce qu’est la Poésie, et que tout poème, s’il est vrai, demeure mystère. De même que nous ignorons, en somme, ce qu’il y a dans la Musique. (I.1181)

·       Pour que l’Art […] demeure ce qui nous émerveille, ce qui nous éternise en une seconde, il faut que notre contact avec lui reste rare. (II.1171)

Deux thèmes ici qui me sont chers :

— la rareté de l’art musical, de l’écoute musicale donc : rien ne la garantit et ce n’est pas parce qu’une musique se lève, qu’un son s’affirme et qu’une oreille l’entend que l’écoute sera ipso facto au rendez-vous.

— « Ce qu’il y a dans la musique » comme art, comme écoute à l’œuvre, ne se sait pas, s’ignore : plus encore ne saurait se savoir c’est-à-dire n’est pas de l’ordre d’un savoir, à peine d’un savoir-faire… Pour qu’il y ait musique, et donc écoute, il faut qu’il se passe quelque chose qui à proprement parler n’est pas su car il serait sinon reproductible.

Vladimir Jankélévitch [22]

Enfin un philosophe (étrange il est vrai) dont la sensibilité musicale est très grande et dont les écrits consonent avec beaucoup de mes propos. J’y reviendrai plus en détail quand je traiterai des moments-faveurs car on peut déceler une sorte de théorie sous-jacente des moments-faveurs chez Jankélévitch. Contentons-nous ici de notations concernant l’écoute, et l’écouteur.

·       Il faut pardonner à l’auditeur s’il ne sait comment s’égaler à ce qu’il éprouve. (125)

Belle idée qu’écouter, c’est s’égaler à l’œuvre — je préciserai : en tant qu’elle écoute toujours déjà —, donc l’épouser, non lui faire face ou lui tenir tête.

·       Tous les prétextes sont bons pour ne pas écouter. (127)

En effet, écouter non seulement est rare mais est exigeant. Il est plus confortable d’auditionner, en se barricadant derrière son savoir musicien, ce que thématise la remarque suivante :

·       Les plus pédants parleront grammaire, métier et ce sont sans doute aussi les plus roués, car ils paraissent viser une réalité spécifiquement musicale, repérable dans certaines locutions, alors que l’affectation technique est pour eux un simple moyen de ne pas sympathiser, de se soustraire au charme, de rompre en fin la convention d’innocence et de naïveté sur laquelle repose tout enchantement. […] L’analyse technique est un moyen de refuser cet abandonnement spontané à la grâce que le charme nous réclame. (128-9)

Enfin

·       La décourageante inconsistance de la réalité musicale justifie les bavardages : on ne sait ni à quoi se prendre, ni quel objet viser ; tout le monde est à côté de la question : l’auditeur d’abord qui fait semblant d’écouter… Au fait, écouter quoi ? à quoi faire attention ? (126)

Question bienvenue !

Écouter l’œuvre ? Sans doute mais que veut dire alors écouter une œuvre et non pas l’auditionner ou l’ouïr ou la comprendre ? En ce point Jankélévitch nous lègue sa question.

II.2. Problématiques constituées

Il ne s’agit pas là, à proprement parler, de théories mais seulement de développements consistants sur la diversité des écoutes musicales. Présentons succinctement les plus importantes de ces problématiques, en indiquant les axes selon lesquels nous nous en démarquons.

II.2.a.  Problématiques musiciennes

Pierre Boulez

Perception, audition et compréhension ; cf. sur ce point Souris et Philippot…

Pierre Schaeffer [23]

·       Postulat fondamental : toute musique est faite pour être entendue. (133)

·       C’est le mot objet qui semble le mieux convenir à la saisie d’une chose bien distincte qu’on examine à loisir. (280)

Il met au cœur de sa problématique la notion d’objet : « l’objet, c’est-à-dire ce qui parvient effectivement à l’oreille » (180). Son projet est de passer des objets sonores aux objets musicaux et, par là, du son à la musique… : il échouera, et le reconnaîtra, avec une rare honnêteté [24].

·       Le temps d’entendre se présente sous trois aspects : l’un consiste à suivre l’objet dans sa durée, comme un mobile en mouvement dont la position est évaluée à chaque instant. L’autre consiste à percevoir une forme générale de l’objet dans un écran temporel de mémorisation optimale. Le troisième consiste à reporter cette forme sur l’instant initial par une perception qualifiée de l’attaque.

·       Les structures de l’œuvre sont-elles réellement perçues ou perceptibles ? (494)

Il tente de penser l’audition comme une perception…

·       Nous constatons un divorce entre ce qu’on a voulu écrire et ce que nous avons su entendre. (614)

Cf. appui sur le divorce sériel écriture-perception pour abandonner l’écriture musicale [25].

Son espace de travail :

·       Les objets sonores, les structures musicales (662)

+ la phénoménologie (comme condition non musicale)

Écoute réduite de l’acousmatique ? Voir sa propre catégorisation de l’activité auditive :

·       Écouter = prêter l’oreille, s’intéresser à (cf. viser la source) º regarder

·       Ouïr = percevoir par l’oreille (cf. logique passive) º voir

·       Entendre = tendre vers, (soit avoir une intention : cf. logique active) º apercevoir

·       Comprendre = prendre avec soi, saisir le sens.

En deux mots : il s’agit pour lui de détacher le son entendu de sa source, de traiter le son en chose en soi constituable par l’oreille en objet sonore. L’impasse de son approche est alors qu’on ne saurait passer — transiter — de l’objet sonore à l’objet musical et qu’à ainsi caractériser le travail de l’oreille, on n’atteint jamais la musique mais bien plutôt ce qu’un Michel Chion a appelé un nouvel art : « l’art des sons fixés ».

À mon sens, l’écoute musicale, tout au contraire, prend au sérieux le fait que le son musical n’est qu’une trace, trace d’un corps à corps, et que l’écouter suppose qu’il est possible, dans certaines conditions — nous verrons lesquelles lors des cours n° 4 et 5 —, de se tenir dans l’interstice situé entre la trace et ce dont elle est trace…

André Boucourechliev

Chez ce compositeur [26], la matière est assez abondante.

— Commençons par la perception (pour un compositeur sériel, celle-ci a une grande importance face à l’écriture) :

·       La perception de qui écoute est le plus fin instrument de mesure du non-mesurable qui soit. (25 [27])

·       La perception fait beaucoup moins d’analyses que de synthèses. (35 [28])

Remarque pertinente : la perception fait une synthèse, celle de l’objet sonore auquel elle se rapporte, qu’elle institue comme objet.

Ensuite

·       Auditeur, je me réincarne moi-même en Chopin, l’instant d’une écoute, et ainsi me constitue sujet (11 [29])

Thème central de Boucourechliev : l’écoute subjective, c’est-à-dire active un sujet, constitue le sujet auditeur. Et l’écoute vit « un instant » : elle ne dispose pas de la stabilité d’une audition.

·       Tel fragment préféré, tel thème et rythme de Chopin (de Schubert, de Beethoven, de Mahler), ceux qui émergent, repérables dans les écoutes antérieures, vivent en l’auditeur, parfois des années durant, en une région de mémoire et d’oubli, comme autant d’états ultimes de cet obscur labeur. La nouvelle écoute brusquement les appelle, les réveille, et ils surgissent, là, tels qu’ils sont devenus… (26 [30])

Évocation de moments-faveurs : l’écoute s’active non d’un rapport totalisateur à une œuvre mais de certains moments qui brûlent la mémoire.

·       L’écoute […] doit traverser ce qui apparaît comme un obstacle plutôt que comme un apport. (72 [31])

L’écoute se fraie un chemin parmi un maquis sonore. L’écoute n’enveloppe pas (on verra que c’est plutôt le fait de la compréhension) mais traverse, suivant le fil ténu d’une piste (comme disait plus haut Schumann).

·       Si les textes de la sonate accusent l’étrangeté des parties qui la composent, et que néanmoins la sonate existe et triomphe dans le concert universel, c’est qu’il y a, me semble-t-il, outre la puissance formatrice de l’interprète qui sait combler les déchirures (ou, du moins, nous en donner l’illusion), un autre facteur qui lui confère son unité, qui, par-delà ces déchirures, la recompose et lui attribue un statut d’œuvre. Il n’est pas dans les textes, mais en nous-mêmes : c’est notre écoute. Ambiguë est cette écoute, amalgame « impur », charriant le désir et l’indifférence, la riposte et la soumission, l’action et la passivité. Il y a dans chaque écoute, et chez tout auditeur — me dis-je — autant de volonté d’intervention que de consentement, et c’est dans cette ambiguïté que nous faisons face à l’œuvre. (24 [32])

·       Toute écoute digne de ce nom est active, écrivais-je à propos de Beethoven dans mon précédent ouvrage : « Écouter n’est pas subir, mais agir. » Cette affirmation ne m’apparaît qu’en partie vraie aujourd’hui. On écoute « comme ça vous chante », et viva la libertà. (155 [33])

·       L’auditeur comme agent principal de l’unité (9 [34])…

·       Les destinataires […] sont, littéralement et en dernière instance, les facteurs de cette unité. L’interprète y agit de façon décisive et, souverainement, l’auditeur : entendre une œuvre, c’est la faire. (21 [35])

·       L’unité, c’est vous. (188 [36])

Thème lancinant de Boucourechliev : l’écoute a pour cible l’unité de l’œuvre — une œuvre fait un par l’écoute et non pas par l’écriture — et cette unité n’est pas toute donnée à l’auditeur : c’est lui qui la constitue, qui l’invente.

De quel type est cette unité ? Le point me semble ici plus discutable : l’écoute pour Boucourechliev est un opérateur de synthèse, mais il ne relève pas pour autant d’une totalisation (audition), ni d’un enveloppement (compréhension) ; comme de plus il se fait dans le temps (à rebours de l’ouïe qui conçoit la Forme comme hors-temps), cet opérateur peut être légitimement tenu comme relevant de l’écoute. Le problème que Boucourechliev nous lègue ici sera de savoir de quelle manière particulière le travail de l’écoute est-il bien une synthèse temporelle…

Dernière notation :

·       La grâce est rare, rarissime. (16 [37])

Soit la rareté d’une écoute qui peut, en effet, s’indexer de la grâce, ou de la faveur…

Helmut Lachenmann [38]

Quelques remarques générales d’abord, auxquelles je m’accorde.

·       La musique nouvelle devrait signifier foncièrement une ‘menace’ pour l’oreille.

·       À la fin de l’écoute d’une œuvre, l’auditeur devrait être devenu quelqu’un d’autre. Cela vaut naturellement pour le compositeur le tout premier.

·       Malheur au compositeur qui ne se fie qu’à sa raison. […] Un compositeur qui sait exactement ce qu’il veut ne veut que ce qu’il sait.

Sur l’écoute maintenant, quelques pistes prélevées dans un seul de ses articles :

·       [Dans la] pratique de ‘déconstruction’ du son, qui aboutit à des possibilités insoupçonnées, le fait décisif n’est pas le plaisir du botaniste qui découvre des sons inouïs, mais la possibilité de réorienter la perception auditive grâce à un contexte modifié.

·       Chaque son, chaque bruit, déformé ou non, familier ou insolite, tire son sens musical unique du contexte édifié.

·       Pour moi, la forme est un aspect du son projeté dans le temps, une sorte d’arpège d’une situation sonore statique et/ou dynamique.

·       Ma technique de composition a pour but fondamental d’organiser une ‘spectacle sonore’ avec toutes les variantes possibles […] L’emploi du texte de Léonard permet naturellement de se représenter intérieurement des spectacles naturels qui illustrent l’écoute et peut-être la facilitent.

Cf. le Samedi d’Entretemps qui a été consacré au beau livre de Martin Kaltenecker : il s’agit de déconstruire (« Pour moi, composer signifie toujours déconstruire d’une autre manière, mais aussi construire, stipuler des contextes nouveaux pour les éléments ainsi libérés »), en particulier l’autonomie du monde de la musique. D’où une écoute qui doit traverser la musique par déconstruction de l’instrument.

Le point d’écart pour moi porte sur son refus du son musical comme trace. En ce sens, Lachenmann s’apparente à Schaeffer, en une posture symétrique de l’écoute réduite acousmaticienne : il ne s’agit plus pour Lachenmann de couper le son de son origine instrumentale mais à l’inverse de davantage coupler le son à son origine (instrumentale) : le son musical doit rester attaché au jeu instrumental car s’en détacher serait le condamner à l’académisme du son « symphonique »…

Tout ceci nous rend sensible à l’importance du lien musical entre écoute et jeu instrumental (cf. 4° cours), Schaeffer récusant comme Lachenmann la figure en trace sonore de ce lien, Schaeffer en invalidant l’origine instrumentale, Lachenmann en collant sans vide intersticiel le son musical à son origine instrumentale.

Xenakis

Il faudrait aussi parler de Xenakis… Sa vision de la Forme comme hors-temps consonne plutôt avec ce que j’appellerai « ouïe » (cf. cours n° 7)

II.2.b.  Autres problématiques

Relevons, en dehors de la verbalisation musicienne, quelques autres problématiques sur l’écoute musicale.

Problématique sociologique d’Adorno

Problématique sociologique de l’auditeur de musique [39]… Ce n’est pas le meilleur de son œuvre !

Cf. prendre plutôt Adorno comme philosophe, dans la force constituante de sa philosophie (Théorie esthétique mais surtout Dialectique négative), et partir de là pour évaluer sa contribution musicographique, qui n’est pas musicologique [40].

Ses différents types d’auditeurs :

·       L’auditeur-expert dont l’écoute est déclarée « parfaitement adéquate » [41] !

·       Le bon auditeur qui sait « entendre au-delà du détail musical » [42].

·       Le consommateur de culture dont « la structure d’écoute est atomistique » [43].

·       L’auditeur émotionnel ensuite,

·       L’auditeur de ressentiment,

·       Et enfin l’indifférent à la musique.

Vous comprendrez, à lire ce catalogue assez disparate, qu’on se situe ici dans un espace qui ne nous concerne plus guère.

Remarquons simplement que « l’auditeur-expert » qu’Adorno exalte se situe au plus loin d’une écoute puisque sa qualité première est l’adéquation à la chose musicale, et l’on sait combien le critère de l’adéquation de la représentation à la chose représentée, s’il relève bien d’une véridicité, est étranger à une problématique moderne de la vérité. Autant dire que l’auditeur-expert d’Adorno est un savant auditionnant l’adéquation d’une réalisation sonore. Rien là qui mérite le beau nom d’écoute…

Il faudrait s’interroger pour mieux comprendre comment le philosophe de la dialectique négative peut s’embourber dans ce type de classification sociologique…

Antoine Hennion

Problématique socio-historique de l’amateur…

Problématique sémiotique de Roland Barthes [44]

Problématique sémiotique de l’écoute. Il s’agit bien ici d’écoute. Cf.

·       Écouter n’est pas entendre. Entendre est un phénomène physiologique ; écouter est un acte psychologique.

·       L’écoute ne peut se définir que par son objet, ou, si l’on préfère, sa visée. (217)

·       Aucune loi n’est en mesure de contraindre notre écoute : la liberté d’écoute est aussi nécessaire que la liberté de parole.

·       L’écoute, cette notion apparemment modeste : l’écoute ne figure pas dans les encyclopédies passées, elle n’appartient à aucune discipline reconnue. (230)

L’activité d’écouter pointe un projet, non un savoir.

D’où trois types d’écoute.

·       Selon la première écoute, l’être vivant tend son audition vers des indices ; rien, à ce niveau, ne distingue l’animal de l’homme. Cette première écoute est une alerte. L’oreille semble être ici faite pour la capture de l’indice qui passe. La première écoute transforme le bruit en indice.

·       La seconde est un déchiffrement ; ce qu’on essaye de capter par l’oreille, ce sont des signes ; ici, sans doute, l’homme commence. L’écoute est liée à une herméneutique : écouter, c’est se mettre en posture de décoder. La communication est ici religieuse. Écouter est le verbe évangélique par excellence : c’est à l’écoute de la parole divine que se ramène la foi, car c’est par cette écoute que l’homme est relié à Dieu : la Réforme s’est faite en grande partie au nom de l’écoute : le temple protestant est exclusivement un lieu d’écoute. Cette seconde écoute est déchiffreuse : elle intentionnalise le secret. L’écoute cherche alors à déchiffrer. L’écoute est aussi ce qui sonde. Cette seconde écoute métamorphose l’homme en sujet duel : l’interpellation conduit à une interlocution. L’écoute parle.

·       Enfin la troisième écoute, dont l’approche est toute moderne, vise qui parle, qui émet : elle est censée se développer dans un espace intersubjectif ; ce dont elle s’empare, c’est une « signifiance » générale, qui n’est plus concevable sans la détermination de l’inconscient. Écouter, c’est vouloir entendre. Dans la troisième écoute, ce qui est écouté, ce n’est pas la venue d’un signifié, c’est la dispersion même, le miroitement de signifiants. Ce phénomène de miroitement s’appelle la signifiance (distincte de la signification).

Ici, il nous est plus difficile de nous situer : Barthes quitte le terrain de l’écoute musicale pour prendre plutôt pour modèle l’écoute signifiante. Cf. théorie sémiotique (indices, signes, signifiance) d’une écoute non musicale.

Problématique psychoacousticienne

Perception…

Donnons-en deux exemples.

R. Francès [45]

·       Il y a une perception musicale qui n’a que peu en commun avec l’audition. C’est à elle que nous consacrons nos efforts. (8)

Lucidité : perception et audition. Et l’écoute se joue encore ailleurs.

·       Le développement actuellement atteint par les techniques d’analyse et de mesure dans les sciences de la nature et dans les sciences de l’homme peut légitimement donner de grands espoirs à l’étude de l’art. Il y a un intérêt majeur pour l’esthéticien à appuyer sur des données positives certaines démarches de la réflexion. (10)

Cf. approche positiviste de la perception, dominante en psychoacoustique…

·       Capacité d’assimiler au thème ce qui en découle réellement et de le différencier de ce qui lui est étranger (245)

Percevoir = assimiler et différencier (cf. logique du même et de l’autre dans les objets présentés)

·       La perception totale ne saurait être confondue avec l’enregistrement mécanique du flux d’information. […] De la richesse des éléments sensoriels, l’auditeur qui cherche à comprendre l’unité de l’ensemble abandonne une partie. L’intégration de la forme ne peut pas être une réintégration, mais une dialectique active et abstrayante. […] La perception totale est faite de ruptures temporaires du perçu destinées à faire émerger des relations dont les termes ne les laissent pas immédiatement apercevoir. (247-248)

Ce qu’il appelle ici « perception totale », c’est ce que j’appelle « audition »…

Suit une problématique des points de condensation qu’il sera intéressant de confronter à notre problématique des moments-faveurs :

·       Les progrès survenant dans les actes perceptifs élémentaires aboutissent à ce que nous appelons la condensation de la figure mélodique recherchée dans une polyphonie. […] Nous appellerons point de condensation l’instant du déroulement où s’effectue la reconnaissance, par suite de la sommation des éléments antécédents. (229)

Cf. logique de perception comme reconnaissance de l’identité d’un objet musical (ici un thème de fugue). Cette logique est « positiviste » : elle est empiriquement vérifiable. Cette perception procède d’un « progrès », c’est-à-dire d’une accumulation ou « sommation » d’éléments.

·       La reconnaissance mélodique est un processus discontinu et cumulatif. L’identification du thème se produit brusquement, à un moment de son déroulement que l’on peut appeler point de condensation. (234)

Perception : reconnaissance de l’identité d’un objet, qui procède par saut…

·       La formation du point de condensation est un processus cumulatif fondé sur le déroulement des notes du thème mais aussi sur la fréquence des trajets que l’auditeur est capable d’effectuer dans l’inspection de la polyphonie. (246)

La perception comme inspection…

·       Il y a dans l’audition d’une œuvre thématique une certaine discontinuité de la tension psychologique : certains moments-clés nous occupent entièrement. (247)

Attention : ces moments de l’audition ne sont pas les points de condensation qui, eux, relèvent de l’audition. Cf. Francès distingue bien perception et audition (cf. page 8).

Michel Imberty [46]

·       La forme musicale est identifiée à travers un ensemble de conduites perceptives de décodage. (XII)

Perception !

·       La disponibilité d’écoute, note à note, reconstituera le sens inconscient projeté par le compositeur. (36)

L’écoute conçue « note à note » c’est-à-dire comme audition (cf. 1° temps de l’audition : compter les éléments du tout à intégrer).

·       L’opération de segmentation du flux musical dégage une structure sous forme de hiérarchie. (85)

Opération auditive ou perceptive, qui n’est pas d’écoute.

·       L’œuvre est fondamentalement ce que Husserl appelle un « objet intentionnel », c’est-à-dire un objet qui ne se donne pas d’abord sur le mode d’une existence physique, vérité de fait à connaître, mais sur le mode de la valeur, vérité de sens, par l’intention qu’il manifeste et la visée subjective qu’il appelle. L’œuvre, objet intentionnel, appelle l’investissement affectif, intellectuel, moral ou esthétique qui substitue à la réalité extérieure l’omniprésence du sujet dans l’acte que commande en lui l’objet. (33)

Encombrement de la dialectique sujet-objet lié à cette tutelle générale de la phénoménologie sur l’intellectualité musicale de l’après-guerre…

·       Points de condensation dans la macrostructure. (104…)

La reconnaissance d’un thème est toujours un « processus discontinu et cumulatif. L’identification du thème se produit brusquement, à un moment de son déroulement que l’on peut appeler point de condensation ». Or pour Imberty ce phénomène peut être transposé à la structuration d’ensemble d’une pièce, au moins lorsque celle-ci n’excède pas quelques minutes d’audition. Il y a donc un moment privilégiébrusquement, la totalité prend un sens, c’est-à-dire un moment où l’auditeur, de manière inconsciente ou implicite, pressent le schéma général temporel, la direction essentielle, le but vers lequel le compositeur le conduit. C’est ce moment qui, pour Imberty, conditionne la perception de tous les événements sonores qui vont suivre, mais, rétroactivement, tisse un lien avec ceux qui viennent de s’écouler. Ainsi, comme le dit Francès, « le point de condensation coïncide avec la fermeture anticipée de la totalité en devenir ».

Il y a ici une sorte de mimétique en audition de ce que je poserai en écoute, le point de condensation prenant la place du moment-faveur

L’esthésique de la « tripartition »

Cf. origine dans la théorie de l’information. Aucun des 5 modes de l’entendre n’est une réception proprement dite, pas même la perception.

Peter Szendy

Problématique psychologisante (et pas psychoacousticienne) dont l’enjeu est la subjectivité du musicologue, non une théorie de l’écoute. Livre au cœur du tourment : « qu’est-ce qu’un musicologue ? ». La réponse de Peter Szendy est d’ailleurs de se dire musicographe plutôt que musicologue. Cf. Samedi d’Entretemps.

III.       Les cinq modalités de l’« entendre la musique »

Au total, entendre la musique ne se dira pas en un seul sens, empiriquement attestable. Entendre la musique se dira en 5 sens, qui concernent cependant tous le sens auditif.

III.1.      Percevoir (un objet)

Le verbe percevoir a pour corrélat un objet : on perçoit un objet.

Percevoir, c’est identifier un objet. En ce sens, c’est objectiver une chose. C’est la repérer, en saisir les contours globaux, la distinguer du fond sur lequel elle se découpe, pouvoir la nommer, savoir la reconnaître…

Percevoir, c’est particulariser une chose au point de lui donner identité individuelle d’objet.

La perception appréhende des objets : elle discerne, découpe, isole, identifie et ultimement nomme des objets musicaux (des accords, des motifs mélodiques ou rythmiques, des timbres…) [47]. La perception est structurée par un désir d’objet. Elle engage la dualité psychologisante d’un sujet percevant et d’un objet perçu.

On perçoit un accord quand on sait le découper dans un tissu sonore, le distinguer d’un autre, potentiellement le reconnaître s’il réapparaît, etc.

On perçoit une voix dans une polyphonie quand on sait la discerner de l’enchevêtrement général, la séparer de ses voisines, l’isoler de son contexte, etc.

III.2.      Auditionner (une pièce)

Le verbe auditionner a pour corrélat une pièce : on auditionne une pièce. L’audition met en jeu la dualité du musicien et de la pièce.

L’audition prend en charge la question de l’unité totale d’une œuvre et se propose de l’édifier « au fil du temps ». Son désir propre est celui d’un possible « tout » de l’œuvre, de sa Forme comme totalisation.

Auditionner, c’est intégrer une pièce de musique. C’est vérifier tous ses éléments — les compter (« note à note », dit Imberty) et contrôler leur adéquation (cf. travail de l’expert pour Adorno) sonore au texte : c’est le « bien entendre » et le « remarquer chaque défaut » de Chopin — puis en faire la somme pour réélaborer le tout de la pièce examinée, pour la totaliser.

De même alors qu’on peut mathématiquement distinguer trois types d’intégrale (Riemann, Lebesgue, Kurzweil-Henstock), de même on pourra distinguer trois types d’audition (voir schémas sur feuille spéciale) :

— une audition naïve [48],

— une audition perceptive (qui noue perception locale et audition globale [49]),

— une audition réflexive [50];

Ces trois auditions peuvent alors s’enchaîner, doivent même s’enchaîner car on soutiendra que musicalement la troisième audition est la bonne [51].

III.3.      Comprendre (un morceau)

Le verbe comprendre a pour corrélat un morceau : on comprend un morceau.

Comprendre = envelopper. Cela relève plus d’un ordre global que total.

On comprend un morceau quand on peut le prendre avec soi, « en un large point de vue » dirait Schumann. Il ne s’agit pas ici de l’avoir éprouvé de l’intérieur mais plutôt de pouvoir l’appréhender globalement de l’extérieur, en résumant son parcours par exemple, en saisissant d’un geste son architecture.

III.4.      Ouïr (un schéma)

Le verbe ouïr a pour corrélat un schéma : on oit un schéma.

Cf. le 7° cours : l’idée directrice est de suivre le déroulement temporel comme étant une paramétrisation d’un schéma spatial. Cf. Xenakis, mais pas seulement.

III.5.      Écouter (la musique à l’œuvre)

Le verbe écouter a un double corrélat : l’œuvre et la musique ; posons, en première approximation, qu’on écoute la musique à l’œuvre. On verra dans le 5° cours qu’on écoute l’œuvre écoutant la musique…

L’écoute « traverse » (Boucourechliev), suit une piste qu’il ne faut pas perdre (Schumann).

Rappel : deux cas particuliers

Compléter par

Audition intérieure

Ici, pas de présence sonore. Donc il s’agit là d’imagination : le sens auditif n’est pas requis pour affiner (cf. Schumann) cette « audition » : Beethoven, devenu sourd, gardait la même audition intérieure.

Écoute réduite acousmatique

Cf. ce que j’en ai dit à propos de Schaeffer. On y reviendra (4° cours) à propos du corps à corps instrumental.

IV.       Axiomatique négative : ce que l’écoute musicale n’est pas

Les opérations de perception et d’audition ont trois traits communs :

• D’abord ce sont des opérations d’objectivation : il s’agit pour l’oreille de se situer face à un matériau sonore en sorte de lui fixer une découpe, de le doter d’une consistance : consistance essentiellement parcellaire dans la perception [52], consistance plus totalisante dans l’audition.

• Ensuite ces opérations mettent en jeu de manière cruciale des savoirs : savoir discerner, savoir trier, savoir juger, savoir récollecter, savoir intégrer. Il est clair qu’on n’intègre pas un Klavierstück de Stockhausen comme on le fait pour une sonate de Scarlatti [53]. Un savoir est requis pour exercer à bon escient ces activités de sélection. D’où, comme le propose Adorno, qu’il y a sens ici à différencier les auditeurs selon la nature et l’étendue de leurs savoirs.

• Enfin, la perception comme l’audition sont répétables à volonté : il est toujours possible de percevoir et d’auditionner une pièce (pour peu que l’individu musicien qui agit ici dispose du savoir nécessaire). Ces opérations ne supposent pas de conditions musicales particulières du côté de la pièce : on peut percevoir et auditionner une bonne comme une mauvaise pièce (cf. le travail du jury pour une classe de composition), une bonne comme une mauvaise interprétation (cf. le travail du jury pour les classes instrumentales).

Perception et audition ont ainsi en commun de procéder à une objectivation, de requérir des savoirs, et d’être répétables ad libitum.

IV.1.       L’écoute musicale n’est pas une objectivation

L’écoute n’est pas un rapport à un objet.

IV.1.a.       L’écoute musicale est sans objet.

S’il fallait le dire en termes philosophiques, on dirait ceci : l’écoute relève d’un sujet sans objet [54].

IV.2.       L’écoute musicale n’est pas une identification.

L’écoute musicale n’est pas une perception.

IV.3.       L’écoute musicale n’est pas une totalisation.

Elle n’intègre pas. Elle ne se soucie pas de l’œuvre comme tout. Cf. elle aura rapport au global, et non pas au total.

L’écoute musicale n’est pas une audition.

IV.4.       L’écoute musicale n’est pas un enveloppement.

L’écoute aura bien rapport au global de l’œuvre mais via sa traversée intérieure, non son enveloppement exogène.

L’écoute musicale n’est pas une compréhension.

IV.5.       L’écoute musicale ne procède pas par segmentation.

En ce sens, elle ne procède pas comme la perception, ni comme l’audition… On verra que l’écoute est création d’une continuité, par traversée d’un ensemble fragmenté [55]

IV.6.       L’écoute musicale ne représente pas.

Écouter n’est pas représenter. Écouter ne consiste pas à représenter un rapport qui ne l’aurait pas été.

Représenter en musique, c’est l’affaire de l’écriture, plus généralement de la partition.

Ouïr, c’est représenter.

L’écoute musicale n’est pas une ouïe.

IV.7.       L’écoute musicale ne relève pas de savoirs

L’écoute n’est pas une figure du savoir et ce de deux manières :

IV.7.a.       L’écoute musicale n’est pas transmission et réception de savoirs.

Il ne s’agit pas d’abord d’écouter des savoirs. Un savoir ne s’écoute pas. Il se reçoit, il se comprend, il se transmet. Il se communique. Mais l’écoute n’a rien à voir avec la communication, ni avec l’émission, ni avec la réception.

IV.7.b.       Il n’y a pas de savoir écouter musicalement.

L’écoute ne convoque pas, en première ligne du moins, de savoirs particuliers. L’écoute n’est pas subordonnée à l’exercice de savoirs préconstitués. Il n’y a pas à proprement parler de savoir écouter [56]. Il n’y a qu’un savoir des conditions requises pour l’écoute (par exemple savoir qu’il faut une attention flottante pour pouvoir espérer arriver à écouter).

IV.8.       L’écoute musicale ne se répète pas.

L’écoute n’est nullement assurée de pouvoir se répéter. Ce trait absolument essentiel est l’envers d’un atout caractéristique de l’écoute : son existence est subordonnée au fait qu’il se passe quelque chose en cours d’œuvre. Par là, l’écoute s’avère sous condition d’un aléa : cela peut réussir ou cela peut rater.

IV.9.       L’écoute musicale n’est pas garantie.

L’audition l’est. La perception peut l’être…

L’écoute n’est pas stable

IV.10.    L’écoute musicale ne se joue pas à deux

Cf. dualité de la perception, de l’audition, de la compréhension, et de l’ouïe.

L’écoute, elle, se joue à trois (l’écouteur, l’œuvre et la musique) plutôt qu’à deux (cf. 5° cours : le taquin…). Cette relation ternaire n’est ni réflexive, ni symétrique, ni non plus transitive.

IV.10.a.     L’écoute musicale n’est pas réflexive.

Ce n’est pas une relation de soi à soi.

IV.10.b.    L’écoute musicale n’est pas symétrique.

Il ne s’agit nullement d’écouter qui vous écoute.

IV.10.c.     L’écoute musicale n’est pas transitive.

Il ne s’agit pas d’arriver à écouter ce qu’est en train d’écouter celui que vous écoutez.

IV.11.    L’écoute musicale n’est pas un rapport constitué.

On dira que l’écoute est un rapport constituant, c’est-à-dire instituant les termes même qu’elle rapporte.

En ce sens, on peut dire de l’écoute qu’elle est dialectique (« un se divise en deux »…).

IV.12.    L’écoute ne relie pas les individus.

Cf. Liszt : l’écoute isole les individus non-solitaires et rassemblés ; elle écoute chacun au milieu de tous, de la foule…

V.  Les deux dernières œuvres de notre corpus

V.1.  Structures 2 de Boulez

Fin du second livre de Structures de Pierre Boulez [57].

Ce qui est ici saisissant, c’est l’irruption d’une rage, l’emport d’une énergie brute, la sauvagerie d’un martèlement venant confondre toutes les subtiles distinctions antérieurement disposées [58]. Ce qui était jusque-là soigneusement ouvragé, distribué en structures attentivement réparties plonge d’un coup dans l’indistinction d’une colère noire, d’une violente tempête. Ce qui se passe ici est l’apparition à nu d’une faculté de l’œuvre jusque-là inconnue : certes l’aptitude à cette sourde violence pouvait être devinée précédemment dans l’astreinte persévérante des calculs, derrière la contention méticuleuse de l’excès, mais elle n’était pas présentée comme telle. En ce moment où le discours musical bascule dans l’ultra-grave du piano [59], les contraintes antérieures explosent pour exposer crûment l’intension qui jusque-là œuvrait sourdement.

V.2.  Duelle

Fin de X : un instrument (le violon) « parle »

Milieu de VII : une voix parlée (poème en allemand : Celan) est « musicalisée »

VI.       Prochaine séance (18 décembre) : Confrontations externes — les écoutes non musicales

Ou historicité (conditions non musicales de possibilité) de cette théorie de l’écoute musicale

 

— Les écoutes non musicales

·       dans la psychanalyse :

o           l’écoute flottante freudienne,

o           la pulsion invocante lacanienne ;

·       dans la théologie chrétienne :

o           l’écoute fidèle de la prédication (fides ex auditu) ;

o           écoute et prière ;

·       dans la littérature : la lecture comme écoute…

·       dans la philosophie…

 

— Caractéristiques différentielles de l’écoute musicale par rapport à ces « autres » écoutes.

 

Analyse des moments-faveurs dans la 40° de Mozart et la 2° de Brahms

––––––



[1] Voir ce qu’Alain Badiou dit du forcing mathématiquement inventé par Paul Cohen…

[2] Quand il joue, compose, improvise, ou  écoute de la musique, le musicien participe de la pensée musicale à l’œuvre, sans pour autant la verbaliser.

[3] Ainsi une œuvre non seulement prolonge une trajectoire de pensée établie par d’autres œuvres — en ce sens l’œuvre, calculant la dérivée au point où elle advient pour prendre le relai, pense la trajectoire,— mais infléchissant également cette trajectoire et, en ce sens, pensant la modification de la dérivée, elle pense aussi la pensée qu’elle est.

[4] Antoine Hennion : « Le XX° siècle a fait de la musique l’objet d’une écoute, et inventé l’auditeur. Mais avant cela, il a fallu dégager la musique de ses fonctions […]. C’est ce qua fait le XIX° siècle. » Séminaire CDMC 2003-2004, argumentaire de la séance du 25 novembre

[5] Cf. le défi que je me donne sur France-Culture le samedi 13 décembre à minuit (Nocturnes, émission de Danièle Cohen-Lévinas).

[6] Je n’inclus pas les musicologues dans cette catégorie : cf. le colloque l’année prochaine : « Qu’est-ce qu’un musicologue ? », en particulier quelle est sa subjectivité propre ?

[7] Sur les musiciens

[8] Lettres, p. 113

[9] Les soirées de l’orchestre

[10] 2° soirée

[11] Chopin vu par ses élèves

[12] Artiste et société

[13] Beethoven

[14] Journal de ma vie musicale

[15] Souvenirs de Gustav Mahler (Natalie Bauer-Lechner) Mahleriana

[16] J.-S. Bach, le musicien-poète

[17] D’autres possibilités d’écoute (Dissonance, n° 60 — mai 1999)

[18] Musique et acoustique (Cahiers de la Compagnie Renaud-Barrault. Julliard 1954)

[19] Donner à entendre (Cahiers Renaud-Barrault, 1954)

[20] Rappelons : il ne s’agit pas ici de recension encyclopédique, seulement de quelques recensions stimulantes.

[21] Poésies

[22] La Musique et l’Ineffable (1961)

[23] Traité des objets musicaux

[24] « Il est probable que la recherche de ce que nous pourrions appeler la pierre philosophale des nouvelles musiques, ne s’effectuera pas selon cette méthode analytique. Nous pensons que le présent traité propose, dans ce sens, d’aller aussi loin que possible, mais qu’il serait imprudent, et sans doute insensé, de vouloir atteindre directement les structures authentiquement musicales par ce chemin. […] Le solfège n’est pas encore la musique. » (487-488)

[25] Donc le monde de la musique s’il est vrai que cette écriture est son transcendantal…

[26] qui, comme moi, a exercé l’activité de professeur associé dans l’enseignement supérieur

[27] Regard sur Chopin

[28] Le langage musical

[29] Regard sur Chopin

[30] Regard sur Chopin

[31] Debussy, la révolution subtile

[32] Essai sur Beethoven

[33] Essai sur Beethoven

[34] Dire la musique

[35] Dire la musique

[36] Dire la musique

[37] Regard sur Chopin

[38] La musique, une « menace » pour l’oreille (Dissonance, n° 60 — mai 1999)

[39] Introduction à la sociologie de la musique – chapitre Types d’aptitude musicale

[40] Cf. Séminaire Musique et philosophie l’année prochaine.

[41] p. 10

[42] p. 11

[43] p. 12

[44] L’obvie et l’obtus : chapitre Écoute

[45] La perception de la musique (Vrin, 1958)

[46] Les écritures du temps (Dunod, 1981)

[47] De ce point de vue, la catégorie musicale de perception s’apparente plutôt au concept philosophique d’aperception.

[48] Cf. intégrale de Riemann

[49] Cf. intégrale de Lebesgue

[50] Cf. intégrale de Kurzweil-Henstock

[51] Cf. l’article du même nom dans Musicæ Scientæ n° 2 (1997)

[52] Il s’agit de donner Gestalt ou design à une partie délimitée du matériau.

[53] D’une part, on ne discerne pas chez Stockhausen un objet, une structure par exemple, comme on identifie un motif thématique chez Scarlatti ; et d’autre part on n’apprécie pas musicalement de la même manière les transformations de ces objets chez l’un et chez l’autre.

[54] Cf. Alain Badiou, bien sûr.

[55] Cf. l’image de Mandelstam du passeur d’un fleuve encombré de jonques : il ne sert à rien de reconstituer le parcours ; si on veut retraverser le fleuve, il faudra miser sur une nouvelle énergie apte à réinventer sur le coup le bon enchaînement des sauts

[56] Écouter n’est pas exactement une activité qu’on puisse savoir pratiquer.

[57] Voir le départ du premier piano (page 67 ou 70) pour la Deuxième pièce.

[58] de hauteurs, de registres, de durées, de dynamiques…

[59] Au sens strict, le moment-faveur est limité au moment même du plongeon, ce qui le suit — la longue stase colérique dans le bas du clavier — n’étant plutôt qu’« un beau passage »…



[a] Cf. généalogie (antécédents) et archéologie (conditions musicales de possibilité) de cette théorie de l’écoute musicale.