CELESTIN DELIEGE

DE LA SUBSTANCE A L'APPARENCE DE L'OEUVRE MUSICALE

Essai de stylistique

 

 

Constituer une véritable stylistique musicale est un espoir qui recule au fur et à mesure de l'approche que l'on tente de s'en donner. Un tel espoir paraît aujourd'hui utopique dans un domaine soumis à une évolution aussi rapide et aussi fluctuante que celle de l'histoire occidentale de cet art. Ce n'est pourtant pas une raison pour se détourner des questions touchant au style, alors qu'il semble bien que c'est dans la mesure où une oeuvre parvient à imposer à la perception intuitive une représentation stylistique concrète que l'auditeur y découvre du sens. Les représentations stylistiques sont directement liées à celles de qualité : même s'il n'y a pas homologie, il y a une connivence entre " style " et " avoir du style ". Par un intérêt pour le style, nous réintroduisons le jugement de valeur, actuellement menacé. Le cas de la philosophie analytique est significatif à cet égard, mais il n'est qu'un aspect des données d'une situation générale de désenchantement où sont venues à manquer les convictions et les croyances. Il en va de la reconnaissance des hiérarchies de valeurs comme si elles inspiraient une peur, comme si les choix critiques n'appartenaient qu'à la conscience de celui qui a la prétention de les émettre, en dehors de tout souci d'objectivité. Dans un tel contexte social, le style devient le seul recours permettant de situer l'oeuvre avec quelque espoir en la dégageant des confusions entretenues volontairement ou non, mais sans que l'on puisse toutefois être assuré de convaincre, compte tenu de la difficulté de faire ressortir, en tant que valeurs, des traits pourtant pertinents de distinction.

Commençons par observer que si le style ne nous concerne, dans le cadre de cet essai, qu'en tant qu'il qualifie un art, l'existence d'un style n'implique pas nécessairement l'oeuvre d'art ; il lui est antérieur, et il en est peut-être l'âme, dans la mesure où ses racines sont d'essence esthétique, ce qui reste vrai même s'il est vulgaire ou crée la laideur. Une vitrine de mode peut être arrangée avec style, ce n'est pas pour autant que nous la prendrons pour une oeuvre d'art. Il y a forcément une tournure stylistique dans le texte que je suis en train d'écrire, mais j'ai par bonheur la certitude absolue qu'aucun lecteur n'y verra l'exercice d'une activité aussi ambitieuse que celle de prétendre atteindre le seuil d'une expression artistique. C'est d'ailleurs cette conception très globalisante de la notion de style qui nous permet de parler couramment, par exemple, d'un " style de vie ", ne faisant là allusion qu'à un comportement.

 

Motivation philosophique de la présente étude

 

La thèse fondamentale qui sera défendue dans ce travail est que le style de l'oeuvre est défini par une complémentarité dialectique entre sa constitution ontologique et ses modalités d'apparence. On entend par là tenter de rendre évident que les traits intrinsèques de l'être de l'oeuvre individuelle sont modifiables en fonction de son mode d'apparition sans qu'il soit pour autant porté atteinte à l'existence même de ces traits, si ce n'est toutefois par altération ou dégradation accidentelle. En leur étendue et leur totale profondeur, les traits stylistiques sont porteurs de valeur, mais souvent, l'apparence qu'ils reçoivent est l'aspect qui nous aide le plus à déceler les qualités qu'ils renferment, et cela, bien que l'apparence ne puisse qu'amplifier ou occulter des qualités que l'oeuvre détient en son être.

Cette position, qui pourrait probablement recueillir une approbation auprès de la philosophie post-hégélienne progressiste, risque d'échouer là où l'effort idéologique porte sur l'élimination de toute attitude critique subjective. Les penseurs de ces écoles ne refuseront peut-être pas le lien dialectique entre l'être et le paraître de l'oeuvre dans la constitution du style, mais ils pourraient dénier l'intention de hiérarchiser des valeurs et de rendre quelque prérogative à l'exercice du goût. Tel sera le cas de la philosophie analytique qui, sans éliminer le sujet en limite l'intervention, vraisemblablement aussi, celui de la sociologie post-weberienne.

On aurait tort de combattre de front ces opposants virtuels, dans la mesure où, si nous découvrons des hiérarchies de valeurs à travers les styles, comme eux nous recherchons des critères que nous nous efforçons de charger d'objectivité, ceux-ci demeurent en grande partie ceux que reconnaît, ou peut reconnaître, une communauté qui, si large soit-elle, ne peut néanmoins jamais prétendre à l'universalité de ses moyens d'approche. Acceptons donc de détourner momentanément en deux temps notre parcours

 

La thèse de Cassirer

 

Le premier opposant, dont je voudrais citer l'opinion, aurait pu être Ernst Cassirer, qui exclut du style la valeur de la description. Sont données à cela deux raisons : 1. Une mise sur des plans très rapprochés, de la théorie du langage en référence à Humboldt, (1942 trad. fr. 1991 : 90 sq) et de la théorie de l'art de Wölfflin (ibid. : 149-51). 2. Une entière confiance vouée à cette dernière théorie prise pour modèle ; Cassirer pensait à cette histoire de l'art sans nom qui fut le voeu utopique de Wölflin (ibid. : 148). Indépendamment du fait qu'il est difficile de vouloir adopter des critères analogues pour aborder le langage et l'art, Cassirer peut avoir raison si on se limite à la description des styles stricto sensu, mais qu'en est-il de leur perception ? L'auteur, il est vrai, reconnaît une intervention de la subjectivité dans la lecture des symboles (ibid. : 147) mais il ne lit le style que dans son fondement ontologique et ne le reconnaît, à l'instar de son modèle, que comme lien unificateur entre les oeuvres d'un même ensemble : sa conception du style est donc de type panoramique. Il assimile, par ailleurs, la valeur au progrès ; une assimilation apparemment peu satisfaisante en matière d'esthétique. La théorie du style de Cassirer reste en fin de compte une théorie classique, anté-hégélienne, mais qui a le mérite de faire ressortir la nécessaire intégration du style des oeuvres d'art au premier fondement par où le définir et l'appréhender : c'est-à-dire, aux traits de langage. Mais en limitant l'investigation à l'enquête historique et à la comparaison panoramique, la connaissance que l'on peut avoir du style ne peut en englober l'ensemble des facteurs. La vision diachronique et comparatiste de Cassirer l'enferme dans le principe d'une ontologie collective des objets de l'art. Seul un abord de type synchronique, aurait pu - en musique tout particulièrement - dépasser cette position vers l'oeuvre en en éclairant l'apparence. L'intervention des instruments d'analyse donne alors une assise plus puissante. Quel que soit le désir de fonder le jugement sur des bases aussi objectives que possible, au-delà des goûts, comme l'entend bien Cassirer (ibid. : 148), en matière de style, on rencontre infailliblement le jugement subjectif, et nous verrons qu'il peut peser lourd sur l'apparence de l'oeuvre. Le spectateur, l'auditeur, le lecteur ne sont-ils pas d'emblée entraînés vers un jugement de valeur, et ce jugement n'est-il pas ce qui motive le plus grand intérêt, l'acceptation ou le rejet ? A cette dernière remarque on pourrait objecter qu'il n'en a pas toujours été ainsi, et qu'il n'en n'est pas ainsi dans toutes les civilisations. Le fait est exact ; il doit donc être bien entendu que nous parlons ici de style en liaison à l'esthétique des beaux-arts, qui dès sa naissance, a entraîné la critique de l'opinion.

 

 

Les diversions de la philosophie analytique

 

Une étape plus déroutante, peut-être, nous est proposée par la philosophie analytique représentée pour ce qui nous concerne principalement par Nelson Goodman et Arthur Danto. Étape déroutante non parce que la philosophie analytique reprend à zéro les problèmes qu'elle aborde : là est bien son mérite. Pour le dire de la façon la plus brève, elle relit systématiquement et inlassablement l'alphabet de nos connaissances. Ainsi Goodman ne se contente-t-il pas d'une lecture stylistique ou sémantique quand, dans son ouvrage Ways of Worldmaking (1978, trad. fr. 1992 : chapitre IV), il pose la question : " Quand y a-t-il art ? " C'est alors aux éléments premiers de l'esthétique qu'il est fait retour ; mais la réponse à une question aussi fondamentale détient-elle ici plus que sa promesse ?

Pour Goodman, l'oeuvre d'art est un échantillon de certaines propriétés, donc une exemplification. Il ne peut exister d'oeuvre d'art qui ne soit représentation, dénotation, de quelque chose, au moins d'elle-même. Elle est symbole des propriétés qu'elle exemplifie. Goodman tente par cette vérité d'aplanir la querelle entre formalistes et romantiques, les premiers mettant l'accent sur les traits intrinsèques de l'oeuvre, les seconds sur les données extrinsèques. Sans chercher à amoindrir le mérite de Goodman, qui travaille en connaissance du milieu qu'il doit convaincre, il semble bien que même si sa méthode est neuve, ses prémisses le soient moins, et qu'il serait difficile de rencontrer à leur propos une opposition sérieuse : même Hanslick, dans son absolutisme rigoureux ou, à l'opposé, Schopenhauer n'auraient fait de difficulté à les admettre. Ce qui est séduisant et spécifique chez Goodman, c'est la conduite du raisonnement, mais c'est bien elle aussi, si nous n'y prenons garde, qui pourrait aisément nous piéger. Où la controverse nous sollicite - et nous la retrouverons sous une forme voisine avec Danto -, c'est quand insidieusement, Goodman remplace la question du titre de son chapitre, " Quand y a-t-il art ? ", par " quand un objet fonctionne-t-il comme oeuvre d'art ? " (1992. : 90). Comment accepter que les deux questions soient équivalentes ? Une pierre ramassée sur la route, nous dit en substance Goodman, n'est rien, mais transportée au musée elle exemplifie ses qualités et donc fonctionne comme oeuvre d'art. Arthur Danto nous en dira autant de l'urinoir de Duchamp appelé Fontaine lors de son entrée au musée (Danto, 1981 trad. fr. 1989). La fonction crée l'organe ! Mais créerait-elle le style ? Ce serait donc la fonction qui déciderait. Inversant la question fonctionnelle, Goodman donne entre autres exemples le suivant : un Rembrandt au musée est une oeuvre d'art ; si je l'utilise pour boucher un trou de fenêtre laissé par une vitre cassée, il ne fonctionnera plus comme telle. On ne refusera pas d'admettre que le tableau de Rembrandt, aussi curieusement traité, a été dégradé dans sa fonction ; et qu'en dire lorsqu'il séjourne dans le coffre de la voiture du cambrioleur ? Goodman nous avait proposé une fonction symbolique de l'oeuvre d'art, celle-ci semblait bien liée à son être, donc parfaitement acceptable ; mais quand il ne s'agit plus que de la fonction due à un transfert de l'objet, que d'une affaire de circonstance, nous ne pouvons plus découvrir l'équation entre l'existence de l'oeuvre et cette relativisation subie par sa position. Et il en sera de même de la pierre devenue précieuse ou de l'urinoir de Duchamp devenu Fontaine. On tentera peut-être d'objecter que ces observations de Goodman ou de Danto corroborent notre souhait de lire le style à travers une complémentarité entre l'être de l'oeuvre et son apparence ; nos auteurs auraient plutôt travaillés sur le paraître de l'objet en l'éclairant par la destination fonctionnelle. Il n'en est rien. Pour modifier l'apparence de l'objet il faut agir sur ses données internes, soit de l'intérieur, soit de l'extérieur ; mais dans le cas présent, rien de semblable n'a eu lieu : les objets n'ont en aucune façon été touchés, simplement ils ont été déplacés. Nous ne sommes toutefois pas au bout de nos peines : la question posée n'a jamais été : Qu'est-ce que l'art ? Cette question, Goodman l'écarte comme inopportune ; elle est bien : " Quand y a-t-il art ? " Une fois la question ainsi posée, étions-nous en droit de nous attendre à autre chose qu'à une réponse circonstancielle ? Bien entendu, la question comporte une ellipse qui la rend ambiguë " Quand y a-t-il art " peut vouloir dire " à partir de quel seuil esthétique y a-t-il art " ce qu'effectivement nous aurions aimé savoir, ou à partir de quel moment et dans quelle circonstance y a-t-il art " question infiniment moins intéressante. Le fait de nous avoir préalablement proposé des traits aussi essentiels que l'ensemble des traits intrinsèques et extrinsèques de l'oeuvre comme domaine de représentation symbolique devait-il nous conduire à une question aussi banale que l'aspect fonctionnel et à une réponse, en outre, insatisfaisante : en effet, quand je transfère l'oeuvre du musée vers ma fenêtre, je touche certes à son statut mais je ne l'altère pas nécessairement. Si un décorateur sonore de télévision se prend à synchroniser une fugue de Bach à un match de catch parce qu'il estime que le jeu des voix symbolise bien le combat, il aura certes commis un geste absurde, mais dirai-je pour autant que la fugue en question est sortie du domaine de l'art pendant un quart d'heure ? C'est peut-être là un fait que Goodman serait prêt à reconnaître ; il ne se présente pas comme un orthodoxe fanatique de sa théorie : " Peut-être est-ce exagérer le fait ou parler de façon elliptique que de dire qu'un objet est de l'art quand et seulement quand il fonctionne symboliquement. Le tableau de Rembrandt demeure une oeuvre d'art, comme il demeure un tableau, alors même qu'il fonctionne comme abri ; et la pierre de la route ne peut pas au sens strict devenir de l'art en fonctionnant comme art. De façon similaire, une chaise reste une chaise même si on ne s'assied jamais dessus, et une boîte d'emballage reste une boîte d'emballage même si on ne l'utilise jamais que pour s'asseoir dessus. " (ibid. : 93). On ne pourrait mieux dire ! Mais alors pourquoi nous avoir égaré si loin ? Goodman n'est concerné que par l'utilisation de l'art, non par ce qu'il est. Mais même en acceptant sa démarche, pouvons-nous être certain que la fonction de l'art ait la puissance qu'il lui attribue, au point de le transformer en un tel caméléon ? La fonction effective de l'oeuvre n'a-t-elle pas été confondue dans ce raisonnement avec l'illusion qu'elle peut provoquer en changeant de lieu ou d'usage ? Que les transformations que l'oeuvre subit à travers son statut social, puisse avoir des retombées sur sa réception et sa perception, donc au plan de l'esthésique, puisse l'affecter dans son existence, on n'en peut douter ; mais est-il possible qu'elle soit atteinte pour autant dans son statut esthétique ?

Revenons à l'exemple de l'urinoir de Duchamp qui sert de test d'évaluation à Danto et demandons-nous si Fontaine, son sujet symbolique a jamais été une oeuvre d'art. Pour Danto cela ne semble faire aucun doute : l'objet banal a été transformé par le seul fait de l'exposer. Fonctionnaliste et heureusement non moins humoriste que Goodman, il écrit : "en tant qu'objet introduit dans le monde de l'art, les propriétés de Fontaine sont celles que cet objet partage avec la plupart des objets de porcelaine industrielle, alors qu'en tant qu'oeuvre d'art Fontaine partage certaines de ses propriétés avec le Tombeau de Jules II, de Michel-Ange et le Persée de Cellini. Si Fontaine était une oeuvre d'art uniquement grâce aux propriétés qu'elle partage avec les urinoirs du tout-venant, on pourrait se demander pour quelle raison elle a droit à un statut artistique qui est refusé à ses semblables ; " (Danto, ibid. : 160). Fort bien ! La problématique se transforme quelque peu. La question pourrait bien être cette fois : " Pour qui y a-t-il art ? " et de fait, il est à supputer que la question est bien toujours celle-là quand se pose de manière circonstancielle la question du point de vue fonctionnel. Dans ce cas devant quoi nous trouvons-nous ? Pour le producteur Marcel Duchamp, il n'y avait guère d'ambiguïté : " Je leur ai jeté l'urinoir à la figure et voilà qu'ils viennent le voir pour sa beauté " (in Wheeler, 1991, trad. fr. 1992 : 244). De ce point de vue, il n'y a donc pas art. Quant aux " admirateurs ", il faudrait savoir combien sont venus pour contempler Fontaine, combien ont eu devant l'oeuvre plus qu'une attitude de surprise et combien sont venus par simple curiosité. Quant aux admirateurs authentiques, ils se sont apparemment laissé snober par la ruse de l'auteur. Resterait à savoir l'opinion du conservateur du musée ? Geste commandé par la foi ? par la complicité ? par l'opportunité ? peu importe : il fut, soit du côté de Duchamp, soit du public forcément berné ou de l'intérêt financier et médiatique de son entreprise. Conclusion : Fontaine ne présente aucun caractère requis par l'oeuvre d'art, l'objet ne répond pas aux conditions minimales exigées.

Mais quels peuvent être ces prérequis ? Je n'ai pas davantage envie que Nelson Goodman de répondre à la question Qu'est-ce que l'art ? mais il doit être moins difficile d'indiquer à partir de quoi l'on identifie un objet, au sens large, comme étant une oeuvre d'art ; et ma réponse sera très directe : à partir de ses traits stylistiques. Rainer Rochlitz, tout en reconnaissant l'intérêt de l'oeuvre de Goodman, doute cependant de cette neutralité d'une description qui se refuse à toute évaluation. Il écrit en conclusion d'un compte rendu de ses livres : " Goodman ignore la différence entre l'oeuvre d'art et le document. Il ignore le caractère normatif de la prétention inhérente à toute oeuvre, à être reconnue comme telle, comme le tour de force qu'elle est. Ce caractère n'est pas descriptible, il ne peut être connu qu'à travers un contrat expérimental avec l'oeuvre. " (Rochlitz, 1991 : 753). On pourrait toutefois objecter que Goodman n'élude pas le style ; il en traite même avant d'aborder l'art. Nous ne referons pas, sur ce point, un autre détour par Goodman ; les versions du style qu'il propose sont à nouveau des échantillons exemplifiants et dénotatifs. Tentons de franchir cette borne, sans la méconnaître, tout en nous heurtant cependant à d'autres, mais plus traditionnelles.

 

Les prospections classiques

 

Avec la meilleure foi du monde, apparemment du moins, beaucoup de travaux analytiques sur l'art se facilitent grandement la tâche en ne l'abordant que par la peinture, le roman ou l'opéra. Cela permet d'éviter les catégories les plus abstraites et cela assure une adhésion confortable au sujet de l'oeuvre. La tâche est beaucoup moins rentable quand on choisit le champ de la musique " absolue " ou celui de l'architecture. Moins rentable parce que les possibilités de jeu sont plus réduites, mais ce qui est perdu en efficacité immédiate peut être, croyons-nous, regagné en pénétration des problèmes. Cette remarque qui mériterait quelque développement que je dois bien reporter à une date ultérieure, rappelle opportunément, après les parcours préliminaires que nous venons de suivre, que c'est bien le style des oeuvres musicales qui nous concerne en tout premier lieu. Mais comment parler du style en se privant des apports philosophiques qui en ont élaboré la théorie ? Tant du côté de la philosophie que de celui de la musicologie, deux sources se présentent : primo, les ouvrages historiques, secundo, les ouvrages de rhétorique. Les meilleures rencontres que nous puissions faire seront en conséquence les auteurs qui cumulent les deux préoccupations : fait rare mais non nul. A tout prendre, je suis plus intéressé par un bon ouvrage de rhétorique que par un ouvrage d'histoire parce que la rhétorique à chaque époque me parle de l'état de la langue, en l'opposant, certes souvent, aux états qui ont précédés, en opérant des classifications, mais en se situant dans l'actualité de son sujet. Un bon ouvrage qui me parle du style baroque, cas de Bukofzer, ou du style classique, cas de Rosen, me concerne cependant moins qu'un ouvrage comme Style et idées de Schoenberg parce que ces grands livres de référence sont silencieux sur les problèmes que je vis aujourd'hui alors que le livre de Schoenberg, que je vais sans doute davantage critiquer, me permet d'exercer mon jugement sur des matières qui me sont plus proches. Il me semble qu'il dut en aller de même pour le lecteur de Monteverdi ou de Mattheson. Cette observation ne vise, on l'aura compris, en aucune façon, à discréditer personne ; j'ai choisi à dessein pour la formuler des ouvrages de haut niveau échappant à toute polémique. Leur " défaut ", du point de vue défendu ici, serait leur achèvement ; ils ne m'offrent plus d'espace critique et le champ historique qu'ils couvrent se ferme sur lui-même.

Si la Rhétorique et la Poétique d'Aristote restent bien vivantes, il est difficile d'en dire autant des traités musicaux anciens en ce qui concerne la stylistique. Ces vieux traités musicaux ne permettent pas d'aller bien loin dans la réflexion, en ce sens qu'ils parlent du style (ou des styles) comme si l'on savait parfaitement ce qu'il faut entendre par là. Autrement dit, ils ont du style une notion implicite qui ne peut satisfaire même si on tente de l'actualiser. Au XVIIIe siècle, quand l'esthétique est devenue, au sens plein, une discipline de la philosophie, les acceptions de la notion de style se multiplièrent. Déjà Rousseau en voyait autant l'aspect collectif et panoramique quand il la référait à la nationalité, à l'école ou à l'époque, que l'aspect individuel. Le célèbre adage de Buffon était cependant plus exigeant : " Le style est l'homme même ", personnalise davantage ce dont il est question et nous autorise à restreindre encore la pertinence de la maxime en affirmant : le style est l'oeuvre même.

Dans une précédente étude sur le style (Deliège, 1984 : Appendice), j'insistai beaucoup sur la nécessité de franchir ce pas nous conduisant du style panoramique, portant sur les éléments communs à des groupes d'oeuvres, à l'appréhension des traits stylistiques propres aux oeuvres particulières. Ce passage de la stylistique classique, tendant à mettre l'accent sur les éléments communs, à une attention qui les englobe tout en insistant sur les caractères idiosyncrasiques semble aujourd'hui irréversible : le poids mis sur la notion d'échantillon exemplifiant, par la philosophie analytique, a au moins permis cet acquis. Danto lui-même réanime l'adage de Buffon, notant à ce propos : " Mais ce faisant, nous avons élargi le concept et transformé le monde en métonymie. " (Danto, ibid. : 307). Métonymie effectivement, mais créant peut-être un nouveau défi, car enfin, quand nous parlons du style ecclésiastique, du style profane, du style rigoureux, du style libre, du style dramatique, du style fugué, du style rhapsodique, du style héroïque, du style ironique etc., il est immédiatement évident que les divers adjectifs se rapportant au même substantif en modifient la signification, nous empêchant de confondre les catégories se substituant les unes aux autres. Après avoir voulu décrire le style de chaque oeuvre en particulier, nous voici contraints de prendre un nouveau recul en nous demandant tout simplement de quoi nous parlons à chaque approche. Quand nous disons " style fugué " il est évident que nous disons primordialement quelque chose sur l'écriture et la texture ; quand nous disons " style rhapsodique ", c'est sur la forme que porte notre jugement ; " style dramatique ", " style symphonique ", sont des expressions qui portent sur des genres etc. Parler du style ce ne serait donc jamais, en fin de compte, que parler d'une chose conséquente, d'une chose déterminée, conditionnée par une antériorité, d'une catégorie que l'analyse n'atteint pas en première instance. Mais ce que l'analyse ne peut immédiatement connaître, est peut-être ce que l'auditeur rencontre le plus immédiatement : c'est le style de l'oeuvre qu'il écoute qui éveille son intérêt. C'est peut-être pour cette raison que le journalisme musical atteint immédiatement des éléments du style sans jamais être passé par une quelconque analyse préalable ni avoir la moindre idée de ce que pourrait être une stylistique si elle venait à être constituée.

Cette forme immédiate de perception, qui se fixe d'emblée sur le style, est certainement plus vraie pour l'oeuvre d'art, et singulièrement pour l'oeuvre musicale, que la prétendue attitude de décodage ou de recodage généralement postulée par le structuralisme fatalement obligé de supposer une perception idéale pour fonder ses théories et concrétiser ses résultats. Disant cela, je ne souhaite pas rallier sans nuance le point de vue de Pierre Bourdieu se détournant de ce qu'il nomme " l'analyse d'essence " (Bourdieu, 1992). Si cette dernière ne concerne effectivement guère la perception, elle est un moment important de la connaissance des oeuvres et surtout des grammaires qui les fondent. Il me paraît difficile de caractériser au mieux le style d'une oeuvre en se limitant à une perception globale, même dans le cas où des traits stylistiques sont identifiés spontanément par un connaisseur. L'analyse structurale des oeuvres a beaucoup clarifié : comment définir les styles si on ne les déduit des morphologies et de la syntaxe qui les déterminent directement. Dans le programme pro-goldmannien d'emboîtements progressifs de résultats que j'ai proposé antérieurement (Deliège, 1986 : 45-47), c'est toujours bien l'histoire qui l'emporte, mais le processus connaît des temps d'arrêt réservés à l'analyse synchronique. Pour ce qui relève plus particulièrement du style, la connaissance qui en est acquise par l'habitus de celui qui perçoit - notion sur laquelle Bourdieu insiste avec une pertinence que l'on ne lui disputera pas - peut être affermie par une étape strictement analytique qui apporte de nouvelles informations et qui est un moment intermédiaire dans le processus de reconstitution de l'objet mis à l'étude. Bourdieu invoque le champ comprenant toutes les parties prenantes allant du lieu de création à celui des pouvoirs et des institutions ; mais deux réserves pourraient ici entrer en ligne de compte : premièrement, chaque discipline n'est pas pratiquée par des gens de même métier, certains chercheurs peuvent avoir des missions particulières d'informateurs scientifiques ; deuxièmement, est-ce sortir du champ que d'y accomplir un travail d'analyste d'essence ? Au moment où, pour nous en tenir au seul cas de la musique, des Sociétés d'analyse musicale existent dans plusieurs pays d'Europe, publient des revues régulières et tiennent des congrès périodiques ; où des cours d'analyse musicale se multiplient dans les divers réseaux pédagogiques, y compris ceux de recyclage, peut-on proclamer qu'un sous-champ (l'expression est de Bourdieu) ne se soit pas constitué ? Phénomène technocratique, dira-t-on peut-être ; et là, en effet, est bien l'ambiguïté. Devons-nous pour autant incendier les laboratoires ? Il faudra aussitôt les reconstruire sur leur ancien site. Cela dit, que Bourdieu ait pleinement raison quand il réhabilite la nécessité d'historiciser le travail, paraît incontestable. L'étude pure du phénomène technique qu'il qualifie de formalisme cédant en cela à une quasi-convention trop péjorative, ne peut être qu'un travail préliminaire mais combien éclairant. Imaginons un instant ce que serait la connaissance de la rhétorique tonale si l'apport de Riemann, de Schenker et de Schoenberg avait été contrarié ou neutralisé. Ces travaux, il est vrai, ne peuvent être qualifiés d'anhistoriques, mais en tout état de cause ils sont prioritairement théoriques.

L'intuition a souvent été féconde en matière de style, domaine où le consommateur a pu parfois s'exprimer avec compétence en un vocabulaire approprié. Qu'il suffise d'évoquer l'amateur de mobilier ou le touriste intelligent. Il serait néanmoins imprudent de spéculer sur l'intuition et sur sa faculté de discrimination si l'on souhaite dépasser un tant soit peu les données implicites qui paraissent donner à la notion de style tant de définitions possibles. La philosophie de l'art a parfois été plus loin quand elle s'est approchée de cette notion peut-être par nécessité d'apporter un point de vue général sur le problème. Mes recherches, orientées de ce côté, m'ont conduit à m'arrêter à l'ouvrage de Charles Batteux : Les Beaux-arts réduits à un même principe, édité à Paris en 1746, ouvrage par ailleurs peut-être secondaire et qui fut fortement décrié par Herder au moment de sa parution en allemand, édité cependant par Johann Adolph Schlegel. L'ouvrage de Batteux est littéralement hanté par l'idée du temps commandant impérativement aux arts " d'imiter la belle nature " ce qui fit dire à Herder qu'il avait été construit sur une seule phrase. (cf. Herder, in Batteux, éd. J.M. Mantion, 1989 : 290-302). Voilà bien une vision injuste. L'ouvrage est en effet un remarquable traité d'esthétique, même s'il est inspiré par l'idéologie dominante de son temps. Et en tout cas son plus grand mérite, de mon point de vue, est dans sa manière d'aborder le style. Il en définit les catégories comme suit : la pensée, les mots, les tours, les nombres et l'harmonie. Je crois pouvoir traduire ces concepts ainsi : la pensée = les intentions et les stratégies ; les mots = les morphologies ; les tours = la syntaxe ; les nombres = les proportions, les rythmes ; l'harmonie = la cohérence. En lisant les catégories du style de cette manière, nous recevons confirmation d'une observation première, formulée il y a un instant, selon laquelle le style n'est jamais une donnée première de l'analyse même si elle l'est, le plus souvent, de la perception. Il s'agit d'un résultat lointain qui n'est jamais atteint qu'après inventaire d'un ensemble de déterminations. Cela n'implique pas, pour autant, que le style ne soit à son tour déterminant : on pensera éventuellement au contenu sémantique.

Défenseur acharné de la mimesis, Batteux ne pouvait, en son temps, être qu'un philosophe d'obédience aristotélicienne. Il cite un extrait significatif de la Poétique qu'il traduit et que je reproduirai ici, mais que pour une question d'adaptation à l'usage actuel du vocabulaire, je préfère donner dans la traduction de Dupont-Roc & Lallot.

 

Le contenu de ce texte est transposable aux arts du temps, autant à la musique qu'aux genres littéraires. Des deux syllogismes qui sous-tendent les propositions contenues dans 58a 18-30, se dégagent deux enseignements : 1. Maintenir la norme sans banalité ; 2. Éviter le charabia ou le barbarisme provoqué par un excès d'écarts d'où, le compromis classique sur le style à la fois distingué et mesuré. Voilà bien exprimé, il y a plus de deux millénaires, ce que la rhétorique moderne a cru parfois découvrir : un style se définit par une situation historiquement donnée du vocabulaire et de la syntaxe attestant simultanément la norme et l'écart. Pour ce qui concerne la musique si la norme se définit assez aisément dans et par la description du système, dans la mesure où il se livre avec suffisamment de clarté, l'écart est le plus souvent le facteur qui le viole, mais aussi celui qui a été le plus nécessaire et le plus vital pour l'évolution de l'ensemble des structures à tous les niveaux. Nous touchons là l'aspect strictement qualitatif attaché à la notion de style : il demeure aussi vrai aujourd'hui qu'à l'époque classique grecque que le style ne peut être perçu comme qualité esthétique que s'il est commandé par cet équilibre requis du probable et de l'improbable. C'est en effet en termes de probabilités que s'exprime le style d'une oeuvre, comme le constatait justement Leonard Meyer il y aura bientôt quarante ans (Meyer, 1956 : 45-52). Un discours totalement probable élimine toute attente ; un discours fermé à toute probabilité élimine tout repère. Ceci permet une déduction qui implique que le jugement d'opinion n'est pas tellement erroné sur l'oeuvre d'art : l'auditeur désire légitimement que le style qu'il perçoit le sollicite. Si le discours lui apparaît strictement probable, ne déjoue aucune de ses attentes, la lassitude est prompte à l'accabler ; si à l'inverse, la succession des événements est totalement imprévisible, tout auditeur refusera généralement son adhésion. Lassitude dans le cas d'un excès de norme, déroute dans celui d'un excès d'écarts : si l'on admet cette sorte de prévision statistique de la position de l'auditeur on constate qu'elle joue en faveur du conservatisme ; la norme offre plus de confort que l'écart, au moins son effet n'est que de saturation, elle ne contrarie pas la compréhension du processus. La norme bénéficie d'une reconnaissance immédiate et est naïvement qualifiée de " naturelle " tandis que ce qui s'en écarte est l'inconnu, le Satan. Par bonheur, la norme est néanmoins progressivement dégradée par l'usage et l'usure, elle appelle l'écart, lequel se résorbe progressivement en elle au cours de l'évolution historique, d'où les transformations des styles et plus généralement, socialement parlant, tout comme en art, les transformations du style de vie. On mesure aussi par là le danger des ruptures, elles cassent la norme sans lui permettre de se transformer selon une progressivité supportable.

Ce raisonnement apparemment acceptable, n'aplanit toutefois pas les difficultés que pourrait souhaiter résoudre le créateur désireux d'être compris si son intention n'est pas subversive. La mouvance de la frontière entre le probable et l'improbable la rend insaisissable. Où finit le banal et où commence le charabia ? L'expérience nous a appris qu'il n'y a aucune réponse claire à la question ; la capacité d'assimilation de l'être humain étant elle-même malaisément évaluable et soumise aux variations de toutes les données culturelles. La définition de la musique totalement relativiste de Luciano Berio se justifie : Est musique ce que l'auditeur identifie comme telle. (Berio, 1981, trad. fr. 1983 : 21, traduction modifiée). Les critères de continuité et de discontinuité semblent ici avoir joué un rôle considérable. La lecture de la critique musicale et les tests que l'on peut pratiquer sur soi-même paraissent bien indiquer que ce qui n'est pas dominé paraît discontinu et que l'effet de discontinuité disparaît au fur et à mesure de l'assimilation. On en conclura logiquement qu'il existe des traits stylistiques qui émergent au-delà de leur essence, qui peuvent même demeurer longtemps cachés, enfermés dans un espace de potentialités latentes et qui peuvent multiplier les modalités d'apparence de l'oeuvre.

 

Théorie de l'apparence applicable au style des oeuvres d'art

 

a) selon Schiller

 

La théorie de l'apparence traverse toute la philosophie classique allemande de Kant à Adorno en affirmant un intérêt maximum chez Hegel. Mais une première source de cette théorie féconde déjà notre sujet chez Aristote (Rhétorique, livre III chapitre I § II) au moment où il s'apprête à traiter de l'énonciation oratoire, soit dans notre vue présente l'équivalent de l'exécution de l'énoncé musical. Dans le cadre de l'obédience kantienne nous en trouvons un commentaire explicite dans la Lettre XXVI du recueil des Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (Briefe über Aesthetische Erziehung des Menschen) de Schiller. C'est évidemment dans le cadre du beau naturel, comme chez son maître à penser, que naît et se développe pour Schiller le sens esthétique. La disposition esthétique est un cadeau de la nature mais qui socialise l'homme quand il vit dans des conditions privilégiées de grande paix. Schiller ne le dit pas, mais il donne le sentiment que l'âme humaine est conduite vers la beauté par un état de grâce. L'histoire nous apprend que dès que le sauvage a dépassé l'état d'animalité, il le signale par " la joie qu'il prend à l'apparence (Schein), le goût de la toilette et du jeu. " (traduction légèrement modifiée basée sur l'édition bilingue de R. Leroux, 1992 : 338-39). La " pire stupidité " et " la plus haute intelligence " ont en commun de viser la réalité et d'être indifférentes à l'apparence. Entre ces situations extrêmes il existe un sentiment d'" indifférence à la réalité " et un " intérêt pris à l'apparence ", c'est un " élargissement de l'humanité " et " un pas décisif accompli vers la culture. " (ibid.). Une telle déclaration était lourde de conséquences en 1795 : elle subordonnait la science à l'art, ce qui demeurera un trait permanent de l'idéalisme, mais elle concrétisait un progrès appréciable de la philosophie de l'art. Elle introduisait une notion nouvelle qui ne nous intéresse ici qu'indirectement : celle de contenu de vérité de l'oeuvre, notion métaphysique certes, difficile à cerner, mais qui prendra beaucoup de relief chez Hegel et plus encore chez Adorno. Schiller délimite clairement la part ontique de l'oeuvre de sa part phénoménale et c'est à partir de là que nous apercevons le rôle puissant de l'intervention de l'apparence dans les traits stylistiques. Il écrit : " La réalité des choses est leur oeuvre [] ; l'apparence des choses est l'oeuvre des hommes, et une âme qui se délecte à l'apparence prend plaisir non plus à ce qu'elle reçoit mais à ce qu'elle fait " (ibid.). Certes, chacun sait qu'en art les choses sont aussi d'oeuvre humaine ; ne voyons dans ce raisonnement qu'un trait de plus du naturalisme de l'auteur et de son époque. Mais à partir de là, nous saisissons déjà le rôle qui peut être exercé par nous dans un style existant, tel qu'il nous est donné dans la structure de l'oeuvre mais que notre imagination pourra achever. C'est la même tendance naturaliste qui amène Schiller à lier l'apparence esthétique à l'essence de l'art, un point qui sera au moins atténué ultérieurement. Le paraître est sans doute un trait d'essence de l'art, mais les modalités d'apparition peuvent se multiplier et se diversifier en fonction d'interprétations singulières. Par l'intermédiaire des sens - de l'oeil et de l'oreille principalement - l'apparence concerne directement la perception. C'est cette fonction sensorielle qui renforce l'hypothèse naturaliste. Distinguer l'apparence de la réalité et s'attacher à l'apparence développe le sens esthétique. Où l'apparence concerne aussi la création, c'est dans l'attitude de jeu et l'exercice de mise en forme qu'elle permet. ; deux traits qui nous placent au coeur de style, non pas donné, mais à produire. En séparant l'apparence de la réalité le créateur renforce l'autonomie de l'art ; elle s'adresse directement à la sensibilité. Cette autonomie se réalise dans notre jugement esthétique au point de ne chercher l'apparence dans la réalité qu'en détachant notre jugement de cette réalité. Une jolie femme nous plaira plus qu'une autre vue en peinture parce que nous sommes emportés par l'objet réel mais si notre culture est assez grande pour ne nous attacher qu'à l'apparence en omettant ce surplus de plaisir, notre jugement est alors esthétique. Voilà un raisonnement qui risque aujourd'hui de ne prêter qu'à sourire ; il a au moins le mérite d'exprimer contre le matérialisme, qu'implicitement il rejette, la puissance d'affirmation de l'esthétique idéaliste dans toute son ampleur. Son éthique peut sans peine nous paraître douteuse, mais pour Schiller, au contraire, ce qui est hypocrite c'est de feindre de simuler l'apparence si on ne s'attache qu'à la réalité. Ce sont peut-être des valeurs qui nous sont devenues très étrangères qu'un tel ascétisme défend : la spiritualité, l'honneur, le rêve d'immortalité. Cependant par rapport à la vérité, il existe un souci de conciliation entre apparence et réalité. Schiller en donne pour exemple le signe de politesse que l'un prendra pour argent comptant et manquera ainsi l'apparence, et que l'autre accentuera, n'y montrant que l'apparence et manquant ainsi la réalité.

Du point de vue de notre sujet en quoi cette forme de l'idéalisme peut-elle nous retenir encore aujourd'hui ? Certes elle ne peut plus prétendre nous séduire ; mais dans la mesure où l'auteur limite la théorie de l'apparence à l'apparence esthétique, nous percevons combien une telle idée a pu peser sur l'évolution stylistique, particulièrement marquée à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, tout en en traduisant l'ampleur. Nous mesurons aussi jusqu'à quel point l'autonomie de l'art était en vue et jusqu'où le romantisme était préparé par cet ami intime de Goethe qui, lui, pourtant le tenait en méfiance. Peut-être le disciple de Kant se montre-t-il ici plus emphatique que le maître ? Quelle que soit la distance que nous nous sentons obligés de prendre avec le contenu éthique de la théorie, nous percevons jusqu'à quel point elle fut une stylistique ; elle traduit on ne peut plus concrètement le poids des écarts par rapport aux normes, lesquelles s'étaient fortement standardisées au cours du demi-siècle qui venait de s'écouler ; et c'est bien l'apparence qui était le plus en jeu dans ces séries de transformations qui ne vont plus cesser de s'accomplir alors que les formes resteront pratiquement ce qu'elles étaient jusqu'au seuil du symbolisme et de l'impressionnisme pour la poésie et la peinture, et jusqu'à l'avènement de Debussy pour la musique.

 

b) selon Hegel

 

C'est dans l'Esthétique de Hegel que la théorie de l'apparence a trouvé son maximum d'intérêt et de possibilités d'application à une théorie du style. Même si Hegel hésite quand il aborde la musique à la traiter immédiatement en termes de contenu, son esthétique générale donne au contenu la priorité. On voudra de nos jours reprocher à cette philosophie de l'art de conserver la distinction classique entre forme et contenu : c'est oublier que la philosophie hégélienne est pensée et appliquée conformément aux options de son époque. Or cette époque ne mentait pas quand elle faisait cette distinction, en ceci, que sa conception de la forme était loin d'être celle qui est aujourd'hui la nôtre. Alors que nous pensons la forme depuis le schéma le plus global jusqu'au dernier raffinement du détail d'écriture, elle ne la concevait que comme cadre, la référant à l'extériorité. Tout le travail qu'elle plaçait sur l'expressivité et qui aujourd'hui encore nous paraît lié à la forme, elle l'éprouvait en terme de contenu. Forme et contenu sont des catégories qu'il convient de pouvoir relativiser en fonction du regard de l'histoire, ce que notre époque semble souvent refuser. Après trente ans de structuralisme, moins mort que ne le prétend le diagnostic des gens pressés - il suffit pour s'en convaincre de réfléchir à la place encore tenue par les sémiologies -, il nous est extrêmement difficile de penser la forme et le contenu des oeuvres autrement qu'indiscernables comme les déclara Lévi-Strauss ; et il est vraisemblable que notre conception soit plus vraie que la dissociation qu'a connu l'idéalisme, surtout dans sa liaison au matérialisme au cours du XIXe siècle. Cela ne peut être une raison pour observer l'ensemble de l'histoire des arts en la soumettant à nos acquis, si fondés soient-ils. Par la dissociation qu'il maintient et que peut-être même il renforce, Hegel fait éclater au grand jour ce qui dans l'oeuvre relève de son être et ce qui jaillit de ses potentialités et en multiplie les modalités existentielles. Un des principes fondamentaux de l'idéalisme hégélien est la liaison entre l'extérieur et l'intérieur de l'objet. L'apparence est bien sûr l'élément extérieur, elle est une donnée de la forme qui nous permet de découvrir le contenu qui enferme en lui la signification. " La signification interne à l'oeuvre en anime l'apparence - écrit Hegel - laquelle est extérieure. " L'apparence est par lui comparée au symbole, à la moralité de la fable ou aux traits du visage. (Esthétique, Introduction, Chapitre II section II § II). Par ce mode d'" apparition ", aurait pu dire Adorno, le contenu qui est intérieur à l'oeuvre pénètre à l'extérieur.

Comment comprendre cette proposition ? En la traduisant dans notre manière actuelle de penser qui donc, dans le principe, ne sépare pas contenu et forme - il serait d'ailleurs abusif de prétendre que Hegel séparait contenu et forme même s'il les distinguait -, ce qui devrait nous intéresser, c'est que l'apparence, telle qu'elle est entendue dans cette esthétique, nous aide à comprendre comment l'oeuvre peut être transformée dans son être par son mode d'apparition. De ce point de vue, ce qui peut le plus, dans la pratique, transformer l'oeuvre de l'extérieur c'est l'interprétation qui peut en être donnée, soit dans le sens de l'exécution pour les arts du temps comme la musique, la poésie ou le théâtre, tous basés sur une transcription symbolique, soit dans le sens herméneutique. Alors que les traits essentiels du style d'une oeuvre sont donnés dans sa composition, ce sont les exécutions diverses que peut recevoir cette oeuvre qui ont le plus d'incidence sur la mobilité et la polyvalence de ses traits, lesquels, dans leur mode d'apparition, peuvent être transformés considérablement. Un exemple saisissant, dans ces récentes années, à été la transformation profonde qu'a subie la musique baroque et singulièrement l'oeuvre de Bach. Mais les arts appelant une exécution pour exister concrètement ne sont pas les seuls concernés, qu'il suffise d'évoquer la restauration des tableaux, qu'elle soit heureuse ou douteuse, la conséquence sera d'un ordre que l'on ne pourra négliger. L'interprétation herméneutique, ou dirigée en ce sens, ne peut évidemment avoir un effet comparable : elle n'atteint pas l'oeuvre dans sa substance, elle ne l'atteint que dans l'imaginaire de celui qui la donne ou l'accepte. Néanmoins le nouvel éclairage que peut donner l'explication de texte fait jouer l'apparence. La philosophie est probablement la discipline qui a été la plus soumise à ce type d'expérience, et rien ne dit qu'à travers l'amélioration des traductions, des textes n'aient bénéficié d'une transformation de style. Mais c'est là une question délicate qui est ici soulevée, en ce sens que le style de l'oeuvre originale reste indépendant de sa (ou de ses) traduction(s). Ce raisonnement tend en outre à présenter le texte philosophique comme une oeuvre d'art, un aspect sur lequel même Nietzsche, à qui cette idée ne déplaît pas, semble hésiter. Mais répétons-le, par prudence, l'apparence reçoit en ces cas une autre fonction, elle ne peut modifier les traits stylistiques de l'oeuvre en eux-mêmes, elle peut en donner une représentation différente, une nouvelle aura.

 

Essai de synthèse entre la théorie ontologique et la théorie de l'apparence

 

A) L'intention

 

Essayons maintenant de reprendre les catégories du style selon Batteux en les éclairant diversement. Il citait donc d'abord la pensée. Or tout ce qui vient d'être discuté donne un plein sens à cette catégorie, laquelle me conduit à prolonger la discussion en direction de ce qu'elle peut impliquer aujourd'hui. Mais on pourrait être surpris que nous l'ayions d'emblée mis en une sorte d'équation avec l'intention. Pourquoi, alors que certainement toute pensée n'est pas intentionnelle ? Certes, mais toute pensée de créateur trouve sa raison d'être dès le départ de la composition de l'oeuvre dans une suite d'intentions : choix d'un sujet, d'un genre, d'une esthétique devant s'incarner dans une poétique déterminée, souci d'atteindre une audience et, dans le cas des arts postulant une réalisation externe, intention d'obtenir une exécution dans les conditions les plus acceptables. Une fois encore il convient de remarquer que le style n'est pas immédiatement concerné dans l'intention, il résulte de la manière dont elle sera accomplie. Quand nous parlons de la pensée créatrice, c'est de l'être de l'oeuvre qu'il est d'abord question ; l'apparence s'imposera au terme du processus quand l'oeuvre sera pleinement constituée, même si des formes de l'apparence vivent en filigrane dans la pensée de l'auteur au cours du procès créateur. De l'intention première au traits stylistiques les mieux concrétisés, il semble bien que nous puissions, le long de ce cycle, dégager, moyennant davantage une simple transposition qu'une extrapolation, une correspondance avec l'acte illocutoire au sens où l'entend Austin et, dans un second temps, même avec l'acte perlocutoire.. Dans la théorie en question, ces actes performatifs d'énonciations sont des actes intentionnels qui toutefois sont, dans le cas de l'illocution, assujettis à la convention. Nous ne récuserons pas cette condition, mais on ne peut douter que, dans une mesure relative, la création peut déborder la convention. Il se pourrait que notre projet ne soit pas pour autant condamné si nous suivons - et pouvons nous autoriser de suivre - les amendements que souhaite apporter à la théorie P. F. Strawson ; nous allons revenir sur ce point dans un instant. Notons immédiatement que si nous ambitionnons la réussite de notre transposition, un point important pour la musique pourrait être acquis : il deviendrait de plus en plus difficile de contester qu'elle soit un langage.

Comment opérer la transposition ? Il devrait suffire, pour la musique tout au moins, que le titre de l'ouvrage d'Austin Comment faire des choses avec des mots ? devienne Comment faire des processus sonores avec des notes ? Bien ! Mais " faire " ne suffit pas, ne perdons pas de vue que l'acte est intentionnel et que nous sommes ici, en principe, préoccupés d'esthétique, cependant qu'Austin travaillait sur le langage ordinaire. Mais le langage ordinaire est véhicule de communication - c'est presque trop banal de le redire -, alors la différence entre les deux types d'énonciation serait-elle plus que de degré ? Essayons un instant d'accompagner le raisonnement d'Austin en suivant l'épilogue de la Septième Conférence de l'ouvrage cité (1962 : 91-93,, trad. fr. 1970) mais sans perdre de vue notre nécessaire transposition. " En quel sens faisons-nous quelque chose en disant quelque chose ? " demande l'auteur (trad. fr. éd. 1991 : 107). La réponse du compositeur ne peut être que : " Composer c'est énoncer des processus sonores en établissant une partition tout en ayant une perception claire de la matérialisation qui devrait en résulter ". (Laissons de côté sciemment pour ne pas encombrer le raisonnement l'exception que constitue la musique électro-acoustique qui, si elle recourt à la partition ne le fait généralement que comme transcription a posteriori). La partition est donc comme l'accompagnement de l'action, comme son commentaire. Deuxième question de l'auteur : " En quel sens faisons-nous quelque chose par le fait de dire quelque chose ? " (ibid. souligné par l'auteur). La réponse du compositeur sans être inéluctable ne pourrait guère varier, sinon que par le fait de la partition il transmet vers un destinataire qui en premier rang est l'interprète. Mais c'est surtout celui-ci qui exécute par le moyen de la partition. Notons que l'interprète pourrait également apporter une réponse à la première question : il fait quelque chose en énonçant le processus, mais là serait plutôt répondre à la question par une lapalissade ; son énonciation n'est ni un accompagnement ni un commentaire de son action ; elle est l'acte même. Ces réponses que nous espérons pouvoir apporter aux deux questions d'Austin, si elles ont quelque pertinence, aident à la confirmation de notre thèse centrale : à savoir que l'activité du compositeur est essentiellement illocutoire, autrement dit que son énonciation dit l'être de l'oeuvre, alors que l'action de l'interprète est avant tout perlocutoire, autrement dit que par le fait de ce qui est dit elle exhibe l'être et le paraître de l'oeuvre.

Austin poursuit en envisageant ce qu'il nomme " les circonstances de la " production de l'énonciation ". " (ibid. : 108). Le mot " circonstance " peut surprendre mais il est important pour notre réflexion car une note de l'auteur à cet endroit spécifie qu'il envisage notamment le domaine esthétique. Il définit successivement trois degrés de sens de l'énonciation. On pourrait presque dire qu'il tente de répondre à la question : qu'est-ce que dire ?

 

- Aa, c'est exécuter l'acte phonétique. Pour le compositeur nous sommes obligés de remplacer " exécuter " (to perform) par " imaginer " ; c'est l'interprète qui fait entendre le son à ce premier stade de sens (voire de signification car ici le timbre à un référent en fonction de l'instrument et du registre choisis).

- Ab c'est intégrer les éléments choisis dans une grammaire (nous ne suivons pas ici la terminologie austinienne qui introduit la notion de phème qui ne pourrait nous aider). ; c'est pour Austin un acte " phatique " de l'énonciation que nous croyons pouvoir interpréter comme acte d'appuyer l'énonciation, ce qui est bien le cas de toute intégration dans une grammaire ou un système au sens où nous l'entendons en musique.

- Ac, c'est produire sens et référence, autrement dit, de la signification au sens où Austin entend cette notion ; c'est l'acte qui produit le niveau rhétorique. Il n'en peut aller autrement pour la musique.

 

La lecture de ces trois niveaux d'action nous aide à parcourir tous les niveaux d'action du compositeur pour produire de l'être, c'est un parcours qui part de l'énonciation du son et s'achève dans le style ; c'est par excellence l'acte illocutoire du compositeur. Nous pressentons en outre comment cet acte provoque la réponse perlocutoire de l'interprète ; autant de faits qui relient l'énoncé musical à celui du langage ordinaire, même si doivent ici être introduits des degrés de médiatisation.

 

Venons-en maintenant à la question de la convention dans l'intention de l'acte. Strawson, dans un chapitre de ses Logico-Linguistic Papers, a repris ce problème en appuyant son témoignage sur la réflexion d'Austin. Dans un premier temps, il insiste sur l'importance de la convention pour le locuteur, et cela nous intéresse tout particulièrement en ce sens que si ses observations sont vraies pour la communication langagière ordinaire, elles le sont probablement inéluctablement dans la communication esthétique. Strawson (1971, trad. fr. 1977 : 184-85) insiste sur la nécessité de la saisie et de la reconnaissance par l'auditeur du message qui lui est transmis ; il relève qu'en ce sens le locuteur n'a pas une pleine autorité sur l'aboutissement et le résultat de la communication. Ce qui contrarie l'autorité du locuteur, c'est évidemment la résistance opposée par la convention en vigueur. Cette remarque est certainement applicable aux langages artistiques, mais elle l'est tout autant à l'ensemble des traits stylistiques d'une oeuvre individuelle. Imaginons deux cas extrêmes de compositeurs travaillant à des époques différentes : Vivaldi et Stockhausen par exemple. Bien que leur situation soit diamétralement opposée, nous remarquerons que l'un et l'autre restent tributaires de données conventionnelles, mais qu'elles ne jouent absolument pas de la même manière dans l'un et l'autre cas.

Vivaldi composant son ixième Concerto travaille presque exclusivement sous l'autorité de son époque et de son milieu, une autorité que, certes, il a contribué à installer, mais à présent il ne fait plus que suivre les règles du jeu. Le langage que véhicule son oeuvre lui est préalable et Mozart ne s'en écartera guère trente ou quarante ans plus tard. Par contre, bien qu'il soit installé dans une certaine routine, il doit veiller à ce que ce ixième Concerto, dans une certaine mesure, en particularise le style. L'oeuvre sera aisément assimilée et comprise par l'auditoire, mais si les traits stylistiques ne la personnalisent pas, elle pourrait ne pas être reconnue ou n'être reçue qu'avec indifférence. L'autorité personnelle a finalement fort peu joué dans cet exercice d'illocution musicale pour lui relativement routinier ; mais l'autorité de l'époque et du milieu ont, par contre, été déterminants.

Telle ne sera pas la position de Stockhausen composant, par exemple, en 1952 Kontrapunkte. Stockhausen, suivant des déclarations réitérées, ne se sent guère lié à l'histoire par contrat. Toutefois son langage est largement lié à la convention webernienne qu'il reconnaît sans en assumer tous les aspects mais plutôt en procédant à diverses extrapolations. C'est en ce cas son autorité personnelle qui agit primordialement et doit s'imposer. Elle le peut, mais non sans limites : des conventions d'exécution subsistent et deux versions de la partition paraîtront en un court délai de quelques mois, Scherchen qui doit diriger la création suggère la révision de quelques mesures. Le degré de convention demeure toutefois très réduit en un tel cas ; non seulement le langage webernien est à peine institutionnalisé ; et ce n'est qu'à l'intervention d'institutions de diffusion autorisées qu'est atténué le degré de résistance des interprètes et de l'audience : ce que Bourdieu nomme l'autonomie du champ. Mais la situation se complique d'autant plus que très peu de traits stylistiques peuvent être immédiatement identifiés ; il serait même difficile de prétendre qu'ils pouvaient être totalement contenus dans l'intention du compositeur. L'oeuvre, dans un tel cas, pourra être tolérée, admise, puis progressivement reconnue, bien que ne bénéficiant que d'un assez faible degré de compréhension auprès d'un auditoire non averti.

Imaginons maintenant une situation absolument hirsute : puisque J.S. Bach, comme d'autres contrapuntistes qui l'ont précédé, travaillait à l'occasion avec des hexacordes chromatiques, pourquoi n'aurait-il pas éprouvé, un jour de particulière euphorie, le désir de les combiner à la manière de Stockhausen dans le Klavierstück 1 ? Absolument rien ne prédit qu'il n'aurait pu s'amuser de cette fantasmagorie. Mais quelles qu'aient été les circonstances, Bach eût-il même joui de la popularité d'un Händel ou d'un Telemann, son autorité aurait été vaincue - sauf celle qu'il aurait pu imposer comme clown, et sans que l'ordre interne de la pièce, même en ce cas, ait pu être identifié.

Dans un second temps, Strawson (ibid. : 193) a envisagé la situation extrême où plus aucune convention ne soutient l'intention manifeste, donc absolument claire, du locuteur. Dans ce cas, dit-il, celui-ci ne peut plus prendre aucune responsabilité, il est totalement dépendant de la réponse de l'auditoire. Un tel cas est-il jamais envisageable dans le domaine de l'esthétique ? Duchamp et Cage ont été des exemples extrêmes mais un certain niveau de convention ne leur a-t-il pas été nécessaire ? Pour accréditer ses readymades Duchamp a eu besoin du musée ; Cage, des instruments traditionnels, d'un pianiste prestigieux et du rite du concert. On objectera qu'en partie j'évoque le cadre rituel extrinsèque au langage, donc que ce n'est là que le cadre de la manifestation qui est pris en compte. C'est exact ; mais j'ajouterai pour Duchamp que sans la convention de l'outil ou de la pissotière, il ne pouvait banaliser l'événement et provoquer le choc, et pour Cage, que la gamme chromatique ou un banal emploi de l'électro-acoustique au moins le rapprochaient de ses collègues dont il tentait de piéger amicalement le langage. Finalement, il n'y a peut-être que l'absurde que l'histoire ne pouvait produire, tel celui que nous venons d'attribuer arbitrairement à Bach, qui pourrait vraiment échapper au minimum de convention.

Ajoutons encore - et c'est important - que l'intention du créateur personnalisera l'oeuvre d'autant plus qu'elle portera sur la poétique et les caractères stylistiques qui la définissent. Le langage, il est vrai, participe à l'effort au style selon la belle expression de Mallarmé ; c'est surtout vrai dans les périodes de ruptures. Mais dans les moments où la grammaire est stable, l'évolution de la langue se fait par le style, par le trope. Alors que le langage tend vers la norme, le style tend vers l'écart, et c'est bien pourquoi il implique l'effort ; effort qui est mouvement de pensée, donc intentionnel.

 

Léonard Meyer (1990 : 135 sq) a lui aussi insisté sur l'importance de l'intention du compositeur et sur ses stratégies. La stratégie, c'est souvent l'intention dictée par des circonstances externes déclenchant des décisions très motivées. Il semble que c'est bien ainsi que la conçoit Meyer. Cela le conduit à distinguer entre motivations et autres intentions dictées par les disponibilités, le désir d'innover, les contraintes imposées par l'état de la technique et de la culture. Dans le cas de la motivation politique, par exemple, nous ne pouvons douter des répercussions ; prenant l'exemple familier de l'influence que la Révolution française a eue sur Beethoven, Meyer écrit : " Beethoven fit-il ce choix parce que la musique était populaire ? Du fait de ses idéaux politiques ? Parce qu'il pensait déménager à Paris ? Parce qu'il satisfaisait quelque interne besoin de spiritualité ? Ou pour un combiné de tout ceci ou d'autres raisons ? " (ibid. : 136). La réponse à ces questions intéresse prodigieusement la biographie du compositeur mais à la limite la stylistique pourrait même être indifférente au fait que tel trait d'expressivité est le résultat d'un impact de 1789. Il y aurait donc dans un tel cas, trois distinctions à faire : 1. La motivation personnelle qui concerne au premier chef le biographe ; 2. L'impact révolutionnaire qui concerne en outre l'histoire, la philosophie et la sociologie ; 3. La stylistique qui peut se satisfaire de savoir que Beethoven était animé d'un puissant désir de créer dans l'oeuvre un nouveau statut de l'expressivité dont de petits maîtres français lui offraient un premier modèle. D'un point de vue idéal, la stylistique serait finalement la plus indirectement concernée par une telle motivation ; elle ne peut qu'en prendre acte, mais ce n'est pas l'idéal révolutionnaire ou tout autre du genre qu'il lui appartient de viser. Du point de vue du résultat esthétique, il importe peu que le créateur ait agi par pur opportunisme, par conviction sincère ou sous la contrainte. Ce n'est pas exactement ce que Meyer semble penser.

Un autre aspect de l'intention retenu par Meyer est beaucoup plus décisif pour le style de l'oeuvre, son action est en tout cas infiniment plus directe. Il distingue entre la simple intention d'imiter ou de parodier un modèle et la compréhension des contraintes qui en déterminent le choix (ibid. : 137). Savoir pourquoi un certain modèle, grammatical ou esthétique a été choisi, adopté ou produit est l'une des questions auxquelles des compositeurs répondent avec le plus de malaise, alors que c'est à ce type de décision que se mesure le mieux la valeur de leur stratégie. Combien d'oeuvres, en effet, se brisent, échouent faute de ne pas avoir donné lieu à un discernement suffisant. La multitude des compositeurs n'adopte une idée, un modèle, que parce que telle est la pratique du moment ; ils font de l'oeuvre un équivalent de la mode ; ils miment parce qu'il est tentant, agréable, de suivre tel usage sans en avoir cependant vécu la nécessité, sans avoir évalué les raisons profondes, propres à l'histoire, qui ont fait naître telle pratique. Les oeuvres ainsi " improvisées ", voudrait-on dire, ne peuvent produire qu'un style figé ; elles entrent dans le circuit de la mise en série du modèle. Il n'est peut-être pas facile de pressentir toutes les réponses qui pourraient être données à cette difficile question de savoir pourquoi la mise en série dévalorise : la plus vraisemblable est sans doute que le constructeur de modèles est toujours le plus imaginatif, mais surtout celui dont l'intention est la plus lucide, la mieux délibérée, peut-être même la plus courageuse.

 

B) Le goût

 

Est-il raisonnable de parler, en relation au style, de l'intention et des stratégies du créateur sans au moins effleurer la question du goût, devenue incontournable depuis Kant, et encore très souvent mise en avant aujourd'hui et parfois dans de très bons ouvrages. Qui voudrait d'ailleurs récuser la faculté de sélectivité qu'introduit, tant pour le créateur que pour l'audience, cette capacité de discerner, si ce n'est que la réticence qu'elle peut susciter porte sur la distinction qui, dans nos sociétés, se lie à une connotation de classe sociale. Ce serait toutefois faire preuve d'une forme de marxisme ou de socialisme vulgaires que de faire le procès d'une grande faculté humaine sur la base d'une déviance générée par la société industrielle et sa culture majoritaire.

Si Kant considérait le goût comme un jugement subjectif a priori posé sur l'objet, et sans concept, il a voulu l'appuyer sur le sens commun, notion à laquelle il retirait le sens vulgaire qui peut lui être abusivement accolé. Le goût dans sa doctrine était certes opposé au connaître, mais il était incorporé dans un jugement esthétique lui-même devant servir de règle universelle (Critique de la faculté de juger, § 40). La position kantienne était la conséquence de l'opposition qu'il établissait entre jugement esthétique et jugement logique, le premier étant exclusivement tourné vers l'art et le second vers la science : art et science étant non moins entraînés dans une opposition irréductible. Ce stade sera dépassé dans la pensée de Hegel qui, sur ce point, lève une sorte de tabou. Parlant du goût, il observe qu'avec le goût on ne va pas loin, et il introduit comme suppléant le connaisseur, autrement dit, sinon l'expert, tout au moins le jugement rationnellement fondé.

 

Par cette intervention, Hegel provoquait un recul du crédit dont le goût avait bénéficié en France, principalement, tout au long de la période classique. En en faisant une valeur universelle du jugement subjectif, Kant l'avait moins que Rousseau lié au style de l'oeuvre. Il est surprenant que cette lignée philosophique ait reçu un prolongement récent dans l'écrit d'un musicien - Pierre Boulez - qui dans un de ses meilleurs essais, primitivement rédigé pour les étudiants de Darmstadt en 1963, a repris toute la problématique du goût dans une perspective post-rousseauiste plutôt que néo-kantienne. De cet essai nous retiendrons ici un seul passage, celui où l'auteur oppose goût et style, visant à une redistribution des cartes aussi claire que possible pour qui s'efforce de créer le message ou de le transmettre.

Réfléchissant aux choix qu'impose le goût - des choix quotidiennement arrêtés, plus modestes que ceux d'une décision esthétique discriminatrice imposée par le métier -, Boulez en vient à poser quelques questions vraiment essentielles et percutantes : " Est-ce seulement avoir bon goût ou mauvais goût que de choisir une solution plutôt qu'une autre ? " (1981 : 46). Peu importe répond-il en substance, le choix est fait bon ou mauvais. Ajouterai-je simplement que la carrière de l'oeuvre en décidera mais qu'essai et erreur sont en art des catégories coûteuses. " Le goût est-il pour lors assimilable au style ? " (ibid.). Ici la réponse est immédiate : " Nullement ! On peut écrire sans goût dans un style très déterminé ; on peut aussi n'avoir aucun style mais écrire avec goût " (ibid.). Il était crucial que la question du style vînt clairement à l'avant-plan dans un essai relatif au goût. Boulez en donne une définition que pourraient lui envier de célèbres traités de stylistique, et qui cependant semble n'avoir guère retenu l'attention. Rappelons-la pour le meilleur usage : " Qu'est-ce qu'un style, sinon écrire dans un réseau de fonctions limitées dans leur efficacité historique comme dans leurs possibilités intrinsèques ! " (ibid.). Définition souverainement lucide, étrangement formulée dans la forme, commençant dans l'interrogation et proclamée exclamativement. Deux moments s'offrent ici à notre méditation : celui de la diachronie et celui de la synchronie. Le style ne peut avoir dans le temps une expansion infinie, ses traits, au contraire, remplissent une fonction sociale et organique, et en cela, ils ne peuvent révéler qu'un court moment de l'histoire ; c'est l'époque qui permet à ces traits de s'incarner dans l'oeuvre pour en constituer l'immanence et le potentiel de transcendance. Mais il est une autre limitation, celle des possibilités intrinsèques, c'est-à-dire des traits que la grammaire et le vocabulaire peuvent offrir et qui - Boulez y insiste -, appellent le goût, tout en étant que celui-ci s'acharnera vainement si les assises structurelles ne sont pas assurées. On voit combien les deux moments sont liés, et c'est bien cette liaison enfermant le style dans des limitations objectives mais impliquant l'exploitation la plus inventive qui donne à cette définition sa pleine justesse.

Quel type subtil de relation entretiennent, en fin de compte, goût et style ? Appréciée négativement, cette relation peut donner lieu à " un style sans goût " ou à " un goût sans style " (ibid.). Ici l'auteur croit découvrir un équilibre dialectique précaire de rationalité qui dominerait le style, et d'irrationalité caractérisant le goût, mais sans que les pôles soient purs ; le goût pouvant se charger de traits rationnels, et le style, catégorie rationnelle dans le principe, pouvant se compléter d'éléments irrationnels. Ce type de relations acceptables au niveau élémentaire grammatical, aux yeux de Boulez, reçoit au niveau de la forme un complément d'exigence ; dans la totalité rationnelle de son organisation, la forme ferait appel tant au principe irrationnel du goût qu'à ses éléments rationnels. Au terme de ce raisonnement, sauf erreur d'interprétation, on ne peut pas constater un véritable jeu de relations symétriques croisées entre principe rationnel du style et principe irrationnel du goût ; ou éléments irrationnel du style et éléments rationnels du goût - relation de complémentarité entre principes et éléments - ; pas plus qu'entre principe rationnel du style et éléments rationnels du goût, ou éléments irrationnels du style et principe irrationnel du goût - relation de complémentarité entre facteurs rationnels et irrationnels. Ces relations existent concrètement, mais elles opèrent de façons mouvantes suivant les cas qui les impliquent. Le goût serait " comme une alchimie délicate, dit Boulez, qui intégrerait dans un amalgame instable rationalité et irrationalité " (ibid. : 48).

La puissance de discrimination du goût doit s'étendre à toutes les fonctions organiques : le goût du détail et le goût de l'ensemble ne peuvent jouer l'un contre l'autre ; le goût doit triompher des structures ambivalentes ; entendons par là que structures virtuelles et structure réelle doivent s'accorder. S'il n'en est pas ainsi un accord classé intervenant dans un contexte où il est dépourvu de fonction y dénoncera sa virtualité ; de même des bruits évoquant le quotidien seront déplacés dans une oeuvre dont aucune fonction ne justifie une telle connotation. Mais les pouvoirs - ne voudrait-on pas dire dans un esprit plus proche de Boulez - les devoirs d'arbitrage du goût doivent s'étendre bien au-delà des fonctions locales, et atteindre l'ensemble des composants de la forme.

 

C) Vocabulaire, Syntaxe et Rhétorique

 

Il est temps à présent de reprendre les catégories du langage telles que nous les avons lues chez Batteux : les mots, les tours, les nombres ; ce que nous avons traduit par morphologies (vocabulaire), syntaxe et proportions (les proportions étant partie intégrante de la syntaxe). Le vocabulaire est un facteur crucial du style, le dire est un truisme. On pensera ici à la distinction faite par Bourdieu entre l'âge artistique fixé par la date de composition d'une oeuvre et son âge biologique fixé par la date de son vocabulaire (Bourdieu, 1992 : 221 sq). Le compositeur qui compose aujourd'hui avec les harmonies de Debussy, les ostinatos du Sacre du printemps et même avec les septièmes majeures et les neuvièmes mineures de Webern a écrit une oeuvre biologiquement morte. Le vocabulaire musical n'est jamais préalablement donné comme celui du littérateur, il faut toujours le construire. Même en acceptant la suggestion de Pousseur de " composer avec des identités culturelles " (Pousseur 1988), il ne sera jamais possible de ne pas les médiatiser. Mais les entités morphologiques n'ont qu'une structure latente en dehors de la syntaxe qui les intègre, et ici, même si les possibilités sont grandes elles ne sont certainement pas infinies. Le XXe siècle, même dans ses oeuvres biologiquement jeunes, n'a peut-être pas toujours accordé à cet aspect de la composition autant de vigilance que les deux siècles précédents dans leurs meilleurs modèles. La plainte de Carl Dahlhaus en 1965 à Darmstadt au sujet de la forme, (Dahlhaus, 1966) même si elle était peu amène pour les compositeurs représentatifs, n'était pas inappropriée. Voudrons-nous examiner ce qu'il en a été dans le passé pour les architectures qui ont laissé vivre en elles les grands principes de la rhétorique aristotélicienne ?

Ces grands principes fondés dans la structure du discours, mettront du temps à être récupérés par la musique ; et si leur source est particulièrement visible, aisément attestable, il faut bien reconnaître qu'elle n'a guère été explicitement attestée, si ce n'est, jusqu'à un certain point, par Johann Mattheson. Il n'est pas possible de donner d'autorité une explication simple à cette non-reconnaissance du fait, mais deux raisons peuvent être invoquées qui permettent de comprendre pourquoi la rhétorique musicale dans la pratique est tardivement parvenue à une organisation structurelle de la phrase fondée sur le discours ordinaire parlé ou écrit, et pourquoi la théorie au XVIIIe et au XIXe siècles a largement fait silence sur la rhétorique aristotélicienne.

- Aspect pratique : Comme y a insisté Charles Rosen (1971, trad. fr. 1978), le discours musical baroque a été caractérisé par une grande continuité. C'est dans la forme du choral que la segmentation a été la plus typique parce qu'elle était contrainte. Les formes du récitatif et de l'air, se prêtaient peu à la segmentation et la musique était, on le sait suffisamment, à cette époque prioritairement vocale. La musique de danse était relativement mieux segmentée, ce qui n'a cependant pas impliqué qu'elle engendre immédiatement le motif, dans la Suite, comme entité forte. Le paradoxe historique voudra donc que ce soit le développement de la musique instrumentale qui conduise la composition en se fondant sur le motif, comme l'exigera encore Schoenberg, vers les formes de la rhétorique classique.

- Aspect théorique : Depuis Zarlino jusqu'à Kirnberger et au-delà, à travers les critiques que les principes d'harmonie de Rameau susciteront, tant en France qu'en Allemagne, on se préoccupera bien plus de questions d'écriture que de phraséologie. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle avec Heinrich Christoph Koch principalement et un peu antérieurement, mais plus timidement, avec Joseph Riepel qu'on verra s'établir une théorie de la composition classique ; mais ces théoriciens ne feront pas le lien avec la rhétorique classique ; leur but ne sera pas autre que produire une théorie et une pédagogie de la composition musicale. C'est pourquoi le musicien qui devrait le plus nous intéresser en cette matière est Mattheson, lui, a une connaissance des grands principes de la rhétorique classique mais historiquement, il vient trop tôt pour pouvoir établir une vraie théorie de la phraséologie. Son ouvrage fondamental Der Vollkommene Capellmeister date de 1739 : à cette époque le motif n'existait encore dans les oeuvres instrumentales qu'à l'état implicite. Si l'on doit néanmoins à Mattheson d'avoir une expérience différente de celle de ses collègues, c'est parce qu'il est un peu moins préoccupé d'harmonie, qu'il déteste les théories de Rameau et qu'il entend rendre à la mélodie les prérogatives que Rameau pourrait lui dérober. Mattheson va donc nous entretenir de la structure de la phrase en mettant en parallèle une part de la terminologie de la rhétorique classique mais d'une manière néanmoins timide, car la musique de son temps ne lui offre pas les modèles qui ne seront produits qu'à partir de C.P.E. Bach, Haydn et Mozart. En France la situation ne sera pas différente. Si comme le remarque fort à propos Fubini (1990 : 235-36), l'Essai de Johann Joachim Quantz est bien plus qu'une méthode de flûte, il n'en reste pas moins que son intérêt majeur est de mettre l'exécutant en situation adéquate pour comprendre la composition. Ce mélodiste a une intuition très aiguë du phrasé et de l'ordre compositionnel, mais son rôle n'a pas été de nous entretenir en termes de rhétorique de la réalité musicale qu'il approchait. Son mérite le plus grand, qui fut la reconnaissance de l'intérêt de la musique instrumentale, ne pouvait lui faire dire ce qui ne pouvait l'être en 1752, date de l'ouvrage. Et si de son côté cet autre mélodiste par volonté que fut Rousseau nous avertit que l'on dit " qu'un auteur bat la campagne lorsqu'il perd son motif de vue, et qu'il coud des accords ou des chants qu'aucun sens commun n'unit entre eux. " (Dictionnaire, article Motif) ; et que n'est qu'un " croque-sol " celui qui n'entre pas " dans le sens des phrases " (ibid., article Phrase, souligné par l'auteur), n'en déduisons pas que notre prestigieux polémiste avait du motif et même de la phrase, pourtant plus tôt assimilée, le sens précis que lui reconnaîtra le classicisme. La phrase dans les théories du temps était principalement identifiée en relation aux ponctuations cadencielles et à ses proportions. Dans l'acception de Rousseau, le motif n'est reconnu que pour sa capacité d'engendrement thématique, non pour sa potentialité de variance rythmico-intervallique à partir de sa puissance nucléaire invariante.

Ainsi, faire appel aux témoins de l'histoire, - en dépit des recommandations d'une saine méthodologie - ne permet pas souvent d'élucider des points qui peuvent paraître d'une importance majeure, même pour l'analyse historique a posteriori. On peut être frappé aujourd'hui quand on cherche à découvrir ce qu'ont été les lois de la stylistique classique engendrées par la syntaxe musicale pendant une bonne centaine d'années, par la proximité d'organisation répondant à la structure du récit telle que l'avait formulée Aristote, et que la scolastique médiévale aurait été bien loin, du fait des moyens disponibles alors, d'appliquer à la musique si elle en a rêvé.

La première grande distinction établie par Aristote est d'une portée universelle que seul un certain aventurisme récent a tenté de transgresser : 1. Les faits et leur probabilité ; 2. le mode d'organisation ; 3. L'action oratoire (Rhétorique, Livre III chapitre I § III). Par référence à la thèse centrale du présent texte, il est immédiatement évident que les deux premiers points concernent l'être de l'oeuvre et le troisième son apparence. C'est d'ailleurs ainsi qu'en juge Aristote en insistant sur le troisième point qu'il est amené à traiter à partir de la place qu'il tient dans la Poétique quand est envisagé le comportement de l'acteur. C'est pour Aristote exclusivement l'exécution qui est en cause dans ce troisième point, et à suivre sa réflexion on est obligé de constater que les temps n'ont guère changé en plus de deux millénaires. Il note : " Dans les concours, c'est presque toujours l'action qui fait décerner le prix, et tout comme dans cet ordre, les acteurs l'emportent également sur les poètes " (ibid. § IV trad. Ruelle / Vanhemelryck, 1991 : 298). Que dire de plus à l'âge de l'enregistrement discographique ? La hiérarchie des valeurs n'en est pas pour autant bouleversée, c'est bien l'aspect ontologique qui reste premier pour Aristote, mais la rhétorique ne peut ignorer l'opinion (ibid. § V).

On ne peut dire toutefois qu'Aristote ait vraiment séparé les caractères de l'exécution (l'élocution) des caractères du discours (l'expression) ; c'est que parlant du style, il pense d'abord à l'orateur censé construire son propre discours. Il donne clairement à comprendre combien il distingue entre l'écart et la norme, étendant même l'écart à la prononciation de la langue, parlant du charme que lui donne la prononciation d'un étranger (ibid. II § III) ; il note aussi le caractère peu persuasif du ton affecté (ibid). Le musicien peut-il définir avec autant de précision ce qui serait pour lui la norme ou l'écart dans l'exécution ? Chaque époque à sa norme et cette norme est écart par rapport à toute autre. Cela peut même aller assez loin : songeons au retard mis par des orchestres allemands à jouer Debussy d'une manière vraiment souple ; songeons non moins effectivement à des exécutions affectées ; elles peuvent être le fait de très grands interprètes en présence d'oeuvres dont le sens leur échappe, mais on sait que plus souvent ils visent l'obtention de suffrages spontanés. Remarquons que ces cas de l'apparence ne ressortissent pas nécessairement à des situations d'intentions, comme celles dont il a été question plus haut : ici l'intention et la stratégie peuvent n'intervenir que facultativement. Les écarts déficients, dont il est question pour ceux qui en sont responsables, sont l'égal de normes qui vont de soi ; les interprètes, en ces cas, agissent comme de bonne foi, répondant à des impératifs conventionnels de milieux, de goûts, d'époque et de d'éducation. Mais il existe aussi le cas du compositeur-exécutant, produisant l'être de l'oeuvre et son apparence. La division sociale du travail a raréfié cette catégorie, mais il serait sans doute illusoire de penser que toutes les potentialités stylistiques de l'oeuvre seront miraculeusement et spontanément dégagées par l'auteur plus que par un intermédiaire. Tout au plus peut-on espérer que l'aberration pourra être évitée.

Quant à la constitution intrinsèque du discours, le premier point d'insistance d'Aristote est l'usage des mots. Sur ce point, bien des compositeurs aujourd'hui auraient intérêt à revenir aux prescriptions de la rhétorique classique. Le premier faux pas, dans l'interprétation de cette rhétorique, serait de traduire " mot " par " son " : que pourrait-il en résulter ? Penser correctement la question exige de penser des entités globales, autrement dit, des morphologies bien constituées. Ici dans la conception de la norme et de l'écart, il y a un type d'écart contre lequel Aristote met en garde, c'est le mot étranger. Nous sommes en fait ramenés aux prescriptions du texte cité ci-dessus extrait de la Poétique : la norme est dans l'usage courant, l'écart dans la métaphore (ibid. § V). Les travaux modernes ne disent pas autre chose (Groupe m, 1970 : 41-42 ; Barthes, 1970 / 1 975 : 85 sq). Mais beaucoup de musiciens croient, eux, le pouvoir : soit qu'ils se débarrassent de tout système rationnel, soit qu'ils rassemblent des citations puisées çà-et-là en tous domaines, soit encore qu'ils improvisent au petit bonheur prenant le matériau et leur public en otage. L'objection pourrait être qu'il n'y a aucun impératif qui légitime d'imposer à la pratique musicale les lois de la rhétorique. Dans ce cas, ma réponse sera, toujours en référence à un jugement de valeur impliqué par un cadre esthétique, qu'il est difficile d'obtenir l'existence d'un style en la soumettant à la loi de la jungle. Cette dernière a d'ailleurs été expérimentée et ses résultats testés ; notre siècle en a mesuré les effets.

La rhétorique peut être un guide dans un projet stylistique, malheureusement, elle ne peut tout dire. Aristote aurait manifestement souhaité prévenir des abus ou des insuffisances en recourant à l'exemple. Nous lui aurions su gré de pouvoir définir le style académique, ce qu'il a tenté, mais assez vainement. Tout ce que l'on peut retenir de ses avis, c'est que les plus grands ennemis de l'invention sont la lourdeur, l'excès et le cliché. Chacun en conviendra sans peine, et peu de solutions seront pour autant suggérées. La musique s'est de tout temps débattue contre l'académisme, toute époque en a produit, l'histoire l'a toujours rejeté. Ce n'est que sous des pressions commerciales, qu'aujourd'hui certains modèles d'académisme appartenant au passé tentent une difficile réinsertion. Le point délicat en cette matière est de savoir si le danger d'académisme se trouve primordialement dans l'usage des morphologies - ce que semble avoir pensé Aristote - ou dans les relations syntaxiques. La question, au reste, est peut-être déplacée, dans la mesure où toute altération dans le domaine morphologique a toujours entraîné une répercussion immédiate sur la syntaxe. Cette question peut cependant être introduite dans la méditation ; elle connaît un destin même en l'absence de toute réponse certaine.

C'est par les nombres et les proportions qu'Aristote aborde la syntaxe (ibid. chapitres VIII et IX) et sous forme de questions que le musicien ne peut cesser de se poser. Des questions qui touchent au mètre et au rythme, et par là directement à la forme qui sera périodique ou non-périodique, c'est-à-dire, en ce dernier cas, continue. D'entrée de jeu le Livre III de la Rhétorique insiste sur la distinction entre le vers, avant tout métrique, et la prose, rythmique et plus libre (ibid. chapitre I § IX) ; une distinction qui aurait pu laisser indifférent le musicien si Schoenberg lui-même ne l'avait prise en considération (1975, trad. fr. 1979 : 317 et 320-21). Mais il est bien évident que la-dite distinction offrait moins de champs d'observation à Schoenberg, car, abordant ce thème, il ne pouvait le faire que par recours à la métaphore. Pour Schoenberg, obsédé de phraséologie classique, la question se présentait d'une manière simple et directe, liée à l'idée de périodicité. Relève du vers, la carrure de la phrase et toute forme de symétrie ; est prose la distribution asymétrique et indifférente à la carrure. Mais en aucun cas, Schoenberg n'aurait admis une absence de périodicité. Les modalités de distribution des figures qu'il reconnaît corroboraient toute la pensée musicale classique. Mais l'émancipation de la dissonance qui le préoccupait tout autant, le jour où elle parviendra à son terme dans la musique post-webernienne posera à nos compositeurs des problèmes qu'ils ne règleront pas sans angoisse. Quand Carl Dahlhaus traita de la forme avec quelque sévérité à Darmstadt en 1965 - je le rappelais il y a un instant -, et sans beaucoup de succès, dans la mesure où il soulevait un problème dont on parlait peu, parce que, précisément peut-être, il angoissait, il parut soupçonner Stockhausen. Or ce compositeur était peut-être celui qui avait abordé les questions de proportions et de périodicité avec le plus de constance, mais il est possible qu'on ne le percevait pas parce qu'il avait tenté diverses approches n'ayant éventuellement pu vraiment s'imposer au plan de la perception. En fait, Stockhausen n'avait cessé de retourner le problème de la périodicité sous tous ses angles. ; mais quoi qu'il en soit, tant que l'auditeur n'est pas frappé par les propositions qui lui sont offertes, celles-ci ne peuvent prétendre déterminer un style. C'est probablement ce que Stockhausen réalisa et ce qui le conduisit à la " forme momentanée ", vers laquelle toute sa recherche avait d'ailleurs tendu depuis le début : une recherche qui fut retardée par la période du ponctualisme. On connaît les étapes par lesquelles Stockhausen s'achemina progressivement vers cette Momentform : un premier degré de rationalité fut la segmentation de la trame ponctuelle, paradoxalement continue, en groupes distincts (mais l'étaient-ils suffisamment ?) ; une seconde fut de les proportionner selon un régime comparable à celui des harmoniques dans le système des hauteurs, type d'efficacité que la projection spatiale, elle-même organisée proportionnellement devait pourtant rendre plus audible. Mais toute oeuvre ne pouvait automatiquement accomplir une semblable projection, et d'autres moyens perdirent en efficacité perceptive. Dans une petite pièce comme le Klavierstück IX, Stockhausen accentua les formes de périodicité par des moyens extrêmement simples (notamment la réitération de 139 accords à des intensités différentes en opposition à d'autres événements plus neutres) ; aucune oreille voyageuse ne pouvait ici s'égarer, mais le système était peut-être trop voyant pour convaincre. Dans le Klavierstück X, on se trouvait dans une situation contraire, les proportions organisées avec une minutie programmée extraordinaire (cf Henck 1980) pouvaient-elles être repérées à l'audition ? Les différences les plus marquées entre les périodes de jeu, de silence ou de résonances faisant partie du jeu proportionnel furent plutôt accueillies avec surprise et interrogation : que signifiaient ces interruptions ? C'est probablement cette pièce dont la date est significative (1962) - le compositeur travaillait à Momente - qui le conduisit avec la plus grande certitude vers la forme de périodicité qu'il cherchait. Et cette fois, le style fut atteint. La forme momentanée a eu pour conséquence un style qui a beaucoup contribué à marquer la périodicité musicale dans les années récentes ; il se poursuit probablement à travers l'oeuvre des compositeurs qui pratiquent les techniques spectrales, même si Stockhausen n'est pas ici une référence obligée.

La non-périodicité, si elle existe en musique, y est totalement dépourvue d'universalité. Les sons de La Monte Young ont-ils de quoi nous retenir assez que pour les proposer comme contre-exemple ? D'une façon moins absolue certaines pièces de Cage comme les Song-books en ont esquissé le projet d'une manière peut-être d'ailleurs involontaire.

Il y a un instant, mentionnant Charles Rosen, nous parlions de la continuité dans la musique baroque, mais chacun sait qu'il ne s'agit dans ce cas que d'une continuité relative. La notion de période, défendue comme universelle par la rhétorique classique, est pertinente pour le baroque musical ; les théoriciens, y compris Mattheson, ont d'ailleurs insisté sur la ponctuation cadencielle délimitant les périodes ou en délimitant les membres. Mais c'est la phraséologie classique, et dans ses modèles les plus segmentés, - Haydn, Beethoven, Brahms - que la corrélation avec le récit est la plus évidente, d'où cette réponse donnée comme en écho à la Rhétorique aristotélitienne. Il faut toutefois se garder d'un parallèle trop immédiat avec la narrativité : la période musicale se donne le plus généralement sous la forme antécédent-conséquent, plus rarement, et en tout cas moins aisément, en contrastes. Mais dans un cas comme dans l'autre, c'est sur la forme que porte la structure, alors que dans le récit, il se peut qu'en une totale continuité de forme, le contraste ou l'antithèse apparents puisse - et ce sera souvent le cas - ne porter que sur l'idée, autrement dit, sur la thématique. Il n'est donc pas surprenant que ce soit sur le plan de la grande forme que le musicien ait rencontré, de la manière la plus proche, les exigences du rhéteur. La théorie de Mattheson a-t-elle pu exercer une telle influence, qu'à peine émise, les dispositions qu'elle préconisait, en une totale coïncidence avec la rhétorique classique et notamment avec Aristote (ibid. Chapitre XIII §§ IV & V) ait pu déterminer, dans le nouveau style, ce que l'on peut être tenté d'interpréter comme un décalque du narratif. Cette proximité au langage est bien le but de Mattheson, dans la constitution de la forme musicale, quand il entrevoit, comme les anciens, ce que les formes classiques dès Haydn et Mozart regrouperont totalement ou partiellement : l'exorde, l'énonciation, le développement et la conclusion ; soit dans sa terminologie : exordum, narratio, propositio-confirmatio-confutatio, peroratio (1739 : part 2 chap. 14 § 4 ; cité par Lester, 1992 : 165, les ponctuations indiquant des groupements sont miennes). A l'exception du contenu bi-thématique, tout était donc en place pour l'organisation des formes classiques de la sonate.

 

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Si l'on tente de regrouper les divers points de vue présentés dans cet essai, il semble que l'on puisse s'orienter vers une définition du style donnée comme le résultat le plus attendu, le plus catalyseur de l'oeuvre achevée impliquant la somme des intentions et des stratégies créatrices au niveau de la conception et de l'interprétation de l'oeuvre : intentions et stratégies fondées sur la connaissance, la capacité professionnelle et le goût, englobant depuis les traits du langage, liés à l'essence de l'oeuvre, jusqu'à ceux de son apparence, sa configuration interne et ses aspects externe. Tous ces facteurs convergeraient pour constituer des faisceaux de traits marquant leur objet depuis l'écriture jusqu'à son expressivité.

Pour l'analyse, le style, si une telle définition en est vérifiée, reste cependant une catégorie lointaine qui ne peut être atteinte qu'en fin de parcours, au moment où une synthèse peut être dégagée de tout l'inventaire morphologique, syntaxique, formel et expressif. Le style est le but suprême de l'analyse, mais celle-ci l'atteint avec une telle difficulté qu'espérer constituer maintenant une stylistique musicale semble, comme cela a été dit en commençant, prématuré. Paradoxalement, le critique saisit d'emblée, des traits stylistiques mais il ne peut avoir qu'un sentiment assez vague du style. Obligée par son savoir, l'analyse ne l'atteint qu'au moment où elle peut synthétiser son acquis. Alors pour elle le style devient une connaissance, et c'est cette connaissance qui la mène, en fin de compte, à atteindre le dernier stade suggéré par Batteux, autrement dit l'harmonie, soit l'état, - s'il existe -, de cohérence et de conciliation des éléments présents. Cette cohérence, source d'harmonie reste sans doute le plus grand mystère de la création ; on la découvre tant au plan panoramique qu'au plan de l'objet isolé, mais c'est en celui-ci qu'il sera le plus fructueux de concentrer toute recherche.

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