Badiou : Sur Duchamp
(Ens, 9 mars 2007)
Transcription par François Duvert
Commentaire de la phrase
de Breton :................................................................................................................... 2
1er temps : parvenir............................................................................................................................................... 2
2nde temps : parvenir "plus vite"........................................................................................................................... 2
3ème temps : au point des idées.............................................................................................................................. 3
4ème point : point critique...................................................................................................................................... 3
5ème temps : le point critique des idées................................................................................................................... 3
Parallèle Duchamp-Mallarmé................................................................................................................................. 4
1er point : la trace et le résultat............................................................................................................................. 4
2nd point : l'art et le nombre.................................................................................................................................. 5
3ème point : le point de pensée............................................................................................................................... 5
Les Œuvres de Duchamp......................................................................................................................................... 6
1) le ready-made.................................................................................................................................................. 6
2) les installations................................................................................................................................................. 7
4ème point : l'aspect critique du point..................................................................................................................... 8
5ème point : la séparation de l'idée......................................................................................................................... 8
Conclusion :............................................................................................................................................................ 9
Cette
intervention est à coup sûr une commande, au sens fort.
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dans un très beau texte de 2005, titré Prendre l'époque au lacet, et sous-titré à l'occasion de Duchamp, Elie During analyse les anticipations topologiques
du Duchamp sur l'espace et les indications que le 21ème siècle
devra introduire dans l'esthétique
transcendantale, ie une nouvelle
esthétique transcendantale à la lumière de la topologie et de mes propres
propositions.
-
en 2004, Barbara Formis, dans son essai […] et remanié en 2006 événement
et ready-made, le retard du sabotage,
se livrait à 4 ressemblances cruciales entre la théorie de l'événement et la
signification du ready-made. Elle me provoquait à y répondre, car elle établit 4 différences essentielles -
à l'avantage de Duchamp ou du moins difficiles à traiter dans le contexte que
je propose.
-
en 2006, During commence par m'apparier à Duchamp. "Si Matisse est pour
le deleuzien Eric Alliez le héros peintre d'un vitalisme constructiviste, on
conclura que l'adversaire c'est Duchamp et en philosophie c'est Badiou". Et il conclut par une implacable commande en
forme d'avertissement et injonction : "si Badiou n'écrit pas son
Duchamp, on le fera pour lui". Me voici prévenu ! je ne vais pas l'écrire
aujourd'hui, je balbutierai quelques propositions.
Je
prendrai mon départ dans un texte de André breton, qu'il consacre à Duchamp en
1922. Dans le numéro 5 de la Revue Littérature.
Remarquons
en passant que 1922 est la fin de la 1ère période de Duchamp.
-
la 1ère période artistique ou contre-artistique de Duchamp
(1912-1922, qch comme ça).
-
la 2nde période va de 46 à 66, dominée par l'Installation Etant
donné 1) la chute d'eau 2) le gaz d'éclairage.
-
entre ces 2 séquences, de 1922 à 1946, il y a la passion des échecs et la
gestion très complexe, stt après 45 des vrais faux objets, miniatures etc… tout
ce qui relève de ce que Formis appelle le retard du sabotage comme on parle au
fond d'une bombe retardement, ce qui a été accumulé est déployé et se manifeste
dans sa puissance véritable, dans son événementialité véritable plus tard.
Donc
on peut dire qu'en 1922, excepté étant donné et excepté la gestion du retard, Duchamp a fait ce
qu'on peut considérer comme son œuvre. Le texte de Breton se situe au bord
terminal de cette séquence et constitue un 1er bilan à sa manière du
travail de Duchamp, non retardé, lui. Son œuvre est dominé par la question :
est-il possible de faire une œuvre qui ne soit pas de l'art. C'est au vu de ce
qu'il pouvait connaître de cette séquence et de Duchamp que Breton écrit :
"serait-ce que Marcel Duchamp parvienne plus vite que quiconque au
point critique des idées ?".
Tout ce que je vais dire aujourd'hui est en un certain sens contenu dans cette
matrice qu'est la phrase de Breton.
D'abord,
synthétiquement, Breton attribue une fois de plus à Duchamp la qualité que tout
le monde lui a attribué, ie une intelligence
exceptionnelle, une capacité dans l'ordre de la pensée d'aller plus vite que
quiconque. Ce serait banal s'il s'agissait d'un simple trait psychologique mais
il s'agit de bien plus. Il s'agit à mon sens d'un nouveau rapport entre
l'art et le concept, ie en fin de compte une forme d'outrepassement du
romantisme. Il faut préciser les
termes. Convenons d'appeler romantisme (définition non historique) la
théorie d'un écart fondamental ou d'un espace entre l'intuition de l'infini,
l'intuition poétique, quasi divine ou sacrée de l'infini d'un côté, et de
l'autre les contraintes supposées finies et par elles-mêmes stériles de la
rationalité calculatrice. Nous
appelons romantisme une théorie ou une conviction : il y a un écart incomblé et
incomblable entre l'intuition de l'infini et le système des contraintes de la
rationalité calculatrice. Il est vrai que de façon tout à fait explicite
Duchamp est le héros d'un art, d'une proposition artistique ou d'une
proposition non artistique qui ignore cet espace (je ne dis pas qu'il le
surmonte dialectiquement), cet écart supposé entre l'intuition poétique de
infini et les contraintes de la rationalité, et qui ignore aussi cette théorie
romantique qui est une théorie de l'inspiration et de la singularité géniale (théorie
particulièrement tenace). Duchamp s'efforce en tout cas d'ignorer cet écart,
d'ignorer la théorie de l'inspiration et du génie qui va avec, et même d'ignorer la catégorie ce qui
va avec ça plus essentiellement ou plus anciennement, la catégorie du goût
(fondatrice après tout de l'esthétique de Kant). Pourquoi attaque-t-il cette
catégorie ? Car le goût est ce qui fonde l'unité de l'action artistique. Quand
on dit qu'il va le plus vite dans le point critique des idées, on dit qu'il
est tout à fait extérieur à cet espace esthétique qui combine une théorie de
l'inspiration et une théorie du goût.
2
références, 2 mots d'ordre très caractéristiques : il a fait des ready-made,
dit-il "sans autre
intention que de décharger des idées".
Et encore, dans la même ligne et plus radicalement, "je me suis efforcé
de me contredire moi-même pour éviter de me conformer à mon propre goût". L'élimination du goût est l'élimination du la
singularité idolâtre, y compris naturellement par une surveillance acharnée de
soi-même, pour ne pas être formé ou informé par son propre goût.
C'est
le contexte général de la phrase. Mais on peut la comprendre dans son détail,
en 5 moments abstraits qui vont encadrer le problème de Duchamp.
Pour
autant qu'il existe (on reviendra sur l'art, non art, fin de l'art etc..),
l'art est devenu une question d'effort, il est ce à quoi on parvient, plutôt
que l'abolition de ce parvenir dans un résultat fermé ie dans l'exhibition
idolâtre de l'œuvre d'art (et de sa commercialisation, csq moderne). Quand on
dit qu'il parvient, il faut entendre que l'art est une question de parvenir,
mais qui doit être distingué de la question du résultat.
Notons
entre parenthèses la question de l'acceptation de l'inachèvement : très frappant dans le cas du Grand Verre, il ne l'a pas fini car dit-il il en avait assez.
C'est une bonne raison : si ce qui compte c'est le mouvement par lequel on parvient,
et non pas l'abolition de ce parvenir dans une œuvre d'art comprise de façon idolâtre,
on comprend que l'art puisse rester inachevé.
On
peut dire donc que l'art c'est une trace, la trace de sa propre action, ou le
tracé, avec les incertitudes concernant la trace. Ceci commente "parvenir"
Parvenir
"plus vite" : si l'art
est cela, du coup les procédures de compte du mouvement sont internes à l'art
lui-même (et pas seulement le mouvement). Ie que lenteur et vitesse d'exécution par exemple sont
des paramètres pertinents et pas du tout seulement des données extérieurs. .Il
y a donc un lien immanent de
l'art et du nombre, de la mesure. Ce
n'est pas un lien au sens de la configuration intrinsèque du nombre d'or comme
qualification des équilibres, mais le nombre en tant que qualification et
mesure des lenteurs, vitesses, dimensions. Là, Duchamp, va plus vite, mais il
est aussi plus lent. Il a des procédures extraordinairement lentes,
laborieuses, en même temps que des procédures quasi-instantanées. Ce qui
compte, c'est que le nombre compte.
L'art
pour autant qu'il existe traite un point de la pensée (c'est comme ça que je le
lis). C'est un point de la pensée : au-delà de la question de la critique de la
représentation etc… L'enjeu est qu'on peut désigner l'art comme un point de pensée.
L'art se laisse désigner comme cela. On soutiendra alors que l'espace-temps, où
l'art se meut, les supports, les surfaces, les vitesses d'exécution, les
références mêmes, tout cela est l'enveloppe, peut être qualifié comme une
enveloppe, dont le point de pensée est à la fois exhibé et soustrait. Car si
l'art a pour enjeu de parvenir à un point de pensée, au point des idées, alors
la procédure matérielle et sensible dans laquelle le point s'exhibe n'en est
que l'enveloppe. Le point doit être simultanément exhibé et soustrait, donné et
retiré, en tant que point, dans son enveloppe. Autrement dit, ce qu'on appelle l'œuvre (le Grand Verre, Etant donné…) doit être conçue comme le lieu du point et non
sa dilatation, son espacement ou sa configuration générale. Or la construction de ce lieu est un labeur
éventuellement, mais c'est quand même pour qu'y figure le point, dans le temps
où il apparaît et où il disparaît. C'est à l'intérieur même de son œuvre la
configuration événementielle comme telle (cf Formis).
Ce
point est critique, le point critique des idées. Il est critique en un double
sens.
-
d'abord en un sens banal car il critique en pensée la théorie idolâtre de
l'art, ie le romantisme ordinaire. Quand on conçoit l'art comme l'enveloppe d'un pur point de
pensée soustrait et exhibé, on critique ce romantisme ordinaire (qui peut être
sophistiqué) qui suppose la transcendance infinie comme horizon et enjeu de l'infinitude de l'art et il rejette
donc la science à l'extérieur de son action, politique ou sacrée. Bien entendu,
il entend révéler non pas un point mais le tout, une donation du tout, une donation métonymique. En
ce sens naturellement dire que l'œuvre est enveloppe de la disparition d'un
point de pensée, c'est critiquer que l'œuvre est ce par quoi nous souffrons au
contraire un accès au secret du tout. C'est le 1er sens.
-
le point est critique en un autre sens, au sens mathématique ou physique, ie le point où il y a une discontinuité qualitative, en sorte que en ce point même, il y a
indiscernabilité entre un état et un autre, qui cependant diffèrent partout ailleurs, aux alentours ou au point
critique. Là on peut soutenir que créer le lieu où chacun peut refaire
l'expérience d'un tel point critique, ie refaire l'expérience de cette indiscernabilité, serait l'enjeu
fondamental de l'art moderne, post-romantique (ie donner l'enveloppe d'un point critique au sens où en
ce point ce qui est expérimenté est le discontinu comme tel, ie l'indiscernabilité de 2 états cependant
entièrement différents). Une autre
manière de le dire est que en ce point s'échangent les vertus de pensée, de
l'infini et du hasard. Ou même, s'échangent la nécessité et le hasard, aussi
bien : le calcul savant et ce qui n'entre pas dans ce calcul. Le point, la
commutation.
Ce
point critique est donc bien la visitation de l'idée dans sa forme artistique contemporaine. Donc en fin
de compte pour autant qu'il existe l'art est idée, puisqu'il est la construction
laborieuse et artisanale d'une enveloppe pour un point d'indiscernabilité qui
précisément va nous donner l'idée en tant que telle. A quoi ça s'oppose ? L'art (l'an-art) n'est pas comme dans le vitalisme une
énergie corporelle, établissant par exemple
l'étreinte des percepts et des affects, il n'est pas le passage continu et
projectif de la jouissance expérimentée du devenir à la pensée vivante. Il y a
là un conflit esthétique dominant probablement le 20ème siècle.
L'art est au contraire établissement d'un lieu, certes matériel,
spatio-temporel, demandant une critique serrée de l'esthétique transcendantale,
mais où s'expérimente précisément la séparation de l'idée et non pas son
incorporation. Ie où s'expérimente
que l'idée ne peut jamais que toucher la surface, un peu comme un oiseau frôle
la mer. C'est l'expression abstraite que je tire du jugement particulièrement
concentré de Breton en 1922
Ce
qui me frappe moi c'est que cette phrase serait tout à fait pertinente si elle
s'appliquait à Mallarmé. On a là un alignement Duchamp Mallarmé absolument
inévitable. De sorte qu'un exercice complet appellerait à comparaître les œuvres
et textes de Mallarmé et Duchamp, pour voir à quel point l'un et l'autre ont
soutenu ces 5 points, ces 5 temps de ce qu'on peut appeler l'ascétisme
créateur de cette conception. Ils
l'ont fait chacun dans son ordre propre, principalement le langage pour
Mallarmé, mais avec des incursions dans le transcendantal spatio-temporel (avec
le projet du Livre, qui est une représentation, théâtrale, une cérémonie et
avec aussi la mise en page du Coup de Dés, qui en est partie intégrante). Principalement dans
le spatio-temporel pour Duchamp, mais avec bcp plus que des incursions dans le
langage (en particulier dans Boîte Verte et Boîte Blanche, où Duchamp emboîte les textes). Je ne ferai pas cet
exercice complètement déployé, je m'en tiendrai à quelques exemples, point par
point.
D'abord
que l'art ait à devenir la trace de sa propre action, et rien d'autre, qu'il
soit le lieu de son avoir-lieu. C'est pensée mallarméenne explicite : il le dit
ainsi à propos de ce qu'il appelle "impersonnifier le volume" - Duchamp a impersonnifié la boîte –. Duchamp
aggrave encore l'impersonnalité de l'action artistique.
Une
polémique contre tout ce qui porte dans le devenir de l'œuvre la trace d'une
passivité sensible, un pathos de réception des configurations extérieures, tout ce
qu'il appelle "l'art rétinien", art qui est art de la réception du visible et de sa
reproduction en jouissance. Pour lui, l'art rétinien remonte à Courbet, qui est
toujours le mauvais génie de l'art rétinien, c'était un regardeur effroyable.
Mais enfin ça concerne les impressionnistes, les fauves et les cubistes
eux-mêmes, l'art rétinien. Duchamp propose sans la déployer une généalogie de
l'art contemporain : ça ne passe pas par impressionnistes, puis les fauves et
enfin les cubistes, non tout ça c'est de l'art rétinien, ie tout cela est en
réalité épouvantable, car en réalité ça réaffecte l'art avec la puissance du
visible, avec la singularité de la puissance du visible. Donc il faut abandonner
l'art rétinien, ie toute adhérence
du visible. Duchamp rêve même d'être totalement absent du champ de la création,
pas seulement en tant que rétine mais plus radicalement. Il appelle dit-il à
"se couper les mains".
L'œuvre d'art aurait lieu toute seule.
Par
contre il donne du processus de l'œuvre des explications détaillées : ce qui s'oppose au rétinien c'est l'explication du
processus complet, et si possible sans lacune, de la fabrication elle-même. Au
fond, Duchamp accompagne l'objet de ce qu'on pourrait appeler un symétrique
mode d'emploi (comme les objets techniques, grande littérature contemporaine
que le mode d'emploi), à savoir un mode de fabrication. Ça anticipe déjà que après tout vous devez pouvoir
refabriquer la chose, si vous avez un mode vraiment complet de sa fabrication. L'idée
de réduplication, la plus fameuse des idées post-duchamp, est vraiment contenue
dans le fait que s'il faut totalement absenter la figure du goût, et de l'adhérence
rétinienne, il est important d'être totalement explicite sur le mode de fabrication
et de calcul de la chose, ie
il faut donner toutes les informations. En un sens, pas de distinction cruciale
entre le produit ou l'œuvre et le système complet des informations la
concernant. C'est réciprocable.
L'année avant sa mort, à propos du Grand Verre (la Mariée mise à nu par ses Célibataires mêmes), Duchamp explique que pour apprécier ce travail il
faut absolument suivre le texte écrit par lui, et qui est "une sorte
d'explication diagrammatique ou programmatique de ce qu'on peut voir sur le
verre". Il énonce que cette
explication est partie intégrante de la visibilité à laquelle naturellement le
rétinien ne suffit pas. C'est tout à fait logique : si on avait une intuition
immédiate de ce que c'est, ce serait encore qch de rétinien, mais ça ne l'est
pas. La meilleure preuve c'est qu'il est plus intéressant d'avoir une
compréhension intégrale de l'explication diagrammatique ou programmatique.
Je
voudrais commenter au passage ces 2 mots : diagrammatique et programmatique.
diagrammatiques
: cela signifie que ce sont des phrases. L'œuvre, ce grand verre (il y en a plusieurs !) est la convergence
d'une topologie diagrammatique, ie
d'une travail extraordinaire de composition et de superpostion de diagrammes,
et d'une procédure rationnelle (programmatique, programmable). L'œuvre est la
convergence d'une méditation topologique, diagrammatique et d'une méditation programmatique,
diachronique : elle réalise un programme, 8 ans de travail (il en a eu assez, elle n'est pas finie !). On
peut donc dire que l'œuvre est en elle-même la cristallisation d'un
espace-temps pour lequel on dispose d'informations, et en ce sens elle est bien
le processus de sa propre action, de sa propre existence. Le fait d'avoir des
infos sur son processus fait partie intégrante et domine même l'intelligibilité
de l'œuvre. Voilà pour le 1er
point.
Sur
le 2ème point, la question du nombre, le rapport de l'art au nombre
est crucial car le nombre est mesure du processus. Cette question obsède
Mallarmé : tout l'enjeu du Coup de Dés est que soit "enfin visible l'unique nombre
qui ne peut pas être un autre".
C'est la création de la visibilité de ce nombre qui est l'enjeu du coup de dés.
Evidemment, c'est la constellation de la grande ourse, suscitée de l'intérieur du poème lui-même, qui va exhiber
ce chiffre stellaire, dont on note au passage que c'est le 7, déjà présent dans
le sonnet en yx et or au
dernier vers (de scintillation sitôt le septuor).
Pour
Duchamp, le nombre c'est le 3. "le nombre 3 en tant que 3 pour moi
n'est ni l'unité ni la dualité, le nb 3 est tout, la fin dernière de la
numération". "1 cest l'unité 2 c'est le double 3 c'est le reste". Duchamp travaille sur le rapport entre
l'infini et les espaces, ie les dimensions. Mais l'espace final, où tout est
projeté, reste le tridimensionnel euclidien (si c'est le Grand Verre, Etant donné), à
la fin des fins, on ne peut rien y faire. Le pb est de savoir comment le 3 peut
en effet être tout le reste. Voilà. Le fait que le 3 est tout le reste est
justement cela qu'il faut faire venir ou exhiber dans la surface, l'enveloppe
de l'œuvre. C'est pourquoi il peut dire "Les millions ne comptent pas,
le 3 remplit le même rôle". Si
le 3 remplit le même rôle que les millions, l'enjeu de l'œuvre est d'exhiber
sensiblement que le 3 peut équivaloir aux millions ou que le 3 peut accomplir
la même fonction que les millions, et cela on comprend pourquoi cette figure
devient décisive. C'est un exemple de ce qu'est le passage ou la touche de l'idée : quelque chose dans l'espace est organisé de telle manière
que tout le reste touche cette surface. En vérité le 7 de Mallarmé et le 3 de
Duchamp, chacun dans son ordre propre, sont les emblèmes génériques, sensibles
de la notion générale de compte, le compter est intrinsèque à toute production
artistique pour eux. Il est désigné dans la figure générique du 3 pour Duchamp
et dans la fonction symbolique du 7 pour Mallarmé. Cette fonction générale du
compte unifie la nécessité de la mesure et le hasard des distributions. On appellera
œuvre d'art ce qui d'une manière ou d'une autre la nécessité de la mesure et le
hasard des distributions.
Sur
le point de pensée, sur l'idée que l'œuvre est l'enveloppe, le lieu d'un point
de pensée à la fois délivré et soustrait.
Je
démarre là aussi avec un exemple de Mallarmé : dans la trilogie des 3 petits
sonnets, M écrit ceci "agonise mais ne consent à rien expirer
annonçant une rose dans les
ténèbres". Il fixe là le diagramme
et le programme. Quel est le diagramme et le programme du poème ? c'est qu'on
puisse annoncer une rose dans les ténèbres. Diagrammatiquement on est en un
point où rien n'annonce une rose dans les ténèbres. C'est ça le point de pensée
: c'est que puisse être annoncée en un point une rose dans les ténèbres. La
machinerie des images, très compliquée dans cette série de 3 sonnets, n'est que
l'enveloppe du point pur qui a lieu ou non mais dont l'enjeu est qu'i lait lieu
si possible, qu'au moins on puisse annoncer qu'il va avoir lieu. Ici c'est la
rose, mais l'enveloppe ténébreuse ne veut pas annoncer la rose. La théorie
c'est que la pensée passe en un point du poème elle n'est pas coextensive à la
machinerie intégrale du poème.
Mallarmé le nomme la notion pure.
C'est invariablement cette notion pure, la rose dans les ténèbres, la
reconstitution mentale de ce qui a disparu mais dont l'enveloppe poétique
supporte la trace littérale. Il y a ascèse, pourquoi ? Pour que le point de
pensée brille un instant, pour qu'il y ait annonce la rose brillant dans les
ténèbres, il faut que rien ne soit expressif, ou ne dénote une pathétique
corporelle ou subjective car alors le point va disparaître au profit précisément
de cette expression envahissante.
Sinon on va retomber dans l'idée que l'art c'est la donation du tout. Mallarmé :
la condition du poème, c'est que le maître est parti. Duchamp : le maître est
parti jouer aux échecs. Cette corrélation entre le refus de toute sensiblerie
post romantique et la chance d'un point de pensée (départ du maître, que la
sensibilité soit dissipée, chance d'un point ie la rose), est fortement
présente chez D. Il y a chez lui un rationalisme implacable, très frappant chez
lui qui est devenue une icône sacrée de l'art, rationalisme tourné contre
l'idolâtrie esthétique. Il va jusqu'à dire que "quand on fait les
choses où l'idée pure du raisonnement fonctionnel… alors l'idée esthétique disparaît".
Qu'est-ce
que le ready-made ? Impossible de dire qch de nouveau là-dessus. C'est la
question la plus parcourue de l'esthétique contemporaine ! Le ready-made, et
bien, c'est une enveloppe comme configuration matérielle, spatio-temporelle,
comme le Grand Verre est
une enveloppe. C'est une enveloppe exposée quoique totalement quelconque de la
pensée pure du choix. C'est le raisonnement fonctionnel qui conduit à exhiber
la pensée pure du choix, la sélection, sans aucune idée reçue. C'est un projet
extraordinaire, ça, d'exhiber l'idée pure du choix en tant qu'i n'y aurait
plus aucune adhérence subjective.
C'est du Kierkegaard à l'envers, le choix non en tant qu'ouverture de la
pathétique des stades du sujet, mais le choix comme notion pure, rose dans les
ténèbres ou pelle à neige au plafond, sans adhérence subjective. Quel est le
point de pensée ? C'est que ce choix, qui est une coupure dans le
quelconque, et rien d'autre, crée un point d'indistinction entre le quelconque
et le suprême. Si vous coupez dans le
quelconque de telle sorte que cette coupure soit un choix asubjectif alors ce
quelconque peut aussi bien être dit suprême, ie être dit art.
Bien
sûr, il y a aussi une ironie supérieure au regard de l'enveloppe, l'enveloppe
est absolument quelconque. L'objet qui enveloppe le point pur du choix est un
objet particulièrement sans particularité. Or être particulièrement sans particularité
n'est pas si facile que ça,
finalement. De ce point de vue, si vous me permettez une parenthèse
personnelle, Fontaine, le
plus célèbre des ready-made, l'urinoir de 1917 me semble moins convaincant que
la pelle à neige et le porte bouteille. Malgré tout il y a dans l'urinoir des
résidus par en dessous de la dialectique de l'abject et du sacré. Si on met un
urinoir à côté d'un Raphaël, ce n'est pas si quelconque que ça un urinoir : il
ne faut pas de particularité positive ou négative, juste quelconque. Il ne faut
pas que ce soit dégoûtant, sinon on resubjective complètement l'affaire. C'est
peut-être pour ça qu'il ne s'appelle pas Urinoir mais Fontaine (bcp de ready-made portent leur nom commun) : c'est
un peu louche. Toujours est-il que l'enjeu est que l'enveloppe soit particulièrement
sans particularité. Il y a bien sûr de l'ironie sur l'enveloppe : quand on voit
la pelle à neige au musée, regardée de façon pieuse, il y a un indéniable effet
comique. Ça ressemble à une pièce comique. Les spectateurs sont victimes de
l'ironie posthume de Duchamp. Mais néanmoins l'ascèse mallarmémenne est là.
Après tout Mallarmé faisait aussi avec des dessus de cheminée, des rideaux, des
mandolines etc… un côté ready made mallarméen, poétique ! faire avec des saloperies
de la vie bourgeoises du 19ème, il fait avec ça. Le choix doit être
sans adhérence subjective, et en tant qu'il doit être sans adhérence, la
sélection est difficile, Fontaine en conserve les traces, je le soupçonne. La sélection n'est pas
facile. Duchamp dit qu'il doit trouver en choisissant l'objet "un point
d'indifférent de son regard sur lui".
Mais vous comprenez que ce n'est pas facile de saisir un point d'indifférence !
ie d'être attentif à une
indifférence. C'est ce qu'il faut arriver faire, c'est pour cela qu'il ne
trouvait pas facilement ces objets particulièrement sans particularité.
En
plus l'expression de "point d'indifférence" est remarquable pour les philosophes car il y a
une corrélation avec le motif cartésien de la liberté d'indifférence. Le
formalisme de la liberté à la fin des fins, c'est l'indifférence ie la pure capacité à dire oui ou non. Même si Descartes
lui-même pense que c'est le plus bas degré, il y a le vrai, il y a le bien, il
y a Dieu. Mais formellement la liberté c'est le point d'indifférence. Finalement
je dirai que le ready-made, c'est l'enveloppe du point où la pensée adhère à un
choix irréductible à tout autre motif que de choisir (qch a été choisi, mais le motif n'est pas car c'est
critique, dégoûtant, ceci ou cela, on est parvenu à un point d'indifférence, on
n'éprouve absolument rien). C'est un exercice très complexe ! Et alors le
ready-made au fond c'est vrai expose de ce point de vue le choix du choix, et
pas de ceci ou de cela, mais le choix d'avoir à choisir, et l'expose comme
coupure du quelconque. Cette coupure exhibe, dès lors qu'elle est montrée comme
enveloppe, le choix du choix. C'est pourquoi il est approprié que le nom, la
légende, soit son nom commun (une pelle s'appelle pelle, porte-bouteille). Si
le nom change, il y a un écart, on est dans autre chose. Voilà pour les
ready-made.
A
l'autre extrémité il y a les œuvres très complexes de Duchamp qui procèdent par
recollection savant mais avec le même objectif. A proprement parler il n'y
a que 2 œuvres savantes si on
laisse de côté le Nu descendant l'Escalier, antérieur au Duchamp dont nous parlons ici : la
Mariée mise à nu par ces célibataires mêmes et Etant donné 1) la chute d'eau 2) le gaz
d'éclairage. Ce sont les 2 œuvres
de Duchamp. En réalité si on regarde, ce sont des installations en réalité, la
2nde plus particulièrement mais la 1ère aussi. Ie elles reproduisent, elles réintègrent, elles
redisposent comme éléments tout un système très compliqué de productions
antérieures. Ie c'est une
réinstallation de choses déjà faites par Duchamp lui-même en général. Et c'est
donc la construction d'une nouvelle enveloppe pour des configurations qui
avaient d'abord été elles-mêmes produites comme enveloppes, qui avaient déjà
des titres, de façon séparée. Et alors l'enveloppe, ce que j'appelle la
disposition spatio-temporelle, transcendantale, de ce qui est montré du point
de pensée, l'enveloppe est ici le produit d'un immense travail (et pas du tout une coupure dans le quelconque, c'est
à l'autre extrémité des possibilités) très technique et très ennuyeux de l'avis
de Duchamp lui-même. Mais il y a une valorisation de l'ennui chez Duchamp, il en parle notamment à propos du happening.
Dans le happening ils s'ennuient ferme et ça c'est très intéressant. Les gens
ne viennent pas pour s'amuser mais pour s'ennuyer. L'ennui une catégorie de
l'ascétisme de Duchamp. C'est un travail très ennuyeux. Il y a une sorte
d'artisanat maniaque (bis). Mais alors pourquoi ? Est-ce qu'on peut donner une
explication symétrique ou convaincante comme on la donne du ready-made qui est
l'enveloppe comme coupure saisie dans le quelconque, pour la figure pure du
choix ?
En
1ère approximation, pour l'instant, c'est pour exprimer une
complexité - dans ce travail terrible -
dont le point focal extérieur est celui qui regarde cette complexité. Le
regard est ici fondamental. C'est uniquement dans l'espace ou l'espacement du
regard et de la complexité de ce qui est présenté dans l'espace que se joue le
point de pensée. Il ne faut pas oublier que le Grand Verre, (la Mariée mise à nu par ses Célibataires
mêmes) est un gigantesque
transparent, on voit autre chose derrière. C'est intéressant quand on emploie
des photos : on voit d'autres choses derrière y compris des gens derrière.
C'est du verre, transparent : qu'est-ce qu'on voit exactement quand on voit le Grand
Verre ? On voit à travers, à
travers. Cette vision à travers,
ce transpercement de l'œuvre fait partie absolument de l'oeuvre elle-même. Et à
l'inverse, ce qui confirme qu'il fait des expérimentations complexes, dans des
directions opposées, contradictoires, Etant Donné est une exhibition baroque fermée : ça se présente
comme une vieille porte, si on fait attention on voit un trou et si on regarde
on voit qch. On voit un terrible nu féminin, écartelé, là, avec le sexe en gros
plan, et un paysage clignotant avec d'autres ingrédients, avec un côté peinture
italienne en réalité (fond, colline), et il est impossible de ne pas se représenter
comme un voyeur. La complexité, c'est une capture du voir (subtilement agencée,
d'une grande complexité). Ce serait ma conclusion pour l'instant : les
œuvres complexes de Duchamp procèdent à une capture idéelle du voir comme les ready-made procèdent à une capture idéelle du
choix pur, de la coupure dans le quelconque. Le point qui est enfermé dans l'installation, c'est que une stupéfaction
simple du regard (du voyeur) se fait à partir d'une enveloppe qui est faite à
partir d'années de travail fastidieux. Enveloppe terriblement laborieuse. Des
années de travail, et ce qui est capturé est l'instantanéité du voir comme
telle, qui est prise au piège de ces années de labeur. C'est pourquoi c'est
vraiment un point : le point de l'instantanéité du regard capturé par une
enveloppe dans l'évidence et la complexité. Alors on a demandé à Duchamp
pourquoi ce labeur, ce tour de force, cette complexité ? il a répondu : parce
que je n'ai pas voulu faire simple. Je dirais que comme il explore les
dimensions (il navigue entre 3 et 4 dans cette exploration), il me semble qu'on
peut conclure que Duchamp cherche l'enveloppe du point de pensée dans le plus
simple, le plus quelconque, mais aussi dans le plus compliqué, les
installations synthétiques les plus complexes qui soient. Il ne faut pas
dissimuler cette dualité. Il y a 2 orientations dans les installations
elles-mêmes : une orientation disposée selon la transparence et une autre
disposée selon une stricte clôture, en réalité celle du fantasme en réalité.
Si
on classait tout ça, on aurait
-
coupure du quelconque, simplicité de la coupure du quelconque concernant le
choix pur
-
complexité de la capture du voir, avec 2 types de capture :
une
capture par la transparence (le Grand Verre)
une
capture par l'absolument fermé (Etant donné). L'ouvert et le fermé.
sur
l'aspect critique du point. J'ai dit que cette question est celle de la
discontinuité, une fois le point ouvert sur son indiscernable. Il propose un
concept pour cela, un concept plastique de cette indiscernabilité, ie ce qu'il
appelle l'inframince, l'inframince
(dans les années 30). Il faut "chercher à passer dans l'intervalle
infra mince qui sépare 2 identiques".
Evidemment on a là le fondement théorique de l'usage de la réduplication, des
copies, des multiples qui a fait une part majeure de la réputation de Duchamp,
dans sa corrélation factuelle aux analyses de Benjamin dans l'œuvre d'art
à l'ère de la reproductibilité technique. Le fameux geste de Duchamp qui signait une copie, une miniature, une
multiplication d'un de se produits mais stt fait par qln d'autre. Il la signait
en lui apposant l'incription "pour copie conforme". Car on était effectivement dans l'inframince entre
la proposition initiale qu'il avait faite, la copie par qln d'autre ie l'écart du même au même, écart qui est le point de
l'inframince et il faut chercher à passer dans cet écart. La pensée c'est ce
qui arrive à se faufiler dans la différence de l'identique, dans l'inframince
de la différence de l'identique. C'est le vrai sens si je puis dire ontologique
de l'usage de la réduplication, des copies, des multiples tirages et de cet
attirail optique et réduplicant L'inframince c'est l'exercice du point critique
comme point de discontinuité véritable. C'est le point où la discontinuité est
donnée absolument bien que minimalement, ie le point de discontinuité du même à l'autre même. Là
doit passer la nouvelle pensée productrice et reproductrice. C'est pourquoi il
signait sans hésiter. La signature : quelque fois il trouvait que ce n'était
pas une copie conforme. Il avait fait un ready-made modifié (la Joconde, LHOOQ avec moustache et bouc) : qln lui a apporté une sans
bouc, et il a écrit "pour copie non conforme". C'est pas inframince,
mais grosmince plutôt. Toute son activité après les années 30, reproductions,
miniatures, duplications ; c'est la pratique de l'inframince en vérité, ie la pratique de la pensée en tant qu'elle assume,
identifie l'écart du même au même comme discontinuité ou point critique.
L'idée
n'est pas incarnée, déployée
grossièrement dans l'œuvre, mais elle reste séparée, elle touche l'œuvre, elle touche la surface de
l'œuvre. Elle est donnée dans une séparation touchant la surface, pas
d'incarnation. L'idée est là, c'est de ça qu'il s'agit, mais elle est justement
au point inframince qui sépare l'être là de l'idée de l'idée elle-même. Ie que c'est ça l'art : l'art c'est faire passer la
pensée dans le défilé très étroit qui fait que l'idée touche la surface au
point de toucher il y a une indiscernabilité entre l'idée et l'être là de
l'idée, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas séparée.
Par
exemple, comment l'idée du hasard touche-t-elle la surface du grand verre,
vient-elle, comme l'oiseau à la surface de la mer, toucher la Mariée mise
à nu ? Il a pris un petit canon
qui tirait des allumettes, et il a mis un peu de peinture sur ses allumettes.
Puis il a tiré 9 coups de canons sur le grand verre (3 fois 3). Il a eu 9
impacts sur le verre, et ensuite a travaillé ses impacts. Pour les consolider
il a troué le verre à chacun des impacts. Autant vous dire que quand on le reproduit,
pour être sûr que les impacts sont exactement au même endroit, on ne peut pas
retirer avec le canon, il faut calquer au 10ème de mm près. C'est le
biais par lequel Duchamp arrive à ennuyer ses imitateurs autant qu'il s'est
ennuyé lui-même. Et encore il dit lui que lorsqu'il tirait au canon, il
s'amusait comme un gosse. Mais ses successeurs n'auront pas droit à ça. Vous
voyez que la stratégie ici (car les choses sont toujours à la fois amusantes ou
dérisoires et grandioses chez Duchamp ie complètement intellectuelles) il y a
aussi un point d'indiscernabilité entre qch qui paraît être un jeu d'enfant et
qch qui paraît être une méditation extraordinairement compliquée. Il s'agit en
effet d'adopter une stratégie qui va marquer la surface par l'idée du hasard,
qui va l'y inscrire dans la surface de la chose, et l'y inscrire pour toujours,
le hasard va être inscrit pour toujours, exactement comme la constellation de
Mallarmé finalement mais sans que finalement la surface elle-même soit
comptable de cette idée : elle n'est touchée en ce sens qu'en surface. Ce n'est
pas la construction générale de la toile, la symétrie etc… qui rend raison des
impacts. C'est entièrement extérieure à la surface elle-même mais ça inscrit
dans la surface elle-même quoi ? et bien l'idée pure du hasard. L'idée est
inscrite présente là, mais elle reste séparée pourquoi ? Parce que Le
Grand Verre n'est aucunement le
corps glorieux de cette idée, et n'est en rien comptable comme corps glorieux,
ou totalité magnifique de ce qui lui a été infligé par le canon d'n enfant.
L'œuvre est simplement touchée par
l'idée, comme dans un jeu quand on dire
Pour
toutes ces raisons Duchamp est allé plus vite de 1912 en 1922, en 10 ans, pour
atteindre dans l'ordre de l'art le point critique, et il a fait en réalité de
ce point critique de l'idée l'enjeu de l'art selon une ligne qui n'a pas été la
seule au 20ème siècle. Il a adopté une ligne déromantisée et
désubjectivée. Cette ligne, comme dans l'ambition la plus haute de Mallarmé,
consiste à livrer la capacité artistique à la foule, au quelconque, comme
Mallarmé (il veut créer une cérémonie nouvelle). Duchamp : il s'agit bien pour
lui de se déprendre de toute génialité (singularité comme source de l'œuvre),
dans cette entreprise calculatrice, par un artisanat simple ou compliqué. Il
s'agit de ramener l'art à la pure action anonyme. L'inscription de l'idée après
tout n'est pas distincte de l'action de l'idée, comme acheter une pelle… Art ne
signifie pas faire mais agir pour Duchamp. C'est un rêve communiste à sa
manière (malgré l'indifférence monumentale de Duchamp pour la politique : il
s'enfuyait dès que la situation était dangereuse, ailleurs dès qu'il y avait
une guerre, même des USA !). "l'art pour moi était mort, par le fait
qu'au lieu d'être une entité singularisée, il serait universel, ce serait un
facteur humain dans la vie des gens. Chacun serait un artiste, mais méconnu en
tant qu'artiste". C'est ça le
but : faire de l'art chose commune, comme la directive de Rimbaud. Ce n'est pas
n'importe quoi est de l'art, ce n'est pas la métamorphose mais n'importe qui
est un artiste. Il n'a cesse de dire lui-même qu'il a tout fait pour être
méconnu, pour organiser le retard des choses. C'est une forme rationnelle de
l'idée générique et ancienne d'un engloutissement de l'art par l'action
ordinaire.
C'est
le 1er exposé
On
pourrait tout reprendre à partir de 2 points et reparcourir tout ça dans une
axiomatique assez distincte, à partir de 2 rq. Ce sont les suivants :
-
la fonction décisive dans son itinétaire du refus opposé à son travail,
importance subjective cruciale, il y a eu 2 refus D'abord en 1912 par le Salon
des Indépendants de sa toile Nu descendant un Escalier. C'est un épisode
fondamental de placement. C'est le refus français. Il a eu sa revanche aux USA
dès 1913 mais ça n'a jamais effacé le refus français.
Ensuite
le refus de Fontaine en 1917 par la Society of Independant Artist. C'est le
refus américain.
Ce
sont des épisodes cruciaux qui peuvent servir de point de départ à une autre
traversée de son oeuvre qui cette fois va l'inscrire dans l'historicité de
l'art, dans la séquence de l'art contemporain 1910-1920. En 1968, un an avant
sa mort, idolâtré, la rancune perce encore : "n'oubliez pas que cela na
jamais eu de succès jusqu'à récemment tout récemment"
87
min
-
la fonction de la signature
-
la fonction de l'érotisme
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