Suite au procès de Jeanne-Marie Prefaut - condamnée à cinq ans avec sursis pour le meurtre de sa fille de 23 ans autiste - voici deux réactions aux articles de presse relatant l'événement :

Geneviève Lloret


A propos d'un fait récent

 

Une jeune fille de 23 ans est morte, tuée par sa mère. Or, il semblerait que l'on ait oubli, dans les comptes rendus du procès faits par la presse, que la victime soit celle qui est morte et non celle qui l'a tuée.

Je ne me compromettrai pas à émettre un verdict, et encore moins une condamnation contre cette femme. Mon propos est de rappeler que l'on ne peut pas dire et laisser dire n'importe quoi à propos de cette affaire.

Une jeune fille a donc été tuée, qui était autiste, et la presse de relater combien la vie avec un enfant autiste est un enfer, combien la souffrance est là présente. Soit. Être atteint d'une psychose grave a des effets sur soi et l'entourage, mais reconnaissons que les effets les plus durs sont d'abord pour celui qui est baigné d'angoisse, ensuite pour qui l'aime et vit avec lui.

De quelles souffrances a-t-on ici parlé ? celle de cette jeune fille ? Celle de sa famille ? celle de sa mère ? Et pourquoi nous parle-t-on tant de la souffrance des uns et des autres à propos de ce crime ?

1- Dans "Le Monde", J.M. Dumay a choisi de retranscrire, sans commentaires, le propos d'un proche de la famille qui relève de la pure abjection : "la responsabilité de l'accusée était "peut-être celle de notre société, qui admet l'interruption volontaire de grossesse et pas l'interruption volontaire de souffrance".

De quoi s'agit-il ?

- du suicide, et alors de qui ?

De la jeune fille ? "L'interruption volontaire de souffrance" suppose un "je". J'arrête volontairement ma souffrance. Or cette jeune fille n'a pas mis un terme à sa vie pour que cesse sa souffrance. Elle n'a pas demandé non plus à ce qu'on lui donne la mort, requérant alors le courage de l'autre pour elle-même. Elle aurait dit "pas l'hôpital, pas l'hôpital". S'agit-il alors du suicide de sa mère, pour interrompre sa propre souffrance de voir sa fille dans cette état ? Non plus. la proposition contenue dans cette phrase n'est pas "l'admission par notre société" du suicide.

- de la compassion pour celui qui souffre ?

Comment décide-t-on que celui ou celle qui n'est pas moi souffre trop et qu'il convient donc de mettre à terme, radical, à sa souffrance. il suffit d'énoncer cette proposition pour en percevoir l'aberration. La "société" comme disait cette personne, devrait-elle établir des protocoles d'évaluation de la souffrance de l'autre pour permettre à tout un chacun d'apprécier le seuil de souffrance atteint par lui et ainsi pouvoir, autorisé par ladite société, mettre un terme à la souffrance en même temps qu'à la vie de son voisin ?

- de ma souffrance propre ?

Je souffre trop à cause de la souffrance de celui-là et devrais donc être autorisé à mettre un terme à ma souffrance en mettant un terme à sa vie ? cela s'appelle l'euthanasie. C'est-à-dire, en vérité, la souffrance de `autre ayant des effets "trop" douloureux pour moi, je dois pouvoir mettre un terme à ma souffrance en mettant un terme à l'existence de l'autre (en termes plus brutaux : "tuons tous ces petits autistes parce que cela nous fait trop mal de les voir, de les côtoyer, de les aimer").

Enfin, la proposition avancée plus haut serait-elle : "l'I.V.G. étant pensée comme une élimination d'une personne, donc comme un crime, ce crime étant déjà admis par notre société, cela devrait m'autoriser à tuer celui qui souffre ou me fait souffrir, interrompre une grossesse et tuer quelqu'un devant être pareillement admissibles par notre société".

Mais l'I.V.G. n'est pas un crime : il ne s'en prend pas à une personne, et il ne tue pas. Et si l'I.V.G. est un crime, alors on ne pourrait se prévaloir de son existence pour atténuer la responsabilité de celui qui en commettrait un autre.

On peut tourner les mots dans tous les sens et avancer la souffrance en bouclier, il n'en demeure pas moins qu'un crime est un crime et rien ne peut le justifier.

2- Cette jeune fille est morte et la réduire, dans les commentaires, à ses symptômes et à ce qu'ils pouvaient avoir d'insupportables pour ceux qui l'aimaient est, a minima une injustice, a maxima une insulte qui lui est faite. Cette jeune fille était cernée par l'angoisse et imagine-t-on seulement ce à quoi elle devait faire face ? Le courage qui lui était requis était immense : elle était un sujet non réductible à ses symptômes.

Bien sûr, ce que cela peut générer de souffrance pour une mère, un père, une fratrie peut-être insoupçonnable. Et l'on peut toujours dire : "Vous ne pouvez pas savoir. Effectivement, je ne peux pas savoir, on ne peut pas savoir.

Mais qu'est-ce à dire d'ainsi ne livrer que les effets destructeurs des symptômes de cette jeune fille, sinon à la présenter d'abord comme un bourreau. Les enfants autistes seraient-ils les bourreaux de leurs parents qui autoriseraient ceux-ci à se considérer face à eux comme en légitime défense ? Cette proposition n'est pas soutenable. Les autistes sont pris dans l'angoisse, et leur combat est pour eux, pas contre leurs parents.

Que fait-on en s'épanchant si longuement sur la souffrance d'être mère un enfant autiste, sinon que, devant l'irrémédiable d'un tel acte, il faut inverser les places, inverser les noms, en un mot mentir pour le rendre compréhensible, et au bout du compte dire que la victime a d'abord été coupable.

Si l'on cherche des raisons au crime, on en trouvera. les crimes ne sont pas irrationnels. Il y a toujours une explication, et celle-là - la souffrance d'une mère - en est une.

Cette mère expliquait bien le noeud dans lequel elle s'est trouvée prise : e n'était plus possible de continuer ainsi et ce n'était pas possible de la livrer à l'hôpital psychiatrique et à sa destruction réelle...C'est bien dans ce noeud de désespoir qu'elle a agi, se protégeant elle-même. c'est bien sa souffrance qu'elle a voulu arrêter. Y avait-il lieu de céder au désespoir ou non ? Je n'ai pas à me prononcer que ce point ; mais, c'est bien de cela dont il s'agit et que l'on écrive pas alors que le désespoir de l'une justifie la destruction de l'autre.

Ni qu'il s'agit là d'un acte de courage et encore moins d'amour.

L'épreuve d'un enfant aussi singulier est réelle et il a fallu à cette mère du courage pour, jour après jour, affronter cela, mais c'est précisément au moment où son courage s'est dissous et où le désespoir l'a envahie qu'elle a commis ce crime. Qu'on ne vole pas à cette femme son geste irrémédiable, par un mensonge.

Quant aux jurés qui ont accepté de juger cette femme et qui l'ont condamnée à une peine avec sursis, savaient-ils vraiment ce qu'ils faisaient en le prononçant ; en introduisant le sursis, s'agit-il de dire : "il est autorisé de tuer un autiste mais pas deux ?" Est-ce le sens de ce verdict, très sévère pour cette jeune fille qui est more, malgré tout, parce qu'elle était, entre autre, autiste ?

Et ce "être autiste" auquel je cède moi-même, est inadmissible. car elle était tout simplement, elle était sujet libre et irréductible ; elle était une enfant, puis une jeune fille au destin tragique.

Sa mère porte en elle sa condamnation, sans sursis assurément, et ce à quoi elle doit faire face désormais est une épreuve autre et pas moins douloureuse. Je n'ai pas de raison de me croire à l'abri plus qu'elle, un jour, du désespoir. Et je me sais chaque matin, affronter la journée, parce que lui, ce fils si singulier qui est le mien, l'affronte bine, et que ce courage l'emporte encore.

Geneviève Lloret


Lettre à Madame de Lamberterie, rédactrice à ELLE.

 

Lors du procès de Mme Préfaut j'avais été amenée à réagir devant ce qui se dessinait dans les médias comme un "blanc seing" au meurtre d'une jeune fille, entre autre autiste ; comme si "être autiste" pouvait justifier en quoi que ce soit une mise à mort.

Je me vois de nouveau sommée d'intervenir devant ce qui se présente de la part de cette mère comme une revendication du meurtre appelant sa justification (1).

A l'époque je gardais ma compassion pour cette femme qui porterait, me semblait-il, à jamais le poids douloureux de son acte.

Puisqu'aujourd'hui donc, non contente de son infanticide elle le revendique, et fait campagne pour solliciter un soutien public à son acte, je me permettrai de commenter de plus près les déclarations de cette femme.

Que dit-elle dans votre journal ?

Dans l'entretien qu'elle vous accorde elle déclare : "je suis coupable, et je le serai toujours. Mais c'est la société qui m'a rendu coupable". Se déclarer coupable c'est se déclarer responsable de ses actes, jusqu'à nouvel ordre ; en ajoutant que la faute de son acte ne lui revient pas mais reviendrait à la société, cette femme tente de dissimuler sa responsabilité, écrasante, et pire laisse croire qu'il n'y avait pas d'autres solutions que de tuer sa fille. Faire croire cela : que face à la souffrance de son enfant autiste il n'y a pas d'autres solutions que de le tuer, n'est rien moins qu'un appel au meurtre, et doit être dénoncer comme tel. En effet, qui a jamais été obligé de tuer un homme, pire encore son enfant ?

Lors du procès de Mme Préfaut je déclarais pour ma part que son acte relevait du désespoir, et que je n'avais pas de raison de me croire, plus qu'elle, un jour, à l'abri de ce désespoir. Je ne m'autorisais pas alors à porter un jugement sur cette mère. Cependant jugée elle le fût et condamnée à une peine avec sursis. Savez-vous ce que cela signifie ? : il est autorisé de tuer son enfant malade, mais pas deux. Ce verdict a atténué la gravité de l'acte commis par cette femme qui aujourd'hui le justifie dans vos colonnes.

Fait-elle campagne désormais pour être innocentée ? Et faut-il alors encourrager d'autres parents à faire de même, chacun étant alors autorisé à en tuer un mais pas deux ?

Quelques lignes plus loin elle déclare "froidement" : "je suis en règle avec moi-même par rapport à la souffrance de Sophie ..." affirmant par voie de presse sa tranquillité face à son geste, c'est-à-dire au meurre d'une jeune fille qui n'avait apparemment pas demandé à mourir mais à vivre ailleurs qu'à l'hôpital, autrement.

Je considère, là encore, pour ma part cette déclaration comme un appel au meurtre dangereux : il y a beaucoup d'enfants ou d'adultes autistes (ou myopathes ou tétraplégiques eu autres) qui souffrent et leur souffrance, grande ou non, ne justifie en aucun cas leur élimination.

Pour solder le tout Mme Préfaut déclare en référence aux malades atteint de grandes souffrances physiques, que malgré tout j'espère qu'on ne supprime pas à tour de bras : "Quand quelqu'un est très malade, on dit qu'il veut mieux que ça aille vite, que, perdu pour perdu, autant qu'il ne souffre pas trop longtemps". Ponctuant ainsi d'un gros point le i : il est juste de tuer ceux qui souffrent et dont la souffrance nous serait à nous insupportable.

Enfin, pour clore le commentaire de cet entretien il faut relever le glissement particulièrement abject par lequel Mme Préfaut laisse croire que la prise en charge des autistes s'est un peu améliorée, apparemment dans son propos depuis son geste, lorsqu'elle déclare : "De manière générale, la prise en charge des autistes au quotidien s'est un peu améliorée".

Déclarer que le meurtre de l'un améliore la situation des autres ne peut être pris là encore que comme un appel au meurtre. Et, que je sache, la prise en charge des enfants autistes ne s'est pas depuis considérablement améliorée. Qui faut-il aujourd'hui se préparer à tuer à nouveau selon cette dame pour continuer à améliorer la prise en charge ? Mon fils, ou quel autre autiste ? Ce raisonnement qui justifie le meurtre d'une personne humaine au nom d'avantages que d'autres pourraient en tirer est ignomineux.

Votre journal soutient ouvertement de tels propos.

Votre journaliste ose écrire "cet infanticide est un geste d'amour". Que penser d'une telle phrase.

On peut demander d'abord à Mme de Lamberterie si elle a conscience de l'énormité de son propos, si elle est en été de nous dire quelque chose sur ce qu'elle pense être l'amour ou aimé un enfant ? Aucun meurtre n'a jamais été perpétré d'amour. Par jalousie, désespoir, lâcheté, sans doute, mais ceci n'est pas l'amour.

Quant à moi, je préférerais ne pas être trop aimée de ma mère, si jamais je me trouvais dans un état qu'elle jugerait de trop grande souffrance pour moi. Je forme le même souhait pour Mme de Lamberterie : nous aurons ainsi une chance, elle et moi, de vivre plus longtemps, même en souffrant.

Bref, faut-il entendre désormais le mot "amour" employé dans votre journal comme susceptible à vos propres yeux d'être accompagné de meurtre ?

Mme de Lamberterie intitule son article : "La mère d'une jeune autiste raconte son combat".

Je tiens qu'un combat pour la mort n'est pas un combat. Le combat est un acte positif qui doit mener à une victoire pour celui qui le mène. La mort d'une enfant serait-elle une victoire ? Appeler combat d'une mère, le meurtre d'une jeune fille autiste et sa revendication est une insulte aux mères et à leurs enfants atteints d'autisme.

Faut-il rappeler qu'en d'autres temps un livre a porté ce titre, "Mon combat", qui appelait au crime, et fut bien suivi de millions de meurtres. Je ne sais si le dévoiement du mot "combat" date de cette époque, mais nombreux, malgré tout, sont ceux qui à ce moment-là se sont chargés d'en rappeler la positivité et ont pris le nom de combattant, qu'on appelait de "l'ombre", entre autre.

Permettez moi donc de rappeller, à leur suite, que l'on combat pour une égalité ou une justice, et non pour le meurtre. Il s'agit dans cette article de la défaite d'une mère.

Mme Lloret

(1) Maman, pas l'hôpital, Jeanne-Marie PREFAUT, Robert Laffont, Paris, 1997