De l’adjonction dans le projet théâtre-cinéma-musique « Douze » ?

(Propositions pour l’atelier mamuphi du 17 novembre 2018)

 

- François Nicolas -

 

Un enjeu

Un enjeu de notre projet [théâtre (Marie-José Malis) – cinéma (Rudolf di Stefano) – musique (François Nicolas) [1]] sur le poème Douze d’Alexandre Blok me semble d’adjoindre trois types de discours [2] :

-       un discours lingual,

-       un discours musical,

-       un discours visuel.

 

Nous pourrions disposer pour cela de deux opérateurs formels en partage :

-       le poème (et son faisceau de quatre langues : russe, français, allemand, anglais) ;

-       la Timée (comme polarisation sonore commune de l’espace scénique partagé).

Adjoindre ?

Adjoindre n’est pas

-       ajouter (comme on ajoute un plan : premier plan, fond musical, etc.) ;

-       mixer (comme le fait l’art « contemporain » de la performance ou de l’installation…) ;

-       totaliser (comme l’ambitionne l’œuvre d’art « total », tel un certain type d’opéra, de cinéma [3] ou de théâtre [4])

Adjoindre se caractérise (au moins) par trois traits :

1.     il y a apport d’un élément hétérogène : un élément d’une espèce différente dans un même genre (par exemple – voir point suivant - une espèce différente de même genre numérique)  ;

2.     cet élément n’est pas simplement ajouté, juxtaposé mais il vient se composer avec chacun des éléments de la situation de départ en sorte de produire des éléments de type nouveau car de type composite :

·      exemple des nombres de différentes espèces : p+q√2 (où p et q sont des nombres rationnels) ou x+i.y (où x et y sont des nombres réels et « i » un nombre « imaginaire ») ;

·      exemple de la « mosquéedrale » de Cordoue (espèces différentes dans le même genre des édifices religieux) [5] ;

3.     au total, il y a une extension (changement de dimensions) de la situation de départ qui s’en trouve révolutionnée (c’est-à-dire radicalement et globalement bouleversée).

Le Cinéma

Le cinéma est de nos trois arts celui qui a sans doute le plus expérimenté cette figure de l’adjonction, via une certaine figure du montage (lequel cependant peut tout aussi bien nommer le fait d’ajouter, de mixer, de totaliser ou d’adjoindre).

Exemples cinématographiques

Adjonction

En matière de « scenario » ou d’histoire racontée, le film Théorème de Pasolini illustre comment l’apport d’un étranger (l’ange jouée par Terence Stramp) se transforme en adjonction par combinaison (ici sexuée) avec chacun des membres de la famille (les cinq : père, mère, fils, fille et servante [6]) ce qui va en effet révolutionner la situation.

« Choses composites »

Exemples de moments « composites » [7] produits par le cinéma :

§  une musique-femme :

-        La jeune Marie + « Sometimes I feel like a motherless child » chanté par Odetta [8] (L’Évangile selon St Matthieu de Pasolini) ;

-        Magda Schneider + « Schwesterlein » de Brahms (Libelei de Max Ophuls) [9] ;

-        Delphine Seyrig + la voix colorature de la musique de Henze (Muriel de Resnais)…

Ici, l’adjonction produit une femme-index d’une infinité, une femme-témoin d’une grandeur…

§  un collectif populaire :

-        le chœur des pécheurs avant le sermon d’Orson Wells (Moby Dick de John Huston) [10] ;

-        examiner l’existence de tels moments composites dans Odyssée seconde (Sol Suffern-Quino et Rudol di Stefano).

Ici, l’adjonction produit un collectif-index d’un peuple, un collectif-témoin d’une puissance générique…

 

***



[1] Voir séminaire mamuphi, 13 octobre 2018

[2] Si l’adjonction concerne bien (comme on va y revenir) différentes espèces d’un même genre, notre adjonction concernerait différents types de discours plutôt que différents types d’arts en sorte que chacun de nos trois arts se singularise alors par une manière – proprement théâtrale, cinématographique ou musicale – d’adjoindre les différentes espèces de discursivité.

[3] Les films d’Eisenstein seraient à revoir sous cet angle : s’agit-il bien ici d’art total ? Le montage, parfois, ne relèverait-il pas plutôt d’une adjonction ?

[4] Cf. celui d’Ariane Mnouchkine ?

[5] https://www.youtube.com/watch?v=ySqJ0Kqhn_Q

[6] On remarquera ce nombre 5 : c’est celui à partir duquel les « groupes » (voir théorie de Galois) peuvent devenir constituants d’individualités, restant indiscernables par les seules ressources de la situation initiale.

[7] plutôt qu’« impurs »…

[8] https://www.youtube.com/watch?v=ZXg9UFUXFXU

[9] https://www.youtube.com/watch?v=glS7lrA4Gpc 

[10] https://www.youtube.com/watch?v=2rWV8sBZ9ho