Au secret musical des mots musiciensÉ

(JournŽe Musique|Psychanalyse du 17 janvier 2015)

 

Franois Nicolas

 

Ç O Wort, du Wort, das mir fehlt ! È

Ç ï mot, mot qui me manque ! È

Mo•se (Mo•se et Aaron, Schoenberg)

 

Faisons lĠhypothse que pour le compositeur, le processus de Ç crŽation È - ajouter une nouvelle Ïuvre ˆ la liste de ses opus - se prŽsente comme un travail dĠadjonction (au sens que la mathŽmatique donne ˆ ce terme, corrŽlŽ ˆ celui dĠextension : chez Dedekind, extension des nombres rationnels par adjonction de partitions-coupures ; chez Paul Cohen, extension dĠun ensemble par adjonction dĠune partie gŽnŽrique) : adjoindre un opus pour Žtendre une Îuvre.

 

On en dŽduira que, pour orienter ce processus, le compositeur doit – parfois ? - mettre en Ïuvre de nouveaux mots susceptibles de nommer lĠÏuvre projetŽe et dĠŽnoncer son travail envisagŽ dĠextension musicale.

Exemple canonique : Richard Wagner dŽclare que la composition, longuement mŽditŽe de son Parsifal, sĠest clarifiŽe quand, en 1860, le mot Kundry sĠest imposŽ ˆ lui pour nommer la synthse en un unique personnage fŽminin de deux figures jusque-lˆ distinctes (la servante des actes I & III et la corruptrice de lĠacte II, soit assez exactement les deux figures, restŽes disjointes dans TannhŠuser, dĠƒlisabeth et de VŽnus). Ce simple mot (venant nommer un personnage - destinŽ ˆ rester Žnigmatique - et permettant de dŽployer les ŽnoncŽs mettant en Ïuvre, dans le livret, une nouvelle diversitŽ subjective) a ainsi catalysŽ son travail compositionnel : en quelque sorte lĠadjonction musicale dĠune Ïuvre a pu embrayer sur lĠadjonction musicienne dĠun mot.

 

On sĠintŽressera, sous ce chef, ˆ la gense musicienne dĠune Ïuvre, et sans considŽrer pour autant que cette gense rendrait compte de la musique ˆ lĠÏuvre : les deux processus – temps musicien de crŽation et temps musical ˆ lĠÏuvre - sont radicalement disparates, et leurs points momentanŽs de tangence sont destinŽs ˆ dŽfinitivement sĠeffacer, une fois la double barre posŽe sur la partition (ainsi, pas de crŽation musicale sans production corrŽlative de dŽchets musiciens !). On sĠintŽressera plut™t ˆ ce type particulier de gense – sous lĠimpulsion dĠun simple mot - pour y puiser la discipline dĠun courage face ˆ lĠŽpreuve indŽfiniment rŽpŽtŽe de lĠajout musicien et de lĠadjonction musicale.

On cherchera pour ce faire dans la correspondance des musiciens la trace de semblables embrayeurs : ces mots qui, pour un compositeur dans une situation donnŽe de stase angoissante, fulgurent comme puissance nominative autorisant dĠanticiper lĠÏuvre ˆ venir au grŽ dĠŽnoncŽs venant pour le musicien (et sans doute pour lui seul) envelopper lĠÏuvre musicale projetŽe, ces mots qui deviennent les anges gardiens de la future existence musicaleÉ

 

O Ç ne pas cŽder sur son dŽsir musicien de musique È passe donc par lĠappui pris sur un simple mot. Non pas exactement le mot qui manque (celui par exemple qui manquait ˆ Mo•se pour inventer un lieu ˆ hauteur de la sortie dĠƒgypte et diriger un collectif ŽmancipŽ de la Loi venant saturer les nominations) – la maxime serait en effet ici : Ç Ne tente pas de dire le mot qui manque : tu Žtoufferais lĠembrasement du dire ! È - mais un nouveau mot (Ç marque du manque ÈÉ), en excs, apte, par sa mobilitŽ de nomination, ˆ faire circuler, comme la case vide du jeu de taquin, une dynamique dĠŽnonciation musicienne venant momentanŽment doubler lĠŽlaboration du discours musical.

 

*


 

Pourquoi lire les correspondances de musiciens ?

Ma rŽponse va tre la suivante : parce que ces correspondances avouent.

QuĠavouent-elles ? Des secrets, bien sžr !

Mais quels secrets ?

Il va de soi que nous ne nous intŽresserons pas ici ˆ dĠŽventuels secrets biographiques des musiciens : les musiciens sont les dŽchets de la musique ; nous nĠallons pas en plus nous intŽresser ˆ des dŽchets de dŽchets ! Et ce nĠest pas parce que toute cette Žpoque ne cesse de braire son droit irresponsable ˆ transformer toute chose, de prŽfŽrence grande et respectable, en simple dŽchet que je vais mĠy conformer : la lecture pusillanime des correspondances dĠhommes magnanimes est une tradition franaise dŽplorable – rappelons-nous comment Voltaire sĠacharnait ˆ rapetisser Rousseau par quelque dŽtail biographique – tradition dans laquelle je refuse de mĠinscrire.

Les secrets qui nous intŽresseront seront donc des secrets sur la musique.

Est-ce ˆ dire quĠil sĠagirait alors de secrets musicaux ? Tout notre point va se jouer lˆ.

Posons provisoirement quĠil sĠagit de secrets musiciens sur la musique – nous allons voir que dans le cas qui va nous occuper, il sĠagira dĠun secret musicien sur un secret musical – et prŽcisons donc quĠil sĠagit pour nous de lire les correspondances de musiciens pour y dŽceler ce quĠelles avouent comme secrets musiciens sur la musique.

 

Comme annoncŽ, je vais mĠintŽresser ˆ la correspondance qui relia Richard Wagner et Mathilde Wesendonk de 1853 ˆ 1871 [1] et, plus prŽcisŽment, ˆ la lettre Žcrite par Wagner au dŽbut du mois dĠaožt 1860, lettre o, ˆ mon sens, Richard avoue ˆ Mathilde le secret de son futur opŽra Parsifal.

 

Voici, pour nous installer dans lĠatmosphre de cette correspondance, de larges extraits de cette lettre :

Ç Tristan est et reste pour moi un miracle ! Comment ai-je pu faire quelque chose de semblable, je le comprends de moins en moins : en relisant, il me faut rester bouche bŽe ! Comme je devrai terriblement p‰tir de cette Ïuvre, un jour, si je veux me la faire exŽcuter entirement telle quĠelle est ! Trs clairement, je prŽvois les souffrances les plus inou•es, car je ne me dissimule pas que jĠai surpassŽ de beaucoup en lĠŽcrivant toutes nos relations possibles : les interprtes merveilleux, les interprtes de gŽnie, les seuls qui seraient ˆ hauteur de la t‰che, apparaissent en ce monde si rarement ! Et cependant je ne puis rŽsister ˆ la tentation : si jĠentendais seulement lĠorchestre !

Parsifal sĠest rŽveillŽ en moi trs vivement : jĠy vois de plus en plus clair ; quand tout sera mžr en moi, lĠexŽcution de ce pome deviendra pour moi un plaisir inou•. Mais dĠici lˆ peuvent encore sĠŽcouler pas mal dĠannŽes ! Aussi je voudrais beaucoup mĠen tenir uniquement au pome. Je lĠŽcarte aussi longtemps que je peux et ne mĠen occupe que lorsquĠil me vient irrŽsistiblement ! Alors ce merveilleux progrs de lĠenfantement me fait oublier toute ma misreÉ Bavarderai-je un peu lˆ-dessus ? Vous ai-je dŽjˆ dit que la messagre fabuleusement sauvage du Graal ne doit faire quĠun avec la sŽductrice du deuxime acte ? Depuis que cette idŽe sĠest levŽe en moi, je me sens ma”tre de presque toute ma matire. Cette merveilleuse, cette horrible crŽature qui sert les chevaliers du Graal avec le zle dĠune esclave infatigable, sĠacquitte des besognes les plus inou•es, reste couchŽe dans un coin, attendant quelque mission dĠune difficultŽ extraordinaire, disparait parfois, on ne sait ni comment ni o ?É

Quand Parsifal, le simple, arrive dans le pays, elle ne peut dŽtourner de lui son regard : quelque chose de merveilleux doit se passer en elle ; elle ne sait pas quoi, mais sĠattache ˆ lui. Lui est effrayŽ, mais aussi attirŽ : il ne comprend rien. (Ici le mot dĠordre est : Pote, crŽe !). Seule lĠexŽcution peut parler ici ! – Mais suivez toujours ces indications : Žcoutez comme BrŸnnhilde Žcoutait Wotan. – Cette femme est dans une agitation, une excitation indicible : le vieil Žcuyer a dŽjˆ remarquŽ cela chez elle, de temps en temps, et peu aprs, elle disparaissait. Cette fois, le phŽnomne atteint ˆ son paroxysme. Que se passe-t-il en elle ? Craint-elle une nouvelle fuite ? DŽsire-t-elle en tre dispensŽe ? Espre-telle pouvoir en finir tout ˆ fait ? QuĠespre-t-elle de Parsifal ? Manifestement, elle attache ˆ celui-ci quelque espoir inou•É Mais tout est obscur et tŽnŽbreux encore : nulle connaissance, rien quĠune impulsion ˆ travers le crŽpuscule ! Accroupie dans un coin, elle assiste ˆ la navrante scne dĠAmfortas : elle jette un regard merveilleusement pŽnŽtrant – un regard de sphinx – sur Parsifal. Lui, vraiment simple, ne comprend rien, sĠŽtonne etÉ se tait. On le pousse dehors. La messagre du Graal sĠabat avec un grand cri ; puis elle dispara”t.

(Il lui faut errer encore.)

Devinez-vous maintenant qui est la merveilleuse et magique crŽature que Parsifal trouve dans le ch‰teau Žtrange o le conduit sa valeur chevaleresque ? Devinez ce qui arrive et comment tout finira. AujourdĠhui je ne vous en dis pas davantage !É È

 

Avant de commenter cet extrait, prŽcisons en quel sens je vais parler ici dĠaveu et de secret.

 

Je mettrai ma problŽmatique du secret ˆ lĠombre de cet ŽnoncŽ de Lacan – SŽminaire du 16 novembre 1960 [2] - :

Ç Ce nĠest pas parce quĠon lĠavoue quĠun secret cesse dĠtre un secret. È

LĠaveu dĠun secret ne constitue pas la destruction de sa nature de secret.

Pourquoi ? Car le secret en question ne relve pas dĠun cachŽ, dĠun dissimulŽ : on peut donc le montrer, lĠexhiber mme, il gardera toujours sa structure de secret. Bien sžr le secret relve de lĠinapparent, du non manifeste, de lĠinŽvidence mais ces propriŽtŽs phŽnomŽnologiquement nŽgatives ne rŽsultent pas dĠactions extrinsques ˆ la chose secrte (actions qui viseraient alors ˆ la dŽrober au regard ou ˆ la dissimuler aux autres sens) ; le caractre occulte du secret tient ˆ sa constitution interne, ˆ sa composition intrinsque, ˆ sa facture endogne.

Le secret nĠest pas cette chose ordinaire que lĠenfant sĠamuse ˆ soustraire du paysage : ce nĠest pas un Ïuf de P‰ques. Si le secret est bien a contrario une chose qui porte en soi sa structure de secret, le meilleur exemple va en tre ce que les mathŽmaticiens appellent une singularitŽ : par exemple le point de rebroussement dĠune courbe lisse ou la pointe dĠun c™ne ; dans ces deux cas, la singularitŽ va se manifester – sĠavouer – par une propriŽtŽ phŽnomŽnologique immŽdiate : la main qui caresse la courbe ou le c™ne ressent la piqure locale du point singulier. Cette propriŽtŽ avoue quĠil y a ici secret sans pour autant le rŽsorber, lĠeffacer car cette propriŽtŽ – piquer la main - nĠen dŽlivre aucunement la clŽ : que se passe-t-il en cet endroit et en nul autre pour que la courbe ou le c™ne en question en vienne ici ˆ piquer ?

La clŽ mathŽmatique dĠune telle singularitŽ a ŽtŽ dŽlivrŽe par le mathŽmaticien Hironaka [3] ˆ la fin des annŽes 1960 : elle tient au fait que deux orientations contraires (les gŽomtres disent transverses ou orthogonales) sont ici globalement ˆ lĠÏuvre – par exemple le c™ne est produit ˆ partir dĠun cylindre, lequel procde de lĠenroulement dĠun plan selon un cercle orthogonal ˆ ce plan ; la localisation de la singularitŽ va se spŽcifier dĠtre lĠendroit prŽcis o ces deux orientations contraires (le plan enroulŽ et le cercle dĠenroulement) vont tre rendues indiscernables lĠune de lĠautre – dans notre exemple du c™ne, le cercle doit se rŽtrŽcir jusquĠˆ ne plus devenir quĠun point - la pointe du c™ne - en sorte quĠen ce point, on ne puisse plus distinguer ce qui est plan enroulŽ et ce qui est cercle dĠenroulement.

LĠidŽe est donc que dans une situation globale donnŽe, une singularitŽ est une localisation o les deux tendances contraires qui configurent et ossaturent lĠensemble de la situation en question – qui donc la font tre ce quĠelle est - se trouvent localement confondues, rendues indiscernables. Et cĠest cette fusion locale qui suscite les propriŽtŽs phŽnomŽnales propres ˆ cette singularitŽ – dans notre cas, le caractre Ç piquant È pour la main qui caresse la courbe ou le c™ne (le mathŽmaticien parlera pour sa part de lĠabsence de tangence).

 

Retenons, pour rŽsumer et simplifier, cette image : une singularitŽ ressemble ˆ un pli, plus spŽcifiquement ˆ une ligne de crte confondant deux versants disjoints – on pourra ainsi dire quĠune telle singularitŽ est Ç une synthse disjonctive È au sens que donnait Deleuze ˆ ce concept [4].

On comprend alors pourquoi une telle singularitŽ se trouve dŽtentrice dĠun secret que nul aveu ne saurait  suffire ˆ dilapider : vous pouvez montrer de quelle manire la pointe du c™ne en vient ˆ piquer (en lĠoccurrence parce que le plan et le cercle orthogonaux sĠy confondent), vous nĠaurez pas pour autant effacŽ la propriŽtŽ phŽmomŽnale : la paume de main parcourant la surface en question continuera de sĠy piquer.

Tout de mme, vous pouvez montrer lĠexistence dĠun pli en le faisant jouer, en le dŽpliant puis le repliant : vous nĠeffacerez pas pour autant la marque mme du pli (sauf ˆ procŽder cette fois ˆ une tout autre opŽration : celle dĠeffacement systŽmatique du pli par mise en jeu dĠun fer ˆ repasser ou dĠun rabotÉ).

La mathŽmatique dĠHironaka thŽorise cet effacement possible de la singularitŽ – elle parle alors dĠŽclatement, mais aussi (chez dĠautres mathŽmaticiens tel Perelman) dĠŽclosion. LĠidŽe est quĠil faut pour cela faire intervenir une nouvelle dimension et plonger notre espace de travail – celui o la singularitŽ se manifeste – dans un espace plus vaste o les deux orientations contraires (au principe de toute notre situation et de sa singularitŽ ponctuelle) vont pouvoir tre partout distinguŽes, discernŽes.

 

Retenons de tout ceci ces trois idŽes simples qui vont nous guider dans notre lecture de la lettre adressŽe par Wagner ˆ Mathilde Wesendonk :

1.     Un secret est une singularitŽ cĠest-ˆ-dire un endroit o deux orientations contraires sont localement rendues indiscernables ; la nature de secret de cet endroit lui est donc bien intrinsque et ne relve pas dĠune dissimulation extrinsque.

2.     LĠaveu dĠun tel secret consiste ˆ montrer cette structure de secret sans que cette monstration suffise pour lĠeffacer : une singularitŽ montrŽe et expliquŽe reste une singularitŽ tout comme un secret avouŽ reste bien un secret.

3.     La rŽsorption dĠun secret, ˆ la diffŽrence de son simple aveu – ce que les mathŽmaticiens appellent une dŽsingularisation - implique de mobiliser un nouvel espace Žlargi (dotŽ dĠune dimension supplŽmentaire) dans lequel plonger lĠespace de travail originel en sorte que les orientations contraires de dŽpart y deviennent partout discernables gr‰ce au jeu dĠune nouvelle dimension [5].

 

Donnons un petit exemple, tout ˆ fait ŽloignŽ de notre propos, pour illustrer ces trois points :

1.     Mai 68 constitue une singularitŽ idŽologico-politique en ce que les deux orientations idŽologiques traditionnellement contraires de lĠŽgalitŽ franaise et de la libertŽ anglo-saxonne y ont ŽtŽ rendues momentanŽment indiscernables : on peut ainsi soutenir tout aussi lŽgitimement que 68 a constituŽ lĠemblme dĠune aspiration ˆ lĠŽgalitŽ ou lĠemblme dĠune aspiration ˆ la libertŽ (bien sžr, selon ces deux orientations, les emblmes concrets de 68 ne seront plus les mmes).

2.     Avouer ce secret de 68 ne lĠefface aucunement puisque les conditions qui ont rendu possible une telle indiscernabilitŽ entre ŽgalitŽ et libertŽ restent, aprs cet aveu, tout autant Ç mystŽrieuses È et irrŽpŽtables.

3.     RŽsorber ce secret – le faire Žclore ou lĠŽclater (selon lĠorientation mathŽmatique alors retenue pour la Ç dŽsingularisation È : Perelman ou Hironaka [6]) – implique la mise en jeu dĠune autre dimension quĠon nommera la dimension proprement politique (et plus seulement idŽologique) : celle-lˆ mme qui fut ˆ lĠÏuvre aprs 1968 selon la diversitŽ propre aux nombreuses organisations venant se rŽclamer de mai-juin 68 pour en matŽrialiser ensuite les effets proprement politiques.

 

Revenons ˆ la lettre que Richard Wagner adresse ˆ Mathilde Wesendonk en aožt 1860.

Le point dŽcisif pour nous en sera le suivant :

Ç Vous ai-je dŽjˆ dit que la messagre fabuleusement sauvage du Graal ne doit faire quĠun avec la sŽductrice du deuxime acte ? Depuis que cette idŽe sĠest levŽe en moi, je me sens ma”tre de presque toute ma matire. È

 

Situons dĠabord ce moment de lĠŽtŽ 1860.

-   Wagner a terminŽ Tristan en 1857.

-   Le TŽtralogie, commencŽe en 1853, a ŽtŽ interrompue aprs le deuxime acte de Siegfried (troisime des quatre opŽras prŽvus).

-   Wagner va prochainement sĠattaquer aux Ma”tres chanteurs (quĠil achvera en 1864) puis terminer la TŽtralogie (en 1873)

-   Le livret de Parsifal sera achevŽ en 1877 et la composition musicale en 1882.

-   Wagner mourra lĠannŽe dĠaprs en 1883.

On se situe donc ici trs t™t, mme si Wagner mŽdite depuis longtemps dŽjˆ ce livret : 17 ans avant la fin du pome et 22 ans avant la fin de lĠopŽra.

 

Cette lettre pointe un tournant dŽcisif dans la gense de lĠopŽra, tournant dont Richard Wagner nous dit quĠil est marquŽ par le fait de penser sous les traits dĠun mme et unique personnage fŽminin – Kundry – les deux figures sŽparŽes, hŽritŽes de Lohengrin (et comme lĠon sait, la lŽgende dispose Lohengrin comme fils de ParsifalÉ) : celle de la servante (ƒlisabeth) et celle de la corruptrice (Venus).

Ainsi le geste mme qui rend dŽsormais Wagner Ç ma”tre de toute sa matire È consiste ˆ rendre indiscernables deux orientations fŽminines contraires sous le chef dĠune unique figure dont le nom propre – non dŽlivrŽ dans cette lettre mais alors bien Žtabli par le compositeur – est Kundry.

Mon hypothse est ici que cette lettre avoue le secret de lĠÏuvre ˆ venir – Parsifal – et le secret est le suivant : lĠÏuvre se soutient secrtement de la mise en Ïuvre dĠune singularitŽ nommŽe Kundry.

 

Faut-il dire que Wagner crŽe ici la figure de Kundry avant de crŽer lĠÏuvre Parsifal ? CrŽation est-il ici le mot qui convient ?

Certes Wagner emploie ce mot – son mot dĠordre explicite est bien : Ç Pote, crŽe ! È - mais je prŽfre pour ma part mĠen distancier et mobiliser plut™t cet autre mot que Wagner convoque Žgalement : celui dĠenfantement (Ç ce merveilleux progrs de lĠenfantement È Žcrit-il, en insistant ainsi sur le processus en jeu plut™t que sur son rŽsultat, et Wagner y procde dĠautant plus quĠil confronte ici lĠŽtonnement du compositeur entre lĠopus crŽŽ et tr™nant dŽsormais loin de lui – Tristan – et lĠopus ˆ crŽer, qui ne saurait tre le fruit que dĠun long, trs long labeur – qui prendra en effet 25 ans environ).

Le mot Ç crŽation È suscite trop de pathos, ˆ commencer par celui inŽvitable de Ç crŽateur È, pour quĠil soit ici utilisable pour la pensŽe.

Au demeurant, ce quĠon appelle crŽer – autant dire ajouter au monde – est somme toute une activitŽ ordinaire, Žgalitairement rŽpartie sur toute lĠhumanitŽ : nul besoin dĠy distinguer des crŽateurs qui seraient dĠespce humaine singulire sĠil est vrai que tout un chacun est en Žtat dĠajouter au monde – et lĠexpŽrience la plus commune nous en dŽlivre constamment la preuve en actes, qui par des enfants, qui par des objets, qui par des idŽes, qui par des amours, qui par des Ïuvres, qui par des sympt™mes, etc.

Si ainsi entendu crŽer est lĠaffaire potentielle de tout un chacun et nullement dĠhommes au destin prŽdŽterminŽ ou aux qualitŽs exceptionnelles, il vaut mieux parler plus prosa•quement dĠajouter au monde ou, mieux encore, dĠengendrer (sĠil est vrai que ce verbe met lĠaccent sur le processus en jeu, sur le faire, sans le rŽduire ˆ lĠagir supposŽ instantanŽ dĠun supposŽ gŽnie).

 

Que nous suggre alors cette lettre ?

Elle nous dŽcrit un compositeur pris dans un entre-temps subjectif : dĠun c™tŽ la sidŽration devant ce quĠil a prŽcŽdemment produit – ici son opus antŽrieur Tristan – et qui se prŽsente ˆ lui dŽsormais comme grandeur exogne, comme magnanimitŽ extrinsque (tel un pre se demandant comment il est possible que ce fils adulte puisse avoir ŽtŽ son enfant) ; dĠun autre c™tŽ le procs subjectif de composition quĠil va sĠagir de soutenir ˆ trs longue Žchelle temporelle et quĠil importe de projeter, cĠest-ˆ-dire non pas exactement dĠanticiper mais plut™t dĠaimanter et dĠinnerver.

Sur ce second versant prospectif, on se situe donc ici au moment mme de la subjectivation : de quelle idŽe, de quel opŽrateur le compositeur doit-il se munir pour pouvoir engager le travail en Žtant malgrŽ tout apte ˆ se reprŽsenter sa globalitŽ (et qui nĠest pas exactement sa totalitŽ mme si Wagner parle ici de devenir Ç ma”tre de toute sa matire È).

Telle est la fonction globalement anticipante du mot Kundry : nommer, pour le compositeur (mais dans le vocabulaire mme de lĠopus ˆ venir), le secret opŽratique quĠil va sĠagir de mettre ˆ lĠÏuvre tant poŽtiquement (dans le livret) que musicalement (dans la partition).

 

Identifier ce nom ˆ celui dĠune singularitŽ nous introduit ˆ deux nouvelles questions :

1.     Dans lĠÏuvre ˆ venir, quel va tre le destin effectif de cette singularitŽ, identifiŽe en 1860 comme indiscernabilitŽ de la servante dŽsintŽressŽe et de la corruptrice sensuelle ?

2.     De quelle manire ce nouveau nom va-t-il constituer un opŽrateur pour le compositeur (dans son processus dĠengendrement) et pas seulement se retrouver ˆ lĠÏuvre dans lĠopus une fois parachevŽ ?

 

Premire question : le secret que Richard W. avoue en 1860 ˆ Mathilde W. – un mme personnage fŽminin va indiscerner la disjonction de la servante (du futur acte I) et de la corruptrice (du futur acte II) – est-il bien un secret ˆ lĠÏuvre dans lĠopŽra Parsifal tel quĠil nous est lŽguŽ ˆ partir de 1882 donc 22 ans plus tard ?

 

Ma rŽponse est ici positive. Mieux encore : on peut soutenir que Kundry vient trs exactement nommer le secret ˆ lĠÏuvre dans tout lĠopŽra, et ce tant dramaturgiquement (disons du point de vue du livret) que musicalement (du point de vue de la partition achevŽe).

Ë ce titre, jĠai pu faire bilan dĠune annŽe entire de cours [7] sur Parsifal sous la question : Ç Qui est Kundry ? È.

Pour rŽsumer mes conclusions, et en gardant prŽsent ˆ lĠesprit les trois traits distinctifs dĠun secret (un secret est un repli intrinsque ; lĠavouer, en exhibant sa constitution endogne, nĠest pas lĠeffacer ; Žponger le secret – sĠil en Žtait besoin, et rien nĠest ici moins sžr - impliquerait une extension dimensionnelle dĠespace), je poserai succinctement ceci :

1.     Kundry nomme finalement le secret de toute vocalisation musicale cĠest-ˆ-dire le mode propre de disjonction entre une voix et le corps qui lĠŽmet, disjonction qui se distingue du repli propre au corps-ˆ-corps  (corps-accord) instrumental.

Une voix nĠest pas le repli dĠun corps physiologique sur un corps instrumental mais le jeu dĠun souffle traversant un rŽsonateur. Une voix nĠest pas, comme lĠinstrument de musique, la trace dĠun corps-ˆ-corps mais un tracŽ au fil dĠun souffe.

Le personnage de Kundry constitue dans cet opŽra le paradigme de la voix quĠil pousse ˆ une intensitŽ sans Žgale chez les autres personnages. Kundry est explicitement disposŽe au cÏur de la distribution puisque cĠest le seul personnage ˆ entretenir des rapports avec tous les protagonistes. Kundry concentre enfin dans lĠopŽra le maximum de disjonctions : entre types de prŽsence vocale, entre le mode de prŽsence selon les actes (invisible et muette au premier, au cÏur du second, visible et muette au troisime), entre les registres vocauxÉ

Pour indexer dĠun seul trait cette disjonction, quĠil suffise dĠŽvoquer le parti pris de Hans JŸrgen Syberberg filmant Parsifal au grŽ dĠacteurs distincts des chanteurs exŽcutant les parties vocales : cet aveu cinŽmatographique acquiert son intensitŽ maximale avec le personnage de Kundry, vocalement interprŽtŽ par Yvonne Minton et cinŽmatographiquement jouŽ par la splendide Edith Clever.

2.     Montrer ce que je viens de montrer ne dilapide aucunement le secret ˆ lĠÏuvre au sens o ce secret reste aprs cet aveu vocalement actif, opŽratoire sur le spectateur et lĠauditeur.

Ë preuve aussi que la grande question – celle de lĠacte III –  va rester entirement ouverte et aucunement rŽglŽe par lĠanalyse prŽcŽdente : que se passe-t-il rŽellement dans la relve de lĠacte III, relve du projet collectif de Montsalvat une fois lĠŽpŽe, abandonnŽe par Amfortas ˆ Klingsor, ressaisie par lĠinnocent Parsifal ? QuĠest-ce qui indique dans la nouvelle cŽrŽmonie engagŽe en fin dĠopŽra quĠil sĠagit bien dĠune rŽgŽnŽration, dĠune rŽsurrection et pas dĠune simple reprise ? En ce point, une transformation notable tient ˆ la prŽsence dŽsormais de Kundry, premire femme ˆ assister au cŽrŽmonial ancestral de Montsalvat mais cette diffŽrence a quelque mal ˆ se donner aussi clairement dans la dramaturgie gŽnŽrale et dans la musiqueÉ

Indiquons ainsi quĠen ce moment du troisime acte, lĠopŽra lui-mme hŽsite, vacille et nĠoffre gure de rŽponses assurŽes. CĠest sžrement lˆ son point le plus faible, assez largement relevŽ quoique pour des raisons souvent disparates.

3.     Posons finalement que la singularitŽ-Kundry demeure en partie inaboutie puisque la relve dŽsingularisante du personnage que le troisime acte implicitement annonce – Kundry est bien dŽclarŽe sauvŽe par Parsifal - aurait dž arracher Kundry ˆ sa destination globale de servante, quĠelle soit celle du Graal au premier acte ou celle de Klingsor au second (puisquĠelle y intervient finalement comme service rendu ˆ la corruption). QuĠaurait-ce ŽtŽ quĠune telle figure relevŽe, dŽsingularisŽe de Kundry ? Difficile de le savoir mais il y aurait nŽcessairement fallu la mise en jeu dĠune nouvelle dimension dramaturgique que visiblement Wagner nĠa pas jugŽ bon de mobiliser pour le troisime acte.

 

Sans plus mĠŽtendre sur cette analyse de lĠopŽra – vous en trouverez le compte rendu dŽtaillŽ dans le polycopiŽ ŽditŽ ˆ lĠoccasion de ce cours et disponible sur internet [8] -, venons-en ˆ mon autre question non plus musicale mais cette fois musicienne – jĠimagine que des psychanalystes se trouveront ici plus ˆ lĠaise  - : de quelle manire le mot Kundry en tant quĠil nomme ce projet de secret musical va-t-il ou non configurer un opŽrateur pour le compositeur Richard Wagner cette fois dans le processus mme dĠengendrement de lĠopŽra, de composition tant du livret que de la partition, dans la gense de lĠopus ?

 

La rŽponse ˆ cette question est plus difficile que la prŽcŽdente : il faudrait pour commencer pouvoir interroger Richard sur ce point, et sans pour autant sĠaligner sur ses rŽponses sĠil est vrai  - ce nĠest pas ˆ vous que je vais lĠapprendre – que le dire est loin dĠtre une communication transparente et que ce sur quoi il est susceptible de nous informer ne se prŽsente gure en une immŽdiatetŽ dĠŽvidence.

Pour accuser le trait dĠun seul mot, le compositeur ne dit sžrement pas le vrai ni de son Ïuvre ni de son travail, nullement parce quĠil dissimulerait un vrai quĠil conna”trait bien et quĠil garderait jalousement pour lui mais prŽcisŽment parce que le processus de composition se prŽsente toujours pour lui comme un secret dont il nĠa pas la clef, comme son secret – secret musicien donc, nullement isomorphe au secret musical qui pourra en dŽcouler pour lĠopus terminal.

LĠhypothse est donc que si Kundry nomme bien pour le musicien Wagner le secret musical quĠon pourra en effet retrouver dans lĠÏuvre Parsifal, il le nomme pour lui secrtement. Soit lĠhypothse que Richard avoue ˆ Mathilde ce qui reste pour lui-mme un secret plut™t quĠil ne lui dŽlivre la clef dĠun savoir-faire.

 

DĠo lĠhypothse suivante quant aux mots-noms dont un compositeur donnŽ peut se doter en sorte de subjectiver en musicien un nouveau processus de composition : il y a ici une rŽduplication du secret. Expliquons cela.

Je prŽlve lĠidŽe de rŽduplication ˆ Kierkegaard qui prescrivait quĠune pensŽe vraie devait tre telle que son Žnonciation Ç rŽduplique È son ŽnoncŽ. Pour en donner deux exemples, il convient ainsi de parler humblement de lĠhumilitŽ, et courageusement du courage, faute de quoi la parole en question ne serait que du semblant.

TransposŽ ˆ notre sujet, cet impŽratif de rŽduplication engage la maxime suivante : il convient de nommer secrtement le secret musical projetŽ, ce qui est aussi bien dire que pour le musicien qui nomme le secret musical ˆ venir, ce secret reste un secret – ce nĠest pas parce que Richard va composer Kundry avec lĠindiscernabilitŽ des nombreux attributs disjonctifs dont je vous ai rapidement parlŽs que pour le musicien quĠil est ce secret va se prŽsenter comme pure construction transparente, comme assemblage dŽlibŽrŽ et univoque. Dit autrement, la singularitŽ de Kundry nĠest pas dŽsingularisŽe pour Richard lequel ne constitue nullement une dimension supplŽmentaire apte ˆ rendre intŽgralement compte de cette singularitŽ.

Soit lĠidŽe suivante : le musicien nĠest aucunement en surplomb de la musique quĠil fait.

Le fantasme dĠun tel surplomb est lĠaffaire propre du compositeur constructiviste (dont le paradigme contemporain nous a ŽtŽ donnŽ par Stravinsky). Mais du fantasme musicien ˆ la chose musicale, il y a un fossŽ (mme sĠil est vrai que la musique de Stravinsky porte trace de ce dŽsir constructiviste de maitrise en tentant, mais heureusement en vain, dĠy asservir son auditeur ).

Pour le dire abruptement, le musicien est plus fait par la musique quĠil fait quĠil ne fait la musique qui le fait !

Rappelz-vous dĠailleurs lĠŽtonnement de Richard devant la musique de son propre Tristan !

Bref, Richard mobilise le mme mot Kundry pour nommer simultanŽment deux choses, trs proches mais cependant distinctes :

á      le secret musical qui sera ultimement ˆ lĠÏuvre ;

á      le secret musicien qui va dynamiser la gense de lĠÏuvre.

Soit trs exactement lĠidŽe suivante : le mot Kundry constitue par lui-mme un secret puisquĠil nomme lĠindiscernabilitŽ de deux secrets, lĠun musical (celui de lĠopŽra), lĠautre musicien (celui du dividu Richard).

CĠest en ce sens quĠon peut soutenir quĠil y a bien ici rŽduplication du processus de nomination.

 

Resterait alors ˆ prŽciser ce qui pourrait lĠtre quant au statut de secret musicien du nom Kundry pour le compositeur Richard.

Il faudrait mobiliser ici une connaissance biographique, psychologique et psychanalytique du dividu Richard que je ne songe nullement ˆ mobiliser moi-mme : ce nĠest pas que la t‰che soit insensŽe mais seulement quĠelle ne me mobilise gure.

Il faudrait en effet examiner comment cette indiscernabilitŽ de deux types de figures fŽminines – la servante et la corruptrice (ce qui nĠest pas exactement nommer le tandem bourgeois - ou petit-bourgeois depuis Jean Eustache - de la mre et de la putain) – opre dans lĠhistoire propre du dŽsir-Richard. Il faudrait, en premier lieu, prendre en compte que tout ceci est dŽclarŽÉ ˆ une ma”tresse, non ˆ lĠŽpouse Cosima, et lĠon trouverait ici de quoi alimenter lĠhypothse que le suspens par lequel la lettre se termine – Ç Devinez ce qui arrive et comment tout finira. AujourdĠhui je ne vous en dis pas davantage ! È - profile indiscernablement un avenir de Kundry dans le livret de lĠopŽra et un avenir de Mathilde dans la vie de RichardÉ

Contentons-nous ici de retenir ce trait : le secret musical de lĠopŽra ˆ venir est subjectivŽ en musicien comme secret de la vie mme de Richard – soit toujours notre rŽduplication du musical par le musicien.

 

Pour conclure, tentons un Žlargissement de notre propos en nous Žloignant quelque peu de lĠexemple Wagner ici mis en avant.

 

Trois citations pour y introduire.

-   La premire de Samuel Beckett [9] : Ç ce fouillis de silence et de mots, de silences qui nĠen sont pas, de mots qui sont des murmures, [É] le babel des silences et des mots È

-   La seconde dĠHenri Michaux [10] : Ç Je suis nŽ trouŽ / ce nĠest quĠun petit trou dans ma poitrine / mais il y souffle un vent terrible / et ce nĠest quĠun vent, quĠun vide / JĠai sept ou huit sens ; un dĠeux : celui du manque / SĠil dispara”t, ce vide, je me cherche, je mĠaffole / Mon vide est un silence dĠŽtoiles. È

-   La troisime de Nietzsche [11] : Ç Enfanter une Žtoile dansante avec le chaos que lĠon porte en soi È

 

Je nouerai ce mini-bouquet en posant que le compositeur, face au manque du nouvel opus qui Ç lui vient È, Žprouve la nŽcessitŽ de murmurer quelques mots en sorte dĠenfanter une Žtoile au lieu mme dĠun silence quĠil ne sĠagit pas pour lui de combler mais dĠanimer.

Et telle serait bien pour lui la fonction de certains mots, ces mots que les correspondances peuvent nous avouer.

Relisons ˆ ce titre la problŽmatique mise en avant dans le rŽsumŽ avancŽ pour cette communication intitulŽe, je le rappelle,

Au secret musical des mots musiciensÉ

Je lĠavais inscrite, pour des raisons dŽsormais Žvidentes, ˆ lĠombre de cette citation de Mo•se et Aaron : Ç ï mot, mot qui me manque ! È

 

Pour orienter son processus de crŽation, le compositeur doit – parfois ? - mettre en Ïuvre de nouveaux mots susceptibles de nommer lĠÏuvre projetŽe et dĠŽnoncer son travail envisagŽ de prolongation musicale, des mots aptes, sous couvert de nommer le secret musical de lĠÏuvre ˆ venir, ˆ devenir des embrayeurs pour son travail musicien de composition.

Pour un compositeur dans une situation donnŽe de stase angoissante, ces mots fulgurent comme puissance nominative autorisant dĠanticiper lĠÏuvre ˆ venir au grŽ dĠŽnoncŽs venant pour le musicien (et sans doute pour lui seul) envelopper lĠÏuvre musicale projetŽe, ces mots qui deviennent les anges gardiens de la future existence musicaleÉ

O Ç ne pas cŽder sur son dŽsir musicien de musique È passe donc par lĠappui pris sur un simple mot. Non pas exactement le mot qui manque mais un nouveau mot (Ç marque du manque ÈÉ), en excs, apte, par sa mobilitŽ de nomination, ˆ faire circuler, comme la case vide du jeu de taquin, une dynamique dĠŽnonciation musicienne venant momentanŽment doubler lĠŽlaboration du discours musical.

 

Le point important est ici que le mot retenu doit, pour le compositeur, instaurer une circulation signifiante : au plus loin dĠtre une simple Žtiquette (mme sĠil est plus tard destinŽ ˆ servir de nom propre ˆ lĠÏuvre achevŽe – pour moi ce fut le cas ˆ plusieurs reprises [12]), le mot-nom doit tre un appel dĠair, cĠest-ˆ-dire dĠinspiration. Il doit rŽsonner large, aussi bien dans lĠespace propre du monde-Musique (il doit Žvoquer pour le compositeur de multiples possibilitŽs musicales) que dans la vie spŽcifique du musicien (il doit aimanter des souvenirs et des projets, des intuitions et de vastes orientations, des rves incertains et des certitudes fondatrices : Ç la soie des rves double nos vies de refrains familiers ourlŽs dĠŽtrange È).

Le mot-nom double provisoirement processus musical ˆ lĠÏuvre et vie musicienne ˆ la composition – le mot mme de composition nĠest-il pas lui-mme un tel mot double sĠil est vrai quĠil nomme indiscernablement le travail de composition du compositeur et le processus musical dĠun opus quĠon appellera volontiers composition numŽro x.

 

O ces mots-noms viennent donc esquisser de possibles tangences, Žminemment volatiles et fragiles, entre vie des musiciens et monde des Ïuvres. Tangences comme il se doit extraordinairement ponctuelles – voyez le caractre minuscule de lĠextrait prŽlevŽ ici dans les Žcrits personnels de Richard Wagner !

QuĠest alors ici quĠun simple mot ? LĠopŽrateur autorisant quĠun chaos restant chaos puisse ambitionner dĠenfanter dĠune Žtoile !

 

*

 



[1] ƒd. Parution, 1986

[2] Transfert – VIII, p. 16

[3] en 1931, mŽdaille Field en 1970

[4] pour le distinguer des synthses connective ou conjonctiveÉ

[5] On pourrait dire, mais en forant le trait et selon une mŽtaphore qui mathŽmatiquement nĠest plus correcte, que la nouvelle dimension va nouer borromŽennement les prŽcŽdentes en sorte de prŽserver ˆ la fois leur distinction et leur interaction.

[6] Sur la dŽsingularisation mathŽmatique, on lira en prioritŽ les remarquables prŽsentations quĠen faites Yves AndrŽÉ

[7] Ens-Ulm, 2005-2006

[8] http://www.entretemps.asso.fr/Wagner/Parsifal

[9] Textes pour rien (p. 158)

[10]

[11] Le gai savoir

[12] Passage, Pourtant si proche, Erkennung, Transfiguration, InstressÉ