Défier le
nihilisme
Rencontres
franco-tunisiennes
Centre Culturel de Nabeul
Nabeul
27
février 2023 – 1er mars 2023
Les rencontres franco-tunisiennes partent de notre désir de rompre
avec la subjectivité dominante et de trouver les moyens d’activer ce désir, à
notre mesure et à la mesure de chacun.
On s’accordera facilement sur le diagnostic : impuissance et
résignation naissent de la confrontation d’individus, réduits à eux-mêmes, à
des chocs planétaires qui paraissent irréversibles (l’extinction des politiques
d’émancipation, la catastrophe climatique, les prémisses d’une 3ème
guerre mondiale) sans parler des situations locales et nationales qui
n’éveillent pas plus à l’optimisme.
Sur fond de cette débâcle subjective sans frontières et paraissant
sans points d’arrêts prospère le nihilisme qui en est une rationalisation
philosophique. Que ce soit sous une forme passive (ne rien vouloir qui excède ma survie, s’adapter) ou active (vouloir le rien, comme forme cynique et cohérente
d’accompagnement de l’apocalypse), le nihilisme définit l’horizon subjectif qui
paralyse toute action de vouloir autre chose que ce qu’il y a. Davantage
encore : il génère auprès de ceux qui veulent réellement quelque chose un
sentiment d’impuissance sous la forme d’un « à quoi bon ? »
renonciateur.
Nous proposons de défier le
nihilisme. Mais que veut dire défier le nihilisme ? Quel est le
contenu effectif de cette proposition à laquelle ces rencontres proposent
de vous associer ?
Commençons par ce qu’elle n’est pas. Ce n’est pas ajouter une nième
critique du monde tel qu’il est, critique qui généralement conforte
l’impossibilité d’en sortir en l’objectivant. Ce n’est pas non plus proposer de
sortir de ce monde pour le remplacer par ce qu’il devrait être. Cette
proposition serait sans force transformatrice car doublement ineffective :
i) détachée rêveusement de l’existant, ii) sans force collective organisée susceptible
de la réaliser.
Ce qu’elle est : une position subjective
affirmative consistant à tenir dans une situation donnée un point.
Qu’appelons nous tenir un point ?
- C’est
un élan qui consiste à énoncer dans l’existant (et non dans un autre monde)
quelque chose qui excède l’existant et inaugure un nouveau tracé qui
matérialise contre le nihilisme et de manière affirmative qu’il n’y a pas que
ce qu’il y a.
- Ce
n’est donc pas l’affirmation d’un principe abstrait mais d’un énoncé qui trace
effectivement une voie dynamique hétérogène à l’existant.
- C’est
la position constitutive d’un sujet qui, par là,
échappe au marasme nihiliste. Ce n’est pas une position critique ou
principielle.
- Le
point est toujours relatif à une situation donnée. Par exemple, nous proposons
que dans le cadre de ces rencontres, le point soit pris dans les domaines de la
littérature et des arts, des sciences, de la politique et de la philosophie.
- Il
répond à la question : quelles sont les ressources disponibles dans les
œuvres dans ces domaines pour l’affirmation d’un point s’émancipant
subjectivement de l’existant ?
Des exemples peuvent être pris dans l’art et la littérature, les
sciences, la politique et le social, la philosophie au sens large. L’objectif
de ces rencontres est de susciter l’expression de points dans ces domaines sans
chercher une illusoire totalisation programmatique. Ce sont des points
dispersés, à la guise de leurs auteur(e)s, valant pour eux-mêmes, l’intervenant
nous expliquant pourquoi il ou elle défend que telle question peut être conçue et pratiquée comme un défi au nihilisme
contemporain. A titre d’illustration, donnons l’exemple du champ littéraire où
l’examen d’un roman, d’un poème, d’une œuvre dresse, aux yeux de l’intervenant,
barrage contre le nihilisme tant par les figures proposées que par les
ressources de la langue qui s’y déploie. On peut formuler et étayer ces points
aussi bien chez Cervantès, Malraux, Simenon, Bernanos… que dans la littérature
tunisienne et faire part non seulement de sa conviction mais aussi
l’interroger. Dans un autre ordre, celui des sciences, les mathématiques
modernes peuvent être une ressource, hélas aujourd’hui faiblement partagée, pour une pensée défiant affirmativement le
nihilisme technologique et informatique de notre temps.
Pourquoi l’affirmation de tels points permet-elle de défier le
nihilisme ?
Parce que c’est un opérateur de transformation. Le nihilisme n’y
verrait qu’un empilement inoffensif d’affirmations subjectives pointillistes,
confortant un « à quoi bon ?» désarmant toute velléité de le défier.
Mais l’affirmation d’un point vaut non par sa dimension statique d’échelle mais
par sa capacité d’opérer des ruptures dynamiques, au contact de sa propagation,
en transperçant le bouclier nihiliste, en échappant à sa ratiocination
mortifère.
C’est là qu’apparaît la vertu collective de ces points constitutifs
des sujets. Par leur capacité à échapper à l’emprise du nihilisme, fût-ce sur
des questions restreintes et singulières, ils sont des « professeurs par
l’exemple positif ». Ils démontrent la possibilité d’échapper à
l’impossible, à l’à quoi bon systémique. Ce sont des points de confiance. Ils
donnent confiance. La confiance est ce qui modifie dynamiquement l’échelle du
point singulier.
Ultimement, il y a un pari derrière ces rencontres
franco-tunisiennes. Le pari que ces points de confiance génèrent d’autres
élans, individuels pour commencer. C’est à la mesure de quiconque souhaite
s’inscrire dans ces élans. Cela prendra des formes très variées, à l’aune de
nos subjectivités, parcours et centres d’intérêt différents.
Ces
rencontres se tiendront au Centre Culturel de Nabeul du 27 février au 1er
mars 2023. Chaque demi-journée est organisée autour d’une session de 2h30
incluant un temps de discussion que nous souhaitons le plus ouvert possible
autour des positions et des questions soulevées par l’intervenant. Les Rencontres
se concluront le mercredi 1er mars par une séance informelle
d’échanges entre les intervenants et les personnes ayant suivi les Rencontres.
Le programme est le suivant :
|
Lundi 27/02/2023 |
Mardi 28/02/23 |
Mercredi 01/03/23 |
Matin : 10h-12h30 |
François Nicolas Présentation
de la problématique des rencontres Comment la pensée mathématique
moderne défie le nihilisme contemporain |
Rudolf Di Stefano Affirmer
le cinématographe |
Alain Rallet
Le
travail comme activité émancipatrice au défi du nihilisme |
Après midi : 14h30-17h |
Hayet Ben Charrada La
littérature, un espace de défi opposé au nihilisme |
Hédia Habaieb
Abdelkefi Le détachement comme héroïsme négatif |
Discussion générale en présence
de Hayet Tlili et Mohamed Karray |
Nous appelons toutes les personnes intéressées à s’associer à ces
rencontres et à participer aux sessions.
Merci de signaler votre intention à l’adresse mail : rencontresnihilisme2023@gmail.com
ou
au : (216) 98 938 083
Résumé des
interventions
François
Nicolas (compositeur)
Ouvrant ces rencontres, mon exposé se partagera en
deux :
1) Pourquoi défier aujourd’hui le nihilisme ?
Pourquoi proposons-nous de le faire en affirmant coûte que coûte des points
subjectifs d’existence ? Pourquoi des rencontres franco-tunisiennes
constituent-elles un cadre privilégié pour traiter de ces questions ?
2) Comment
une certaine manière d’étudier les mathématiques modernes peut-elle aujourd’hui
constituer un tel type de point ? Exemple de l’analyse complexe (début
du XIX° siècle) qui intègre, à l’analyse classique d’une situation (centrée sur
sa factualité, consensuellement constatable), l’existence de possibilités
intrinsèques (qui opposent les imaginaires et les désirs).
Hayet Ben Charrada (Maître de Conférences, Littératures modernes) : La littérature, un espace de défi opposé au nihilisme
Au-delà
de son pouvoir de fascination ou simplement à partir de celui-ci, la
littérature justifie son action pluriséculaire sur l’imaginaire collectif. Et de ce fait, quels qu’en soient l’enjeu ou
la forme, elle fonctionne comme un
levier de métamorphose et une force d’altération de la doxa. Je me propose d’étayer cette vérité sur la
base d’un corpus romanesque contemporain : L’imprévu et Dans le train
deux récits fictionnels datés des années 2002 et 2005 publiés aux Editions de Minuit de leur auteur Christan
Oster. Mon approche de ces textes empruntera à la
théorie sémiotique dans son versant poétique. Elle aura pour objectif
spécifique de montrer que la poiesis tout en jouant ici sur la simplicité jusqu’à la
trivialité jouxtant le cynisme dégage un ethos de type paradoxal. Il s’agit de
broder autour du motif d’amour sur un canevas psychologique atone et dans un
environnement humain visiblement impropice à ce type d’affect;
ce qui est une façon de poser une digue
fût-elle la plus dérisoire contre l’idée consensuelle de recul sinon
d’extinction de ce type de passion dans notre monde frappé de plein fouet par l’inanité sentimentale
Rudolf Di Stefano (cinéaste) : Affirmer le cinématographe
En
ce début du XXIème siècle, militer pour l'idée d’un cinéma dont la
spécificité est de mettre en avant le montage comme
réelle invention de cet art. Cet engagement prend aujourd’hui la forme
d'un défi au cinéma actuel et passe par la nécessaire relève du Cinéma
moderne, en déduisant de ce dernier, quelques points pour une pratique
cinématographique désaliénée et combative contre le nihilisme
contemporain.
Hédia Habaieb Abdelkéfi (Professeure de littérature) : Le détachement comme héroïsme négatif
Je propose d'intervenir sur la présence de
l'écologie dans la littérature (post-) moderne sous le prisme de l’écopoétique (ecocriticism),
une critique au croisement de la littérature, de l'écologie et de
l'éthologie. En m'intéressant à cette approche dans la littérature
contemporaine, je prendrai en considération moins les discours
historico-politiques contemporains qu’elle est susceptible de véhiculer que la
relation conflictuelle du sujet avec son époque, son milieu et surtout avec
lui-même. Il s’agit d’un héros négatif, l'héroïsme négatif étant le seul
geste possible pour l'homme moderne. Loin de participer aux tourments de son
époque, ce dernier, épuisé par la vie urbaine, vit en marge, au milieu de la
nature. L'apologie du détachement présente dans quelques romans
contemporains, est teintée d'une conscience écologique qui témoigne de la place
des enjeux environnementaux dans le domaine littéraire. Pour aborder ce sujet,
je questionnerai au moins deux textes de la littérature francophone tunisienne
: Dernier voyage à Kyrannis d'Ahmed Mahfoudh (2011) et L'amas ardent de Yamen Mannaï (2018).
Alain Rallet (économiste) : Le
travail comme activité émancipatrice
Dans
les sociétés occidentales, le nihilisme prône la sécession à l’égard du travail
en valorisant le temps de la consommation. Tandis que là ou
subsiste massivement le travail industriel, une écrasante exploitation
balaierait toute possibilité d’une émancipation dans le travail. Le nihilisme
oscille ainsi, au regard du travail, entre déserter et se soumettre. Contre
cela, on tiendra que le travail, fût-il asservi, est
la base matérialiste d’une émancipation dès lors qu’on le dialectise non avec
un futur utopique mais avec une subjectivité politique au travail. On mettra en
rapport l’évolution actuelle du travail avec les textes classiques de Marx sur
le travail.
Hayet
Tlili (Professeure
d’esthétique) et Mohamed Karray Aouichaoui (philosophe)
participeront à la discussion générale
***