Autisme et sexualité : bilan

 

Intervention du 15 novembre 2011

Séminaire de l’Élan retrouvé : « Autisme et sexualité »

 

Geneviève Lloret-Nicolas

 

 

 

Il m’a été particulièrement difficile d’intervenir aujourd’hui et j’ai failli y renoncer, dire à ceux qui m’avait demandé de tenir cette position en quelque sorte de surplomb, que non finalement, c’était impossible pour moi.

Pour se mêler de la sexualité d’un autre il faut de bonnes raisons : soit la question se pose d’engager son propre corps dans une relation amoureuse, soit la question s’intègre au champ de votre clinique si vous êtes médecin ou psychanalyste, soit elle s’impose par effraction dans le cadre de votre travail d’éducateur.

Je ne suis évidemment pas dans la situation, avec vous, d’engager mon corps dans une relation amoureuse, je ne suis pas clinicienne, et pas non plus éducatrice.

Je suis là parce que je suis une mère (entre autres d’un enfant autiste) qui a toujours tenu qu’il fallait penser ce qui arrive et qui l’a écrit parfois.

S’il existe une chose dont les mères ne doivent pas se mêler, c’est bien de la sexualité de leurs enfants et en particulier de la sexualité de leur enfant autiste parce que celui-là, moins qu’un autre, n’a la possibilité de se défendre de vous.

Comme mère, j’ai un rôle éducatif bien sûr, mais si éduquer veut dire éduquer à la possibilité des vérités, alors ,comme je suis une femme et qu’il s’agit là d’une position de femme, je ne peux transmettre à mes filles en cette matière que la maxime : « pas de sexualité sans que la question de l’amour soit en jeu ».

Quand à mes fils, pour qui cet énoncé ne vaut pas, je ne m’en mêle absolument pas, autiste ou pas.

La sexualité n’est pas, comme chacun sait et comme certains voudraient nous le faire oublier, qu’affaire de sexe, de verge en érection et de vagin humide ; ça l’est aussi bien sûr, mais c’est affaire avant tout de langage et de symbolique. Et c’est cela qui devient difficile lorsque l’on a à faire aux patients auxquels vous avez à faire.

C’est pourquoi je veux poser d’emblée qu’il s’agit pour moi en cette affaire comme en tout autre - et dans une opposition véhémente à ce qui a été dit ici même, dans une discussion, par un psychiatre « ils ne sont pas accessibles à l’éducation symbolique » ce qui se dit aussi « ce sont des animaux » - je pose donc qu’il s’agit d’humains, pris dans les mêmes affres que quiconque et qui doivent s’en débrouiller aussi bien ou aussi mal que quiconque, c’est à dire constituer leur corps parlant comme celui d’un sujet.

Dans le cadre d’entretiens menés avec les référents du Relais sous forme de propos recueillis, Hayet – une référente - déclare à propos des jeunes accueillis au Relais : « ...ce sont des personnes normales et en plus elles sont autistes... ». C’est là, condensé dans la simplicité même de l’énoncé, toute la difficulté et l’exigence à laquelle nous sommes - vous êtes - tenus quand vous avez à faire, dans le cadre de votre travail, aux personnes qui nous ont rassemblés durant tout ce séminaire.

 

Je vais m’appuyer sur une déclaration de Moïse Assouline lors de la séance du 27 septembre dernier sur les abus, salutaire injonction : « Il faut penser les situations » pour dégager, dans ce qui nous a été présenté, ce qui se propose de penser ce qui arrive à des personnes normales qui sont en plus autistes et qui pour cela constitue des situations.

I - Situation de clinique psychiatrique – Moïse Assouline

Ou quand un psychiatre est un psychiatre…

 

La difficulté de dégager une situation clinique en psychiatrie et le courage de s’y tenir.

J’ai, il me semble, compris un peu, à l’exposé de Moïse Assouline « Un profil clinique à risque », ce que pouvait vouloir dire être psychiatre, c’est-à-dire la difficulté propre d’avoir

       premièrement à faire au corps parlant, à l’interaction du corps et du langage,

       deuxièmement à découper dans ce qui se présente ce qui fait situation

       et troisièmement à traiter la question du que faire ?

Comme pour le somaticien, il s’agit toujours de sauver une vie : c’est bien là son travail, il en est de même ici : il s’agit d’éviter l’enfermement à vie, ce qui, vous en conviendrez, est la même chose.

 

Qu’est-ce qui se passe et comment le comprendre en intériorité à la discipline psychiatrique ?

 

L’exposé de Moïse Assouline commence par fixer la méthodologie : qu’est-ce qui me permet de constituer ces cas en situation clinique ? Quel état des connaissances vais-je mettre en jeu pour analyser ces cas ? La proposition d’analyse passe ici par trois fenêtres : sensori-motrice, cognitive, sexualité adolescente. Et l’on nous prévient que regarder simultanément par ces trois fenêtres donne une idée de ce que veut dire « il est difficile de penser l’autisme ».

 

Soit donc, Aloïs (qui n’a pu être « sauvé » ou pas encore « sauvé » je ne sais…).

La phase de décompensation aiguë

L’équilibre acquis d’une distance au corps de l’autre et d’évitement du regard (décrit dans une très belle phrase « à travers les péripéties enfantines d’une vie avec autisme ») est mis en crise, lors de l’imprégnation hormonale maximale, par l’émergence d’une pulsion tendant au rapprochement du corps de l’autre.

Il y a ici un impératif de la matière qui devient destructeur, mais il ne faut pas s’y tromper : c’est en tant qu’elle perturbe une construction antérieure que cette émergence est délétère, ce n’est pas qu’elle soit par elle-même l’expression d’une sexualité.

Où l’on voit que la question de la sexualité est ici traitée comme un effet de la chimie, effet non pas sur le comportement mais sur la structuration de la personne, sur la construction de son rapport au monde qui lui permettait jusque-là de vivre dans une paix relative.

La sexualité est posée ici comme un instinct, ce qui renverrait donc à l’animal plutôt qu’à l’humain. Mais il nous est dit immédiatement dans cet exposé que ce n’est pas de cet instinct qui surgit qu’il faut s’occuper ; il ne faut s’y tromper : ce n’est pas cela la question. La question, c’est de permettre très vite, à ces jeunes gens, de revenir à une distance apaisante puis de les aider à retrouver un équilibre, de leur permettre un rapprochement qui ne s’accompagne pas d’une désorganisation. La question est d’ouvrir un possible.

La phase d’aggravation chronique

Si j’ai bien compris, il s’agit là d’une réitération de crises qui ne relèvent plus seulement de cette poussée que j’appelle instinct.

Pour les penser et les traiter, il est alors proposé d’adjoindre la fenêtre cognitive (difficulté - voire impossibilité - de gérer ensemble différentes séquences de pensées, d’action et d’émotion) pour comprendre le passage vers une chronicité.

Cette proposition est que s’opèrent des collages entre représentation et affect (ou représentation et actions) et que la réitération des situations de collage arrive à induire une soudure susceptible de fixer une structure.

 

La question que je poserai ici est la suivante : s’il y a collage puis soudure, n’est-ce pas parce qu’il existait des conditions de possibilité de cette soudure ? Et, si tel est bien le cas, qui va s’occuper de ces conditions de possibilité ? Est-ce là le travail d’un autre intervenant que le psychiatre ?

 

Le point que, pour ma part, j’ai compris quant à ce que la clinique psychiatrique peut être et quant à sa difficulté propre, c’est que dans tout cet exposé, le psychiatre s’en tient à ce qu’il a découpé dans ce qu’il observe, à ce qui pour lui psychiatre fait situation. Le psychiatre, pourrait-on dire ici, ne s’occupe pas du sujet, non pas qu’il le méprise ou ne s’y intéresse pas, mais ce n’est pas là exactement son enjeu spécifique.

 

Il découle alors de cette observation et de cette analyse des propositions en 4 points sur que faire.

 

Moïse dit souvent : « il faut être pragmatique », et moi, chaque fois qu’il dit cela de toujours avoir un petit mouvement de recul, me disant intérieurement : « pragmatique je veux bien mais enfin, il faut bien penser quelque chose ! ».

Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi Moïse dit cela si souvent, pourquoi il dit de même qu’il faut écouter tout le monde, qu’on peut toujours attraper quelque chose de bon au passage qui pourra servir même si, pour une chose qui peut servir, il faudra entendre trois heures de bêtises. S’il peut le dire, c’est effectivement parce qu’il est lui-même arrimé à la clinique psychiatrique, et c’est cet adossement qui lui permet de trier dans tout le fatras qu’on peut entendre.

 

J’ai cependant une question que j’aimerais adresser aux psychiatres : y a-t-il, selon vous, une difficulté intrinsèque de la clinique psychiatrique à traiter de la sexualité humaine (si on admet, bien sûr, que l’enjeu de la psychiatrie est le corps parlant) ?

II – Situation de clinique psychanalytique - Sylvie Lapuyade et Michelle Rouyer

Quand il s’agit de prendre au sérieux la sexualité et où l’on parle aussi d’amour.

 

J’englobe dans cette partie l’ensemble d’une séance qui comprenait, dans une dynamique commune, d’autres intervenants ainsi que la présentation d’une séance de théâtre…

 

En introduction de son exposé, Sylvie Lapuyade a tenu à expliciter le fond je dirais « idéologique » - du travail mené : la sexualité humaine est structurée par le langage, et pour l’humain, la question fondamentale en ce domaine est celle du désir et de la jouissance (en opposition donc aux tenants d’une sexualité purement animale, faite seulement d’instinct et de plaisir, une sexualité purement animale pour laquelle ils font propagande en tentant d’obtenir le vote d’une loi qui ferait que chacun pourrait assouvir son instinct et obtenir son plaisir même s’il n’en n’a pas les moyens physiques, relationnels et financiers…).

 

Avec cet exposé de Sylvie Lapuyade, nous avons à faire à une conviction de psychanalyste : le corps parlant est celui d’un sujet, d’un sujet structuré par le langage tout autant que constitué selon un corps donné (son destin…).

Ce qui nous est exposé ici, c’est la nécessité et la possibilité de la parole, et de quoi cette parole s’autorise.

Il s’agit là de s’intéresser à la sexualité d’un autre, avec la difficulté que cela représente et d’autre part avec l’obligation de prendre en compte la singularité des patients accueillis.

Dans son intervention, Sylvie Lapuyade parle de patients. Cette nomination est à relever car elle relève ainsi qu’il s’agit là de personnes que l’on saisit dans une dynamique, non pas de personnes fixées dans un état et dont il s’agirait alors de gérer les complications en matière de sexualité liée à cet état. Sylvie Lapuyade indique que c’est du point de la clinique psychanalytique qu’elle va rendre compte d’un travail mené à plusieurs mains, un travail qui s’avère éducatif (si l’éducation, c’est bien encourager un humain à devenir sujet).

 

Ces patients ont une sexualité, et la sexualité - pardonnez-moi d’enfoncer ainsi des portes ouvertes - ne s’exprime pas uniquement dans un geste sexuel.

C’est une affaire fine et compliquée, qui bien évidemment met en jeu le corps mais également des représentations de ce corps sexué, le désir du corps de l’autre (y compris, éventuellement, quand ce corps de l’autre est le même que le sien), la question de la représentation et du corps séducteur pour les filles, etc. soit finalement toutes les questions que se pose n’importe quel adolescent, questions qui le travaille et qui trouvent en général des réponses dans les discussions que cet adolescent mène avec ses pairs, dans les films, les romans, les images et les modèles qu’il se choisit.

Chaque patient est donc une personne normale, avec cet en plus qui rend bancale cette construction ; et tout cela, il faut bien le traiter, selon l’inlassable travail de l’observation et de la parole signifiante : chercher à comprendre ce qui se dit là, par des mots par des gestes, par des mises en situation, maintenir une distance clinique, être plusieurs, parler entre soi, ne pas projeter, faire circuler les signifiants.

Il est d’ailleurs frappant qu’un patient y exprime cette question « c’est quoi être un être humain ? », question que je rapproche de cet énoncé d’un jeune patient de Frances Tustin : « c’est un tel souci d’être un humain ! ».

 

Je ne sais comment rendre ici compte de l’incroyable complexité de ce qui se met en branle dans cette affaire et que vous connaissez mieux que moi pour la pratiquer et la réfléchir tous les jours.

 

J’aurai là aussi une question : comment sont « attrapés » les signifiants, pensez-vous qu’ils le sont aussi par ceux pour qui la parole est la plus déficitaire ?

 

III - Situation éducative / la Pommeraie

Quand éduquer, c’est épauler, aider, protéger fraternellement…

 

La Pommeraie est un lieu de vie ; j’y suis souvent allée en différentes occasions. C’est un lieu apaisant, et c’est un paradoxe de trouver apaisant un lieu où vivent 186 personnes atteintes de pathologies diverses, plus ou moins marquées physiquement, plus ou moins perturbées dans leurs relations.

Et Monsieur Missaire de nous dire lui aussi : « c’est paradoxal, mais les gens viennent s’amuser chez nous ! »

 

Cet apaisement tient, je crois, à la fraternité qui y existe, à l’égalité qui s’y pratique et à la conviction que chacun peut mener sa vie : dût-il se battre contre ses entraves, on l’y aidera ; dût-il mesurer durement que cela il ne pourra pas le faire, on l’accompagnera et le soutiendra.

D’où leur façon de travailler – je cite : « on a gagné 1h, puis 1h, puis 1 jour » et ainsi jusqu’à ce que l’on ait gagné une vie.

 

Vous les avez vus comme moi, ces gens de la Pommeraie, qui disent se présenter devant nous en toute humilité et sans méthode et qui, avec toute leur humilité et sans méthode, sont capables de connaître des joies, des émerveillements comme dit Jacques Clicherou quand quelqu’un « a réussi à viser le bouchon sur la bouteille ». Cette joie là, c’est leur puissance.

 

Ils nous ont présenté tout le chemin parcouru de la non mixité à la mixité ; je cite : « l’arrivée des jeunes filles a fait naître le désir ». Surgissement de la question des rapports homme/femme et donc bien sûr la possibilité de l’amour dans la sexualité.

 

Ils ont pris au sérieux cette question ; ils ont pris au sérieux le désir des couples, la question d’inventer une manière de reconnaître l’existence d’un couple, d’inventer comment vivre à deux, la manière pour les éducateurs d’apprendre à faire confiance, de faire en sorte qu’un couple ait son propre référent, et la question de la formation de ce référent, de la manière d’intervenir dans un couple, quand doit-on le faire, quand doit-on se retenir, et toute cette complexité quotidienne et infinie des situations qu’il faut analyser, comprendre, dans lesquels il faut intervenir avec tact, et tout cela qui fait la puissance anonyme de tous ces gens.

 

Le psychiatre attaché à la Pommeraie a cité dans son exposé le premier verset du prologue de l’Évangile selon Saint Jean : « Au début était le verbe » en traduisant verbe par parole ; je vous cite la suite, gardant la traduction, plus signifiante je trouve, de logos en Verbe : « ...Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui ». Ils semblent bien que ces amis de la Pommeraie aient pris Saint Jean très au sérieux, là aussi !

 

Ils ont donc pris très au sérieux la naissance du désir, la possibilité de l’amour et ainsi la possibilité que des couples se forment. Mais il en est toujours ainsi lorsque l’on prend au sérieux les choses : on bute à un moment sur un désir de l’autre ; et pour l’instant, le point infranchissable pour eux est la question du désir d’enfant.

Ils buttent là-dessus parce que cela aussi, ils le prennent au sérieux et qu’ils ne veulent pas - ne peuvent pas - aujourd’hui assumer cette responsabilité. Je n’ai pour ma part aucune raison de les embêter avec ça et le temps de leur intervention n’était pas le temps de discuter ce point, de le discuter collectivement.

Le grand travail que mène la Pommeraie, c’est d’amener à l’émancipation ; et en cette affaire, ils sont allés loin : ils ont pris au sérieux les personnes avec qui ils vivent, leur désir et leur amour. Alors forcément se pose cette question de l’enfant, de faire avec celui ou celle qu’on aime un enfant.

Dans ce cas là - quand il s’avère que ce désir est bien réel -, ils proposent de trouver un lieu où l’on assume cette responsabilité. Là encore, ils expliquent, ils parlent au couple de leur impossibilité à les accompagner, à endosser cette responsabilité mais ils cherchent une solution.

 

Et je crois qu’ils se trouvent en ce point dans une situation difficile, douloureuse, celle que vous rencontrez quand vous permettez une émancipation et que vous êtes ensuite contraint de dire : c’est fini, là j’ai atteint ma limite !

 

Je tiens à les saluer pour le travail qu’ils font, ce beau travail d’émancipation.

 

IV – Ni situation ni sujet – C. Agthe Diserens et I. Henault

Où l’on nous dit que les vérités n’existent pas…

 

Je groupe ces deux interventions car elles procèdent de la même idéologie : ces deux dames sont porteuses, l’une avec une certaine épaisseur dirai-je, l’autre avec plus de finesse, qu’il n’y a rien à penser, qu’il y a juste des corps avec des besoins à satisfaire.

Et ce n’est pas parce que Mme Henault nous rabâche les oreilles avec des preuves scientifiques (en fait de science il ne s’agit là que de statistiques, c’est dire…), ce n’est pas avec ce genre de subterfuges  qu’elle pense qu’il y a quelque chose à penser.

Par contre, ces dames ont des méthodes, et elles les vendent.

Puisque je suis une mère, je dois vous dire que je ne veux pas qu’un jour quelqu’un, armé d’une méthode et plein de supposées bonnes internions, mette la main dans le pantalon de mon fils ; d’où peut être une certaine vigueur dans mon propos face à ces dames…

 

Si vous permettez, je vais revenir sur la fameuse théière qui m’a fait bondir assez vite et dont certains ont pu avoir peur que l’on y passe trois heures.

J’y reviens parce que c’est emblématique de comment Mme Agthe traite de la sexualité. Je rappelle : un jeune homme emporte la théière de sa mère ; la mère va la rechercher, s’énerve parce qu’elle tient à cette fichue théière puis, par hasard, elle passe devant la chambre du fils dont la porte n’est pas fermée et elle voit qu’il se masturbe devant la théière. Et la mère et Mme Agthe d’être enfin rassurées : « ah bon, ben s’il prend la théière pour se masturber, alors ça va ! ».

Vous imaginez ça, vous, que votre fils se masturbe face à un objet qui vous appartient et auquel vous attachez une certaine importance, et que vous trouviez que tout va bien, du moment que vous récupérez votre objet quand vous en avez besoin !

Là, on a Mme Agthe - et soit dit en passant également la mère - pour qui ce jeune homme, ce n’est rien, rien que de la matière, qu’un pauvre gars qui bande et se masturbe.

 

Si vous permettez encore, je vais revenir sur cette histoire de preuve scientifique et de statistique : Mme Hainault nous a dit, avec beaucoup de fierté, avoir mené une grande enquête statistique pour montrer la prévalence des autistes de haut niveau ou aspergher dans la population des prostituées.

Je n’ai pas bien compris ce que cela prouvait et à quoi cela pouvait servir, sauf éventuellement à savoir que les personnes autistes de haut niveau peuvent se mettre en grand danger.

Mais par contre je pense que si je lançais une vaste enquête comme cela, et que cela m’amenait à rencontrer des personnes autistes de haut niveau se livrant à la prostitution, se mettant donc en danger, des personnes qui - comme chacun sait depuis l’exposé de Moïse Assouline - sont des personnes extrêmement fragiles, eh bien je me hâterais de les sortir de là pour les mettre à l’abri.

Une amie, interniste, m’a raconté un jour que lors d’un congrès sur le VIH, quelqu’un avait une communication sur un essai qui portait sur l’intérêt de la trithérapie. Cette même personne, apparemment très contente d’elle, expliquait dans le même temps qu’elle avait soigné par monothérapie un certain nombre de patients (je ne sais plus combien), en Afrique bien sûr, soit selon un traitement dont elle prouvait par ailleurs l’inefficacité. Vous pouvez imaginer que tous ses patients sont ainsi morts, à l’époque même où l’on pouvait les soigner… par la trithérapie dont elle vantait par ailleurs les mérites !

Eh bien, pour moi, les statistiques de Mme Hainault, c’est comme ce gars, ce médecin tout fier d’annoncer qu’il a, d’un subterfuge, laissé mourir je ne sais combien de personnes. C’est sans doute moins grave pour Mme Hainault mais c’est la même logique.

On a ainsi une idée précise de ce qu’est un sujet pour Mme Hainault…

 

Que puis-je dire d’autre ici que ceci : l’humain, la sexualité de l’humain, fut-il abîmé, ne relève pas d’une méthode.

 

V – Une situation et un sujet : est-ce supportable ? – J. Kristeva

 

Mme Kristeva a choisi d’intervenir sur « sexualité et handicap » et non « sexualité et autisme » et nous prévient d’emblée pourquoi «... une vie sexuelle est possible voire nécessaire pour les personnes handicapées, et il s’impose de les accompagner dans la dignité mais sans simplification dans le droit à la vie sexuelle qui est plus qu’une exigence politique... ».

 

À mon sens, la catégorie de handicapé ou de personne handicapée ne permet pas de penser quoi que ce soit en matière de sujet.

La catégorie de handicapé est une catégorie de l’État, non de la pensée. C’est une catégorie institutionnelle, de classement des corps, de classification des individus regroupés dans une population donnée (tout comme dans le temps l’Armée distinguait les aptes ou les inaptes au service militaire), ce n’est pas une catégorie de pensée qui intéresse l’émancipateur, l’éducateur, l’analyste, le frère, tous ceux qui s’attachent à aider l’humain à devenir sujet.

En 1975, Simone Veil, pendant la préparation des lois du 30 juin 75 qui organise socialement la prise en charge de la maladie mentale, a donné cette définition du handicapé : « sera désormais considéré comme handicapé toute personne reconnue comme telle par les Commissions départementales » et je rajoute qu’une telle « considération » lui ouvrira alors un certain nombre de droits sociaux : AAH, ACTP, prise en charge dans divers établissements sociaux ou médico-sociaux, etc.

Handicapé est donc une catégorie que l’État promeut pour lui permettre de traiter institutionnellement la question de la maladie mentale (et pas seulement mentale puisque le tétraplégique est aussi bien handicapé que l’autiste).

L’État produit ses propres catégories et c’est là bien normal ;  mais nous ne sommes aucunement obligés de les reprendre à notre compte, de les faire nôtres !

Handicapé relève d’un état (avec un petit « e » cette fois) : il s’agit là de nommer l’état de la personne qui, dans des situations incroyablement diverses, ne peut travailler ou subvenir seule à ses besoins.

Quelles sont les conséquences du fait d’adhérer à cette catégorie « handicapé » ? L’une, immédiate, va être de dire : il existe des besoins auxquels l’État n’a pas pensé en son temps, il existe en conséquence des droits qu’il faut faire reconnaître par ce même État, lequel doit donc légiférer afin de reconnaître juridiquement ces besoins comme droits.

 

Nous mobilisons ainsi les catégories suivantes : handicapé – droit – exigence législative. Nous nous situons loin, vraiment très loin, du sujet et des situations où il se constitue comme tel !

 

Première partie

Dans la première partie de son exposé, Mme Kristeva rappelle le rôle de ce qu’elle appelle la « psycho-sexualité » dans le champ de la psychanalyse.

« Psycho-sexualité », c’est là une particularité lexicale qui ne nous est guère explicitée si ce n’est par cette généralité que la sexualité se trouve au croisement du corps et du sens. Mais la doxa de la psychanalyse nous est par contre rappelée tout au long de cette première partie soit le rôle du langage dans la structuration de la sexualité.

Ainsi, nous nous trouvons déjà là face à une contradiction par rapport au thème liminaire du handicapé, ce qui laisse à entendre que « handicapé et besoins à satisfaire » font bon ménage pour les autistes mais pas pour nous qui, structurés par le langage, savons transcender nos besoins…

Deuxième partie

Qu’est-ce qu’une personne handicapée ?

Mme Kristeva définit la personne handicapée par une négation : c’est l’exclusion.

Une telle définition négative est bien normale : il ne peut y avoir de définition positive puisqu’il s’agit d’un état de privation.

Ce qui nous ramène tout naturellement dans ce chapitre à la problématique de l’assistance sexuelle, au fait que la sexualité comme « phénomène mécanique » cher à M. Chossy n’est pas à écarter et qu’au lieu « d’assistant sexuel », il faudrait des assistants « psycho-sexuels » : la nouveauté lexicale (on glisse un « psycho » avant « sexuel » pour mieux enrober la proposition) vient là pour signifier quand même que pour eux (les autistes handicapés, mais peut-être d’ailleurs pas que pour eux…), dans le croisement du corps et du sens, c’est bien le corps qui l’emporte, et ses besoins animaux.

Troisième partie

Cas clinique. Où l’on revient à la doxa…

Avançons deux types d’hypothèse quant à ces contradictions massives relevées dans cet exposé.

       Selon une hypothèse haute, ces contradictions procèdent d’une difficulté à supporter - parce que bien sûr c’est angoissant - qu’il y a des situations et des sujets quand bien même ces sujets se présentent selon une figure si complexe et douloureuse que l’effort qui vous est demandé est immense.

       Selon une hypothèse basse, Mme Kristeva a cédé devant cette difficulté et, s’appuyant sur son savoir et sa notoriété, entreprend d’entraîner les autres à céder comme elle car il lui devient alors insupportable de voir les autres tenir qu’il ne faut pas céder, encore et toujours.

Ma propre orientation est claire mais pas facile pour autant : face à l’angoisse, je vous engage à ne pas céder, même et surtout si c’est difficile, car c’est bien là le cœur de ce que veut dire être sujet (quel psychanalyste d’ailleurs ignorerait aujourd’hui l’impératif lacanien de ne pas céder sur son désir ?)

 

*

 

J’espère vous avoir rendu un peu, d’une part la difficulté qu’il y avait pour moi à intervenir en cette affaire, d’autre part le mode de fonctionnement de mes propres catégories de pensée qui s’est approfondi à l’écoute de tout ce qui s’est dit ici pendant ces mois.

J’espère que ces quelques mots pourront vous aider à trouver que faire par la suite.

 

Peut-être faudrait-il envisager un autre séminaire, qui porterait cette fois sur la clinique psychiatrique et/ou la clinique analytique, sur la catégorie de handicap et de handicapé, sur qu’est-ce que c’est que le travail d’éducateur – liste non exclusive…

Et peut-être faut-il aussi un peu de ce pragmatisme cher à Moïse : « C’est bien joli tout ça, mais que fait-on maintenant pour sauver ces vies ? »

 

Je vous remercie.

 

***