Badiou et la musique : une enquête de musicien

 

Journées Alain Badiou

(Paris, 22-24 octobre 2010)

 

[ in English ]

 

 

François Nicolas

 

 

 

« Badiou et la musique » : ce thème obligé, qui m’a été amicalement imparti, se révèle singulièrement ardu pour un musicien.

Il m’aurait été plus facile de varier le thème rétrograde : la musique et Badiou. J’ai déjà eu l’occasion de le faire, et d’indiquer comment un musicien, soucieux de réfléchir son art dans la langue commune, peut prendre appui sur la philosophie-Badiou [a].

Résumons rapidement cet aspect proprement musicien des choses.

 

Rappelons d’abord que pour la musique proprement dite, la philosophie ne sert à rien et ne saurait servir à rien : la musique est une pensée autonome, mise en œuvre par des morceaux de musique ; cette pensée musicale, qui n’est pas langagière, se déploie dans un monde spécifique, le monde-Musique logiquement constitué autour d’une dialectique singulière entre sons et notes, entre matériau sonore et matière littérale (faite de cette écriture spécifiquement musicale nommée solfège). Pas de place ici, bien sûr, pour le discours philosophique ! [b]

Par contre la philosophie peut servir le musicien, ce dividu en incessant partage entre le monde-Musique et ces autres mondes qui font l’ordinaire de la vie d’un homme. C’est à ce titre que le musicien peut s’adosser à une philosophie pour y trouver une cartographie clarifiant les orientations de pensée qui s’offrent à lui, une géologie éclairant les conditions de possibilité d’un discours musicien, une météorologie dégageant le temps général de la pensée et donc ce que contemporain peut vouloir dire, en un moment donné, pour le musicien.

Le musicien pourra ainsi déployer son intellectualité propre à l’ombre d’une philosophie donnée, tout comme il pourra le faire à la lumière de telle ou telle autre procédure de pensée non musicale ; je dirai dans mon cas : à la lumière des mathématiques [c] et à l’ombre de la philosophie-Badiou.

Cette philosophie en effet, en particulier depuis Logiques des mondes (c’est-à-dire depuis que cette philosophie a abordé le rivage de la logique et de la phénoménologie), peut aider le musicien à déployer une conception matérialiste de son art qui fasse contrepoids à l’idéalisme phénoménologique (philosophie spontanée du musicien dans l’après-guerre) et surtout, depuis les années 70, à ce matérialisme grossier des sciences humaines s’attachant à systématiquement liquider l’idée même d’une possible autonomie artistique.

 

Le musicien s’intéressant à ces différents titres à une philosophie donnée s’inscrira alors sous cet énoncé de Deleuze : « la philosophie peut servir à des musiciens même et surtout quand elle ne parle pas de musique. » [1]

Radicalisons le propos : un musicien s’intéressera effectivement à une philosophie donnée s’il s’intéresse avant tout à la part de cette philosophie qui ne traite pas de musique. A contrario, un musicien qui s’intéresserait à une philosophie essentiellement pour ce qu’elle dit de la musique ne s’intéresserait à cette philosophie que narcissiquement, comme miroir de son art, autant dire qu’il passerait à côté de cette philosophie comme philosophie[d]

 

Si le musicien est prémuni de ne sélectionner dans la philosophie-Badiou que ces bons morceaux qui le concerneraient directement, c’est aussi, plus prosaïquement, parce que, jusqu’à tout récemment, cette philosophie ne disait à peu près rien de la musique ! Ainsi le musicien, qui aurait été tenté de feuilleter les livres de Badiou pour y prélever des passages musicalement croustillants, n’avait jusqu’ici guère de pages à se mettre sous la dent.

Avouons-le : cette situation était particulièrement bienvenue pour le musicien, s’il est vrai que ce dernier se trouve encombré quand, lisant un livre de philosophie, il y découvre des passages parlant de musique : en général, le musicien n’y reconnaît pas – ne saurait y reconnaître – « sa » musique. Un musicien lisant ce qu’un philosophe dit de la musique se trouve immédiatement tenté… par l’anti-philosophie : le musicien en effet, n’y retrouvant pas ses pratiques, ses passions, bref ce que musique veut dire pour lui, est immédiatement tenté de n’y voir que sophismes et de déclarer que philosophie et sophistique s’y confondent puisque les énoncés de l’auteur sur la musique n’y sont pas gagés par une énonciation musicienne. [e]

Pendant longtemps, la philosophie-Badiou a épargné ce risque aux musiciens. Aujourd’hui, la situation a radicalement changé et c’est de ce nouvel état de la philosophie-Badiou qu’il me faut repartir pour engager mon enquête musicienne sur Badiou et la musique.

 

*

 

Dans ce thème obligé, j’entendrai sous le nom propre Badiou la philosophie-Badiou, plus largement l’œuvre-Badiou et plus spécifiquement les écrits-Badiou. Je laisserai ici dans l’ombre la figure personnelle d’Alain Badiou, le dividu que j’indexerai ici de son seul prénom Alain (B.).

J’ai eu pourtant diverses occasions d’éprouver le rapport très personnel qu’Alain B. entretient avec la musique, à commencer, au cœur des années 70, lors de quelques séances de musique autour des sonates flûte-clavier de Jean-Sébastien Bach, au moment même où le reflux des perspectives politiques nous incitait à remettre sur le métier nos instruments de musique, un temps délaissés au profit d’un travail militant acharné.

C’est aussi dans cet entre-temps singulier [f] qu’Alain B. a attiré mon attention sur un article d’Henri Pousseur – Esquisse pour une rhapsodie pathétique [g] - dont la lecture a déclenché ma détermination d’associer mon retour pratique à la musique du nouveau projet d’un « dire la musique ». [h]

Mais laissons ici ce volet du thème « Badiou et la musique » à ses futurs biographes – l’axiome anti-philosophique de Nietzsche posant que toute philosophie serait l’autobiographie de son auteur n’est pas mien – et attachons-nous ici aux rapports des écrits-Badiou à la musique.

 

*

 

À proprement parler, la musique ne constitue pas une condition pour la philosophie-Badiou [i]. En témoignerait, s’il le fallait, cette dédicace dont Alain avait orné l’exemplaire du livre Le siècle qu’il m’avait amicalement adressé lors de sa parution : « Ce Siècle sans musique… ». Bien sûr, Siècle nommait ici son livre plutôt que le xx° siècle dont il y était question. Mais enfin, le diagnostic était suggéré.

Dans la philosophie-Badiou, la musique est certes reconnue comme une pensée, une procédure générique donc, à l’égal des autres arts. Mieux, la musique y est thématisée comme pensée de la pensée qu’elle est (c’est là, cette fois, un privilège que la philosophie-Badiou accorde aux arts et à la politique, à la différence des sciences et de l’amour). Ipso facto les événements musicaux et leurs conséquences intramusicales y deviennent en droit candidats à conditionner une philosophie. Mais force est de constater que la philosophie-Badiou n’est pas pour autant spécifiquement conditionnée par un événement musical singulier.

 

Il existe plusieurs exemples de philosophies particulières se déclarant conditionnées par un événement musical spécifique : il y a bien sûr la philosophie-Adorno qui s’assume sous condition de l’événement « seconde École de Vienne » [j] ; il y a également la philosophie-Schopenhauer [k] mais aussi – la chose est cette fois moins connue – la philosophie de Descartes (j’indiquerai tout à l’heure en quel sens on peut entendre cette proposition), sans compter bien sûr les entreprises de Rousseau, Kierkegaard ou Nietzsche (Badiou parle ici d’antiphilosophies) attachées à capter ce qui s’est musicalement joué sous les noms respectifs de « musique italienne », Mozart et Wagner. Pour sa part, la philosophie-Badiou ne s’avance pas comme conditionnée par un tel type musical d’événement.

 

Cette absence ne pose guère de problèmes au musicien : tout événement n’est pas ipso facto condition pour toute philosophie, et un musicien ne saurait juger de la qualité événementielle de ce qui se passe dans son monde-Musique selon la mesure qu’en donnerait telle ou telle philosophie ; il y procède selon son propre entendement, autonome car musicalement constitué. [l]

Pour sa part, une philosophie donnée sélectionne les événements – non philosophiques – qui vont conditionner sa propre existence, et ne tient aucunement chronique de tout ce qui se passe. [m]

Qu’il n’y ait dans la philosophie-Badiou aucun événement musical conditionnant, pas plus d’ailleurs qu’il n’y en a de pictural ou qu’il n’y en a relevant de la science physique, ne constitue pas en soi un problème philosophique, moins encore un problème musical ou musicien. Tout au contraire cette absence d’événement musical conditionnant permet au musicien d’aborder cette philosophie-Badiou en toute gratuité.

En effet, qu’un événement musical soit pris comme condition par une philosophie donnée ne constitue guère pour le musicien un avantage mais tout au contraire encombre sa pensée propre.

Pour n’en donner qu’un seul exemple, Schoenberg n’a eu de cesse de reprocher à Adorno de faire de la philosophie (plutôt que de la musique) sur le dos de sa musique ! Face aux textes entortillés du jeune Adorno [n], Schoenberg tonnait et éructait, ne reconnaissant aucunement son projet musical dans des considérations adorniennes pour lui aussi absconses que stériles.

La philosophie-Badiou se serait-elle ainsi déployée sous condition d’un événement musical – mettons un événement « sérialisme » [o] - que mon rapport de musicien à cette philosophie en eût été certainement opacifié plutôt qu’éclairci.

 

De Le concept de modèle [p] à Le Siècle [q] - la musique n’est guère apparue dans la philosophie-Badiou et il a fallu Logiques des mondes [r] pour que des passages significatifs lui soient consacrés.

De tels passages sont apparus au titre d’exemple philosophique : la musique - que ce soit explicitement celui de la configuration artistique « seconde École de Vienne » ou celui de l’œuvre Ariane et Barbe-bleue de Paul Dukas - a ainsi fourni des exemples privilégiés de processus-sujet.

Ce faisant, la musique intervient au même titre que la peinture de Hubert Robert ou l’architecture de Lucio Costa – nul, je pense, ne songerait à déduire de ce dernier exemple qu’un événement Brasilia conditionne la philosophie-Badiou…

Il est vrai, cependant, que la musique intervient dans Logiques des mondes comme exemple privilégié. Le fait que de tous les arts la musique soit devenue la plus exemplaire n’est pas anodin : Logiques des mondes est consacré à la logique de l’apparaître, à la dimension phénoménologique de l’être-là si bien que ce volume donne une place capitale à cette dimension sensible des choses qu’une logique mondaine configure transcendantalement. D’où que les exemples mobilisés par ce livre soient des exemples prélevés dans le sensible : il faut ici faire sentir comment la cohésion d’un monde se donne dans l’ordre des phénomènes, comment le sensible est logiquement doté d’une consistance de monde (quand, dans L’être et l’événement, il fallait plutôt faire comprendre comment la loi ontologique du multiple se trouve rationnellement appropriable). Les exemples dans l’un et l’autre volumes ne pouvaient donc que relever de types différents, et il est naturel (au sens où les mathématiciens parlent de transformation naturelle) que Logiques des mondes donne plus immédiatement droit à la sensibilité propre de l’auteur, à celle du dividu Alain B.

 

Si l’on s’en tenait là – si par exemple ces journées avaient eu lieu il y a quelques années -, on aurait pu finalement dire : Badiou et la musique, ce n’est pas là affaire de condition mais seulement d’exemples pour une philosophie qui, lorsqu’elle aborde le rivage de sa propre phénoménologie, privilégie l’expérience sensible du dividu philosophe au principe de cette philosophie.

Nous resterait alors à examiner ce qu’exemple veut dire pour un discours proprement philosophique, ce qu’exemple philosophique signifie en propre : quel est le statut spécifique de l’exemple dans le discours philosophique ? Exemple de quoi, exemple à quel titre, exemple à quelle fin discursive, etc. ?

 

Je ne voudrais pas m’engager ici dans cette voie car un élément nouveau interdit désormais de limiter les rapports Badiou et la musique au seul statut d’exemples philosophiques. Il s’agit bien sûr du dernier livre-Badiou, précisément consacré, sous le nom propre Wagner, à la musique comme telle [2]. Cette fois la musique occupe clairement toute la scène et c’est donc ce livre qu’il nous faut maintenant incorporer à notre enquête.

*

Un point étrange saute immédiatement aux yeux : Badiou nous déclare, dès les premières pages, que ce livre n’a guère été écrit par lui mais par trois mains différentes et qu’il a dû traverser une langue étrangère [s] pour nous arriver rédigé en français si bien qu’au total non seulement ce livre-Badiou a été écrit par trois personnes dont aucune ne s’appelle Badiou mais il nous vient de l’anglais lors même que Badiou ne l’a jamais pensé dans cette langue.

Ainsi, pour écrire philosophiquement sur la musique, force est de constater que Badiou fait passer un propos oral, successivement par une transcription (mon nom apparaît en cette étape), ensuite par une transposition en anglais (qui mobilise le nom de Susan Spitzer), enfin par un arrangement (ce retour à la langue française convoque le nom d’Isabelle Vodoz).

J’emploie à dessein un vocabulaire musical : Alain Badiou, qui - chacun en conviendra - n’est guère en peine d’écrire [t], s’est ici livré à une sorte d’improvisation orale composée ; suite à quoi cette improvisation a été transcrite (selon le solfège des lettres ordinaires), puis transposée sur un tout autre instrument langagier pour être in fine réarrangée en français écrit.

Pourquoi mon thème obligé Badiou et la musique prend-il ici la forme pour le moins surprenante d’un Badiou-Vodoz-Spitzer-Nicolas et la musique ? De quoi un tel symptôme serait-il l’aveu ?

 

Je vous propose, en ce point de mon enquête, un vaste flash-back de près de cinquante ans, remontant du dernier écrit-Badiou vers son tout premier : son roman Almagestes [u]. Dans ce premier livre en effet, la musique joue un rôle significatif.

Trois citations, pour restituer la saveur de ce rapport à la musique, et l’inscription de ce rapport sous le thème a priori inattendu de la prière :

« Remonter de proche en proche jusqu’au moment décisif où le premier homme a refusé la prière pour jouir, seul et mortel, de sa puissance de nomination et de mensonge, d’erreur et de musique » [3]

« Tout vrai langage voue l’homme à la prière des choses. » [4]

« La musique, ce langage parfait qui peut tout nommer, n’étant point signe, dirait-on, mais le secret des choses, leur prière. » [5]

Trois autres extraits, pour faire entendre la dimension d’une nomination qui va bientôt nous retenir :

« Le philosophe, c’est l’spécialiste des mots. » [6]

« Quel nom donner aux choses, qui les accorde ? » [7]

« Ce qui te fait désirer selon la chose, c’est son nom. » [8]

Nomination, secret, prière : voilà donc ce qui va composer le nouveau motif de mon enquête.

 

Posons provisoirement ceci : le philosophe s’intéresse à la puissance singulière de nomination dont la musique est capable, puissance qui autorise de concevoir la musique comme prière secrète des choses.

Remarquons au passage que le texte musical en son écriture propre – solfégique - vient à différentes reprises affleurer ici à même le discours littéraire, à l’égal de l’écriture mathématique.

Ce double affleurement se présente ainsi (j’ai pris le loisir de l’associer à un troisième type d’écriture qui m’est cher : celui de la langue arabe, langue indirectement mobilisée par le titre du roman) :

 

  ’al-mi-jis-Tî [v]

 

« au récital des phrases du monde : fragments de partitions, formules mathématiques » [9] :

 [w]

 

« J’aime l’écriture mathématique » [10] :

 [x]

 

Notons que la citation musicale [y] vient de Parsifal, lequel conclut précisément le dernier ouvrage de Badiou.

J’en profite pour indiquer que la quarte (mi b – la b – mi b) qui structure ce motif joue un rôle stratégique dans tout cet opéra (dont une polarité constitutive est la dialectique musicale entre chromatisme – porté à son paroxysme dans Tristan – et diatonisme). Or cette quarte contribue, sous la forme de son cycle traditionnel (au demeurant celui dont Schoenberg ornera le début de sa seconde Symphonie de chambre comme une sorte de déclaration de modernité) à différencier, dans Parsifal, la seconde cérémonie – en sa conclusion [z] - de la première. À ce titre, il n’est pas entièrement exact de dire que les deux cérémonies ne se différencient que par l’officiant [11] puisque la musique, il est vrai ici par une touche plutôt que par une vaste irruption, différencie leur fin.

À l’endroit où la musique affleure pour la première fois en son étrangeté solfégique, le roman nous précise :

« Je m’interroge sur le sort de la fidélité pour celui qui l’ampute de sa chair mémorable. […] La fidélité donne un corps aux promesses. […] Je fais don à cette Foi du monde en mes ténèbres enseveli. Ainsi Wagner ramenait […] la Foi de Parsifal en donation mélodieuse. » [12]

Remarquons que le solfège va ensuite entièrement disparaître de l’œuvre-Badiou lors même que l’écriture mathématique va par contre y poursuivre le parcours qu’on sait.

Il me frappe au passage que ce silence désormais fait sur le texte musical soit un trait quasi-général des textes philosophiques : autant la lettre mathématique peut y faire irruption, autant la lettre musicale est tenue à l’écart du texte philosophique - tel est bien le cas y compris chez Adorno dans ses textes proprement philosophiques [aa].

Il y a là, me semble-t-il, un point significatif que je verse provisoirement à mon enquête : si le discours philosophique sait tirer parti du discours mathématique en sa littéralité propre, il ne sait par contre le faire avec un discours musical exposé selon sa propre matérialité d’écriture. Je dirai volontiers : d’un côté le discours philosophique de Badiou sait partir de la lettre mathématique, non de la lettre musicale, et de l’autre il sait aboutir au texte musical (sans pour autant effectuer à proprement parler cet ancrage [bb]). La différence, au total, est de taille.

Je tenterai plus loin d’avancer une hypothèse quant au possible sens philosophique d’un tel absentement, d’un tel secret. L’idée sera la suivante : la philosophie, depuis Wagner, s’attache à la musique comme secret, secret que la philosophie entreprend alors d’avouer, précisément comme secret, en maintenant donc secrète la transparence solfégique, en refoulant donc le dépli musical dont la partition est le lieu spécifique.

 

Ce détour par Almagestes me suggère ainsi l’idée suivante : et si la musique, plus spécifiquement ce qui de la musique s’avance sous le nom Wagner, constituait un motif latent de la philosophie-Badiou, un leitmotiv faufilant l’Œuvre-Badiou de part en part ?

 

Relevons un précédent célèbre en matière de philosophie secrètement traversée d’un bout à l’autre par un souci d’origine musicale : rien moins que celui de Descartes.

En deux mots, on peut lire son Compendium Musicæ [cc], livre apparemment technique sur la musique, comme la rampe de lancement de tout son projet philosophique.

Descartes s’y trouve en effet confronté [dd] à une musique devenue autonome puisque la tierce y est devenue plus consonante que la quarte, à rebours de ce qu’imposait l’antique rationalité pythagoricienne.

Comment rendre raison de cette torsion musicale opérée sur l’ordre arithmétique des nombres naturels ? Descartes incorpore cette nouvelle pensée musicale à la rationalité de son temps en déployant une astucieuse construction du monocorde qui, passant par son partage en deux moitiés, figure une scission de la conscience entre lumière et ombre [ee]. Descartes inclut ainsi l’harmonie tonale naissante (basée sur la prééminence de la tierce dans l’ordre des consonances) dans le champ de la nouvelle rationalité au prix d’un nouveau sujet, scindé entre clarté de la certitude et obscurité du doute.

On sait le rôle que cette dualité va bientôt jouer dans la constitution de son nouveau « sujet de la science », dualité que Descartes, comme l’on sait, complètera par celle de l’âme et du corps, elle-même pressentie dès le Compendium, puisque celui-ci, in fine, renvoie à d’autres ouvrages l’examen des mouvements de l’âme et des passions que la musique est susceptible de susciter.

Si les écrits suivants de Descartes ne feront plus explicitement référence à la musique, le philosophe consacrera cependant son tout dernier ouvrage – Les Passions de l’âme [ff] – à boucler l’entreprise ouverte, trente ans auparavant, par son Compendium en sorte de compléter sa théorie de la rationalité musicale par une théorie des affects dont elle est capable.

Ainsi, les questions philosophiques que la musique de son temps ont suscité chez le jeune Descartes se trouvent-elles secrètement encadrer et faufiler la totalité de son Œuvre.

 

Mon hypothèse est alors : n’y aurait-il pas, dans la philosophie-Badiou, un fil conducteur un peu équivalent, fil latent tenant à cette musique dont Wagner nomme pour lui la puissance singulière ?

Lisons pour cela son dernier livre.

*

Cinq leçons sur le cas Wagner nous précise que, pour la philosophie en général, Wagner est devenu le nom de la musique comme opérateur fondamental de l’idéologie contemporaine [13], ce faisant le nom d’une nouvelle situation dans les relations entre philosophie et musique. [14]

À partir de là, les différentes philosophies divergent. Pour la philosophie-Lacoue-Labarthe [15], Wagner est le nom d’une esthétisation proto-fasciste de la politique dans laquelle la musique de l’œuvre d’art total joue un rôle central. Pour la philosophie-Adorno [16], Wagner est plutôt le nom d’une identification totalisante dont le projet vient échouer sur l’ennui musical d’une vaine attente.

Pour la philosophie-Badiou, la chose se présente tout autrement, et le musicien ne peut que lui en savoir gré. Wagner devient le nom d’une musique investie d’au moins quatre intension[gg] propres :

1.     une musique d’abord qui, ayant ambitionné le grand art, préfigure la possibilité d’une grandeur artistique d’un type nouveau [17] : une grandeur qui ne procède plus de la complétude d’un art supposé total, mais qui s’affirme localement aussi bien que globalement, une grandeur donc qui s’affirme en tout moment plutôt que dans des apothéoses conclusives ;

2.     une musique ensuite qui, mettant en œuvre un sujet tragiquement scindé [18], suscite un développement d’un type nouveau : un développement qui ne s’ordonne plus à une fin résolutive, à une conclusion synthétique, mais se déploie sous la loi du multiple tel que l’invente par exemple un réseau des leitmotivs conçu non comme liste de signifiants figés mais comme capacité collective de métamorphoses ;

3.     une musique également qui s’attaque à la question d’un nouveau cérémonial apte à auto-représenter le collectif comme tel [19], et qui par là annonce ces cérémonies d’un type nouveau dont l’humanité générique a besoin dans sa longue marche communiste ;

4.     une musique enfin d’un au-delà du christianisme, qui le dépasse (plutôt qu’elle ne le déconstruit) en affirmant des fidélités d’un type nouveau dont cette fois Wagner n’a su que pressentir la nécessité [20] – il convient, il est vrai, de soutenir que le grand art chrétien fut la musique plus encore que la peinture, et que cette question d’un au-delà affirmatif du christianisme selon un athéisme lui-même d’un type nouveau [hh] concerne au premier chef la musique.

 

Remarquons ceci : pour la philosophie-Badiou, ces quatre dimensions musicales [ii] constituent des projets bien plus que des effectuations closes. Wagner devient ici le nom d’une ouverture et d’un futur bien plus que d’une clôture et d’une advenue. Bien sûr, il y a tout autant chez Wagner parachèvement et saturation, mais ce qui intéresse cette philosophie sous le nom de Wagner, c’est ce qui s’avance sous ce signifiant comme possibilité, comme motif encore secret mais déjà là, comme promesse d’un futur antérieur, comme annonce d’un moment où la possibilité-Wagner aura été advenue. [jj]

 

Il me semble qu’en ce point, la musique apparaît pour la philosophie-Badiou comme condition d’un type spécifique, différente non seulement des conditions scientifique, politique et amoureuse mais également des autres conditions artistiques. Et c’est cette différence spécifique qui donnerait à la musique son statut particulier de fil rouge latent et secret, avoué à l’orée de l’Œuvre-Badiou dans Almagestes.

C’est à ce point, difficile, que je voudrais consacrer la suite de cette enquête.

 

Je l’engagerai à la lumière de deux hypothèses supplémentaires.

1.     Quand la musique agit la philosophie (je parle ici d’action pour élargir le champ strict d’une condition dont on a vu qu’elle était rare et en tous les cas inexistante pour la philosophie-Badiou), celle-ci exerce alors une rétroaction sur celle-là : la philosophie rétroagit sur la musique susceptible de la conditionner.

2.     Dans la philosophie-Badiou, cette rétroaction prend la forme d’un aveu prophétique du secret musical dont Wagner est le nom.

Détaillons successivement ces deux points, le plus simple, pour ce faire, étant – Badiou nous y incite – de repartir de la philosophie-Adorno.

 

Si la philosophie-Adorno se déploie sous condition de l’événement « seconde École de Vienne », c’est en travaillant cet événement de l’intérieur en sorte ultimement – je simplifie à grands traits – d’y opposer la première séquence atonale de la séquence constructiviste ultérieure (dodécaphonique, puis sérielle). Cette intervention philosophique (faite au nom de sa Dialectique négative) au cœur même de la musique va déboucher sur l’invention, par la philosophie-Adorno, d’une musique inexistante - la musique informelle – précisément destinée à servir de condition musicale idéale à la philosophie-Adorno. Loin de composer, en musicien, la musique informelle qu’il estimait manquer à son temps, Adorno a délimité en philosophe la musique qui serait apte à conditionner… sa Dialectique négative et qu’il a appelée musique informelle. Cette musique, qu’aucun musicien n’a jamais lue ou entendue – Adorno a défailli dans ses tâches propres de compositeur -, relève d’une pure et simple mytho-logique [kk].

En prônant la musique informelle comme solution prétendument musicale aux impasses [ll] que sa philosophie décèle dans la musique héritée de l’École de Vienne, Adorno dessine un geste rétroactif dont le diagramme est le suivant :

La musique issue de l’École de Vienne qui serait susceptible de conditionner la Dialectique négative serait… la musique informelle qu’Adorno ne compose pas !

 

La philosophie-Badiou relève d’une tout autre dynamique que cette mythologique agissant au cœur de la philosophie-Adorno [mm] mais il me semble qu’on peut y déceler un geste philosophique ayant cette même forme rétroactive :

Repartons pour cela de la manière dont Badiou parle de cette rétroaction adornienne. Il indique qu’Adorno construit philosophiquement une place pour la musique [21], une place d’où celle-ci pourrait conditionner celle-là, cette place opérant alors comme « condition in absentia » [22] puisqu’aucune musique présente ne l’occupe – où l’on retrouve donc le préconditionnement philosophique d’une condition musicale embourbée…

 

La rétroaction-Badiou se thématise tout autrement : je dirai qu’elle se donne comme aveu (philosophique) d’un secret (musical), aveu qui s’attache à désigner, sous le nom (philosophique) Wagner, une capacité musicale inaperçue.

Soit : Wagner est devenu le nom philosophique d’une capacité propre de la musique, capacité jusqu’à présent secrète plutôt que musicalement effectuée en plein jour, capacité que la philosophie-Badiou entreprend d’avouer faute de pouvoir elle-même déplier son secret en apparences sensibles.

 

Je dispose, ce faisant, le secret sous la maxime lacanienne :

« Ce n’est pas parce qu’on l’avoue qu’un secret cesse d’être un secret. » [23]

En effet, ce qui constitue le secret comme secret ne tient pas tant à un rapport extérieur, au fait par exemple de le dissimuler, qu’à sa constitution immanente, à son propre mode de repli sur soi, repli qui peut ainsi se voir avoué sans pour autant s’y voir défait.

La rétroaction-Badiou sur la condition musicale tiendrait ainsi au fait que la philosophie avouerait les secrets de la musique, les puissances musicales déjà là mais enfouies plutôt que manifestes. Dit autrement : la rétroaction-Badiou prendrait la forme d’une prophétie qui concerne moins la musique comme telle que la musique thématisée comme possible condition pour la philosophie. C’est en ce point qu’intervient cette rétroaction que j’appelle aveu prophétique.

 

Comme l’on sait, la prophétie est la tonalité propre de l’oiseau de Minerve puisque la chouette avoue les secrets du jour qui s’achève. Ce type de prophétie [nn] s’enracine dans une affirmation au présent qui vise un futur antérieur : elle dit ce qui est déjà là mais encore secret et elle annonce – c’est en cela qu’elle est prophétique – que c’est bien cela qui de ce jour compte vraiment car c’est bien cela qui de ce jour aura compté quand les nouveaux jours auront affirmé leur propre temps.

Ainsi la philosophie-Badiou prophétise ce qui, sous le nom-Wagner, aura vraiment compté (l’initiation d’une grandeur artistique de type nouveau, d’une cérémonie communiste au-delà de la messe chrétienne, etc.) et aura spécifiquement compté pour la philosophie.

 

En avouant ainsi philosophiquement les secrets d’un possible conditionnement musical, la philosophie-Badiou rétroagit sur sa condition musicale potentielle, et intervient en amont de son propre amont. Il ne s’agit plus ici de construire une place au futur pour la condition musicale, de réduire mythologiquement l’abyme entre conditionnement effectif dont la musique existante est capable et conditionnement imaginaire que la philosophie sollicite, mais plutôt de prophétiser ce dont la musique est d’ores et déjà capable (sous le nom Wagner) pour la philosophie et qui, n’étant pas encore mis en œuvre par la musique, reste secrètement cantonné en ses plis.

Bref, il s’agit de bâtir une Idée philosophique de la musique apte à entretenir la confiance du philosophe en une musique qui ne conditionne pas sa philosophie.

 

D’où un second trait du rapport rétroactif de la philosophie-Badiou à la musique qui me semble indexable comme enveloppement empathique. Je m’explique.

La philosophie-Badiou semble reconnaître à la musique une prééminence en différentes capacités qu’elle partagerait avec la philosophie :

      en matière d’abord de puissance de nomination : la musique nommerait les choses en exposant leur temps spécifique [24] ; ainsi la musique de Wagner nomme le disparate des mondes selon le temps propre des transitions [25], elle nomme de même l’incertitude des périodes [26] ou le tragique d’une apparence paradoxale des choses [27] selon un temps de l’équivoque ou d’une faille incomblable ;

      en matière ensuite d’aveu : la musique, sachant exposer l’apparence des choses tout en préservant leur épaisseur nourricière sous-jacente et l’entrelacement propre de leur temporalité, saurait plus qu’aucune autre forme de discours avouer le secret des choses sans le dilapider.

      en matière enfin d’adresse : la musique aurait une puissance d’adresse singulière, celle qui fait précisément qu’elle est devenue un opérateur idéologique privilégié aujourd’hui ; la musique serait la prière des choses en ce que les choses musicalement nommées selon leur temps propre s’adresseraient ipso facto à tout un chacun en une prière génériquement adressée - entendons ici par « prière » non un acte religieux mais cet acte laïc par lequel un sujet prie qui l’entend de bien vouloir l’écouter (soit la prière comme adresse générique).

Wagner vient ainsi nommer, dans la philosophie-Badiou, cette prééminence proprement musicale en matière de nomination selon le temps, d’aveu selon le secret préservé, d’adresse générique selon la prière. La musique serait dotée de cette puissance singulière de nomination qui, de se tenir à distance du langage, autoriserait d’avouer le secret des choses sous la forme d’une adresse générique.

 

Or, de ces différents traits, la philosophie se veut également l’agent : elle s’attache elle aussi à nommer le contemporain, donc à nommer selon le temps ; elle prophétise elle aussi en avouant les secrets du jour ; elle s’attache elle aussi à adresser génériquement cette nomination – elle fait pour cela feu de tous bois, mêlant à loisir différents régimes de discursivité.

Ainsi la philosophie-Badiou se met à l’école de la musique tout en l’enveloppant selon son amont. Elle promeut ce dont la musique est capable (sans que celle-ci puisse le savoir) et elle encourage d’une discrète poussée dans le dos cette musique dont elle écoute par ailleurs de face les leçons possibles.

Ou encore : la parenté formelle – non de contenu - entre le geste prophétique de la philosophie et ce que cette philosophie attribue à la musique comme puissance propre conduit la philosophie à déchiffrer son propre geste dans la musique même qui est susceptible de la conditionner. Soit : l’Idée philosophique de la musique entretient la confiance du philosophe en sa propre compréhension (philosophique) de la musique.

 

Résumons, avant de conclure.

Depuis Wagner, la philosophie s’attache à avouer les secrets de la musique – sans doute depuis Wagner parce que Wagner fut celui qui a su réfuter le diagnostic hégélien de la mort de l’art…

Depuis Wagner, la prophétie philosophique en matière de musique tend à se donner comme aveu d’un secret que la musique préserve d’autant mieux que ce secret n’en est peut-être un que pour la philosophie et qu’il n’est pas à proprement parler musical.

Du point du musicien, Wagner n’est secret que dans l’entrelacement propre de sa musique et de son texte (ce qui bien sûr n’est pas rien) ; par contre il ne l’est guère (du moins pas plus que d’autres, que Schoenberg par exemple, ou même que Bach) dans ses opérations proprement musicales.

Le secret-Wagner auquel la philosophie s’attache pour mieux l’avouer, le musicien le voit de son côté comme cette capacité de la musique non seulement d’être fécondée par le poème qu’elle enlace mais, plus encore, de féconder en retour ce poème d’une sorte de signifiance musicale (oxymore ! [oo]) qui vient élargir tant l’écoute musicale que l’écoute poétique.

Soit l’idée musicienne suivante : la grandeur éminemment locale de la musique chez Wagner tient à une aura que la musique, fécondée par le poème, est capable en retour de composer en tout point de son propre développement. Ainsi, la musique fécondée féconde en retour le poème d’une aura de signifiance musicale. En ce point, la singularité-Wagner rend proprement indécidable le fécondé et le fécondant dans la musique et la clef de sa grandeur en tout moment se joue précisément autour de ce point.

 

Il me semble, et ce sera ma conclusion, qu’il y a là la matrice proprement musicale d’une semblable indécidabilité entre conditionnement musical pour la philosophie et préconditionnement de la musique par la philosophie : tout de même que chez Wagner les rapports musique-poésie sont indécidablement actif/passif, tout de même chez Badiou, les rapports philosophie-musique, pour autant du moins qu’ils se déploient sous le nom Wagner, deviennent indécidablement conditionnants/conditionnés.

Pour la philosophie-Badiou, Wagner serait ainsi le nom d’une indiscernabilité entre possibilité d’un conditionnement musical et nécessité d’une prophétie philosophique sur cette même possibilité. En ce sens, Wagner serait le nom [pp] d’une sorte de pré-condition [qq] pour que quelque chose comme la philosophie puisse même exister.

 

D’où la conclusion suivante, bien sûr provisoire, de cette rude enquête : Badiou et la musique, ou l’aveu prophétique d’une secrète indécidabilité rapportant cette philosophie à la musique…

 

*



[a] Voir la séance du 12 mai 2007 (séminaire mamuphi, Ens) : « En quoi la philosophie de Logiques des mondes peut servir au musicien »  (http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1642) et le chapitre B.VII de mon livre « Le monde-Musique » (à paraître)

[b] Les œuvres musicales sont radicalement indifférentes à la philosophie comme elles le sont, plus largement, aux discours langagiers (on indiquera de quelle manière le poème fait ici relativement exception), et également – c’est une incidence - à la différence des sexes : s’il est question d’amour en musique, cela se joue entre musique et texte (voir les écrits de Wagner…) plutôt qu’entre morceaux internes à la musique.

[c] singulièrement de la géométrie algébrique contemporaine

[d] Il est vrai que le musicien, se tournant vers la philosophie-Badiou, aura moins le loisir d’y grappiller qu’il ne pourra le faire avec la philosophie-Deleuze : autant il est facile de citer un mot de Deleuze (rhizome, ritournelle, déterritorialisation, bloc espace-temps, corps sans organe…) - cela vous pose son homme (son artiste Prud’homme) sans guère tirer à conséquence -, autant il est périlleux de le faire avec Badiou - toute référence à sa philosophie engage une discipline de pensée, un régime logique des conséquences que bien peu de musiciens ont envie d’initier.

[e] Que le musicien ici soit cultivé ou non ne change rien à la question : cela tient au fait que les mots du philosophe ne sont pas les mots de sa tribu, que les homonymies portent à confusion, que les catégories ne circulent qu’au prix de ces méprises propres aux philosophèmes, bref que les enjeux propres du discours philosophique ne sont pas ceux du musicien.

[f] l’entre-temps de la seconde partie des années 70 (1976-1979) : après la fin de la Révolution culturelle et l’échec de la Révolution portugaise des œillets, avant la Révolution iranienne et l’émergence polonaise de Solidarnosc…

[g] C’était dans le numéro spécial de la revue L’Arc (n°40, 1970) consacré à Beethoven à l’occasion du deuxième centenaire de sa naissance.

[h] Cette idée d’une possible intellectualité musicale, contribuant à désenclaver la pratique musicale de cette sphère compensatrice dans laquelle elle avait été circonscrite par mon éducation familiale (la pratique musicale comme supplément d’affects pour serviteurs de l’État, harassés par la technique), cette ouverture a été si déterminante que j’ai gardé en mémoire sa date : le 12 décembre 1976, il y a donc près de 35 ans…

[i] au sens précis que cette philosophie donne au concept de condition

[j] Schoenberg-Berg-Webern

[k] Posons, pour faire court, que l’événement musical qui la conditionne se dit : auto-affirmation d’une musique se présentant comme « absolue »…

[l] Comme tout autre, le musicien est apte à penser par soi-même, de façon conséquente et élargie (pour reprendre les trois caractéristiques kantiennes de ce que penser veut dire). Que la philosophie puisse ici l’encourager est une chose ; que le musicien dispose sa pensée sous tutelle de la philosophie en serait une tout autre.

[m] On pourrait à ce titre typologiser les différentes philosophies selon les différents types d’événements qui les conditionnent. Ainsi, pour la philosophie-Badiou, les conditions déterminantes tiennent entre autres à un événement poétique nommé Mallarmé ou Beckett, à un événement mathématique nommé Cantor ou Cohen, à un événement politique nommé 68 ou Mao, ou à un événement relatif à la pensée de l’amour nommé Lacan.

[n] qui plus est, élève alors de Berg en composition musicale

[o] j’ai plus de mal à imaginer un événement Messiaen ou Dutilleux

[p] 1969

[q] 2005

[r] 2006

[s] l’anglais

[t] Il admet ironiquement écrire plus vite qu’on n’a de temps pour le lire…

[u] 1964

[v] Almageste (par arabisation de l’expression grecque titrant l’ouvrage de Ptolémée)

[w] Parsifal (demi-cadence composant le leitmotiv L3 dit de la Foi) – p. 96

[x] intégrale de la limite des sommes = limite de l’intégrale des sommes = limite de la somme des intégrales (p. 103)

[y] la première des trois qu’on trouve dans ce roman et, ce faisant, dans toute les écrits-Badiou…

[z] mesures III.1106-1127 : « Höchsten Heiles Wunder!… »

[aa] Descartes est ici le seul à faire exception et ce pour des raisons précises : comme on va y revenir, le conditionnement musical de sa philosophie tient non à une Œuvre mais à la transformation de la musique en monde autonome, normé par sa nouvelle écriture solfégique, qui autorise désormais que la musique ordonne ses consonances selon une rationalité relativement indépendante de l’ordre arithmétique ancestralement prôné par Pythagore.

[bb] La philosophie-Badiou produit ses propres mathèmes, mais, pas plus que d’autres, elle ne génère de « musèmes »…

[cc] 1618 (Descartes avait alors 22 ans)

[dd] via son nouvel ami Beeckman

[ee] Voir le chapitre C.III du livre à paraître « Le monde-Musique »

[ff] 1649

[gg] instress

[hh] affirmatif plutôt qu’anti-chrétien…

[ii] renommées par mes soins le grand art, le sujet tragique, l’auto-cérémonial communiste de l’humanité générique, l’au-delà affirmatif du christianisme

[jj] Je m’accorde à ces quatre orientations, pour autant du moins que j’adopte ici les lunettes du philosophe plutôt que celles du musicien, soit malgré tout des lunettes en extériorité sur la musique.

Le seul point – qu’il n’y a pas lieu ici de développer (il concernerait plutôt le rétrograde de mon thème obligé…) – tient au fait que le musicien, en particulier le musicien que je suis, voit en Wagner bien d’autres choses plus proprement musicales (il faudrait ici discuter de manière plus serrée la question de la mélodie infinie, celle du réseau des leitmotifs, celle du rapport entre poème et musique, celle du sujet même des opéras – si un opéra est un sujet musical plutôt qu’il n’a un sujet plus ou moins verbalisable, alors dire ce sujet comme œuvrant la musique implique d’autres opérations dans la langue vernaculaire, en particulier des opérations d’analyse du texte musical…).

Mais il s’agit, dans cette intervention, de saisir la musique du point même de la philosophie-Badiou et non pas en intériorité subjective à la musique (et donc en extériorité à cette philosophie).

[kk] Voir le chapitre C.XI de « Le monde-Musique »…

[ll] idéologico-philosophiques plutôt que musicales

[mm] et qu’il faudrait, au demeurant, relier à la divergence Badiou/Adorno concernant Wagner : le temps me manque pour ce faire mais j’ai tendance à entendre les reproches adorniens concernant la mythologie wagnérienne comme l’expression d’une secrète rivalité Adorno/Wagner précisément en matière de puissance mythologique

[nn] sensiblement éloigné de celui de Cassandre…

[oo] L’oxymore apparaît souvent comme symptôme d’une singularité qui rode s’il est vrai – la mathématique nous l’enseigne – qu’une singularité tient à l’indiscernabilité en un point de deux orientations contradictoires (qui s’y trouvent « écrasées »).

[pp] un nom qui précéderait même celui de Platon…

[qq] à entendre non selon le concept philosophique de « condition » (d’un événement propre à une procédure générique donnée sur une philosophie donnée) mais comme conditionnement en amont du dividu philosophe, comme la possibilité même pour lui d’une orientation vers la philosophie…



[1] En quoi la philosophie peut servir… (Deux régimes de fous ; p. 152)

[2] Cinq leçons sur le cas Wagner (Nous, 2010)

[3] p. 76

[4] p. 84

[5] p. 101

[6] p. 194

[7] p. 199

[8] p. 215

[9] p.104

[10] p. 103

[11] p. 187

[12] p. 96

[13] p. 13

[14] p. 74

[15] Leçon 1

[16] Leçon 2

[17] p. 102…

[18] p. 114…

[19] Leçon 5

[20] Leçon 5 également…

[21] p. 42, 49, 62, 75

[22] p. 41

[23] Séminaire VIII (Le transfert, 1960-1961, Seuil), p. 16

[24] p. 152…

[25] p. 154…

[26] p. 155…

[27] p. 157…