Du diagnostic psychiatrique au diagnostic génétique : un monde à penser

 

(Séminaire de génétique et accompagnement)

16 mars 2001 — Paris

 

Geneviève Lloret-Nicolas [i]

 

 

 

Je suis la mère d’un jeune homme sur lequel a été posé un diagnostic d’autisme, il y a longtemps. J’interviens donc ici en extériorité aux disciplines représentées, j’interviens donc ici du bord de celle qui a traversé un désert et qui sait, par conséquent, que les déserts recèlent des fontaines.

Je vais tenter de rendre compte du trajet, des questions qui s’ouvrent, de l’annonce d’un diagnostic de psychose infantile précoce, au début des années quatre-vingt, à l’annonce de la découverte d’une anomalie génétique à la fin des années quatre-vingt-dix, pour le même enfant.

Lorsque vous apprenez que votre bébé est psychotique, c’est-à-dire quand même fou, et que l’on vous demande d’être une mère responsable en allant faire une analyse pour le sortir de là, vous vous retrouvez au bord d’un gouffre avec une question, obsédante : comment ne pas tomber dedans.

Il y avait donc cette thèse : ces enfants sont fous. Thèse d’une très grande violence car ceci, énoncé ainsi, en un condensé presque amusant : « il est fou de vous » relève quasiment de l’impensable. Comment penser que le vous pathogène soit si puissant qu’il accouche d’un bébé fou ? L’autre rendu fou dès la gestation ou la naissance, ou, plus exactement, cette folie n’a jamais été restituée, explicitée, nommée. Et cependant ce devant quoi l’on se trouve est bien cela : un petit enfant qui respire dans un poumon d’angoisse, un petit enfant sans regard, un petit enfant qui s’absente dans la répétition des gestes. Et c’est bien de la psychiatrie dont les symptômes de ces enfants relèvent et ce sont bien eux qu’elle doit traiter. Ce sont bien les secteurs psychiatriques qui prennent en charge ces enfants, c’est à eux que l’on continue de les adresser. C’est à eux que je me suis adressée et avec eux que j’ai été en interlocution.

 

Mais il y avait au moins une thèse proposée et elle fut tenue avec conviction par certains, avec dogmatisme par d’autres, même si cela restait quasiment impensable et au bout du compte très peu pensé. Cependant je l’ai prise au sérieux, c’est-à-dire que pendant 17 ou 18 ans je me suis mise sous le sceau de cette thèse.

Je n’ai pas fait l’analyse demandée car j’avais la conviction que l’on n’entre en analyse que lorsque l’on est encombré de son symptôme. Par contre, j’ai examiné très sérieusement la question de savoir si ce fils si singulier n’était pas justement mon symptôme ; j’en ai conclu que non.

J’avais une autre conviction : on ne rend pas l’autre fou. Ne devient pas fou qui veut certes, mais surtout ne rend pas fou qui veut. On, ou une mère, peut faire beaucoup de dégâts, engendrer des névroses, des dysfonctionnements, tous les dérèglements que vous voudrez, mais pas la folie. Je pense que la folie relève des causes internes.

Mon hypothèse était qu’il était arrivé quelque chose à cet enfant et qu’il fallait remonter à ce noyau de destruction. Pour cela j’avais besoin de la psychiatrie, de l’analyse, et j’ai beaucoup dialogué avec ces deux disciplines.

J’en veux à la psychiatrie et au mouvement analytique non pas d’avoir avancé cette thèse, mais de n’avoir pas déployé une pensée clinique conséquente de cette thèse, de n’avoir pas été à la hauteur de cette violence. Je les en remercie dans le même temps, car au moins quelques-uns se sont avancés, à partir de quoi il était pour moi possible de tracer une voie, de tenir l’épreuve.

 

Puis l’on m’a proposé, au sein de l’institution psychiatrique, une consultation de génétique afin de rechercher des anomalies éventuelles (proposition courageuse, je m’en expliquerai tout à l’heure). J’y apprends que mon fils est porteur d’un X fragile. Il faut repenser les choses, repenser ce sur quoi vous avez tenu si longtemps, réécouter l’histoire, penser aux frères et sœurs, à qui, peut-être, vous avez transmis cette bombe à retardement, et se demander si l’on n’entre pas dans la désespérance puisque maintenant vous savez qu’est inscrite dans son corps, organiquement écrite, l’origine de son trouble.

De nouveau au bord d’un gouffre, vous avez cependant gagné quelque chose : vous savez quelque chose que vous ignoriez et il ne vous reste plus qu’à faire quelque chose de ce savoir.

 

Ce quelque chose, pour moi, est un champ d’interrogations et de pensée que je vous livre.

À quoi doit-on faire face désormais ? À la tentation de faire chevaucher les questions de l’origine et de la cause. À la tentation de ne plus penser cette grotte d’ombre que sont la psychose infantile précoce et l’autisme en particulier. Connaître une origine ne résout rien quant à ce qu’on a à traiter ; cela ajoute seulement quelque chose, qui va ouvrir une tension supplémentaire. C’est pourquoi je trouve courageux les psychiatres pour leurs initiatives de consultation génétique, car c’est là prendre le risque de cette tension supplémentaire.

La génétique est une science ou une discipline qui est en train de se constituer comme science c’est-à-dire d’élaborer ses propres champs d’interventions, ses protocoles, sa pensée. Les généticiens travaillent, cherchent et trouvent. Et que disent-ils : « Madame votre fils a une anomalie sur le chromosome X ce qui explique ou peut expliquer ses troubles ». Mais si je demande au généticien comment « ça » l’explique, il ne peut pas me répondre. Que se passe-t-il entre ce microscopique défaut et les effets sur mon fils ? Un monde, tout un monde à penser.

Et pourtant le généticien, lorsqu’il m’annonce ce diagnostic, précise : « votre fils est atteint d’une maladie qui a une expression psychiatrique ». Ceci est nouveau, et renvoie à la base de la psychiatrie qui est la clinique.

La psychiatrie s’intéresse à la maladie, c’est son champ de travail, d’investigations et de pensée.

La psychanalyse s’intéresse au patient c’est-à-dire à celui qui endure la dure loi du sujet ; elle a sa propre pensée, ses conditions. Elle s’intéresse au patient plutôt qu’à la maladie qui le sous-tend.

Ce sont là des champs très différents bien qu’ils se soient recouverts quand l’état de la clinique psychiatrique a conduit certains à proposer la psychanalyse pour suppléer aux obstacles de pensée internes à la psychiatrie.

Qu’est-ce que la confrontation à une science — la génétique en l’occurrence — produit comme effet sur la clinique psychiatrique ?

Peut-on tenir que sont avancées aujourd’hui des étiologies organiques de la psychose ? Qu’en est-il alors des nominations ?

Peut-on continuer de déclarer ces enfants psychotiques ? Sont-ils alors toujours pour vous dans le champ de la maladie mentale ? Qu’est-ce que cela change dans leur prise en charge ? Doit-on entreprendre de repenser, redéfinir la psychose ?

Peut-on penser que les désordres induits par ces anomalies ont pour effets secondaires ces troubles, ou ces troubles sont-ils plutôt l’expression de ces anomalies ?

Comment fonctionnent ces cerveaux ? Comment se fait-il que des enfants aient des tableaux cliniques catastrophiques dans la petite enfance et réussissent au cours de leur histoire à se reconstruire, un peu, à échapper à l’angoisse perpétuelle ? Que se passent-ils pour qu’ils arrivent à réparer, outre le fait qu’ils sont des sujets libres et prennent donc des décisions ?

Y a-t-il lieu ici d’interroger la neurologie, la biologie ?

En fait, j’aimerais comprendre pourquoi mon fils, paraissant s’être rapproché, reste pourtant si loin de nous. J’aimerais comprendre pourquoi dans sa petite enfance il lui a fallu solliciter un tel courage pour continuer chaque jour.

 

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[i] g.lloret@noosfr

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