Un temps musical ‘‘long’’ pour un grand Œuvre
fait de nombreux opus ?
Colloque « Temps
long » (Ens, 25-26
septembre 2008)
François
Nicolas
Résumé
Si « temps long » désigne non pas un temps ordinaire qui dure
longtemps mais un temps d’un type singulier - sans origine (comme la durée, qui
fait intervalle) ni épaisseur (comme l’instant, qui fait coupure) –, si, plus
spécifiquement, un tel « temps long » réactive à échelle
macroscopique une certaine inorientation des temps microscopiques et se situe
ainsi à la fois au-delà (hyperfini) et en-deçà (hypofini) des temps ordinaires,
peut-on identifier un tel type de « temps long » dans l’expérience
musicale en sorte de parler d’un « temps musical long » ?
On examinera ce point à la lumière des orientations suivantes :
· Un « temps musical
long » sera tel qu’il réduplique, à très vaste échelle, les propriétés
infinitésimales des timbres instrumentaux : celles des transitoires et formants acoustiques, musicalement ressaisis comme ces
« nuances » et « couleurs » dont la musique fait sa
matière.
· Un « temps musical
long » peut être cherché du côté des grands Œuvres (tel celui de Bach ou
de Mozart) conçus comme réseau interactif de très nombreux opus (BWV ou
Keuchel) indéfiniment réinterprétables. On montrera sur un exemple comment il
est possible de formaliser ce type d’Œuvre selon le paradigme d’un Timbre (doté
de transitoires et formants).
· Le point crucial deviendra
alors le suivant : si un tel Œuvre de musique, fait de nombreux opus, a
bien forme macroscopique de Timbre, si un tel Œuvre générateur d’un nombre
potentiellement infini d’interprétations différentes n’est plus à strictement
parler « écoutable », à quel titre cet Œuvre-Timbre relève-t-il
encore musicalement d’un temps et pas seulement d’un
espace ? On s’éclairera ici des mathématiques pour faire quelques
hypothèses sur la géométrie singulière de cet espace-temps musical.
I. « Temps
long » = ? 1
II. Ce qu’un
« temps long » en musique ne saurait être 1
Rappel des échelles de durées en musique 2
Ce ne peut être une simple transformation
quantitative du temps ordinaire d’une pièce 2
Un très long temps................................................................................................................ 2
Un temps extatique................................................................................................................ 2
Un temps purement répétitif.................................................................................................. 2
Un temps sans fin.................................................................................................................. 2
Ce ne peut être un temps qui relève d’une écoute
à l’œuvre 2
œuvre ≠ pièce : en musique, l’œuvre a un
statut subjectif !.................................................... 2
L’importance du « moment de la fin »
pour une œuvre........................................................ 2
« Temps musical » ?.............................................................................................................. 3
Au total 3
Temps long ≠ long temps...................................................................................................... 3
III. Ce qu’est le
« micro-temps musical » 3
Sonagrammes 3
Points = transitoires ⊗ formants ⇒ nuances ⊗ couleurs 3
Importance musicale de l’arpège........................................................................................... 3
IV. L’Œuvre 3
Ensemble fini d’opus 3
Ensemble infini (potentiel) d’interprétations 3
Structure spécifique de ce lieu 4
Non connexe......................................................................................................................... 4
Feuilleté................................................................................................................................ 4
Infini (potentiel).................................................................................................................... 4
Déconnecté du temps chronologique..................................................................................... 4
Sans ordre naturel................................................................................................................. 4
Ne relève plus de l’écoute musicale 4
Pas d’intégration possible...................................................................................................... 4
Arpégiation possible.............................................................................................................. 4
V. Formalisation
d’un Œuvre 4
Forme de Timbre 4
Formalisation de mon Œuvre................................................................................................ 4
L’œuvre-Timbre................................................................................................................... 6
Appropriation musicale de ce Timbre 6
Tracer des diagonales génériques.......................................................................................... 6
VI. Récapitulation 6
Les trois temps musicaux 6
VII. Le « temps musical long » de l’Œuvre-Timbre est-il toujours
bien un temps ? 7
Un espace-temps ! 7
Principes d’exploration 7
Paramétrage par un spectre.................................................................................................... 7
Fonction ⇒ matrice............................................................................................................... 7
Géométrie de la Forme ⇒ topologie du lieu.......................................................................... 7
Synthèse intégrale ⇒ générique............................................................................................ 7
Un « temps musical long » ? 7
*
La question qui m’a été suggérée par Thierry
Paul est la suivante : y a-t-il en musique quelque chose qui ressemble
au « temps long » que la théorie des systèmes dynamiques fait
entrevoir ?
Je vais tenter d’y répondre selon
l’enchaînement suivant :
·
dégager d’abord
une intuition du « temps long », une image mentale susceptible de
mettre en branle la réflexion du musicien ;
·
pour cela,
commencer par écarter ce qu’un temps long en musique n’est pas, ne saurait
être ;
·
clarifier au
passage ce qu’est le temps musical ordinaire, celui qu’on dira musicalement à l’œuvre ;
·
expliciter à ce
titre le fait suivant : l’œuvre musicale s’interdit par principe tout ce
qui pourrait ressembler à un temps sans fin (ce qui tend donc à constituer un
« temps musical long » comme impossible de l’œuvre-opus, autant dire
pour elle comme un point de réel) ;
·
examiner
ensuite ce qu’il en est d’un possible micro-temps musical susceptible de nous
orienter dans notre quête d’un « temps musical long » qui soit d’un
type radicalement différent du temps ordinaire ;
·
soutenir
l’hypothèse qu’il faut chercher un tel « temps musical long » du côté
des grands Œuvres, faits de nombreux opus, et qu’il nous faut à ce titre donner
forme de Timbre à chacun de ces Œuvres – on en donnera ici un petit exemple
- ;
·
ce qui nous
amènera alors à la question ultime, la plus difficile : à quel titre
peut-on considérer que de tels Œuvres relèvent d’un temps musical d’un type
singulier, et pas seulement d’un espace ? Ceci nous conduira à faire quelques
hypothèses sur les propriétés d’un tel « temps musical long » propre
aux grands Œuvres, en particulier sur la géométrie de cet original espace-temps
musical.
J’ai 40 minutes pour parcourir ce trajet
devant vous.
Autant dire que le défi lancé par Thierry Paul
- et que j’ai accepté avec quelque naïveté - me dispose en funambule, tentant
en 40 minutes de traverser un vaste espace, perché sur mon fil de musicien, et
surplombant les abîmes d’une physique mathématique qui ne m’est pas
véritablement familière.
Je m’élance. Nous verrons bien si j’arrive
intact de l’autre côté du gouffre !
L’idée de « temps long » n’est guère
intuitive pour le musicien. Il lui faut donc se forger une image mentale de ce
que cela pourrait être en sorte de pouvoir ensuite examiner si cette idée a ou
non une quelconque pertinence en matière musicale.
Pour cela, convoquons quatre intuitions et
images mentales associées à l’idée de « temps long », successivement
une intuition logique, une intuition mathématique, une intuition philosophie et
une intuition physique.
·
Intuition logique - Jean-Yves
Girard : cf. le facteur hyperfini des algèbres
de von Neumann (Le point aveugle II – Vers l’imperfection ; chap. 20) [1].
·
Intuition mathématique - Jean
Bénabou : sa théorie des ensembles empiriques (un équivalent à la théorie
des faisceaux sur un espace topologique) [2]
qui sépare deux régimes d’itération d’un même opérateur de part et d’autre d’un
nombre entier n au-delà duquel l’opération sature,
soit deux régimes disjoints du fini, le second étant caractérisé par la
saturation d’une itération.
·
Intuition philosophique -
Alain Badiou [3] :
l’infini d’une vérité, construite par un sujet fini, est forcé [4] au futur antérieur en sorte que le fini puisse ainsi anticiper son
extension infinie ; soit le temps long comme anticipation (au futur
antérieur) dans le fini (infini potentiel) d’une généricité infinie (infini
actuel), comme conformation du fini à sa puissance d’infini, comme repli
injectif dans le fini de son destin infini…
·
Intuition physique - Thierry
Paul [5] :
le temps long serait ce temps macroscopique que fait entrevoir la théorie des
systèmes dynamiques initiée par Poincaré. Infini potentiel (mais non actuel),
il réactive à échelle macroscopique (voisinage d’un point à l’infini) des
propriétés microscopiques du temps (le temps « instant ») en
« symétrisant » vers l’infiniment grand des propriétés d’indéterminisme
qui prévalent à micro-échelle (d’où une chaîne instant-durée-« temps
long »).
Je retiendrai de tout ceci l’idée suivante,
idée radicale prenant au sérieux l’hypothèse d’un « temps long »
spécifique.
J’appellerai « temps long » un temps
(hyper)fini d’un type singulier, un temps :
·
qui, par sa taille macroscopique, se
situe au-delà des temps ordinaires (ceux de la
durée),
·
et qui, par sa forme, renoue avec un
temps microscopique (celui du pur instant) en deçà
de ces mêmes temps ordinaires.
Un temps musical long doit donc être un temps
musical d’un type nouveau. Un temps long en musique ne saurait donc être le
temps musical ordinaire simplement prolongé, rallongé.
éléphantesque, le temps des
« monstres » :
·
Stockhausen : Licht - Die sieben Tage der Woche (29 heures pour 7 opéras)
·
Sorabji : Variations symphoniques pour piano (9 heures).
Le « temps long » n’est pas une
durée très longue, un long temps-durée.
psychologiquement extatique (par
ralentissement, suspens et stase ; ou par transe, précipitation et
basculement dans un autre état)
en boucle, tel qu’il est par exemple suggéré
dans l’ouverture du Klavierstück IX de Stockhausen (1961) par un accord répété
139 [6]
puis 87 fois [7] ;
Voir aussi les pièces de Morton Feldmann, etc.
Le « temps long » n’est pas un temps
sempiternel (comme le temps des anges selon Ricœur [8]) ;
il n’est pas « long » au seul titre qu’il serait un temps ordinaire
mais indéfiniment répété.
Cf. ces morceaux qui ne savent pas finir, qui
ne s’achèvent pas et se terminent par un simple fading out : le « temps long » n’est pas une durée
interminable ;
·
« Go down Moses » de Grant
Green : d'autres morceaux du même album (« Feelin’ the Spirit »)
sont plus longs. Le choix est donc ici délibéré (cf. le thème de la marche sans
terme).
·
Le dernier morceau « Pick Up
Sticks » de l'album « Time Out » de Dave Brubeck : il reste
ouvert sur la suite…
Rappels.
Ce qui diffère tient à la dimension subjective
de l’œuvre : son projet, pris dans un espace de pensée plus vaste. Cf. intension à l’œuvre…
Elle matérialise ainsi une composante
musicalement subjective : un vouloir, des décisions, une orientation…
Elle ressemble à un théorème, qui est partie
prenante d’une théorie comme l’œuvre-opus est partie prenante d’un projet plus
vaste: l’Œuvre (au masculin).
À tous ces titres, l’œuvre-opus assume sa fin
et la décide: l’œuvre s’achève, se termine.
Comme on y reviendra, cela touche au rapport
de l’œuvre à l’Œuvre.
Une œuvre s’arrête (et non pas est arrêtée).
Le temps long est l’impossible de l’œuvre
musicale, donc tout aussi bien son point de réel ; il est de l’essence de
l’œuvre musicale de s’interdire un temps interminable : cf. l’enjeu
essentiel du « moment de la fin » pour l’œuvre (pas pour la pièce de
musique).
Voir La nuit transfigurée : une fin en évaporation.
Voir l’opus 11 n°3 qui se conclut sur des
scansions équivalant à un « c.q.f.d. ! »
C’est
une opération (musicale) sur une opération perceptive elle-même faite sur un
temps physico-acoustique :
acoustiqueperceptionécoute
Cf.
Lautman : l’écoute tricote du temps.
Écouter,
c’est produire l’opération permettant de suivre le fil de l’intension en sorte d’intégrer l’inspect…
Attention :
on n’écoute pas une partition mais une interprétation.
Un « temps long » n’est donc pas un
long temps de nature ordinaire ! Un temps long n’est pas ici un temps qui
dure plus longtemps qu’un temps ordinaire.
Un tel « temps » (micro-temps
musical) est la donation (instantanée) de points = points-nuances & points-couleurs, points fibrés,
susceptibles de nourrir le point d’écoute : écouter, c’est suivre un tel
point musical (et pas acoustique) à l’œuvre.
Acoustique |
Musique |
transitoires |
nuances |
formants |
couleurs |
La mise en vibration de tel
« point » se fait musicalement par exemple par l’arpégiation…
Pour
écouter :
Qu’est-ce qu’un Œuvre ?
Un ensemble d’opus n’est pas un opus. Un
ensemble d’œuvres peut constituer un concert mais un concert n’est pas une
œuvre.
À la base d’un Œuvre, il y a donc un ensemble
(fini) de partitions.
Jean-Sébastien Bach : 155 CD dans une
interprétation, 172 dans une autre [10].
entre opus (entre BWV)
Cf. un livre-volume ; mieux : cf. un
classeur sans ordre naturel des feuilles.
Il y a un infini potentiel d’interprétations
différentes-exécutions de ce classeur.
S’approprier un tel Œuvre, ce n’est pas en
écouter une interprétation donnée « d’un bout à l’autre ».
Un Œuvre ne relève pas d’un temps musical
ordinaire car, à proprement parler, il n’a pas
·
de début clair : l’Œuvre-Bach ne
commence pas par « BWV 1 » (une cantate de l’Annonciation), ni par
l’opus chronologiquement premier (il semblerait que ce soit un choral pour
orgue) ; il devrait plutôt commencer par le premier chef d’œuvre, ou la
première œuvre emblématique (la Toccata en ré mineur pour orgue, qui n’est sans
doute pas de Bach !) ;
·
de fin claire (au demeurant l’Œuvre-Bach
se termine chronologiquement en inachèvement (l’Art de la fugue…) ;
·
d’ordre patent (comme une partition peut
en établir un pour un opus donné) ;
·
on peut y ajouter ou retrancher un opus
sans que cela le change (on vient ainsi de dénicher un nouvel opus de Mozart…).
par consécution ou par superposition.
Cf. ex. de mon Œuvre (en cours…).
pour écouter
L’appropriation d’un Œuvre est plus proche
d’une arpégiation.
Cf. ex. de mon Œuvre…
pour écouter
L’appropriation d’un Œuvre passe par une
formalisation singulière.
La saisie proprement musicale d’un Œuvre peut
être conçue comme le fait de lui donner forme de Timbre.
Formalisation en cinq étapes.
20 opus
prépondérants sur une quarantaine :
⇒ un graphe :
Cf. 5
familles :
…
réordonnées chronologiquement :
D’où un
Timbre et ses formants et transitoires :
Cette forme est bien homologue à celle d’un
timbre élémentaire telle qu’un sonagramme nous la fournit.
Ce n’est pas l’écoute musicale ordinaire (cf.
problème de superposition !).
Exemple de mon arpégiation…
Cf. suivre ici le modèle de Farben, qui, paradoxalement, donnerait la meilleure intuition, à échelle
ordinaire, de ce qu’un temps musical long peut être car cette œuvre se troue en
un point générique.
Où en sommes-nous ?
Je propose l’idée suivante : un Œuvre
donné est musicalement saisi comme un très vaste Timbre plutôt que comme un
temps musical ordinaire. La « Forme » d’un grand Œuvre n’est pas du
même type que la Forme musicale d’un opus, laquelle relève d’un inspect produit par intégration d’une intension au
fil d’une écoute.
Un grand Œuvre ne se comprend pas – ne
s’écoute pas - comme on comprend (comme on écoute) un opus, ou un concert
(petit groupe d’opus) : il n’y a pas l’enchaînement d’une pré-écoute, d’un
moment-faveur, d’un fil d’écoute et d’une synthèse une fois le moment de la fin
affirmé par l’opus.
Un grand Œuvre se comprend plutôt comme un
vaste Timbre qu’on peut arpéger d’autant plus ad libitum qu’il n’y a ici aucune
raison de privilégier l’arpégiation chronologique.
Tout ceci ne correspond-il pas à l’expérience
musicale commune ? Si vous tentez de vous représenter l’Œuvre-Bach, vous
n’allez pas écouter l’intégrale dans l’ordre, vous n’allez pas vous remémorer
tout le Bach que vous connaissez ou dont vous vous souvenez. Vous allez
reconstituer mentalement une représentation de ce que le nom « Bach »
désigne en superposant dans une image mentale simultanée tel fragment, tel
thème, tel type de surprise mais aussi tel type d’étrange labeur, telle figure
chromatique inattendue.
Vous allez somme toute vous représenter
« Bach » comme un bloc plutôt que comme une succession, comme une
masse en forme de Timbre avec
·
ses différents formants (ses fugues et
ses mélodies ondoyantes, son art vocal si singulier et la puissance de son
orgue, la majesté de son violon solo et le vertige de se masses chorales,
etc.), un peu comme Mozart disait voir un opus d’un seul coup d’œil ou comme
Roubaud déclare saisir un poème longtemps fréquenté ;
·
ses différents transitoires (là où le
formant-orgue trouve son attaque – toccata en ré mineur ? -, là où le
formant-fugue fait vibrer sa résonance – moment des grandes fugues pour orgue
où elles rejaillissent d’on ne sait où -, …).
micro-ordinaire-long :
« Le
temps scintille ! » Paul Valéry (Cimetière marin) [11]
si on appelle « temps » un paramètre
à une dimension d’une synthèse spatiale.
On va paramétrer l’Œuvre non plus par un point
mais par un spectre (constitué à partir des Formants distingués dans le
Timbre-Œuvre) : le spectre, en évoluant « dans le temps » va
dégager un tableau qu’on peut interpréter comme une matrice :
On passe ainsi d’une algèbre de fonctions
(comme pour l’écoute d’une œuvre) à une algèbre de matrices : cf.
ARE [12] ⇒ Ã*R*E (où A épouse le
nombre n de formants – ou le rang du spectre – et E
dépend de la « durée » p des résonances…) :
|
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r11 |
… |
r1j |
… |
r1p |
|
e1 |
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… |
… |
… |
… |
… |
|
… |
a1 |
… |
ai |
… |
an |
* |
ri1 |
… |
rij |
… |
rip |
* |
ej |
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… |
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rn1 |
… |
rnj |
… |
rnp |
|
ep |
à * R
* E
Le point, en effet, est que les transitoires
ne sont pas les mêmes pour tous les formants, que chaque formant a son attaque,
sa résonance et son extinction propres.
Moins inspect de
l’Œuvre que propriétés algébriques d’un « continent » : un des
continents du monde-Musique.
Noter : le temps de l’œuvre serait plus
algébrique que géométrique. Cf. Alain Connes : l’algèbre peut être vue
comme plus « temporelle » que la géométrie (qui est plus visuelle).
Se l’approprier, s’y incorporer, ce n’est plus
épouser l’inspect de l’œuvre mais épouser sa
dimension musicale générique, sa puissance propre dans le monde-Musique en tant que cette puissance est générique : ouverte, infinie, irréductible
à quelque formule particulière, inenfermable dans quelque prédicat.
Cf. l’Œuvre-Bach comme cette puissance
musicale qui se joue sous le nom propre « Bach », cette puissance
qu’a l’Œuvre-Bach de nourrir toute œuvre et toute musique (voir d’ailleurs les
innombrables transformations d’un Bach générique : en jazz, à l’accordéon,
au synthétiseur, etc. [13]).
D’où l’idée que le temps de cette puissance
devient en partie un temps d’action sur le monde-Musique : ce n’est plus simplement comme le temps musical ordinaire un temps intérieur
à l’œuvre. Cela devient le temps de l’interaction entre l’Œuvre et le
monde-Musique. Et c’est – ce serait – à ce titre
qu’il s’agit désormais d’un temps long : non seulement parce qu’il est
interminable – les interprétations musicales de l’Œuvre-Bach sont indéfiniment
renouvelables, au fur et à mesure de l’évolution du monde-Musique – mais plus essentiellement parce que l’opération propre qui le
constitue – thèse : aucun temps n’existe comme tel, en soi ; un temps
n’existe que comme opération sur des existences – met cette fois en jeu une
interaction Œuvre/monde-Musique, là où l’œuvre met
surtout en jeu une interaction avec d’autres œuvres en particulier du même
Œuvre.
Une œuvre se comprend par son rapport à
d’autres œuvres, en particulier par sa place dans tel ou tel Œuvre.
Un Œuvre se comprend par son rapport à
d’autres Œuvres et par sa place dans le monde-Musique.
On aboutit à cette conclusion : le
« temps musical long » serait celui de l’interaction sans fin
(intérieurement - par interprétation - et extérieurement - par
rayonnement -) de l’Œuvre sur/dans le monde-Musique…
Ce n’est plus un temps tricoté par l’écoute,
comme le temps musical ordinaire ; c’est un temps qui résonne à la manière
d’un timbre, un temps qui, comme peut le faire une vaste cloche, réverbère dans
le monde-Musique, un temps qui scintille en sorte
qu’on peut lui approprier cette strophe [14]
du Cimetière marin (Valery) :
Quel pur travail
de fins éclairs consume
Maint diamant
d'imperceptible écume,
Et quelle paix
semble se concevoir!
Quand sur
l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs
d'une éternelle cause,
Le Temps
scintille [15] et le
Songe est savoir.
*
[1] « cet objet à la fois fini et hyperfini » (486) car
« il y a deux façons d’être fini » : quantitative et
qualitative… Pour sa part, l’algèbre hyperfinie relève de la finitude
qualitative (488). Mieux : l’hyperfini est « à la fois fini ou infini
suivant le point de vue, interne ou externe, que l’on adopte »
(489) : il est « infini de l’extérieur, fini de l’intérieur ».
[2] pour i<n, on a tn+1>tn et pour i≥n, on a tn+1=tn
(t est devenu idempotent).
La sémantique proposée s’attache à
l’usage linguistique du mot « très » : « très
grand » > « grand » et « très très
grand » > « très grand » mais à partir d’un certain
nombre de « très » ainsi accolé, l’ajout d’un nouveau
« très » ne renforce plus rien.
Voir son séminaire 1987-1991 édité dans
les Cahiers de poétique comparée (Mezura, n°17, 21
et 25)
[3] L’être et l’événement
[4] Voir le forcing de Paul Cohen
[5] Cf. exposés en mai 2008 aux séminaires (Ens) mamuphi et Mathématiques et Philosophie.
[6] 139 dans une mesure 142/8.
[7] Cf. Fibonacci : 87 = 1+2+3+5+8+13+21+34. Et 142=87+52
[8] « L'étrange statut de l'œuvre d'art a peut-être un équivalent
dans la spéculation sur les anges et leur temporalité, laquelle n'est ni
l'éternité immuable de Dieu, ni la précarité des choses humaines. Les Médiévaux
avaient forgé à cet effet le concept de pérenne, de sempiternel. Il y a là plus
qu'une approximation, une sorte de parenté profonde entre le statut des anges,
dans la grande tradition médiévale mais aussi multi-séculaire, et l'idée
d'espèce à un seul individu. Et en somme l'œuvre d'art est une espèce à un seul
individu. »
Propos recueillis Jean-Marie Brohm et
Magali Uhl (20 septembre 1996, à Paris)
[9] « S’arrêter n’est pas conclure et c’est, au demeurant, plus
simple que de poursuivre. Conclure est, en effet, une bien autre affaire, et
l’effet d’une conclusion requiert l’emploi de moyens particuliers. […] On
pourrait toujours, dans la musique, imaginer une succession d’accords nouveaux.
Et, sans aucun doute, là où plus rien ne se ferait attendre s’amorcerait encore
un prolongement, l’idée poursuivrait son cours ou se renouvellerait en une
perpétuelle extension. […] On pourrait comparer la musique à un gaz, lequel n’a
en soi aucune forme, mais un pouvoir d’extension quasi illimité. […] Ce genre
de réflexion me conduit à considérer comme difficile – voire quasi
impossible – le fait d’élaborer une conclusion qui, réellement et
impérativement, en soit une. » Traité
d’harmonie (1903 ; p. 173)
[10] Mozart = 170 CD
[11] Premiers mots chantés de Dans la distance…
[12] Transitoires : Attaque-Résonance-Extinction
[13] Si l’Œuvre-Bach exemplifie ces propriétés génériques, celles-ci valent
tout autant pour tout grand Œuvre : celui de Mozart, mais aussi bien celui
de Schoenberg…
[14] la troisième
[15] Premiers mots chantés de ma cantate Dans la distance.