La débâcle de juin 1940 ([1])

 

 

[Avril]

Le 6 avril, je pars en permission. C’est grâce à Pierre ([2]) et à un ordre autorisant les frères aux armées à prendre leur permission ensemble que je pars si tôt.

Pendant ces treize jours, le grand événement fut l’attaque du Danemark et de la Norvège ; je craignis un moment d’être rappelé ; de plus, après les communiqués optimistes, la réalité de l’échec apparut clairement. Je partis le 18 au soir de Rosny. Dans le train, je fis la connaissance du Lieutenant Gros. Arrivés à Saverne, nous restâmes ensemble à bavarder en attendant les voitures. D’un caractère très ouvert, gai et ayant son franc-parler, le Lieutenant Gros ajoutait à ces raisons d’être sympathique celle de faire partie des EOCA comme nous, d’avoir vécu et connu les mêmes lieux et les mêmes faits, d’être en somme d’une unité frère (sans jeu de mot ni majuscule) ; je discutais beaucoup avec lui et nous fûmes d’accord sur cette drôle de guerre et sur la façon plus curieuse encore dont elle était conduite et exécutée ; nous échangeâmes nous souvenirs et nos expériences et ce fut en amis que nous nous quittâmes en nous promettant de nous revoir.

 

L’ATTENTE

 

[Début Mai]

La vie continue, assez active. Pour nous délasser, Breysse ([3]) et moi ([4]) allons de temps à autre forer et tirer un trou de mine dans la galerie quand personne n’y travaille ; nous y sommes au début assez malhabiles et Breysse craint pour ses doigts mais nous ne sommes pas à la tâche. J’arrive aussi à trouver un cheval au 153 ([5]) et par deux fois je fais du cheval ; une fois je vais dans les bois vers Reyersviller et une autre je fais un grand tour par le Légeret, Freudenberg, le Schumberg et Reyersviller ([6]). La jument que je monte est de toute sécurité et, à vrai dire, un peu poussive.

 

9 Mai ([7])

Le 9 Mai au dîner le commandant ([8]) m’annonce que depuis longtemps il avait proposé Breysse et moi pour une citation avec Barillot ; dernièrement il a refait une attaque et, comme le Colonel demandait qu’il n’y ait qu’un officier, il m’a choisi comme ayant reçu le plus d’obus. Je me demande comment se porte une citation, et Breysse n’en sait rien non plus.

 

10 Mai ([9])

Le 10 Mai, la T.S.F. nous apprend l’invasion par l’Allemagne du Luxembourg, de la Belgique et de la Hollande, le bombardement de Nancy, Lyon, Pontoise… Nous sommes saisis d’indignation et nous disons : "cette fois, ça y est !", et, comme j’émets des doutes sur l’issue de la bataille, le commandant me répond : "cette fois, ce n’est pas comme en Norvège ; nous sommes à pied d’œuvre et on s’y attendait".

 

L’attente se marqua dès l’abord pour nous par une grande transformation. Nous reçûmes l’ordre vers le 10 Mai et peut-être avant d’évacuer les villages ; on s’attendait à des bombardements d’avion, par des bombes de 2 000 kgs disait Doury ([10]). Naturellement le commandant ne voulut rien entendre pour lui-même. Nous avions fait des abris, c’eut été vraiment dommage de les quitter pour aller se mettre en plein bois avec une toile de tente ; je ne puis d’ailleurs m’empêcher de penser que le commandant pour cette question avait tort. Les événements lui donnèrent raison parce que nous partîmes à temps de Siersthal ; nous y avions des abris mais comment aurions-nous pu vivre sous les bombardements d’avions : lignes téléphoniques coupées, liaison par agents dangereuse, ravitaillement difficile et par là-dessus la tension nerveuse résultant d’un P.C. ([11])- même abrité — dans une zone de bombardement.

 

[…]

 

12 Mai ([12])

Le 12, jour de la Pentecôte, au lever du jour nous sommes réveillés par le "trommelfeuer", un roulement continu de canon qui dure pendant des heures. Tout le monde s’éveille et se met en alerte : le P.C.T. ([13]) est prêt à fonctionner, l’observatoire signale des arrivées un peu partout ; aucun ordre ne vient.

L’attaque allemande a peu de succès ; elle progresse surtout sur un front et enlève la Chapelle des Saints. Nous nous attendons alors à la contre-attaque prévue et au déplacement de la 6 ([14]) mais, signe avant-coureur des désastres prochains, le commandement hésite, abandonne le plan prévu et le remplace par un premier recul non prévu et sur des positions non préparées.

Le soir, je suis appelé au téléphone par Treunet ; je m’attends à quelque chose d’important. Non : je dois simplement aller faire le lendemain une démonstration d’échelle-observatoire devant une huile étoilée. J’admire que dans ces moments tragiques on éprouve encore le besoin de déplacer un officier pour une bêtise pareille.

 

[…]

 

14 Mai ([15])

Le soir, avec les papiers, arrive ma citation à l’ordre du régiment ; j’apprends en même temps que cela me donne droit à la croix de guerre avec étoile de bronze. Sont cités en même temps Barillot ([16]), Guerton[17]) et Chevreux. Le commandant les fait appeler et nous les félicitons. Par la suite je ferai acheter par le bib ([18]) des rubans et du champagne et je donnerai à Barillot et Guerton une bouteille décorée du ruban vert et rouge.

 

15 Mai ([19])

Le 15, je reçois les félicitations plus ou moins sincères des officiers de batteries ; quant à Breysse qui aurait dû être décoré en même temps que moi, le commandant lui dit qu’il le sera sûrement à la prochaine fournée.

 

[…]

 

17 Mai ([20])

Le 17, sans qu’il y ait eu la moindre pression allemande, le commandement décide de replier nos troupes sur la ligne de recueil.

 

[…]

 

19 Mai ([21])

Cette fois nous pouvons tirer. Dans la nuit, l’ennemi réagit ; il essaye d’avoir la pièce de la 6 mais tire trop loin entre Siersthal et Lambach ; je me réveille à peine, ne me frappe pas et me rendors.

 

20 Mai ([22])

Le 20, je pars en liaison pour savoir où sont les lignes ; je vais aux tilleuls en voiture (en faisant un petit crochet par les deux ponts et Urbach à pieds ; il n’y a pas un chat ; je retrouve quelques tôles) ; aux tilleuls, je pars à pieds avec Chambard pour Weiskirch. J’y vois un lieutenant qui m’accompagne au P.C. ; il n’y a pas de carte des lignes ; il me remmène alors au P.C. du bataillon établi dans les bois après avoir pris une mitraillette chez lui au passage ; j’admire l’instrument qu’ils viennent de toucher depuis peu. Tout le monde rouspète qu’on les ait fait replier sur une ligne de recueil où rien n’était préparé. Le carrefour de Weiskirch a sauté ; derrière on ne sait ce qui se passe ; le P.C. est rudimentaire : quelques tôles posées sur le sol et c’est tout ; j’obtiens ma ligne et je pars le moral assez bas de tout ce que j’ai vu.

D’ailleurs depuis quelques jours des prélèvements de troupe ont lieu peu à peu ; régiments par régiments partent pour le Nord et nous pensons que notre tour viendra bien ; nous n’en sommes pas très fiers ; je commence à renvoyer à la maison des paquets pour alléger mes bagages.

Le jour même, le colonel vient visiter les échelons de l’E.M. ([23]) et des batteries. Celui de l’E.M. le satisfait pleinement ; aux batteries il y a un peu de désordre et plus de baraques que d’abris.

Bouvier ([24]) nous fait un récit très pessimiste des chars ; nous n’en avons pas ; aux manœuvres les spahis à cheval cherchent à passer leur sabre dans les fentes de visée des chars ennemis. Il prévoit notre défaite et nous donne à tous le frisson. Il prévoit le cas où un char arriverait dans Siersthal et prépare une pièce pour le contrebattre. Nous trouvons qu’il exagère mais il se trouve qu’il a raison.

 

21 Mai ([25])

Le 21 Mai, les divisions qui restaient s’en vont à leur tour. Les lignes ne sont plus tenues que par le 153. Il n’y a plus que nous comme artillerie, celle de forteresse mise à part.

 

[…]

 

22 Mai ([26])

Le 22 comme il apparaît clairement qu’il est impossible de monter à Quimper ([27]) par la route habituelle, le commandant et moi reconnaissons un nouvel itinéraire. Pendant que nous observons, quatre obus arrivent successivement dans le voisinage immédiat (50 à 100 mètres). Voila un son que l’on oublie et retrouve vite ; il stimule d’ailleurs et me satisfait ; c’est l’aventure qui siffle dans l’air. En rentrant, nous voyons que deux des obus sont tombés dans le petit jardin que nous traversons.

 

24 Mai ([28])

Le 24 nous arrive l’ordre de recouvrir les batteries de manière à ce que les balles de mitrailleuses d’avions ne puissent rien contre elles.

Tout le monde travaille fiévreusement. Partout on tire à la mine, coupe des arbres, creuse, transporte des tôles, aplanit des chemins. C’est, si je puis dire, le chant du cygne. Mais au moins en quittant Siersthal nous laisserons des positions et des abris convenables. Tout cela ne nous servira pas et nous irons combattre ensuite sous le ciel bleu de Juin pour tout abri, mais au moins aurons-nous la satisfaction du travail bien fait. Plût au ciel que tous en aient fait autant dans le Nord.

 

[…]

 

26 Mai ([29])

Le 26, le commandant nous prévient que nous devons partir ; la date et le lieu de destination nous sont encore inconnus. Nous commençons à mettre les travaux au ralenti ; depuis quelque temps déjà on remet les voitures en état ; on presse cette révision. Les hommes ne sont pas avertis officiellement mais craignent et attendent depuis longtemps ce départ.

 

[…]

 

28 Mai ([30])

Le 28 Mai, la T.S.F. nous apprend la trahison du roi Leopold ; il capitule ([31]) sans conditions en rase campagne sans nous avoir prévenus. Je commence à ce moment à douter de l’issue du combat mais bien vite je me ressaisis et pense seulement que ce sera dur.

 

29 Mai ([32])

Vers le 29, en secret le commandant nous prévient que cette fois c’est décidé : nous partons. Le bib et les officiers de batterie ne sont pas prévenus. Le 30 l’ordre officiel arrive ; les commandants de batterie sont convoqués et mis au courant ; les dispositions nécessaires sont prises.

 

31 Mai ([33])

Le 31 Mai arrive. Le matin a lieu la remise des croix de guerre. L’emplacement est juste en face des positions de la 6, entre les canons et la route. Pendant la cérémonie les obus sifflent et claquent dans la région, les obus amis froissent l’air au-dessus de nos têtes et c’est dans une atmosphère guerrière, à quelques kilomètres de l’ennemi, que se déroulent les actes simples mais émouvants du cérémonial militaire. Doury sert de photographe avec mon appareil. Après la prise d’armes, il n’y a pas de défilé ; l’apéritif est offert au P.C., aux officiers et aux décorés. Pendant cet abreuvoir, Brunet est appelé au téléphone : c’est l’ordre de départ pour le soir même.

Dans l’après-midi je fais mes malles puis, comme je n’ai momentanément rien à faire, je vais avec Bernard ([34]) faire un dernier tour dans Siersthal et prendre une ou deux photos. Quand je reviens, c’est la fièvre du départ. Nous rangeons les cartes, tout ce qui traîne ; puis c’est un dîner rapide et, à 22 heures je crois, c’est le départ. Auparavant j’ai prévenu Heuly de venir toucher tout ce qu’il pourrait prendre de matériel. Malgré la pluie, je lui montre tout ce que j’abandonne, les parcs à outils et à matériel, l’échelon, l’explosif. J’ai emporté et fait charger tout ce que j’ai pu, y compris quatre kilos de cheddite, détonateurs, mèche et cordeau, beaucoup d’outils, des planches et du feutre asphalté ; mais les voitures sont vraiment archi-pleines. Savry ([35]) doit même abandonner du câble téléphonique tout neuf en grandes bobines ; on ne sait où caser tout cela, hommes et matériel. Là dessus Netter du 153, sans que personne ne l’ait invité, commence le pillage de ce que nous laissons en venant avec une voiture enlever mon matériel de génie ; je le rabroue un peu mais, ne sachant pas si ce n’est pas le commandant lui-même qui l’y a autorisé, je n’ose pas insister. L’E.M. parti à 22 heures, je fais un dernier tour pour voir si rien n’a été oublié. Toutes les maisons sont alors mises en pillage ; partout des hommes du 153 enlèvent vaisselle, meubles, lampes et fil électrique ; absolument tout ; je butte à chaque instant contre des pillards ; heureusement que Savry a emporté le poste de T.S.F. ; je m’en vais écœuré. Dans la voiture, Prince ([36]) que j’emmène avec moi m’attend. Nous partons dans la nuit tombée et Siersthal disparaît, le Siersthal des bonnes et des mauvaises heures, celui des longs ennuis et celui des promenades vivifiantes, celui où il a fait moins 25° et celui où les dimanches après-midi une équipe de football un peu novice jouait contre les batteries, celui où je cherchais avec le commandant des emplacements de batterie sous la neige et celui où je cherchais avec Perroud une piscine dans le lac de Larcherbach, Siersthal que nous avons abordé de nuit en attendant une attaque allemande mais la certitude de vaincre au cœur, Siersthal que nous quittons de nuit pour recevoir l’attaque allemande déclenchée, avec le doute dans l’âme.

 

 

JUIN 1940

 

1 Juin ([37])

Par une nuit noire, tous feux éteints, nous roulons. Nous passons par Reyersviller où l’église a reçu un obus. Derrière nous les batteries illuminent le ciel de leurs pinceaux lumineux. Après Wingen c’est enfin Petersbach où le régiment se forme avant le grand départ. Nous y arrivons à 1 heure et nous nous installons dans un grand bois, un peu provisoirement.

La journée se passe à nous préparer ; j’ai en somme peu à faire.

 

2 Juin ([38])

La journée se passe de la même façon que la veille mais cette fois nous partons à 23 heures. Le soir venu et tout le monde prêt, après avoir pris deux photos du bivouac nous allons dîner chez Z., l’ancien zouave si francophile. À la fin du repas, Z. nous offre le champagne ; nous buvons de la fine et finalement, sous ma direction, nous chantons "l’Artilleur". Nous trinquons "à la victoire". Pauvre Z. ; il sera bientôt obligé de s’enfuir pour ne pas être pris par les boches. À 23 heures, départ ; nous ne connaissons pas complètement l’itinéraire. Après Sarrebourg les commissions routières nous guideront. Nous passons par Lohr, Siewiller, Metting, Phalsbourg.

 

3 Juin ([39])

Le jour vient comme nous sommes aux environs de Saint-Jean-Kourtzerode ; la colonne se traîne avec de nombreux arrêts. Nous traversons Sarrebourg que je regarde une dernière fois puis nous continuons la N4. Dans quelle direction allons nous aller ? Nancy, Metz, Lunéville ? La direction nous indiquera la région où nous devons combattre ; à chaque bifurcation importante, nous espérons nous diriger vers la charnière ; notre attente sera trompée mais ce sera heureux pour nous : nous aurions été faits prisonniers.

À Héming nous prenons la direction de Nancy : pour la charnière, ce n’est pas mauvais. À Moyenvic, nous prenons la direction de Metz : çà va encore. Chateau-Salins est traversé mais quelques kilomètres après, alors que nous sommes sur un plateau d’où l’on voit tous les villages très loin à la ronde, nous quittons la route nationale et prenons à gauche une petite route ; le paysage ondulé se déploie à mes yeux et sur une carte Michelin je peux identifier Delme, Juville, berceau de la famille. Nous continuons ainsi par de petites routes inconnues. Le temps est magnifique, la visibilité excellente ; la matinée est très avancée et toujours pas d’arrêt. Un peu avant Nomeny enfin on s’arrête et le bruit court que l’on va bivouaquer. La colonne repart mais cette fois c’est pour le bivouac. On traverse Nomeny, ville toute neuve puis on s’arrête ; c’est la soupe ; il est près de midi.

 

À 20 heures, c’est le départ. Six kilomètres après Pont-à-Mousson, nous prenons à gauche : donc nous allons dans le Nord ; nos derniers espoirs s’envolent. La nuit vient ; pour laisser reposer Ruault, je conduis. La marche en pleine nuit tous phares éteints, à la vitesse où nous roulons, n’est pas trop difficile. C’est surtout quand la fatigue vient que l’impression devient étrange : les ombres sur la route prennent des allures fantomatiques et il semble tout à coup voir surgir devant soi des obstacles imprévus ; les yeux se ferment et l’on se voit dans le fossé. Nous traversons Apremont puis Saint Mihiel. Les petites lanternes posées par terre par la régulatrice ont un petit air funambulesque et joyeux mais dans le sommeil qui vient j’ai peur de passer entre deux lanternes au lieu de tourner. Dans l’aube naissante je vois vaguement de grandes constructions en ruine.

 

4 Juin ([40])

Je repasse le volant à Ruault et je me repose un peu ; le jour se lève quand nous arrivons à Pierrefitte. Arrêt de la colonne. Les habitants de Pierrefitte commencent à sortir, vont aux commissions ; ils passent indifférents devant nous qui rapidement mangeons un peu et nous réchauffons aux premiers rayons du soleil. Le temps de la fleur au fusil est loin ; les civils passent sans jeter un regard à ces jeunes hommes qui vont les défendre et peut-être bientôt mourir. Nous repartons.

Nous passons par Chaumont, Rembercourt et arrivons vers sept heures à Laheycourt ; le bivouac est installé dans une grande allée ou route forestière. Nous sommes au sud de la forêt d’Argonne et nous pouvons soit rester pour défendre l’Argonne face à l’Ouest, soit monter sur l’Aisne.

 

5 Juin ([41])

Je fais installer une barrière à l’entrée de notre allée pour empêcher les gens du 1° groupe de prendre notre bivouac pour un autodrome. Dans la matinée nous apprenons que Bouvier prend le commandement du 3° groupe et Breysse celui de la 5° batterie. Vers 11 heures Bouvier fait une prise d’armes pour la passation du commandement.

 

[…]

 

6 Juin ([42])

Dans la matinée, rien de remarquable ; on parle de plus en plus de rester dans l’Argonne. J’apprends cependant que nous partons le soir même. […]

À 23 heures, je démarre suivi de mon escorte. Je n’ai qu’à me laisser guider par les lampes que la régulatrice a disposées comme d’habitude. Nous passons par Sommeilles, Givry, Tilloy, la Cheppe. Le jour se lève quand nous passons à Bouy.

 

7 Juin ([43])

Nous bivouaquons à Louvercy en plein camp de Mourmelon dans la Champagne Pouilleuse. Le pays est plat comme la main ; partout apparaît la craie et de maigres bois chétifs sont tous blancs de poussière ; les villages, bien que neufs et propres, paraissent pauvres et tristes, blottis près d’une rivière dans quelques arbres.

À peine avons-nous fini de nous installer que nous recevons l’ordre de partir en reconnaissance à Ménil-Lépinois. Nous devons faire fonction d’A.D. à une division légère d’infanterie ([44]) qui viendra bientôt ; nous partons aussitôt, le commandant, Guinet ([45]), Savry et moi. Nous passons par les petites loges, Beaumont, Aussonce. Sur la route, par ci par là, un barrage fait d’une voiture calcinée ou de deux bottes de paille ; tout cela sent l’improvisation et le désordre.

Après déjeuner, nous partons d’abord à Perthes. Le village est désert ; nous y voyons vaguement un monument commémoratif puis nous reconnaissons des positions dans le parc de Mont-Repos entre Perthes et Tagnon. Je vais ensuite chercher les reconnaissances de batterie qui doivent se trouver sur la route de Tagnon, cachées dans un bois au sommet de la côte.

 

8 Juin ([46])

Dès le matin et peut-être la veille au soir, nous apprenons que notre mission a changé. La D.L.I. n’étant pas encore à pied d’œuvre, nous relevons le 123° R.A.L.A. sur ses positions à Ménil-Annelles. Le commandant, Guinet, Savry et moi partons de bon matin en reconnaissance. […]

Plus tard, après le déjeuner, nous donnons les ordres de départ. Nous devons être prêts à tirer à partir de 23 heures et comme il faut pour cela partir de jour, les batteries partent voiture par voiture. Pour moi, je dois partir en précurseur pour être là-bas vers 19 heures. Je dois prendre la 402, la C6 et la camionnette PCT. La C6 est en réparation à la C.R. ([47]); sous prétexte après l’avoir réparée de l’essayer, des canonniers de l’atelier vont se baigner et se promener avec et quand l’heure de départ approche, pas de C6. Je dis à Prince de m’attendre sur la route et je pars à la recherche de la C6 ou de Lafille ([48]) pour rouspéter et lui demander une autre voiture. Il me prête la vieille Citroën qu’il a reçue au départ de Petersbach mais après avoir enfin trouvé et casé mon monde : plus de Prince ! Je cours en voiture à sa recherche sur la route, ne le trouve pas, revient chercher l’autre voiture qui a disparu à son tour ; c’est une gabegie invraisemblable dont je ne me rappelle d’ailleurs plus tous les détails. Pour comble de malheur, à un moment, le frein avant de ma voiture chauffe : il faut s’arrêter.

Je perds à peu près une heure ainsi à courir à fond de train sur les routes et finalement je pars à Ménil n’ayant pas retrouvé Prince. Quand j’y arrive, Prince est déjà là et me dit tout simplement qu’au lieu de m’attendre sur la route, il est parti tout de suite à Ménil-Annelles. Je lui passe un savon pour cette initiative idiote. Finalement les batteries arrivent et se mettent en position. Nous sommes prêts à l’heure fixée.

 

9 Juin ([49])

Je suis réveillé à l’aube par une cavalcade, des jurons sous mes fenêtres et le roulement sourd du canon ; après quelques hésitations, je me rends compte : c’est une préparation d’artillerie allemande et tout l’E.M. s’engouffre dans la cave par l’entrée qui est sous ma fenêtre La préparation commence à 3h45. Je m’habille rapidement et, quand je sors, je trouve tous les officiers déjà prêts. On n’a aucune nouvelle ; le téléphone est coupé avec presque tous nos correspondants. Le canon roule sans arrêt et je puis dire que, pendant cette journée, rares seront les secondes silencieuses.

Un assez grand nombre d’obus sifflent dans notre direction et tombent soit dans le village, soit dans les environs. Enfin nous arrivent quelques nouvelles des batteries ; il y a quelques blessés : en particulier Duriot, mon ancien chauffeur, est blessé au pied. On le porte dans ma chambre où le bib le soigne ; un autre canonnier de la 5 est gravement blessé et mourra par la suite. Nous ne tirons pas, faute d’ordres ou de nouvelles. Le colonel du R.A. voisin vient nous trouver, s’étonne de notre inaction et nous demande de tirer, ce que nous faisons sur un village ou un carrefour. Nous entendons des éclatements dans toutes les directions ; cependant il faut faire la liaison avec le colonel. Je pars dans la voiture de Ruault.

Au premier point délicat — le carrefour d’Annelles — nous passons sans encombre ; entre Annelles et Bignicourt, on voit des arrivées dans la plaine et sur le bois ; des avions ronronnent dans le ciel et je ne sais si ce sont des bombes ou des obus ; j’arrive dans un Bignicourt désert ; tout le monde est dans les caves ou devant l’escalier de la cave. On m’indique où est le colonel ; chez lui on me fait de suite garer la voiture dans une grange puis je monte trouver le colonel qui est impatient et heureux de me voir. Désormaux arrive peu après ; le colonel se fait expliquer la situation, écrit un ordre qu’il nous donne : nous sommes autorisés à consommer 1/3 UF. On me donne des cartes puis je repars suivi de Marey en moto qui apprend ainsi le chemin.

À la sortie de Bignicourt, la voiture tombe en panne. J’enfourche la moto de Marey ; peu après la traversée des bois, alors que de petits globes de fumées s’élèvent du bois et de la plaine, elle s’étouffe et s’arrête ; j’essaye de la remettre en marche par tous les moyens ; je cours en la poussant : rien n’y fait et les avions ronronnent et les explosions claquent dans la plaine. Je couche la moto dans le fossé et en route à pieds.

Seul sur une route sans arbres, je ressens plus fortement les "bruits divers" que font dans les environs avions et obus. Me voici à Annelles ; près du carrefour, quelques entonnoirs et des débris sur la route. Je vais dans Annelles chercher un vélo ; des maisons y sont déjà éventrées ; je demande à un infirmier s’il y a des artilleurs dans le village et il m’indique où se trouve un PC. Quand j’y arrive, je trouve la maison vide ; dans les pièces traîne tout ce qui a été un PC : dossiers, cartes, documents livrés à la curiosité du premier venu ; il est vrai que c’est un temps à ne pas mettre le nez dehors. Mais j’entends un bruit de conversation venu de la cave ; j’y vais : le PC s’y est replié. Après m’être fait connaître, je demande un vélo. Un officier bien gentiment me répond que j’aurais aussi vite fait d’aller à pieds mais j’insiste. Il monte un peu dans l’escalier et m’indique de loin où je pourrai trouver un vélo sous un hangar. J’enfourche l’engin et je pars ; quelques mètres plus loin, je trouve trois entonnoirs qui n’y étaient pas tout à l’heure ; je les évite puis je fonce.

Quand on est en vélo, on ne se sent pas particulièrement abrité et, pendant que je pédale, je me demande si deux trajectoires ne vont pas se rencontrer : la mienne et celle d’un obus ; je pourrais ajouter des points singuliers à ma trajectoire car la route est libre mais je préfère rouler à l’ombre des arbres. Quand j’arrive à Ménil, je trouve la barricade fermée mais je suis bien vite au PC ; je donne mes papiers et je souffle.

Je me prépare ensuite à monter à l’observatoire ; je le fais dès que la visibilité est suffisante. Je pars avec la voiture de Chambard. Avant d’arriver, je lui dis de s’arrêter en face du chemin puis de repartir aussitôt, de faire demi-tour un peu plus loin et de filer. Tout cela se passera sous les yeux des boches mais trop rapidement pour qu’ils puissent réagir.

J’ai fait deux pas hors de la voiture que Zzii… Je salue bien bas.. Boum ! L’obus est derrière, de l’autre coté de la colline. Je refais quelques pas. Zzii… Je resalue… Boum ! Même scène. Si cela continue comme cela, je n’en finirai pas. Aussi je me décide à ne plus saluer. Aux Zzii suivants, je sens bien un peu la tête s’enfoncer dans les épaules mais je fais vite ; toute la journée nous entendrons un concert ininterrompu de départs et d’arrivées, de sifflements souvent très forts et nous verrons des fumées s’élever d’un peu partout mais j’ai compris et je ne descendrai jamais dans l’abri. Jamais les obus ne tomberont à moins de 500 mètres de l’observatoire. Sans doute cette cabane en chaume est-elle si mal camouflée que les gens d’en face ne croient pas qu’il y a quelqu’un d’assez fou pour s’y installer. D’autre part, étant seuls dans une haie isolée, nous ne serons pas un objectif suffisant pour les bombes d’avions.

Dans l’après-midi, j’assiste au bombardement de Ménil-Annelles et Annelles ; je vois les avions piquer puis remonter et je me demande ce que je retrouverai le soir. Cependant quand la visibilité devient moins bonne, j’envoie quelqu’un planter un jalon-repère de nuit. Il est dehors quand surgit de derrière une colline un avion allemand en rase-mottes qui survole l’observatoire à une vingtaine de mètres de haut ; nous en ressentons le souffle ; c’est le fameux moustique : avion lent mais maniable et blindé ayant peut-être deux régimes de vitesse qui pendant toute la journée a survolé impunément nos lignes, voyant tout et déclenchant immédiatement le tir des canons ou des bombardements. Une ou deux minutes après il revient et passe encore juste au-dessus de nous. Nous a-t-il vus ? Pas de bombardement, tout va bien. Le soir descend peu à peu et ramène un peu de calme. De temps à autre, quelques obus, une rafale de mitrailleuse ; la fumée des incendies flotte encore paresseusement. Quand la nuit est venue, nous sommes enfin relevés.

Quand j’arrive au PC, on me raconte ce qui s’est passé. Les avions sont venus à plusieurs reprises piquer sur la maison en faisant siffler leurs sirènes que j’avais entendues sans savoir ce que c’était. Il parait que c’est terrifiant. Un nuage noir a envahi la maison qui tremblait à s’écrouler à chaque bombe. Je regarde les dégâts : ils sont faibles. Pas un blessé.

Ainsi s’achève cette journée mémorable. Par un juste retour des choses, elle aura été sans danger pour l’observatoire mais terriblement palpitante pour l’E.M. Les batteries ont été également bombardées par obus et par bombes mais n’ont eu que quelques blessés et ont bien tiré. Sur notre secteur, l’attaque ennemie a été repoussée et les Allemands ont eu de nombreuses pertes.

 

10 Juin ([50])

Vers 11 heures, nous recevons l’ordre de nous replier immédiatement pour mettre en batterie dans la région de Cauroy : l’ennemi ([51]) a crevé le front à l’ouest de Rethel et ses chars sur notre gauche se promènent en liberté. J’envoie immédiatement chercher les observateurs. Le commandant donne l’ordre de départ avec un intervalle de cinq minutes entre chaque voiture ; les batteries sont alertées et font monter leurs tracteurs. Les obus et les avions ennemis continuent leur danse ; nous mangeons rapidement puis le départ commence, dirigé par Savry avec beaucoup de courage. Les voitures partent à peu près toutes les cinq minutes quand le bombardement le permet. Pendant ce temps les batteries en font autant et de justesse : lorsque les derniers canons de la 6 partent, ils essuient le tir de chars ennemis arrivés sur la position ; une C6, prise entre deux vagues de chars ennemis et amis attaquant, doit être abandonnée. Cependant, ignorant où sont les chars, nous partons sans trop de hâte ; je pars dans les derniers ; quand je vais chercher ma voiture garée un peu plus haut dans le village, je trouve tout mon monde caché dans un abri voisin et un peu hésitant à en sortir. Savry part le dernier.

À Annelles les Allemands bombardent le carrefour et la moitié au moins du village est en ruine, l’autre en feu. On passe entre les maisons en feu ; tout cela rappelle les photos de la grande guerre ; la traversée du village se fait sans encombre malgré les craquements des obus.

Quand j’arrive à Juniville, je vois devant moi deux ou trois voitures de l’E.M. arrêtées ; je cours voir ce qu’il y a. Des chars français à la queue leu leu (chars de 30 tonnes) franchissent difficilement une chicane et un entonnoir puis s’égaillent dans les champs sur notre droite. Je suis là à essayer de les faire presser quand tout à coup des avions vrombissants apparaissent à quelques centaines de mètres de hauteur venant vers nous. Tout le monde court s’abriter ; je me retrouve dans une espèce de boyau voisin, près d’une maison en ruine, attendant les bombes et en proie à la plus forte émotion de toute la guerre. Nous sommes là, pris comme des rats dans un piège : une dizaine de chars, des canons, des voitures embouteillées dans un village où les maisons brûlent. Quel objectif pour les bombardiers qui passent ! Mais les avions nous survolent et s’en vont ; ils ont disparu. Ne nous ont-ils pas vus ? N’ont-ils plus de munitions ? Seraient-ils par exception français ? Je n’en sais rien. Je profite d’un trou dans la colonne des chars pour la stopper une minute et faire filer mes voitures ; les chars repartent ensuite ; je ne sais pas alors que, peut-être à 1 km de là, ils rencontreront l’ennemi ; ils ont l’air si calmes, la visière de leur char levée ; j’ai parlé tranquillement avec eux pendant l’embouteillage, et les braves qui vont mourir ressemblent tellement à un homme normal. Savaient-ils seulement ce qui les attendait dès la sortie du village, les cavaliers de notre dernière division blindée ([52]) qui contre-attaquait vers Rethel dans l’après-midi du 10 ? Nous admirions leurs chars et nous reprenions à espérer sans savoir que déjà la partie était perdue pour nous.

Nous filons à la Neuville-en-Tourne-à-Fuy. Dans les blés du bord de la route, quelques cavaliers sont étendus à côté de leur F.M. ([53]), leur side arrête sous un arbre ; ils ont l’air un peu grotesques, si faibles et isolés ; ils semblent jouer à la guerre, couchés dans le blé à surveiller la crête voisine pendant que derrière eux sur la route les voitures défilent sans émoi apparent ; je trouve même qu’ils exagèrent et qu’ils pourraient faire comme tout le monde : s’asseoir à côté de leurs armes, casser la croûte ou dormir en attendant, mais ils restent allongés aux aguets et je continue ma route, ne sachant pas ce que ces hommes font là ni ce qui pourrait surgir d’un moment à l’autre derrière cette crête voisine.

Je ferai ainsi toute la retraite, dans une sereine indifférence, et peut-être mon courage ne sera-t-il que le fruit de mon ignorance. Chaque fois qu’il y aura du danger, je passerai à côté sans le savoir et au contraire, lorsque je partirai, m’attendant d’après des renseignements à trouver un char boche au prochain tournant, je me promènerai dans la nature comme Don Quichotte à la recherche des moulins à vent.

À la Neuville-en-Tourne-à-Fuy, nouvel embouteillage ; je descends pour guider ma voiture mais comme je fais signe à Ruault de se presser, celui-ci accélère brutalement et j’ai juste le temps de me jeter de côté, une main sur le garde-boue. C’eut été vraiment malin de ma part de me faire descendre par ma propre voiture.

Nous arrivons dans les bois de Cauroy et, comme je n’y rencontre personne, je fais arrêter la voiture et nous attendons en regardant le défilé incessant des voitures. Il y en a dans les deux sens et elles vont vite. Un gros camion est tellement pressé de s’en aller qu’il quitte la route, renverse un poteau téléphonique, remonte sur la route et continue son chemin sans s’arrêter. Au même moment arrive un capitaine du 108 ([54]) à pieds que je ne connais pas. C’est le capitaine Chaussin du 3° groupe. Il nous apprend qu’étant en position ils furent tout à coup mitraillés ; croyant à des parachutistes, le capitaine va chercher ses mitrailleurs ; lorsqu’il sort de leur abri, il n’y a plus un servant aux pièces et des chars allemands sont sur la position. Il s’enfuit, ayant absolument tout perdu : canons, voitures et hommes. Le matin même Lafille avait arrêté une voiture pleine de canonniers de la batterie Chaussin qui s’enfuyaient et leurs avait fait rebrousser chemin. Nous conduisons Chaussin au colonel qui se trouve à Cauroy ; il raconte ce qui s’est passé au colonel. Par la suite, bien après l’armistice, le capitaine Lagrange ([55]) me racontera la suite de l’histoire : Chaussin, un peu remonté par le colonel, retourne à la batterie mais y est accueilli par des coups de feu. Cependant le colonel a prévenu le général Thiébault. Celui-ci répond que, pour l’honneur de l’armée, le 3° groupe doit monter immédiatement une expédition pour reprendre ses canons et ceci sans pertes (souligné dans le texte) ; devant cet ordre imbécile et lâché, le colonel répond qu’il ira lui-même et finalement le général Thiébault tergiverse puis abandonne son idée. C’est le même général qui voulait que le soir même nous retournions chercher les munitions que nous avions laissées à Menil-Annelles.

Pendant que nous sommes chez le colonel, celui-ci nous transmet l’ordre qu’il reçoit immédiatement de l’ALCA ([56]): mettre immédiatement en position dans les bois. Le commandant me prend dans sa voiture et nous allons rechercher les batteries. Pendant que nous filons sur le chemin de terre, un avion nous survole. Nous faisons un nuage d’une centaine de mètres. À un moment le commandant dit à Ballorm d’accélérer puis se tourne vers moi en hochant la tête et en réponse j’en fais de même ; il parait que l’avion nous mitraille mais dans le bruit de la voiture je n’entends pas grand-chose et je crois un peu le commandant sur parole. Nous arrivons quand les batteries mettent en position et nous leur donnons l’ordre de départ puis nous retournons.

Nous traversons Machault ; nous retrouvons le groupe dans le bois et, pendant que le groupe prend la soupe, nous partons en reconnaissance, le commandant, Guinet et moi. J’ai repris ma voiture. Par Saint-Etienne, Sommepy et Sainte Marie à Py nous arrivons à l’endroit fixé ; la nuit est venue et il ne peut être question que de trouver un bivouac provisoire pour la nuit. Nous arrêtons nos voitures dans la descente puis nous partons à travers les boqueteaux et les tranchées à demi comblées de Champagne à la recherche d’un bivouac. Nous trouvons un bivouac et Guinet a la malencontreuse idée de demander un renseignement à un des habitants. Celui-ci crie aussitôt : "Alerte, des parachutistes !" et deux ou trois hurluberlus en armes commandés par un S.O. ([57]) à moitié saoul nous entourent. Il faut les suivre jusqu’au P.C. du capitaine de D.C.A. dont ils dépendent. Au fur et à mesure que nous marchons, la foule derrière nous grossit et la plaisanterie est de moins en moins drôle. Il nous serait facile, si nous avions été des boches, de descendre les quelques matamores qui nous entourent et de nous enfuir ; mais, comme nous ne le sommes pas, nous suivons bien gentiment ces escogriffes. Le capitaine est réveillé et vient vers nous ; l’entretien est au début plutôt froid. Comme le commandant l’appelle "mon cher ami", il réplique : "Je ne suis pas votre ami ; je suis capitaine." "Et moi chef d’escadron !" : le commandant commence à se fâcher et à dire son fait à cette bande de malpolis ou de poivrots. Enfin j’exhibe l’ordre de reconnaissance et le capitaine, convaincu, s’excuse en alléguant le grand nombre des parachutistes ; nous lui faisons doucement remarquer que ses hommes s’y prennent mal pour arrêter quelqu’un.

 

[…]

 

12 Juin ([58])

Tôt le matin, je vais en liaison à la ferme de Cuperly où se trouvent le régiment et l’ALCA. J’en reviens avec l’ordre d’installer une section en anti-chars sur la route de Suippes. À un moment où je suis seul, je reçois un coup de téléphone du colonel : "On me signale des chars allemands dans la région de Jonchery-les-Suippe. Tirez sur tout ce que vous voyez". Je me fais répéter l’ordre : "Tirez sur tout ce que vous voyez !" Comme cela ne me semble guère exécutable, je prends la voiture et décide d’aller voir par moi-même.

Nous roulons à travers champs entre les boqueteaux. Chambard est assez inquiet, me demande de temps à autre jusqu’où nous allons et croit en divers buissons voir des chars ; à chaque fois nous nous arrêtons et je regarde à la jumelle. Soudain à droite je vois un gros char arrête. Mais c’est un char de 30 tonnes français qui attend les boches ; il n’a absolument aucun renseignement et je promets de lui dire à mon retour ce que j’aurai vu. Je traverse en voiture tout le vallon qui s’étend devant nous. L’horizon est caché par une colline surmontée d’un pylône observatoire. Une tranchée nous oblige à descendre de voiture ; nous abordons la crête avec circonspection ; on ne voit rien de remarquable ; je dis alors à Chambard de rester au pied du pylône et de surveiller et, malgré mon peu de goût pour ce genre d’exercice, je monte sur la plate-forme. Là-haut je me couche tout du long et, carte et boussole en place, je cherche à la jumelle les fameux chars ; rien encore : des camions sur la route de Jonchery à Suippes, des obus ennemis sur Jonchery qui est donc toujours à nous ; je fouille tout l’horizon : rien de visible. Après un quart d’heure d’observation, je redescends n’ayant pas vu de chars et nous repartons. Avant d’arriver près des chars, nous cornons de peur qu’ils ne nous prennent pour des boches ; je m’arrête pour donner mes renseignements à un officier de chars puis nous rentrons. Sur la route de Suippes, des petits chars Renault sont embusqués derrière les arbres ainsi que quelques canons de 75.

Quand j’arrive, le groupe est en train de s’en aller. Pendant mon absence, il a reçu l’ordre d’aller mettre en batterie dans les bois entre la route de Vitry-la-Ville à Fontaine-sur-Coole et celle de Songy à Faux-sur-Coole. Nous passons par Saint Martin, Courtisols, Marson. À la traversée des villages, les habitants distribuent leurs bouteilles avant de partir. La route est encombrée de trois colonnes : une de réfugiés à droite, allant très lentement avec ses voitures à bœufs et ses gens à pieds, une colonne hypomobile et nous. La marche est très lente et souvent interrompue et ceci d’autant plus qu’on se rapproche de Pogny et des ponts sur la Marne.

Au moment où la C.R. se présente devant les ponts, elle est attaquée par des chars venus de la direction de Chalons. Un certain nombre de ses voitures est endommagé par le tir ennemi. Des chars français contre-attaquent et dégagent les ponts mais l’un d’eux en manœuvrant abîme la borne à essence qui reste à l’entrée du pont sur le canal. Quelques canonniers sont blessés et un ou deux tués ; le reste des voitures passe ; des hommes rejoindront par la suite. Cependant, dans le gros de la colonne, on ne se doute de rien.

Quand nous arrivons au carrefour, nous y voyons des chevaux tués ou blessés dont l’un immobile avec une grande plaie à la cuisse. Il y a des morts dont un étendu de tout son long, la face contre terre. Nous continuons ; dans le village, nouvel arrêt ; des avions survolent Pogny et doivent lancer des bombes sur les ponts ; nous sommes tous hors des voitures et je discute avec Savry pour savoir s’il vaut mieux se coucher ou se coller debout derrière un mur. Nous ne faisons d’ailleurs ni l’un ni l’autre et, dès les avions partis, nous sifflons, crions, appelons les hommes pour qu’ils remontent le plus vite possible dans les voitures.

Enfin nous arrivons à passer les ponts. Nous traversons Vitry puis nous arrêtons à l’entrée des bois. Mais soudain arrive Rivié ([59]); dans la matinée il s’était fait coincer entre deux voitures, avait été contusionné et sa vareuse était déchirée mais cette fois il est complètement hors de lui, son teint est gris, il claque des dents et peut à peine parler : "C’est horrible !…. Une boucherie… Tous tués… affreux…" La 6 a été attaquée par les chars ! Deux batteries sur trois sont manquantes. De la 6 nous ne retrouvâmes que Doury et les occupants de sa voiture, la pièce du maréchal-des-logis Blondel et un ou deux rescapés à pieds. De la 5, rien. Nous sommes tous atterrés, nous qui croyions que tout s’était bien passé. Un canonnier de la 6 a soigné 4 ou 5 de ses camarades et demande qu’on aille les chercher. Un motocycliste s’offre et un moment je suis tenté de monter en tansad et d’aller voir mais les descriptions sont telles que je ne dis rien et que le commandant décide d’abandonner les blessés. Encore à ce moment croyions-nous les blessés juste derrière les ponts alors qu’ils étaient avant Pogny. Aurions-nous pu les reprendre ? Je n’en sais rien mais je crois que, de la façon dont les événements nous étaient présentés, il était sage de ne pas y aller. D’ailleurs ni Doury, ni Rivié présents ne s’offrirent pour y aller.

Quelques hommes réchappés qui ont traversé la Marne à la nage arrivent peu à peu. Le commandant va chez le colonel. De mon côté je vais reconnaître un observatoire. En chemin dans les bois, je rencontre le capitaine Lagrange qui transporte le bib dans sa voiture. Il me dit : "Les carottes sont cuites" et je suis bien d’accord. Il n’y a pas de troupes pour défendre la Marne ; nous sommes seuls et nous voyons le défilé incessant des fuyards sur la route. La Marne n’est pas défendue ; nous sommes perdus ; jusque-là j’avais conservé de l’espoir ; à partir du passage de la Marne, je sais que tout est perdu.

Je pars un peu plus tard en liaison chez le colonel à Coupetz avec le commandant. Comme j’attends devant la porte, on amène un homme vêtu de toile bleue suspecté d’espionnage et qui ne donne que des explications confuses. Après lui avoir posé toutes sortes de questions, on s’aperçoit que c’est un fou de l’asile de Chalons et on le laisse aller ; d’ailleurs le matin même j’avais doublé sur la route une folle errant sur la route, les bras rejetés en arrière par la camisole de force. Les gardiens de l’asile de Chalons ont lâché les fous dont ils avaient la garde et se sont enfuis.

Chez le colonel nous recevons l’ordre de faire un tir de harcèlement pendant la nuit sur Pogny et Ourey ; nous rentrons. Guinet qui a momentanément perdu son manteau a froid ; je lui prête le mien et le photographie ainsi accoutré. Sur la route, il y a encore quelques fuyards, beaucoup de soldats belges peut-être des espions. La nuit est venue.

 

[…]

 

13 Juin ([60])

Nous recevons l’ordre de nous replier jusqu’à Arcis-sur-Aube où les ordres ultérieurs seront donnés. Je pars devant comme guide. Dans Arcis-sur-Aube je m’arrête au carrefour devant l’église et je fais l’agent de circulation. La population ne semble pas inquiète du tout, vaque à ses affaires et regarde passer le groupe. Cependant dans la journée Arcis-sur-Aube sera bombardée. La colonne passée, je reprends ma voiture et cherche à acheter du pain mais il y a trop de réfugiés et pas de pain.

 

[…]

 

Aux alentours de Sommesous, un officier, lieutenant déjà âgé, se jette sur nous. Volubile et agité, il nous explique que notre mission est changée, que le général Thiébault nous attend à Soudé, que le P.A.C.A. tient à notre disposition des milliers d’obus de 105. Je le surnomme, dans mon fort intérieur, "le lieutenant Ouragan". Il monte dans notre voiture et nous amène auprès du général Thiébault.

Nous trouvons celui-ci dans une maison assez coquette de Soudé. Très heureux de nous voir, le général ! Il s’étonne que notre groupe ne soit pas encore là. Le commandant, assez sec, lui explique qu’il n’a pas pu faire plus vite. Le général voudrait ceci : nous remplissons dans l’après-midi notre mission primitive ; avant la nuit nous allons nous mettre en position dans la région-est d’Humbauville. Il trace sur la carte un vague haricot et ajoute : "Mais vous êtes aussi artilleur que moi ; faîtes pour le mieux". Il s’agit d’appuyer une opération de décrochement qui, avec Vitry-le-François pour charnière, ramènera les lignes de la Marne à la N34. Pour être tenu au courant des opérations, nous devrons entrer en liaison avec deux divisions dont il ne sait pas bien les numéros et dont les PC sont à Châtelraould ou ailleurs. "Faîtes pour le mieux" est son leitmotiv ; il nous offre autant d’obus que nous voudrons ; le commandant en accepte 200.

Nous partons aussitôt. Je demande au commandant d’aller reconnaître un observatoire et il est convenu qu’il me renverra ma voiture dans une heure ou deux. Seul, je pars en reconnaissance.

La nuit est proche. Je monte d’abord sur la cote 267 et je cherche sur la droite un emplacement. On voit dans la direction de Vitry-le-François mais mal au nord ; je décide donc d’aller vers la cote 187 plus au nord. Je traverse les taillis et j’arrive bientôt à une magnifique allée bordée de deux rangées d’arbres splendides qui descend jusqu’à une grande propriété dans la vallée : la Cense de la Borde. Il commence à pleuvoir et la nuit tombe ; je longe la grande ferme qui paraît endormie et secrète et un chemin me mène à un passage à niveau. Comme il pleut assez fort, je m’abrite une minute dans la maison du garde-barrière ; on pourrait croire que la ménagère est à deux pas d’ici ; il y a encore des casseroles sur le poêle ; tout est net et propre ; j’inspecte la maison et la cave avec l’arrière-pensée d’y installer mes observateurs et l’E.M. à la Cense puis je remonte de l’autre coté par un large vallon très agréable et mélancolique avec ses prés verts et ses bois voisins ; arrivé au sommet, je prends le chemin qui longe la crête vers la droite en choisissant mon chemin pour ne pas me mouiller les pieds car j’ai des chaussures de ski qui baillent à la cheville et chaque herbe frôlée y dépose une goutte.

En lisière d’un bois près de la cote 186, je trouve un emplacement convenable ; dans la demi-obscurité je vois Vitry-le-François qui brûle ; l’horizon est assez dégagé vers le nord ; c’est tout ce que je peux faire pour le moment. Je reviens donc par le même chemin et cette promenade solitaire, dans ce paysage aux lignes douces attristé par la pluie et la nuit commençante, près de ce château abandonné, est d’une mélancolie poignante. Derrière, Vitry-le-François rougeoie ; la nuit s’empare de plus en plus des grands arbres de l’allée et de chaque branche les gouttes s’égrènent peu à peu.

Quand j’arrive sur la route, la nuit est venue ; pas de voiture. J’attends un moment puis, pour passer le temps, je décide d’aller à sa rencontre. Vers le sommet cote 208, toujours pas de voiture mais je rencontre des sapeurs qui reviennent à pieds vers Humbauville. La nuit est maintenant complète et derrière nous, comme un phare, se dresse la grande lueur rouge de Vitry-le-François en flammes. Les sapeurs reviennent de faire sauter les ponts de Vitry ; leur succès a été inégal. Un pont a sauté avec deux chars allemands dessus. Un autre n’a pas sauté. Ainsi, parlant avec ces braves gens, j’arrive à Humbauville : personne encore ; j’ai peur alors qu’il y ait eu contre-ordre et qu’une voiture soit venue me chercher par une autre route. J’arrête donc une camionnette qui passe et je remonte jusqu’au sommet de la cote où un PAD est en train de plier bagage.

Résigné, dans la pluie incessante, je reprends la route sous bois, me sentant horriblement seul dans la nuit. Pas une voiture sur la route. Tous les gens que j’ai vus s’enfuyaient et maintenant je marche vers la grande lueur de l’incendie que les arbres me cachent à demi mais que je découvre en certains points de la route : immense fond rougeoyant avec un centre blanc secoué de grandes flammes. Je marche comme guidé par cette lumière ; il me semble être seul face à cette ruée ennemie.

Enfin derrière moi une voiture. On ne m’a pas abandonné. Breysse est revenu me chercher. Il est près de 11 heures et je suis parti vers 6 heures.

 

14 Juin ([61])

Tôt le matin, tout le monde se prépare. Je pars pour l’observatoire. Je trouve rapidement un endroit convenable ; j’enlève mes chaussures pour les faire sécher aux premiers rayons du soleil. Tout à coup : Zzü, zü, zü… une volée de projectiles. C’est la 4 qui tire à perdre haleine. Cela m’épate un peu car nous ne sommes même pas reliés par téléphone et on ne voit encore rien. Quelques instants se passent et je m’entends appeler. C’est le commandant qui arrive en courant ; il s’est foulé la cheville en me cherchant dans les bois. Il faut s’en aller de suite. Il a reçu l’ordre de repli immédiat et d’abandon des munitions mais il a fait partir la 5, a couru donner l’ordre à la 4 de vider ses coffres à toute vitesse et de se mettre en route et est venu me chercher. Le temps presse ; je me rechausse rapidement et en route. Dans la plaine, des fantassins se replient par petits groupes mais sans hâte. Le son du canon semble leur faire plaisir car on ne l’entend plus souvent maintenant et même pendant toute la retraite n’entends-je jamais que celui des nôtres.

Quand j’arrive sur la route, la batterie est déjà prête à partir ; nous repassons par Humbauville. Nous restons un peu dans le village que ses derniers occupants évacuent puis nous partons. La route est tout à fait libre et nous nous retrouvons à Mesnil-la-Comtesse. Les reconnaissances de batterie sont faites pendant que je cherche l’E.M. qui n’est pas au point convenu ; je le retrouve enfin à l’orée du bois en face de la ferme de Montardoise. Les voitures sont très bien camouflées et tout le monde est dessous, y compris Bernard ; le bib qui a garé son ambulance sous un gros arbre est plus digne ; l’arrivée de ma voiture fait sensation ; tout le monde fait signe de s’arrêter car des bombardiers ennemis ne sont pas loin. Mon premier soin est de faire signe à Bernard de se relever et je reste ostensiblement à me promener ; je retourne ensuite prévenir Savry que j’ai retrouvé l’E.M. ; nous choisissons un bivouac près d’une voiture abandonnée sous laquelle sont tapis trois lapins. Je leur fais la chasse aidé par un ou deux hommes. C’est un sport difficile car le lapin, s’il ne court pas loin, court vite et se réfugie sous les voitures où on ne peut le saisir. Enfin avec l’aide de Prince et d’un chauffeur nous faisons nos trois captures.

Les deux batteries sont bientôt en position ; l’observatoire est tout trouvé sur la crête derrière les batteries ; je ne l’occupe pas puisque nous n’avons pas le droit de tirer, que comme toujours il n’y a pas de fil avec les batteries et que je sais depuis longtemps que le commandant, si je le lui demandais, le refuserait désirant me garder sous sa main.

Plus tard, le commandant est appelé chez le colonel. Quand il revient, il me fait signe puis me montre un papier portant en gros ce qui suit : "Le régiment et l’ALCA sont absolument sans liaisons avec le CA ([62]). Des renseignements recueillis il résulte que nous sommes complètement encerclés. Un conseil de guerre réunissant les deux colonels, le capitaine Lagrange et les commandants de groupe s’est tenu. Il a été décidé que chaque groupe essaierait comme il lui conviendrait de rejoindre Vendeuvre où rendez-vous est donné pour le lendemain 6 heures. Si le colonel ne se trouve pas au rendez-vous, les groupes reprendront leur route vers le sud". Signé par les membres du conseil de guerre.

À la lecture de ce papier, je ne dis comme d’habitude que peu de choses au commandant ; nous nous comprenons sans cela puis je vais chercher les officiers pour qu’ils connaissent la nouvelle. Cependant des avions s’approchent et je fais rentrer le plus possible de voitures le long du bois. Les avions sont accueillis par une belle fusillade de mitrailleuses, F.M. et mousquetons. Tout le monde tire comme des fous sans trop viser et d’ailleurs, faire soi-même du bruit est bien le meilleur moyen pour ne pas avoir peur.

L’alerte terminée, il est décidé que nous essaierons de rejoindre Vendeuvre en suivant le plus possible de chemins à travers bois et de petites routes. Breysse va reconnaître le chemin forestier. Il le trouve praticable et aussitôt la colonne fait demi-tour. Nous nous engageons donc dans ce chemin puis tournons à droite dans la direction de Mesnil-Lettre. À la sortie des bois, nous interrogeons anxieusement l’horizon en nous attendant à tout moment à voir apparaître des chars. Nous passons par Mesnil-Lettre puis Onjon. À Piney nous commençons à respirer et peu de temps après nous arrêtons dans la forêt du Grand Orient à 2 km de Vendeuvre. Nous sommes passés. la forêt est magnifique. Avec le commandant nous décidons d’aller voir à Vendeuvre. Dès notre arrivée et notre passage sous le pont, nous voyons des maisons en ruine, d’autres en flammes et des entonnoirs sur la route. Nous poursuivons jusqu’à la grande place. Des voitures sont rangées tout autour ; elles sont comme aplaties, réduites et tordues et des cadavres sont allongés ou recroquevillés par ci par là. Dans cette place comme pétrifiée, plus rien ne bouge ; la mort est passée là ; nous faisons demi-tour et rentrons.

 

[…]

 

15 Juin ([63])

Après Dijon, la route est formidablement embouteillée par 4 ou 5 rangs de véhicules allant presque tous vers Beaune. On évacue Dijon et toute la ville est sur les routes. La colonne avance à peu près au pas et stoppe tous les 10 mètres ; pas de service d’ordre ; c’est la pagaïe la plus complète. Le commandant et moi sortons de voiture et essayons de rétablir un peu d’ordre. Notre action est efficace mais c’est tous les 400 mètres au moins qu’il faudrait un agent et nous ne sommes que deux. Aussi, de guerre lasse, décidons-nous de passer par la route des vignobles parallèle ; elle est beaucoup moins importante mais libre. Nous faisons ainsi quelques kilomètres rapidement mais à Chambolle il faut reprendre la grand’route où l’embouteillage est toujours aussi grand. Nous faisons quelques kilomètres entrecoupés d’arrêts. Après un arrêt lorsqu’on veut repartir, la voiture ne peut plus marcher qu’en marche arrière. La boite de vitesse ne donne plus que le point mort et la marche arrière : c’est complet.

Nous poussons la voiture sur le bas-coté. Juste devant nous un gros camion de l’aviation est en panne. Les deux occupants, deux gosses, n’ont pas les instruments nécessaires pour réparer. On les a lâchés sur les routes en leur disant de rejoindre une ville du Midi comme Toulouse et à la grâce de Dieu. Les pauvres gosses sont bien embarrassés ; nous leur prêtons nos outils et en échange, quand ils ont réparé, ils nous remorquent. Ils le font avec beaucoup de dévouement et de gentillesse ; le camion donne de forts à-coups à notre voiture ; une fois, la corde casse et toujours l’attelage crée de l’encombrement. Les pauvres se font engueuler par les autres automobilistes ; nous les défendons et les consolons de notre mieux et je crois que de se sentir soutenus par nous leur fait du bien. Nous sommes partis vers 15 heures de Dijon ; nous arrivons à la nuit tombée à Beaune.

Les voitures se garent dans une petite rue. Nous commençons à avoir faim. Dans l’obscurité totale, je découvre un bistrot encore ouvert mais il n’a plus rien et refuse de nous recevoir. Enfin nous voyons une pâtisserie où filtre de la lumière. Les gens y sont très aimables ; ils sont en train de donner à manger à des réfugiés ; ils nous introduisent dans la boutique et là nous mangeons des pains de Gènes et un gâteau arrosés par une bouteille de vin blanc qu’ils nous offrent ; nous payons et remercions chaleureusement ces braves gens puis retournons à nos voitures pour y dormir sur des lits de grillage revêtus de paille. Quelle bonne nuit nous passons !

 

[…]

 

16 Juin ([64])

Au fur et à mesure que j’approche d’Autun, la foule augmente et ma voiture fatigue de plus en plus. Je rattrape la queue du groupe à peu près 8 kilomètres avant Autun. La colonne n’avance pas, prise dans l’embouteillage. Par une route de traverse, je rejoins une autre nationale, la N80 ; il y a à peu près autant d’embouteillage ; nous passons à hauteur du dépôt Desmarais et des mines de schistes bitumineux quand nous entendons les sirènes d’Autun annoncer une alerte. Toutes les voitures s’immobilisent et leurs occupants s’égaillent à travers champs. Nous décidons alors de faire le tour d’Autun par un chemin que connaît Gomez qui est d’Autun. Je vois dans ce chemin des jeunes gens en uniforme qui ont l’air de gosses ; ils se reposent ou s’installent en position avec des F.M. ou des mousquetons. Je leur demande ce qu’ils sont et ce qu’ils font. "Ce sont les élèves de l’école de cavalerie d’Autun ; ils sont de la classe 39 ou 40 et se mettent en position pour recevoir les boches". Mon cœur se serre à voir ces pauvres gosses qui, avec la candeur de leur âge, s’apprêtent à recevoir des chars à coups de mousquetons mais qu’y faire et à quoi bon les décourager. Je continue mon chemin sans trop oser regarder ces petits qui attendent alors que tout le monde fuit.

 

[…]

 

17 Juin ([65])

A l’aube, je me réveille et je trouve tout le groupe arrête et endormi derrière ou devant moi à peu de distance. À quelques pas, un écriteau indique sur une petite route : "Lusigny 700m". Je retrouve le commandant qui commençait à être inquiet de ne pas me voir. Le groupe va ensuite s’installer à Lusigny même. Ce qui reste de l’E.M. bivouaque dans un chemin près d’une ferme. Nous pouvons enfin faire un peu de toilette et nous raser dans la cour d’un bistrot près d’un dépôt de blé. Le bistrot nous fait vers 11h un déjeuner rapide. Il y a là beaucoup de réfugiés qui mendient de l’essence et en soutirent même à ma voiture. Comme celle-ci ne peut plus rouler, le commandant décide de me prendre dans sa voiture ; Savry a toujours la sienne, Doury et Guinet ont disparu ; je fais fonction de Capitaine adjoint et deviens inséparable avec le commandant. De tous nos S.O., il ne reste plus que Prince ; nous n’avons plus d’instruments de topo ou d’observation ; nous ne sommes plus capables de grand-chose ([66]).

Vers 12h, le Maréchal Pétain annonce à la T.S.F. que nous en sommes réduits à demander l’armistice ([67]). Cette décision inévitable et prévue nous remplit de tristesse et de colère ; des camions passent remplis de soldats qui chantent et rient en disant : "la guerre est finie". Quelle honte ; si nous étions victorieux, ils ne seraient pas plus gais. D’ailleurs la guerre n’est pas encore finie et ce n’est pas le moment de se faire faire prisonnier. À 12h nous partons de nouveau, le commandant et moi en tête ; nous allons d’abord chercher l’E.M. qui semble assez déprimé et d’esprit incertain ; Prince est seul pour faire tout le travail ; la présence d’un officier n’est pas inutile.

 

[…]

 

Le soir, le commandant et moi allons à la recherche de Bouvier que nous ne trouvons pas ; il est déjà parti. D’ailleurs voici ce qui s’est passé à son groupe d’après le capitaine Lagrange qui me l’a raconté depuis. Pendant l’étape d’Autun, six de ses canons ont été abandonnés sur la route, le frein mis hors de service par le personnel, qui est ensuite parti avec les tracteurs ainsi libérés de leur remorque. Lagrange trouva Bouvier au moment où celui-ci venait de découvrir ses canons abandonnés et où il pensait à se suicider ; il réussit à l’en dissuader. Le capitaine Bouvier malgré tous ses défauts ne méritait pas cela et le 3° groupe s’est conduit en lâche dans cette affaire. Je ne sais pas la part qu’y ont prise les officiers.

 

[…]

 

18 Juin ([68])

Nous arrivons à Artonne. Les éléments de la C.R. y sont déjà et préparent la soupe. Nous nous faisons inviter à déjeuner et mangeons à la roulante un déjeuner délicieux avec poulet, quelque chose d’inimaginable pour de pauvres hères comme nous. Le cantonnement prêt, nous repartons chercher le groupe. Nous remontons donc vers le Nord. La route est très encombrée. Le commandant et moi ne cessons de klaxonner et de crier "Rangez-vous !" que par crainte de vider les accus et de devenir aphone. J’ai même l’occasion d’engueuler un colonel en képi qui ne répond pas. Dans la région de Gannat nous trouvons le groupe mais il manque la 5. Le commandant me demande alors d’aller avec lui la rechercher et nous partons.

À partir de Saint-Pourçain, il n’y a plus guère de voitures sur la route ; nous posons nos revolvers sur nos genoux. Nous croisons un canonnier de la C.R. en vélo avec son F.M. Nous l’empruntons ; je le passe dans la voiture et nous partons. Mais une minute après je me dis : "Je ne sais pas m’en servir". Arrêt sur le bord de la route ; je trifouille l’instrument si bien qu’au moment où je ne m’y attends plus, le coup part. De surprise je lâche tout ; F.M. et chargeurs tombent chacun de son côté. C’est un succès ! Je remets le chargeur, réarme puis passe le F.M. dans l’emplacement de la vitre avant droite soulevée et je le tiens sur mon flanc droit, n’ayant plus que le verrou à mettre sur la position M pour pouvoir tirer.

Dans Châtel, un officier d’infanterie nous arrête. Impossible d’aller plus loin. Ils sont à 1 500 mètres. Ce serait de la folie. Nous insistons et disons ce que nous allons faire. Il ne peut nous empêcher de passer mais nous déclare que nous sommes prévenus et que tant pis pour nous. Je lui demande alors de voir si mon F.M. est correctement armé ; il ne connaît pas ce vieux modèle mais braque le F.M. en l’air et tire : deux balles partent. Donc tout va bien. Je rebraque mon F.M. et nous partons.

Si nous rencontrons des boches, voila ce qui est convenu. Je tire ; la voiture s’arrête. Je descends dans le fossé, mets mon F.M. en batterie et tire pendant que le commandant me passe les chargeurs ; en même temps Chambard fait demi-tour. Nous remontons et partons. À chaque virage, nous nous attendons à voir surgir des motocyclettes feldgrau. Au début il y a encore une ou deux voitures, quelques cyclistes puis plus rien ; nous arrivons à Tréban ; nous sommes vite entourés par des civils ; ils attendent les Allemands mais ne savent où ils sont ; ils n’ont pas vu de batteries. Les gosses s’intéressent beaucoup à mon F.M. À Cressanges, pareil. Doit-on continuer ? J’hésite et le commandant décide que oui. À Noyaut, des fantassins qui s’en vont sur la grand’route nous disent avoir vu passer une batterie de 105 se dirigeant vers le Sud. Nous sommes tranquillisés et revenons vers le Montet. Deux jeunes fantassins nous arrêtent et nous demandent de les prendre ; ils sont jeunes et polis, fatigués par les kilomètres qu’ils ont faits et abandonnés ; nous les emmenons jusqu’au Montet mais là nos routes divergent et ils nous quittent. Nous redemandons des renseignements et on nous confirme le passage d’une batterie ; satisfaits, nous soufflons un peu. Après quelque temps, nous partons. Sur la route des hommes nous demandent de les prendre mais nous avons maintenant autre chose à faire et le commandant refuse. Les types gueulent et disent que nous fuyons ayant abandonné nos hommes. Évidemment, les apparences leur donnent raison ; cela m’apprendra à ne pas trop me fier aux apparences.

 

19 Juin ([69])

Après Pontaumur, nous arrivons à Cisternes. Comme nous manquons de place, je décide d’abandonner le matériel que je fais stocker à l’école par Prince. Je vois pour la première fois les pèlerines en papier ; les canonniers gardent certaines d’entre elles comme imperméables ; triste fin d’un matériel qui n’a servi qu’à embêter tout le monde. Je fais d’ailleurs dresser un inventaire du matériel abandonné et le maire le prend en charge.

En fin d’après-midi, je vais faire des achats de nourriture à Nébouzat. C’est un curieux petit pays dans un vallon avec une seule petite ruelle en U s’embranchant sur la route et terriblement en pente. Mes emplettes faites, je vois le groupe défiler sur la route et je retrouve le commandant monté sur un tracteur. Désormais nous prendrons plus que jamais la précaution d’avoir du pain et du chocolat dans un sac à terre ainsi qu’une bouteille d’eau aromatisée au rhum. Nombreux sont les repas qui ont eu pour nous cette frugalité.

 

[…]

 

21 Juin ([70])

La route monte d’une manière continue et dans notre dos sort de derrière les collines un paysage magnifique, embrassant la vallée de l’Allier et les montagnes.

Mais voici Combes qui vient à notre rencontre. Pinols est occupé par une formation sanitaire et nous devons loger tout le monde à Chassignoles. C’est un hameau bien déshérité, avec des chemins boueux où courent des ruisseaux ; pas une rue, et des maisons minables. Nous logeons le groupe dans des prés. Pour les hommes, il n’y a que des granges. Une d’elles nous est réservée ; il doit être entre 10 et 11 heures quand notre installation se termine.

Nous nous couchons le soir dans la grange qui nous est affectée. Nous commençons à nous faire à la topographie compliquée du pays et à nous y retrouver. Nous dormons très bien dans le foin et le sac de couchage. Aujourd’hui j’ai eu 25 ans.

 

[…]

 

22 Juin ([71])

Nous passons encore toute la journée à Chassignoles. C’est un Dimanche ([72]); Lasseur vient dire la messe dans une grange. Dans l’après-midi avec le commandant je vais faire un tour dans la montagne derrière Pinols ; le spectacle est vraiment splendide ; nous nous apercevons que nos pas nous ont menés à quelques mètres de la route de Ferrussac et nous revenons par là. Quel splendide observatoire me ferait cette montagne.

 

[…]

 

23 Juin ([73])

Pinols étant libéré de ses bibs, nous partons à 16 heures pour l’occuper puis le commandant et moi partons en reconnaissance. Le paysage qui se déroule sous nos yeux est magnifique : c’et d’abord la grande descente sur Langeac et la vallée de l’Allier. Entre Langeac et Paulhaguet dans la vallée, puis de Paulhaguet à la Chaise-Dieu, on grimpe le long d’une vallée encaissée par une route étroite et sinueuse. Pendant 30 km, à peine un petit village puis, dans le soir tombant, se dressent devant nous la Chaise-Dieu et son abbaye que nous n’avons pas le temps de visiter. Ensuite par une route superbe, dans une forêt de gros arbres élancés, nous descendons sur Mayres.

Nous prenons contact à la station de Mayres avec le capitaine ([74]) commandant le bouchon ; nous reconnaissons rapidement sa position. À la défense de ce bouchon il y a un 75 et un char Renault avec un équipage polonais et, je crois, une mitrailleuse et un F.M., le tout servi par des artilleurs réunis au hasard.

 

[

…]

 

24 Juin ([75])

Le commandant décide de revenir par Allègre pour rendre compte au Général Thiébault ; nous y arrivons à 12 heures passées et, malgré notre refus primitif, le général Thiébault qui a commencé de déjeuner nous invite à sa table. La conversation roule surtout sur le confort dont il s’entoure et aussi sur les cantines qu’il se fait rembourser et enfin sur l’affaire de Pogny que nous lui expliquons brièvement. L’entrevue terminée après un déjeuner assez copieux arrosé de verveine du Velay, nous prenons le chemin du retour.

Nous passons par Fix-Saint-Geneys puis toujours au Sud ; la carte signale alors un "schön blick". Nous nous arrêtons pour admirer sans d’ailleurs trouver le point exact d’où l’on découvre tout l’horizon puis nous parlons à un berger qui est par là avec un troupeau, une chienne et un petit chien qui fait son apprentissage de bon berger ; le brave homme parle de la guerre, du mal qu’il y a à placer la laine… et pendant ce temps-là j’admire l’instinct et le dressage de ses chiens.

Nous rentrons ensuite. Nous sommes à peine arrivés qu’une corvée nous attend : il faut remettre le soir même des propositions de citation. Le travail auquel je collabore est décevant. Il est très difficile de connaître la valeur réelle des hommes et leur mérite, de comparer les propositions de deux commandants d’unités différentes. Chaque commandant de batterie fait ses propositions que le Commandant modifie ou non. Le principe est qu’il faut savoir non pas si un officier a fait quelque chose de bien mais s’il n’a rien fait de mal. Tout ce travail me fait perdre beaucoup de mes illusions sur la valeur de la croix de guerre.

 

25 Juin ([76])

Les deux armistices sont signés. Les deux sections nomades sont donc rappelées. Dans la matinée a lieu une cérémonie au monument aux morts, avec allocution inéluctable du colonel Bonnet ([77]); puis le colonel Simonnin ([78]) réunit chaque groupe pour demander aux hommes de rester calmes et disciplinés jusqu’à la démobilisation. Ainsi se clôt la campagne.

 

 

APRÈS L’ARMISTICE

 

Je résumerai brièvement la période qui s’écoule entre le 25 Juin et le 31 Juillet, date de ma démobilisation.

Nous restons à Pinols jusqu’au 10 Juillet. Nous passons le temps comme nous pouvons.

 

[…]

 

Le 10 ([79]), nous partons pour le camp de la Valbonne ([80]). Nous y arrivons le lendemain vers 15 heures, sous la pluie.

La vie à la Valbonne est assez monotone, d’autant plus que bientôt s’y ajoutera la tristesse des séparations ; j’avais rêvé d’un départ où chacun amicalement se promettrait de revoir les autres, où la camaraderie qui nous unissait s’extérioriserait un peu ; il n’en est rien ; beaucoup s’en vont comme des voleurs ; brusquement c’est une sorte de déliquescence, d’effritement du groupe. Pour se distraire les moyens sont les mêmes qu’à Pinols ; un jour avec le commandant et Lagrange nous allons voir le Rhône ; deux fois avec le commandant je vais me baigner dans l’Ain qui est bien froid. Deux fois je fais du cheval dont une avec Lafille. Le 24 Juillet le commandant, Lafille et moi allons visiter Sault-Brenay et les grottes de la Balme, promenade très intéressante. Un Dimanche je vais à Grenoble. Les derniers jours, il nous échoit la corvée qui consiste à déplacer environ 1 000 tonnes de munitions ; tout le régiment s’y met à longueur de journées. Enfin je fais sauter les quatre kilos de chiddite qui me restent et le 31 Juillet, après avoir fait mes adieux aux camarades, pris des adresses, je quitte le régiment. Le commandant et Lafille me raccompagnent jusqu’au car qui m’emmènera vers Annecy. Le dernier canonnier du groupe que je vois est Pelletier, dernière image du 108.

 

 

Terminé vers le 9 Novembre ([81])



[1] Extraits prélevés dans les cahiers de guerre 1939-1940.

Je ne rappellerai, de cette époque, que ceci : loin d’avoir été, comme l’écrivait veulement Céline, "neuf mois de belote, six semaines de course à pied", la "drôle de guerre" ne fut pas drôle bien longtemps ; elle vit 100 000 hommes de l’armée française mourir dans les combats de Mai-Juin 1940. Hommes oubliés pour la plupart — Pierre Beuchot a récemment rappelé "le temps détruit" que fut cette guerre pour Paul Nizan et bien d’autres -, hommes que mon père a croisés et côtoyés, humanité générique de ce pays à laquelle il s’est égalé.

[2] L’un des frères de mon père.

[3] Lieutenant chargé, à l’État-major, de l’observation

[4] Mon père était lieutenant, chargé de la liaison au sein de l’État-major du 2° groupe du 108° Régiment d’Artillerie Lourde de Corps d’Armée [Campagne Automobile] (R.A.L.C.A.) ou 108° RALA ; le régiment, constitué de trois groupes semblables, appartenait au VIII° corps d’armée (Général Desmazes) lequel relevait jusque fin mai 1940 de la V° Armée ; il semble qu’il ait ensuite dépendu, durant la campagne de juin 1940, de la IV° Armée. Le 2° groupe comprenait environ 500 hommes.

[5] 153° Régiment d’Infanterie

[6] Mon père stationnait alors à Siersthal en Moselle (Lorraine), aux confins de la Sarre, à proximité de la ligne Maginot.

[7] Jeudi

[8] Georges Dieringer, Chef d’escadron du 2° groupe (4°, 5° et 6° batteries)

[9] Vendredi

[10] Capitaine commandant la 6° batterie

[11] Poste de Commandement

[12] Dimanche

[13] Poste de Commandement des Transmissions

[14] 6° batterie de tir

[15] Mardi. Ce jour-là le front est rompu à la suite d’une percée allemande (entamée la veille) dans les Ardennes.

[16] Maréchal des logis

[17] Brigadier

[18] Médecin militaire : le Lieutenant Pédat

[19] Mercredi. Capitulation de l’armée hollandaise. La brèche sur la Meuse s’élargit ; les Allemands se ruent vers la Manche, la route de Paris est déjà ouverte.

[20] Vendredi

[21] Dimanche

[22] Lundi. Cambrai et Amiens sont prises. Weygand remplace Gamelin au commandement général.

[23] État-major du 2° groupe

[24] Capitaine commandant la 5° batterie

[25] Mardi. Les Allemands atteignent la Manche et encerclent définitivement les forces alliées du Nord.

[26] Mercredi

[27] Nom de code donné à un observatoire, en arrière du Simserhof.

[28] Vendredi. Après Boulogne, Arras est prise. La veille (jeudi 23 mai), Paul Nizan est tué au cours du siège de Dunkerque.

[29] Dimanche. Calais est prise. Début du rembarquement à Dunkerque.

[30] Mardi

[31] "L’armée belge vient brusquement de capituler sans conditions, en rase campagne, sur l’ordre de son roi, sans prévenir ses camarades de combat". (Paul Reynaud : discours radiodiffusé du 28 mai).

Il convient de rappeler que la capitulation (qui implique que l’armée cesse unilatéralement le combat et dépose les armes) se différencie d’un armistice (où l’État vaincu traite et passe un accord avec l’État vainqueur). L’État belge ne s’engagera dans aucune négociation avec l’État allemand, ne signera rien et, moins encore, ne collaborera. Durant toute la guerre le roi Léopold se considérera comme prisonnier, demeurant volontairement reclus dans son palais, pendant que le gouvernement belge s’installera en exil.

[32] Mercredi

[33] Vendredi. Lille est prise.

[34] Aspirant, récemment arrivé dans l’escadron

[35] Lieutenant chargé, à l’État-major, de la transmission

[36] Maréchal des logis

[37] Samedi

[38] Dimanche

[39] Lundi

[40] Mardi. Chute de Dunkerque. Fin de "la bataille du Nord".

[41] Mercredi. Seconde grande offensive allemande : la Somme est franchie. Début de "la bataille de France".

[42] Jeudi

[43] Vendredi. La ligne Weygand est enfoncée.

[44] Une des 4 divisions du "Groupement blindé Buisson" constitué le 5 juin en vue d’une contre-attaque

[45] Lieutenant chargé, à l’État-major, de l’orientation

[46] Samedi. La retraite de l’armée française commence.

[47] Colonne de ravitaillement

[48] Lieutenant chargé de l’approvisionnement

[49] Dimanche. L’offensive allemande s’étend à la Champagne.

[50] Lundi. L’Italie déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne. Le gouvernement quitte Paris (pour Tours).

[51] Le Groupement blindé de Guderian composé de 6 divisions dont 4 blindées (soit 1 000 chars environ).

[52] 3° Division cuirassée de réserve (D.C.R.) du "Groupement blindé Buisson"

[53] Fusil-Mitrailleur

[54] 108° RALA

[55] Capitaine adjoint de l’État-major

[56] Artillerie Lourde de Corps d’Armée (campagne Automobile)

[57] Sous-Officier

[58] Mercredi. Chalons-sur-Marne est prise. La Marne est franchie.

[59] Lieutenant de la 6° batterie

[60] Jeudi

[61] Vendredi. Paris est occupée. Le gouvernement s’installe à Bordeaux.

[62] Corps d’Armée

[63] Samedi

[64] Dimanche. Philippe Pétain remplace Paul Reynaud comme président du conseil. La Loire est franchie.

[65] Lundi. De Gaulle s’envole pour Londres.

[66] À cette date, selon H. Amouroux, il ne restait plus de la IV° armée que 6 000 combattants (soit peut-être 10 % de ses effectifs initiaux).

[67] "Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités". (Philippe Pétain : discours radiodiffusé du 17 juin).

Il faut rappeler que le seul État européen qui décidera de signer un armistice, passant ainsi un accord avec l’État nazi (voir note n° 31 relative au 28 mai), sera l’État français. Bien sûr cette décision, signifiée en ce jour par Pétain, ne fera pas l’unanimité des hommes d’état français même si, dans un premier temps, elle constituera en leur sein un vaste consensus.

[68] Mardi

[69] Mercredi. Lyon est occupé.

[70] Vendredi. Clermont-Ferrand est occupée.

[71] Samedi. Signature de l’armistice franco-allemande (à Rethondes).

[72] Confusion semble-t-il de date ou de jour de la semaine : le calendrier indique un samedi pour le 22 juin 1940.

[73] Dimanche

[74] Capitaine Hubert

[75] Lundi. Signature de l’armistice franco-italienne. Saint Étienne est occupé.

[76] Mardi. Entrée en vigueur des deux armistices. Cessation des hostilités.

[77] Edmond Bonnet, Commandant l’ALCA / 8 depuis le 2 mai 1940

[78] Lieutenant-colonel commandant le 108° RALA

[79] Ce jour, la Chambre des députés (celle-là même, élue en 1936, qui avait soutenu le "Front Populaire") et le Sénat, réunis en Assemblée Nationale à Vichy, votent à une écrasante majorité les pleins pouvoirs à Philippe Pétain.

[80] À l’est de Lyon

[81] 1940