Affirmer
le cinématographe aujourd’hui
Rudolf
di Stefano
Rencontres
franco-tunisiennes de Nabeul
28 février 2023
D’après Ou bien…Ou Bien… de Kierkegaard
1. Les prémices
2. La naissance du point :
Des œuvres et des lieux
3. Deux exemples contemporains et
mélancoliques
4. Consolidation du point :
une méthode
5. Contradiction entre Héroïsme et Tenir un point : Les
désorientés
6. L’avenir : Un film sur
Saint Paul/Pasolini et un Laboratoire de
recherche cinématographique
Je
vais exposer comment s’est révélée pour moi la nécessité de tenir le point du cinématographe,
mais aussi comment ce point s’est consolidé à travers les années, et enfin
comment j’imagine qu’il se projette dans l’avenir.
Je
vais prendre cette question à la fois de façon subjective, ces rencontres
non-académiques nous donnent l’occasion de le faire, mais aussi en m’adossant à
un texte fondamental qui traite de cette question de façon exemplaire,
c’est-à-dire Ou bien…ou bien… de
Kierkegaard. Je vous livre en amorce trois citations :
« Si un tel homme avait un peu de
sympathie, il ne se donnerait pas de repos avant de trouver un point de départ
supérieur pour la vie. L’ayant trouvé, il n’aurait plus peur de parler de son
bonheur, car s’il en parlait clairement, il y ajouterait quelque chose qui le
réconcilierait avec tous les hommes, avec toute l’humanité. »
« Le véritable homme extraordinaire est le
véritable homme ordinaire. Plus un homme sait réaliser dans sa vie ce qui est
commun au genre humain, plus il est un homme extraordinaire. Moins il peut
s’assimiler le général, plus il est imparfait. Il est alors bien un homme
extraordinaire, mais pas dans le bon sens... Car le général, comme tel,
n’existe nulle part, et il dépend de moi que dans l’énergie de ma conscience, je
veuille voir le général dans le particulier ou seulement le particulier. »
«…tout homme est une exception, et qu’il est
vrai aussi que tout homme représente ce qui est commun au genre humain et qu’il
est en outre une exception. »
Cette
manière de prendre la question de façon plutôt existentielle vient comme nous
le savons, du fait que les temps actuels sont particulièrement troubles et que
les orientations collectives ne réussissent pas à trouver de formes claires et
inventives. Mais c’est peut-être aussi parce que j’aborde l’âge du demi-siècle,
et qu’il est peut-être temps pour moi de tenter une introspection, c’est-à-dire de commencer à comprendre
pourquoi et comment un point, mon point a été, est encore tenu depuis à présent
plus de 20 ans. Regarder en arrière et tenter de comprendre comment cela se
fait qu’il y ait un chemin, une trace qui comporte des cohérences évidentes.
Voir clair sur les choses importantes de la vie et se rendre plus transparent à
soi-même.
Je
voudrais tout de suite faire une analogie de cette méthode, avec notre façon de
faire des films, qui d’ailleurs est hérité du cinéma moderne inauguré au milieu du XXème siècle. Cette
méthode consiste à l’inverse de la notion de suspense, qui tend le spectateur vers un dénouement futur, de
proposer au contraire qu’en tout point du film, le spectateur soit amené à
faire un travail rétrospectif pour constituer depuis le présent du film, une
cohérence. Chaque présent du film est donc inconnu et arrive dans un
surgissement imprévisible, mais en revanche il est possible après-coup d’en
comprendre la logique, voire même que chacun décide de vouloir
rétrospectivement trouver une cohérence.
Alors
je procéderai de la même manière pour enquêter sur le point que je tiens,
c’est-à-dire que je vais le faire depuis le présent de mon travail, depuis
l’état actuel de ma compréhension du cinématographe. Pour commencer je vous propose
de voir ce qu’ont été les anticipations, les prémices de ce point tenu.
1 / Les prémices
Je
commencerai tout d’abord par dire que rien dans mon enfance, rien dans mon
cercle familial ne me prédisposait au cinéma. Mes parents avaient par exemple
un rapport très banal au cinéma et finalement aux arts en général, de même que
j’ai grandi dans une île en Espagne, où l’accès à l’art était très restreint,
voire inexistant. Je dois dire que c’est certainement cette distance inaugurale
qui a permis que ma rencontre avec l’art prenne la forme d’un événement. Les
premiers rapports importants avec le cinéma ont eu lieu, je dois le dire, par
l’intermédiaire d’un amour, celui qui persiste encore aujourd’hui, et il se
trouve que c’est avec cette personne que je fais des films depuis le début,
jusqu’à aujourd’hui. Mon arrivée à Paris à mes 18 ans fut ainsi la possibilité
d’un départ, puisque nous avions alors accès aux grands films de l’histoire du
cinéma, grâce majoritairement aux salles du quartier latin. Pour ce qui est
l’amour et de son rapport avec le cinématographe, il ne me semble pas
nécessaire ici de mélanger les différents points tenus d’une existence, même
s’il semble évident qu’une première victoire, un premier point tenu, permet de
penser qu’il est possible d’en tenir d’autres, et qu’une confiance sur ses
capacités propre à faire des choix importants, grandit au fur et à mesure des
réussites.
Il
y a cette confiance que j’ai eu la chance d’avoir eu très tôt, et qui m’a permis
malgré le sentiment de faire partie d’une génération à qui les victoires
grandioses et collectives lui étaient refusées, de pouvoir expérimenter des
victoires plus modestes, sous la forme de points existentiels tenus. C’est
pourquoi j’ai le sentiment que cette confiance s’est manifestée plutôt sous la forme d’un don,
comme un présent, plutôt que comme une conquête, même si persévérer, persister
et tirer les conséquences de ce présent, peut parfois prendre forme plus
épique. Disons qu’il est devenu très rapidement clair pour moi, que ma tâche
réelle consistait à plutôt conquérir ce qui était déjà là.
Après
ces prémices un peu personnelles, je voudrais me concentrer sur les raisons
immanentes, les raisons qui viennent du cinéma lui-même, et de sa singularité,
pour comprendre comment l’on peut être ravi
(dans le sens d’un ravissement) par des œuvres, et comment finalement un peu
malgré nous, elles nous poussent à en faire de même, à nous engager dans un
travail.
2 / La naissance du point
Je
tenterai de dire en trois temps ce que fut la naissance de ce point, son
inauguration. Trois temps qui sont à chaque fois des rencontres avec des
œuvres cinématographiques : Le premier temps est la rencontre avec les films
d’Ingmar Bergman, le deuxième temps est la rencontre avec ceux de Jean-Luc Godard,
et enfin le troisième temps est la rencontre avec ceux de Jean-Marie Straub et
Danièle Huillet.
Ces
rencontres sont à peu près arrivées tous les dix ans, et dans des lieux
spécifiques, c’est-à-dire dans des salles de cinéma. La première eu lieu pendant
une rétrospective Bergman qui s’est déroulée sur deux ans au cinéma Saint
André des Arts entre 1993/1994. Pour les films de Godard ce fut à
l’occasion du Dojo cinéma à partir de
2002, dans un lieu donc que nous avions créé à quelques-uns à Montreuil et
enfin pour Straub/Huillet ce fut en 2007-2008 au cinéma Reflet Médicis
dans le Quartier Latin de Paris.
Il
me semble intéressant de tenter d’explorer ces rencontres, parce qu’il est
évident que pour moi c’est bien grâce à elles que j’ai trouvé la force de
commencer et ensuite de poursuivre la fabrication d’œuvres cinématographiques.
Je pense d’ailleurs qu’une des raisons majeures pour laquelle on s’engage dans
une production artistique, vient du fait qu’il est devenu important pour soi de
témoigner de ces rencontres, et qu’une des façons les plus efficaces pour tirer
les conséquences de ces rencontres, c’est bien de faire soi-même des films,
pour assurer que cette fidélité soit vive dans le monde et l’époque dans lesquels
nous avons échoué.
Chacune
des trois rencontres que je vais mettre en avant, a produit à chaque fois un
nouveau commencement, un nouveau ou bien…
ou bien… de Kierkegaard, c’est-à-dire qu’une nouvelle alternative radicale s’est
alors proposée, dont le choix effectif a pour conséquence de nous éloigner un
peu plus de notre égarement, voire d’un nihilisme omniprésent.
Kierkegaard
explique ce qu’il entend par ou bien… ou bien… : « Le choix lui-même est décisif pour le
contenu de la personnalité ; par le choix elle s’enfonce dans ce qui est
choisi, et si elle ne choisit pas, elle dépérit. »
Les
différents choix que j’ai dû faire pour le cinématographe ne sont pas
une répétition du même, mais bien une reprise
comme l’entend d’ailleurs Kierkegaard, c’est-à-dire une nouvelle
transfiguration qui nécessite de la part de celui qui la fait, un courage pour
affronter la nouvelle séquence. Parce qu’au fond ce qui compte n’est pas tant
ce qui a été choisi, mais l’énergie, le sérieux et la passion avec lesquels on
le choisi. Je pense aussi que le choix originel est finalement toujours présent
dans le choix suivant.
Voici
donc les différents carrefours où les issues se sont pour moi resserrés, et où s’est
joué in fine la question de vouloir le cinématographe plutôt que ne pas le vouloir, et cela dans la figure
donc d’un ou bien.. ou bien… kierkegaardien
:
1 ) Carrefour Bergman : Ou bien…
rester à la surface des choses, ou bien…
se rendre transparent à ce que l’on peut être.
Il y a dans les films de Bergman une lutte
permanente pour comprendre ce que veut dire avoir la foi. Ces films ont été
pour moi d’une grande aide pour appréhender ce que veut dire savoir choisir de
façon concrète et existentielle et non pas de façon abstraite et imaginaire.
Les personnages de Bergman luttent en permanence avec ce qui n’est pas clair,
ce qui devient embué, ce qui serait mort par trop d’abstraction et de froideur
conventionnelle. Cela est en particulier présent dans les films, par un
enkystement du protestantisme chez les personnages masculins.
— Son film Cris
et Chuchotements fut comme une révolution dans ma vie, il y a eu pour moi,
un avant et après Cris et Chuchotements.
Les visages des femmes dans les moments du plus
grand doute, regardant vers la caméra par l’appel de quelques chuchotements
incompréhensibles, et enfin l’écran passant entièrement au rouge, noyant ces
superbes visages de femme, fut un grand choc cinématographique pour moi. Il y a
dans ce film une lutte pour découvrir ce qui serait la possibilité d’un choix
réel d’existence, que Bergman finalement nommera tendresse. Cette tendresse
s’avère être à mon sens une incarnation possible du divin dans un corps réel,
en général dans ses films, dans un corps modeste et populaire. Dans Cris et chuchotement la seule personne
qui parvient à se sauver de l’angoissante détresse de ne jamais choisir, est la
femme de chambre qui finalement, pour soutenir une mourante que plus personne
ne sait comment consoler, offre son sein. L’image est la suivante : une
femme du peuple donne le sein à une femme malade, celle-ci entourée de ses deux
sœurs, qui s’avèrent être pétrifiées et dans l’impossibilité d’exprimer une
quelconque tendresse et encore moins d’aimer, faute de n’avoir su prendre dans
leur vie une décision réelle.
— Dans L’heure
du loup, un autre film de Bergman, un moment précis m’a aussi très
fortement impressionné. Le film suit un couple installé dans une des îles
suédoise désertique. L’homme qui est peintre, a au fur et à mesure une relation
ambiguë et hallucinatoire avec des locataires d’un château voisin. Dans ses
nuits d’insomnie, il explique à sa femme comment le temps ne semble plus s’écouler,
ou plutôt comment une minute lui semble durer une éternité. Bergman réussit
cinématographiquement à nous faire éprouver cette éternité, en faisant
simplement s’écouler de façon matérielle cette minute à l’écran, et chose
extraordinaire, nous éprouvons de façon empathique l’énorme angoisse de cet
homme. La femme à ses côtés, qui est l’actrice absolument sublime, Liv Ullmann,
ne comprend pas son mari. Elle est totalement dépassée par l’idée qu’il se fait
du temps. À l’inverse de lui, la femme appréhende la question du temps avec
confiance et puissance, là où l’homme cherche en permanence à fuir ce temps,
qui le mènerait à un ou bien… ou bien…
qui le libérerait de la surface des illusions, et lui permettrait de pénétrer
ce qu’il est, ce qu’il peut devenir dans le temps. Cette minute devient alors
l’éternité d’un temps où l’homme évite de décider, minute d’une éternité
finalement finie, et produisant une profonde désorientation, qui l’empêche même
de voir la femme qui se trouve ses côtés, et de l’aimer.
2) Carrefour Jean-Luc Godard au Dojo
cinéma : Ou bien… faire avec le cinéma tel qu’il
est, ou bien… inventer d’autres
possibles.
La première attitude prise pour faire ce choix
singulier, fut celui de l’isolement. En effet en choisissant le Dojo cinéma, salle de cinéma que nous
avions aménagé dans un sous-sol à Montreuil dans la banlieue parisienne, dans
un espace qui était initialement destiné à la pratique du judo, nous nous
sommes quelque part séparés de la mondanité artistique. Par la constitution de
ce lieu donc, il était question de se séparer des rapports habituels d’avec le
monde de l’art en général et du cinéma en particulier. Au fond le Dojo était un lieu idéal pour cela,
puisqu’il désigne un endroit où avant tout il est question de pratique, et où
celle-ci pratiquée dans le temps devient capable de matérialiser une voie autonome
et collective.
C’est pour cela que le but plus ou moins conscient
était finalement inverse à celui d’une séparation, il s’agissait par le biais
d’une concentration, de mieux comprendre ce dont subjectivement le cinéma était
capable, et retrouver ce qui originairement faisait de cet art, un art pour
tous et singulièrement populaire. Le Dojo
cinéma a été un lieu où nous avons cherché à trouver un rapport intime avec
le cinéma par des films, mais aussi avec ceux qui les ont fabriqués, ainsi
qu’avec le dispositif singulier qu’il propose, c’est-à-dire, la projection et
un public réuni devant un écran. Nous nous sommes attachés pendant à peu près
10 ans à chacune de ces questions, avec le sentiment profond que nous
réinventions par-là un rapport avec le cinéma.
Dans ce lieu singulier, la méthode fut d’abord de
penser ce que pouvait être un public de cinéma, c’est-à-dire de comprendre ce
que pouvait vouloir dire se constituer collectivement en un sujet artistique, par l’intermédiaire
d’œuvres cinématographiques. L’œuvre qui fut décisive pour comprendre cela et
sur laquelle nous nous sommes particulièrement appuyés, a été celle de Jean-Luc
Godard. Godard par la générosité de ses films, les risques toujours renouvelés
qu’ils prennent, a été fondateur dans notre parcours et nous pouvons dire que
ce sont ses films, qui nous ont donné l’idée qu’il était possible pour nous
d’en faire. Mais aussi qu’il était possible pour nous de tenir le point du
cinématographe en fabriquant des films, en cherchant une voie qui nous soit
propre.
Nous avons donc assez rapidement dans ce lieu
commencer à réaliser des films, toujours en pensant que nous les faisions du
point du public, c’est-à-dire du point de la réception et non pas d’une
position d’auteur omnisciente. Nous avons travaillé de façon modeste et
artisanale en cherchant, comme nous l’apprenions de Godard, à renouveler les
formes pauvres du cinéma. Nous avons donc appelé nos formes filmiques : Bandes-annonces, Actualités, et pour bien marquer le fait que le cinéma a la
capacité de rendre publique des idées, nous faisions aussi des publicités.
3) Carrefour Straub/Huillet : Ou bien…
poursuivre seul comme auteur, ou bien…
poursuivre à deux comme collectif minimum.
La troisième rencontre fut celle que nous fîmes Sol
Suffern-Quirno et moi avec l’œuvre de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet à
l’occasion d’une rétrospective de leurs films dans un cinéma parisien, Le Reflet
Médicis. Nous sortions de l’expérience collective du Dojo cinéma, qui à ce stade s’était ensablé et nous continuions Sol
et moi à faire des films sous ce nom collectif qui n’existait déjà plus
réellement. Rétrospectivement, il me semble que nous étions dans le dilemme de
comment continuer, comment poursuivre le cinéma après cette expérience
collective, sans pour autant tomber dans l’auteurisme que nous avions si
sévèrement critiqué au Dojo cinéma.
Comment poursuivre cette évidence que le cinéma n’est, ni une affaire de
cinéphiles exégètes, ni d’artistes exprimant leur personnalité dans des formes
conformes au temps tel qu’il est, mais au contraire que cela soit une affaire
de regardeurs actifs et agissants, ayant un rapport réel au cinéma ? Comment
continuer d’œuvrer pour un cinéma capable d’ouvrir les yeux plutôt que de les
fermer, les berner en somme, pour rendre acceptable un monde dont nous avions
pris mesure pendant ces années, à quel point il était injuste et
inégalitaire ?
Ce fut pour Sol et moi une évidence : les films
de Straub et Huillet étaient par leurs singularités, une résistance en acte au
cinéma académique, commercial et culturel. Leur travail commun, l’énorme
exigence de leurs films, l’intellectualité du cinéma qu’ils déployaient, nous a
inspiré et nous a ouvert la possibilité de tenter de faire de même.
Leurs films sont des singularités dans le cinéma.
Cela se révèle par la façon qu’ont leurs films de mettre en avant la dimension
sensible de la matière cinématographique, les images et les sons, et en même
temps d’avoir un usage de la distance, due tant par la diction des acteurs que
par la durée des plans.
On peut dire qu’après l’expérience collective du Dojo cinéma, ce fut pour nous une
découverte, à la fois grâce à cette rétrospective, qui s’étendait elle aussi
sur plusieurs mois et qui réunissait l’intégralité de leurs films, mais aussi
du fait que nous filmions les interventions de Straub dans la salle après la projection
des films, pour nous-mêmes faire un film sur sa parole, qui finalement reçu le
titre de : Nos yeux se sont ouverts.
À la suite de cette rencontre décisive, nous étions convaincus que nous allions
pouvoir tenir ensemble ce point singulier qu’était le cinématographe.
Évidemment cette décision de vouloir tenir un point
à deux, nécessite d’être
questionnée. Pour commencer on pourrait dire qu’évidement, il ne s’agit
pas dans notre cas de le tenir de la même manière. Je dirais d’ailleurs que
persiste toujours pour moi une énigme sur la façon qu’a Sol de tenir ce même
point. Je suis convaincu qu’un tel choix doit rester une affaire pour chacun,
alors qu’en revanche l’objet de ce choix doit rester toujours extérieur. C’est
d’ailleurs certainement cette extériorité qui fait que l’on puisse le partager,
en faire un point commun même si les raisons de le tenir ne sont pas, pour l’un
et pour l’autre, exactement les mêmes. Il est évident que cette façon de tenir
un point à deux, prend certainement modèle sur un autre type de point que nous
tenons ensemble, je veux dire celui de l’amour.
3 / Deux exemples contemporains et
mélancoliques
Avant
de rentrer concrètement dans la façon que l’on a aujourd’hui, Sol et moi, de
tenir le point du cinématographe, c’est-à-dire d’essayer de comprendre
comment nous avons en quelque sorte consolider ce point en lui donnant la forme
d’une ligne à tenir, je voudrais
faire un détour sur le cinéma contemporain. Pour cela je n’aborderais pas des productions
cinématographiques pour lesquelles je n’ai aucune estime, voire qui se trouvent
être profondément ennemis à notre démarche, mais plutôt de chercher au
contraire dans celles qui nous sont proches, et comprendre grâce à elles, ce
qui nous distingue, ce qui en fait notre différence.
Il
est probable qu’aujourd’hui, ce soit dans l’art du cinéma, que l’on trouve avec
le plus de persistance, une certaine figure de la mélancolie, dont la dimension
la plus attendrissante et sans conséquence, est celle incarnée par les
cinéphiles défraichies qui hantent jours et nuits les salles et les couloirs de
la prestigieuse cinémathèque de Paris.
Pour
comprendre cette mélancolie cinématographique, il faut revenir encore une fois
à Kierkegaard, pour qui la mélancolie
est la mère de tous les péchés, puisqu’elle est celle qui nous porte à ne rien
vouloir, ou en tous les cas, à ne pas vouloir sincèrement. Je comprends donc
que, la mélancolie pour Kierkegaard, c’est vouloir
superficiellement, vouloir par
exemple que rien ne se passe réellement, plutôt que quelque chose qui nous
engagerait à tenir un point. Il n’empêche que ce sentiment mélancolique envers
le cinéma, me semble en même temps être le signe que cet art n’a pas encore
complétement perdu l’idée de sa puissance, voire de sa grandeur, et que l’on
n’a pas complétement forclos, l’idée que le cinéma en tant qu’art aurait un
potentiel capable justement de défier nihiliste.
Mais
cette mélancolie circule dans une certaine frange de cinéastes contemporains,
qui se trouvent être d’ailleurs souvent les plus intéressants. Ils pensent que
le cinéma dans le contexte actuel et à venir, ne pourra malgré son potentiel,
jamais plus être un art capable de porter de grandes ambitions et qu’en tant
qu’art, il est en quelque sorte mort. Positionnement d’ailleurs qui en général
s’accompagne de l’idée que le monde s’enfonce dans une fin de l’histoire dont
le capitalisme est le dernier mot. De cette mélancolie qui est un pessimisme,
se détachent dans le paysage contemporain des figures importantes du cinéma,
qui ont un rapport complexe à cette question et qui par leurs films interrogent
à mes yeux cette mélancolie cinématographique du XXIème siècle. J’ai
choisi deux cinéastes qui, l’un comme l’autre, sont des cinéastes qui comptent
pour nous et qui font des films qui touchent à des questions que nous avons en
partage, comme : comment faire du cinéma dans un monde unilatéralement
capitaliste ? Et surtout : comment le faire avec l’héritage du cinéma moderne qui précède nos
productions ?
Premier
exemple : Albert Serra
Albert
Serra est un cinéaste espagnol de
notre génération, très talentueux et je crois important, avec une direction de
travail qui se trouve être à la fois proche de la nôtre, et à la fois opposée à
notre orientation. Les deux premiers films qu’il a réalisés sont très beaux et
ils étaient particulièrement prometteurs, ils ont en même temps inauguré et positionné son
œuvre cinématographique dans une sorte d’ambiguïté. Il est clair que dans l’un
comme dans l’autre film, la formalisation cinématographique poursuit
délibérément la révolution moderne du cinéma, en se libérant par exemple du carcan qu’est le scénario, pour réaliser
une fiction. Quelque chose comme un sentiment d’errance imprègne les
personnages de ses films, une sorte d’ambivalence irréversible, qui rappelle les
personnages de Pierrot le fou de
Godard, mais où leur errance était alors orientée vers une possibilité, là où
dans les films de Serra rien de ce type ne pointe à l’horizon. Ces deux films
sont Honor de cavalleria qui reprend
l’aventure de Don Quichotte et l’autre Le
chant des oiseaux qui présente le voyage des Rois mages se dirigeant vers
l’enfant Jésus.
Il
se trouve que les films suivant de Serra revendiquent de façon encore plus
affirmée cette profonde désorientation entendue, non pas comme une perte ou un
manque d’orientation, mais bien contraire comme une revendication. Serra fait l’apologie de
l’ouverture des possibles, il propose une désorientation au spectateur, où chacun
est appelé à devenir à tout moment quelque chose de différent, sans jamais être
obligé de choisir quoi que ce soit d’univoque, ni de prendre un quelconque
parti. Cette façon de prôner le non choix est finalement très caractéristique
de notre époque, mais ce qui caractérise le travail d’Albert Serra, c’est qu’il
le fait de façon revendiquée et consciente et avec en plus, du talent. Disons
que c’est un libertin provocateur, ou encore, un nihiliste actif conséquent,
qui affirme que le cinéma de demain, voire celui qu’il fait déjà aujourd’hui, a
la puissance de créer une subjectivité nouvelle qui consiste à installer le
spectateur dans une indétermination radicale, qui en définitive s’avère être
une apologie d’un anarchisme profondément apolitique.
Ses
films sont d’autant plus troublants qu’ils mettent en œuvre des méthodes qui
viennent de la grande tradition de la modernité cinématographique, telle que
celle de Bresson/Godard/Straub, à laquelle nous sommes dans notre propre
travail également fidèles. Malgré l’héritage que nous partageons, il se trouve
que nos orientations s’opposent car là où lui revendique la désorientation,
nous affirmons la volonté d’une orientation, là où il est question d’anarchie
et de destruction, nous travaillons à un rapport possible entre cinéma et
politique d’émancipation.
Nous
pourrions dire aussi que son rapport à la modernité cinématographique, est
purement soustractive, qu’il y a dans ses films la volonté de faire table rase.
Il utilise les plans sonores et visuels comme de pures abstractions, et en
créant des ruptures avec la durée marchande et spectaculaire du cinéma
commercial, il n’affirme pour autant aucune autre possibilité du temps. Tout au
contraire, les longs plans ne servent qu’à revendiquer un désœuvrement, où peuvent
ponctuellement exister
des poches de liberté, mais toujours dans un monde défini comme
irrémédiablement perverti et finalement
immuable. Un de ses films exemplaire de cela, est La mort de Louis XIV, où nous avons le sentiment d’assister à la
fin d’un règne, à la suite duquel aucune révolution n’est préfigurée à
l’horizon. Le film expose de façon très esthétisée la décomposition d’un corps
et par là même d’un régime, mais nous sommes avant tout confrontés à une métaphore :
la mort du cinéma moderne, accentuée par le fait que c’est Jean Pierre Leaud,
effigie du cinéma moderne, qui joue le rôle de Louis XIV, coiffé d’une perruque
d’époque et agonisant pendant deux heures devant nos yeux dans une sophistication
cinématographique.
Une
autre caractéristique du cinéma d’Albert Serra, est la multiplication des
points de vue, par l’utilisation sur les tournages de plusieurs caméras filmant
une même situation. Malgré la liberté mise en avant par ce procédé, la multiplicité des possibles et l’égalité des
points de vue, que sont le regard subjectif et objectif, nous assistons à un
cinéma du non-choix, où tout est fait pour évider le cliché, mais où au final prime la souveraineté de
l’individu et du particulier, qui à mes yeux s’avère une orientation
profondément finie, contre le choix de l’infini qu’ouvre toute décision réelle.
Il
y a chez Albert Serra, et cela malgré son assurance, un endurcissement
progressif dans un cynisme et dans le désespoir, qui me semble être une autre
façon d’exprimer la mélancolie. Puisqu’il n’est plus possible de désirer le
cinéma moderne dans ce qu’il a d’affirmatif, alors il faut le détruire et
s’efforcer à troubler l’existence, de la façon la plus chaotique possible, pour
faire advenir ce qu’il pense
être du nouveau. Nouveau entendu encore une fois comme table rase de
tout ce qui précède, pour avoir le sentiment d’être à hauteur justement de ce
qui précède.
Faire
des films qui invitent à choisir une direction, à valoriser l’idée que chacun
peut tenir un point, donnerait à Albert Serra le sentiment de tomber sous des
déterminations trop triviales, voire de sombrer dans des formes académiques.
Nous
pourrions dire pour conclure que chez
Albert Serra, il y a une façon de faire la promotion du différent, qui s’oppose à l’idée du général, ou encore du pour
tous. Le mot d’ordre de son cinéma serait alors : « Faire des
films qui invitent à vivre dans la différence, puisqu’il n’est plus possible de
vivre dans le général ! ».
Deuxième
exemple : Pedro Costa
Le
deuxième cinéaste qui me semble tout particulièrement compter dans notre
époque, est le cinéaste portugais Pedro Costa. Nous pourrions dire que les
films de Pedro Costa sont aux antipodes de ceux d’Albert Serra, puisqu’ils sont
comme le modèle de ce que peut vouloir dire tenir un point, tant ils
poursuivent avec insistance une orientation choisie. Après ses premiers films
qui étaient somme toute assez classiques, il décide de rompre avec le monde de
la production courante du cinéma, et inaugure une série de films fabriqués sans
la lourdeur d’une équipe de cinéma, en travaillant systématiquement sans
scénario, et en construisant ses films d’après et avec les gens avec lesquels
il tourne. Film après film, Pedro Costa suit quelques habitants d’un bidonville
du centre de Lisbonne et plus tard ceux d’un autre bidonville localisé à
quelques kilomètres du premier. Après la rupture avec les films de production
plus classique, il réalise entre
autres, Dans la chambre de Vanda,
En avant jeunesse et
son dernier film sortie en 2022 Vitalina
Varela. Par la façon singulière qu’il a de travailler avec les habitants
des bidonvilles, ses films deviennent la présentation d’un peuple, qui est
essentiellement composé d’ouvriers Capverdiens immigrés au Portugal, errant
comme des fantômes parmi les ruines d’un monde qui après les avoir exploités
pour construire le Portugal, les
abandonne d’abord dans des bidonvilles et les parque ensuite dans des bâtiments
sociaux inhumains.
Il
y a dans les films de Pedro Costa la présentation d’un naufrage et l’expression
d’une perte infinie, dont Ventura,
vieil ouvrier cap verdien qu’il suit de film en film, devient le symbole. Perte
des coutumes, perte de l’intelligence des rapports sociaux, perte encore de
l’intelligence de comment habiter, qui frappent une génération entière
d’immigrés, et qui est rendu manifeste par les films de Costa. Puisque ces
pertes sont rendues explicites par le cinéma, celui-ci devient aussi
l’expression de la chute d’un certain cinéma entendu comme art, qui s’avère
n’avoir, lui aussi, plus droit de cité. Avec les très beaux films de Pedro
Costa, nous assistons aux derniers éclats à la fois fragiles et sublimes, d’un
cinéma qui nous vient des origines, autant que des grandes avancées de la
modernité.
La beauté des films de Costa vient aussi de
cette façon qu’ont les personnages d’être affectés, voire même par la façon
qu’à l’auteur lui-même de l’être. On peut y voir comme l’expression d’une
figure du mystique qui nous laisse penser que, si le monde est comme en quelque
sorte mort, l’amour de Dieu lui persiste. Dans le cas de Pedro Costa cette
dimension devient par analogie l’amour du vrai cinéma. Ces gens magnifiquement
beaux, sont filmés dans une lumière fragile et ciselée, et apparaissent ainsi comme
les dernières traces, les dernières images, d’un cinéma perdu. Les
films de Pedro Costa sont comme des prières dirigés vers un dieu qui est
manifestement à présent mort. Ces films sont d’ailleurs des espaces
cinématographiques, qui se présentent comme les derniers lieux où il est encore
possible de vivre dans le monde contemporain injuste et perverti.
Au
fond l’œuvre de Pedro Costa est finalement un exemple intéressant, pour
comprendre que tenir un point tel que nous cherchons à le penser, n’est pas
compatible avec la figure du désespoir. Que ce soit dans un désespoir de la
politique, qui dans le cas des films de Pedro Costa se confond avec une
certaine nostalgie du communautarisme, ou encore dans un désespoir du présent
cinématographique, qui place le cinéaste dans la tour inaccessible de
l’esthétique de la fin du cinéma.
L’impression
que me donne l’œuvre de Pedro Costa est qu’il faut se méfier de la tentation
dangereuse qui consiste à faire
du point tenu par le cinéaste, une façon de se démoraliser du monde, de
fuir vers une île de la beauté, voire de devenir soi-même une île, et depuis
là, mélancoliquement considérer que seul notre propre combat vaut au détriment
de tous les autres.
En
conclusion je dirais que le cinématographe doit savoir garder un rapport
inventif à la question politique d’émancipation, mais aussi aux avancés des
autres domaines de connaissances de l’humanité. Le cinéma en somme ne peut pas
penser seul, et que les rapports, aussi fragiles soient-ils, qu’on entretient
avec d’autres domaines d’inventions, nous préserve de nous enfouir dans la
mélancolie hyperactive d’un Albert Serra ou encore dans une mélancolie
esthétisante d’un Pedro Costa.
4 / Consolidation du point : une méthode
Alors
tenir un point c’est peut-être finalement arrêter de prendre des détours
infinis, pour au contraire emprunter des raccourcis, pas tant des raccourcis
qui amènerait plus rapidement à un but, mais qui permettent plutôt en
choisissant une direction claire de sortir de l’égarement. Dans notre cas donc,
cela s’est manifesté par la décision de persister dans le cinématographe
en faisant des films.
Autrement
dit, pour nous, il n’a plus été question d’expérimenter, mais d’agir, de
devenir de façon assumer des cinéastes, s’inscrivant dans la lignée de cinéastes
qui nous précèdent, et en assumant une certaine histoire du cinéma, avec ses
victoires, ses impasses, ses égarements. C’est en cela peut-être que nous nous distinguons
du cinéma expérimental, qui fait appel au cinéma plutôt comme médium, ce
qui lui permet, comme il l’a fait d’ailleurs depuis ces débuts, de franchir les
frontières entre le cinéma et les arts plastiques, confondant la plupart du
temps ces deux domaines de création.
Tenir
le point du cinématographe n’est pas
pour nous, faire du cinéma un moyen, un moyen pour s’exprimer (Godard disait ne
plus vouloir s’exprimer, mais imprimer, imprimer disons des impressions), mais agir pour et dans le
cinéma, prendre parti pour
le cinéma, être un militant du cinéma en s’engageant corps et âme dans une
direction. Il y a dans cette façon de faire du cinéma, le sentiment d’être en
intimité avec lui, d’avoir le sentiment parfois d’être en quelque sorte cinéma. L’exemple de l’engagement de
Jean-Luc Godard dans le cinéma est frappant et est en la matière encore une fois
un modèle. Il est passé au fur et à mesure du travail, de Jean-Luc Godard à
JLG, c’est-à-dire qu’il est passé d’un auteur personnel faisant des films, à un
sujet cinéma, où Jean-Luc Godard ne devient
finalement plus que le déchet d’une œuvre. Pour comprendre cela, nous devons
nous reporter à son film JLG/JLG, Autoportrait de décembre.
Il
faut donc de la persévérance, de la patience, pour vaincre la lassitude et les
doutes, et penser qu’il est possible aujourd’hui d’avoir ce type de rapport à
son travail. Nous sommes dans une époque où l’on n’y croit plus, où la plupart
des films qui se font et qui sont présentés dans les salles de cinéma, comme
dans les festivals, sont des films qui sont l’expression d’une individualité,
d’une identité, autant personnelle, que communautaire, répondant aux fantasmes
de spectateurs cachés anonymement dans les recoins
des salles obscures. Le cinéma entendu comme une pensée capable de
produire quelques éclaircissements d’ordre général, capable de produire des films imprégnés d’éternité, n’est
plus vraiment à l’ordre du jour.
Il
est d’ailleurs particulièrement triste de voir dans l’époque comment des
cinéastes d’expérience et plein de talent, mettent toute leur énergie pour
prouver par leurs films, qu’il n’y a pas de raison d’y croire et véhiculent
ainsi l’idée que tout n’est qu’illusion, autre terme pour désigner le
nihilisme. Il est bien vrai qu’il faut se munir d’une forte détermination et de
beaucoup de volonté pour tenir son point et traverser cette résignation
contemporaine.
S’ajoute
à cela le fait que, faire un travail de pensée en tant que cinéaste sur le
cinéma et sur sa propre démarche, est la plupart du temps considéré comme un
moyen de démolir, de couper le désir de faire des films, voire même de les
regarder. Il se trouve que je pense parfaitement l’inverse, et que si cette
intellectualité du cinéaste est bien comprise, elle peut au contraire le
sauver. C’est donc en sachant mieux ce que l’on a fait, ce que l’on aime dans
le cinéma, que l’on peut persévérer et tenir dans la voie que l’on a choisie.
Cette
intellectualité est un après-coup, elle vient après les découvertes que font
les films eux-mêmes, et permet de mieux comprendre pourquoi nous avons fait tel
et tel choix, pourquoi a-t-on pris ce tournant plutôt qu’un autre. Malgré ce
travail de compréhension, chaque nouveau film donne le sentiment de devoir tout
recommencer, car aucune recette même si elle est inventée par le cinéaste ne
peut être suivie mécaniquement pour faire un film, il faut à chaque
fois reprendre la question et prendre de nouveaux risques.
Je
dirais d’ailleurs que c’est dans le moment particulier où l’on s’engage dans un
nouveau film, que cette intellectualité est la plus importante, pas tant encore
une fois pour donner des recettes pour le faire, mais pour nous convaincre que
nous pouvons y arriver encore une fois.
L’étonnement
d’avoir réussi à faire un film et l’effort de comprendre comment cela a été
possible, produit une sorte de ligne, où chacune des manières de fabriquer un
film, finit par déterminer des constantes, à travers laquelle un type de
méthode se dessine.
Il
n’y a donc dans cette notion de méthode
aucune fixité, ni encore moins l’idée qu’elle vaudrait pour tous. Cette méthode
vit son propre développement et son intérêt consiste en ce qu’elle permet de
révéler comment une intention est à
l’œuvre.
Je
voudrais donc vous exposer rapidement quelques points de méthode qui se sont
imposés à nous, et qui finalement nous aident à tenir dans le cinématographe.
Tous ces points sont aussi issus d’une façon de comprendre l’héritage que nous
devons au cinéma moderne. Ces points, encore une fois, ne font pas système,
mais au fil des films nous avons constaté, presque malgré nous que nous les
tenions. Cela veut dire que malgré la contingence de leur apparition, ils nous
sont devenus, avec le temps, nécessaires.
Premier point : autonomie de la bande-son
et de la bande-image.
Dans
nos films la bande-son et la bande-image ne se rédupliquent pas. Cela
veut dire que ce qui se dit à l’image n’a pas besoin d’être redit par le son.
Cette idée ne veut pas du tout dire, que les images et les sons ne peuvent pas
être synchronisées, voire être enregistrées en même temps, mais plutôt que ce
qui est assigné à l’image, c’est à dire ce qui est dans le champ, n’est pas de
même nature que ce qui est de l’ordre du son, qui lui peut être dans le champ,
mais aussi hors du champ. Images et sons sont deux matières différentes et
c’est cette façon différente de s’adresser à la vue et à l’ouïe, qui fait
l’intérêt pour nous de l’expérience cinématographique.
Nous
pourrions dire que nos films font voir et entendre de façon disjonctive, nous
pensons d’ailleurs que c’est dans cet art que cette disjonction est la plus
aiguë, puisque par exemple, ni la musique, ni le théâtre, ni la littérature, ni
l’architecture, ni la peinture, ne travaillent cette disjonction comme un de
ses moyens principaux de faire art.
Deuxième point : autonomie relative des
arts dans nos films.
Le
deuxième point découle du premier. Malgré que dans nos films nous faisions
appel de manière explicite à différents arts, en particulier à la peinture, à
la musique, au théâtre, à l’architecture, à la poésie, à la sculpture etc., ce
n’est jamais dans l’idée de les synthétiser tous en les fondant dans une
totalité, en faisant ainsi du cinéma un art total. Nous cherchons au contraire
à les traiter dans leur autonomie, et surtout dans leur grandeur propre. Le
cinéma est certainement un des arts qui peut le mieux faire justice aux autres
arts. Il a une façon de magnifier ce qu’il convoque, peut-être dû à
l’amplification des images que produit la projection, ou celle des sons qui
sont diffusés par des haut-parleurs, mais je pense surtout que cela est dû au
fait qu’il soit né en tant art,
de l’admiration des arts qui le précèdent.
En
somme, les œuvres convoquées dans nos films, le sont bien sûr à des fins
cinématographiques, c’est-à-dire dans le but de faire un film que l’on puisse
tenir pour un, mais en préservant toujours un écart intérieur entre les
arts, un écart même, entre chacun d’eux et le cinéma lui-même. Cet écart fait
valoir in fine une profonde égalité des arts.
Troisième point : La séance de cinéma
La
séance de cinéma convoque un
dispositif singulier qui consiste, 1) en une salle où l’on puisse faire le
noir, 2) en un projecteur qui projette des images 3) en une surface capable de
faire écran à ces images 4) en des enceintes diffusant des sons, 5) en des
sièges disposer devant l’écran capables d’accueillir un public. 6) en un temps spécifique,
celui de la séance, avec un début et une fin bien établis. Ces six conditions de la séance de cinéma
constituent le troisième point sur lequel nous nous appuyons pour faire nos
films.
Pourquoi
ce point est-il essentiel pour nous ? D’abord parce que la séance de cinéma
n’est plus une évidence aujourd’hui, d’abord avec l’avènement de la télévision
dans les années 60, mais aussi surtout avec les plateformes de films sur
internet, et les images diffusées sur ordinateur et téléphone portable. Cette
question de la projection dans une salle est alors devenue pour nous une
affaire de décision.
Ce
qu’il faut comprendre c’est que la séance de cinéma n’est pas pour nous une
façon supplémentaire de diffuser un film, mais elle est en fait la façon qu’on
a de les concevoir. Quand nous disons par exemple, et cela depuis l’époque du Dojo cinéma, que nous faisons nos films
depuis la place du public, cela veut dire que nous concevons chacun des sons et
chacune des images, dans la façon qu’ils auront d’être présentés à un public
collectivement réuni dans un dispositif singulier et à un moment bien précis.
Dans
ce dispositif spécifique, les images projetées sur la surface de l’écran,
viennent de l’arrière du public et ont une orientation, orientation qui
correspond à celle que prennent les différents regards, en train de regarder
cette même image. En revanche les sons eux ont une direction opposée à celle de
la projection des images, ils sont au contraire diffusés vers les spectateurs,
soit venant de derrière l’écran, soit de tout autour de lui. Les sons partent
d’une enceinte particulière et viennent vers ceux qui écoutent.
En
somme, l’image projetée est une invitation à regarder dans une même direction,
une direction qui est en dehors de nous, alors que les sons eux, s’adressent à
chacun des spectateurs en fonction de la place qu’il tient dans la salle. Ces
deux types de direction opposés et leurs combinaisons, sont à nos yeux un point
essentiel pour qu’un public de cinéma puisse se constituer devant un film.
L’importance
accordée à la séance de cinéma, nous rapproche du cinéma primitif, avec ses
velléités au début du 20ème
siècle de faire des séances de cinéma, le lieu d’une cérémonie de type nouveau,
destinée à tous, hors des distinctions culturelles, sociales et économiques.
Quatrième point : Le montage
Le
montage est celui qui noue ensemble les trois premiers points que je viens de
décrire et qui de plus est présent à l’intérieur de chacun d’eux. Le montage
est l’invention propre du cinéma. C’est le montage qui fait tenir ensemble la
disjonction de la bande-son et de la bande-image, c’est encore lui qui dans un
film, préserve l’autonomie des arts, et c’est encore le montage qui dans la
salle de cinéma fait exister la possibilité qu’un public ne soit, ni une simple
somme de spectateurs isolés, ni tout à fait un public fondu dans un expérience
immersive et hypnotique.
Le
montage dans nos films n’est pas un collage, n’est pas un mixage, il est la
façon de faire tenir ensemble les différents éléments convoqués, non pas pour
les sommer ou les additionner, mais
pour produire un entre-deux, un
troisième terme qui ne totalise pas les différentes parties, mais qui les faits
exister dans une cohérence inédite.
Le
montage est aussi ce qui fait que la narration de nos films ne soit pas
constituée par le fil discursif que produit un texte littéraire, mais par le
rapprochement monté des différents paramètres convoqués par le film.
5 / Une contradiction entre Héroïsme et Tenir
un point : Les désorientés
Notre
dernier film Les désorientés
peut-être entendu comme un film qui tente cinématographiquement de montrer ce
que peut vouloir dire tenir un point.
Il
se trouve que tenir un point est
difficilement représentable, tenir un
point n’est pas très cinématographique, puisqu’il est une succession de
décisions qui s’inscrivent dans un temps long. Présenter les choses à leur état culminant est bien sûr
plus facile quand on fait un film, les montrer dans leur forme idéale, dans
leur moment d’intensité.
Un
héros qui se bat et péri, se laisse excellemment bien représenté par le cinéma,
mais en revanche le fait de tenir un point tous les jours ne s’y prête guère,
puisque l’essentiel de cet exploit est justement que cela soit tenu tous les
jours, et de façon discrète.
Comme
dit encore Kierkegaard : « le
courage se laisse excellemment bien concentrer dans l’instant, mais non pas la
patience, justement parce que la patience lutte contre le temps. »
Ce
film que nous venons de terminer tente de mettre en tension ces deux questions,
celle du courage du héros et celle de
la patience que demande de tenir un point.
Les désorientés
sera présenté en juin 2023 à Paris, il est un film qui reprend le fameux mythe
de la famille d’Œdipe. Le film retrace le moment où les deux fils d’Œdipe,
Polynice et Étéocle s’entretuent et où Antigone, leur sœur, décide d’enterrer
malgré l’interdiction de Créon, celui des deux à qui l’on refuse les obsèques.
Ce qui nous a intéressé dans ce film c’est de confronter l’intensité héroïque
concentrer dans le fait de tenir une idée jusqu’à la mort, et de faire exister
en même temps, de façon diagonale, des existences anonymes, qui justement tiennent
un point avec patience et de façon absolument non-spectaculaire.
On
pourrait dire aussi que dans ce film il y a une lutte entre ce qui est de
l’ordre de l’espace et ce qui est de l’ordre du temps. L’espace tenu par la
figure héroïque, qui se donne en une seule fois, comme la sculpture grecque par
exemple, et celle du temps qui s’exprime dans la durée, et qui avance de façon
discrète et sous-jacente. Au fond le cinématographe
ne cesse de travailler sur ces deux dimensions que sont l’espace et le
temps.
L’héroïsme
présenté de façon sculpturale dans ce film, finit par chuter dans la pure
surface des reflets qui ne sont plus que temps et puissance de persistance dans
un devenir. Ainsi les héros qui dans la tradition grecque sont vus comme des
demi-dieux aux purs éclats de l’instant, sont appelés dans notre film à changer
de statut, et à devenir des figures du temps.
Les
véritables héros de notre film sont alors les acteurs, ou plutôt les modèles (à
la manière de Bresson), qui ont accepté de travailler avec nous, et qui pour un
temps ont endossé les habits des héros tragiques, ainsi que leur pathos, pour
enfin s’en dégager et vivre avec une humilité puissante, la vie qu’il ont
choisi. Du particulier qui incarne
donc les héros, nous avons dans ce film tenté de faire apparaître le chemin qui
mène au général, général entendu comme ce qui est assigné à tout homme, à sa
dimension générique.
Nous
pourrions dire aussi que les héros que sont Antigone et Créon par exemple, se
présentent plutôt comme des possibilités, alors que les vies incarnées par ces
modèles sont des effectuations. Kierkegaard propose de dire qu’avoir choisi sa
vie consiste à se choisir soi-même
plus qu’il ne s’agit de se connaitre
soi-même. On sait à quel point Œdipe lui-même était porté par cette passion
de se connaître. Kierkegaard considère que l’individu en se connaissant
soi-même n’a pas terminé son travail, et qu’il lui faudra en plus, choisir ce
qui en lui appartient à tout homme, sa dimension générale.
Il
y a dans les héros des tragédies Grecques une sorte d’abstraction, qui les
porte toujours au-devant d’eux-mêmes, qui les porte aux extrêmes, et face à
cela le chœur tragique s’en détache, ou bien plutôt se constitue dans une autre
dimension, non pas tant dans un entre-deux, ou même dans une médiocrité dans le
sens de moyenne, mais à mes yeux plutôt dans une autre forme d’héroïsme, celle
qui consiste à tenir dans le temps, à poursuivre, là où les héros périssent.
C’est le sens de l’Exodos qui arrive à la fin de notre film, où le
chœur constitué de ces vies singulières, fait sa sortie de scène, en entonnant
son dernier chant, indiquant par là sa puissance de continuité.
Dans
Les désorientés chaque modèle, chaque
membre du chœur a un point à tenir, il a quelque chose comme une vocation. Kierkegaard dans son Ou bien… ou bien… développe ce qu’est
pour lui la vocation. Il considère qu’il n’existe pas de vocation abstraite,
bonne pour tout homme, mais au contraire que tout homme a une vocation
spéciale, que l’individu, le plus insignifiant soit-il, en a une. C’est
pourquoi il est d’ailleurs impossible aux yeux de Kierkegaard de rejeter une
partie de l’humanité aux limites de celle-ci, puisqu’aucun d’eux ne se trouve
en dehors du commun du genre humain, et que de plus chacun a une
vocation. Pour lui la tâche de l’individu n’est pas tant de trouver cette vocation, que de la choisir. Tenir un point pourrait donc
vouloir dire, choisir sa vocation.
Kierkegaard
dit : « Même si ma vocation est
modeste, je peux lui être fidèle et alors je serai au font aussi grand que le
plus grand sans être pour cela assez absurde pour oublier les différences un
seul instant ; cela, d’ailleurs, ne ferait pas du tout mon compte, car si
je les oubliais, alors il y aurait une vocation abstraite pour tout le monde,
mais vocation abstraite n’est pas une vocation, et alors j’aurais à nouveau
perdu autant que les plus grand. »
Vocation vient étymologiquement de
l’acte d’être appelé. Il y a, me semble-t-il, une manière de penser cet appel
de façon immanente plutôt que de façon transcendante, qui elle serait plutôt
entendue comme un appel qui vient de Dieu. Tenir
un point c’est faire de cette décision contingente une nécessité, faire de
ce choix pris par une succession de hasards, un appel.
Les
héros des Désorientés sont certes
ceux qui ont le courage de faire des choses extraordinaires, mais ils sont
surtout aussi, ceux qui ont le grand courage de faire des choses ordinaires en
assumant le fait d’en tenir toutes les conséquences.
Kierkegaard demande :
— « Est-ce qu’il faut plus de force pour
monter une colline que pour en descendre ? »
— Il répond : « La colline
ayant le même côté, il faut évidemment plus de force pour descendre. Presque tout
homme a une disposition innée pour monter une colline, tandis que la plupart
des hommes ont une certaine peur pour la descendre. »
— Plus loin il explique : « Lorsqu’on
monte sur la colline, on n’a en vue que l’autre chose, lorsqu’on descend il
faut qu’on veille sur soi-même, sur le juste rapport entre le point de support
et le centre de gravité.
6 / L’avenir d’un point : Un film sur
Saint Paul/Pasolini et un Laboratoire de recherche cinématographique
Il
y a dans le cinéma plus que dans n’importe quel autre art, cette fragilité qui
lui est congénitale, qui fait de lui un art dont il est presque toujours
nécessaire de justifier qu’il en est bien un. Il n’a pas comme pour la musique,
le théâtre, la peinture, la danse, l’architecture… une histoire glorieuse qui
date de millénaires. À l’échelle de l’humanité, le cinéma est né presque hier,
il y a juste un peu plus d’un siècle. Cette fragilité me semble finalement
intéressante, et motivante, elle me permet de penser par exemple que cela ne se
fera pas sans nous, sans la minuscule contribution qui fait toute la
différence. Évidemment cela n’est que dans mon imagination, mais elle me semble
être liée à la singularité de cet art, au caractère même relativement éphémère
que suggère le matériau qu’il utilise, comme la lumière. Je dirais donc que
cette fragilité m’incite aussi à être fidèle, à être une sorte de chevalier
sans maître et sans noblesse du cinématographe.
Peut-être
que cela va avec l’idée qu’il y a un devenir historique, que malgré l’infime
décision que nous prenons, nous nous inscrivons dans l’histoire de l’humanité,
nous sommes pris dans ce devenir qui nous dépasse, et qui s’ouvre devant nous
comme potentiel.
Il
y a une sorte de liberté dans cette nécessité de poursuivre le cinéma. Il y a
une forme de libération dans la poursuite de cette nécessité. Ce choix pour
moi, pour nous, fut un instant grave et important, celui où l’on prend
conscience qu’on se lie pour toute une vie à une puissance fragile.
Il
y a aussi l’évidence d’être à sa place parce qu’on a choisi soi-même sa place,
de faire partie d’un monde ou notre action est précise, où nous sommes amenés à
prendre des responsabilités, où nous connaissons notre tâche.
Je
voudrais pour finir vous donner une idée de comment nous imaginons poursuivre
dans le cinématographe dans l’avenir proche. Deux projets vont être initiés
d’ici peu, l’un qui consiste à s’engager dans un nouveau long film, qui en
général prend au minimum trois ans de recherches, et l’autre de réussir à
constituer à partir de la saison prochaine un Laboratoire de recherche cinématographique. Je exposer très
brièvement ces deux projets :
1 ) Le film sur lequel nous voulons nous
mettre au travail a pour l’instant trois points d’appui, disons trois
intuitions :
—
La première intuition est que nous
allons reprendre un projet qui date d’il y a vingt ans, et pour lequel nous
avions fait alors une bande-annonce.
Ce film que nous reprenons, est un film sur Saint Paul et sur Pasolini.
Pasolini a fait un scénario en 1968 d’un film qu’il voulait réaliser sur la vie
de Saint Paul, mais qu’il n’a jamais pu mener à bout. Nous aimerions examiner
comment la vie de Saint Paul, le fondateur de l’universalisme comme le propose
Alain Badiou, a pu rencontrer par la voix de Pasolini une impasse au milieu du
XXème siècle et de voir surtout où se trouvent aujourd’hui les
signes, qui préfigurent une sortie de cette impasse. Cela va demander beaucoup
d’études et de recherches, autant sur les textes des premiers chrétiens que sur
l’œuvre poétique et théorique de Pasolini, mais aussi sur ce qui s’est passé au
milieu du XXème siècle pour la question de l’émancipation
politique.
— La
deuxième intuition est que ce film
aura en partie comme lieux d’action la Sicile et New York. La Sicile parce
qu’elle est l’île de mes ancêtres et que nous la connaissons bien, mais surtout
parce qu’elle présente une grande diversité de paysages, des plus arides aux
plus verdoyants, où se dresse encore des architectures extraordinaires : des
théâtres et des temples grecs, et une architecture chrétienne à la fois
spectaculaire et austère, du Baroque italien.
—
Enfin la troisième intuition est que
ce film devrait avoir pour titre : Victoire.
2)
Le deuxième projet consiste à proposer en Belgique à Bruxelles, dans un lieu
qui s’appelle la Projection Room, et où
sont programmés fin mars prochain plusieurs de nos films, une série de
rendez-vous pour penser collectivement ce que pourrait être un partage du
cinéma tel que j’ai tenté de vous l’exposer aujourd’hui. Partager donc une
façon de penser le cinéma qui soit portée par les gens qui le fabrique et le
regarde, dont le travail et la recherche ne soient pas aliénés pas des formes
institutionnelles et académiques. Créer donc un Laboratoire de recherche cinématographique où il soit possible de
faire des films en inventant ses propres méthodes, de façon à ce qu’il soit
possible pour chacun de tenir son point dans la durée. Un laboratoire du cinématographe où il n’est pas
nécessairement question de produire des grandes œuvres, bien que rien ne nous
l’interdise non plus, mais avoir la joie et le bonheur d’accomplir un travail
sérieux, de le confronter à d’autres, et où chaque contribution soit un apport
véritable à la tradition cinématographique la plus exigeante et inventive.
Je
finirai alors par un éloge du travail :
Tenir
un point pour moi est aussi une façon d’honorer l’idée que c’est le devoir de
tout homme de travailler pour vivre,
idée mise en brèche aujourd’hui par une autre, qui consiste à penser qu’il faut
au contraire vivre pour travailler.
Pour Kierkegaard le devoir de travailler
pour vivre, exprime ce qui est justement commun au genre humain. Il y a
donc l’idée qu’être orienté c’est de connaître sa tâche. L’existence est grande
quand on tient un point, quand on comprend que faire sa tâche, faire son
travail est ce qui rend la vie heureuse.
Kierkegaard
dit : « Lorsque l’obscurité
causée par l’orage pèse sur lui au point que son voisin ne le voit plus, il n’a
cependant pas succombé, il reste toujours un point qu’il retient, et c’est —
lui-même. »
***