Le travail comme activité émancipatrice au défi du nihilisme
Alain
Rallet
Rencontres
franco-tunisiennes de Nabeul
1er
Mars 2023
Pourquoi le travail ? Pourquoi constitue-t-il pour moi un
point contre le nihilisme contemporain ?
D’où me vient ce point ?
De loin c’est certain, et
plus précisément de trois sources :
Ma première confrontation à
la question de l’émancipation par le travail fut au tout début des années 70, l’expérience
d’une organisation ouvrière issue d’une grève, la Caisse de solidarité des
ouvriers de l’usine Chausson à Reims. Ce fut le point de départ d’un long
travail militant aux portes des usines pendant vingt ans.
La deuxième rencontre avec la
question de l’émancipation au travail fut la lecture et l’étude des textes de
Marx, des textes fondateurs, encore aujourd’hui, pour comprendre le travail,
non pas seulement comme un phénomène objectif (transformer la nature, produire
des objets) mais comme un phénomène subjectif, politique constitutif d’un
mouvement, d’une trajectoire d’émancipation.
Troisième étage de la
fusée : mon activité professionnelle d’économiste qui m’a conduit à suivre
les transformations objectives du travail, leurs grandes étapes et à
m’interroger sur là où on en est aujourd’hui, en particulier avec toutes ces
technologies numériques qui impactent le travail et le rapport des organisations
et des hommes au travail.
Pour lever tout malentendu, je commencerai par distinguer deux
choses, l’emploi et le travail.
L’emploi, c’est le fait d’avoir
un boulot. On peut le désigner par un type de métier, le décrire par les
compétences nécessaires. On peut aussi l’aborder par son contraire, le
chômage : être privé d’emploi. Les questions de l’emploi et du chômage
sont très importantes, particulièrement en Tunisie, où le chômage y compris des
diplômés prive de perspectives la jeunesse tunisienne et la pousse à trouver
son avenir ailleurs, au péril de sa vie. C’est un grave sujet. Pour en parler,
il faudrait avoir mené une enquête, rassemblé des éléments sensibles et bien
sûr en faire un point.
Mais ce n’est pas de cela
dont je vais directement parler. Ou plutôt j’en parlerai sous un certain aspect,
un aspect subjectif, la dignité que procure le fait d’avoir un travail et
la reconnaissance sociale que cela apporte. Etre chômeur, c’est bien sûr ne pas
avoir de ressources, c’est être condamné à la pauvreté, mais ce n’est pas que
cela. C’est aussi ressentir ne plus avoir de place dans la société, d’identité
sociale, c’est aussi s’auto-déprécier, perdre confiance en soi, ne plus pouvoir
envisager l’avenir, c’est déprimer. Par là, on voit le rôle central du travail
dans notre constitution subjective. Et c’est de cela dont je veux parler.
Que veut dire parler du travail ?
Parler du travail, c’est
parler du travail comme activité, c’est à dire de ce qui nous constitue comme
sujet au travers de nos gestes de travail, de nos pratiques de travail, de la
coopération et de la solidarité que nous y nouons avec d’autres, du travail
comme lieu de constitution d’un collectif, de la pensée qui s’y attache, des
transformations qu’il opère dans les valeurs sociales au premier rang desquelles
l’égalité et la fraternité, bref de tout un univers politique.
L’activité de travail comme
pratique matérielle insérée dans un contexte social particulier, l’atelier,
l’usine, le bureau et servant ou non l’émancipation de l’humanité. Car au fond
le travail, c’est ce qui relie le petit (ce qu’on fait concrètement, les
gestes, les attitudes au travail) avec le grand (ce à quoi on aspire dans son
travail, comment on se représente le monde et on le transforme).
Le nihilisme a pour essence
d’empêcher la connexion entre le petit, les pratiques concrètes de travail et
le grand, l’idée d’une pensée sur le travail, sur une autre organisation du
travail qui l’émanciperait. La connexion une fois rompue, le travailleur est
voué à recommencer éternellement les mêmes gestes, asservi au rythme usant des
cadences, subir les ordres stupides, remiser son intelligence dans le placard.
En
quoi le travail comme activité a t-il partie liée au nihilisme contemporain ?
Pourquoi est-il pour moi un sujet ?
Un des aspects du nihilisme, c’est aujourd’hui de
déclarer qu’il n’y a plus à transformer le travail comme condition et forme de
l’émancipation humaine.
C’est à dire ne rien attendre du travail, ne
rien vouloir du travail au-delà de ce qu’il est dans cette société capitaliste.
Qu’est-ce qu’il est ? D’une part un objet d’exploitation, un instrument au
service de la production de profit, d’autre part, un asservissement de
l’individu, de sa personnalité, de sa capacité à se réaliser. Le travail qui
est de manière écrasante du travail salarié ne pourrait être rien d’autre que
ce que le capitalisme en fait.
Ce que le capitalisme fait objectivement du
travail, Marx l’a fort bien décrit.
D’un côté le travail est un instrument
d’exploitation. L’exploitation, c’est le fait que le capitaliste est en mesure
de s’approprier une partie de la valeur créée par le travail de l’ouvrier
puisqu’il possède les moyens de production et dispose donc du produit du
travail de l’ouvrier. Il suffit qu’il paie l’ouvrier à une valeur inférieure à
la valeur créée par celui-ci. L’objectif de la production est alors d’accumuler
sans fin ce profit. Au plan subjectif le travailleur se trouve dépossédé du
produit de son travail et asservi à une finalité qui n’est pas la sienne, mais
celle du capitaliste. Il travaille pour l’autre. Le travail n’est plus une
activité libre mais se trouve pris dans ce rapport social de dépossession.
D’un autre côté, et de manière liée, le travail
s’effectue dans le cadre d’un contrat dit de subordination. En signant ce contrat, le salarié abdique
tout droit à définir ce qu’il va faire (quelles tâches et dans quelle organisation
du travail), comment il va le faire (pas d’autonomie, sous contrôle strict de
l’employeur) et comment il va être évalué et sanctionné. Les pouvoirs
d’affectation du travail, de son contrôle et d’évaluation/sanction sont
concentrés dans les mains de l’employeur capitaliste. C’est ce que Marx a
appelé le despotisme d’usine ou la discipline de caserne. L’exploitation
s’effectue dans le cadre d’une domination (permise par le contrat de
subordination). À la dépossession d’une partie de la valeur de son travail,
répond pour le salarié la dépossession de tout pouvoir, de toute autonomie dans
la conception et l’exécution de son travail. Il n’est qu’un exécutant au
service d’une finalité qui n’est pas la sienne. C’est ce que Marx appelle
l’aliénation du travail.
Le travail vivant, son travail, celui qu’il
effectue, celui qu’il déploie par son énergie, son habileté, son intelligence,
son être, sa subjectivité se transforme en un résultat (le produit de son
travail, les machines) qui non seulement lui échappe mais qui « se dresse face à lui comme une puissance
étrangère » nous dit Marx. Ainsi les machines que le travail a produites
et qui incorpore le savoir-faire, l’habileté de l’ouvrier se trouvent
transformées en monstres mécaniques dépouillant le travail de son intérêt,
l’asservissant à un rythme prédéterminé, cadencé par une chaîne de production
qui se substitue aux travailleurs pour dicter leur coopération.
La
question est alors la suivante : peut-on échapper à cette situation et
que veut dire échapper à cette situation ?
Peut-on, du fond même d’une situation
d’exploitation plombée par une discipline de caserne, vouloir et pouvoir s’en
émanciper, c’est à dire manifester, affirmer les germes d’une puissance propre du travail vivant.
S’émanciper, c’est s’émanciper en quelque
point, quelque part, fût-ce de manière minime, par rapport à cette puissance
étrangère qui se dresse face aux travailleurs et impose à leur travail une finalité
qui n’est pas la leur. Ne plus être sous son emprise d’une manière ou d’une
autre. Non pas de manière totale car le travail continue d’être dans une
relation de subordination. Mais par quelque chose qui échappe à certains
moments, sous certaines formes, à cette domination.
Je parle à ce sujet de germes, c’est à dire de
gestes, d’attitudes, de paroles, d’énoncés qui, sur le lieu du travail,
inaugurent la possibilité que le travail comme activité soit autre chose que ce
qu’il est aujourd’hui. Le défi au nihilisme commence avec une telle
démonstration. Il faut trouver les formes, les ingrédients de cette
démonstration.
Ce n’est donc pas imaginer une alternative
totalisante à ce qui existe, à opposer une utopie, un travail libéré dans un
cadre idéal, un phalanstère comme au 19ème siècle, dans on ne sait
quel lendemain, avec on ne sait quelles forces. Non, c’est ici et maintenant, dans
le terreau de ce qui est, qu’il faut trouver les germes de l’émancipation et
non dans la description délirante et inopérante d’un paradis terrestre chargé
d’illuminer de pauvres diables au fond du trou. Car la projection utopique
comme moyen de s’en sortir a paradoxalement pour ressort la défiance à l’égard
de la capacité des travailleurs de construire eux-mêmes les trajectoires
concrètes de leur émancipation. L’utopie, c’est la défaite d’une pensée et
d’une pratique transformatrice.
Après avoir précisé ce que j’entends par
émancipation (trouver des gestes, des paroles d’émancipation au travail), je
reviens au nihilisme contemporain, c’est à dire aux formes prises par la
déclaration que cette émancipation est impossible au lieu et au temps du
travail.
En
vérité, il y a deux formes complémentaires de nihilisme, une classique sur
laquelle je ne m’étendrai pas, une autre plus contemporaine, à laquelle je
m’intéresserai davantage car plus récente.
Défier le nihilisme contemporain relatif au
travail, c’est défier ces deux formes, c’est à dire dessiner le moyen de les
contester, de les combattre par l’affirmation d’une voie qui consiste à trouver
dans l’activité de travail elle-même,
dans les conditions où elle est et que j’ai rappelées, les ressources
subjectives et de pensée pour poser des germes d’émancipation.
Je résumerai ces deux types de nihilisme par deux
énoncés bien connus : « travailler
pour consommer », « ne pas
perdre sa vie à la gagner »
La première forme du nihilisme relatif au
travail n’est pas si contemporaine que cela car elle a accompagné le développement
du capitalisme depuis la fin du 19ème siècle. Il s’agit de la voie
syndicale, ou de ce qu’on a appelé dans la tradition marxiste, la voie
trade-unioniste. En quoi consiste t-elle ? Brièvement dit, elle a consisté
à enfermer la problématique de l’émancipation au travail dans la question de
l’exploitation, c’est à dire dans la négociation des salaires et des conditions
de travail. Elle négociait l’augmentation des salaires en renvoyant la fin de
l’exploitation à des lendemains théoriques, au plus près à des victoires
électorales, au plus loin aux promesses d’une société sans travail, les
machines ayant remplacé les hommes.
Ce faisant, elle a légitimé l’ordre social
existant à l’usine, ne cherchant qu’à en atténuer les effets négatifs et à le
rendre tolérable pour les travailleurs. Elle s’est à ce point fondue dans le
rapport capital/travail qu’elle est devenue le régulateur du capitalisme
toujours tenté de comprimer le salaire au niveau le plus bas possible ou à
dégrader les conditions de travail, et la santé des travailleurs, de
surexploiter la force de travail au risque de couper la branche sur laquelle il
est assis. Les syndicats se sont institutionnalisés pour remplir ce rôle et,
dans certains pays comme la France, sont même devenus des parties de l’appareil
d’Etat. Il y a là nulle émancipation au sens on l’a définie comme une trouée de
l’ordre existant et la capacité à en poser les germes.
Je qualifierai cette voie de nihilisme consumériste (vivre c’est
consommer, mieux vivre c’est consommer plus).
Pour que la consommation fonctionne comme
l’horizon indépassable de notre époque, pour que ce soit l’objectif ultime et
la raison de vivre dans notre société, que ce soit à l’état de réalité ou
d’illusion, pour que le désir d’occident puisse être un désir de biens de
consommation, il a fallu garantir un certain niveau de salaire et accorder le
temps de consommation nécessaire (limitation du temps de travail) à une partie
de la population (les insiders) et faire saliver les autres dépourvus de
moyens (les outsiders). Ca s’est fait dans le cadre de luttes sociales
qui ont permis d’élever les salaires et ainsi de faciliter l’accès à la consommation.
S’est mis en place le système biface du salarié/consommateur, fondement de ce
qu’on a appelé les classes moyennes et qui est devenu un pilier de l’ordre
existant dans les sociétés capitalistes développées, et qui fonctionne comme
modèle pour les autres. On peut qualifier ce système de nihiliste car il barre
toute autre perspective à l’émancipation par le travail que d’accéder à la
consommation.
On trouve chez les participants de cette voie
une solide défense du salariat qui, faut-il le rappeler, est fondé sur une
relation de subordination du salarié au capital. Les syndicalistes s’accrochent
au salariat comme une moule à son rocher. Ils sont incapables et peu désireux
d’imaginer autre chose car ils ont constitué leur clientèle sur la base du
salarié/consommateur. Il y a même des
gens un peu plus radicaux, comme le sociologue Bernard Friot, qui avancent
l’idée que le salariat est « une puissance
révolutionnaire capable de combattre la mainmise du capital sur le
travail ».
Le nihilisme consumériste est la cible de l’autre
nihilisme lié au travail. De sorte que défier le nihilisme sur la question du
travail est une lutte sur deux fronts, le deuxième front n’étant pas moins
important que le premier en raison des habits neufs sous lesquels il se
présente bien qu’on puisse lui trouver des racines anciennes comme le célèbre Droit à la paresse de Lafargue qui date de
1880 [1].
Il est resté longtemps marginal mais est devenu plus actif depuis une trentaine
d’années.
Je l’appellerai le nihilisme de la sécession. Il y en a des bien des variantes, certaines
plus subtiles que d’autres, mais je résume l’idée principale.
Il ne s’agit plus de se fondre dans l’ordre
existant comme dans le nihilisme consumériste, mais de prôner la sécession à
l’égard de la sphère du travail en valorisant les activités hors travail comme
étant les seules activités émancipatrices, celles où les sujets peuvent vraiment
se réaliser.
Ce nihilisme prend appui sur la critique du premier.
Il critique en effet la tradition du mouvement
ouvrier qui, en centrant l’opposition au capital sur le strict terrain de
l’exploitation, a de fait enfermé l’émancipation dans l’illusion de croire
qu’elle pouvait se réaliser dans le cadre du travail. L’émancipation ne consiste pas à libérer le travail mais à se libérer
du travail. Il faut au contraire « désenchanter le travail » pour
reprendre un mot de la sociologue Dominique Méda qui est une des principales
inspiratrices de ce courant. « Le
problème n’est pas de donner la forme travail à des activités de plus en plus
nombreuses mais au contraire de réduire l’emprise du travail pour permettre à
des activités aux logiques radicalement différentes, sources d’autonomie et de
coopération, véritables de se développer ». (D. Méda, Le
Travail, une valeur en voie de disparition ?, D. Méda, Flammarion, coll. « Champs/Essais »,
2010).
Les hommes réalisent leur capacité créatrice,
et donc se réalisent, dans des activités hors travail. « Ne plus perdre sa vie à la gagner »
en est la version populaire. De là s’est développée la thématique de la
« Fin du travail » (titre de l’essayiste américain Jéremy Rifkin :
La fin du travail, 1995, La
Découverte/poche) comme aspiration émancipatrice.
La « Fin du travail » s’interprète de
deux manières.
Premier sens : les machines remplaçant les
hommes, le travail nécessaire à la production des richesses sera fortement
réduit, occupera une part moins importante du temps et donc n’aura plus la place
centrale qu’il a aujourd’hui dans la société.
Ça veut dire aussi de manière plus large, deuxième
sens, que le travail ne peut plus être
l’horizon dans lequel on pense et on vit l’émancipation. Il n’est plus la
valeur centrale de la société. Le
philosophe existentialiste André Gorz a été, dans les années 80, le
penseur de cette double fin du travail, comme ressource centrale dans la
production, comme horizon idéologique de l’émancipation, comme valeur sociale
(D. Méda titre son livre « Le travail, une valeur en voie de
disparition »). Gorz en a tiré une conclusion logique en publiant son
livre Adieux au prolétariat (Ed
Galilée, 1980).
Tout cela alimente aujourd’hui un courant
important qui voit dans le hors travail le temps et le moyen de l’émancipation.
Je voudrais préciser pourquoi je pense que c’est une position nihiliste. En
effet, après tout, on sera tous d’accord pour dire que moins on passera de
temps à s’abrutir au travail et plus on s’adonnera à des activités nobles hors
travail, plus on se réalisera dans des activités créatrices, artistiques,
amoureuses, scientifiques, politiques… Marx l’a d’ailleurs fortement souligné.
La question n’est pas là.
La
question est ce qu’on entend par travail. Car c’est un travail, un
effort à produire, souvent considérable, que de mener ces activités créatrices.
Un travail manuel parce qu’on manie des objets, un travail intellectuel car on
doit triompher de questions complexes, difficiles à résoudre. Désigner ces
activités comme ne relevant pas du travail, comme étant hors du travail,
revient à les assimiler à une pure jouissance. Il y a bien entendu une
jouissance à mener des activités épanouissantes mais cette jouissance non
seulement n’est pas sans travail mais se situe dans le travail, un travail dont on tire fierté et satisfaction, un
travail qui n’est plus vécu comme un sacrifice mais comme une valorisation de
soi.
Marx fait cette réflexion que loin d’être un
« amusement de grisettes » comme le pense Fourier, « les travaux vraiment libres, la composition
musicale par exemple, c’est diablement sérieux, cela exige même l’effort le
plus intense » (Marx, Principes
d’une critique de l’économie politique, Œuvres, t 2, La Pléiade, p 289)
Le nihilisme dont je parle se situe là, dans la
tentative, avec « la fin du travail», d’établir le règne d’une jouissance
sans effort, bref d’assimiler l’émancipation au monde fini de l’hédonisme. De proposer en fin de compte une utopie
frelatée d’autant plus nuisible qu’elle ne correspond en rien au monde
dangereux dans lequel nous vivons et qui requiert de nous des efforts
considérables de pensée et d’action.
Je maintiendrai donc que l’émancipation passe
par la libération du travail au cœur du travail tel qu’il est, quand bien même
il faut en changer radicalement la finalité et non dans la fuite utopique vers
un monde de jouissance hors travail.
Le
nœud théorique de l’affaire, ce qui fait basculer le choix de libérer le travail vers le choix de se libérer du travail,
a sa racine dans le maniement du concept d’aliénation. Il faut en effet l’examiner
pour pouvoir en venir à ce qui est pour moi décisif dans le fait de continuer à
vouloir libérer le travail et à considérer que l’émancipation au travail part
de cette volonté, même si elle ne s’y réduit pas.
C’est faire de la subjectivité au travail, ce
qu’on ressent dans le travail, le point de départ, de toute perspective
émancipatrice. Or les deux types de nihilisme ignorent la subjectivité au
travail ou la contournent et c’est leur point commun. Pour en voir la racine,
il faut examiner la notion d’aliénation.
L’aliénation est un concept qui a été développé
par Marx pour caractériser ce que devient le travail comme activité humaine
dans le capitalisme. Il en a développé une première version dans son écrit de
jeunesse Les Manuscrits de 1844. Cette
notion a ensuite évolué dans ses écrits ultérieurs, l’Idéologie allemande, les Gundrisse,
le Capital.
Mais il l’a maintenue, même sous une forme différente.
Je pense qu’il faut la maintenir contre sa dénonciation comme pensée idéaliste
de Marx. Cette dénonciation a fini par éliminer la composante subjective de
notre rapport au travail, cette élimination étant le fondement des deux types
de nihilisme, le consumériste qui précipite le salarié dans les bras
consolateurs de la consommation (« c’est pas grave que tu souffres, tu
vas pouvoir consommer »), le sécessionniste qui lui dit : « jouissance,
va te faire voir ailleurs », où ? dans le hors travail.
Alors
qu’est-ce que le travail aliéné ?
Au XIXème, le travail prend une signification
contradictoire.
D’un côté en transformant la nature pour rendre
le monde humain, habitable, le travail est ce qui permet à l’homme de s’auto-réaliser,
c’est à dire d’affirmer ses capacités créatrices, sa personnalité ainsi que de
construire la sociabilité, de faire société puisqu’il travaille en coopérant avec
d’autres. Le travail occupe alors, parmi, toutes les activités humaines, un
rôle central dans l’épanouissement existentiel. « Le travail est l’essence de l’homme » affirment Hegel et la
philosophie allemande.
Mais le travail devient tout autre chose avec
le capitalisme. Il est un moyen de produire de la valeur marchande et de la richesse
que s’approprient les détenteurs de capitaux. Le travail devient une
marchandise vendue sur un marché sous forme de force de travail et une mesure
abstraite de la valeur des produits créée par cette force.
Le travail vivant est détourné de son but. Il
n’est plus une expression épanouissante de soi et d’un rapport solidaire aux
autres mais un moyen de créer de la richesse pour d’autres dans des lieux de
production où l’ouvrier est asservi à ce qu’exige de lui le capitaliste. Le
travail est aliéné : il dépossède le travailleur de la possibilité de se
réaliser et de transformer le monde à son image en mettant ses facultés
créatrices au service d’une finalité abêtissante qui n’est pas la sienne.
Mais
comment peut-on se libérer de cette aliénation ?
La thèse de la voie nihiliste de type
« fin du travail » est une thèse radicale : il n’y a pas d’issue
émancipatrice possible au sein du travail. Pour soutenir cette thèse, il faut montrer
que le travail est en lui-même aliénant, pas seulement le travail salarié, mais
tout « travail ». L’émancipation, c’est de réduire autant que
possible le travail nécessaire aux besoins matériels de l’existence et de
s’adonner à des activités libres, libres de quoi du travail.
Comme je l’ai déjà dit, il y a là une critique
de l’autre voie nihiliste. Reproche lui est fait d’avoir érigé le travail en
valeur centrale de la société (la société salariale) alors qu’il est en soi
aliénant et d’avoir fait du travail l’activité humaine absorbant toute la
capacité émancipatrice de l’humanité. Le salut, c’est le hors travail.
Je ne vais pas passer du temps sur la critique
de cette voie bisounours et des propositions qui s’ensuivent comme celle du
revenu universel, ni souligner qu’elle rejoint le nihilisme consumériste
puisqu’elle invente un monde de jouissance sans contrainte productive. Ce qui
m’intéresse, c’est de suivre le raisonnement qui justifie que tout travail
serait aliénant, c’est à dire qu’il n’offrirait aucune ressource d’émancipation
aux travailleurs. Circulez, y a rien à voir. Allez voir ailleurs, dans la
consommation ou l’activité artistique.
Il faut pour cela repartir de la critique que
leurs théoriciens (les plus sophistiqués) font de la notion d’aliénation chez
Marx, particulièrement du jeune Marx.
Pour Marx, le travail, c’est l’essence de
l’homme et l’aliénation, c’est que le travail sous sa forme salariée ne peut
pas être ce qu’il devrait être, mais son contraire. Pour rendre le travail à sa
vraie nature (l’épanouissement des hommes), il faut sortir du travail salarié, sortir
du cadre du capitalisme. En libérant le travail de ce carcan, les hommes
retrouveront leurs capacités émancipatrices.
Ce que les apologistes de la fin du travail
contestent dans ce schéma qu’il juge utopique, c’est que Marx attribue au
travail une essence, une valeur anthropologique (indépendante du temps
historique) qu’il s’agirait de retrouver, une fois le carcan capitaliste mis à
bas. Or, selon eux, cette vision du travail comme fondement de l’émancipation
humaine n’apparaît qu’au 19ème siècle. Marx l’a idéalisée, ce qui
l’a conduit à proposer comme modèle implicite du travail le travail de l’artisan
qui, n’étant pas séparé du produit de son travail et restant maître de son
travail, conserve son potentiel émancipateur. Ils contestent même que ce modèle
idéal ait existé.
Toujours selon eux, l’accent mis par Marx dans
le concept d’aliénation sur le retour à une essence libératrice a contribué,
via le développement des luttes ouvrières, à glorifier le travail et à
l’installer comme valeur centrale de la société en l’éternisant. Ce qu’a démontré
la pérennisation des formes aliénées du travail (le stakhanovisme dans
l’expérience soviétique) une fois la propriété privée des moyens de production
formellement disparue.
Il faut donc désenchanter le travail lui-même.
Se désaliéner, c’est s’émanciper du travail. Tout travail est aliénant (même
s’il peut être nécessaire) car il subordonne le travail à une efficacité
productive et empêche de mener des activités épanouissantes (non subordonnées à
des activités productives). Gorz assimile ainsi le capitalisme à l’intervention
d’une rationalité économique définie comme subordonnant l’activité humaine
(nommée travail) à une efficacité productive. L’émancipation passe par le
développement d’activités humaines non subordonnées à une finalité productive.
Le résultat est que le travail ne peut être lui-même
source d’émancipation. Comme je l’ai déjà dit, ce nihilisme de la sécession
partage ce point avec l’autre nihilisme. C’est ce qui fait leur complémentarité
convergente. La différence est que l’un vise l’intégration à l’ordre existant
(le deal salaire/consommation), l’autre une sécession confortable (car il
faudra bien nourrir ces dissidents du travail).
La porte est étroite pour une voie de l’émancipation
liée au travail, capable de se frayer un chemin entre les 2 mâchoires
puissantes du nihilisme consumériste et du nihilisme sécessionniste.
D’où
peut-elle partir et comment peut-elle se développer ?
D’un point complètement absent de ces deux
nihilismes, de la subjectivité au travail. Echapper
au nihilisme contemporain, c’est partir d’elle.
Elle est absente du nihilisme consumériste car
il ne prend pas en compte le travail comme activité humaine où l’homme cherche
à se réaliser et à se lier aux autres. Il le prend comme le moyen sacrificiel
d’accéder au statut de consommateur. C’est une aliénation dont le syndicalisme
ne cherche pas à sortir mais à recouvrir du voile consolateur de la
consommation via la négociation salariale.
La subjectivité au travail, ce que vivent et ressentent concrètement les
salariés au travail, n’est pas un ressort pour le syndicalisme si ce n’est en
l’objectivant dans les négociations institutionnelles sur les conditions de travail.
Quant au nihilisme de la sécession, la subjectivité au travail comme source
d’émancipation est hors champ. Pris dans les rets d’une finalité productive, le
travail ne saurait être une activité humaine où les hommes peuvent se réaliser.
Partir
donc de la subjectivité au travail.
Il y a une subjectivité intense au travail. Les
travailleurs y déploient des capacités cognitives, cherchent à s’exprimer dans
leur travail, à résoudre des problèmes, à imaginer des solutions, à jouer avec
des règles oppressives, dans la quête de trouver un sens dans ce qu’ils font.
Non pas uniquement de manière individuelle car ils cherchent à mieux se
coordonner au sein de l’équipe et entre les équipes, à affirmer des solidarités
ouvrières, à constituer un collectif de travail.
Ils se créent et tentent de préserver des
marges d’autonomie dans leur travail bien qu’il soit prescrit par le patron.
Ils y trouvent des sources d’affects, la
fierté du travail bien fait, le sentiment d’utilité de leur travail, la
démonstration de capacités manuelles ou intellectuelles, la reconnaissance des
gestes de solidarité, la révolte contre des injustices, le despotisme des
chefs… Il faut vraiment être nihiliste
pour ne pas voir dans ces pratiques et ces affects la base matérielle d’une
émancipation possible, non référée à autre chose qu’elle-même, la consolation
de la consommation ou le fantasme d’une jouissance sans travail.
Tout cela montre qu’il subsiste une aliénation
dans les conditions nouvelles de la grande industrie qui ne tient pas à une
conception idéaliste et passéiste du travail qu’il s’agirait de retrouver. Elle
tient à ce que les capacités créatrices des ouvriers s’affrontent à la
discipline de caserne qui limite leur autonomie et au machinisme qui se dresse
comme une puissance étrangère dominant non seulement leur travail individuel
mais aussi détruisant les collectifs de travail en se substituant à leur
coopération. Marx a décrit en détail ce processus dans Le Capital mais en
mettant l’accent sur l’aliénation et moins sur la possibilité d’y échapper.
Si
on se place du point de vue de l’émancipation du travail comme nous,
et non de celui de la description de la domination comme Marx, il faut partir
de ce qui est irréductible à la domination.
Ce
qui est irréductible à la domination, c’est que les travailleurs ont une
subjectivité au travail qui leur est propre et qui est déterminée par leur
intelligence, leur désir d’autonomie, d’être maître de leurs réalisations et de
s’accomplir dans leur activité. Oui, il s’agit de l’affirmation
de qualités humaines et c’est ce qui fait que les travailleurs n’acceptent pas
une dégradation animale de leur travail dans la production.
Ce n’est pas parce qu’on affirme ces qualités
qu’on désire le retour à la pureté perdue d’un travail artisanal fantasmé mais
parce que ce sont les bases subjectives, réelles donc, pour construire un
travail émancipé du despotisme d’usine. En évitant d’aborder le travail par la
subjectivité au travail où s’exprime l’intelligence humaine, la capacité
créatrice à trouver de nouveaux chemins, les nihilistes de tout bord manifestent
qu’ils ne font pas confiance aux hommes et, ne faisant pas confiance aux hommes,
ferment toute perspective d’émancipation. Leur perspective, c’est de trouver
une forme de jouissance dans l’ordre existant.
J’ajouterai qu’aujourd’hui la subjectivité au
travail est au centre de l’attention. On ne parle que de fuite devant le
travail, de grande démission aux USA, de crise d’attractivité du travail, de
perte de sens du travail, etc… Les nihilistes tentent de traiter ces problèmes
par l’augmentation des salaires et les conditions de travail ou la
glorification du retour au travail artisanal (faire du bon pain écologique
plutôt que d’être dans la finance)[2].
Mais, étant de nature subjective, la crise est
plus profonde. Je l’interprète par le fait que le capitalisme a intensifié le
travail, imposé une dictature délirante du temps et dévitalisé les collectifs
de travail par la coordination numérique, ce qui a réduit l’autonomie et les
solidarités où les travailleurs pouvaient encore manifester individuellement et
collectivement leur puissance propre. Pressurés par le capitalisme contemporain
qui leur dénie toute autonomie et même toute respiration propre, ils sont comme
des poissons affolés qui cherchent le salut hors du bocal. Où est le
sens ? Mais où est le sens ?
Partir
de la subjectivité au travail pour construire l’émancipation au travail mais
comment ? Les trois étapes de cette construction
Je distinguerai trois attitudes dans la
subjectivité au travail.
L’attitude
la plus immédiate est celle de la complainte et de la
dénonciation où se déverse la souffrance des corps au travail et l’amertume des
esprits mutilés par la relation de subordination. On aurait tort de la négliger car cette
subjectivité va au-delà du statut réactif de la plainte.
Elle permet de décharger son lourd fardeau subjectif
et du même mouvement de libérer son esprit. Mao donne ce conseil aux
militants : « Déchargez votre
fardeau pour libérer votre esprit, et relancez la machine ». Relancer
sa propre machine mais aussi celle des autres. En donnant une forme sensible,
donc transmissible, à la singularité de l’exploitation et de la domination,
elle fonctionne comme principe constitutif d’une fraternité ouvrière. Il
devient possible à une humanité ouvrière de se reconnaître comme telle dans
l’expression sensible de l’inhumanité qui lui est faite.
Seconde
attitude subjective : la résistance à la domination étouffante de
l’usine.
« Là où il y a oppression, il y a
résistance » disait Mao. C’est une loi sociale avant d’être une loi
politique : toute situation d’oppression sème les germes d’une résistance.
Mais le lien n’est pas mécanique car la résistance est tout à la fois activée
et inhibée par l’oppression. En particulier dans des univers oppressifs
totalisants comme l’usine juridiquement fondée sur l’impossibilité de
l’insubordination et matériellement sur le contrôle absolu du temps et du
travail.
La question est alors ce qui rend
subjectivement possible d’y échapper. La résistance peut répondre à
l’observation d’une règle éthique individuelle mais, livrée à elle-même, elle
ne débouche que sur une figure sacrificielle. Le point est que la résistance
n’a de sens et ne peut exister qu’à une échelle collective fût-ce minimale. Il
faut trouver des appuis, formes de solidarité. Au travail, l’exemplarité est
collective. C’est pourquoi la subjectivité de résistance cherche à interrompre
l’ordre totalisant de l’usine par des gestes où des mouvements (débrayages,
grèves, occupations…) où s’éprouve une capacité collective qui limite l’emprise
de la domination capitaliste sur le travail.
Mais la subjectivité de résistance n’échappe
que très partiellement à l’oppression qui l’enfante. Elle reste
fondamentalement définie par sa nature réactive et sa posture négative. A tel
point que l’oppression peut s’en servir comme régulateur de son ordre, de la
flexibilité à donner à ses limites pour le rendre tolérable. Le piège d’un
ordre possiblement revitalisé par ce qui tente de lui échapper est très clair
dans l’exemple d’ouvriers qui tentent de suggérer au management une autre
manière ou une autre organisation du travail à la fois conforme à leur
irremplaçable connaissance du travail et efficace au plan de la qualité du
travail et de son résultat. La créativité ouvrière (boîte à idées,
« management participatif ») est alors absorbée comme instrument de
productivité, asservie à une logique de profit. Dans son ouvrage, L’insoutenable subordination des salariés (Éd. Eres, 2021), la sociologue
Danièle Linhart appelle cela la Malédiction des « travailleurs qui consolident la domination et l’exploitation qu’ils
subissent en voulant leur échapper ».
Le seul moyen d’y échapper est de dialectiser l’irréductible trace
d’autonomie ouvrière laissée par la subordination du travail avec la
construction d’une vision émancipée du travail, d’une vision politique du
travail. Là est la troisième étape.
Je ne fais qu’effleurer l’idée, en dessiner les grands traits.
Cela mériterait de développer un autre point, le plus difficile d’ailleurs.
Par quel processus, on peut passer de l’expression d’une
subjectivité personnelle aux prises avec la nature aliénée de son travail (conscience
d’un travail bien fait, réaction à une discrimination dans le travail,
imagination brimée d’une solution à un problème productif, vision claire d’une coordination
autogérée au sein d’une équipe ou entre équipes, désir d’un produit plus utile
à la société…) à des énoncés, des déclarations qui transforment le point de
subjectivité ressenti dans une situation particulière (un poste de travail, un
atelier, une entreprise, un secteur…) en un principe, un point d’universalité, une
idée d’ensemble dans laquelle puissent se reconnaître d’autres personnes qui n’ont
pas vécu cette situation particulière mais partagent l’énoncé exprimé. Et
qu’ainsi se construise une force qui fasse valoir un point de vue d’ensemble
sur le travail et soit une réelle force de transformation des situations de
travail, même dans un cadre de domination.
Comment s’opère le passage de la
subjectivité au travail à l’énoncé politique ?
Par un travail collectif de pensée et d’action. Il faut bien
entendu des militants de la chose car elle ne s’opère pas toute seule. C’est un
travail, un travail qui n’est pas aliéné puisqu’il n’est pas au service d’une
autre finalité que celle de l’émancipation.
Le point de passage entre subjectivité au travail et énoncé
politique sur le travail, ce qui fait d’une particularité une généralité, d’un
singulier un universel, c’est quand la subjectivité arrive à énoncer quelque
chose de libérateur, d’émancipateur sur l’organisation du travail.
L’organisation capitaliste du travail, c’est ce par quoi le travail est
concrètement aliéné. Elle repose sur 2 grands principes : la division du
travail manuel et du travail intellectuel, la séparation des tâches de
direction et de conception d’un côté, et des tâches d’exécution de l’autre.
Faites l’exercice : toutes les formes repérables de
frustration d’où naît votre subjectivité au travail viennent de ce que vos
aspirations, vos facultés buttent en dernier ressort sur cette division du
travail, sont écrasées par elles. L’émancipation passe donc par des formes de
recul de ces 2 grands types de division. Les attaquer, ce n’est pas seulement
leur résister mais énoncer des formes concrètes de leur abolition, tant
l’émancipation véritable commence par l’affirmation d’un autre monde possible
surgie non pas du ciel mais des entrailles du monde existant par le travail
patient et éclairé de ceux qui trouvent là le moyen de défier le nihilisme
contemporain.
***
[1] « Une étrange folie possède les classes
ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste… Cette folie est
l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à
l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture…. Le prolétariat, la
classe qui, en s'émancipant, émancipera l'humanité du travail servile et fera
de l'animal humain un être libre, le prolétariat trahissant ses instincts,
méconnaissant sa mission historique s'est
laissé pervertir par le dogme du travail. Rude et terrible a été son châtiment. Toutes
les misères individuelles et sociales sont nées de sa passion pour le travail. » Lafargue, Le droit à
la paresse, 1880.
Je me
garderai d’accabler Lafargue qui était non seulement un pamphlétaire doué mais
un infatigable organisateur des combats ouvriers de la première heure, un
internationaliste fougueux et auquel on doit deux grands gestes méconnus, celui
d’avoir suggéré de ne laisser que la couleur rouge dans le drapeau tricolore
français, ce qui lui a valu une exclusion à vie de l’université de Paris. Et
celui d’avoir été un des rares à prendre position contre les conquêtes
coloniales dans les années 1880, en particulier d’avoir dénoncé la conquête de
la Tunisie en 1881. A son enterrement, Jean Jaurès, Lénine et Alexandra
Kollontaï ont pris la parole
[2] Proposer de produire du bon pain artisanal comme forme
d’émancipation : singulier destin ironique de la critique de l’idéalisme
supposé de la notion d’aliénation chez Marx