Badiou : Dialogue avec Philippe Raynaud
(Sorbonne, 20 mai 2006)
Transcription par François Duvert
Sujet : un autre monde est-il possible ?.................................................................................................................. 1
1ère hypothèse........................................................................................................................................................ 2
2ème hypothèse....................................................................................................................................................... 2
3ème hypothèse....................................................................................................................................................... 3
1ère conséquence.................................................................................................................................................... 4
2ème conséquence................................................................................................................................................... 4
3ème conséquence................................................................................................................................................... 4
Conclusion............................................................................................................................................................... 5
Je voudrais commencer par une
brève méditation sur le sujet : les politiques de la rupture, un autre monde
est-il possible ? Quel est le lien entre les
2 énoncés, en vérité ? ça va être
réellement au cœur de la discussion. Car on ne peut pas rabattre
immédiatement l'idée de rupture sur l'idée de nouveau monde. Et à tout le
moins, si on le fait, il faut avoir préalablement précisé ce que vous entendez
par monde. J'ai écrit un livre qui s'appelle Logiques des Mondes, je pourrais donc vous parler de
ce que c'est qu'un monde très longtemps, et occuper ainsi tout l'espace, mais
ce serait très technique, très intéressant mais un peu à côté du sujet tout de même.
En vérité je pense que sous
rupture (philosophie de la rupture : un autre monde est-il possible ?) il faut
entendre, si on veut être si on veut être clair - et il faut l'être -, le bilan
en cours, ouvert, inachevé, de la séquence précédente des politiques
d'émancipation. Ie il faut
entendre en réalité le bilan entamé de l'entreprise révolutionnaire. Et on
pourrait dire aussi : est-ce que aujourd'hui il existe soit des nouvelles
philosophies de la rupture, soit
des nouvelles philosophies qui proposent, au point même où fonctionnait le mot
de révolution, d'autre catégorie ou d'autres concepts. Rupture vient donc ici à
la place de révolution, indiquant effectivement le caractère problématique, et
/ ou périmé du mot révolution. Le mot révolution est en réalité ambigu.
Souvenons nous qu'après tout, il a été question de révolution nationale, pour
désigner en réalité des mouvements d'extrême-droite. Le mot révolution n'a pas
d'appartenance politique spécifiée, même si la tradition révolutionnaire, le
mouvement révolutionnaire, désignent plus couramment une tradition de pensée
ouverte par la révolution française et prolongée par les révolutions
politiques.
Le mot rupture est lui aussi très
ambigu à vrai dire. Comme vous le savez, c'est un mot clé de la politique de
Sarkozy. On ne peut considérer par conséquent que le mot rupture soit approprié
immédiatement de façon nécessaire par un camp politique déterminé. Rupture
fonctionne aussi aujourd'hui comme une sorte de fonctionnement dramatique du
mot réforme. Comme vous savez, ce mot réforme est un mot fétiche de la
politique contemporaine puisque le mal de la France, comme l'a dit, le mal de
la France est son intolérance aux réformes. Et donc Sarkozy, voyant cette
intolérance aux réformes, propose des ruptures, ie des réformes dures. Donc le mot de rupture comme
celui de révolution sont ambigus, et tout ce qui indique qu'on est dans le
travail de pensée, et aussi d'action, d'un bilan général de ce que désigne la
discontinuité politique. La discontinuité politique dans l'histoire et le
remplacement en effet d'un univers à la fois pratique et un univers la pensée
par un autre.
Nouvelle philosophie, d'un autre
côté, s'inscrit dans la longue, dans la longue tradition des nouveautés. Comme
vous le savez les choses sont presque toutes nouvelles, depuis à peu près la
fin des années 70. ça a commencé par les nouveaux philosophies (il faut leur
rendre ce caractère fondateur) et après on a eu, vous le savez, les nouvelles
philosophies, les nouvelles radicalités, les nouvelles politiques, les
nouvelles gauches, les nouveaux hommes, les nouvelles femmes, les nouveaux
adolescents, les nouveaux tubes de dentifrice. Donc on a été dans une longue
succession où le mot de nouveauté fonctionne lui aussi dans une incertitude
totale. C'est cela que je tenterai d'éclairer tout à l'heure car sous le mot
nouveauté se joue la désignation de 2 choses complètement différentes. On peut
dire cependant, à la prendre comme symptôme, que cette succession de
nouveautés, que cette mode de la nouveauté, désigne la conscience obscure et
évasive d'une nouveauté effective qui serait elle insituable. Ie il y a un encerclement d'une nouveauté possible
insituable par des nouveautés incertaines ou insignifiantes. Je comprends cela,
dans le dispositif philosophique qui est le mien, en soulignant que en réalité
la nouveauté est rare. La nouveauté est rare, la nouveauté véritable, la
nouveauté de pensée, ce qui constitue un événement dans la structure de la
pensée et de la philosophie, il y a tout lieu de considérer que c'est un
phénomène rare. Et donc on pourrait aussi dire que la nouveauté fréquente est
le masque ou la dissimulation de la nouveauté rare. Car si tout ce qui est
nouveau tout ce qui l'est vraiment l'est dans le retrait et dans l'obscurité.
Tout ceci converge cependant vers le point qui constitue un point d'accord
potentiel avec l'interlocuteur du jour (il faut qu'il y en ait un pour qu'on
soit dans le même monde) et qui est qu'il y a quand même le diagnostic d'une
fin, où quelque chose ou s'achève ou est achevé. C'est la raison pour laquelle
il importe de mettre un peu aveuglément le mot nouveau devant ce qui se passe.
C'est une garantie au regard de l'opinion partagée que quelque chose en effet
s'achève.
On peut donc entamer par notre
propos par l'examen de ce diagnostic de fin. Il y a sans doute une fin, mais
une fin de quoi ? Une fin de quoi, dans l'ordre propre de ce qui nous intéresse
ici et qui est la question en fin de compte de ce que Philippe Raynaud appelle
la radicalité politique. Fin de quoi ? Parce que, comme vous le savez, le mot
fin est évidemment aussi à mon sens le mot nouveauté. Car une nouveauté met fin
à ce qui le précède. Et donc au moment même où on avait les nouveaux
philosophes il y avait aussi l'horizon de la fin de la philosophie ou la fin de
la métaphysique. Le point est qu'à la fin, il s'agit d'examiner de quoi on propose
la fin. Alors faisons une série d'hypothèses. Le cadre général de cette affaire
est la fin des idéologies, ou la fin des utopies, ou la fin de la révolution. Alors
de quoi y a-t-il fin ?
fin d'une vision conflictuelle de l'espace politique, avec comme soutien à cette idée du conflit, une
conception dialectique de la contradiction, une contradiction conçue précisément
elle-même comme antagonique. Ce dont il y a fin, c'est de la dualité politique,
de l'exercice effectif d'un 2 conflictuel permettant de distinguer des camps,
des classes aux prises, des figures politiques, de sujets politiques dans le
cadre d'une appréciation dialectique du devenir de la politique.
Il me semble que si on élargit
trop cette hypothèse, elle est tout de même intenable. Ie on ne peut pas aujourd'hui mettre fin ou déclarer la
fin de toute vision conflictuelle de la politique, parce que les antagonismes
sont flagrants. Tout dépend naturellement de la thèse selon laquelle on les
situe, mais il est évident que nous sommes dans une période de guerre, de violence,
d'affrontement, à l'échelle internationale, et même si on la restreint juste,
on voit bien qu'il y a des tours extrêmement conflictuels dans l'espace général
de ce qu'il est convenu d'appeler la politique.
Donc je pense qu'on ne peut pas
déclarer la fin de cette vision conflictuelle comme telle.
serait-ce la fin de l'analyse
marxiste ? Là on n'entrerait non pas,
l'entrée ne serait pas celle des pratiques visibles ou empiriques, mais celle
du cadre de l'analyse générale.
Je crois que cette hypothèse est
une hypothèse faible. Car après tout si un modèle théorique est invalide, ça ne
transforme pas nécessairement le champ général de la pensée et de l'action
politique. Mais d'autre part c'est une hypothèse faible car c'est une hypothèse
controuvée. En un certain sens, les hypothèses vectrices du marxisme ou de
l'analyse marxiste sont plus valides aujourd'hui ou plus clairement valides
qu'elles ne l'ont été du temps de leur formulation. Par exemple, l'idée
directrice ou l'hypothèse fondamentale selon laquelle le destin du capitalisme,
c'est l'édification d'un marché mondial, on peut dire que la réalité effective
du marché mondial comme tel et de l'ensemble de ses effets, est infiniment plus
visible et plus frappante aujourd'hui qu'elle ne l'a été au moment où Marx
proposait cette thèse. De la même manière, les effets de concentration du
capital, la logique générale du capital comme concentration est pleinement
validée aujourd'hui, son internationalisation aussi, sur le fait qu'il excède
l'horizon étatique (ce que Marx anticipait) et en définitive le fait qu'il a
produit une polarisation générale. Polarisation générale entre une richesse
concentrée et une pauvreté dispersive et massive, cette proposition est en
réalité valide aujourd'hui, simplement si on la considère à une échelle plus
vaste que celle des cadres nationaux dans lesquels on a l'habitude de la
déployer.
est-ce que serait la fin,
autre entrée, de la politique des situations politiques planétaires en termes
d'impérialisme et de question nationale ?
Et donc sous la forme en définitive d'une orientation essentielle vers la
guerre, où la fonction de la guerre est en effet l'analyseur principal de la situation planétaire.
Evidemment nous avons là-dessus des tensions diverses, puisque le caractère
excessif de la mondialisation concentrée du capital par rapport au cadre
national en réalité dépassé transforme naturellement le jeu interne des nations
dans la question planétaire. Mais manifestement la question de l'existence de
grandes puissances économiques, de leur rôle prédateur et agressif sur
l'ensemble de la planète, de leur volonté de résoudre à leur propre profit
l'ensemble des situations et des problèmes posés est une évidence aujourd'hui,
et que contre cela subsiste de façon massive, même si en Europe le problème est
un peu fatigué, mais ailleurs subsistent
de fortes tensions autour de la question nationale.
Donc je pense que le cadre
général d'analyse en termes de rivalités et d'hégémonie, de préférence
nationale, et le caractère en fin de compte toujours largement déterminant de
la question de la puissance militaire, cela subsiste.
Donc je ne pense pas pour
conclure qu'on puisse facilement trouver dans l'objectivité de la situation de
quoi appuyer le diagnostic de fin sur lequel je déclarais moi-même être
d'accord. Puisque ce n'est pas à proprement parler la dialectique du conflit,
ce n'est pas les cadres généraux de l'analyse du capital, et ce n'est pas même
l'importance rectrice de la question du rapport entre hégémonie et question
nationale à travers les figures de l'affrontement et de la guerre.
Alors, pour ma part, je
proposerai de dire que ce qui par contre me semble plus tenable comme hypothèse
de définition et de déploiement politique, c'est l'hypothèse de l'existence
objectivement prédéterminée d'un acteur historique privilégié de la politique. Voilà. En vérité, c'est autour du mot prolétariat
ou classe révolutionnaire que se concentre à mon avis la difficulté et en
vérité la péremption nécessaire des catégories conceptuelles. Ce qui veut dire
que l'analyse objective, si vaste qu'elle soit, ne permet pas de prédéterminer
dans le monde tel qu'il est l'existence d'un acteur historique privilégié,
porteur de l'émancipation, au regard de sa constitution immanente propre. Alors
c'est une définition formelle ou général de ce dont on déclarerait la fin. Mais
il y a je crois à cela 3 conséquences essentielles, touchant directement à l'espace de la philosophie
politique.
la fin de l'idée d'une
transitivité simple entre le social et la politique, ie l'idée que en fin de compte la politique est le
concentré du social, lui-même étant en fin de compte l'expressivité de
l'économique. Ou la maxime léniniste selon laquelle la politique c'est le
concentré de l'économie. Il y a en effet dans l'univers d'organisation de la
socialité contemporaine ceci que si on n'est pas en mesure de dégager un acteur
privilégié de l'émancipation, alors il n'y a pas de transitivité immédiate
entre le social, y compris les mouvements sociaux, et la détermination d'une
nouvelle politique d'émancipation ou de ce qu'on peut appeler politique de
radicalité. Ça c'est la 1ère conséquence.
La 2ème conséquence, un tout petit peu plus générale, spéculative,
c'est que c'est également la fin d'une circulation rationalisable
entre l'objectif et le subjectif. On sait
bien que cette circulation rationalisable se bâtissait dans la période
antérieure autour du concept de classe ou de l'une de ses variantes. Le concept
de classe avait en effet une double fonction. Il était d'une part interne de
l'analyse objective, et il était d'autre part interne de l'analyse subjective.
Il était à la fois une donnée de l'univers économico-social, en termes
objectifs à partir des caractéristiques de la force de travail, mais d'autre
part le support subjectif de la politique nouvelle et du volontarisme
révolutionnaire. Ça je pense que nous n'avons pas non plus la possibilité de
maintenir ce dispositif. C'est un dispositif hegelien élargi, dispositif de
circulation qui fait que la pensée politique, portée en quelque par la
catégorie de classe, circule entre l'objectif et le subjectif de façon
relativement libre, ie peut se représenter l'univers politique
comme étant partiellement une expression, ou une projection, une concentration
des configurations de la société telle que l'analyse objective les déterminait.
En 3ème lieu, il s'agit de la fin - par voie de conséquence - d'une vision
représentative de la politique, à savoir
d'une vision qui détermine ultimement la forme d'organisation subjective de la
politique comme représentation précisément des catégories qui circulent entre
l'objectivité et la subjectivité. Au cœur de cela, naturellement, la notion de
parti de classe. La notion de parti de classe et ses variantes (bis), qui
concentrait l'idée que la politique c'est en fin de compte une représentation
de l'objectivité elle-même telle qu'elle parvient à la conscience de soi, ie
à la capacité organisatrice et subjective de son être. C'est donc la fin de
l'époque des partis. Etant entendu que parti désigne quelque chose de plus
large et de plus vaste que simplement les partis dans la tradition
internationaliste ou bolchevique. Ça désigne la vision représentative telle que
en fin de compte elle organise la politique à partir des question sociales
objectives.
Donc je reconnaîtrai que le
diagnostic de fin est validé sous ce triple aspect :
- la fin d'une transivité du
social et du politique (ce qui veut aussi dire, j'y insiste, d'une transivité
immédiate entre la figure des mouvements sociaux et les transformations de la politique
: non qu'il n'y ait aucun rapport, mais ce rapport n'est pas d'expression ou de
transitivité immédiate).
- la fin d'une circulation
dialectique libre entre l'objectif et le subjectif, autour de la catégorie de
classe et de ses dérivés
- la fin d'une vision
représentative de la politique qui concentre finalement l'ensemble de ces
déterminations dans la figure du parti de classe ou de ses dérivés.
Alors la situation actuelle à mon sens, celle dans laquelle on
tente de nous mettre, c'est celle d'un choix forcé. Le choix forcé consiste à dire que si tout cela
est effectivement périmé, alors il n'y a que ce qu'il y a. Il y a, c'est en
réalité l'articulation en effet éprouvée de l'économie de marché (prenons ce
mot) et de la démocratie représentative, sous sa forme constitutionnelle
étatique. Ie que subjectivement, j'y insiste, on est dans une
figure dans laquelle l'ensemble des propagandes organisées pour nous convaincre
que dès lors que cette fin est effective, que ce système des fins est validé,
alors en réalisé la figure politique inéluctable se réalise dans la
combinaison, elle-même variable, entre économie de marché et démocratie
représentative, avec comme fétiche subjectif évidemment la démocratie. Parce
que l'économie de marché est difficilement un fétiche subjectif. Elle est donc
généralement présentée comme le support nécessaire ou le support obligé à la
démocratie qui elle peut se prévaloir du statut de fétiche subjectif. Et donc
dans cette figure que personnellement je propose d'appeler le capitalo-parlementarisme,
pour ne pas faire apparaître indûment démocratie dans un cadre aussi contraint,
aussi resserré, et bien dans cette figure la possibilité d'un autre monde, pour
reprendre le titre, est préalablement normée par la reconnaissance de ce cadre
comme seul validable. L'historicité de ce cadre est soustraite à toute
question. Ce cadre est normatif en
même temps que réel et il contraint la subjectivité à s'inscrire à l'intérieur
de sa norme, même quand il s'agit de déclarer qu'on veut aller finalement
au-delà de cette norme. Donc ce qui l'intéresse philosophiquement c'est que
cette figure n'est pas seulement une figure de proposition objective (du type :
il y a une démocratie, c'est ça qui est bien, et finalement le prix à payer
pour une démocratie véritable c'est aussi la liberté du commerce et la
circulation des capitaux, etc… donc le capitalo-parlementarisme, ie la démocratie comme démocratie représentative et électorale.
Donc cet ensemble, ce complexe). Ce qui m'intéresse, c'est que c'est une figure
subjective. C'est une subjectivité politique, c'est un horizon du choix. Ça ne
veut pas dire qu'il n'y a pas de choix. Il y a des choix, mais dans l'horizon
général de cette configuration, qui oblige malgré tout à des circulations tout
à fait singulières, comme on le voit très fréquemment, comme avec la
circulation par exemple entre mouvement et dispositif électoral. L'issue d'un
mouvement doit être déployée ou déplacée du côté de la configuration
électorale. Aussi bien que quand on est dans le mouvement, on ne sait pas très
bien si on travaille pour le mouvement ou si on travaille pour la prochaine
élection, à la fin des fins. Et ainsi, l'inscription du mouvement lui-même se
fait dans le cadre général comme subjectivité, parce que en réalité c'est
l'horizon du choix.
Et enfin, techniquement,
l'existence d'un horizon de choix, d'une prescription contraignante des choix à
l'intérieur d'un cadre prédéterminé (dans mon jargon le transcendantal d'un
monde), le choix forcé je dirais que c'est en vérité l'hypothèse selon laquelle
le capitalo-parlementarisme serait le transcendantal obligé du monde social et
politique aujourd'hui. Et que la figure du choix subjectif serait donc la
figure de variante de l'inscription dans ce transcendantal. Ça ne veut pas dire
qu'il n'y aurait rien, aucun jeu, aucun mouvement, mais il serait interne à
cette figure transcendantale particulière qui est celle de l'économie de marché
dans son articulation avec la démocratie représentative, sous l'emblème général
de la démocratie comme bien inaliénable. C'est l'objet dans la configuration
dont il est impossible de déclarer qu'on y renonce.
Je vais conclure brièvement. Tout
le problème à mes yeux est de savoir si
et comment on peut se soustraire
à cette contrainte transcendantale. Donc
le problème n'est en effet plus celui de l'inscription de la révolution comme
horizon immanent de l'intérieur de lui-même (figures d'autres radicalisme). La
catégorie de révolution fonctionnait comme catégorie à la fois subjective et objective,
donc la possibilité de la révolution était inscrite dans l'analyse objective
elle-même, et donc elle était un contre transcendantal. On avait la possibilité
dans l'analyse initiale elle-même de trouver le support actif, l'agent
subjectif de la politique révolutionnaire. Si vous n'avez plus ce point là, à
supposer qu'en effet on ne l'ait plus, alors ça revient à dire qu'il n'y a pas
de perspective de ce type, ie de perspective d'un autre monde
dans le monde conçu comme transcendantal. L'hypothèse marxiste prise au ras de
sa détermination c'était qu'il y avait dans le monde le mouvement
révolutionnaire lui-même, ou sa possibilité : elle était dans le transcendantal
du monde, tel que l'analysait Marx. Et je ne pense pas que ce soit le cas du
transcendantal capitalo-parlementaire en bilan naturellement des expériences
révolutionnaires qui se situent derrière, en bilan de la conjoncture etc… Et
donc le pb ce que ce n'est pas de l'analyse objective du monde lui-même que
nous pouvons trouver immédiatement de quoi soutenir la possibilité d'un autre
monde. Le capitalo-parlementarisme se présente explicitement comme monde qui
n'a pas d'autre monde. Il est le monde, le transcendantal effectif, et ne
contient pas la virtualité d'un autre monde en tant que détermination immanente.
Il ne peut que continuer le système de ses variantes et donc être dans le
développement de sa polymorphie éventuelle, mais cette polymorphie est normée.
Alors à partir de là il faut étudier comment dans des situations de cet ordre
on peut avoir des ruptures. Le point fondamental est que toute rupture ne peut
se présenter que comme une dysfonctionnement local, dans sa constitution 1ère.
Il n'y a pas de catégorie générale comme celle de révolution qui permette de
penser un bouleversement immanent du monde du point de vue de ses déterminations
internes. C'est donc qch qui va se diffuser comme un dérèglement du
transcendantal du monde à partir d'un point singulier, point singulier qui est
lui-même imprévisible. Car s'il était prévisible, vous retombez dans
l'hypothèse que c'est une loi interne au monde qui permet la prévisibilité de
sa transformation. Par conséquent, l'hypothèse d'un politique de rupture que je
propose est une hypothèse qui concerne une nouvelle pensée du rapport entre le
local et le global. Nouvelle pensée que celle qui était justement supportée par
les catégories de classe et de révolution. Car ces catégories de classes et de
révolution, profondément articulées, étaient elles aussi des formes
d'articulation du local et du global, mais où il y avait une prévalence du
global. La classe était une opérateur de circulation entre l'objectif et le
subjectif au niveau de l'ensemble, elle portait la possibilité de la révolution
comme bouleversement général. Quand on n'a plus des catégories de cet ordre, on
a des catégories qui reposent bcp plus sur le radicalisme d'un
dysfonctionnement local, tel que il peut se communiquer transversalement selon
les lignes de fuite de la situation à autre chose que lui-même, et par
conséquent sans parvenir jamais à aucune totalisation, rendre finalement
possible un déséquilibre transcendantal immanent tel que en effet l'horizon
change, l'horizon de la possibilité change. Car la prescription du
transcendantal capitalo-parlementaire est essentiellement de fixer un horizon
invariable.
Ça me permet de revenir sur la
question des nouveautés : il y a 2 types de nouveautés. Il y a la nouveauté
interne au transcendantal en question, qui est une nouveauté permanente. Vous
savez que nous sommes mis en alerte constamment sur le fait que le monde ne
cesse de changer constamment à une vitesse dont nous sommes indignes. Nous
n'arrivons pas à suivre la cadence, nous ne faisons pas les réformes
nécessaires, nous sommes toujours en retard sur le cours du monde. Nous sommes
archaïques. Il n'y a que quelques hommes d'affaire qui ne le sont pas. Cela car
la nouveauté nous harcèle. Rien ne peut se présenter sous une autre enseigne
que celle de la nouveauté. Tout est nouveau, toujours. C'est un changement, ça,
remarquez. Il y a une époque où au contraire rien ne pouvait se présenter qui
ne soit sous le signe de la tradition. Mais ces nouveauté incessantes sont en
réalité dans la fixité de l'horizon : le capitalo-parlementarisme et son
fétiche démocratique. Par contre les nouveautés réelles sont
transcendantalement nouvelles. Donc la question transcendantale est celle du
changement de l'horizon et donc d'un dysfonctionnement du transcendantal
lui-même. Et ça, c'est un point local, une section locale. C'est pourquoi,
conséquence empirique de l'analyse spéculative, il y a une seule question qui
porte la possibilité d'une redétermination de l'horizon. Il n'est pas vrai que
la politique se présente comme une surface générale (la politique
d'émancipation dans sa possibilité), c'est pourquoi elle ne peut être
programmatique aujourd'hui. Un programme c'est une illusion par soi-même : un
programme est qch qui prétend qu'on peut traiter en masse la situation comme si
le transcendantal n'était pas contraignant, mais ce n'est pas le cas. Il ne
peut pas y avoir de programme révolutionnaire, il ne peut pas y avoir de
programme politique. Ce qu'il y a, ce sont des questions, et en vérité une
seule question en règle générale constitue le point de concentration local des
partages tels qu'on peut en espérer le dérèglement du transcendantal. Pour moi,
c'est aujourd'hui la question des étrangers sans papiers, question tout à fait
local mais dont on peut démontrer que par elle ou en elle transitent les
partages fondamentaux qui affectent le transcendantal capitalo-parlementaire
lui-même. Question chinoise aussi, américaine. Question planétaire. Il y a une
question telle que son traitement radical, la position qu'on prend face au
propos telle qu'elle demeure irréductible face à tout consensus parlementaire,
peut faire espérer un dérèglement. C'est la conclusion empirique. La conclusion
un peu plus spéculative, c'est que finalement une théorie des rapports possible
entre le local et le global, c'est une théorie du monde, ou du transcendantal
du monde. Et de même que la période précédente était dominée par une théorie
dialectique des sociétés, des totalités humaines, était dominée par une
investigation des totalités humaines, il est certain qu'aujourd'hui la question
est qu'est-ce qu'un monde ? qu'est-ce qu'un monde, précisément en tant qu'il
est aussi la prescription d'un horizon des possibles.
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