À quelles conditions musique et langues peuvent-elles faire œuvre commune ?

(Babel, 13 avril 2013)

François Nicolas

Hypothèses de départ

· La musique (mal) dite contemporaine a besoin de se confronter à quelque chose qui lui est hétérogène pour continuer d’exister en art musical. [1]

· On privilégiera ici l’hétérogène des langues (plutôt que celui des images, des corps dansants, etc.).

Premières conséquences

· Qu’attendre musicalement d’une telle confrontation ? S’agit-il d’accueillir l’hétérogène en question, de l’incorporer, de l’intégrer (voire de le désintégrer) musicalement ou s’agit-il de configurer, par un dispositif non exclusivement musical, un tête à tête, voire un face à face ?

· Quel parti l’art musical peut-il escompter d’un tel rapport (connectif/conjonctif/disjonctif) à un tel hétérogène ?

· Comment caractériser l’hétérogène des langues au regard de la musique ?

· Comment cet hétérogène se diversifie-t-il pour la musique : selon les langues concernées, selon leurs différents types de vocalisations, selon le type de texte concerné ?

· Qu’est-ce qui, dans ce faisceau d’hétérogénéités, peut spécifiquement intéresser l’art musical et que veut dire pour lui de s’y « confronter » ?

Critiques délimitantes

· Limite du dire dont la musique est capable - S’il est vrai, comme l’exemple de Kundry dans Parsifal a pu le suggérer, qu’une même voix peut à la fois dire et chanter, il n’est cependant pas exact qu’une même voix puisse à la fois parler (stricto sensu) et chanter.

· Limite de la « justice » dont la musique est capable - S’il est vrai, comme Platon dans La République a pu le suggérer, que « la mélodie est la justice rendue par la musique à la poésie » [2], il n’est cependant pas exact qu’une telle mélodie puisse rendre justice (non musicale) de la beauté propre à la langue concernée.

Propositions

· L’œuvre « composite » ainsi visée doit alors circuler en évitant deux sillons largement balisés :

- celui de l’œuvre « musicale chantée » où le rapport musique-langues se trouve musicalement surdéterminé (il y a « une » œuvre à mesure du fait que la musique s’en porte garante) ; on parlera ici de classicisme musical ;

- celui de l’œuvre « d’art totale » où la catégorie générale d’art vient romantiquement subsumer la différence entre arts musical et poétique (il y a « une » œuvre à mesure d’un enveloppement extrinsèque selon la catégorie d’art) ; on parlera ici de romantisme artistique [3].

· Il s’agit alors d’inventer une nouvelle figure du commun [4] entre musique et langues. Si ce commun n’est plus le produit musicalement fibré d’un des deux termes [5] ni leur somme artistiquement amalgamée [6], il devient nécessaire de recourir à la médiation d’un troisième terme. Parlons ici d’une Idée (dont le nom propre [7] va titrer l’œuvre) apte à nouer musique et langues (sans dissoudre l’une ou fusionner les deux).

· Cette Idée se projette en commun sur les deux volets de/à l’œuvre en même temps qu’elle s’éprouve comme aptitude à les rassembler en commun [8]. Cette com-position en partie double ouvre une possible justice entre musique et langues ne se réduisant plus à une justice musicalement rendue à la poésie.

· Si l’œuvre composite confronte ainsi monde-Musique et monde de la parole sans assimiler l’un à l’autre, la composition de ce face à face nécessite alors une double écriture : solfégique pour son versant musical, ordinaire pour son versant de diction. D’où d’importantes questions techniques pour coordonner cette disjonction irréductible.

*

Préalables...................................................................................................................................... 3

« Œuvre grande »…................................................................................................................... 3

1............................................................................................................................................... 3

2............................................................................................................................................... 3

Le péril du chant....................................................................................................................... 4

1. Question de beauté…............................................................................................................ 5

2. Question du chant….............................................................................................................. 6

Commun ?.................................................................................................................................. 6

Les différents types de vocalité................................................................................................. 87

Joseph Gelineau...................................................................................................................... 87

François Picard........................................................................................................................ 98

Les miennes............................................................................................................................. 98

Parole-prosodie-déclamation.................................................................................................. 98

Sprechgesang............................................................................................................................ 9

Cantillation-psalmodie (tajwîd)................................................................................................. 9

Récitatif-chanson...................................................................................................................... 9

Air......................................................................................................................................... 109

Mélismes/vocalismes.............................................................................................................. 109

10 formes................................................................................................................................ 10

Mon « arc »........................................................................................................................... 1110

Exemples musicaux..................................................................................................................... 11

Sprechgesang :......................................................................................................................... 11

Voix & instruments............................................................................................................. 1211

Voix instrumentalisée........................................................................................................... 1211

Instruments vocalisés............................................................................................................... 12

Vocalises................................................................................................................................... 12

&................................................................................................................................................ 12

Six langues.................................................................................................................................. 12

Égalités internes à mes 6 langues........................................................................................ 1312

Différents rapports musicaux à l’hétérogénéité linguale..................................................... 13

Corps-à-corps d’un nouveau type...................................................................................... 1514

La composition produit et l’exécution somme..................................................................... 1514

Orientations pour un corps-à-corps d’un nouveau type........................................................... 15

1. Double écriture................................................................................................................... 16

2. Différents types de voix........................................................................................................ 17

3. Une polyphonie vocale d’un nouveau type.......................................................................... 17

Annexe : Tectonique des plaques.......................................................................................... 1817

Préalables

« Œuvre grande »…

Je vais aborder ma question du jour – l’éventuel commun entre musique et langues – avec pour horizon le projet personnel d’une vaste œuvre dont le titre est Égalité ‘68.

Je ne vais pas parler aujourd’hui de ce projet en tant que tel mais il me faut malgré tout indiquer quelques traits de l’horizon dans lequel s’inscrivent les points que je vais traiter devant vous.

Ce projet – créer, pour les 50 ans de 68, une vaste œuvre mettant en commun musique et langues, une œuvre qui s’inscrive explicitement après le Requiem pour un jeune poète de Bernd Alois Zimmermann (il s’agit ici de continuer en infléchissant donc de continuer en rompant : simultanément continuer un tracé et rompre une orientation) -, ce projet donc implique de concevoir une œuvre d’un type nouveau.

1

J’ai déjà été amené à produire une théorie de l’œuvre musicale composite (ou œuvre musicale mixte) : disons de l’œuvre musicale chantant un texte, le mettant en musique. Je n’y reviens pas : cette théorie me semble convenir à ce type de projet musical qui entreprend de faire chanter un texte, qui s’attache donc à configurer le commun sous le signe de la musique. C’est ici la musique qui commande, qui assimile, qui compose le commun en question.

Avec Égalité ‘68, mon projet n’est pas de composer un tel type d’œuvre musicale composite (même si, bien sûr, il y aura aussi en cette œuvre des textes chantés, des moments ou parties qui s’apparenteront donc à une telle œuvre musicale composite).

Il ne s’agit pas plus de viser une œuvre d’art totale, selon cette fois le modèle wagnérien c’est-à-dire une œuvre s’attachant à totaliser différents arts – spécialement musique, poésie et théâtre (si ce n’est aussi danse comme dans bien des scènes d’opéra) -. Dans cette figure de l’œuvre d’art totale, le commun s’inscrit sous le signe de la catégorie général d’art (au singulier) : il y faut une problématique de l’art en tant que tel, susceptible de sommer les différents arts concernés.

Je m’attache à éviter une telle catégorie : je connais et pratique des arts, mais l’intellectualité musicale que je mets en avant s’autolimite en récusant la catégorie générale de « L’Art », la réservant à une intellectualité plus proprement philosophique. Nulle raison, à mes yeux, de privilégier un commun de la musique avec d’autres arts sous le chef d’une supposée identité artistique commune et de cantonner à un second plan la question du commun de la musique avec d’autres formes de pensée non artistiques : les mathématiques, l’amour, la politique, la philosophie…

Il va de soi que cette catégorie de l’œuvre d’art total est surdéterminée par une orientation de pensée de type romantique.

S’il ne s’agit donc ni d’œuvre musicale composite, ni d’œuvre d’art totale, comment nommer le type nouveau d’œuvre projetée ? Comment nommer une œuvre qui incorporerait la musique comme part essentielle de son cours propre mais qui n’en ferait pas son juge de paix, son principal dirigeant ?

Tel est mon premier point, au principe de mon investigation du jour.

2

Second point, immédiat corollaire du précédent : quel nom donner à la musique susceptible d’entrer en composition dans ce nouveau type d’œuvre ? Une telle musique doit-elle être elle-même d’un type nouveau ? Faut-il une musique d’un type nouveau (et alors lequel) pour entrer dans une composition d’un nouveau type avec le poème, avec la parole, avec l’énoncé idéologico-politique d’aujourd’hui ?

*

Je voudrais avancer ici une réponse « par provision » [9] au premier point – sans aborder ici le second [10] – en proposant de nommer « Œuvre grande » cette œuvre d’un type nouveau visée qui compose un commun entre musique et langues sans être ni œuvre musicale composite, ni œuvre d’art totale.

Quelques mots sur ce nom avancé avant d’aborder le sujet spécifique de ma communication.

Une Œuvre grande n’est pas nécessairement une grande œuvre, ou un chef d’œuvre (elle peut l’être – je l’espère bien sûr – mais tel n’est pas son trait caractéristique).

De quelle grandeur s’agit-il alors ici ?

Il ne s’agit bien sûr pas de quantité : de durée par exemple (une œuvre longue, ou très longue), ou d’effectifs (une symphonie des mille…)…

La grandeur en question concerne l’ambition de pensée en l’inscrivant sous le signe d’une transversalité : une Œuvre grande est une œuvre transversale.

De quelle manière ?

J’avancerai ici – toujours par provision - trois traits caractéristiques :

1. Cette œuvre pourra être dite grande au titre du fait qu’elle ne serait pas réductible à un seul monde, et spécifiquement au monde-Musique. Une Œuvre grande ne saurait être strictement dite une œuvre musicale ni même une œuvre d’art. Sa composante poétique contrevient au premier point et sa composante idéologique au second. Une œuvre grande circule donc intrinsèquement entre différents mondes. C’est là le premier sens de sa dimension transversale.

2. Une œuvre grande aurait pour ambition propre de donner forme à un moment de la pensée, ou de donner forme de moment à la pensée de l’humanité (donner forme de moment à la pensée pour donner forme à un moment de la pensée). Une œuvre grande serait donc l’inverse de la Moment-Form (peut-être quelque chose comme une Form-Moment). Un moment, ici, n’est pas un tout : la constitution d’un moment ne procède pas par totalisation (par exemple des pensées à l’œuvre, œuvrantes dans une séquence chronologique donnée). Un moment n’est pas un découpage opéré dans une durée préexistante, dans un flux historique déjà donné, dans une continuité fondatrice. Un tel moment ne relève ni de la durée bergsonienne ni de l’instant bachelardien : un moment, c’est un présent qui subsume durée et instant proprement dits. Sa consistance propre relève d’un fil rouge transversal faisant liasse de différents feuillets. Ce fil rouge peut-il être de type borroméen ? La question se pose – je le retrouverai en cours d’exposé – mais je ne la tranche pas pour le moment.

3. L’Œuvre grande qui se nommerait Égalité ‘68 serait alors la forme donnée à un moment spécifique en ce qu’il relève de l’idée globale d’un entretemps : celui des cinquante années concernées (1968-2018). Un moment intervallaire a ceci de spécifique qu’il n’entre pas en composition linéaire avec d’autres moments : il n’est pas à proprement parler sommable dans une histoire (comme on peut, par exemple, sommer l’histoire musicale en différents moments successifs : Renaissance, baroque, classique, romantique et atonal). Un entretemps est un carrefour, ou un passage. Œuvrer en donnant forme à un entretemps de la pensée collective, c’est concevoir une œuvre qui soit un passeur et qui, à ce titre, à la fois continue et esquisse une inflexion. Œuvre ce faisant prophétique ? Pourquoi pas si on l’entend au titre non pas de l’esquisse d’un avenir mais tout au contraire de la transmission d’un présent (tout de même qu’un secret ne relève pas de l’extrinsèque et du volontairement dissimulé [11], une prophétie relève du présent bien plus que du futur : elle annonce ce qui, pour le futur, aura compté du présent [12]).

Tel est donc l’horizon sous lequel je vais examiner la question d’un éventuel commun entre musique et langues : celui du projet d’une Œuvre grande, nommant une œuvre d’un type nouveau qui ne soit ni strictement musicale, ni strictement poétique ou théâtrale, ni strictement idéologico-politique car s’attachant en un certain sens à être les trois à la fois (tout le point résidant alors dans le sens à donner à cet « à la fois »…) en sorte de donner forme à un moment, de formaliser un « présent pur » (synthèse disjonctive « d’accès de fureur et de patience infinie » [13]) qui, ici, relève spécifiquement de l’idée d’entretemps.

Donner forme à cet entretemps spécifique (1968-2018) en une Œuvre grande en sorte de faire passer les ressources réelles de ce moment, tel est donc le défi qui opère en arrière-fond de cet exposé.

Le péril du chant

Second point préalable, qui oriente ce que je vais vous présenter : il y a, pour ce projet d’Œuvre grande, un péril propre du chant.

C’est cela que je voudrais vous faire sentir, ressentir en sorte de vous présenter l’inquiétude au principe de mon intervention.

Je le présenterai de deux manières.

1. Question de beauté…

Empiriquement, le chant d’un texte – disons surtout d’un poème – interdit qu’on puisse le reconnaître vraiment comme beau, rature sa beauté propre de langue : comment dire, après le Mallarmé de Ravel (qui, à mon sens, est la meilleure mise en musique de Mallarmé que je connaisse [14]) qu’il s’agit là d’un beau poème faisant vérité d’une belle langue c’est-à-dire exhaussant la langue française à sa potentialité proprement sublime ? Impossible, bien sûr. Ce n’est pas là un reproche que j’adresse à la musique, singulièrement à la musique de Ravel ; c’est là strictement une impossibilité du chant en tant que tel, autant dire son réel : le réel du chant est d’éponger la manière dont un texte fait beauté de la langue qu’il mobilise (je ne dis pas que le chant ne fait pas beauté de la langue chantée ; je dis simplement qu’il en fait beauté musicale et que, ce faisant, il rature sa beauté linguale). Le réel du chant est que sa beauté proprement musicale rature celle de la langue prosodiée.

Seule exception que je connaisse : celle du tajwîd. Étrangement, fFaire phonétiquement ressortir la beauté de la langue coranique impose de la chanter, c’est-à-dire plus exactement de la cantiller. C’est en effet la condition phonologique pour faire ressortir le contraste entre consonnes bruiteuses et voyelles résonantes, entre squelette des lettres et souffle des harakas [15]. Mais le point ici décisif est que cette cantillation n’est pas organisée comme chant, c’est-à-dire n’est pas commandée par une organisation musicale : elle l’est pas une organisation linguistique, prosodie, phonologique. [16]

Techniquement, il me semble que cette pratique répond à la logique suivante : l’emphatisation de certaines consonnes (phénomène très important en arabe littéraire et encore amplifié en arabe coranique : voir par exemple les deux manières de prononcer le alif long de Allâh : al-Ham-du-lil-lèh / in cha-‘al-lôh ou say-yi-du-εab-dul-lôh/ say-yi-di-εab-dul-lèh) se joue en plus grande part dans la voyelle qui suit et fait résonner la consonne : t/T, d/D, s/S, z/Z. Or le chant permet de tenir la voyelle, ce que la parole ne permet pas aussi nettement. Le chant donne une durée de tenue, de résonance. Le chant autorise ainsi un rythme de durées et non plus seulement un rythme d’intervalles entre accents et appuis.

Exemple de deux alexandrins raciniens de 12 mots :

« Le jour | n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. » (Thésée - Phèdre, IV.2)

« Ne puis-je rien pour moi quand je puis tout pour lui ? » (Alexandre - Alexandre, III.6)

La cantillation n’y change pas grand-chose. Elle change plus dans

« Présen-te, | je vous fuis, | absen-te, | je vous trouve. » Racine (Phèdre, II.2)

car elle fait mieux entendre/résonner/raisoner la différence entre les « e » non muets et muets.

Et dans les alexandrins suivants de Racine, elle fait mieux entendre l’élargissement ou la précipitation du rythme des groupements (de durées identiques) tout comme Bach procède à une précipitation par un rythme harmonique sur un fond de train régulier de doubles croches dans la Dorienne :

« L’ingrat | de mon départ | consolé par avance | Daignera-t-il compter les jours de mon absence ? » (Bérénice, IV.5)

intonation montante, interrogative…

« Ce même Agamemnon à qui vous insultez, | Il commande à la Grèce | il est mon père | il m’aime. » (Iphigénie, II.5)

intonation descendante, en chute…

Voir aussi dans ce vers de Baudelaire :

« An-ge plein de bon-té, | co-nnai-ssez-vous la haîne ? » (Irréversibilité)

Ceci dit, le français s’y prête mal car il ne connaît pas la distinction entre syllabes courtes et longues qui, lui, est au principe de l’arabe littéraire, et cette distinction repose, en bonne part (il y a aussi la question des consonnes « muettes » c’est-à-dire avec sukun donc les syllabes de type CVC°), sur la distinction entre voyelles courtes et longues : u/û, a/â, i/î. Cette distinction ressort mieux lorsqu’elle est cantillée.

Je propose donc cette définition : j’appelle « cantillation » une manière de « chanter » où la « musique » reste implicite c’est-à-dire étroitement normée par la phonologie du texte, donc un « chant » qui ne relève pas de la musique en tant que telle (si on appelle « musique » non pas ce qui incorpore une mélodie faite de hauteurs et de durées mais ce qui ordonne son dire et son discours à la logique musicale faite de hauteurs et de durées).

Ex. al-is-ti-εâ-zah :

اَلْإِسْـتِـعَاذَةُ]          أَعُـوذُ  بِٱللَّـٰـهِ  مِـنَ ٱلشَّيْـطَـٰـنِ ٱلرَّجِيـــمِ]

‘a-εû-zu bi/l-lè-hi mi-nè/ch-chèy-TO-ni/r-ro-jîm°

2. Question du chant…

Ce péril du chant peut être aussi thématisé plus idéologiquement.

Il faut bien sûr des idéologies car il faut des idées et il faut un développement discursif de ces idées – la maxime conformiste du temps « À bas les idéologies ! » est bien sûr un leurre parfaitement interne à l’idéologie nihiliste de la démocratie de marché [17] (tout autant que la maxime, aussi logiquement absurde : « Tout est relatif ! » [18]…)

Genet l’indique bien dans son avertissement à sa pièce Le Balcon :

« Quelques poètes, de nos jours, se livrent à une très curieuse opération : ils chantent le Peuple, la Liberté, la Révolution, etc., qui, d’être chantés, sont précipités puis cloués sur un ciel abstrait où ils figurent, déconfits et dégonflés, en de difformes constellations. Comment les approcher, les aimer, les vivre, s’ils sont expédiés si magnifiquement loin ? Écrits, parfois somptueusement, ils deviennent les signes constitutifs d’un poème ; la poésie étant nostalgie et le chant détruisant son prétexte, nos poètes tuent ce qu’ils voudraient faire vivre. »

Ce qui m’intéresse ici est la fonction du chant comme producteur d’images (musicales) trompeuses, fantasmatiques, détruisant la matérialité linguale (pour ne pas dire linguistique : il me plaît d’emprunter ce mot à Bernd Alois Zimmermann) qu’il prétend exhausser.

Le chant tend à « imager » (au sens large, pas au sens restreint de l’illustration) le poème ou le texte mobilisé. Et c’est ce péril que je voulais inscrire aussi en préalable à mon propos.

Fixons ce point : l’Œuvre grande vise à donner forme au moment présent sans l’imager ou le représenter.

Comment formaliser sans imager ? Tel est le défi.

Commun ?

Troisième et dernier point préalable, j’inscris cet exposé sous le signe du commun plutôt que sous celui – avancé pour l’exposé de novembre dernier [19] – de justice.

Une justice a à voir avec un équilibre – son emblème n’est pas une balance par hasard. Une justice se tient entre des forces différentes, plus encore entre des puissances de natures différentes et sans exacte commune mesure. Une justice concerne donc un équilibre possible, une harmonie envisageable entre capacités hétérogènes et convergentes en un point.

C’est bien La République de Platon qui développe ce point en long, en large et en travers.

La justice se tient donc au lieu d’une somme. Attention !: elle ne constitue pas une somme par elle-même mais elle intervient au lieu d’une somme (ou d’une colimite injective) pour la réguler.

La question du commun est sensiblement différente quoiqu’elle intervienne aussi en partie au même lieu d’une somme. Elle se pose de même entre différentes individualités mais concerne cette fois un possible partage intrinsèque et non plus une régulation extrinsèque (quoique la justice puisse et doive aussi devenir un souci intrinsèque de chaque composante concernée sous la figure par exemple de l’autolimitation : pour prendre l’exemple classique d’une justice possible entre libertés différentes et même entre libertés de natures différentes, cette question peut être intériorisée par une liberté en sorte alors qu’une juste liberté soit une liberté apte à s’autolimiter).

La question du commun se pose toujours d’une double façon : je dirai d’un côté ce qu’on a en commun et d’un autre ce qu’on a de commun – on pourrait dire la première concerne un partage de l’avoir (l’avoir en commun, le mis en commun) et la seconde un partage de l’être (l’être de commun, ou le commun d’être). On a là, bien sûr, la dualité de la colimite et de la limite, ou celle de la somme et du produit : l’en commun désigne ce qui en aval est mis en partage, ce qui est injecté, sommé, amalgamé : le de commun désigne ce qui en amont est partagé. [20]

Cette question du commun plutôt que simplement de la justice [21], je la pose bien sûr entre musique et langues. C’est ici mon terrain d’épreuve. Ceci engendre donc une série de questions.

· Entre dire musical et dire verbal, entre discours musical et discours langagier peut-il y avoir justice à partir du moment où ces deux flux partagent le même espace (lieu architectural) et le même temps (durée chronologique) ?

· Entre dire musical et dire verbal, entre discours musical et discours langagier qui ont en commun un tel type d’espace architectural et de temps chronologique y a-t-il (peut-il y avoir) un de commun ?

La question de justice n’est pas tout à fait la même que la question du commun.

La question de justice suppose en effet un espace de pensée apte à subsumer musique et langues. Il me semble ne pouvoir alors être que celui de l’Art en général et avec majuscule. Il m’importe de m’en tenir systématiquement à l’écart.

La question du de commun me semble préférable car elle a pour mérite de pointer l’existence d’un possible trait commun faisant appel à un troisième terme : celui que je propose, toujours « par provision », de nommer Idée. La question devient ainsi une variante ou un feuillet de ma question du jour : pour que musique et langues puissent faire œuvre commune, ne faut-il pas qu’elles soutiennent de commun une même Idée ?

Tout le point est alors de donner sens à cet énoncé.

Je vais m’y attacher maintenant, sachant parfaitement que la cause est ici de longue haleine et ne trouvera pleinement son déploiement que dans l’Œuvre grande envisagée sous le titre Égalité ‘68.

Il ne s’agira donc ici que d’esquisser comment avancer aujourd’hui, cinq ans avant l’échéance terminale, dans cette orientation.

*

Je le ferai ici en deux volets.

Le premier explorera les différents types de vocalité sous l’hypothèse qu’un éventuel de commun entre musique et langues engage de manière intrinsèque chacune des deux composantes concernées et donc que toute vocalité ne se trouve pas en même capacité de mettre en œuvre avec la musique un de commun (le de commun concerne l’être même de la vocalité et de la musique concernées, non une simple combinatoire exogène).

Le second explorera les rapports possibles entre ces vocalités et la musique. C’est ici que je me demanderai si l’on peut circuler en évitant les deux sillons bien balisés du chant et du mélodrame.

Les différents types de vocalité

Joseph Gelineau

Article Exultet – Encyclopédie pratique de la liturgie, p. 328-333

Comme on va le voir en détail, il n’est pas anodin que cette typologie se dispose sous le signe de la liturgie : celle-ci constitue le transcendantal explicite configurant les existences ici en jeu.

9 gradations :

Résumé de sa catégorisation

1. Les acclamations («Amen», «Gloire à toi», etc.) relèvent du genre « cri » : appel, adhésion, reconnaissance, joie. Le son amplifie le mot en intensité et en durée.

2. Dans les proclamations faites par le prêtre (préfaces, bénédictions et autres textes solennels), le ton soutenu et l'étalement des syllabes attirent l'attention et valorisent le message. Il y a ici phrases, discours durable.

C’est « le message » à transmettre qui ici légitime liturgiquement la proclamation.

3. Les lectures publiques supposent toujours un certain «ton». À quoi correspondent les cantillations (qui ne sont pas un chant, mais une récitation mélodique). Elles manifestent que le lecteur transmet une parole qui vient de plus loin que lui. Elles rendent normalement le texte plus audible et plus intelligible en public.

Ce sera pour nous la catégorie centrale. J’y reviendrai…

Comme d’autres, cette catégorie est ici légitimée par sa fonction proprement liturgique : « transmettre une parole qui vient de plus loin ».

Une conséquence est qu’il : faut bien sûr réévaluer cette catégorie de voix lorsqu’elle n’est plus saisie dans un tel cadre de type liturgique.

4. La psalmodie proprement dite est un cas spécial de lecture biblique : on y récite un « poème » aux vers balancés (par deux ou trois) et rythmés (les « versets »). Le « ton de cantillation » vient mettre en valeur ces structures poétiques qui ouvrent au sens des mots.

Je fusionnerai cette catégorie avec la précédente…

5. Avec l'antienne, il se produit comme un point d'équilibre entre la parole et la musique : la mélodie est comme l'expansion du mot dans sa phonétique, sa signification et sa symbolique. Les antiennes grégoriennes en latin en demeurent le modèle : ni distorsion ni concurrence entre la mélodie et le texte, mais parfaite synergie dans l'acte de la prière. À ce genre se rattachent aujourd'hui les tropaires, les antiennes et répons de la liturgie des Heures et les meilleurs refrains du psaume responsorial de la messe.

Remarquer l’existence d’une catégorie centrale d’équilibre (Gelineau a 9 catégories : nombre impair). Pour lui, l’antienne fait synthèse conjonctive du lingual et du musical. Je travaillerai pour ma part sur du disjonctif, donc sur des dénombrements pairs progressivement réduits et condenses (10, puis 8, puis 6).

Il est clair que ce qui autorise ici qu’il y ait synthèse du lingual et du musical est le troisième terme englobant que constitue « l’acte de prière » : prier en parlant/chantant, certes, mais cet équilibre devient plus problématique quand il n’est plus gagé sur un tel type d’acte liturgique.

6. On regroupe sous le nom de choral les chants de forme strophique tels que les hymnes classiques, les vieux Noëls populaires, le psaume huguenot, certains cantiques. Le principe est que l'on peut chanter, sur la même mélodie, diverses strophes dont le rythme verbal est le même. On voit qu'ici ce n'est plus le texte mais l'air qui mène le jeu du chant.

À partir de maintenant, c’est la musique qui dirige.

7. Le cantique est une composition libre sans lien précis avec un rite déterminé.

8. Dans le motet ou les diverses «arias», «messes en musique», etc. le texte, même respecté, est surtout le matériau vocal pour une création musicale qui joue son propre jeu. On entre dans le répertoire de la « musique religieuse », qui ne correspond pas nécessairement au déroulement rituel de la liturgie actuelle.

Ici texte et prosodie ne sont plus seulement dirigés par la musique mais subordonnés.

La musique échappe ici à la liturgie : Gelineau explicite qu’il catégorise avec trois termes, non deux : paroles, musiques et liturgie (le troisième étant clairement surplombant et constituant des possibles liens entre les deux premiers).

9. La vocalise de jubilation ou de supplication : à partir d'une syllabe, la voix s'épanche librement. Nous entrons dans la musique au-delà des mots.

François Picard

Parole, déclamation, récitation, cantillation, psalmodie, chant (2008)

Je retiens de cet autre essai pour catégoriser les différentes types de vocalité que laLa gradation quasi-continue entre parole-récitation et pur chant conduit à de nombreux entre-deux :

· la déclamation (d’essence théâtrale) = amplification des traits de la parole, se tenant à l’extérieur de la musique (pas de spectre harmonique, pas de mètre musical) ;

· le chantonnement,

· la récitation modulée (« intonation »),

· la cantillation (définie, de manière intéressante par Solange Corbin, comme une « manière de chanter sans chanter ») - la psalmodie serait renvoyée non à un type de vocalisation différent de la cantillation mais à un contenu : celui des psaumes (« Il n’est de psaume que de David »).

Les miennes

(parole) / prosodie / déclamation // Sprechgesang // cantillation-psalmodie / récitatif / chanson / air // mélismes // vocalises

Je laisse ce faisant de côté d’autres modes d’émission vocale dont je compte aussi me servir :

· Cris,

· Chuchotements (voix sans usage des cordes vocales),

· Voix plus spécifiques : nasillardes…

Parole-prosodie-déclamation

La parole, c’est la langue « naturelle », naturellement proférée.

La prosodie, c’est la langue plus soigneusement et minutieusement prosodiée.

La déclamation, c’est la langue prosodiée en tant qu’elle se trouve adressée. Elle vient d’une scène. La simple récitation peut rester pour soi.

Sprechgesang

Je soutiendrai l’hypothèse que le Sprechgesang, en réalité, fait partie du parlé : c’est un parlé dont l’intonation est maximalement modulée.

Cette hypothèse découle de la thèse que parlé et chanté sont en vérité incompatibles (et qu’une même voix ne saurait parler et chanter à la fois !).

Il en découle que le Sprechgesang est la frontière interne du parlé et donc que le parlé est un ensemble fermé quand le chanté est un ensemble ouvert.

J’en donnerai tout à l’heure trois exemples sonores : en allemand, en français, en arabe.

Cantillation-psalmodie (tajwîd)

La cantillation sert la compréhension audible du texte. La psalmodie sert également sa structure littéraire.

La cantillation relève du phonologique. La psalmodie relève de l’articulation syntaxe/sémantique.

Les deux chantent sans chanter. Il s’agit moins de mélodie comme telle, pensée et comptée musicalement comme telle (comme une mélodie) que de hauteurs servant d’appui (cf. logique modale qu’il faut, sans doute, réhabiliter en ce point précis).

L’unification des deux constitue la cantillation psalmodiée dont le modèle est pour moi le tajwîd.

Cela éclaire un point tout à fait essentiel : tout chant rabote-t-il la langue, en particulier les consonnes ? Non ! À preuve, s’il en fallait, que tout tajwîd est (doit être !) cantillé ! Tout dépend de comment il est chanté : en effaçant les consonnes ou en les rehaussant. Un chant peut rehausser les consonnes : tajwîd et cabaret allemand !, mais aussi le scat anglais (voir exemples sonores).

Récitatif-chanson

Le récitatif part de la parole (porteuse) et le chant vient la moduler.

La chanson part de la mélodie (porteuse) et la parole vient la moduler (il peut y avoir plusieurs paroles différentes – couplets – pour une même mélodie).

C’est en ce couple que se fait le basculement du monde lingual au monde musical.

Air

L’air ne relève plus à proprement parler d’une modulation parole⨂chant.

Tout de même que dans le tajwîd, les hauteurs sont des appuis pour une logique linguale, tout de même dans l’air, les mots (plutôt que la phrase, le discours lingual) sont des appuis pour une logique musicale (mélodique). À ce titre, l’air ouvre au mélismatique : il en est logiquement plus proche qu’il ne l’est de la chanson car, dans l’air, le texte est traité comme une somme de mots plutôt que comme un discours (tout de même que dans le tajwîd, il y a somme de hauteurs qui ne font pas pour autant une mélodie).

L’air, comme le tajwîd, apparaît ici comme le plus ambigu, comme une sorte de bord intérieur du chant à la lisière de l’absence de toute référence au langage.

Mélismes/vocalismes

Le mélisme est une réalité locale, la vocalise globale.

La vocalise suppose ici que les voyelles sont variées (alors qu’un simple « a » convient pour l’opus 32 de PRKFV). On remarquera à ce titre la tendance de Vichneskaïa à vocaliser tout ce qu’elle chante en effaçant les consonnes et gardant par contre la variété des voyelles : tendance particulièrement forte dans la langue russe, surtout parlée par une femme…

On inclura aussi dans la vocalise le scat du jazz (be-bop a lu-la, ba-bi-dou), basé sur les consonnes et les syllabes : voir exemplairement Ella Fitzgerald.

Vocalises et scat constituent les deux figures (voyelliques et consonantiques) de la voix comme instrument de musique.

10 formes

Au total, je transforme ainsi en 10 catégories les 9 de Gelineau – le passage de l’impair au pair fait disparaître le centre figurant une synthèse conjonctive (l’antienne) et configure désormais une disjonction lingual/musical.

parole

prosodie

déclamation

Sprech

tajwîd

récitatif

chanson

air

mélismes

vocalises scat [22]

Gelineau

accla-mation

procla-mation

cantil-lation

psal-modie

antienne

choral

cantique

motet

vocalise

Soit :

	Parlé lingual				Chanté musical
	parole	prosodie	déclamation	Sprechgesang	Tajwîd	récitatif	chanson	air	mélismes	vocalises/scat
	Lingual : langue hors musique			frontière	La parole soumet le chant	Le chant module la parole	La parole module le chant	Le chant soumet la parole	frontière	Musical : musique hors langue
Qui est présent ?
Intérieur à quoi ?					purement ← lingual ou musical →
Qui compte-pour-un, phrase, discourt ?						← Un seul compte-pour-un →
Qui module ?						modulation

On a donc un quadruple emboîtement :

· D’abord un grand partage symétrique entre lingual et musical selon qui dirige (quitte, éventuellement, à se retrouver tout seul) : bleu/rouge

· Puis un partage a minima selon qu’on a ou qu’on n’a pas des intonations variées (éventuellement sans hauteurs : Sprech) et des voyelles/consonnes variées (éventuellement sans mots : vocalises/scat) ⟹ 2 types de « qualité ».

· Puis un partage a minima selon qu’on a ou qu’on n’a pas des hauteurs (éventuellement sans mélodies : tajwîd) et des mots (éventuellement sans phrases : mélismes) ⟹ 2 types de d’éléments.

· Enfin un partage selon qui dirige (qui est « porteur » et qui « module la porteuse ») quand on a à la fois phrases et mélodies, quand on a donc deux types de phrasés : récitatif-chanson-air.

Mon « arc »

On peut simplifier ces dix types en huit en un nouvel arc :

Pour des raisons « logiques » (cf. hexagone des oppositions), je réduis encore cela à six types :

10	parole	prosodie	déclamation	Sprechgesang	tajwîd	récitatif	chanson	air	mélismes	vocalises/scat
8	Purement lingual			Sprechgesang	tajwîd	récitatif	chanson	air	mélismes	Purement musical
6	Diction			Sprechgesang	Cantillation	Récitatif	Lied		Scat/vocalises
Sans hauteurs					hauteurs & paroles				Sans paroles
Disjonction				Tangence		Intersection			Disjonction

On peut en effet distinguer trois types de rapports entre musique et paroles au sein de la même voix :

Disjonction : diction ou scat/vocalises

Intersection : récitatif & lied

Tangence : Sprech & tajwîd

Soit l’hexagone des oppositions suivant :

Exemples musicaux

Sprechgesang :

· Allemand : Schonberg par Marianne Pousseur

· Français : Irène Aïtoff dans Pelléas

· Arabe : Al-Husarî [23] (1917-1980)

Voix & instruments

Voix instrumentalisée

Scat : Elle Fitzgerald

Mingus-Dolphy : instrument-voix

Beatbox !

Instruments vocalisés

Double Six

Swingle singers

Vocalises

Vitchnetskaya : PRKFV, mélodies sans paroles opus 35

&

Mahalia Jackson : Elijah Rock

Six langues

Mon dispositif va mobiliser dans Égalité ‘68 six langues dans une organisation que l’on peut formaliser ainsi :

Égalités internes à mes 6 langues

Les trois langues arabe, russe et française partagent un même principe en matière d’égalité endogène que je dirai l’égalité à partir du minimum et qui pourrait se formuler ainsi :

« La valeur du plus petit équivaut à celle de n’importe qui. »

Ce principe se distribue ainsi :

— en arabe : égalité des consonnes par la valeur donnée au hamza ء ;

— en russe : égalité des voyelles par la valeur donnée au « signe mou » ь (qui ramollit la consonne qui le précède mais en vérité tend phonétiquement à mouiller la voyelle qui suit) [24] ;

— en français : égalité des syllabes par la valeur donnée à la syllabe « féminine » (se terminant par « e » et singulièrement par le e de la voyelle blanche [25]).

Il y aurait donc trois langues qui déclarent respectivement l’égalité des consonnes, des voyelles et des syllabes.

Les trois autres langues latine, anglaise et allemande s’attachent-elles (ou peuvent-elles s’attacher) alors à déclarer un principe d’un autre type, une égalité cette fois « par le maximum » - maximum d’accent et de durée -, principe du type : « La valeur du plus grand équivaut à celle de n’importe qui », et ce respectivement pour les consonnes (allemand [26]), les voyelles (latin [27]) et les syllabes (anglais [28]) ?

Différents rapports musicaux à l’hétérogénéité linguale

Abordons maintenant la question plus générale des rapports musique/langues, non plus seulement à l’intérieur d’une voix donnée (parlant ou chantant) mais dans une œuvre mobilisant à la fois de la musique instrumentale et de la vocalité.

Les langues sont hétérogènes à la musique selon deux faces, non une seule :

· selon leur face signifiante (la musique n’est pas signifiante) ;

· selon leur face phonologique (leur logique sonore n’est pas musicale).

Elles le sont ipso facto par un troisième trait : leur manière propre d’articuler acoustiquement leur signification.

D’où trois questions (non une seule) lorsqu’une langue est présente en cours d’une musique :

· comprend-on ce qui est dit ?

· de quelle manière la prononciation s’y trouve-t-elle affectée ?

· au total, reste-t-on en état d’apprécier la qualité de la langue ainsi mobilisée, son éventuelle beauté ?

En général, aucun chant ne restitue une belle langue. Seul le mélodrame ou le Sprechgesang peut y pourvoir.

D’où notre examen des différents types de vocalité selon un double angle : celui de la compréhension signifiante, celui de l’articulation phonologique.

Quel rapport de la musique en général (et non plus seulement dans une voix) à ces différentes figures de l’hétérogène lingual ?

Il me semble qu’il y a ici trois orientations, que j’indexerai aux trois noms propres Bach, Wagner et Schoenberg :

· On peut composer une indifférence musicale à la voix comme voix en la traitant essentiellement comme on traite un instrument. C’est l’orientation de Bach qui est alors compatible avec une alternance air et récitatif (lorsque le texte devient prépondérant, la musique ne fait plus que l’accompagner ou le moduler).

· On peut moduler étroitement musique et texte vocalisé en sorte de féconder l’une par l’autre. C’est l’orientation de Wagner.

· On peut enfin superposer musique et texte vocalisé c’est-à-dire frotter l’une à l’autre sans exactement féconder l’une par l’autre. C’est l’orientation de Schoenberg qui renvoie à celle du mélodrame mais aussi à celle du Sprechgesang, à l’expérience de Moïse et Aaron… Cette orientation compose en quelque sorte une disjonction.

Ces trois orientations (indifférence instrumentale - modulation vocale – superposition disjonctive) vont engendrer l’hexagone suivant qui constitue mon espace de travail compositionnel actuel :

On y distingue trois nouveaux pôles, synthèses additives, selon que la prosodie ou la musique dirigent ou selon que la voix est conçue comme une portée en plus, égale en droit à une portée instrumentale.

On a inscrit ensuite, autour de l’hexagone central, un autre qui débouche cette fois sur trois sommes : celle de deux écritures (pour écrire séparément la diction des paroles et l’instrumentation musicale), celle de deux corps-à-corps (pour confronter mode d’existence instrumental et mode d’existence de la voix), celle de deux voix (pour distinguer voix qui parle et voix qui chante).

Dans ce cadre, mon orientation présente serait la suivante:

· D’abord faire feu musical et vocal de tous bois en jouant de toutes ces possibilités (et non d’une seule) au cours de l’Œuvre grande projetée.

· Ensuite creuser la figure spécifique de la superposition disjonctive en sorte d’explorer une figure transformée du face à face : il s’agit d’intérioriser ou d’endogénéiser la superposition disjonctive pour engendrer un corps-à-corpsface à face d’un nouveau type. Ceci va passer par une exploration prioritaire du pôle ici nommé « direction prosodique ». C’est sur ceci que je voudrais terminer cet exposé.

Corps-à-corpsConfrontation d’un nouveau type

L’idée autour de laquelle je tourne est celle d’un corps-à-corpsface à face intérieur entre musique et langue, d’une confrontation interne plutôt qu’externe : la prosodie creuserait la musique de l’intérieur, la prosodie agirait la musique de manière endogène.

On ne trouve cela ni chez Debussy-Poulenc, ni chez Wagner, ni non plus chez Bach (où la langue est assez clairement subordonnée à la musique).

Comme je vais y revenir, ceci me conduit à réexaminer la voie intuitivement adoptée dans Deutschland, et finalement prolongée, dans un autre contexte sonore, dans Duelle.

L’endogénéisation visée a pour but de ne pas retomber dans le mélodrame – mieux dit peut-être : de le prolonger en l’infléchissant, de prolonger un tracé en rompant une orientation.

Comment nommer ce face à face d’un nouveau type ? Corps-à-corps mais cette fois non plus interne à l’acte de produire la musique mais entre musique et langues (mieux, comme je vais y revenir, entre polyphonies musicales et linguales) ?

Gardons provisoirement corps-à-corps (qui n’est plus le corps-accord du corps du musicien et du corps instrumental).

La composition produit et l’exécution somme

Cela me ramène à mes méditations liminaires concernant le « deux » : celui du produit-limite et celui de la somme-colimite.

La composition produit. L’exécution somme.

Le produit est un produit fibré, c’est-à-dire qui tient compte des rapports entre Ͳ et 𝄞.

La somme, de même, est une somme amalgamée. Noter en effet que l’oreille continue parfaitement de distinguer le texte énoncé et la musique jouée…

Le produit doit synchroniser Ͳ et 𝄞 pour que l’exécution puisse ensuite les sommer. C’est en ce sens minimal que le produit doit être fibré (chronologiquement fibré).

Un produit fibré est un pullback qui tire en amont (il tire les rapports sonores en arrière : vers une pré-spatialisation sur papier).

La somme est acoustiquement amalgamée. Elle est un pushout qui pousse en aval (elle pousse les rapports projetés sur le papier en dehors : vers un monde sonore qui opère en aval).

La composition produit sur papier une partition chronologiquement fibrée en tirant en amont les rapports acoustiquement amalgamés.

L’exécution somme d’un point de vue sonore une partition acoustiquement amalgamée en poussant vers l’aval les rapports chronologiquement fibrés.

Orientations pour un corps-à-corps d’un nouveau type

Je rappelle : ce « corps-à-corps » doit ici s’entendre comme un « monde à monde », « face à face », « continent à continent », « polyphonie à polyphonie ».

Mon idée serait de prolonger d’une nouvelle manière

· d’une part la traversée vocale composée dans Deutschland : le chant y traverse le flot musical, le fend quitte parfois à s’y noyer ;

· d’autre part la ligne de faille mise en œuvre dans Duelle  : la voix parlée y rayonne mélodiquement donc aussi rythmiquement (et bien vite, dans mon cas, harmoniquement) en sorte de faire bouillonner de l’intérieur le flux musical, telle une résistance chauffée à blanc plongée dans un liquide

en travaillant sur une enveloppe interne, sur un frottement intérieur entre voix parlée-chantée et flot musical (et non plus extérieur comme dans le mélodrame), sur une manière pour la prosodie de creuser la musique de l’intérieur d’elle-même, de la faire bouillonner, de l’innerver…

C’est une sorte de mixte de disjonction mélodramatique et de modulation vocale et cela se situe donc en bas à gauche de mon hexagone sous le nom « direction prosodique » et sous le signe de la cantillation.

L’idée directrice va être de préserver l’hétérogène [29] sous sa double modalité : signifiante et acoustique. Ce n’est pas parce que la voix parlée est plongée dans la musique que son hétérogène doit être systématiquement émondé par le chant.

Il faut pour cela doter cette voix parlée-chantée d’attributs propres la rendant apte à exister au sein de la musique sans s’y dissoudre.

La métaphore que je vais mobiliser pour ce faire est celle de la tectonique des plaques (au principe de ce qu’on a appelé la dérive des continents) – voir annexe.

Il s’agit de composer des marges internes à l’Œuvre grande, des zones qui soient tantôt des « zones d’accrétion » (émergence d’un nouveau matériau solide), tantôt des « zones de subduction/obduction » (un matériau d’un certain type s’enfonce sous un matériau d’un autre type, ou, à l’inverse, passe au-dessus), tantôt enfin des « failles transformantes » (les deux types de matériau se frottent, décrochent…).

Tout ceci concerne donc des zones locales ou régionales de l’œuvre qui donnent forme à l’enveloppe ou faille intérieure.

Pour donner forme à ce corps-à-corps d’un nouveau type, il me faut avant tout donner une consistance spécifiquement prosodique au matériau vocal prononcé : pour filer ma métaphore, il faut que ma prosodie, plongée dans le fluide musical, est une consistance de solide ! Et il faut en même temps que cette consistance solide soit elle-même intérieurement animée par des dynamiques tenant ici lieu des courants de convection internes au manteau terrestre (ces courants qui organisent la poussée du manteau : son émergence comme son plongement).

De quoi ai-je pour cela besoin ? Comment organiser mon matériau prosodique ?

J’ai besoin de trois choses :

1. Double écriture

J’ai d’abord besoin d’une écriture prosodique, qui ne soit pas normée par l’écriture musicale et qui débouche donc sur une double écriture inévitable dans l’Œuvre grande ainsi conçue.

J’avais refusé la thèse des deux mondes dans l’œuvre musicale mixte (Dans la distance) mais j’avais pourtant dû me résoudre à une double écriture, prolongée dans Duelle (même si j’avais alors inventé une manière, propre à la Timée, de réduire la fracture).

Il s’agit bien ici en première approche de deux mondes.

D’où ces premières tentatives d’écritures et notations.

Anglais

Obsessed, bewildered Œ  Œ By the shipwreck  Œ Of the singular Œ  Œ We have chosen the meaning  Œ Of being numerous.

Hantés, déroutés. Par le naufrage Du singulier Nous avons choisi le sens D’être multiples.

Allemand

Die Wahr-heit näm-lich ist dem Men-schen zu-mut-bar.	Car, de l’homme, on est en droit d’attendre la vérité.
Ich glau-be, daß dem Men-schen ei-ne Art des Stol-zes er-laubt ist – der Stolz des-sen, der in der Dun-kel-haft der Welt nicht auf-gibt und nicht auf-hört, nach dem Rech-ten zu se-hen.	Je crois qu’est permise à l’homme une forme de fierté, la fierté de celui qui, dans l’obscurité du monde, ne renonce pas et ne cesse pas de chercher ce qui est juste.

Russe

B_и-голь-ча-тых чум-ных бо-ка-лах	Nous buvons la hantise des causes
Mы пьем на-важ-де-нье при-чин,	dans le pétillement vénéneux de nos coupes
Ка-са-ем-ся крю-чья-ми ма-лых,	et nous frôlons de nos crochets
Как лег-ка-я смерть, ве-ли-чин.	des infinis subtils comme une mort légère.
И там, где сце-пи-лись би-рюль-ки,	Mais où les jonchets s’entremêlent
Ре-бе-нок мол-ча-нье хра-нит	l’enfant reste sans mots :
Боль-ша-я все-лен-на-я в_люль-ке	l’univers dort dans le berceau
У ма-леиь-кой веч-нос-ти спит.	d’une petite éternité.

Arabe

Je passe ici…

Latin

séd ōm-ni-a præ-cla-ra | tam dif-fi-cī-li-a quam rā-ra | sūnt.

Mais toutes les choses précieuses | aussi difficiles que rares | sont.

Français

Mou-che tte | se lai-ssa gli-sser sur la cô te | ju-squ’à ce qu’e-lle sen-tît le long de sa jam-be_et ju-squ’à son flanc | la dou-ce mo-rsu-re de l’eau froi de.

Le si-len ce | qui s’é-tait fait sou-dain | ‘en_e lle | ‘é-tait_i-mmen se.

C’é-tait ce-lui de la fou le | qui re-tient son ha-lei ne | lo-rsque l’é-qui-li-bri ste | ‘a-tteint le de-rnier ba-rreau de l’é-che-lle ve-rti-gi-neu se.

La vo-lon-té dé-fa-illan-te de Mou-che tte | ‘a-che-va de s’y pe rdre.

2. Différents types de voix

Pour composer des courants de convection internes à la prosodie, il me faut organiser, sur la base de l’écriture spécifique indiquée ci-dessus, une diversité de voix.

C’est ici qu’interviendront mes six types de vocalité :

Diction | Sprechgesang | Cantillation | Récitatif | Lied | Scat-vocalises

Chacune implique, cela va de soi, des dispositifs d’écriture-notation différents.

3. Une polyphonie vocale d’un nouveau type

Au total, et c’est sans doute là l’idée-clef (celle du moins qui noue l’ensemble), il s’agit de composer une polyphonie vocale autonome apte à entrer en rapport avec la polyphonie musicale habituelle.

Il s’agit donc, sur la base d’une double écriture, de composer une double polyphonie.

J’ai déjà testé une telle idée dans Duelle, via le dispositif spécifique de la Timée. Il s’agirait désormais de l’élargir, de le systématiser en dehors de toute technologie électroacoustique et informatique.

L’idée serait donc de composer des polyphonies vocales de mes six langues simultanément prononcées, de manière intelligible et en respectant leur beauté plastique – leur phonologique – propre. C’est cela qui composerait mon manteau solide apte à interagir avec la fluidité musicale en des zones diversifiées d’accrétion, de subduction/obduction et de transformations réciproques.

Je ne peux pour le moment vous en dire beaucoup plus et je m’arrête donc sur cet état des lieux.

Annexe : Tectonique des plaques

(1968 ! [30])

Il s’agit là de déplacements de quelques centimètres par an.

Fond des océans :

— expansion à partir de dorsales médio-océaniques,

— réabsorption sous les fosses océaniques et les montagnes jeunes.

Trois frontières de plaques [31] :

— Zones d’accrétion (où naît la croûte océanique)

— Zones de subduction (où plonge la croûte océanique) et d’obduction (où la croûte océanique passe sur la croûte continentale)

— Failles transformantes (+ décrochements…)

Les continents (croûte continentale), eux, ne peuvent que se rompre ou se chevaucher.

Continent unique primitif : Gondwana [32]

*

---

[1] énoncé démarqué de celui d’Adorno : « L’art a besoin de quelque chose qui lui est hétérogène pour devenir art ».

[2] La République de Platon (Alain Badiou ; Fayard)

[3] Soit deux acceptions bien différentes de ce que « un » veut ici dire : dans le classicisme, l’œuvre est une car il s’agit d’une œuvre musicale : l’un de la musique produit l’un de l’œuvre ; dans le romantisme, l’œuvre est une car il s’agit d’une œuvre d’art (total) : l’un de l’œuvre est sommé dans l’un de l’art. D’un côté, l’un de la musique fait l’un de l’œuvre mixte ; de l’autre, l’un de l’art fait l’un de l’œuvre d’art totale. L’unité classique procède de l’aval (par projection sur l’œuvre de la puissance musicale unificatrice), l’unité romantique de l’amont (par sommation – amalgame fécondé - de toutes les composantes à l’œuvre dans un unique monde supposé de l’art).

[4] qui, bien sûr, ne se limite pas au temps chronologique et à l’espace architectural empiriquement partagés…

[5] soit la musique dirige (c’est alors le chant où la diction est soumise à la musique), soit la prosodie domine (c’est alors le mélodrame où la musique « accompagne »).

[6] On reconnaîtra ici le dilemme catégoriel de la limite projective et de la colimite injective…

[7] Passion selon Saint Matthieu, La Khovantchina, Parsifal, Moïse et Aaron, Octobre, Requiem pour un jeune poète, Égalité ‘68…

[8] Simultanément constituante et constituée, cette Idée semble configurer un nouage borroméen…

[9] au sens que Descartes donnait à sa « morale par provision » dans Le Discours de la méthode : trois maximes provisoires pour ne pas rester irrésolu et inactif en un moment où sa théorie de l’orientation générale n’était pas encore établie…

[10] Une telle œuvre passe peut-être par le fait qu’il n’y ait pas tout le temps de la musique, qu’il puisse y avoir des moments sans musique (tout de même qu’il n’y aurait pas tout le temps de la parole et qu’il puisse y avoir des moments musicaux sans paroles). Tout de même, une telle œuvre n’exclut nullement par principe qu’il puisse y avoir des moments de chants classiques, ou des moments plus romantiques de mélodrame, etc.

[11] C’est un théorème de Jacques Lacan…

[12] C’est un théorème de René Char…

[13] Alain Badiou : Pornographie du temps présent (Fayard, 2013 ; p. 19)

[14] En particulier Placet futile

[15] Louis Massignon nous rappelle que les premières s’écrivent en noir et les secondes se notent en rouge.

[16] Il est intéressant de remarquer en ce point que Jean-Jacques Rousseau suggère finalement l’analogie : voyelles/consonnes ≣ mélodie/harmonie.

[17] Il va de soi que la maxime « À bas les idéologies ! » n’a d’autre sens… qu’idéologique !

[18] « Tout est relatif ! »… sauf cette maxime elle-même qui en est l’absolu fondateur.

[19] Son titre devait être : « Comment rendre musicalement justice d’un poème en langue française ? »

[20] Quand Rousseau définit le chant ce « dont on peut trouver ou sentir l’unisson » par-delà toute existence solfégique (au-delà des sons « qu’on peut assigner par les notes de notre musique et rendre par les touches de notre clavier »), il pose clairement l’unisson en principe premier susceptible de produire la diversité « des sons variés et appréciables ». L’unisson est ici le « de commun » source du chant qui doit clairement se distinguer si ce n’est s’opposer à tout unisson terminal figurant un accord construit, un possible en commun cette fois construit et non donné a priori, une cible, une somme, une colimite. Il est clair qu’on a ici affaire à deux conceptions opposées de ce que c’est que faire de l’un, ce que c’est qu’unifier…

[21] Mais on pourrait dire qu’il y a une justice du commun, c’est-à-dire une harmonie dynamique entre de commun et en commun…

[22] + glossolalie, onomatopées

[23] maHmûd Xalîl al-HuSarî. On remarquera que la simplification drastique de sa mélodie fut critiquée par certains, plus amateurs de « sensations » mélismatiques.

Par exemple :

Al-Husarî fut connu pour son tartîl (psalmodie rapide) du Coran, technique qui de son point de vue est la plus correcte et la plus légitime comme le confirment de nombreux autres savants de la récitation. Il dit à cet égard : "Le tartîl donne corps à chaque mot d’une façon univoque, chose qui ne peut se produire dans une pure interprétation "chantée" où les mots sont soumis à une certaine musicalité s’opposant à la nécessaire empreinte sonore indispensable pour la réalisation du sens. Et si l’on ressent au cours de l’interprétation "chantée" une excitation issue de la saturation mélodique, on ressent à l’opposé pendant le tartîl une quiétude et un recueillement issus du rayonnement du message du Coran."

A une autre occasion, il défendit son style de récitation du Coran, disant : "Le tartîl nous met directement face au texte coranique. Il nous met en position d’écoute positive dans un pur débat intellectuel qui responsabilise celui qui écoute. Alors que la restitution "chantée" empreint des passages de recueillement par une enveloppe de gaité, le tartîl est plus difficile car il restitue plus fidèlement le sens. L’origine du tartîl est en effet avant tout le texte lui-même et non pas le rythme musical".

Ainsi, Sheikh Al-Husarî était convaincu tout au long de sa vie que le tartîl n’est pas uniquement un ensemble de règles de récitation que l’on apprend. Le tartîl nécessite des études approfondies en linguistique et en dialectes arabes anciens, ainsi qu’en exégèse, en tonalités vocales et en lectionnaires. Il nécessite également une voix extrêmement sensible capable de rendre des nuances de timbre extrêmement fines.

[24] Noter cependant que ce signe est (très) rare en russe quand le hamza est (très) fréquent en arabe.

[25] Cf. Michel Bernardy : son exposé Babel de novembre 2012 et son livre…

[26] Cf. son partage avec l’arabe de l’importance des consonnes…

[27] Cf. la question des diphtongues (« æ »…), et surtout des voyelles constituant une syllabe à elles toutes seules : « me-i »…

[28] Cf. rôle déterminant de l’accent de mot avec son effet agglutinant pour les autres syllabes…

[29] À quoi bon, en effet, mobiliser l’hétérogène si c’est, au bout du compte, pour l’assimiler !

[30] Xavier Le Pichon, W. J. Morgan. Cf. Dérive des continents (1912) : Alfred Wegener

[31] Plaque ≠ continent : une plaque peut être purement océanique (cf. la plaque Pacifique) ou elle peut comporter océans et continents (cf. les plaques sud-américaine, nord-américaine, africaine, eurasiatique).

[32] Wegener l’appelait Pangée.