Notes de lecture de Liszt, virtuose subversif

(Bruno Moysan ; Symétrie, 2009)

Samedi d’Entetemps, Ircam - 20 novembre 2010

 

François Nicolas

 

Citations de Liszt

Artiste et société (Flammarion, 1995)

Une intelligence qui embrasse large…

·       La politique, l’art et la science [1]

Il est frappant qu’il se soucie d’embrasser la presque totalité des pensées… Combien de musiciens ont encore aujourd’hui un tel type d’ambition ?

·       L’intelligence doit sonder toutes choses, nous dit l’Écriture sainte ; ce n’est pas en vain que cette parole est tombée sur notre terre. [2]

 

La subjectivité du musicien, ou le musicien abordé dans sa subjectivité immanente.

Le nom lisztien du subjectif est d’origine religieuse. C’est « foi ».

·       Un fait qu’on peut regarder à la fois comme cause et effet de la Subalternité des musiciens, c’est le manque de foi. [3]

·       Les artistes ont foi en l’art. [4]

·       Notre foi se retrempant dans la certitude des convictions que nous avons acquises [5]

·       Nous, prêtres de l’art [6] - Les prêtres et les artistes [7]

 

L’écoute musicale comme subjectivation

·       Une nouvelle génération [de musiciens] marche et avance. Faisons place à ces nouveaux envoyés ; écoutons la parole, la prédication de leurs œuvres ! [8]

·       La musique avait produit sur moi son effet accoutumé, elle m’avait isolé au milieu de tous. [9]

 

La responsabilité propre du musicien : artiste est le nom lisztien du musicien prenant publiquement en charge la responsabilité de la musique :

·       Schiller a dit quelque part : « Toutes les fois que l’art s’est perdu, ç’a été par la faute des artistes. » [10]

·       J’ai été conduit à me demander si toute la sensation que l’artiste pouvait faire se bornait au plaisir sensuel. [11]

Citations sur l’Histoire de l’historien

Ce livre d’historien se conforme à ces principes concernant ce que Marc Bloch appelle « l’Histoire de l’historien » :

Michelet

·       Rien de pire que l’historien qui s’efface. L’historien qui entreprend de s’effacer en écrivant n’est pas du tout historien. [12]

Veyne

·       Tout est historique et tout dépend de tout. [13]

Marc Bloch

·       L’histoire est distrayante.  [Cf.] le plaisir de la couleur vraie, la volupté d’apprendre des choses singulières [14]

·       Nos grands aînés, un Michelet, un Fustel de Coulanges, nous avaient appris à le reconnaître : l’objet de l’histoire est, par nature, l’homme. Disons mieux : les hommes. […] Ce sont les hommes que l’histoire veut saisir. […] Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. [15]

·       Pour matière, l’histoire a, en dernier ressort, des consciences humaines. [16]

·       Dans une société, tout se lie et se commande mutuellement. [17]

Alain Badiou

·       Le cadre général de l’Histoire est la dualité État/Société [18]

 

*

 

Ceci dit, n’oublions pas ce point de vue, plus dédaigneux de ces délices d’une totalisation imaginaire :

Foucault

·       La grande, tendre et chaleureuse franc-maçonnerie de l’érudition inutile. [19]

René Char

·       L’obsession de la moisson et l’indifférence à l’Histoire sont les deux extrémités de mon arc.

Kierkegaard

·       Il faut écarter l’histoire. Il faut établir la situation de la contemporanéité. [20]

·       L’histoire ne nous apprend rien. [21]

Livre de Moysan

Livre d’historien (7)

Centré sur la séquence parisienne 1823-1848 (la première des trois périodes de Liszt : avant Weimar 1848-1858 puis Rome 1861-1886) et les fantaisies sur des thèmes d’opéra pur piano (voir liste p. 41-42)…

En effet, l’historien trouve plus de grain à moudre dans le « menu fretin » musical que dans les œuvres proprement dites : l’hétéronomie des simples pièces permet mieux, à l’ogre historien, de « flairer la chair humaine »…

Liszt

      Succès invraisemblable : 4 kilomètres de queue pour un de ses concerts à Lyon (238), il est vrai un 14 juillet 1844, à l’époque où célébrer la Révolution française voulait encore dire quelque chose politiquement…

      Côtés chaussée d’Antin / faubourg Saint-Germain (72-73)

      Inventeur du concert (soliste)

      Fantaisie : sorte d’improvisation écrite ?

      Avant 1848, pas d’œuvres proprement dites (8), en particulier pour Liszt lui-même (9). Des pièces : du « menu fretin » (9).

Figure humaine de Franz Liszt

·       générosité,

·       souci de la révolution sociale (plutôt que politique),

·       soucieux des responsabilités du musicien (plutôt que de la musique)

Mythologie plutôt qu’intellectualité proprement dite

Un musicien passant du virtuose à l’artiste. Cf. « artiste » est pour Liszt le nom du musicien socialement responsable de la musique, responsable de la musique devant l’humanité et les peuples qui la composent…

Construction d’une mythologie : celle de l’artiste (262) quelle formule canonique du mythe ? Quelle dualité, tragiquement vécue, s’agit-il ici de réduire par un bricolage ad hoc ? Bien sûr l’écart entre le monde propre de la musique et les autres mondes. L’artiste est chez Liszt le nom du musicien qui s’attaché à réduire ce partage thématisé comme tragédie… pour le musicien. Y arrive-t-il par les moyens de la fantaisie, de l’improvisation composée et transcrite ? Tout le point est là. Il est patent qu’ainsi la musique perd son autonomie, ce qui se donne alors très directement dans le fait qu’une telle musique ne produit plus d’œuvres proprement dites mais seulement « du menu fretin »…

 

Ses catégories – musique humanitaire (« à défaut d’autre nom » [22]), subalternité du musicien [23]… - ne relèvent pas d’une intellectualité véritable qui n’existera jamais chez Liszt (cf. différence sur ce point avec Wagner, mais aussi Schumann et Berlioz) : voir note 17 p. 220

 

Au total, le récit de la construction « sociale » d’un mythe. Il est toujours intéressant de voir ainsi la naissance d’un mythe : le mythe Liszt dont aujourd’hui beaucoup de musiciens jouant à l’artiste aiment encore à se parer, en ne se souciant cependant plus guère de « révolution sociale »…

Rapprochements plus intempestifs :

·       avec Mallarmé (221)

·       avec Marx (222, 226)

 

*



[1] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 18

[2] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 26

[3] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 23

[4] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 33

[5] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 50

[6] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 23

[7] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 30

[8] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 23

[9] Lettres d’un bachelier es musique, 129

[10] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 49

[11] De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 54

[12] Préface – 1869 - à L’histoire de France

[13] BM332

[14] Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, 39-40

[15] Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, 51

[16] Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, 131

[17] Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, 153

[18] Conférence sur Michel Foucault

[19] « Il faut défendre la société » - 1976, p. 6

[20] J.II.261

[21] J.II.187

[22] Moysan, p. 239

[23] Moysan, p. 219