CELESTIN DELIEGE

DU SÉRIALISME À L'INFORMATIQUE MUSICALE

 

Digressions sur un canevas de Hugues Dufourt

 

Il ne semble pas facile de situer la pensée philosophique de Hugues Dufourt face à la modernité. D'ascendance française par ses maîtres, on croit le découvrir proche de la philosophie allemande dont il nous parlera cependant de la misère toujours reconduite. La liaison au domaine musical nous le rend évidemment proche d'Adorno à qui il ressemble aussi par le style, le bondissement de la phrase, le souffle de la période. Mais ne nous y trompons pas, c'est un Adorno calme qui s'adresse à nous. Et si nous sommes invités par lui-même à de fréquentes évocations d'Adorno, nous ne pourrons en rester là. L'exégète de son oeuvre Pierre-Albert Castanet répond à la question posée en des termes que l'on devrait pouvoir suivre. Il écrit : " Même s'il ne suit pas toujours Adorno à l'intérieur de son système " équivoque " de pensée, il faut noter que Dufourt se situe dans le droit fil de la dialectique hégélienne, poursuivant le concept général de la philosophie de l'histoire et les diverses catégories de la conscience historique. L'idée cyclique du changement, par exemple, suggérée par un jeu perpétuel sans fin qui instaure un mode d'énergie, de richesse, puis annonce une phase de déclin mélancolique et de chute, s'adapte pour Dufourt, aussi bien aux pouvoirs, aux oeuvres, aux hommes ou à leur esthétique " (Castanet, 1995 : 335).

Quel rapport établir entre Dufourt et Adorno ? Ils sont distants de près de deux générations et le contexte biographique semble devoir les séparer. Leurs affinités électives les rapprochent éventuellement davantage, mais les références sont peu comparables, sinon peut-être négativement. Un anti-nietzschéisme commun ne pourrait les réunir, pas plus qu'une reconnaissance mutuelle, mais à nuancer dans les deux cas, de Hegel. Un pessimisme commun n'a en outre pas la même noirceur. Il n'est pas sûr d'ailleurs que Dufourt soit vraiment pessimiste ; peut-être craint-il seulement de devoir l'être. Pour Adorno, l'art a perdu son évidence. Pour Dufourt, c'est peut-être le manque d'évidence de l'Europe actuelle qui menace de perdre l'art. Après la chute de l'URSS, l'Europe musicale reste divisée en deux blocs. De part et d'autre de ce Yalta musical, jamais signé, à l'Ouest, une modernité anarchique rivalise avec un capitalisme sauvage, contredisant en cela le capitalisme organisé ; à l'Est, des résidus s'accumulent, soit archaïques d'ancien régime, soit hérités du réalisme socialiste.

1945, date obsédante pour Dufourt autant que pour ceux qui l'ont réellement vécue - lui vivait à l'âge de la petite enfance - est l'instant de toutes les ruptures volontaires : prédominance du système sur l'histoire, renforcement de l'autonomie de la forme mais accompagnée d'un mythe de libération sociale - " chiffre de la reconstruction européenne " (p. 12). Désormais toute création est alignée sur la recherche, le rationalisme sériel méconnaît l'expressivité traditionnelle et la place au rang de naïveté, de crédulité ; il développe le matériau au détriment des fonctions symboliques ; il produit un art de classe en allant au devant de l'ascétisme bourgeois ; il donne un modèle à la classe politique en lui offrant les traits d'un " pragmatisme sans élan révolutionnaire " (p. 13). Après avoir neutralisé toute problématique esthétique, il s'est abstenu " d'envisager les implications sociales de son purisme esthétique " (ibid.). Héros de l'apolitisme, du calcul prévisionnel, d'une révolution froide menée par la bourgeoisie (p. 14), ses représentants en sont les complices. Tels sont quelques-uns des traits du portrait des musiciens sériels des années cinquante brossé par Dufourt. La réponse d'Adorno renforce cette description qu'elle anticipe : la société est tolérante devant ce qu'elle considère comme " une spécialité pour spécialistes, qui a bien fini par avoir aussi sa place parmi tant et tant de biens culturels " (1960 / 1983, trad. fr. 1989 : 122). Pourquoi cette société qui désinvestit, provoquerait-elle encore des scandales ; elle comprend la musique nouvelle comme une activité autonome.

Du strict point de vue de sa consistance, Dufourt voit dans le sérialisme de l'après-guerre, " une réification intégrale de la musique dans des combinaisons fixes que l'on permute, combine et réagence indéfiniment sans qu'il en résulte la moindre impulsion dynamique " (p. 12). Il y pressent " une chute dans le déterminisme de l'insignifiant " (p. 13). Le sérialisme crut " non sans ingénuité que la rationalité de l'art se confond avec celle de ses procédures " (ibid.)

Le réquisitoire est dur ! Il nous impose un premier degré de réflexion avant de poursuivre l'exposé des données avancées par l'auteur. Il ne peut être question de tenter de les contourner ; les responsables eux-mêmes ne pourraient que tenter de les nuancer. Mais le rôle d'un témoin de ces années iconoclastes est de remettre en mémoire, de recontextuer, de poser notamment la grande question du pourquoi de l'événement. L'expérience comporte ses risques, le plus grand est d'interpréter des comportements demeurés peut-être très secrets et de donner le sentiment d'être capable de s'approprier des états de conscience. Tel n'est pas mon but, je souhaite donc m'en tenir strictement à des faits appartenant désormais à l'histoire.

 

I

 

8 mai - 5 août 1945, c'est un temps de joie intense. Que l'on aime ou non la thèse du sociologue Gaston Bouthoul sur la guerre comme facteur de régénération sociale, il faut bien lui concéder sa part de vérité. Pour ceux qui étaient assez jeunes, avaient eu la chance de n'être pas directement frappés par la catastrophe, l'air semblait régénéré comme au soir d'un jour de lourde chaleur quand on ouvre la fenêtre après l'orage. Mais cette atmosphère est parfois trompeuse, la chaleur du lendemain dément l'impression de la veille. Le 6 août la bombe d'Hiroshima pétrifiait les consciences, et il ne sera pas fait retour en arrière : l'histoire ne connaît pas de tels revirements. On s'était donc mis faussement à espérer et on continuera. Le communisme à l'Est était un espoir fou. Comment se faisait-il que déjà fussent oubliés les procès de Moscou, ou l'assassinat de Trotsky ? " C'est l'erreur d'un homme, non de la doctrine " pensait la bonne foi. Les intellectuels occidentaux rejoignent alors les partis communistes ; mais le non-fractionnisme au moment de l'adoption des résolutions bientôt les dissuade. C'est encore l'erreur humaine, non la doctrine. Les Partis vont-ils ainsi ruser avec leurs fidèles, réinventant l'alibi de l'Église médiévale, pratiquant la terreur mais sans jamais rien céder sur la doctrine, comme l'a fort justement remarqué Jacques Le Goff (1984). Les pauvres Partis n'ont pas la chance des Églises : les résultats de la foi et de l'espérance sont de ce monde et ne peuvent être éternellement différés.

Du côté des artistes, il y eut plus de retenue et de scepticisme. Étaient-ils plus ingénus ou plus futés, voire plus opportunistes ? Ils n'avaient pas oublié la première expérience, pas très heureuse, de cohabitation entre les surréalistes et le Parti. Éluard, Aragon avaient résisté, mais pouvait-on réécouter vibrer les accents de la voix d'Éluard sans que le mythe ne finisse par se réduire à une simple sensation épidermique ? Face à ces rêves, ceux de l'abstraction ! " Art de classe ". " Révolution froide ". Révolution glaciale même, et non seulement chez les musiciens mais en peinture, dans le roman que l'on dira " nouveau " comme on proclame " nouvelle " la musique. Neue Musik devient pratiquement un slogan en RFA.

La guerre n'était pas finie, que des musiciens tentaient de surprendre sur ondes courtes les musiques que diffusait Radio Moscou. Là, la musique nouvelle semblait avoir les accents du XIXe siècle. Qu'à cela ne tienne, on espérait : " on dit qu'ils font autre chose ", se murmurait-on de bouche à oreille. On connaît la suite ; bientôt nous connûmes les accents héroïques de la Symphonie de Leningrad. On avait tout compris ! Le reste suivit rapidement. Pour élever la conscience de classe de son prolétariat, le régime stalinien l'alimentait aux sons de la meilleure esthétique du Grand Ami de Madame von Meck.

QUE FAIRE ? La célèbre question de Lénine, cette fois nous atteignait. Quelques amis se tournèrent vers les productions anglaises. C'est l'époque où Britten réchauffait les âmes - elle n'est d'ailleurs pas close. La déception ne fut pas moindre, mais moins préoccupante parce que l'on n'attendait rien d'une politique qui ne rappelait que les échecs de l'Entre-deux guerres. Alors, QUE FAIRE ? la question devenait obsédante. Stravinsky était le grand homme de nos aînés, mais, pour nous, son néoclassicisme dans son dernier état était insupportable, c'était une concession à la commande américaine. On se rabattait sur ceux que l'on appelait encore " les Six ", mais, Honegger mis à part, après cette guerre terrible cela paraissait léger, désuet : un autre reflet des années mal-aimées.

" Art de classe ", oui, encore que pour l'instant, il n'y avait pas d'art jeune. Mais il y avait au moins une référence : Sartre. On ne lisait guère que son théâtre parmi les musiciens, mais on lisait Les Temps Modernes, et de ce milieu surgit le critique musical : René Leibowitz.

Chacun connaît l'apport de Leibowitz, ce n'est pas ce qui ici peut nous concerner. Disons seulement que son influence s'étendit à l'ensemble de la musique occidentale d'Europe. En 1948 il est à Darmstadt. L'Introduction à la Musique de douze sons avait été lue par les musiciens semi-clandestinement sur tapuscrit avant la parution du livre. Ce que Leibowitz apportait aux musiciens était la seule alternative qui fût proposée et l'auteur ne pouvait être soupçonné d'apolitisme. Les valeurs au nom desquelles il parlait étaient celles de la conscience (plan éthique) et de la lucidité (plan esthétique et technique). Il fut rapidement contesté par Boulez parce que son enseignement était limité. Il était limité mais il était rigoureux. Contesté par Boulez encore parce que le niveau de ses prestations de chef d'orchestre ne permettait pas d'illustrer efficacement ce que son propos théorique et historique mettait en valeur. Il ne fut pas moins frappant pour l'étudiant de l'époque que son ouvrage l'Artiste et sa conscience (1950) fût préfacé par Sartre quoique avec quelque prudence. Le ton de propagande qui rend aujourd'hui les ouvrages de Leibowitz quasi-illisibles était toutefois ressenti par une génération qui en avait parfois durement payé le prix ; et c'est l'une des raisons pour lesquelles les livres de Leibowitz furent tôt rangés au placard. Mais le choc avait eu lieu et il provoqua un appel massif de partitions qu'on ne pouvait que malaisément se procurer et qu'il fallait souvent copier.

Leibowitz fut donc le premier déclencheur de l'enthousiasme des musiciens, non pour ce qu'il représentait, mais pour ce qu'il présentait. Cet enthousiasme n'était pas de la part de l'étudiant une démarche bourgeoise, mais une démarche de prospection, d'intérêt et d'éveil, donc une démarche intellectuelle motivée.

Par ailleurs, la prédominance du système sur l'histoire - donnée mise en avant par Dufourt -, est un fait majeur de la culture de l'après-guerre. C'est un phénomène complexe qui comporte des contradictions qu'il n'est pas toujours aisé d'expliquer. La phase la plus aiguë, au plan du pragmatisme politique, s'est traduite progressivement par une relativisation des disciplines historiographiques allant parfois jusqu'à une quasi-élimination des cours d'histoire dans l'enseignement général. Jamais l'histoire empirique, l'histoire-récit, ne fut la motivation de la censure, celle-ci a sournoisement visé la philosophie de l'histoire, que, dans un sens plus restreint, on dénomme " historicisme ". La lutte politique contre l'interprétation du passé et du présent, comme expression d'une tendance du développement humain, est menée par le libéralisme économique sans que l'on puisse cependant désigner avec une absolue certitude - quelques grands noms mis à part - les agents philosophiques responsables. De fait, au niveau de l'action intellectuelle et artistique, la situation s'est fortement compliquée depuis le début du siècle. Le débat associe, contre la dialectique historique, une large fraction du positivisme logique et les représentants d'une histoire-mémoire défendant une libre disponibilité du patrimoine et une libre interprétation de l'histoire comme succession de faits produits par le hasard. En dépit d'une origine et d'une nature dissemblables, ces mouvements revendiquent un appui sur la notion de système. Le néoclassicisme conditionné par l'histoire-mémoire a défendu le maintien des systèmes traditionnels, parfois avec une certaine âpreté : l'esthétique défendue par Stravinsky dans Poétique musicale (1947) retrouve le thomisme à travers la pensée de Jacques Maritain. Au plan philosophique, il ne pouvait y avoir de compatibilité ni de compromis entre l'empirisme wittgensteinien - exemple extrême - ni l'empirisme historique et la dialectique hégélienne et le matérialisme historique. Mais dans le domaine de l'art, le positivisme polarisa toute pensée en référence à la priorité qu'il donne aux déterminations du langage ; là a pu apparaître une inextricable contradiction quand la notion de système a été privilégiée au nom d'une certaine forme d'historicisme - cas de Schoenberg et de Boulez.

Incidence du positivisme : toute forme avancée d'expression artistique glissa vers les structuralismes, lieux de convergence de l'épistémologie dans son ensemble (Bastide & al, 1962, Piaget, 1968). La suprématie de la linguistique directement dérivée du positivisme a favorisé grandement cette convergence des représentations symboliques vers les systèmes formels.

L'enseignement oral et écrit de Leibowitz, disciple zélé de Schoenberg, relevait de la sphère mixte dont il vient d'être question : bien que de type historiciste, il était fondé sur la priorité du système. Les Prolégomènes à la Musique contemporaine parus dès 1946 dans Les Temps Modernes avant de constituer l'Introduction à Schoenberg et son école (1947) défendent une forme de dialectique négative : tout système au moment de sa naissance porte en lui les germes de sa destruction. Conséquence directe : le système tonal a résorbé la pluralité modale en la niant par voie de rationalisation ; le chromatisme a érodé progressivement le système tonal qui le contient. L'adversaire le plus irréductible de l'auteur, Pierre Boulez, ne contestera pas cette vue et il appuiera la nécessaire référence au système sériel au nom de l'évolution du langage musical. Un point de vue moins explicité existe toutefois en outre chez Boulez, c'est le développement possible des catégories acoustiques. Stockhausen, quant à lui, ignorera tout de l'histoire, il ne visera qu'à la nier et ce sont les théories acoustiques nouvelles qu'il ne cessera d'expliciter dans ses écrits et les procédures que successivement il édifie. En dépit de l'abîme qui le sépare de Xenakis, du point de vue du refus de l'histoire conjoint à l'appui total sur le système, il pourrait y avoir eu plus de proximité entre Xenakis et Stockhausen que ce que l'un et l'autre compositeurs ont pu en penser.

Les protagonistes ont aussi souvent justifié leurs théories en évoquant la microphysique - Pousseur plus particulièrement. Ce n'est qu'une trace de plus du positivisme : n'oublions pas que ses représentants ont tous été et demeurent de grands physicalistes. Mais on peut néanmoins voir dans l'ensemble des démarches une large présence de la société technicienne. Par la pratique de l'anatomie du son, l'ingénierie entraîne irrésistiblement le compositeur vers l'analyse paramétrique, laquelle passe en peu de temps du plan de la radiographie à celui du phénomène dans l'oeuvre.

 

II

 

Frappé par le purisme esthétique sans engagement du rationalisme sériel, Dufourt le confronte à la sociologie de Max Weber qu'il fait dériver de Nietzsche tout comme le sérialisme d'ailleurs (pp. 14-15). Voilà bien une proposition qui mériterait un examen approfondi mais que la densité de l'oeuvre de Weber ne rend pas immédiatement vérifiable. Il semble que Dufourt ait été entraîné vers ce rapprochement par l'aide indirecte apportée par Weber, auteur du premier essai de sociologie de la musique, et qu'au-delà, il faut admettre de considérer comme le père de la sociologie allemande. Sans pouvoir avancer beaucoup sur ce terrain aujourd'hui, je voudrais cependant d'abord revenir un instant sur l'engagement des musiciens sériels. A-t-il vraiment manqué au point où l'éprouve Dufourt dans son appréciation rétrospective ? Ces compositeurs ont-ils fait preuve d'un neutralisme comparable au modèle de Weber ? Nous avons vu, pour ce qui concerne la France, que le mouvement est issu d'une philosophie engagée. Ce n'est pas, bien entendu, pour autant que l'engagement des musiciens était de type social, mais sur ce plan, il faudra redire combien un tel type d'engagement est difficilement offert à la musique. Il semble bien que pour le compositeur l'engagement consistait alors en une volonté de renouvellement total de la conception de l'oeuvre musicale. Tout l'effort portait sur la création au sens de Rimbaud et un refus de l'imitation. La création était, au moins inconsciemment, éprouvée au sens biblique, au sens de " première fois ". L'ascendant de Schoenberg n'a peut-être pas été étranger à cette impulsion. Stockhausen notamment (1953) refusait que la musique ressemblât aux architectures d'avant-guerre en Allemagne ; il fallait mettre à profit la destruction des villes pour ne pas commettre l'erreur antérieure. Dufourt pourrait objecter qu'il s'agissait là de programmes, d'intentions qui n'ont pas été concrétisées dans la révolution froide du sérialisme, et c'est là que nous pourrions être renvoyés à Weber que Habermas a pu paraphraser en rappelant que dans ce modèle " la rationalisation s'applique aux techniques de production des valeurs, non pas aux valeurs elles-mêmes " (Habermas 1981, trad. fr. 1987 : 176). Si cette tendance sociologique a pu jouer, cela n'a pu être que comme trace objective : la neutralité se laissant déchiffrer dans la transmission des messages. Aucune relation directe ne s'est par ailleurs manifestée. : il n'y a que très peu de chances que les compositeurs aient eu, à l'époque, connaissance de Weber qui jusqu'à la fin des années cinquante n'a été accessible qu'en allemand, mis à part des fragments dispersés. Un rayonnement objectif de cette pensée reste seul de l'ordre du possible. Mais est-ce que le conservatisme de Weber est compatible avec le bond théorique - heureux ou malheureux, là n'est pas pour l'instant la question - du sérialisme musical ? Weber établit, de fait, une grammaire de l'économie ; qui comme le remarque Dufourt, recèle une forte tendance normative. Weber s'appuie à la fois sur l'histoire et sur le système, mais il ne s'aventure jamais au-delà d'une réalité qu'il relativise, de ce qui a existé et existe dans le présent. La sociologie weberienne, basée sur l'économie de l'échange, n'est à aucun moment une sociologie critique ; sa conception de l'idealtype s'accommode de toutes les situations historiques, son besoin de rationalité pour la musique pourrait s'appliquer avec plus de moyens au système tonal qu'à tout autre. Wirtschaft und Gesellschaft (Économie et Société), son ouvrage majeur, est une somme, mais elle est constative et c'est en cela qu'elle tend vers un état de grammaire. Certes, Weber ouvre les yeux du monde sur une réalité méconnue à son époque quand il lie l'économie à un certain type de pratique religieuse, mais la théorie ne conduit néanmoins qu'à son entérinement. Les remarques sur la musique contenues dans Die rationalen und soziologischen Grundlagen der Musik (1921) (Fondements rationnels et sociologiques de la Musique) s'attachent elles aussi à des faits anthropologiques que seule une origine religieuse pourrait peut-être expliquer. Weber pose une question cruciale : impressionné par la spécificité et la rationalité de la polyphonie occidentale, il voudrait s'expliquer le phénomène. Voilà une question qui dépasse de beaucoup les seules connaissances musicales et qui relève d'une problématique majeure de l'anthropologie sociale, celle qu'avait abordé Lévi-Strauss dans la Pensée sauvage, opposant les sociétés productrices d'énergie et d'histoire (sociétés chaudes) à celles qui n'en produisent pas (sociétés froides). (Lévi-Strauss, 1962 : 309). Comment faire coïncider de telles problématiques liées à la pensée de Max Weber avec les conceptions sérielles ? Peut-être par le biais de cette volonté de systématiser, de typifier, de normativiser en direction d'une grammaire qui dut aussi contenir son taux d'a priori observé par Raymond Aron quand il reproche à Weber son excès de subjectivisme : " Si le sociologue se trouve en face de faits incohérents, si c'est lui qui, à l'aide de ses concepts, crée l'ordre à l'aide duquel il comprend, l'interprétation ne peut pas se séparer du système de concepts, et ce système lui-même de la situation particulière de l'observateur " (Aron, 1962 / 1986 : 26-7). Les concepteurs de systèmes seraient, en ce cas, rapprochés.

Dans l'empreinte de Weber et de Nietzsche, Dufourt découvre au fond du comportement du compositeur d'aujourd'hui une forme de scientisme qu'il tient manifestement en méfiance : " La musique contemporaine ne sait plus distinguer les techniques qui l'émancipent de celles qui l'aliènent " (p. 15). Il serait, en effet, difficile à celle-ci de récuser ce point de vue alors que les réévaluations de ses données et découvertes ont été incessantes. La musique de notre temps a-t-elle assisté à la " destruction de sa fonction symbolique " (p. 16) ? Quelles que soient les causes premières, c'est un débat très lourd entre lui et ses confrères qu'engage ici Dufourt. Les révisions ont été déchirantes alors même que des trésors de lucidité avaient été dépensés. Sans atténuer le propos, je voudrais cependant, préalablement à tout commentaire, rappeler quelques distinctions : d'abord entre productions européennes et américaines ; ensuite à l'intérieur des productions européennes, entre les musiciens qui ont poursuivi une recherche au-delà du sérialisme mais sans le renier, et les schismatiques qui, après avoir tenus sur le sérialisme les discours les plus engagés, s'en sont allés, presque du jour au lendemain chercher vertu vers les sites rétrospectifs qu'ils croient ou non post-modernes.

Il est difficile de rendre compte des faits de l'histoire des arts sans accepter leur enchaînement selon une logique interne et un certain poids du déterminisme historique. La musique européenne, dans son stade le plus abstrait ou le plus expérimental, a été ce qu'elle fut et est ce qu'elle est, par fatalité, alors que les expressions américaines, tout au moins celles d'origine aléatoire, l'ont été par dérision et décision de subversion.

Conséquence de cette conjoncture : " le post-modernisme était inscrit dans la logique de cette modernité ", note Dufourt (p. 16). L'auteur en mesure pleinement le " cynisme " et l'" impudence " et il en lit les caractères dans la polysémie de Berio, le mysticisme de Stockhausen, le syncrétisme de Kagel, l'irresponsabilité des cagiens, la suprême conciliation du minimalisme, etc. N'y aurait-il rien à sauver de cet ensemble au bénéfice de la modernité ? En dépit de l'existence de Sinfonia, oeuvre dont par ailleurs la qualité artisanale et imaginative en justifie l'esthétique au moins à titre expérimental, il me paraît équitable de ne pas y trouver le nom de Berio pour l'une des raisons qui, précisément, attirent les réserves de Dufourt sur le sérialisme. Alors que le rationalisme sériel depuis Webern avait virtuellement aboli la distinction du vertical et de l'horizontal, comme l'a souvent remarqué Boulez, Berio est le musicien qui l'a rétablie par un type d'écriture distinct, organisant, d'une part l'harmonie, et d'autre part le contrepoint. Ce cas mis à part - mais il est d'une énorme importance en tant que référence à l'intérieur du sérialisme - les autres cas tels que Dufourt les énonce traduisent des formes de dénégation dont leurs auteurs seront les premières victimes quel que soit le destin de l'art. Les dernières oeuvres de Feldman, déjà loin du projet cagien, pourraient résister comme témoignage de sincérité tragique traduisant l'état d'esprit au lendemain d'un art mort.

 

III

 

Si Dufourt a pu créer la surprise en confrontant le sérialisme à la sociologie de Max Weber, par contre on était bien en droit d'attendre une convocation d'Adorno. Dans le cadre de sa critique. Adorno a eu affaire directement avec les compositeurs sériels et singulièrement avec Stockhausen qui eut le front de le contester à Darmstadt en 1951 alors qu'il n'était encore que le compositeur de modestes essais (cf. Toop, 1974). Mais l'objection qu'il fit au maître de Francfort, bien qu'irrévérencieuse, avait du poids : " Vous cherchez un poulet dans une peinture abstraite ". (Stockhausen et Goeyvaerts révélaient au maître indigné la Sonate pour deux pianos de Goeyvaerts). La remarque n'était pas innocente, et d'ailleurs la comparaison entre musique sérielle et peinture abstraite n'a pas tardé à devenir un lieu commun. En dehors de condamnations de l'une et l'autre tendance, telle qu'on la trouve chez Lévi-Strauss, (1964) peut-être rappelé par des traditions universelles entre cultures, il y a eu plus de tolérance face au projet visuel qu'à l'égard du projet auditif - le marché impose ses valeurs. Et pourtant l'un et l'autre ont une orientation proche et, dans l'un et l'autre cas, une cohérence telle qu'il faut bien admettre que quelles que puissent être nos réticences devant la froideur de l'abstraction, nous ne pouvons qu'y découvrir les derniers caractères stylistiques d'homogénéité lisibles dans les langages artistiques contemporains.

Adorno n'a jamais été l'ami des Sériels. Après avoir pris à partie leur projet dans de célèbres émissions de nuit des radios allemandes, il hésita et finit par ne plus nier les noms qui s'imposaient sans cesser toutefois de les discuter (cf notamment Entretien cité ci-dessus Adorno-Stockhausen, 1960 / 1983 trad. fr. 1989). Mais les musiciens durent se contenter d'une défense timide, ne pouvant affronter une autorité philosophique dont la critique déclassait le propos journalistique plus aisément contournable. Aussi les hommages rendus au lendemain de sa mort en 1969, prirent-ils l'allure d'ovations discrètes. Dufourt philosophe et compositeur intervient en un temps où la doxa sérielle a perdu beaucoup de son agressivité et, plus engagé lui-même qu'Adorno dans la création - les essais de composition de celui-ci ne sont guère supérieurs à ceux de Nietzsche -, s'il est assez sévère pour la génération qui le précède, il voit avec plus de sérénité ses contemporains immédiats.

Mais comment Dufourt voit-il Adorno ?

- 1. Comme le représentant d'une " esthétique figée dans des normes qui sont celles de la tradition symphonique depuis Beethoven " (p. 17) ;

- 2. Comme recourant à un critère historique non-pertinent lorsqu'il attribue l'impasse de l'avant-garde musicale contemporaine à la raison instrumentale (ibid.).

- 3. Comme s'apparentant par le pessimisme à l'anti-marxisme de Weber tout en utilisant les armes du marxisme, ce qui ressort particulièrement du poids donné à la raison planifiée. Une conclusion tirée par Dufourt de cet apparentement à Weber, qu'il étend à Nietzsche, est " la misère toujours reconduite de la philosophie allemande " (ibid.).

Ces remarques ont de quoi retenir l'attention par les traits évidents de la pensée adornienne qu'elles mettent en avant, et surtout par les antécédents qu'elles nous obligent à prendre en compte. Elles sont ici mentionnées moins pour les discuter, compte tenu de leur portée assez générale, que pour examiner leur reflet dans la musique moderne.

1. Il est assez normal qu'Adorno, par sa situation historique, se soit présenté comme issu de la tradition musicale post-beethovénienne. Écoeuré par le néoclassicisme de l'entre-deux guerres, tout devait le conduire vers Berg et Schoenberg. Là aussi il y avait une forme de néoclassicisme, mais compensée par un contexte harmonique nouveau. Il n'est pas moins significatif qu'il ait beaucoup moins compris Webern, véritable lieu du clivage entre le monde de la tradition et celui de la rupture. Debussy était resté totalement étranger à ce métaphysicien issu de la tradition philosophique allemande ; il le prit pour un musicien de salon (1955 / 1986 : 128). En de telles conditions, comment aurait-il pu se soucier au surplus de la musique d'un Varèse ? Prenons aussi en compte - ses oeuvres musicales en témoignent sans équivoque - que ce maître de philosophie n'était pas doué d'une bien grande imagination lui permettant d'inventer de la musique. Ses attaques contre le néoclassicisme stravinskien, ne dissimulaient-elles pas, finalement, une impossibilité de comprendre autre chose que la musique allemande, sans que ce fut de sa part une forme quelconque de nationalisme mais tout simplement parce qu'il ne pouvait être perméable qu'à la phraséologie musicale classique ?

2. Depuis son séjour aux USA pendant la Seconde Guerre et ses conversations avec Horkheimer (1969, trad. fr. 1974 ; 129-76), Adorno fut littéralement hanté par l'impact de l'industrie sur la culture. Il était assez normal qu'il aperçût, comme provoqué par le rationalisme techniciste, ce qu'il considérait être un échec de la musique de son temps. Au lendemain de la guerre, il restait douloureusement impressionné par la subjectivité de l'artiste venant se heurter à cette société de l'entreprise, ce qu'il enregistra comme une tendance de l'histoire, notamment dans un des nombreux textes de Minima Moralia (1951 trad. fr. 1980 : 200) qui à juste titre a retenu l'attention de Dufourt (pp. 19-20) qui y lit une anticipation des antagonismes que nous vivons à travers les séquelles des années cinquante et le phénomène dit " post-moderne " : un phénomène dont Adorno n'a connu que les premiers balbutiements. La dialectique négative, lieu mortel de son aboutissement, ne pouvait surmonter aucune contradiction et dans le procès de réification engagé par la confrontation avec la rationalité industrielle, seule l'aliénation de l'invention était à ses yeux l'issue inéluctable. Était ici réaffirmée la thèse du premier Lukacs liant en un processus de conséquence directe la transformation de toute force productive en valeur marchande, entraînant la domination immédiate du travailleur. En 1950 on en revenait à la parabole de la porte étroite, ou bien on capitulait devant les impératifs de la culture industrielle. Aujourd'hui, moins avouée, la situation, face à la raison instrumentale, n'est-elle pas plus préoccupante encore ? Lukacs a fortement et clairement insisté sur la progressivité de la mise en place du système de réification n'atteignant que graduellement les divers secteurs de l'activité productive : " Si l'on suit le chemin que l'évolution du processus du travail parcourt depuis l'artisanat, en passant par la corporation et la manufacture, jusqu'au machinisme industriel, on y voit une rationalisation sans cesse croissante, une élimination toujours plus grande des propriétés qualitatives, humaines et individuelles du travailleur " (Lukacs, 1923, trad. fr. 1960 : 115). Adorno ne pouvait que partager cette opinion qui d'ailleurs a la force d'une vérité objective que le non-marxiste devrait avoir peu de moyens de contester. En la suivant, on ne voit pas comment la haute culture échapperait au mouvement de réification ; elle apparaît même comme pouvant en être le stade ultime. En conséquence de quoi les expressions émanant du néopositivisme, dont le sérialisme, deviendraient les derniers secteurs de résistance extérieure à la raison instrumentale et à l'invention planifiée. Dufourt aurait ainsi raison de déclarer non-pertinente la liaison du sérialisme à la raison instrumentale : cette liaison ne devient pertinente que négativement comme instance de résistance. Mais les implications lointaines d'une telle situation sont assez terrifiantes pour les beaux-arts dans la forme que nous leur connaissons depuis le XVIIe siècle, dans la mesure où le progrès industriel ne peut être sérieusement envisagé comme réversible. Un art en effet ne peut envisager son devenir comme le ferment perpétuel d'une résistance à un milieu qui l'aliène, son plus grand risque aujourd'hui serait celui d'une marginalisation progressive.

3. Les apparentements d'Adorno sont nombreux. Sa pensée se situait, non sans malaise, au carrefour de toute la philosophie allemande. Malaise au sein de son héritage le plus direct : l'hégélianisme de gauche ; malaise devant la métaphysique qu'il voudrait sauver plutôt que de la voir s'effondrer devant le nihilisme, mais que le monde a mené à la ruine. " Tant que le monde reste ce qu'il est, toutes les images de réconciliation de paix et de repos ressemblent à celles de la mort " (1966, trad. fr. 1978 : 298). Adorno, cependant fut d'abord un hégélien, même s'il récuse parfois son modèle. Mais un point très important est qu'il liera l'art à la théorie de l'apparence qui, au Dixième Livre de la République de Platon est intégrée à l'essence de l'art. On la retrouve chez Kant mais c'est avec Schiller que cette théorie prend son relief kantien. Chez Adorno la théorie de l'apparence est fille de Hegel ; autrement dit, depuis Platon, elle a glissé de l'en-soi vers le pour-soi. L'apparence est ce qui apparaît et anime le contenu. Par cette théorie, Adorno est parvenu à prolonger Hegel sur cette très importante, bien que assez peu définie, théorie du contenu de vérité de l'oeuvre. Marx est bien présent chez Adorno, comme outil dans le sens où l'éprouve Dufourt, mais il est estompé par Hegel.

Cette interprétation du point 3 nous écarte peut-être un instant des préoccupations de Dufourt. Moins cependant qu'il n'y paraît, en ce sens que Dufourt n'entend pas rester prisonnier de ce qu'il dénonce, ou déplore plus qu'il ne dénonce. Son volontarisme militant paraît en quête du contenu de vérité de l'oeuvre, visant à modifier l'art peut-être davantage dans son apparence - son mode d'apparition - que dans ses acquis les plus profonds. C'est cette pensée subtile, qu'il nous appartient maintenant de tenter de cerner.

 

IV

 

Après avoir soumis l'art en général, plus particulièrement dans ses structures spatiales, aux critères de la pensée épistémologique moderne, Dufourt retrouve la musique d'aujourd'hui sous un jour moins crispé. Il en connaît l'instabilité, il évalue la fragilité du principe de causalité, il voit maintenant l'art comme un symbole de son milieu. Rendre au mode de production de l'oeuvre une charge historique est probablement le premier but à atteindre, mais cela ne se fera pas par le retour à des souvenirs accumulés : " La musique moderne, faisant un nouvel usage de la prévision, recourt à des mécanismes et des algorithmes pour susciter des différences, engendrer des perturbations, inclure l'incident ou l'anomalie dans son jeu. Il s'agit d'une logique nouvelle, fondée sur une interdépendance de facteurs et leur distorsion mutuelle qui suscite l'apparition de formes insolites de variations et d'interférences " (p. 51 c'est moi qui souligne). Quant à l'esthétique, Dufourt se montre un vrai porte-parole des compositeurs de sa génération : elle n'attend plus le chef d'oeuvre, elle n'exclut pas l'échec, bref elle est soeur de la dérégulation sociale : " Exigence d'affrontement, symptôme de crise, la musique moderne est à l'image que l'homme d'aujourd'hui se donne de lui-même, qui est d'effort, non d'harmonie " (ibid.). En cette modernité, toutes les techniques peuvent converger ; l'imagination ne peut imposer ses valeurs de manière arbitraire, des contre-valeurs peuvent être présentes sous des formes de régression ou de dissolution. Reste à comprendre les conditions historiques qui nous ont conduit là.

Qu'est-ce qui a changé ? Dufourt refuse le purisme sériel, il n'est pour autant pas tombé dans les pièges des rétrospectivismes, il ne confiera rien à l'aventurisme de l'aléatoire " chance ", il n'acceptera aucune forme de dérision. Pour lui, s'il existe un progrès en art, il résulte de l'effort des générations successives lesquelles, en réagissant les unes contre les autres, créent la texture de l'histoire (p. 52). Cependant - je suppose qu'il en conviendra - dans la mesure où il reconnaît que les fondements de l'harmonie restent ceux de l'atonalité, sauf système non tempéré, les morphologies du langage ne peuvent, dans le principe, se modifier beaucoup au-delà de l'accord webernien. (Le recours à des agrégats plus complexes par généralisation de l'usage de tous les intervalles ne peut modifier le principe du chromatisme atonal). C'est donc sur la syntaxe qu'il faut opérer et, par là, sur les formes et la formation des styles. C'est ici que nous rejoignons clairement, de mon point de vue, la théorie hégélienne de l'apparence, telle qu'elle est revue par Adorno au sens d'" apparition ", (1970, trad. fr. 1989 : 109-19) sens déjà implicitement présent dans la théorie de Hegel. C'est bien une manière nouvelle d'apparaître de l'oeuvre qu'implique la substitution de l'accident, du différencié, à l'espace homogène, mais entropique, du premier sérialisme et l'application de formes insolites - disons, tout au moins, inattendues - à des champs temporels demeurés parfois indéfinis qui constituent au moins la nouvelle démarche intentionnelle.

Transformer l'apparence de la réalité artistique, comment cela peut-il permettre d'en affecter l'expressivité, la symbolique, le sens et la communication ? Selon Hegel, en opérant sur le contenu, ce que semble indiquer Dufourt quand il exprime une nostalgie des pouvoirs symboliques de la musique et aspire à la pourvoir de nouvelles données expressives. Mais comme il le souligne (p. 54), le sérialisme a dirigé l'histoire vers les langages artificiels, postulant une logique à base d'algorithmes parvenant ainsi, plutôt que de rejoindre les propositions de la linguistique, à un langage de la connaissance. Ruwet dès 1958 avait, sur ce point, averti très clairement les Sériels en affirmant qu'ils avaient tenté de créer un langage sans même se poser la question de la définition du langage (1959 / 1972). Ce que Ruwet n'avait probablement pas imaginé, c'est que l'intelligence artificielle était en train de conquérir de nouveaux territoires qui pouvaient et devaient se dispenser de ce recours à la prise en compte du langage naturel. Les musiciens sériels très impressionnés par la remarque de Ruwet, n'étaient pas davantage conscients de cette nouvelle réalité, mais ils y étaient entraînés malgré eux depuis que la pratique de la musique composée en studio les avait contraints à l'analyse paramétrique permanente des sons. C'est bien en cela, de mon point de vue et je le suppose partagé, que l'histoire du dodécaphonisme suivi du sérialisme n'est pas en première instance un problème de responsabilité du compositeur, encore moins de déviance, mais une irréversible fatalité. Le développement technique ne pouvait éviter de conduire un jour le musicien au laboratoire ; s'y trouver le confrontait aux nécessités imposées par les technologies dont il n'y avait qu'à accepter la logique. A quelle stagnation aurait conduit le refus ? Ce n'est pas un hasard si dès ses premiers essais (Études pour sons électroniques), Stockhausen s'est donné pour tâche de sérialiser le matériau, ou que Xenakis ait cherché des formes de combinatoires fondées sur les probabilités. A la souveraineté créatrice que cent ans plus tôt on dénommait Génie, n'était offerte que la combinatoire. Quelle alternative pouvait être celle du compositeur aux prises avec une tonalité défaillante, s'il voulait éviter le chaos ? Qui, hormis Xenakis non moins atonal que le sérialisme qu'il dénonçait, a été en mesure d'opposer une invention qualifiée renouvelant les valeurs traditionnelles sans être contraint de les outrepasser ?

Dufourt n'aura aucune parole complaisante pour le sérialisme dont il semble lire l'histoire sans discontinuité pendant les cinquante dernières années. Il le définit comme un phénomène leibnizien, ce qui se laisse admettre comme source analytique et définitionnelle du langage moyennant une relation historique très indirecte. On peut alléguer que l'aspect leibnizien se lit dans le sérialisme comme dans les contrepoints savants et les formes fuguées, telles qu'elles prévalaient dans les pays luthériens, cherchant pour chaque oeuvre une définition unique. Mais le sérialisme généralisé affirme aussi une origine épistémologique plus moderne : comme l'a montré Yvon Belaval (1960), si Leibniz a été un critique de Descartes, on ne pourrait néanmoins pas l'appréhender comme non-cartésien. Or il semble que le sérialisme, loin d'opérer sur des catégories distinctes a plutôt amené le compositeur à penser des relations complexes entre de telles catégories ; le système pourrait être ainsi appréhendé comme non-cartésien. Il est curieux peut-être que seul le sérialisme qui a produit des résultats extrêmes et opposés : des oeuvres majeures et des retraits de catalogues quand la fertilité vint à manquer, soit mis en cause par Dufourt alors qu'il ne touche pas au comportement de ses falsificateurs. Il pourrait, il est vrai, objecter à cette remarque que c'est en raison de ses apories que le système a pu être, non seulement falsifié, mais parodié.

Quoi qu'il en soit, l'idée par laquelle Dufourt entend bien nous concerner quand il évoque la logique sérielle y compris dans son arrière-plan leibnizien, c'est celle d'une combinatoire présente, dès le début, dans ses emprunts au contrepoint de la pré-Renaissance jusqu'à l'informatique musicale actuelle. Il nous convie à percevoir cette dernière filiation immédiate ; une relation qui ne se comprend pleinement que dans son existence objective puisque nombreux sont les praticiens actuels de l'informatique qui jamais ne sont passés par le sérialisme et visent à pourvoir leur travail de base d'un tout autre statut. Sans s'écarter de la pensée de Dufourt, on pourrait dire que si le sérialisme a lié sa condition d'existence à l'intelligence artificielle, plus qu'une présomption existe pour que l'intelligence artificielle musicale vive sans référence au sérialisme qui n'en serait que le stade infantile.

 

V

 

Après avoir décrit les situations créées par l'informatique musicale préparée par la combinatoire sérielle et avoir rappelé quelques étapes de l'outillage et de son utilisation, Hugues Dufourt (p. 58) en vient à poser un problème qui n'a guère de réponse claire aujourd'hui mais qui est de nature à inquiéter légitimement, dans ses conséquences, le compositeur. Ce problème concerne en premier lieu la distance existant entre le langage humain et les langages machine. Le musicien, pour les besoins de son travail de formalisation, est ainsi obligé de convertir, dans ses propres termes, un langage de communication. Replié en son habitus, il ne découvrira, dans un premier temps, que des corrélations entre données isomorphes. Ce sont ainsi les parallélismes, les éléments comparables, qui prennent le dessus, ce qui, au niveau de la structure, peut enrichir l'information cependant qu'au niveau du message peut résulter un certain appauvrissement. De telles fonctions pourront-elles rejoindre la richesse d'un langage naturel ? C'est bien là, le genre de question qui devrait agiter aujourd'hui le monde de l'informatique musicale quand le but visé est autre que celui de la production de sons de synthèse, l'échantillonnage de timbres et les transformations en temps réel ; " autre ", c'est-à-dire quand la préoccupation devient la recherche de formalisations.

Dans les premières années, la question était moins préoccupante parce que n'étaient pas rares les auteurs qui voyaient l'ordinateur à l'image du cerveau humain comme on voit l'homme à l'image de Dieu. Mais les simples traductions de messages n'ont pas tardé à provoquer le rire, et il devint rapidement évident que les miracles de l'artefact ne menaçaient en rien en profondeur et à bref délai la complémentarité dialectique existant entre pensée et langage.

Aujourd'hui les musiciens comptent sur des logiciels qui leur fournissent des stocks de données, à l'instant souhaité, dans lesquels ils sélectionnent les matériaux correspondant le mieux à leurs intentions : autrement dit, ils bénéficient d'un appréciable gain de temps, mais une telle procédure peut-elle avoir d'autres avantages ? Inéluctablement, ce sont des jeux de combinatoires qui réapparaissent. Les compositeurs ne manquent pas de s'en féliciter au nom de l'exhaustivité des réseaux proposés, alors qu'il serait peut-être préférable d'évaluer l'apport de tels dictionnaires, plus proches de l'homonymie que de la synonymie. La CAO (composition assistée par ordinateur) semble porter justement son appellation : les logiciels, quand ils ne participent pas directement à la formation du sonore, ne sont que des auxiliaires, et là, ne serait pas une raison de les tenir en méfiance, s'il n'y avait en leur proximité un certain risque de fétichisation et de blocage accompagné de quelque nouveau mythe. Dufourt (ibid.) rappelle opportunément une parole de Jean-Claude Risset faisant part de l'insuffisance de l'analyse paramétrique dans la formalisation. Je rappellerai quant à moi, une observation de Gérard Grisey (1991 : 353) se réjouissant que le son de synthèse sorte le compositeur de la note. On pourrait dire qu'à l'inverse les logiciels de formalisation l'y ramènent inexorablement.

On voudrait croire que Dufourt se livre à un humour tranquille quand il conclut (p. 58-9) que l'informatique musicale va servir de tests expérimentaux aux neurosciences, au cognitivisme et à l'informatique elle-même. Voilà bien une issue pour sortir du concert que les plus fanatiques de la cause n'avaient pas prévue. Trait d'humour ? Déjà quelques universités accueillent des musiciens dans les départements des sciences de la communication - Un transfert de fonction qui rendrait la musique à la science après deux mille ans de désertion. Aurait-elle juré de se venger de n'avoir pas été souvent comprise ?

C'est d'ailleurs en fonction de la place où ils se situent par rapport aux symbolismes graphiques que les compositeurs se répartissent dans l'utilisation de l'informatique dont le graphisme est la condition. Ceux qui travaillent sur le son et le timbre - tels les spectralistes - n'en passent par le graphique que comme outil et se situent en dehors du sérialisme, alors que ceux qui travaillent avec comme première perspective de formaliser les structures sont liés aux modèles graphiques et restent proches du sérialisme. Dufourt établit clairement la jonction du sériel et du graphique comme l'avait caractérisé Stockhausen (1959 /1963), quand il l'étend aux fonctions informatiques : " Le langage graphique est porteur de possibilités d'expressions structurales, et le sérialisme représente la conquête du pluralisme dimensionnel des fonctions de l'écriture " (p. 60).

 

VI

 

En conclusion de cette étude qui nous a servi de fil conducteur pour approcher la pensée de Dufourt face à la musique de notre temps à laquelle lui-même participe comme compositeur, il esquisse une brève synthèse historique d'actions plus récentes. à travers cette synthèse, le lecteur se rend compte que l'Europe musicale pourrait aujourd'hui se réduire aux compositeurs qui directement ou plus ou moins directement ont évolué dans le cadre de l'Ircam. Faut-il s'en réjouir ? Pour la France peut-être, pour l'ensemble du continent, il y a peut-être davantage de quoi s'inquiéter. On s'en inquiéterait moins si on pouvait croire que l'avis de Dufourt a été émis par sympathie pour quelques collègues, mais là n'est pas le critère, ils sont en effet rares les noms qui ont pu être ignorés et qui pourraient donner aujourd'hui le sentiment d'informer l'histoire. Cela veut peut-être dire que, de nos jours, la création n'est plus une activité dont les chances existent dans l'isolement. La tâche urgente serait donc de favoriser l'ouverture de foyers de création ; mais il ne faut, pour autant, rien espérer d'institutions créées sans moyens suffisants : les compositeurs ont besoin d'un environnement et d'un encadrement technique matériel et humain très adapté. Il y aurait peut-être là l'amorce d'une compensation aux exigences de la culture industrielle : en éviter les poncifs tout en participant au progrès technique impliqué par l'industrie de l'information.

Les polémiques n'ont cependant pas manqué en France ces dernières années, alors qu'au regard de ce qui se vit ailleurs en Europe, on aurait pu - disons-le sans la moindre intention de propagande - pavoiser. Ces polémiques, venant de sources officielles ou de milieux frustrés, ont été de deux ordres, nous dit Dufourt : le premier concerne la pauvreté des résultats ; le second, les logiciels qui ne peuvent introduire que des éléments de syntaxe dépourvus de toute sémantique. (p. 65). C'est cette dernière critique que l'auteur discute le plus longuement mais c'est aussi la moins compréhensible. On peut admettre que le logiciel de formalisation ne dégage pas suffisamment le compositeur de son habitus, mais il est plus difficile de comprendre que l'on puisse reprocher à ce logiciel de porter sur la syntaxe.

 

(1). Pauvreté des résultats - "- une utilisation factice et périphérique des machines qui, copiant, multipliant, transposant des structures crée une prolifération d'échos et de désinences sans logique musicale " (ibid.). La logique du discours en serait brouillée. Ces types de réponses sont en effet ceux que la machine peut donner en temps réel si on lui demande plus que la distribution de timbres échantillonnés. C'est le défi qu'elle lance au compositeur, c'est à lui qu'il appartient d'adapter les structures de l'oeuvre à ce que la machine peut offrir. En d'autres mots, c'est à lui qu'il incombe de créer la logique musicale appropriée. C'est ce modèle que propose Répons de Boulez où la concordance est totale entre les structures instrumentales et la réponse de la machine. On pourrait concevoir cette oeuvre comme un vaste concerto grosso dans lequel les instruments du concertato développent des figures aisément transformables (trilles, notes répétées, accords), lesquelles ont un prolongement dans le ripieno et maintiennent la cohérence, cependant que les structures harmoniques et " thématiques " du dit ripieno se déploient avec une liberté qui ignore la machine. Ces observations sous-entendent que, dans un tel cas d'utilisation de la machine comme instrument de réponse, il s'agit de la traiter comme un instrument ordinaire en le pourvoyant d'une écriture en rapport avec ses moyens propres. Or comme par nature l'instrument est muet, c'est bien le corps sonore qui doit lui donner la parole. Le problème tel qu'il est envisagé par la critique est donc bien, comme l'avait observé Dufourt, celui de la distance entre langage artificiel et langage naturel. L'utilisation de l'intelligence artificielle, par le musicien, implique la nécessité de produire une convergence réduisant cette distance. Néanmoins, Dufourt pourrait vouloir manifester quelques réserves par rapport à une part de ces remarques quand il déclare : " Le propre de l'oeuvre musicale accomplie est de dépasser son caractère d'instrumentalité, de technicité, de s'affranchir de la clôture des systèmes et de s'engager dans le processus de la signification et de la communication intersubjective " (ibid.). Cet idéal a-t-il jamais été atteint ? Certes, si les techniques devaient demeurer en l'état, on ne pourrait indéfiniment postuler des directions perpétuellement similaires de composition ; un problème de faisabilité risquerait de décompenser les ressources de l'imaginaire.

Mais il est un acquis, un résultat d'une portée considérable, souligné par Dufourt (p. 64), que la critique officielle devrait s'imposer de ne pas ignorer si elle veut être crédible : il s'agit de la transposition des données touchant le son de synthèse aux sons instrumentaux. Cette réalisation due à Tristan Murail et Gérard Grisey permet, indépendamment de la technique spectrale qui définit l'écriture de ces compositeurs, mais grâce à ses données, de concrétiser une avancée dans la pratique du timbre qui est en train de devenir l'amorce d'un langage neuf.

 

(2). Déficience des logiciels - Ils produisent des bases syntaxiques mais ne permettent d'atteindre aucune sémantique. " On se demande - écrit Dufourt - si ces algorithmes formels, si ces grammaires sont susceptibles de se convertir en forme linguistique pouvant servir aux fins de la communication et peuvent être correctement rattachés aux aspects les plus fondamentaux de la conduite humaine, notamment la fonction symbolique " (p. 66). Ayant ainsi formulé l'objection critique courante, Dufourt y répond en attirant l'attention sur le fait artistique, lieu où l'indépendance existe entre syntaxe et signification, mais il insiste sur la nécessité " de produire des significations et (de) réunir les conditions internes à l'oeuvre qui rendent possible l'avènement de significations " (ibid.). La réponse est adéquate mais contient l'éternelle difficulté liée à toute idée de sémantique musicale. L'oeuvre musicale doit signifier, tout au moins dégager un sens, mais comment objectiver ce sens ? Ce n'est pas ici le lieu de reprendre ce problème où j'en reste à ce que j'écrivais il y a huit ans, faute de mieux en renvoyant aux théories de Rameau (Deliège, 1987). Quant à ce qui présentement nous concerne, il paraît difficile de comprendre l'objection courante. De quoi, s'il vous plaît, un compositeur, s'il recourt à l'informatique, pourrait-il avoir besoin si ce n'est de logiciels syntaxiques ? Quel logiciel musical pourra jamais afficher un menu de traits sémantiques, si ce n'est alors un dictionnaire graphique ou sonore de clichés repérés dans l'arsenal des incidentaux à l'usage des fabrications de programmes à bon marché de télévision ? N'inversons pas les rôles : ce n'est pas l'ordinateur qui compose. Au compositeur appartient la responsabilité de créer le sens. Rappelant une évidence aussi naturelle, je crois corroborer la pensée de Hugues Dufourt quand au moment de conclure il note : " Pour accéder au caractère d'art, la langue de la logique doit se convertir en une logique de la langue " (ibid.). Et - sous-entendu - cette conversion, c'est l'acte même de composer.

 

 

    RÉFÉRENCES

     
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