Quel rôle de la musique dans l’antiphilosophie nietzschéenne ?

Sur Nietzsche musicien (La musique et son ombre) de Florence Fabre [1]

 

 

Trois vertus de ce livre…                                                                                                             1

… qui complète celui d’Éric Dufour                                                                                            2

Les séparations nietzchéennes                                                                                                      2

Mélodie/harmonie…                                                                                                                  3

Mélodie/paroles                                                                                                                         3

Deux voix…                                                                                                                              3

Chanteur/chœur                                                                                                                         3

Mot/musique                                                                                                                              4

Passivité active du musicien                                                                                                       4

Musique/philosophie                                                                                                                  4

Au total…                                                                                                                                    5

Un dividu…                                                                                                                               5

Un chiasme plutôt qu’une analogie…                                                                                       5

Une boiterie…                                                                                                                           5

 

         Trois vertus de ce livre…

Je vois trois raisons - entre autres - de mettre ce livre au programme des Samedis d’Entretemps :

1) Ce livre est original : il examine en détail les compositions de Nietzsche, et ne recule pas devant leurs nécessaires évaluations musicales.

2) Ce livre est courageux : il sort des sentiers battus - ceux qui dissocient radicalement chez Nietzsche philosophie (« géniale ») et composition (« médiocre ») et, ce faisant, économisent paresseusement l’évaluation de la musique nietzschéenne -, et il examine l’hypothèse, beaucoup plus fructueuse, d’une conjonction (explicitement visée par Nietzsche) entre sa philosophie et sa musique [2].

3) Ce livre est intéressant : l’hypothèse d’une vaste Œuvre de Nietzsche articulant philosophie et musique permet de réinterroger la philosophie en question, spécifiquement de rehausser cette dimension intrinsèque du discours nietzschéen qu’on dira antiphilosophique (si l’on entend par antiphilosophie cette manière de philosopher qui considère que la validité du discours philosophique devrait être gagée sur la vie et le corps personnels du philosophe - autrement dit, que la garantie de l’énoncé philosophique tiendrait à sa position d’énonciation [3]), ce qui incite alors à se demander : qu’en est-il des rapports philosophie-musique dans cette conception spécifiquement antiphilosophique (très différente donc de celle, un demi-siècle plus tard, d’un Adorno) ? En particulier, qu’en est-il ici d’un statut proprement antiphilosophique de la musique ?

 

Je voudrais entreprendre aujourd’hui de thématiser cette question, bien plus que d’y apporter des éléments de réponse ce qui, en bonne part, déborderait trop largement mon champ propre d’investigation et de travail.

         … qui complète celui d’Éric Dufour

Cet intérêt du livre de Florence Fabre se renforce de ce qu’il me semble assez bien compléter celui d’Éric Dufour (L’Esthétique musicale de Nietzsche) dont nous avons déjà discuté ici même en mars 2007.

Je me resituerai donc aujourd’hui dans l’horizon qu’il m’a semblé pouvoir dégager il y a un an à l’occasion de la lecture du livre de Dufour, selon les quatre points suivants [4] :

1.     Il y a trois Nietzsche plutôt qu’un seul [5], non seulement dans son rapport à la musique (« trois périodes du discours de Nietzsche sur la musique » : métaphysique, esthétique proprement dite, physiologie) mais plus généralement dans sa philosophie en général (ce qui se comprend si l’on retient l’idée que le rapport à la musique est pour Nietzsche philosophiquement constitutif et pas seulement conditionnant).

2.     Il faut inclure dans l’œuvre de Nietzsche son œuvre compositionnelle : la démarche qui les sépare radicalement bride l’intelligence du propos, et ce d’autant plus s’il s’agit bien ici d’antiphilosophie puisqu’alors ce que fait l’antiphilosophe – en l’occurrence ce qu’il compose – devient partie intégrante de l’énonciation antiphilosophique.

3.     Cette dimension antiphilosophique du discours de Nietzsche a peut-être une importance particulière pour rendre compte de ce que son esthétique musicale va ultimement aboutir à cette logique physiologique dont parle Éric Dufour. En effet, si une évaluation de type physiologique de l’œuvre musicale implique une mise en jeu du corps du musicien comme de l’auditeur (danse-t-il ou nage-t-il par exemple ?), n’est-ce pas parce qu’une telle évaluation physiologique relève toujours déjà d’une logique antiphilosophique c’est-à-dire d’une logique qui mobilise le corps du philosophe comme gage de la validité de son discours ?

4.     Enfin l’encombrement du musicien pensif face à un discours philosophique traitant de musique se trouve maximisé face à un discours proprement antiphilosophique s’il est vrai qu’il lui est plus facile de se détourner des parties traitant de musique dans un discours proprement philosophique puisque dans ce cas, le partage est plus net quand dans le discours antiphilosophique, l’imbrication est plus intime, et donc moins contournable.

 

Qu’en est-il alors, sous cet éclairage, du livre de Florence Fabre ? Comment ce livre éclaire-t-il le rôle de la musique dans l’antiphilosophie nietzschéenne ?

Répondre à cette question serait un long travail, surtout si on souhaite le mener non pas à coups de marteau ou de burin mais selon la méthode plus souple proposée par le mathématicien Alexandre Grothendieck :

Je vois deux approches extrêmes pour démontrer un théorème. L’une est celle du marteau et du burin, quand le problème posé est vu comme une grosse noix, dure et lisse, dont il s’agit d’atteindre l’intérieur, la chair nourricière protégée par la coque. Le principe est simple : on pose le tranchant du burin contre la coque, et on tape fort. Au besoin, on recommence en plusieurs endroits différents, jusqu’à ce que la coque se casse – et on est content. […] Dans la deuxième approche, on plonge la noix dans un liquide émollient, de l’eau simplement pourquoi pas ; de temps en temps on frotte pour qu’elle pénètre mieux, et pour le reste, on laisse faire le temps. La coque s’assouplit au fil des semaines et des mois — quand le temps est mûr, une pression de la main suffit, la coque s’ouvre comme celle d’un avocat mûr à point ! [6]

Je n’ai pas eu le loisir de mener ce travail à bien. Je me contenterai donc ici de problématiser le titre que j’ai choisi de donner à cet exposé.

         Les séparations nietzchéennes

Le premier point qui m’a frappé et intéressé dans cette lecture, c’est l’exhaussement d’une schize fondamentale chez l’individu Friedrich Nietzsche, schize qui mobilise directement la musique et qui peut, en un premier temps, se dire celle entre le labeur proprement philosophique et la pulsion intermittente à composer de la musique, mais qui, au fur et à mesure que Florence Fabre l’examine, se creuse, prolifère et en vient à scinder chacun des deux termes précédents : d’un côté la schize proprement antiphilosophique entre énoncé et énonciation, d’un autre côté une schize proprement musicale entre voix qui chante et voix qui parle, mais aussi entre mélodie et harmonie, entre voix solistes et chœur…

À lire ce livre, on prend ainsi mesure d’une série proliférante de divisions face auxquelles Nietzsche semble d’autant plus dérouté qu’il se déclare simultanément porteur d’une exigence d’unité et ne se satisfait nullement d’une orientation tragique à la Kierkegaard – « ou bien… ou bien… » - qui laisserait la blessure non cicatrisée et ferait de l’hémorragie le véhicule d’une intensification proprement tragique de l’existence (en un sens du mot « tragique » ici tout différent du sens dinoysiaque que lui confère Nietzsche…).

On peut à ce titre identifier un certain nombre de scissions qui affectent la personne et/ou la doctrine de Nietzsche. Parcourons rapidement leur gerbe.

Mélodie/harmonie…

Il y a une scission mélodie/accompagnement qui, pour Nietzsche, est une condition même du beau chant. Paradoxalement, la menace, pour lui, est ici dans l’inséparation (« je ne supporte plus une musique qui ne sépare point… »), non dans l’écart :

« Une musique qui ne sépare point […] la musique et l’accompagnement, je ne la supporte plus désormais qu’en tant que bref intermède, que bruit idéal qui nous fasse désirer la reprise du chant. » [7]

Nietzsche se plaignait de ce que dans les « mélodies de la musique moderne » il fût « impossible de dire encore où est la mélodie, où l’accompagnement, où l’harmonie ». [8]

Mélodie/paroles

Mais il y a avant tout pour l’individu Nietzsche une scission quasi-originaire, un discord intérieur sans résolution apparente qu’il formule ainsi :

« Je cherche des paroles pour une mélodie que j’ai et une mélodie pour des paroles que j’ai, et ces deux choses que j’ai ne s’accordent pas ensemble, encore qu’elles viennent de la même âme. » [9]

Nietzsche s’affronte ce faisant à ce qu’il appelle

« la dualité (ou la multiplicité) irréductible dans une seule et même personne » [10]

Pour le théoricien, la ligne de conduite musicienne, dans ces conditions, devrait être de privilégier la mélodie sur les paroles en renversant la problématique de Wagner :

« Le texte proprement dit du poème devrait être composé après que la musique a été achevée, dans une continuelle adaptation à la musique : alors que jusqu’à présent, c’était le mot qui traînait la musique à sa suite. Ceci, c’est l’un des points : composer le texte après la musique ! […]  Le musicien doit guider le poète, quand la musique est achevée ! » [11]

Deux voix…

Cette opposition mélodie/paroles rejoint une opposition plus générale entre la voix qui parle et la voix qui chante : plutôt que leur recouvrement possible dans un chant bien ajusté, l’horizon reste celui d’une incompatibilité, comme l’indique clairement la directive de Zarathustra :

« Chante, et ne parle pas ! […] Chante ! Ne parle plus ! » [12]

Chanteur/chœur

D’où que le chant doive être plutôt conçu comme « sans paroles » : même si des paroles supportent l’articulation vocale, peu importe qu’elles soient compréhensibles.

« Si nous nous abandonnons totalement à la musique, il n’y a plus de paroles dans notre tête. […] Dès que l’on ne comprend plus les paroles, tout rentre dans l’ordre. » [13]

« Que le poème de Schiller “À la joie” soit absolument incongruent à la jubilation dionysiaque de cette musique de rédemption, et qu’il soit même submergé par cette mer de feu comme une pâle clarté lunaire, qui pourrait m’en ôter la conviction intime ? Et qui voudrait en fin de compte me disputer l’affirmation qu’un pareil sentiment ne trouve, à l’écoute de cette musique, le cri de son expression que parce que la musique nous a privés de toute capacité pour les images et pour les mots, et que nous n’entendons presque plus rien du poème de Schiller ? » [14]

Chez les Grecs, « les grands chants choraux n’étaient pas compris. Seul le chanteur les comprend. » [15]

D’où le fait que le chant bien compris (c’est-à-dire aux paroles mal comprises) doive privilégier les masses chorales plutôt que les chanteurs individuels :

Chez les Grecs, « le chœur était le facteur avec lequel il fallait surtout compter. » [16]

« Il faut se débarrasser du chanteur ! Le meilleur moyen est encore le chœur ! » [17]

Mot/musique

Le dilemme parler/chanter n’est pas ici que vocal. Il est aussi de principe : il y a en effet une séparation radicale entre le pouvoir des mots et le pouvoir de la musique.

« Par rapport à la musique toute communication par des mots est éhontée : le mot amoindrit ; le mot dépersonnalise ; le mot rend commun ce qui est rare ». [18]

Passivité active du musicien

Tout ceci accompagne une figure singulière du musicien qui se découvre moins acteur de « sa » musique qu’agie par elle, et ainsi en proie à sa puissance démoniaque :

« Le sentiment d’être ravi hors de moi » [19]

« Ce morceau est  tombé du ciel. » [20] « comme tombé du ciel » [21]

« Hier, le démon de la musique m’a saisi. […] Je ne m’en débarrasserai pas. » [22]

« Le démon de la musique s’est à nouveau emparé de moi. » « Le démon de la musique est revenu me visiter ». [23]

Nietzsche connaît cette même disposition subjective lors de sa production poétique :

« [L]a naissance [de Zarathoustra] m’a été une sorte de saignée. […] Ce fut quelque chose de soudain. » « Il me tomba dessus ». [24]

« Je fus littéralement contraint d’écrire ce poème ». [25]

« La notion de révélation […] décrit tout simplement un état de fait. On entend, on ne cherche pas ; on prend sans demander qui donne ; […]  je n’ai jamais eu à choisir. […]  Tout se passe en l’absence de toute volonté délibérée. » [26]

J’appellerai cette disposition une passivité active, s’il est vrai qu’elle est passivité primordiale débouchant cependant sur une activité : celle de la dictée, de la transcription…

« Tout artiste sait combien son état le plus “naturel” est loin du laisser-aller. […]  Il obéit à de multiples lois. » [27]

Musique/philosophie

Tout ceci, paradoxalement, débouche sur une productivité philosophique entretenue par la musique :

« Plus on devient musicien, plus on devient philosophe. » [28]

« Actuellement je ne suis plus musicien que juste autant que l’exige l’usage domestique de ma philosophie. » [29]

« Je voudrais bien avoir composé un lied […] pour rallier les hommes à ma philosophie ». [30]

« Je désirerais que la musique prenne place pour combler la lacune du verbe du philosophe ». [31]

         Au total…

Si je tente de résumer le portrait ainsi dressé du philosophe musicien, j’obtiens les traits suivants :

·       un compositeur impuissant à concilier les mélodies et les paroles qu’il porte séparément en lui, privilégiant tantôt le chant choral sans paroles (ou aux paroles indifférentes puisqu’indistinctes), tantôt la composition de texte une fois la mélodie achevée ;

·       un compositeur composant par intermittence et par jaculations imprévues sous l’effet d’un démon aussi capricieux qu’impérieux ;

·       un philosophe rêvant que « sa » musique puisse convaincre moins ses auditeurs que les lecteurs de sa philosophie, comme si la musique devait ultimement témoigner de qui se tient derrière le texte philosophique…

Où la musique donc doit se porter garante de ce que la philosophie concernée est bien l’affaire d’un tempérament singulier, est bien portée par un corps physiologique qui danse…

Un dividu

Le point est alors qu’à refuser la séparation entre philosophie et philosophe, qu’à gager l’énoncé philosophique sur l’engagement personnel du philosophe qui l’énonce, plus encore : qu’à considérer que ce qui va se porter garant de l’engagement personnel du philosophe payant de sa personne, c’est « sa musique » - moins musique qu’il a faite que musique qui l’a fait -, le point est alors que tout ceci débouche sur une séparation encore plus vive de l’individu concerné, Friedrich Nietzsche en l’occurrence, non seulement séparé de lui-même par la passivité qui s’empare imprévisiblement de lui mais plus encore scindé entre différentes passivités : celle de la musique, mais aussi celle de la poésie, et finalement celle du poème philosophique.

Nietzsche découvre ainsi que l’individu qu’il se croyait être est irréductiblement un dividu dont la capacité alors à se porter garant de tout l’échafaudage précédent semble vaciller.

Le point frappant est que Nietzsche vit ce partage de l’individu en un dividu comme un problème, une menace plutôt que comme une libération puisque cette division fait vaciller l’un du rapport qu’il prône entre énoncé philosophique et énonciation du philosophe : comment en effet articuler l’un et l’autre si l’opérateur d’articulation s’avère irréconciliable d’avec lui-même, s’il s’avère irrémédiablement partagé entre ces mélodies sans paroles et ces paroles sans mélodies qu’il porte séparément ?

Un chiasme plutôt qu’une analogie…

Sous un autre angle, le travail musical ne saurait être alors pris comme emblème du travail philosophique s’il est vrai que le philosophe ne saurait être, vis-à-vis de la philosophie comme l’est le musicien vis-à-vis de l’œuvre musicale : la disposition où le musicien est fait par l’œuvre plus qu’il ne la fait – soit cette disposition de passivité active dont j’ai parlé – n’a pas d’équivalent réel pour le philosophe (sauf lorsqu’il intervient en philosophe sous l’angle très spécifique du poème philosophique – Zarathoustra en l’occurrence -).

Somme toute entre travail musical et travail philosophique, il semble y avoir pour Nietzsche moins analogie que chiasme : la bonne musique, pour lui, est celle qui dispose le musicien en position de passivité active quand la bonne philosophie (l’antiphilosophie en l’espèce) est à l’inverse celle qui dispose le philosophe en position d’activité passive (et concomitamment la philosophie en position de passivité et agie par le philosophie).

Une boiterie…

D’où me semble-t-il ici un rapport boiteux entre musique et philosophie dont le livre de Florence Fabre nous instruit en suivant à la trace l’effet proprement musical de ces poussées démoniaques, boiterie au demeurant dont la musique en question porte elle-même la trace – Florence Fabre dégage bien la boiterie d’une mélodie qui n’est pas maîtresse d’elle-même et ne s’émancipe pas de contraintes exogènes, tant rythmique [32] qu’harmonique [33], où l’on retrouve bien sûr la boiterie d’une Œuvre où coexistent écrits géniaux et compositions dans lesquelles la musique semble, comme le relève Hans von Bülow [34], s’être égarée ; boiterie qui est celle-là même de l’individu Nietzsche se vivant comme musicien égaré :

« J’aurais voulu être musicien » [35]

« Je suis en effet, comme l’a dit Wagner, “un musicien manqué” » [36]

Boiterie somme toute d’une musique se voulant grande :

« Peut-être ma musique a-t-elle en cet endroit aussi une certaine grandeur » [37]

Voir aussi « une indescriptible expression de grandeur » dans Parsifal [38]

mais qui adopte pour emblème la mélodie sans paroles et accompagnement :

« Tout ce qui est bon en musique devrait pouvoir se siffler. » [39]

 

Il n’est que trop clair que cette boiterie renvoie à des traits spécifiques de la personnalité psychique de Friedrich Nietzsche. Lui-même s’explique à différentes reprises sur la fonction particulière de la musique dans son économie psychique générale :

« Autodidacte musicien, […]  je fabrique de la musique à ma façon. […]  De ma musique je sais seulement qu’elle me permet de maîtriser une disposition affective qui, insatisfaite, produirait peut-être plus de dommages. […] Pour longtemps [Tristan] me guérit de ma musique. […] Je veux essayer de suivre une cure de désintoxication musicale. ». [40]

« Ma musique m’a procuré beaucoup de joie. […] Je me suis toujours posé le problème de savoir d’où venait cette joie. » [41]

« Empêcher que l’arc ne se brise, telle est la raison d’être de l’art. » [42]

« Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante. » [43]

« Maîtriser le chaos que l’on est : contraindre son chaos à devenir forme. » [44]

 

Ce rapport boiteux est-il un attribut nécessaire de toute antiphilosophie disposant la musique en garantie ultime de la vie proprement philosophique ? Il faudrait ici comparer la disposition nietzschéenne à celle d’un Jean-Jacques Rousseau, l’autre grand antiphilosophe s’étant également piqué de composition musicale ?

Il faudrait sans doute aussi faire l’hypothèse qu’il y a un gouffre (une nouvelle schize, à tout le moins une nouvelle boiterie) entre le concept nietzschéen de musique et ce dont parle Friedrich Nietzsche quand il écrit « ma musique » : par-delà l’homonymie, « sa » musique n’a peut-être pas grand-chose à voir avec ce que « musique » désigne comme concept dans sa pensée en sorte que l’analyse de ses partitions ne saurait délivrer la clef d’une compréhension du rôle joué par le concept de musique dans la pensée nietzschéenne.

Livrons à ce titre cette seule indication : le rapport que Nietzsche entretient à « sa » musique est très fortement marqué par un refus patent et systématique tant du travail musicien que de toute discipline proprement musicale ; le jaillissement dont « sa » musique se réclame exclut pour lui tout labeur, ce labeur pourtant sans lequel aucun musicien ne saurait être ce qu’il est…

 

Comme je l’ai indiqué, cet examen déborde de toutes parts mon propre espace de travail et je ne saurai donc aller plus loin que ces remarques et les questions qui en découlent.

À tout le moins cette lecture éminemment lacunaire peut-elle indiquer l’intérêt d’aborder l’Œuvre de Nietzsche en y incluant ses opus musicaux, abord que le livre de Florence Fabre facilite désormais en guidant le lecteur dans le nouage historial entre écrits philosophiques et pièces musicales.

Qu’elle soit à ce titre remerciée pour ce travail de pionnier à propos duquel aucune méthodologie n’était à ma connaissance jusque-là disponible !

 

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[1] Presses Universitaires de Rennes, 2006

[2] Rappelons que cette hypothèse était déjà au principe du livre d’Eric Dufour « L'Esthétique musicale de Nietzsche » traité lors du samedi d’Entretemps en date du 31 mars 2007.

[3] L’antiphilosophie (selon Badiou : celle de Pascal, Rousseau, Kierkegaard, Nietzsche, Wittgenstein et Lacan) est gagée sur une position d’énonciation personnalisée là où le discours philosophique est normé par des contraintes immanentes à ses énoncés, contraintes de cohésion corrélant mathèmes et poèmes.

[4] Voir mon intervention « Une lecture musicienne du livre de philosophie L’esthétique musicale de Nietzsche (Éric Dufour) », Samedi d’Entretemps (Ircam, 31 mars 2007)

[5] Je rappelle que cette thèse d’Eric Dufour se complétait d’une thèse, inverse, posant qu’il n’y a qu’un Wagner et non pas trois…

[6] Récoltes et semailles, Troisième partie : L’enterrement (II), p. 552-553

[7] p. 133

[8] p. 165

[9] Lettre à sa mère de septembre 1863 (p. 69)

[10] p. 69

[11] 10 janvier 1883 (p. 195)

[12] p. 186

[13] 1880 (p. 193)

[14] p. 196

[15] p. 197

[16] p. 198

[17] 1871 (p. 200)

[18] p. 186

[19] p. 57

[20] p. 75

[21] p. 74

[22] p. 128

[23] p. 129

[24] p. 51

[25] p. 52

[26] p. 53

[27] p. 204

[28] p. 9, 27

[29] p. 97

[30] p. 129

[31] p. 142

[32] « Il semble bien que la mélodie intérieure, chez Nietzsche, soit essentiellement rythmique. » (p. 73)

[33] Nietzsche avait « une oreille plus harmonique que mélodique » (p. 33)

[34] « Votre égarement dans le domaine de la composition… […] Laissez le gouvernail au mot » ! (p. 98)

[35] p. 135

[36] 1887 (p. 141)

[37] p. 144

[38] p. 137

[39] 1880 (p. 94)

[40] p. 101-102

[41] Lettre à van Bülow (p. 104)

[42] été 1875 (p. 90)

[43] p. 218

[44] 1888 (p. 232, 241)