S’orienter dans la pensée, s’orienter dans l’existence

Séminaire public d’Alain Badiou

 

Ce séminaire de trois ans entend construire une réponse à une forme déployée de la vieille question de Kant : « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? »

Que la reprise de cette question soit opportune, c’est ce que l’état de violente confusion du monde démontre, tout autant que le vain espoir d’y parer par d’antiques exercices, comme : le nihilisme esthétisant, la politique « démocratique » sous toutes ses formes, la morale des droits, l’anarchisme des multitudes, le culte du corps-de-jouissance et/ou des « formes de vie ». Sans oublier bien entendu ce qui dans nos contrées domine, et de loin : la peur. La conservation angoissée, ou le désir frustré, des conforts et des privilèges auxquels notre appartenance occidentale accorde une garantie dont le prix en lâcheté est d’autant plus considérable qu’elle est de moins en moins assurée.

Etablir un diagnostic sur l’époque, lui trouver un nom vérifiable, exposer au jour de la pensée la nature de la confusion, de l’illimitation dévastée, dans laquelle les animaux humains tentent ici de survivre, tel fut l’enjeu de notre première année (2004-2005). On vit que ce n’était pas une affaire simple. Car la tentation d’user des vieux noms, y compris ceux qui furent honorables (« révolution », « anti-capitalisme », « mouvement social »…), ou de faire revenir comme appui les vieilles assises communautaires (« arabe », « français », « juif », « occidental »…), ou de ne plus trouver d’issue que dans des amalgames (de la politique et de l’art, de l’art et de la vie, de la science et de la technique, de la répétition et de la création, de l’amour et de la jouissance, de la jouissance et de l’art…), tout cela fait partie de la confusion elle-même. Tout de même que décider que le temps est celui d’un oubli ou d’une décadence ne nous fait guère avancer. Car il importe de situer affirmativement, ou selon le possible propre qui est le sien, ce moment, le nôtre, dont l’apparaître est celui de l’immédiat sans concept. Dans la méthode proposée, « Que se passe-t-il ? » et « Que faire ? » n’étaient pas des questions discernables.

Cette première année fut aussi celle de la sortie de mon livre, le Siècle, consacré au vingtième du nom.

La deuxième année (2005-2006), nous avons examiné et expérimenté quelques concepts fondamentaux requis pour nous tenir définitivement à distance de ce qui aujourd’hui nous aspire, comme des sables mouvants, vers le consentement à notre propre disparition mentale. Matériaux, machines et fondations. On a déployé en particulier les concepts de « sujet fidèle » (contre les formes réactives et obscures du sujet), de « corps subjectivable », de « points de décision »,  d’ « organes » (le corps « avec organes »), d’ « incorporation éternelle », et quelques autres.

Cette seconde année fut aussi celle de la sortie de mon livre Logiques des mondes, où je fais théorie de ces matériaux et de ces machines. Le séminaire a largement été la production et le commentaire d’un grand schéma où les concepts de ce livre touffu étaient redisposés.

La troisième année (2006-2007) proposera une doctrine qu’à défaut de la dire du salut, ce qui fait spiritualiste, on nommera de la liberté nouvelle. Il faut enfin trancher, quant à ce dont nous sommes capables, et quant au rôle de la philosophie dans cette capacité. Il faut risquer de répondre à la question « qu’est-ce que vivre ? », non selon la nonchalance esthétique des écologies vitales, mais selon les impératifs où se fonde une nouvelle universalité. Disons qu’à tout le moins nous devons trouver pour notre temps les maximes de ce dont Descartes était déjà fort occupé : une morale provisoire pour notre temps cruel et atone, libéral et guerrier, hédoniste et malheureux. Le ressort en est la confiance dans la force des vérités, et dans l’éternité subjective dont elles nous gratifient, quand nous savons nous y incorporer.

Ce dont il aura été question, de bout en bout, peut aussi se dire : quelles sont les conditions contemporaines de la liberté ? Ces conditions sont aujourd’hui difficiles à repérer, difficiles à penser, difficiles à tenir. La joie n’en est pas moins de constater que la philosophie peut les repérer et les penser, apportant ainsi sa contribution à ce qu’il soit possible de les tenir. Au prix de quelque ascèse, il faut l’avouer.

 

III. 2006-2007

(transcription de François Duvert)

 

25 octobre 2006............................................................................................................................................................................................... 1

Novembre 2006............................................................................................................................................................................................... 2

13 décembre 2006........................................................................................................................................................................................... 4

24 janvier 2007............................................................................................................................................................................................... 6

14 février 2007................................................................................................................................................................................................ 7

Mars 2007...................................................................................................................................................................................................... 10

Avril 2007...................................................................................................................................................................................................... 12

16 mai 2007................................................................................................................................................................................................... 13

13 juin 2007................................................................................................................................................................................................... 15

 

25 octobre 2006

 

C'est la 3ème et dernière année de ce séminaire, peut-être la dernière de mon séminaire tout court (nous verrons cela pendant l'année).

 

On va commencer à parler de l'enjeu de notre travail : c'est tenter de répondre à la question qui était primordialement une question de Kant, qui est que signifie s'orienter dans la pensée. J'ai rajouté, titré, s'orienter dans l'existence, pour des raisons sur lesquelles je vais revenir. Mais le titre est un titre de Kant. C'est un article de revue publié par Kant en octobre 1786. Il est intéressant après tout de se référer au contexte de cet article pour préciser aussi le contexte de notre entreprise ici : pourquoi Kant publie-t-il en octobre 86 sur la question de s'orienter dans la pensée ? C'est dans le cadre d'une polémique, bis, qui est une polémique entre Jacobi et Mendelsohn (le philosophe). Cette polémique est à propos de la signification des Lumières, ie du combat pour la rationalité, pour les droits de la raison et y compris naturellement contre les droits de la révélation et de l'autorité. Eclate tardivement, peu de temps après la Révolution Française, une polémique allemande sur la signification des Lumières, car Jacobi déclare qu'il y a dans les Lumières une contradiction mortelle entre raison et moralité. Ie que le culte de la raison ou la raison poussée dans son usage extrême produisaient finalement une sorte de principe de rupture avec la moralité sous toutes ses formes. Mendelsohn proteste, défendant les Lumières, qu'un usage bien orienté de la raison (l'orientation entre en scène) permet daller au-delà de la contradiction apparente. Ce n'est pas une question de rationalité pure, mais d'orientation dans la pensée. Cette polémique se développe et Mendelsohn meurt en 1886, laissant le camp des Lumières sans défenseur immédiat. Le soupçon porté sur les Lumières voit la mort du défenseur dans le conflit entre raison révolutionnaire et moralité. Kant se sent obligé de relever le défi et d'entrer dans le combat. Il a bien précisé qu'il n'en avait pas très envie. Mais nécessité fait loi, le champion des L étant mort, Kant intervient sur ce conflit et reprend la question qu'est-ce que s'orienter dans la pensée. Car il s'agit bien en fin de copte des formes effectives d'orientation dans la pensée et pas du tout d'une opposition entre moralité et rationalité.

Il y a une analogie avec la situation contemporaine. Le contexte permet de soutenir une ressemblance. Pourquoi ? car au fond, on peut considérer que pendant toute une période, sous le nom de marxisme il y a eu la thèse d'une raison révolutionnaire, ie la thèse de lumière politiques dans l'espace de la révolution elle-même. Ie il y a eu l'idée que le conflit politique poussé sous sa forme la plus radicale, y compris enveloppant les formes insurrectionnelles, révolutionnaires, violentes, relevait en vérité d'une rationalité dialectique effective, et il n'y a pas à opposer violence et raison, ou subjectivité enthousiaste et rationalité, mais qu'on était au contraire au delà de cette opposition dès lors précisément qu'on avait une orientation révolutionnaire effective de la rationalité politique. Il s'agit d'une orientation dans la pensée aussi, l'orientation la juste orientation de la politique révolutionnaire dans l'élément de la rationalité générale décidée par le matérialisme historique par exemple au sens global. Donc on peut soutenir qu'au milieu du 19ème siècle s'établit une nouvelle séquence de Lumières au sens large, avec l'idée que la rationalité de la rupture est pensable, tenable, dans une figure lui permettant de s'opposer aux défenseurs de l'ordre établi, exactement comme les Lumières pouvaient critiquer des formes autoritaires et oppressives du pouvoir et de la religion de l'intérieur précisément de la rationalité nouvelle. Marxisme est un des noms multiples de cette entreprise de lumières révolutionnaires, qui faisant fusionner le pathos révolutionnaire hérité du romantisme, le romantisme révolutionnaire, la subjectivité révoltée avec un dispositif de rationalité englobant l'histoire, la politique et le rapport de l'histoire et de la politique. Il est absolument clair que dans l'élément de la crise ouverte depuis assez longtemps de ces Lumières révolutionnaires, l'argument principal est qu'il n'est pas possible de penser dans ce contexte l'unité entre la politique et l'éthique. C'est l'argument majeur qui propose un bilan entièrement négatif de cette entreprise du point de vue entièrement victimaire et éthique. C'est une argumentation de type Jacobi : entre la rationalité révolutionnaire sous sa forme dialectique héritée du marxisme et la moralité sous la forme des droits de l'homme et de la vie, il n'y a pas de possibilité de réconciliation véritable. Et donc ceux qui soutiennent que telle n'est pas la vraie question, mais que la vraie question est celle d'une correcte orientation de la pensée politique elle-même, ie d'une réorientation de la pensée révolutionnaire, sont dans la position de M, ie de Kant. Il ne faut pas liquider l'hypothèse d'une rationalité révolutionnaire qui s'incorpore y compris les formes subjectives héritées du romantisme révolutionnaire. Il ne faut pas faire une croix là-dessus. Il faut en effet accepter qu'il y ait un un pb d'orientation dans la pensée, la raison, de la politique elle-même, de telle sorte qu'on puisse restituer, restaurer, renouveler dans l'élément de cette orientation novatrice, la fusion réalisée par la longue séquence de la rationalité politique révolutionnaire.

En raison de cette analogie je dis encore quelques mots sur l'entreprise de Kant. Il définit ainsi sa tâche : "le concept élargi et déterminé du s'orienter peut nous aider à présenter avec netteté la maxime de la saine raison dans ses application à la connaissance des objets suprasensibles". Par conséquent ce que Kant propose de façon synthétique, c'est la possibilité par la détermination effective de ce que c'est que s'orienter dans le pensée, par une orientation déterminée et élargie, c'est de trouver les maximes de la pensée, de la raison qui puissent s'étendre jusqu'aux objets suprasensibles, ie jusqu'à finalement l'être lui-même, de l'être lui-même. Je me sens en affinité avec cela, car dans ce travail, c'est bien d'un concept élargi et déterminé du s'orienter qu'il s'agit. Nous cherchons cela, à propose de s'orienter dans la pensée et l'existence, ie une nouvelle maxime de l'orientation. J'ai dit pourquoi : car le monde contemporain est fondamentalement un monde de la désorientation, désorientation subjective; En un sens nous sommes tous dans cette désorientation homogène à l'être dominant du monde. Nous cherchons à répondre de façon non nihiliste à cette question. Nous reprenons à nouveaux frais cette question de Kant et M par rapport à la séquence historique de la rationalité dialectique accusée d'être incompatible avec l'éthique et la moralité élémentaire.

Concept élargie et déterminé : pourquoi ?

Elargi : car il est impossible de déterminer à nouveaux frais ce qu'est s'orienter sans recourir à des propositions touchant à l'ontologie et la logique. Donc c'est un concept élargi. On ne peut le traiter dans l'étroitesse de la détermination empirique, il faut rebâtir des axiomes ontologiques et logiques pour y voir clair.

Déterminé : il s'agit de penser à partir de procédures de vérités effectives, de processus réels.

Donc il faut assurer des assises élargies (ontologique, connexion onto et logique) et déterminé (car procédures réels en dernier ressort à ne pas perdre de vue).

Et objet suprasensible : c'est la nécessité dans mon lexique pour comprendre entièrement de quoi il s'agit dans cette réorientation subjective de la pensée, réintroduire la thématique des vérités, éternelles de surcroît ! Les vérités éternelles sont irréductibles à leur matérialité immédiate, même si elles sont immédiates.

Donc analogie de contexte des Lumières révolutionnaires (depuis les années 70), crise qui utilise le même système d'arguments (mise en contradiction de la logique éthique et de la rationalité révolutionnaire), analogie de camp (jacobites modernes : il y a une telle contradiction, et ceux qui soutiennent d'une façon ou d'une autre qu'il s'agit d'un pb d'orientation mais pas de contradiction insurmontable), analogie de maxime (il faut élargir l'espace de l'investigation et se rapporter toujours à des procédures déterminées).

 

2nd point frappant dans le texte de Kant : Kant voit qu'il s'agit d'un passage de l'objectif au subjectif. Si on articule que le pb de la crise n'est pas un pb de contradiction entre politique et éthique mais un pb d'orientation, alors on en appelle en vérité à des configurations subjectives nouvelles, à des maximes nouvelles du sujet dans l'élément de la politique par exemple. Pas d'objectivité telle qu'elle puisse permettre de décider. Entre l'orientation et la crise, l'objectivité ne permet pas de trancher. Et donc finalement on est dans la logique d'une subjectivité qui puisse soutenir ce conflit, ce débat d'orientation, et il est vain d'imaginer qu'un argumentaire descriptif, une théorie objective de l'état du monde, permette de prendre cette décision. Kant le dit ainsi : "s'orienter dans la pensée signifie étant donné l'insuffisance des principes objectifs, de déterminer son assentiment d'après un principe subjectif". S'orienter dans la pensée est une question d'assentiment. A quoi donne-t-on son assentiment ? Ce n'est pas une question qui puisse d'aucune manière être tranchée par l'objectivité pure. Il faut savoir à quoi on donne son assentiment : c'est de l'ordre en effet d'un principe subjectif, pas d'un principe relevant de l'état du monde, des classes etc… Dans la vision que je me fais des choses, il s'agit de savoir si on donne ou non son assentiment à ce que j'appelle un corps de vérité, un corps subjectivable. C'est bien le protocole à travers lequel se constitue un sujet. Finalement, un sujet est toujours sous une forme ou une autre un conglomérat d'assentiment. On donne son assentiment à quelque chose dépendant de l'événement, qui se constitue dans l'ordre de la mondanité réelle, et le principe de cet assentiment qui constitue une subjectivité de type nouveau, est un principe subjectif. Rien dans la situation n'est contraignant à l'égard de l'assentiment. Il n'y a pas de maxime objective de l'assentiment à un processus de vérité en cours. Il n'y a rien d'autre que le suspens de l'animal humain quant à la possibilité de donner son assentiment à ce qui se passe, advient, constitue la figure embryonnaire d'un nouveau corps de vérité. On accordera à Kant que s'orienter dans la pensée, trouver de nouvelles figures d'orientation dans la pensée, c'est toujours déterminer un assentiment à la lumière d'un principe subjectif. C'est tout à fait remarquable, et c'est la raison pour laquelle il est impossible de trancher ce qu'est s'orienter surtout en période de crise, j'y reviendrai, en période d'achèvement d'une séquence et de commencement incertain d'une nouvelle séquence, sans disposer de principe subjectifs, ie d'un renouvellement d'une théorie du sujet (que Kant a proposé dans l'espace de la philosophie).

 

Kant voit aussi que le pb est celui des lois de l'assentiment, ie le pb de la discipline des csq : c'est pas tout de donner son assentiment (ce qui ne peut être fait que dans la figure d'un principe subjectif), encore faut-il que cet assentiment si je puis dire se renouvelle dans la figure d'une assomption, d'une acceptation, d'un déploiement effectif des csq, ie d'une incorporation effective au processus de vérité. Je ne peux pas être seulement dans la minceur de l'assentiment mais je dois être dans la discipline des csq. Il le dit ainsi, une formule drôle. Kant est un personnage sinistre mais non dépourvu d'humour en même temps. C'est pour ça qu'il est avec Sade comme dit Lacan, mais pas seulement. Il le dit comme cela : "sans une loi quelconque (au sens supérieur, discipline de la pensée elle-même, pas au sens de celles sarkozy) absolument rien ne peut se maintenir longtemps, pas même la plus grand sottise". C'est une question, ça ! Aujourd'hui, peut-elle se maintenir ? Je ne prononcerai pas de nom ! Ma question est de savoir quelle est la loi à travers laquelle se maintient l'assentiment. Est décisif de donner son assentiment, mais quelle est la loi à travers laquelle se maintient l'assentiment ? On ne peut espérer que l'assentiment se maintienne longtemps indépendamment ou extérieurement à une loi qui va être une loi de la pensée elle-même naturellement, mais qui va être une loi.

Si s'orienter dans la pensée, comme on l'a soutenu et on le reformalisera, est à l'école des procédures de vérité, ie  l'école de ce qui fait émerger un nouveau corps de vérité dans un monde; alors il y a 3 composantes à examiner séparément, et que Kant examine séparément : l'accès au suprasensible, l'assentiment, la loi de l'assentiment. Nous dirons généralement : un élément de création, d'incorporation, et de discipline.

Elément de création : car c'est toujours sous une loi événementielle que se donne la question de l'assentiment. Qch a eu lieu, une grande chose ou une petite chose, peu importe, et c'est sous condition de l'avoir lieu que s'engage une procédure de vérité ou un corps subjectivable ou une nouveauté par rapport à laquelle une orientation a du sens.

Elément d'incorporation : c'est l'assentiment lui-même. Donner son assentiment, c'est s'incorporer au processus, ce n'est pas réflexif, ce n'est pas une opinion sur. Ce n'est pas dire "c'est très bien tout ça". L'assentiment véritable est beaucoup plus que cela : c'est une incorporation effective à ce qui est en train de devenir une vérité universalisable.

Elément de discipline : comment l'assentiment construit il sa durée ? Comment se construit cette consistance depuis le monde où a surgi l'élément de vérité.

S'orienter dans la pensée  va se référer à cette triple investigation : élément de création qui revient à la théorie de l'événement, élément d'incorporation qui revient à la théorie des corps de vérité, élément de discipline qui revient au traitement des points ou à la consistance du corps dans l'action effective dans un monde déterminée.

Alors la discipline pour parler d'elle a 2 formes :

- sous l'impératif de continuer, ie l'assentiment n'est rien s'il n'enveloppe pas la thèse de sa continuation. L'ennemi de l'assentiment est le caprice : si ça me plaît je le fais, si ça me plaît pas je le fais plus. Au 1er obstacle du monde on capote et on passe à autre chose. L'assentiment au sens de sa capacité à être le principe subjectif d'une orientation dans la pensée est alors transformé en simple… Donc la maxime « continuez » s'élève au dessus de la subjectivité pathologique, ie élément de continuité.

- mais il est aussi dans un élément plus discontinu qui est de traiter les difficultés (théories des points, traiter des points qui se présentent, prendre la succession de décisions qui permet la consistance des csq de l'assentiment). Et donc ce que Kant appelle la loi, la loi des csq finalement, qui est être conséquent avec l'assentiment lui-même se donnera comme discipline le l'incorporation sous cette double forme : un impératif de continuité, et un impératif qui est aussi un impératif de discontinuité, ie traiter les choses point par point à mesure de leur continuation.

 

C'est à raison de cette double détermination de la discipline, 3ème composante de l'orientation, qu'il faut ajouter s'orienter dans l'existence à s'orienter dans la pensée. Ie s'orienter aussi à propos de l'existence, ou encore tenir l'assentiment dans l'épreuve de l'existence effective du processus de vérité (et pas seulement dans l'épreuve de son existence générale ou abstraite, mais de son existence immanente). De l'intérieur de la procédure il faut tenir l'assentiment sous le double impératif de continuer et de traiter les points. Là il faudrait intercaler une grande méditation sur l'existence. Qu'est-ce que l'existence ? Je n'ai pas le temps de le faire tout de suite, mais il faut retenir la distinction entre existence et être. L'épreuve du s'orienter dans la pensée est une épreuve d'existence qui ne doit pas être confondue avec l'arrière plan d'être de la situation, du monde dans lequel on se trouve etc.. L'existence est le mode propre sous lequel une vérité apparaît. C'est dans le registre de son apparaître mondain, de sa facticité, de sa composition élémentaire telle qu'elle fait partie d'un monde déterminé, d'un registre de l'apparaître te non pas de l'ontologie fondamentale, mathématisable etc… pas seulement une multiplicité indifférente mais il s'agit de monde déterminé où apparaît de corps de vérité. Il est impossible de s'orienter s'il n'y a pas incorporation, incorporation au processus et au corps. Par conséquent, l'existence est l'épreuve de l'apparaître d'une vérité, sa consistance mondaine. Et c'est aussi pour le sujet l'épreuve de son incorporation à qch qui a lieu en tant que cela est, mais en tant que celle apparaît ici, maintenant, là dans un monde déterminé. Comme ce dont il s'agi principalement c'est l'existence d'un corps de vérité, le point essentiel est que l'existence, en tant que apparaître d'une vérité, est ce à propos de quoi la pensée se divise, à propos de quoi il y a des divergences, des hétérogénéités subjectives. Evidemment, car l'incorporation à un corps subjectivable suppose une reconnaissance de son apparaître, de son existence, qui précisément va être niée par ceux qui refusent de s'y incorporer ou sont même hostiles à son existence. Cette existence va être niée comme telle et est partie de l'incorporation à un corps nouveau la déclaration de son existence, ie de l'effectivité de son apparaître. Je reviendrai sur des exemples tout à l'heure. L'idée est simple : l'existence n'est du tout ce sur quoi tout le monde est d'accord. C'est au contraire ce sur quoi il y a désaccord fondamental. C'est ce qui distingue précisément l'existence de l'être. L'être lui est dans une indifférence attestée à la déclaration le concernant, mais l'existence non car elle enveloppe l'existence du corps de vérité, de la nouveauté comme telle et finalement la possibilité effective de s'orienter dans la pensée. Donc toute la question de l'existence enveloppe toujours une décision ou un choix quant à ce qui existe. Et une vraie querelle est une querelle non pas sur le sens de ce qui existe mais sur ce qui existe purement et simplement. C'est une différence avec les philosophies herméneutiques. On soutiendra ici qu'il n'est pas vrai qu'il n'y ait que des interprétations. On rejettera absolument la maxime nietzschéenne. Il y a des existences, il y a des interprétations, des processus réels, mais surtout la querelle subjective, l'opposition subjective ne porte pas sur le sens de ce qu'il y a mais sur ce qu'il y a, ie sur l'existence ou plus précisément sur ce qui apparaît dans un monde. D'une certaine manière, c'est aussi un biais d'entrer dans la faiblesse congénitale de la figure parlementaire de la politique. Au fond, l'axiome fondamental de cette politique électorale, démocratique ou parlementaire est de supposer qu'on est d'accord sur ce qui existe mais qu'on n'a pas le concernant la même interprétation ou le même programme. Tout le monde sera d'accord pour dire qu'on peut établir ce qui existe. On va recourir aux statistiques, aux sondages etc… La possibilité même d'ailleurs de débattre avec quelqu’un dans cet espace là suppose qu'on ait un minimum d'accord sur ce qui existe, puis après de vives querelles d'orientations, d'interprétations etc… En réalité, le pb c'est que ce n'est pas comme ça que les choses se présentent, et que les oppositions véritables, dès lors qu'il est question de s'orienter véritablement dans la pensée, sont des querelles quant à l'existence, ce qui existe. Il y a désaccord sur ce qui existe. Il est irrémédiable, on ne le colmatera pas par des interprétations. Un désaccord d'orientation dans la pensée est toujours un désaccord sur un protocole d'existence. Je vous signale qu'il y a une forme de cette connexion entre pensée et existence dans le chapitre 2 du Court Traité d'Ontologie Transitoire (la mathématique est une pensée). Il y a cette thèse illustrée en mathématique, dans les crises d'axiomatique, et il y a la thèse que s'orienter dans la pensée relève de cette connexion pensée existence. "Nous appellerons orientation dans la pensée ce qui règle dans cette pensée les assertions d'existence". Il y a déjà cette idée que s'orienter dans la pensée, c'est trouver les lois, pour employer le vocabulaire de Kant, qui dans cette pensée -  issus d'une incorporation, d'une création – règle les assertions d'existence, ie les déclarations quant à ce qui existe. A cette formule élémentaire on peut substituer celle-ci, quelques années après : "s'orienter dans la pensée relève de la discipline d'une incorporation à un corps de vérité ou discipline subjective". Donc idée d'une maxime subjective, comme dirait Kant. S'orienter dans la pensée concerne des effets réels dans l'existence, des choses qui apparaissent effectivement dans un monde, sous forme de points. Finalement la question de l'orientation dans la pensée, si on la définit ainsi (discipline, matrice du sujet des vérités, discipline subjective, ie régler des effets réels dans l'existence aussi sous forme de points, avec l'impératif de continuité et de discontinuité ie traiter les points). La grande question de l'orientation dans la pensée c'est : quel est le point ? Quel est le point ? Quel est le point ? Et le débat, la discussion antagonique, est sur l'existence d'un point comme point. Je rappelle ce qu'est un point brièvement. Supposons un événement, une procédure de vérité, un corps subjectivé. Un point c'est un élément du monde qui va concentrer cette infinité mondaine sous la forme du 2, pour le corps subjectivable, ie sous la forme d'une décision pure. Ou je fais ceci ou je fais cela. Ou le corps passe là ou il passe là. Il y a un double aspect : un élément de concentration, il concentre le monde, il le rassemble dans une figure localisée (c'est pour ça qu'on l'appelle un point), et un élément de décision (Kierkegaard : ou bien ou bien, l'alternative, il ne peut plus continuer son travail sans se soumettre à une décision). Il ne peut plus s'abriter derrière les nuances du monde mais est obligé de passer dans le 2. Un monde vu du point de vue des procédures de vérité, c'est ce qui expose un sujet à la disposition des points (un monde pour une vérité, pour l'appareil des vérités).

Si on reprend notre exemple de la procédure amoureuse : à supposer qu'il existe un sujet amoureux, ie en réalité les effets conséquents d'une rencontre, et que cette rencontre expose comme telle une différence, ie fait de cette différence ou d'une dualité la loi de l'expérience du monde (on était un on est 2 et le monde est expérimenté au travers de cette dualité singulière, du 2 comme tel), alors un point est un moment où la continuation de l'amour exige de prendre une décision : c'est ou ça ou ça. Il est probable que si on passe mal ça va affecter gravement la procédure elle-même. C’est une alternative. Il faut décider sans garantie complète du passage, car la situation amoureuse elle-même est concentrée dans ce choix sans appel (ou avec des appels, mais il faut pas trop s'y fier). Donc le monde amoureux est sous l'impératif continuez : je t'aimerai toujours, toute la vie, mais l'épreuve est la discontinuité, ie le moment où l'impératif est à l'épreuve d'une concentration du monde amoureux comme tel dans une décision cruciale, avec des enjeux considérables, tenir les csq est importants et sinon l'ensemble de la procédure va venir s'y échouer. C'est ça un point. Dans la procédure musicale, la question de savoir si on reste dans la tonalité est un point qui met en jeu l'historicité musicale elle-même pour Schönberg, Debussy, ou Wagner. Vous allez peut-être mener la musique à une impasse sans intérêt. Question d'existence. Le point fait exister le monde pour une procédure concernée. Il fait exister un amour au moment de son risque. Il fait exister une politique : octobre 17, donne ton l'ordre de l'insurrection ou pas. Lénine : la crise est mure, il faut lier si c’est pas maintenant c’est jamais. Et ses ennemis ne sont pas chauds : si elle est écrasée; c'est fini pour longtemps. Mieux vaut continuer sans traiter le point, sans la discontinuité. Il est passionnant de relire Lénine sous cet angle : c'est l'injonction à ce que la procédure en cours soit fidèle à elle-même dans l'élément de la discontinuité aussi. C'est un pb révolutionnaire.

Donc on peut dire que s'orienter dans la pensé, pour autant que c'est connexe d'une procédure de vérité ou d'un corps subjectivable, est toujours à l'épreuve des points. C'est ce qui expose un sujet au monde sous sa forme concentrée et décisoire. Une grande proposition qu'on cherche à nous faire avaler aujourd’hui c'est qu'il n'y aurait pas de point : ie tout serait par inflexion, déclinaison, inclinaison, procédures, modifications, compromis etc… et que toute théorie du point est extrémiste, de l'ordre du décisionnisme, elle ramènerait la situation à un choix d'une rigueur telle que le choix des csq devrait être complètement assumé alors qu'en réalité ce ne serait jamais comme ça. C'est un des 1ers  dispositifs de propagande contemporain : il n'y a pas de points. Un monde sans points est un monde atone, l'atonie du monde, ie un monde en métamorphose spontanée de sa forme propre mais qui ne se concentre jamais dans la figure du point. Un des grands appareillages de la propagande contemporaine est de soutenir qu'il n'y a que des mondes atones ou que les mondes démocratiques sont des mondes atones. Il y a une autre manière de faire, c'est  d'arguer de l'existence ou de l'inexistence d'un point, ie de proposer comme point un point qui ne peut pas être un point pour un corps de vérité. Ie de dire là il y a un point mais de telle sorte que ce point soit homogène en réalité au monde comme il est dans sa distribution étatique ou dans sa distribution légale. C'est une autre manière de faire: soit le monde est atone, soit ses points ne sont pas appropriables par un corps subjectif mais que comme corps officiel de la situation ou du monde.

Exemple : islamisme et occident. Ce n'est pas atone, mais violent, guerrier, avec une forme de point. Mais aucune procédure de vérité ne peut se l'approprier. C'est un point étatique par définition, c'est pour ça que la forme associée est la forme de la guerre. Ce n'est pas un hasard (démo contre islamisme) : propagande pour l'existence d'un point qui au regard d'un corps subjectif émancipateur n'est pas appropriable comme point. Ce n'est pas qu'il n'y a pas de fondamentalisme islamique. Mais ce ne peut pas être un point par lequel transite une vérité politique quelconque, émancipatrice etc… Donc opposer au point tel qu'il se donne pour un corps subjectivable un point pour un corps étatique (figure structurale de la donnée du monde, sens général de l'Etat, la loi de distribution des corps dans un monde déterminée). Nous avons une discussion sans issue sur l'existence même des points. C'est une question d'existence : est-ce que ce point est ou n'est pas un point au sens subjectivable du terme ? S'il est un point étatique il n'est pas subjectivable autrement que sous la forme de la guerre. Pour une procédure d'émancipation il en va tout autrement. Donc 2 types de propagande : il n'y a pas de points, c'est atone et c'est très bien l'atonie (le point est meurtrier, excessif, en contradiction avec la moralité, vivons tranquillement dans son jardin). Le monde en perpétuelle métamorphose, ie transformation continue, est atone, on ne peut que lui courir après. Autre type de propagande : la proposition de faux points, ils ont la forme du 2 mais c'est un 2 inappropriable pour un corps de vérité, seulement praticable par un corps étatique, donc inscription dans la loi du monde comme tel et pas d'une vérité de ce monde.

Donc un point capital dans l'orientation dans la pensé est le conflit sur l'existence des points, de telle sorte que ce ne soit ni une concession à la thèse de l'atonie (les points n'existent pas) ni une concession à une conception étatique des points (pas de corps subjectivable).

 

Je reviens à la caractérisation de la situation actuelle de ce point de vue. Du point de vue historique, politique et de l'ensemble des processus de vérité (amoureux, scientifique, art), il y a une lisibilité globale affaiblie de ce qu'est un point. La visibilité des points n'a pas la même évidence et la même clarté qu'elle a eu dans la séquence des lumières révolutionnaires, mais aussi celle des AG artistiques, de la mutation de subjectivité amoureuse, de la scientificité nouvelle mise en place au début du 20ème. Il n'y a pas de registration globale du discernement des points, il n'y a pas de méthode globale d'appréhension des points, de ce que j'appelle leur lisibilité.

Je donne un exemple : que se passe t il dans la situation de guerre en 14-18 où les nations impériales s'affrontent ? La guerre est un point étatique, inappropriable par un corps de vérité. C'est une terrible et finalement vaine et absolument étatique boucherie. La guerre comme telle n'est pas appropriable, ce qu'ont dit les gd esprits de l'époque. Mais question inévitable :  comment se présente le point : est-ce qu'on doit se rallier à cette guerre ou pas? La guerre a lieu dans le corps étatique, dans la disposition guerrière des corps la guerre a lieu. Mais la discussion est doit on la rallier ou pas. Il est lisible à travers la maxime proposée par celle des révolutionnaires, ie le défaitisme révolutionnaire : nous n'y participerons pas, et nous sommes prêts à travailler activement à la défaite de notre propre corps étatique apparent parce que cette défaite produire des chaos tumultes propices à la révolution. Donc exemple d'un 2 étatique pur, la guerre elle-même, et le choix inéluctable pour la politique révolutionnaire : patriotisme, nationalisme ou défaitisme ? Pourquoi y a-t-il une lisibilité globale ? C'est la théorie des guerres impérialistes : avant la guerre de 14 même le centre gauche comme Jaurès dit que l'impérialisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage, le fait que l'impérialisme soit le milieu où se prépare des guerres absolument sanglantes et le déchaînement d'une puissance de mort, est une théorie inscrite, définie, à l'intérieur de laquelle le point peut être situé comme le choix entre les révolutionnaires qui n'assument pas le caractère impérialiste et de ce conflit et puis le ralliement honteux pour des raisons pseudo nationales aux côté de la France, de l'Allemagne, de la Russie. La fermeté dans l'orientation défaitiste va être pour bcp dans la révolution bolchevique en Russie, ils l'ont assumée de façon conséquente. Une caractérisation de la situation contemporaine est une difficulté à établir un protocole global d'identification des points pour tous les protocoles de vérité. D'où la force de la propagande adverse : il n'y a plus de point (motif de la fin des idéologies, ne les cherchez plus), et seulement points étatiques. Vulnérabilité à cette propagande car absence de protocole global d'identification des points. C'est la crise des Lumières dans son versant subjectif : les Lumières proposaient un dispositif global d'identification des points. Ce n'est pas seulement une théorie de l'historie etc… c'est l'aspect académique. L'aspect profond est le rapport au traitement des points.

Si on est dans une situation intervallaire, où la reconstitution d'une méthode générale ou de scène globale pour le traitement des points est devenue difficile, comment s'orienter dans l'existence et la pensée si s'orienter c'est traiter des points ? Que faut-il faire quand la situation est telle que le repérage des points est subjectivement difficile ? J'insiste pour dire que cette conjoncture affecte toutes les procédures de vérité. Ici le fil est historico-politique, mais c'est plus général, le cadre est transcendantal. D'où la question que faire ?

 

Aujourd'hui je suis très classique : je vais m'appuyer sur Descartes. Nous avons besoin d'une morale provisoire, ou par provision comme dit Descartes. ça veut dire précisément une règle pour faire les choses lorsque la théorie globale du discernement des points est obscurcie. Cette morale provisoire je la définirai comme la morale d'une fermeté absolue devant les décisions de l'existence soustraites au consensus. C'est l'ensemble des moyens permettant de pratiquer cette fermeté, ou encore tenir des points, même déliés de toute rzprésentation de la totalité. Ce serait ça notre objectif : que peuvent bien être les tenants et aboutissants de cette période intermédiaire où on doit transiter d'un appareillage de repérage du système des points à un autre appareillage différent. (il y a déjà eu des époques comme cela dans l'histoire). C'est là que la morale provisoire de D est intéressante.

Rq : ceci m'a amené à penser, ce dont je ne m'étais pas rendu compte, est que je dois beaucoup de choses à Descartes. A Platon je l'ai toujours dit, mais à Descartes, si je récapitule les points cartésiens :

- l'anonymat de l'extériorité. C'est l'étendue géométrique pure, ie proche d'un anonymat mathématique de l'extériorité, ie quelque chose dépourvu de finalité propre, de configuration stable même, et est finalement représentable comme une multiplicité (géométrisante chez D) mais cet espèce d'anonymat insignifiant me rend proche de lui, avec une certaine allergie aux concepts vitaliste en général (Descartes est mécaniste : il n'y a pas la vie, les animaux-machines, combinaisons de complexité). La thématique de la vie en tant qu’opérateur ontologique dispense la radicalité dépourvue de sens de l'expérience. La mondanité du monde est dépourvue du sens, de l'ordre du géométral ou de la multiplicité.

- la catégorie du sujet : ma maintenance de son principe contre ses procès (catégorie métaphysique etc…). Ce n'est pas le même, mais l'initial de cette catégorie, c'est Descartes, y compris dans la perception qu'il a des liens de cette catégorie avec le vide. Le doute est l'évidement immanent de la catégorie du sujet de telle sorte qu'il est réduit à un point au sens géométrique du terme. Il est l'assertion de sa propre existence, et que cela. Il est le je suis comme tel. Cette connivence entre le je suis et le vide est un thème d'une grande portée.

- l'infini : Descartes a eu l'audace de dire qu'il est plus clair que le fini, avant Cantor. La notion d'infini est plus claire que celle du fini. Je suis d'accord : l'être en général est dans l'élément de l'infini, c'est la dimension du fini qui est compliquée, de la finitude. L'infini a une clarté rationnelle.

- la volonté comme catégorie majeure : si on choisit une catégorie qui identifie le sujet dans le registre des facultés, c'est la volonté le propre du sujet, en opposition à ceux pour qui le propre du sujet est le désir. Si on veut trouver l'emblème du sujet, de la singularité du sujet, c'est la volonté. Je dirai la décision, l'incorporation. Contemporanéité avec une vision essentiellement héroïque du sujet (Descartes est le contemporain de Corneille). Par contre quand c'est le désir la catégorie emblématique, ce n'est pas l'héroïsme mais la tension, la pliure, l'obliquité, la complexité etc… la volonté est héroïque, le désir ne l'est que quand il se présente dans la relève de la volonté ie quand il n'y a pas le désir mais quand ce qu'il y a c'est qu'on ne cède pas sur son désir (maxime lacanienne héroïque). Ne pas céder sur son désir n'est pas transitif au désir, c'est autre chose que désirer. On peut l'appeler volonté en réalité. L'héroïque est irréductible au désir comme tel, et inversement dans le désir comme tel on redoute l'héroïsme. Je suis en sympathie avec cette idée de présenter la volonté comme emblème du sujet si même la volonté en est l'infrastructure. Lacan : il y a le désir; l'objet et la cause, mais le ne pas céder sur, c'est l’éthique du désir comme tel, ce n'est pas le désir.

- différence entre vérité et substance : que la vérité n'ait pas un nom substantiel. La substance c'est la pensée ou l'étendue, la vérité est un 3ème terme. Il y a l'idée que vérité se sont des maximes, axiomes, pas des substances. Moi je dis que c'est un processus, pas appréhendée comme une multiplicité pure. Son essence est processus ou création.

- universalisme : la conviction en particulier que toute pensée en vérité est translangangière, transculturelle. Ce qu'il pense on peut le dire en bas breton dit Descartes : peu importe la langue, peu importe la langue. Je ne pense pas que peu importe la langue exactement. Je pense que la langue est matériau des vérités mais je pense qu'une procédure ultimement est intelligible de façon translinguistique. Elle n'est pas indifférente à la langue mais son lien à la langue est intelligible de façon translinguistique. Le lien d'un poème à sa langue est intelligible dans la langue de la traduction. Quelque chose est perdu, mais ce qui est transmis est aussi qu'il y a un reste. La grandeur sera transmise, c'est l'essentiel.

- la création des vérités éternelles : invention extraordinaire de Descartes. Création de Dieu pour Descartes, création post-événementielle dans mon cas sans Dieu. Laissons Dieu de côté, c'est la machinerie du temps. Les vérités éternelles sont elles-mêmes créées. Il n'y a pas d'éternité des vérités éternelles. Elles surgissent, dans un acte particulier de création événementielle, et surgissent comme éternelles. L'éternité d'une vérité est un attribut de la vérité comme telle, ça ne signifie pas qu'elle est là depuis toujours. Ce n'est pas une question de durée ou de préexistence, c'est une qualification intrinsèque. Eternité car de n'importe quel point du temps elle est identifiable comme telle. C'est un propos cartésien.

 

Donc on va s'inspirer de sa morale provisoire : cf DM, 3ème partie (on est dans les classiques, là !). Une morale par provision : D distingue 4 maximes, 4 règles. Dans ces règles, il y en a 2 de conventions et 2 d'inventions. 2 qui sont des règles prudentes et finalement d'inscription dans le monde. 2 ont une autre résonance : i; y a une hétérogénéité. Descartes est un tacticien : larvatus prodeo, je m'avance masqué, et laisse les choses dans son tiroir quand les choses sont risquées. Quand il a appris la condamnation de Galilée, il a fourré son Traité du Monde dans son tiroir, pour toujours. C'était un tacticien, il savait  qu'il fallait universaliser son œuvre dans des conditions particulières. Très souvent il fait 2 pas en avant et un pas en arrière (comme les objections pleuvent et les risquent sont là !). Dans les règles on voit bien ce mouvement là. Les 2 de convention sont la 1ère et la 3ème :

- la 1ère c'est "obéir aux lois et coutumes de mon pays". Ça ne mange pas de pain ! Son pays, il est allé prudemment en Hollande.

- 3ème : "tâcher à me vaincre plutôt que la fortune". Ça, règle stoïcienne moyenne, changer mon désir plutôt que le cours des choses, plutôt que le cours du monde, si je veux quelque chose au-delà de mes possibilités il vaut mieux y renoncer. On fait tous comme ça ! On obéit aux lois et coutumes les 9/10ème du temps. Renoncer aux choses impossibles, ça nous arrive aussi, même aux difficiles aussi !

Par contre les 2 autres, entendez comme elles ne sonnent pas de la même façon (entêtement absolu même quand on a tort) "ma 2nde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrai et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses lorsque je m'y serai une fois déterminé que si elles eussent été très assurées". C'est une maxime d'entêtement ! ça veut dire en réalité : je dois être absolument et rigoureusement dans la discipline des csq. Une fois que j'ai décidé de donner mon assentiment à qch je ne dois pas trop examiner si en fin de compte c'est clair ou douteux (on verra plus tard) je vais m'installer dans la discipline des csq. En matière de morale, ce qui compte c'est la discipline des csq plus que la certitude du point de départ. Je suis mes opinions sans fléchir tant que je n'ai pas de démenti formel.

4ème : "et enfin borner mes désirs ni être content si … je me pensais être par même moyen , d'autant que notre volonté … il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu'on puisse pour faire aussi de tout son mieux, ie pour acquérir toutes les vertus, et ensemble tous les autres biens qu'on puisse acquérir, et lorsque cela est… content".

En définitive le point est que j'aille jusqu'au bout de mes capacités : si je les exerce jusqu'au bout, je disposerai de tous les biens dont je peux disposer. C'est une maxime purement subjective. Ce n'est pas un rapport d'extériorité entre ce que je peux et le monde. Au contraire c'est un rapport immanent à la subjectivité : si je prends le chemin d'aller jusqu'au bout de mes capacités, alors je suis assuré d'avoir les vertus nécessaires ie les biens auxquels j'aspire en tant que sujet.

Nous pouvons récapituler tout ça : la morale provisoire de Descartes c'est 2 choses essentielles.

Une maxime des csq : une fois que j'ai donné mon assentiment je dois pratiquer la discipline des csq quelles que soient els péripéties. On peut l'interpréter y compris quand est mené contre mon assentiment une guerre générale, je dois rester ferme, y compris quand on me fait valoir que mon point de départ est douteux que les lumières révolutionnaires sont criminelles etc… je dois m'entêter (c'est cartésien !)

Une maxime de capacité : je dois faire confiance à ce dont à tel ou tel moment j'expérimente que je suis capable. Si je fais confiance à cette capacité j'aurai le vertus et les biens auxquels je peux aspirer.

2 maximes, csq et capacité, on est là dans ce qui donne la possibilité de s'orienter dans la pensée : c'est de savoir qu'i y a une maxime des csq, une orientation est une discipline des csq, et une maxime subjective : ne jamais sous estimer ses capacités et leur faire confiance. Donc cette maxime de capacité est une maxime de confiance. A l'épreuve de l'incorporation, si j'arrive à ajuster une maxime des csq et une maxime de confiance, alors je disposerai même si j'ai peu de points et pas de théorie générale, d'une morale provisoire. C'est ce qu'on continuera à examiner la prochaine fois.

Novembre 2006

Entrons tout de suite dans le cœur de la question. Vous savez que le propos de cette 3ème année, mais ces années sont indépendantes, est de répondre autant que faire se peut à la question : que veut dire s’orienter dans la pensée, s’orienter dans l’existence. On peut appeler ça une morale disons une morale pour temps désorientés, une morale provisoire, une morale en un sens qui est toujours un peu substitutif que d’autre possibilité principielle de l’action, morale pour un temps où la question s’entremêle de façon obscurcie avec la question du caractère intervallaire du temps. L’identification de la séquence de point de vue même du processus de vérité ou des corps d e vérités n’est pas entièrement clarifiée.

Je voudrais résumer les notions essentielles introduites la dernière fois, et qui vont nous servir dans notre trajectoire. Quant à l’élucidation de ce que c’est qu’une morale provisoire pour temps désorientés.

Il y a une distinction fdtale qui va jouer d’un bout à l’autre, qu’on a exposé l’année dernière et qu’on va réexposer, c’est la distinction entre être et existence. En réalité, il s’agit de comprendre que c’est dans l’articulation de être et existence que se situe en dernier ressort le pb de l’orientation. On peut dire cela de façon assez simple. Admettons que les 3 dimensions en jeu dans la pensée de l’orientation soient l’être, l’être là et le sujet. Une entrée un peu hegelianisante, comme ça. Ce que nous avons dit en réalité jusqu’à présent, c’est que l’être doit être pensé comme multiplicités indifférente, que le sujet est le principe de construction des vérités éternelles, sous condition d’un événement. Et de ce point de vue là, l’être là est entre les 2, non pas d’un entre spatial, ou classificatoire, mais il est le lieu d’articulation des deux. Donc vous avez finalement les multiplicités indifférentes comme détermination intrinsèque de l’être en tant qu’être, à l’autre extrémité, il y a les vérités éternelles comme principe général de ce qui se tient dans l’universalité subjective et puis entre les 2 il y a la multiplicité des mondes, multiplicités des mondes qui est le point d’être là où est avérée la possibilité d’un apparaître des vérités éternelle elles-mêmes. Ici la question la plus compliquée est de savoir comment il se fait que les vérités éternelles sont créées, et que donc en ce sens l’éternité est immanente au temps lui-même, et non pas transcendante. C’est dans cette triplicité, multiplicité indifférente, ou être, multiplicité mondaine, ou être là ou apparaître, multiplicité des vérités éternelles, que doit s’enregistrer les distinctions fondamentales sur lesquelles nous allons jouer. 3 types de multiplicités : la multiplicité indifférentes de l’être en tant qu’être, la multiplicité transcendantale des mondes, la multiplicité sans recollection des vérités éternelles. C’est du jeu d’intrication, superposition, nouage de ces 3 types de multiplicités que résulte que, entre autre chose, une morale provisoire soit possible, même par temps désorientés. C’était un point que je voulais rappeler.

Je voulais rappeler aussi que les vérités, la multiplicité des vérités, résultent d’une sorte de poussée du 1er niveau dans le 2nd , puisque c’est comme une montée de l’être à la surface de l’apparaître qui constitue l’événement proprement dit. Puisque précisément il est dérégulation ou dysfonctionnement des lois transcendantales de l’apparaître sous la poussée de la multiplicité comme telle, et en particulier de la multiplicité anonyme, de la multiplicité inexistante. Donc le jeu des 3 types de multiplicités (l’être en tant qu’être, être là, vérité) peut aussi se lire comme l’exercice d’une poussée dérégulatrice, d’une poussée illégale, si je puis dire,  de la multiplicité ontologique sur la multiplicité logique, ie de l’être dans l’espace de l’apparaître. Nous aurons à revenir dans ce contexte là sur existence, sur existence.

 

Existence, j’y insiste, est une catégorie de l’apparaître, c’est une catégorie de l’être là, c’est une catégorie mondaine. Exister, c’est être là dans un monde. Donc il y a une 1ère distinction, qui est distinction entre existence et être. C’est une distinction essentielle, majeure. La multiplicité indifférente ne peut être dite exister (et à ce moment là existe dans la figure d’un objet) que pour autant qu’elle a son lieu, qu’elle est là dans un monde spécifié et déterminé. L’existence est une catégorie de la particularité, car le multiple est assigné à son être là dans un monde. C’est ça exister, toujours. Existence se différencie de être. Elle appartient au 2nd type de multiplicités, les multiplicités mondaines.

Et d’autre part je dirais qu’il faut aussi prendre garde que existence se distingue de vie (pour nous situer dans la philosophie contemporaine). Nous réserverons le mot vie, et la question qu’est-ce que vivre, à l’existence orientée, ie à l’incorporation au processus d’une vérité. La question qu’est-ce que vivre, aura comme réponse : vivre, vivre de façon effective, vivre d’une vie qui vaille la peine d’être vécue, c’est vivre selon la maxime d’incorporation au corps d’un vérité, et donc on peut dire que l’existence suppose l’être, puisque ce n’est qu’une multiplicité qui peut être là, mais on dira aussi que la vie suppose l’existence au sens où sens c’est à un être là qu’il peut advenir de vivre réellement dans la figure de son incorporation à une vérité. Il faut avoir en tête cette double distinction existence être, existence vie, double distinction qui montre que l’existence est un concept intermédiaire. De là évidemment qu’une question important est le rapport entre existence et mort. Si l’existence est différente de la vie, elle est aussi différente de la mort. On peut dire que l’existence, c’est ce qui est entre la vie et la mort. C’est un concept clé de ce qui suivra, dans sa double détermination intermédiaire entre l’ontologique comme tel et les vérités vivantes. En un certain sens, on réservera vie aux vérités. Le reste est, en effet, du registre de l’existence. C’est le 1er point conceptuel fondamental.

 

Le 2ème : il faut bien comprendre être-là, qui supporte existence. Je rappelle simplement que être-là est un multiple pris, saisi dans un réseau d’identités variables à d’autres multiples. Multiple mondanisé, situé, capturé dans un réseau d’identités et de différences variables, à d’autres multiplicités. Ça c’est ce qui inscrit la multiplicité là, la multiplicité localisée, dans un réseau de mesure transcendantale des identités. C’est être pris dans un réseau d’identités variables qui constitue l’être là.

 

Le 3ème gd registre, c’est l’incorporation, ie le mode propre selon lequel tel ou tel être là, tel ou tel existant, ou inexistant, s’incorpore au processus d’une vérité éternelle créé dans un monde. Donc existence, qui suppose être là, et qui est destinée à l’incorporation. Voilà la matrice générale. C’était le 1er rappel.

 

Le 2ème, c’est que signifie orientation dans la pensée, ou de façon plus générale orientation ou situation dans un monde ? Le point, c’est que une orientation, tout comme une désorientation, ne sont jamais des caractérisations herméneutiques. Ie ce n’est jamais un différent sur le sens. C’est un point important sur lequel nous reviendrons très souvent. Un désaccord véritable porte sur toujours sur des assertions d’existence, pas sur l’interprétation de cette existence. Le discord, à travers lequel toute vérité travaille, le discord, le désaccord est sur ce qui existe, et non pas sur les prédicats ou les interprétations d’une existence supposée acceptée. Ce point indique les limites de la règle politique contemporaine dans l’espace du parlementarisme : on  peut définir le parlementarisme comme un ordre étatique dans lequel on suppose que les assertions d’existence sont partagées, et les prédicats ensuite diffèrent. Tout le monde est censé savoir ce que c’est qu’un français, que ça existe. Mais est-ce que ça existe ? Il y a immédiatement par-dessous des assertions d’existence conflictuelle. Donc une orientation, en général, c’est ce qui règle dans la pensée les assertions d’existence. On est orienté quand on a des principes concernant les assertions d’existence. Si on n’a pas de principe concernant les assertions d’existence, on est désorienté. L’interprétation ne suffit pas. Etre en état d’interpréter ce qu’il y a ne vous oriente pas. Ce qui oriente vraiment, c’est d’être en état de trancher sur l’existence à partir de principes qui sont des principes régulateurs de l’assertion d’existence comme telle. C’est un point capital. Finalement, l’orientation dans la pensée voudra dire, si on en prend la formule développée, celle que je vous présentais la dernière fois, ça veut dire une discipline d’incorporation à un corps de vérité, donc une existence qui s’incorpore à un corps de vérités, selon précisément les points du monde qu’il s’agit de traiter, étant entendu que précisément les points qu’il faut traiter relèvent des assertions d’existence. Le réel véritable dans tout les ordres où une vérité procède concerne la question de savoir si tel point est vraiment un point ou pas, s’il existe comme point, existe comme point. C’était les récapitulatifs abstraits.

 

A partir de quoi on peut dessiner les principes généraux d’une morale provisoire. Une morale provisoire, ça enregistre une fermeté absolue concernant les assertions d’existence qui sont soustraites au consensus, les assertions d’existence qui ne sont pas des assertions d’existence distribuées communément, on peut dire nouvelles, des assertions d’existence qui ne sont pas déjà retombées dans la pure et simple existence. Ces assertions, tout leur réel est le traitement des points. La difficulté contemporaine c’est que ceci doit être fait sans secours d’une représentation de la totalité : tenir ferme sur l’existence des points l’assertion d’existence concernant les points, extérieurement à toute proposition consensuelle et sans le secours d’une représentation de la totalité, c’est ça ce qu’exige une morale provisoire. Nous avons extrait ce thème de la morale provisoire des 4 grandes maximes de Descartes dans le DM. Nous avons vu qu’on pouvait en retenir 2, en réalité la légendaire prudence de Descartes consiste à accoller 2 maximes absolument innocentes et convenues à 2 maximes radicales. Il prend abri dans le consensus. Apprendre à se vaincre plutôt la fortune. Si vous voulez, 2 maximes ordinaires et 2 maximes radicales. C’est une totalité cartésienne. 2 maximes parlementaires et 2 maximes révolutionnaires. Maxime de la csq et maxime de la capacité. Vous n’êtes pas obligé de décider, mais si vous décidez il faut absolument assumer les csq de façon inflexible. La maxime de capacité : c’est si vous avez confiance en ce dont nous êtes capable, vous en serez capable. C’est la maxime des capacités : les capacités, c’est pas une question d’être, c’est une question entièrement liée à la position subjective de la capacité elle-même. Ce dont vous avez des raisons instruites de penser que vous en êtes capables, vous en êtes capables. On peut dire aussi que la maxime de csq, si on prend la psychologie classique, la vertu c’est la constance (fidélité comme subjectivité des vérités), la maxime de la confiance, c’est le thème de la confiance. Etre confiant, être constant : c’est le résumé de la morale provisoire de Descartes dans ce qu’elles ont de radical d’essentiel. La maxime de la confiance s’approprie à l’incorporation en réalité : si j’ai confiance dans le processus de vérité  auquel je m’incorpore, je m’y incorporerai. La constance, c’est l’impératif « continuer ». Il y a une dialectique assez subtile entre les 2, entre constance et confiance, mais on y viendra un peu plus tard. On en était là.

 

Je voulais, sur ces maximes et sur leur tenants et aboutissants, prendre pour guide la poésie. Prendre pour guide la poésie, au point précisément qui va nous soucier aujourd’hui,  qui est le point de l’intersection des 2 maximes, ie au point où se nouent constance et confiance, maxime de constance et maxime de la capacité, qu’est-ce qui advient, là ? De quoi en définitive la morale provisoire s’avère être le support ? de quelle figure complexe elle s’avère être le support et à laquelle nous aurions recours pour nous orienter, dans la pensée et dans l’existence ? La figure que je proposerais pour cet exercice dialectique d’aujourd’hui c’est une figure poétique de la guerre, une figure poétique de la guerre, et plus précisément dans la figure subjective du soldat. Le soldat. Vous voyez bien descriptivement, empiriquement, que dans cette figure du soldat il n’est pas étonnant de trouver constance et confiance comme détermination de cette figure. Je voudrais dire ou rappeler que le croisement de la poésie et de la guerre et la création de figures poétique dans et par ce croisement est peut-être le plus ancien de tous. C’est l’armature de l’Illiade, c’est la proposition poétique du croisement figural de la poésie elle-même et de la guerre. Subjectivement, c’est le héros, le guerrier. Le héros, le guerrier, on va voir qu’elle se divise, mais elle est suscitée dans le poème par le croisement immanent du poème avec la figure de la guerre. Il faut bien voir que le héros, le guerrier, dans notre monde à nous, c’est une figure pratiquement disparue. C’est un indice intéressant, la disparition de cette figure là du guerrier comme figure de la subjectivité. C’est évidemment emblématisé par plusieurs points. Le 1er c’est que il n’est plus imaginable de mourir pour quoi que ce soit, sinon de mort naturelle et sous condition d’assurance. Et puis je pense qu’il y a une historicité profonde à la  disparition du service militaire. Il s’est fait de façon quasiment anodine, il a disparu, il a été supprimé. Par Chirac : Chirac a supprimé le service militaire. C’est peut-être ce qui restera de son œuvre ! Mais cette œuvre est aussi un désoeuvrement. Je ne vais pas défendre ici le service militaire. Mais je soutiens que sa disparition est un fait de pensée, pas simplement un fait institutionnel. Il était misérable, il était devenu clochardisation accélérée. Mais sa misère, qui était le préambule de cette disparition, n’empêche pas que sa disparition est un fait de pensée. Le service militaire, dans le mot même, renvoie à la maintenance, fût-ce dans des conditions bureaucratiques asphyxiées, de la figure dont nous parlons là. De la figure qui a retenu la puissance du poème à ses côtés pendant des millénaires. Ce n’est pas rien – ce n’est pas rien. C’est ce point où le héros est dans la figure du poème assigné précisément à figurer ce qui est plus élevé que lui-même (avec les maximes de capacité et de csq dans leur extrême, dans leur intensité poétique et dans l’épreuve hegelienne de la mort). C’est une figure disparue. ça ne nous empêche pas de l’utiliser pourra clarifier ce que nous voulons dire.

En réalité la figure du guerrier n’est pas encore celle du soldat. C’est une distinction importante. Le guerrier n’est pas le soldat, parce que entre les 2, il y a la venue de la guerre moderne. On peut renvoyer ça, c’est un peu arbitraire, comme toujours, mais on peut renvoyer ça  à la levée en masse pendant la révolution française : la levée en masse, c’est l’apparition d’une figure qui n’est plus la figure du héros aristocratique, roi ou du prince en armes, c’est l’apparition du héros anonyme. C’est dans cet anonymat massif du héros que le soldat se substitue au guerrier. Comme vous le savez il est du destin du soldat d’être le soldat inconnu. C’est lui qui est dans le grand monument, c’est pas Achille, Hector etc… c’est le soldat inconnu le vrai héros. anonymat du soldat puis si on pense au film récent Indigènes on voit qu’il faut aller chercher en profondeur l’anonymat du soldat, il y en a qui on tété plus anonymes que d’autres, dont on demande à juste titre que l’anonymat profond soit porté au jour de la célébration minimale. Il est indigne de la laisser retomber non seulement dans l’anonymat mais dans l’anonymat non désigné, non nommé. Ce qui nous intéresse, c’est cette figure du héros anonyme, nouvelle, engendrée par la guerre moderne, qui transforme la poétique de la figure. Se nouent la constance et la confiance, les 2 grandes maximes de la morale provisoire. On peut dire qu’une poétique lyrique prend le pas sur une poétique strictement épique. En même temps qu’il y a la guerre et la promotion par la levée en masse du héros anonyme, du soldat, qui se substitue au prince en arme. Poétiquement, la lyrique de cet anonymat se substitue à l’épopée des noms propres .L’épopée, c’est toujours une épopée des grands noms propres, de Achille à Roland. Et c’est là, avec ces figures du soldat,  que nos 2 maximes entrent en scène, c’est ce que je voudrais soutenir, pour notre exemple. Dans le nouage du poème et des vérités conquérantes, dont la guerre est une métaphore, ce n’est qu’avec le héros qu’entrent en scène nos 2 maximes. Car dans le resgitre épique du guerrier il n’y a ni constance ni confiance. Il n’y a pas de constance : il n’est que de voir que l’Illiade est l’historie des caprices d’Achille, et des autres d’ailleurs. Il se retire sous sa tente. Il ne veut plus, il est mécontent. Caprices d’Achille qui ne lui retirent pas sa dimension stable de héros, car elle est articulée sur le nom propre, il demeure, il est stable. Pas de confiance, chacun est le rival de tous els autres. Personne n’aura l’idée de faire vraiment confiance à Ulysse (on va se faire avoir), Achille va se mettre en colère etc… ce ne sont pas des principes de constance et de confiance. Ce qu’il y a, c’est le couple du destin et de l’exception. Un élément destinal et un élément d’exception. Les 2 se conjoignent dans le nom propre. Je voudrais dire mais ce n’est pas mon propos, que c’est aussi un rapport métaphorique aux vérités. Ce n’est pas le même. C’est un rapport aux vérités, mais tout autrement. Ça en signale métaphoriquement et poétiquement la dimension d’exception, en effet, et ça met en valeur l’association d’un nb considérables de procédures à un ou plusieurs noms propres. Association entre vérités créés et nom propre est courant. Cette exception condensée dans un nom propre est une dimension des procédures de vérité, et le coté destinal aussi, c’est qu’il y a un envoi événementiel, et que qch comme la nouvelle destination du possible est ouverte. Donc le héros épique qui conjoint destin et exception n’est pas étranger ici. Vous ne bâtissez pas une morale provisoire. Peut-être une morale tragique. C’est un rapport aux vérités mais un rapport différencié aux vérités. On peut dire aussi que, admettons que les grandes épopées guerrières soient des poèmes du destin et de l’exception, ce que je crois qu’elle sont, et on peut dire alors que ce poème est tissé par un rapport extérieur entre les dieux et les hommes. Ça touche à la logique de la vérité du point de vue encore externe entre les immortels et les mortels. Comme vous savez, du reste, la scène de cette épopée est une scène où le niveau de l’action guerrière est en quelque manière surplombée par des histoires très compliquées entre les dieux. La corrélation entre exception et destin se joue dans cette articulation entre mortel et immortel. Raison pour laquelle le héros sera appelé demi dieu, ou est un demi dieu, s’il est le résultat d’un croisement entre mortel et immortel. Ce qui veut dire qu’il y a une présomption de finitude : il y a encore un élément restreint, mais extraordinaire, extraordinaire, qui assigne la corrélation de l’exception et du destin à cet enclos qui est la relation, destinale en effet, entre mortel et immortel. Ou si vous voulez, l’immortalité comme procédure subjective de vérité, l’immortalité est encore en quelque manière non complètement immanente, puisque les immortels sont assignés à leur place, qui n’est pas celle des mortels et que ces demi immortels que sont les héros sont la médiation qui articule exception et destin ou qui articule les dieux et les hommes. C’est le poème du guerrier. Le guerrier il est là, il est métaphorique de la vérité en ce sens, selon exception et destin.

 

Qu’est-ce que c’est que le poème du soldat, par différence ? je pense qu’il y a un poème di soldat comme il y a un poème du guerrier. Ce ne sont pas les mêmes. Il s’agit que l’anonyme soit incorporé à une vérité problématique. Il va falloir dire que l’anonyme, celui qui est comme les autres, et qui ne requiert pas à proprement parler de nom propre, puisse être cependant dit à une vérité. Il est forcément, le poème du soldat, un poème de l’immortalité immanente. C’est ça sa singularité. On ne peut pas distribuer mortel et immortel sur des registres séparés. Vous vous heurtez au fait qu’on ne doit pas prendre en compte l’univers articulé des noms propres. L’éternité dans le temps. Sa métaphore, de cette immortalité immanente, c’est toujours qch comme un monument aux morts. L’immortalité c’est le monument aux morts interne à la mort et la mort interne à la vie. Je prends aussi monument aux morts dans son sens architectural, dans les villages de France, la liste interminable des massacrés de la guerre de 14. Quand vous allez dans un petit village de quelques centaines d’habitants que vous voyez  la liste implacable des morts qui l’ont décimé la population de ces poins perdus de la montagne. Le monument, c’est le résulta final, c’est le résultat républicain de l’affaire, c’est la compensation fictive. C’est la métaphore qui désigne l’immortalité immanente. Sa mort même est un monument de la vie. C’est un sens trans-matériel qu’il y a dans le poème du soldat une monumentalité, inéluctable, comme nous allons le voir. Là, vont se déchiffrer constance et confiance, ie les maximes de csq et de capacité, héroïsme post-chrétien. Post-chrétien, pour le décaler de l’héroïsme antique ou de l’héroïsme médiéval. Comment le soldat est-il saisi ou capturé dans le poème ?

 

Le soldat, c’est une figure de la discipline, de l’abnégation, de la csq absolue. La csq sans restriction. Alors cette discipline est d’autant plus absolue que nous sommes dans la guerre moderne (pas dans la guerre d’aujourd’hui, la guerre moderne n’existe plus, la dernière guerre mondiale). D’immenses mouvements où millions d’hommes, dans des espaces géants, d’immenses mouvements où la confiance est absolument requise vu que le principe du mouvement est absolument invisible. C’est le contraire de la charge guerrière… Dans la guerre moderne, la levée en masse, vous avez des mouvements gigantesques, mais le principe du mouvement est invisible. Le 1er à remarquer ça, c’est Stendhal, Fabrice à Waterloo : bataille moderne,le soldat ne peut pas se faire une idée de la signification du mouvement, il n’est pas représenté figuralement par une image par lui-même une idée du mouvement. Par une image princière. Le principe du mouvement demeure invisible. Par csqt vous ne pouvez associer la discipline qu’à une confiance dans le mouvement lui-même, on vous a dit de faire ça il faut le faire mais par car quand vous suiviez votre héros dans sa marche. Et donc la guerre moderne c’est une présentation effective de la discipline comme confiance, parce que son principe est invisible. 1er point.

 

2ème principe, la guerre moderne est aussi le milieu de la capacité absolue, ie d’une capacité qui en un certain sens annule la mort. C’est une exposition à la mort d’une nature telle qu’elle développe, déploie, la capacité de l’homme face à la mort, dans des conditions qui sont là aussi non pas les conditions du combat singulier, mais une capacité plus abstraite, plus vaste aussi, qui est la capacité d’être au sein de cette discipline dont le principe est invisible et qui requiert une confiance totale, d’être dans la présence au feu. Mais la présence au feu c’est qch qui en réalité suppose que l’on porte la capacité jusqu’au principe de l’invincibilité. C’est pour ça que nous même avons du mal à comprendre la subjectivité des gens de cette guerres mélange de confiance absolue et d’exposition surhumaine au feu de la mort qu iporte les 2 maximes à leur intensité irrémédiable, si je puis dire. Nous avons morale provisoire comme morale définitive, comme une essence concentrée de ce dont il est ici question. Et pour fixer le cadre. Pourquoi aller interroger la poétique du soldat est un lieu qui nous instruit de l’entrelacement subjectif des 2 maximes. Cette figure nous instruit sur ce qu’il en est de  l’entrelacement des 2 termes. Les poèmes du soldat c’est une grande spécialité de Victor Hugo. Je dirais qu’une partie essentielle de la poésie de Hugo est une poésie du soldat. C’est pour ça que l’épopée est pour lui un genre complexe, car elle est sous la juridiction de la poétique du soldat laquelle à mon sens n’est pas épique. L’épopée du Hugo est trop lyrique pour être une épopée véritable. Trop lyrique, car elle est sous la garde de la poétique du soldat. Il y a d’innombrables textes de la poétique du soldat. On peut les relire sous cet angle particulier, qui est la capacité de connexion des maximes. J’ai choisi les 2 plus grands poèmes de langue anglaise Hopkins au 19ème et Stevens au 20ème. Ce sont 2 grands poèmes de la lyrique du soldat. 2 immenses poèmes.

 

Quelques repères élémentaires pour situer.

Hopkins : pour situer dans le temps, c’est 1844-1889. C’est un chrétien, et il est plus que chrétien, c’est un jésuite, un père jésuite. Il est devenu père jésuite en 1868. Il a terminé sa vie comme professeur de grec, professeur jésuite de grec à la faculté de Dublin. Il a écrit stt dans les 10 dernières années de sa vie. Ses poèmes essentiels, majeurs, qui sont comme des tremblements de terre de la langue. C’est renversant, même en français. L’identification de cela comme un tremblement de terre de la langue se voit en français, et à mon avis en esquimau aussi. Ils n’ont pas été publiés de son vivant, mais beaucoup plus tard. Ce jésuite insensé qui habite la langue anglaise comme un fou furieux, qui la compacte et la rythme comme elle ne l’avait jamais été. Tout cela publié à la guerre de 14, en 1918. J’insiste sur le fait qu’il est chrétien en un sens à lui, radical et tourmenté, qu’il a inventé. Il y a 2 traducteurs appariés et essentiels, qui sont Pierre Leiris et Jean Mondrino (?). l’éd de référence est Hopkins, grandeur de Dieu et autres poèmes, éd. nous. C’est bilingue, en plus. Je lis ce 1er poème.

« Oui. Pourquoi tous, en voyant un soldat le bénir ? bénir

nos garances,, nos cols bleus. la plupart d’entre eux n’étant

que frêle argile et même argile vile.  La réponse : notre cœur

puisque, fier,  il nomme courageux ce métier qu’il devine,

espère, se convainc que les hommes ne le sont pas moins ;

Il se figure, feint, prise, apprécie l’artiste d’après son art ;

bon aloi puisque tout a tant d’allure

et que la tunique exprime l’esprit même de la guerre.

Prenez christ, notre roi, il connaît la guerre, a servi la traversée combattante,

nul ne tire mieux une guerre. Et il attend,

dans la joie, quand il voit quelque part quelque homme faire tout ce que peut un homme, s’incline avec amour se jette à son cou

et s’écrie : O action faite christ ainsi fait Dieu fait chair :

Si je revenais écrit Christ je le ferai ».

Ce poème a été écrit 2 ans la mort de Hopkins. Le titre n’est pas attesté.

 

Maintenant, Wallace Stevens, en balance. C’est un poète américain, né en Pennsylvanie 1879 1955. Lui, c’est pas la même histoire du tout : il a été tout sa vie cadre supérieur dans une compagnie d’assurances. Il a commencé à écrire des poèmes en 1913, les traductions en France sont très tardives. Le 1er recueil traduit est pratiquement de 1989. Le grand poème dont j’ai extrait un passage est un poème de 1944. Il s’appelle Esthétique du Mal (le titre est en français), c’est un titre évidemment baudelairien. De façon générale, la poésie française est un arrière plan majeur de la poésie de Stevens. Noez que dans il écrit ce poème, Stevens a 65 ans quand il écrit ce poème, pas œuvre furieuse, concentrée, presque testamentaire qu’il y a chez Hopkins. Grande cadre d’assurance écrivant des poèmes toute sa vie, et les plus grands entre 65 et 70 ans. Ce poème est intégré à un recueil non traduit, qui est titré en anglais « transport to summer », recueil de 47, Transport dans l’été. L’été et le soleil sont des figures majeures dans la poésie de Stevens, car sa poésie est une immense méditation sur l’être et l’apparaître, et sur la question de savoir commente le poème se situe entre puissance de l’idée et normalité du monde agence poétiquement le nouage poétique de la puissance de l’idée et de la normalité du monde, sans sacrifier la normalité du monde, de telle sorte que la connexion entre être et apparaître soit saisissable sans transcendance. Ce qu’il appellera, lui la vie, précisément. Du reste, le précédent recueil, part of a world, non traduit lui aussi, s’appelle partie d’un monde. Dans le recueil où il y a Esthétique du mal, vous trouvez 2 autres gigantesques poèmes : description without place, description sans lieu et note toward a supreme fiction, note en direction d’une fiction suprême. L’ensemble de ces 3 poèmes est sans équivalent dans le cœur du 20ème siècle. Les traductions existent mais le recueil entier n’a jamais été traduit. Ces poèmes sont conçus explicitement comme des poèmes de guerre, écrit pendant la guerre, 42-44, les USA sont en guerre, et dans le part of a world, il y a une poème titré Examen du Héros en un temps de guerre (titre du poème). C’est vous dire que cette question de la figure du soldat dans la guerre est réellement le propos explicite de Stevens. Je dirais que Stevens est celui qui a porté la question du soldat au cœur du 20ème siècle. Elle était née bien avant, peut-être s’achève –t-elle avec lui,  peut-être est-il le dernier grand poète européen ou américain, de notre tradition à être le poète du soldat. Il y a un texte en prose très intéressant, que je veux vous lire, qui s’appelle l’immense poésie de la guerre. Ça donne le contexte de tout ce que Stevens pense, écrit et médite poétiquement sur la guerre.

Je vous le lis : « l’immense poésie de la guerre et la poésie d’une oeuvre d’imagination sont 2 choses différentes. En présence de la violente réalité de la guerre, la conscience se substitue  l’imagination et la conscience d’une guerre immense est la conscience d’un fait. Si cela est vrai, il s’ensuit que la poésie de la guerre comme conscience des victoires et défaites des nations est une conscience factuelle, mais d’un fait héroïque, dont l’échelle est si considérable que sa conscience pure affecte l’échelle de la pensée commune et constitue une participation à l’élément héroïque ». En tps de guerre l’attraction du réel est telle que l’imagination est congédiée, c’est une 1ère chose, mais l’échelle constitue à ce moment là a une puissance d’attraction qui fait que sa dimension héroïque, anonyme et général, attire, et fait que la lecture même de la poésie de la guerre constitue une participation à l’élément héroïque. Ce qu’il décrit là c’est les conditions subjectives de l’incorporation, c’est l’incorporation qui se fait par attraction, une attraction dont le principe n’est pas l’imagination mais la défaite de l’imagination. Souvent l’incorporation est décrite comme illusion imaginaire (procès politique du siècle dernier : en définitive, excroissance de l’imaginaire, fallacieuse illusion). Ici il défend exactement la thèse contraire : il y a cette incorporation héroïque quand en réalité qch de l’imagination n’est plus à le mesure de ce qui se passe. Ce n’est pas l’imaginaire qui constitue le sujet héroïque mais au contraire la défection de l’imaginaire au profit de la réalité, ce qu’il appelle le fait. Stevens continue : « il a été facile de dire dans la période récente que toute chose tend à devenir réelle, ou plutôt que toute chose se meut en direction de la réalité, ce qui veut dire en direction du fait. Nous laissons le fait et nous revenons à ce que nous voulions que soit le fait, non  ce qu’il fut. La poésie d’une œuvre d’imagination illustre avec constance la lutte contre le fait, elle se poursuit universellement même dans les périodes que nous appelons la paix, mais dans la guerre le désir d’aller dans la direction du fait comme nous voulons qu’il soit est dominante. Rien n’apaisera jamais ce désir ». Dans la guerre, le désir d’aller dans la direction du fait comme nous voulons qu’il soit est dominante, et rien n’apaisera jamais ce désir si non une conscience du fait telle que chacun est au moins convaincu de disposer de son être. Ce qui donne le désir, et ce qui en même est sa perte, est la conscience que le fait, le réel, tel que la guerre l’exalte et l’enveloppe, nous allons disposer de son être par incorporation à l’élément héroïque.

Je lis le poème, maintenant : c’est un gigantesque poème. Je ne lis que la strophe 7, c’est celle-là qui est consacrée à la figure du soldat.  « qu’elle est rouge la rose qui est la blessure du soldat, les blessures de nombreux soldats, les blessures de tous les soldats qui sont tombés, rouges en sang, le soldat du temps agrandit au format de l’immortel. Une montagne d’où l’aisance n’a jamais banni, sauf si  l’indifférence à une mort plus profonde  est aisance, se dresse dans l’obscur. Une colline d’ombre où le soldat du temps trouve un immortel repos ; Les cercles d’ombre concentrique en eux mêmes immobiles mais se déplaçant sur le vent forment des circonvolutions mystiques dans le sommeil intemporel du soldat sur son lit. Les ombres de ses camarades le retournement dans la haute nuit. Et pour lui, pour le soldat du temps, l’été exhale pour eux son parfum une haute somnolence, et pour lu, le soldat du temps, exhale un sommeil estival où sa blessure est bonne car la vie l’était. Aucune part de lui ne fut jamais part de la mort. Une femme se glisse son front sous sa main, et le soldat du temps gît tranquille, sous cette caresse ».

 

Maintenant nous allons extraire de ces 2 poèmes un certain nombre de caractéristiques concernant les maximes qui nous servent de point de départ, maxime de  csq et de capacité.

Les 2 poèmes forment monument à la figure di soldat, dans sa texture et dans son affirmation. Je voudrais articuler tout cela, ce qu’il y a de commun, ce qu’ils donnent à penser, en 4 points.

 

Le 1er point, qui est majeur, c’est que la figure est une figure affirmative. Ie il n’y a aucune espèce de déploration. Le monument est un monument qui n’est pas une commémoration, une déploration, qui n’est pas une oraison funèbre. Le monument poétique consiste à dire que la figure du soldat est une figure qui consiste à dire, jusque et y compris dans la mort, est l’affirmation d’une sorte de trans-humanité essentielle, immanente à l’humanité elle-même. Un point tout à fait remarquable, c’est le oui par lequel s’ouvre le poème de Hopkins, un oui isolé et sans connexion, qui est comme l’affirmation pure : oui. D’un bout à l’autre, cette affirmation va être relayée par son articulation métaphorique, jusqu’à se confondre avec l’affirmation de Dieu lui-même. Le trajet du poème, c’est depuis oui jusqu’au oui prononcé par Dieu même. Le poème, c’est le oui par lequel Christ s’identifie au soldat, devient soldat, est soldat. Et inversement l’action du soldat est une action faite Christ,  une action du Dieu fait chair lui-même. Vous voyez comment l’élévation du poème de part en part est l’élévation d’une affirmation. Elle est l’exégèse du oui initial. Elle va nous dire ce que c’est, ce que contient ce oui, ce oui au soldat.  

Dans Stevens on va avoir 2 points majeurs.

Le 1er c’est que l’été, dans la haute nuit d’été exhale pour eux son parfum une haute somnolence et pour lui, le soldat du temps, un sommeil estival, dont on sait qu’il est l’instance d’appui de l’affirmation, l’été va déplacer la nuit et le sommeil, l’été va se destiner au soldat. L’été va exhaler pour lui un sommeil estival. Mais sommeil estival c’est un oxymoron, c’est le sommeil comme puissance de la nuit, mais porté à la puissance de l’été. C’est pour ça que c’est une haute nuit : il y a une élévation de la nuit dans la figure par laquelle l’été destine le sommeil, tout ça est pour le soldat du temps est une expression fdtale. Evidemment tout ça se lie à la formule extraordinaire : aucune part de lui ne fut jamais part de la mort. Non seulement c’est affirmatif, mais le soldat mort (au combat, blessé, rouge de sang, couché dans son sommeil d’été) le soldat mort ne participe aucunement de la mort. Rien de lui n’a été en quelque manière une partie de la mort. Il faut pousser l’affirmation s’agissant jusqu’au point où à proprement parler le soldat mort est laissé intact dans sa vie par la mort elle-même. Il est la vie bonne, la vie affirmative, la vie positive, intacte si je puis dire, dans le mouvement de la mort elle-même. C’est aussi la raison pour laquelle on voit pouvoir dire que sa blessure est bonne parce que sa vie l’était. La puissance de la vie est telle que la blessure ne peut pas contredire ce point. Dans la figure du soldat, la vie affirmative l’emporte essentiellement.

C’était le 1er point le caractère affirmatif, radicalement affirmatif de la figure di soldat. Elle est affirmative pour les raisons qui vont suivre.

 

La 2ème chose, c’est sur la capacité. La capacité, elle est énoncée de façon particulièrement intense dans le poème de Hopkins. La capacité du … telle que identifiable dans la figure du soldat est le moment où il y a identité entre Christ et l’homme et finalement Dieu quant à cette capacité même. Toute la fin du poème le dit. Si Dieu voit quelque part quelque homme faire tout ce que peut un homme, alors il dit : tu es comme moi. C’est le faire Christ c’est ce que fait Dieu fat chair. Dans la figure du soldat prise comme paradigme du moment où l’homme fait tout ce qu’il peut, où il épuise sa capacité d’homme alors en ce point là il n’y a pas de distinction entre homme et Dieu dans la théologie de Hopkins. Cette théologie est fondé sur ce point qu’il est possibilité d’être indiscernable du Christ ou de Dieu, tout simplement en épuisant la capacité humaine en tant que telle. La figure du soldat nomme cette possibilité, ie la possibilité que quelque homme fasse quelque part tout ce que peut un homme. Et alors, le Christ va dire : o Action faite Christ, transformée en divinité, action divine. C’est un point fondamental. Il en résulte que cette puissance est si grande, cette capacité d’identification à Dieu ou au Christ est si grande dans la figure du soldat, que en tant que capacité réelle elle ordonne notre jgt sur l’apparaître. Comment ça se fait qu’on bénisse et admire le soldat rien qu’en le voyant. Tout le monde le bénit ?  Tout le monde bénit le soldat, est-ce qu’on a raison ? oui, on a raison parce que en réalité la capacité réelle dont le soldat fait preuve à la guerre, dans le procès réel du… elle est si faite Christ que ça remonte jusqu’à une croyance en l’apparaître lui-même. Dans une action d’une telle nature, l’homme doit être à la hauteur de sa possibilité, on va apprécier l’artiste d’après son art. Cet art, qui est l’art du soldat, est aussi l’art du Christ, le Christ connaît la guerre. Figure du Christ comme soldat. Cette id au Christ est si puissante qu’elle valide la bénédiction de l’apparence, même si rôde dans le début du poème l’idée que c’est un faux semblant. Ce n’est pas car on a une veste rouge qu’on a l’action faite Christ. Mais si  c’en est au moins l’apparaître, au moins la promesse. Le principe de capacité s’il est puissant, si vraiment on a des témoignages concernant la possibilité quelque part qu’un homme fasse tout ce que peut in homme. C’est une conviction si puissante qu’elle organise le jgt sur l’apparence. Qu’elle valide le militant éventuel d’une capacité non seulement dans l’exercice de sa capacité mais dans son possible, dans les signes de sa possibilité. Ça indique que Hopkins a une thèse sur la puissance d’incorporation. Si radical, si puissant, qu’il s’étend au principe d’extension au signe de son apparaître. Principe de capacité dans sa signification subjective majeure et organisatrice.

 

Sur le principe de csq ou fidélité

Pour Stevens il est clair que la matière de la figure du soldat c’est le temps. Le refrain du poème, c’est le soldat du temps. Tout soldat est un soldat du temps, ie tout soldat est un soldat qui fait figurer le temps dans sa puissance d’immortalité. Parce que si vous regardez bien le poème, sa scansion, son refrain, c’est le croisement entre temps et immortel, le soldat du temps agrandi, trouve un immortel repos, temporel du soldat rouge. La tranquillité essentielle du soldat mort est liée au fait que en tant que soldat du temps il s’est commué, il s’est élevé à la figure de l’immortalité. Alors il en résulte, de ce que en définitive la matière du temps… le soldat est dans la csq elle-même. Il est dans le temps de sa propre durée comme immortalité immanente. La figure du soldat, de la discipline, telle que tout soldat est soldat du temps, accomplit son acte dans la durée disciplinée, est par elle-même une puissance ou une promesse d’immortalité. C’est donc la csq dans sa présentation poétique autour de la figure du soldat, c’est en réalité la création de l’immortalité subjective, de l’immortalité subjective anonyme. C’est très important : pas immortalité subjective du héros dont le nom propre sera inscrit et célébré, c’est l’immortalité de l’incorporation temporelle elle-même. Voilà.

 

Et cela est dit dans les 2 poèmes, c’est le dernier point, avec une force singulière. Le mouvement du poème, c’est le mouvement de cette immortalité subjective. On pourrait prendre des indices : action faite christ, ou ainsi fait Dieu fait chair indique simplement que cette action là, l’action du soldat dans la guerre, est une action qui se métamorphose, action faite Christ, qui se transforme en son équivalence à l’immortalité divine. De même, agrandi au format de l’universel, ou immortel sur son lit pour Stevens. Formule remarquable le soldat du temps agrandit au format de l’immortel, c’est véritablement ce qui advient dans l’apparence du soldat mort. Cette immortalité n’est pas après la mort ou distincte de la mortalité elle-même. C’est le soldat du temps en tant que soldat di temps qui est agrandi au format de l’immotel. On peut parler poétique d’une immortalité immanente. Si on regarde les 2 grandes métaphoriques de la rose et de la montagne, dans les premiers 2 quatrains, en réalité la rose est une métaphore de la blessure : elle est rouge, la rose qui est la blessure du soldat. La blessure même chose que la rose, c’est ce qui prépare le fait que cette blessure soit bonne. La bonté de la blessure en tant que la blessure qch qui s’est surimposée  la vie. Sa blessure est bonne parce que la vie l’était. La rose est bonne car la vie l’était. Rose, blessure, vie bonne s’enchaîne dans une métamorphose métaphorique.  Déjà dans la rose est présente l’immortalité qui fait que la blessure est bonne, parce que la vie est bonne. Si vous prenez la montagne, un grand classique de ce type de poésie, la figure du tombeau. La montagne c’est le tombeau, la colline d’ombre où le soldat du temps trouve un immortel repos. C’est le tombeau de la figure du soldat. C’est pas le tombeau en tant que signe fermé de la mort,  c’est au contraire le tombeau en tant que ouvert sur…

Vous achèverez vos même.

 

Que conclure de cela, de cette figure du soldat, de cette figure poétique du soldat au point de nos maximes ? Dans la figure du soldat, on peut dire que le point d’intersection de la maxime des csq et de la maxime des capacités, c’est en réalité l’indiscernabilité de l’existence et de la mort. L’existence et la mort deviennent indiscernables parce que est créé de l’immortel, est créé de l’immortel en immanence à l’action humaine. Action faite Christ blessure est bonne. Entre exister et être mort il n’y a pas de discernement, non pas car ce serait des états identiques mais car le mouvement qui les conjoint a créé de l’immortel. C’est au pont d’indiscernabilité de l’existence et de la mort que se crée de l’immortel, et cela est possible car on a la conjonction d’une discipline et d’une capacité maximale. Conjonction d’un principe de constance, soldat du temps, c’est aussi celui qui est tel qu’il ‘est un homme capable qui fait tout ce que peut un homme conjonction capacité radicale de l’humanité à faire ce qu’elle peut, et que ordinairement elle ne fait pas, quand un homme fait tout ce que peut un homme, alors qch d’immortel advient de façon immanente qui produit l’indiscernabilité de l’existence et de l’immortalité.

Reste à se demander comment cela est possible : quelle relation entretiennent l’existence et la mort pour qu’une telle relève soit possible ? Le poème nous dit cela, et c’est le sens profond de tout poème du soldat, qu’une existence anonyme, une existence qui est sans le nom propre dont la mémoire s’illustrera, est une existence qui peut fort bien, par conjonction d’une maîtrise du temps et d’une extension de capacité, créer un point d’immortalité. Il est un monument aux morts, il est un monument aux morts en tant qu’il désigne l’immortalité du mort lui-même, il désigne toujours que le mort n’est pas mort, y compris dans sa symbolique qu’on ne comprend plus vraiment. Même la flamme de l’arc de triomphe dans sa relative bêtise, comme toute métaphore trop matérielle : elle est ce qui ne s’éteint pas, elle est définie comme ce qui ne doit pas s’éteindre, ce qu doit être allumée et rallumée en permanence. Elle dit la même chose que ces poèmes : elle est la flamme du soldat comme immortalité métaphorique. Donc la thèse du poème du soldat c’est que l’existence anonyme est apte ç l’immortalité, pas à l’immortalité comme connexion transcendante, mais dans la puissance d’orientation du fait. C’est le poème qui le dit.

Quel est le système de garantie ou de réflexion donner conceptuellement ? Pour ça il faut revenir sur l’existence, et il faut que ce trajet poétique dans la métaphore du soldat du temps, ou de l’action faite Christ soit rationnellement compatible avec ce qu’on dit de l’existence et puis ce qu’on dit de la mort. Donc la prochaine fois, ce qui sera à l’ordre du jour, ce sera l’existence et la mort, on va s’arrêter là pour aujourd’hui.

13 décembre 2006

Je voulais commencer comme il arrive quelquefois par une note marginale. Récemment dans le journal le Monde, que je lis quelquefois j’ai été frappé par un entretien avec l’écrivain américain Russell Banks. Je voudrais dire quelques mots sur les raisons pour lesquelles cet entretien m’a frappé. RB est un très grand romancier de notre temps, et je vous exhorte vivement à le lire, car après tout sur notre question de s’orienter dans la pensée ou dans l’existence, RB à son mot à dire, à sa manière, romanesque. C’est après tout un penseur de la question, de l’idée qu’il se demande ce que peut bien vouloir dire être un sujet qui oriente son existence dans l’espace américain. Ie qu’est-ce qu’être un américain. Non pas au sens objectif, ie qln qui habite, ou qui est né ou qui a des relations intimes avec l’Amérique, mais qu’est-ce qu’être un américain, du point de vue où ceci aurait un sens, au sens où ceci constituerait la possibilité d’une subjectivité véritable. En ce sens il est dans notre champ d’examen ici. Il est comme une expérience romanesque directement à même de la question de savoir qu’est-ce que c’est que s’orienter dans l’existence, avec d’ailleurs une oscillation très puissante des romans entre des personnages d’extraction généralement tout à fait populaire, des ouvriers, des gens pauvres, qui se présentent comme égarés en réalité, qui sont des figures d’égarement dans l’existence, de désorientation au sens strict ; et qui de l’intérieur de cette désorientation cherchent ou trouvent par hasard un point auquel ils tiennent et qu’ils traitent mi-aveuglément mi-lucidement et qui va fixer précisément leur orientation mais comme destin, comme qch d’à la fois essentiel et d’obscur. De ce point de vue RB a aussi cet intérêt d’être un écrivain de la subjectivité populaire, ce qui est après tout très rare dans le roman, et il faut le dire particulièrement dans le roman français. Et il oscille entre cette figure là et des figures au contraire historiques, intellectuelles, de gens éduqués ou de penseurs qui déterminent de façon cette fois au contraire de façon volontaire (peut-être exagérément volontaire) ce que c’est qu’une existence orientée. Donc c’est vraiment le pb de RB d’inscrire l’orientation dans l’existence à travers ces figures. Tout ça sont des figures romanesques extrêmement puissante, avec lesquelles RB inscrit dans la figure de l’existence la question de l’orientation à la fois dans l’élément d’une désorientation presque primitive, 1ère, ou dans l’élément d’une surorientation, volontariste finalement et sous le signe d’une morale impérieuse. Comme si l’être américain ne pouvait qu’hésiter entre une sorte d’aveuglement destinal essentiel et qui peut pleine de grandeur de puissance, et un volontarisme moral qui est en excès sur ce que la situation autorise.

Alors c’est un point intéressant car on voit là une sorte d’espace pour la question de l’orientation de l’existence où RB me semble être l’expérimentateur américain par excellence.

3 livres :

- Affliction : roman dans l’archétype de la 1ère figure. C’est un ouvrier, un conducteur de chasse neige dans une petite ville de l’extrême nord américain qui s’obstine petit à petit à tenir un point dans des conditions de violence extrêmes. Il est en réalité aux prises avec la destruction de tout ce qui existe dans sa petit ville du Nord par la création d’une station de ski pour gens fortunés (arrière plan historique et social). C’est l’histoire de son itinéraire, extrêmement fort, aux lisières de l’aveuglement et de la lumière véritablement. Aux lisières de l’aveuglement et de la lumière il se dirige dans cette violence extrême sous la contrainte obligée qui est de tenir un point. Alors là vraiment, il tient un point sans même pouvoir exactement dire ou transmettre quel est ce point. Mais il le tient. Il y a une tonalité épique, il travaille le roman par l’épopée.

- Nouveau lendemain : il a été transposé dans un très beau film de Atom Goyan. C’est un peu autre chose : c’est la saisie de ce que c’est qu’une collectivité en proie au désastre, en proie à une catastrophe, et la manière dont elle se révèle à elle-même ou dont elle modifie intérieurement le système des données subjectives à partir de cela. La donnée initiale c’est que l’autobus qui conduit les enfants du village à l’école a un accident : les enfants sont tués. Donc c’est un village où les enfants disparaissent subitement dans une catastrophe. Qln vient enquêter là-dessus, du dehors. C’est un roman plus choral, plus collectif, et qui va révéler les arêtes fondamentales de la vie de la collectivité avec comme fil conducteur une histoire d’inceste en particulier traitée avec à la fois une délicatesse et une force exceptionnelles. Cette question est très agitée aujourd’hui, et on a là un témoignage romanesque singulier sur ce pb.

- le pourfendeur de nuages, sans doute le livre essentiel : sur le personnage de John Brown, au 19ème siècle, qui s’est levé contre l’esclavage, a organisé un petit groupe militant armé violent contre l’esclavage, s’est emparé un matin d’une ville du Sud, a appelé les esclaves à la révolte. Aucun n’a bougé, aucun ne s’est révolté. Il est resté dans une séparation complète avec le peuple noir et a été pendu. C’est un perso très connu et RB reconstruit cette figure historique de façon exceptionnelle dans l’Amérique du 19ème siècle. Au fond sous ce personnage, cette équipée sous un impératif moral absolu (il terrorise sa famille, il est comme un prophète biblique, il a une espèce de grandeur puritaine étonnante), RB parle de lui et des expériences révolutionnaires aux USA dans les années 60. Parce que il parle des panthères noires, des weather men, et était lui-même membre d’un groupe gauchiste jusqu’au début des années 70 (il a été un activiste révolutionnaire américain), ça a été un marquage essentiel de sa vie. Et dans l’agrandissement épique de la figure de JB on retrouve ce paradoxe violent de la cause juste, impérieuse et juste, mais qui est traitée dans un chemin si exemplairement moral qu’elle ne parvient pas à trouver le chemin de sa constitution véritable et où finalement elle se transforme en témoignage singulier à propos duquel le romancier reste dans l’expectative, comme il est naturel. JB est une figure d’une puissance extraordinaire, comme le capitaine Achab dans Moby Dick, mais c’est une figure aussi ambivalente car elle symbolise que si l’on s’oriente par un impératif qui est construit de telle manière qu’il n’a pas la suffisance propre de se lier aux gens concernés, alors ça se transforme en destin et en solitude.

 

Ces livres ne nous éloignent pas de notre propos, trouver une morale sans morale, une morale démoralisée, une morale qui ne s’expose pas à crée la figure de JB. JB était un militant radical, radical disent les américains, entre progressiste et révolutionnaire (en français le mot n’a pas d’équivalent). La chose non plus n’a pas d’équivalent, c’est signifié par le fait qu’il n’y a pas de transposition possible dans la langue. C’est en réalité une posture indécidable entre la politique et la morale. C’est le point qui fait qu’elle n’est pas transposable aisément dans notre lexique classique. C’est une figure dans laquelle l’impératif de donner sens à l’existence ne peut pas être décidé comme impératif à structuration singulièrement politique ou exemplairement. Ce qui fait aussi qu’entre l’action efficiente ou le processus et l’action exemplaire il n’y a pas vraiment de distinction. Et je dirais qu’à la limite entre le militant et le saint il n’y a pas de différence véritable. En réalité l’épopée de JB, qu est celle de la libération des noirs, est une sainteté personnelle, terminée par le martyre, comme il se doit. Mais JB est plus le saint ou le prophète qu’il n’en est en notre sens le militant ou le dirigeant politique. Et ça, cette figure qui crée une indiscernabilité entre morale et politique dans le champ des questions effectives, dans le champ du réel, c’est la figure qui est réellement nommée par le radical américain. Elle nous intéresse car met à l’ordre du jour de façon tout à fait puissance qu’est-ce que c’est que s’orienter dans la pensée / l’existence à partir du moment où la maxime est claire. C’est là où on voit que cette question de l’orientation n’est pas réductible à sa maxime, c’est la difficulté. Après tout la maxime nous voulons, désirons devons lutter l’esclavage et pour l’émancipation des noirs est une maxime indubitable, indiscutable. Maxime partagée, exemplairement partagée. Et JB porte à son comble d’incandescence cette maxime, il voue intégralement sa vie à cela, avec une violence et une autorité extraordinaire, et il est prêt à la sacrifier s’il le faut. Il est le soldat de cette cause pour parler le lexique de cette cause, et l’action qu’il va entreprendre est une action armée. Mais la maxime ne résout pas la question, la maxime ne contient à elle seule la question de l’orientation.

C’est un point de vue qui distingue la question de l’orientation de la question morale au sens de Kant. Agir selon une maxime universalisable, sans doute. Il est bien vrai qu’il faut agir et orienter son existence selon une maxime universalisable dans tous les ordres de l’action et de la création. Mais ça ne dit pas encore ce dont il s’agit. La maxime doit encore être comptable du processus de son effectuation événementielle, du processus de sa subjectivation véritable. En l’occurrence le pb de JB est de savoir quel type d’accès il traçait entre lui et la subjectivité historique de la fraction noire américain. Et ça c’était un autre pb que celui de la maxime, c’est le pb de son effectivité. C’est le pb de la procédure de vérité : la maxime comme telle reste en effet toujours indécidable dans notre exemple entre la politique et la morale. C’est là que s’est établi une bonne partie du mouvement radical américain, c’est là que s’est établi RB pendant une bonne période de son existence et c’est là-dessus que RB romancier médite dans l’espace du roman, le roman permettant de ne pas trancher tout à fait, ie de maintenir la figure, de maintenir qch de la critique de la figure et de maintenir l’indécidabilité entre la figure et la critique de la figure, ie l’indécidabilité entre la morale et la politique dans l’élément romanesque lui-même.

Dans son entretien au Monde, RB, né en 1940, activiste des années 60-70, il y a 2 choses qui m’ont bcp frappé.

sur l’évolution de la situation : « à un moment donné, dans les années 80 et 90, je me suis aperçu que la quasi-totalité des étudiants étaient plus à droite que moi. Et un peu plus tard, je me suis aperçu que dans ma classe j’étais le seul à être vraiment radical (au sens américain) ». ça m’a touché. Je ne le dis pas contre vous ! « ce n’est pas tellement que les étudiants soient devenus plus réactionnaires » (il est gentil !), « la situation elle-même dans son ensemble s’est déplacé ». Le monde a glissé, s’est déplacé. Il dit que l’USA est devenue bien plus réactionnaire, elle s’est enfoncée etc… Il y a toujours qch comme un mvt général. Les catégories de présentation politique américaine et en particulier l’indécision entre morale et politique crée un univers subjectif très différent, avec ses qualités (cf JB : l’avantage de l’indistinction entre morale et politique est de mettre immédiatement à l’ordre du jour le courage). Il faut rendre cet hommage aux jeunes radicaux américain, c’est que en tout cas ils sont courageux, absolument. Le courage y est une vertu partagée et plus répandue qu’ici. Il y a ici une strate de peur, le courage n’est pas la vertu la plus partagée par les français. Mais en même temps il y a ce mouvement d’ensemble de glissement, décalage, déplacement, dont il témoigne à sa manière. Le pb est de savoir dans quelles conditions s’opérera une transmission. Quand le monde change il faut faire autre chose, accordons ce point, mais ce n’est pas la même chose que faire autre chose tel que qch est transmis de l’héritage antérieur et être dans une séparation complète (et on voit que RB inscrit son œuvre sous le signe de la transmission). Ce qui se trouve à l’ordre du jour est une transmission, pas une accusation (j’avais les cheveux blancs mais j’étais le plus radical).

 

il dit aussi le contraire de ce qu’on a dit les 2 fois précédentes : il se demande comment aux USA se constituent les conflits. On l’a abordé ici depuis 2 ans : comment se constitue le conflit ? Qu’est-ce qu’un vrai conflit, un faux conflit ? qu’est-ce qu’un adversaire ?

Sa réponse est 2 choses :

- il renvoie immédiatement à des groupe constitués de caractère généalogique et racial (c’est absolument américain aussi). Afro-américain, hispano-américain, américains d’Europe etc.. Il y a un partage en termes de groupes culturels (ils sont aussi raciaux, historiques, géographiques), mais disons constituée autour de référents culturels communs.

- ensuite, 2nd point, le conflit ou la différence de vision ne porte pas sur les faits (ils sont tous d’accord sur les faits qui ont constitué l’histoire des USA) mais ils ne sont pas d’accord sur leur interprétation.

Il propose une interprétation des conflits en termes de groupe, groupe culturels

Il élucide les conflits en termes herméneutiques

Je soutiens le contraire ici : tout conflit véritable porte sur des assertions d’existence et pas sur des interprétations d’une existence supposée partagée. Ça m’a intéressé car ça portait sur le rapport entre interprétation et existence dans la question de l’orientation. RB se posait la question des conflits pour savoir ce que pouvait être aujourd’hui une orientation radicale, émancipatrice à l’intérieur des USA. Il répondait : le conflit est un conflit des interprétations sur une base historique finalement communément partagée ou communément acceptée. Evidemment ça m’a renforcée dans l’idée que la question de l’existence était véritablement décisive dans l’affaire qui nous occupe ici, en tant qu’elle est le support de l’orientation, et non pas seulement le support des interprétations à partir desquelles s’orienter. Autrement dit c’est cette idée qui semble très abstraite mais qui est fondamentale, que l’orientation est à même l’existence, et n’est pas médiée par une interprétation. Par conséquent, le conflit n’est pas conflit des interprétations mais conflit d’assertions. Ou si vous voulez un conflit de décision d’existence ou de constat. Donc il y a un désaccord avec RB, que je ramènerai au point précédent : si la question est une question de différence des interprétations, alors qu’en définitive c’est une question morale, ce n’est pas une question de procédure de vérité ; Si c’est une question de procédure de vérité, à l’inverse, la question décisive est celle de qu’est-ce qui existe ? et bien entendu, à l’intérieur de l’existence, qu’est-ce qui n’existe pas ? Car nous le verrons, la question de l’existence est aussi celle de l’inexistant, c’est en fin de compte la question de l’inexistant qui est le point fondamental d’orientation. Je l’ai maintes fois indiqué.

Et donc nous allons repartir de cette question de l’existence aujourd’hui.

 

Je refais notre trajet en d’autres termes, pour en venir à la question d’aujourd’hui. Je refais notre trajet en termes de projet, en termes de maxime et en termes de figure.

- en terme de projet, finalement nous cherchons une morale provisoire des temps intervallaire, sous l’hypothèse que nous sommes dans un temps intervallaire, un temps entre une séquence de l’orientation générale et une autre séquence qui n’est pas encore construite ou lisible. Donc nous sommes dans un entretemps du temps, tel est notre site historique. On peut dire aussi nous sommes dans un temps provisoirement désorienté et donc nous cherchons une orientation pour temps désorientés, sur fond de temps désorienté. Ça concerne bien l’orientation de l’existence. Peut-il y avoir une orientation minimale de l’existence dans un temps désorienté ?

J’introduis l’autre hypothèse, je le dis en passant, qui est l’hypothèse nihiliste, à savoir qu’il n’y a que la combustion de l’existence elle-même, car en temps désorienté il ne faut pas espérer une orientation. Tout ce qu’on peut propose est une pure et simple combustion instantanée de l’existence elle-même, et l’orientation est un rêve archaïque. C’est l’orientation nihiliste, très courante aussi. Son espace de déploiement est particulièrement ouvert en temps désorienté. Le nihilisme croit dans les temps intervallaire, faisant en quelque sorte maxime de la désorientation. Car le nihilisme profond fait en temps désorienté maxime de la désorientation elle-même. Il prend la loi du temps comme maxime subjective. Le temps est désorienté, je serai absolument dans la désorientation, dans l’existence brute, dans l’existence qui affirme son droit à sa propre combustion, à son propre incendie.

Notre projet peut être dit projet non nihiliste pour temps désorienté : peut-on soutenir autre chose que l’incendie de l’existence quand le temps est un temps intervallaire et désorienté ? j’ai flirté avec le mot cartésien de morale provisoire, pour Descartes c’est prendre une décision d’aller tout droit quand on est perdu dans une forêt (mais aller tout droit dans une forêt, c’est là tout le pb !). On va essayer d’aller tout droit, mais ça c’est le point par lequel il propose une morale provisoire par temps désorienté : vous êtes perdus, vous pouvez en tout cas avoir pour maxime de vous tenir à ce que vous avez décidé.

 

- en termes de maxime, je vous rappelle qu’on a dit que les maximes sont des maximes de conséquence et de capacité. Si on tient un point en tout cas il faut en assumer les csq, ne pas se laisser désorienter dans la csq de ce qu’on tient. J’ai proposé de nommer cela la constance. Et puis la maxime de capacité c’est se déclarer capable de tenir les csq précisément, faire confiance en sa capacité au-delà de la représentation, de ce qui en est proféré par les autres. Et puis Descartes lui-même dit que si on fait confiance à sa capacité en un certain sens on devient capable. Ça c’est la maxime de confiance, avoir confiance, et avoir confiance en la confiance qu’on a en soi-même. Alors plus précisément la constance ça veut dire exister selon un principe ou un énoncé primordial, dont on tient les points successifs, dont on tient réellement les points (pas comme JB). Ie la construction de la maxime dans le réel se fait point par point. Donc la constance veut dire non pas seulement tenir la maxime, mais plus essentiellement tenir les points successifs de son effectuation. Ie tenir l’existence du principe, et non pas seulement son sens ou sa possibilité. On a une distinction entre sens et existence, comme on aura celle entre être et existence. Agir avec constance selon un principe n’est pas seulement tenir le sens de ce principe mais c’est le faire exister (c’est la fidélité véritable, qui n’est pas dans la continuité du sens mais dans la discontinuité des points successifs qui matérialisent leur réel, la fécondité de la maxime). Donc ça tient aussi à l’existence. Enfin la confiance veut dire que je suis capable de ce type d’orientation de l’existence, et que cette capacité est aussi dans l’épreuve des points. La capacité à affirmer subjectivement, à être avérée dans la tenue des points. Entre parenthèse, si on commence à être dans le sens de la maxime on va se demander comment subjectivement on est à la hauteur de la maxime (on a ça chez JB mais aussi dans toutes les figures archaïques du guerrier : je suis à la hauteur de la maxime). Et l’action devient pour part un spectacle, elle est dans le spectaculaire de la monstration du héros comme étant à la hauteur de sa maxime. Ce n’est pas une critique. On ne peut plus décider si c’est de la figure du héros qu’il s’agit ou du sens de la maxime car c’est permutable. C’est tout le contenu effectif de la catégorie cornélienne de gloire : le théâtre de la gloire, c’est avérer ou montre dans le spectacle de l’action elle-même que le sujet est à la hauteur de la maxime. Or ça, ce point est précisément celui qui d’une certaine manière interdit l’existence de la maxime car cela requiert non le principe de constance et de confiance mais un principe de gloire précisément, d’exception spectaculaire. Je suis moi en tant qu’exception à la hauteur du principe que je produis. Et on voit très bien, je reviens à JB, que JB dans pourfendeur de nuages se représente comme celui qui est à la hauteur de la maxime générale de l’émancipation des noirs. C’est sa manière à lu ide faire exister le sens de la maxime, de se déclarer comme étant le seul à vrai dire effectivement à la hauteur du sens de la maxime. Si vous raisonnez autrement, si vous pensez que la matérialité de la maxime c’est son traitement point par point, alors vous n’avez pas à vous poser la question de savoir si vous êtes à la hauteur du sens de la maxime. La confiance ne porte pas sur ce point, sur la représentation de la subjectivité comme étant à l’altitude de ce dont elle se déclare capable. La subjectivité doit simplement traiter un point, qui sans doute est une matérialité de la maxime, mais qui ne fixe pas une hauteur du sens de la maxime. C’est important : la morale provisoire n’est pas une morale de l’exception, elle ne requiert pas que vous forgiez une subjectivité dont l’altitude ou l’intensité propre est mesurée par le sens d’une maxime ou le sens d’un impératif. Et donc il n’y a pas d’héroïsme du sens, on n’est pas dans cet élément. Et je soutiendrais qu’aujourd’hui, l’héroïsme du sens conduit inéluctablement au nihilisme. Si on soutient aristocratiquement qu’on doit être à la hauteur du sens de la maxime, cette maxime elle-même devient une maxime négative. Il n’y a pas de possibilité de faire fonctionner ce dispositif avec des maximes affirmatives qui sont réelles et qu’on doit traiter point par point. SI on doit traiter point par point ; on n’est jamais suffisamment dans la représentation de soi-même comme à la hauteur du sens général de la maxime. Et donc nous devons certainement défaire la tentation de considérer la morale provisoire comme une morale de l’exception. Cette tentation aristocratique ou guerrière reconduit enfin de compte dans le monde tel qu’il est, dans le monde intervallaire tel qu’il est, et nécessairement donc au nihilisme. La seule maxime à la hauteur de laquelle on puisse prétendre être est en fin de compte la maxime de la destruction de soi dans l’incendie de l’existence. Au fond, tout héroïsme aujourd’hui est mortifère (se représenter soi même comme à la hauteur d’une maxime universelle). Pourfendeur de nuage, figure immense mais en définitive mettant à l’ordre du jour un nihilisme éthique, pas un nihilisme cynique (peut-être faut-il distinguer les 2, idée qui me vient maintenant à l’esprit). Le nihilisme éthique c’est transiter par la représentation de la subjectivité comme à la hauteur de la maxime générale qu’elle se propose d’effectuer. Le nihilisme cynique, c’est à moi ma jouissance quotidienne. Voilà !

 

- en termes de figure, nous avons regardé la dernière fois la figure poétique du soldat, qui a été le plus puissant paradigme de la connexion entre constance et confiance, entre la levée en masse de l’époque de la Révolution Française et des guerres mondiales. Même le militant politique révolutionnaire de cette période a été sous ce paradigme : il s’est représenté et a été représenté comme un soldat de la révolution, cela pour une raison que j’avais dépliée sur le siècle, ie que la révolution elle-même était sous le paradigme de la guerre, la dernière, finale, fondamentale, la lutte finale comme guerre finale. De ce point de vue le militant était dans la figure du soldat. Pas étonnant : après tout cette figure du soldat a émergé dans le contexte révolutionnaire lui-même, dans la .. de la RF. Il y a un lien originaire entre cette figure et celle de la révolution. Nous avons dit que le soldat, métaphysiquement et poétiquement, c’est l’exposition de l’existence à la mort en tant que création d’immortalité. C’est pour sa que sa célébration se fait toujours sous le signe de l’immortel : c’est pourquoi c’est un monument au mort. Mais tout monument à l’immortalité est aussi en évidemment en même temps essentiellement un monument aux morts. Nous avons dit  cette figure du soldat si essentielle qui paradigmatiquement a été une figure d’orientation majeure, est une maxime de csq (c’est aller jusqu’au bout de l’exposition de l’existence, proposer l’existence à une exposition qui n’accorde même pas à la mort d’en être la limite, une exposition intégrale de l’existence qui n’accorde pas à la mort son pouvoir de limitation) et puis c’est une maxime de capacité car le soldat est anonyme, tout un chacun peut l’être. D’ailleurs dans la légende poétique et narrative fourmillent les exemples de l’anonyme, de l’homme quelconque, indistinct qui s’avère capable de la figure du soldat (la littérature révolutionnaire encore plus que les autres ! l’anonyme devient soldat de la révolution). Donc le soldat comme figure du héros anonyme en tant que paradigme du noeud entre csq et capacité ou entre constance et confiance.

Que ceci soit le paradigme sous lequel se décrit le héros révolutionnaire, nul texte n’en témoigne plus qu’un petit texte de Mao : « servir le peuple ». Septembre 44, je vous le recommande ! Discours quand un militant est mort, une oraison funèbre. Il commence par citer un écrivain chinois antique, comme on commence toujours en Chine par citer qln qui a dit la vérité il y a 3000 ans déjà. On commence comme ça, et le chinois qui a tout dit 3000 ans avant a dit que la mort est chose fréquente, mais il y a 2 sortes de mort : il y a des morts qui ont le poids et la puissance du Mont Tai chan, et des morts qui sont plus légères qu’un plume. Mourir dans la figure du soldat de la révolution est une mort immortelle, comme le mont tai chan, la mort des impérialistes, des corrompus, des comprador, n’a pas plus de poids qu’une plume. Donc ce qui m’intéresse ici c’est que la mort est évaluée en tant et selon l’orientation de l’existence. Selon la manière dont on a orienté son existence, la mort n’est pas la même. Ce qui veut dire que la mort est une partie de l’existence. Elle n’est pas le contraire ou son revers, elle est interne à l’existence et par csqt interne à l’orientation de l’existence. Donc contrairement à ce qu’on pourrait croire la mort n’est pas ce qui réunit tout le monde dans un destin commun. La mort n’est pas une puissance de désorientation, la mort est elle-même prise dans l’orientation de l’existence. En quoi une fois de plus Mao s’avère être un adversaire de Staline. Il y a une phrase de Staline que Malraux cite très souvent, et dont il raconte que Staline la lui a dite personnellement. C’est une phrase de Malraux, personne ne peut vérifier. Staline lui aurait dit, et je crois qu’il aurait été capable de lui dire : « vous savez, à la fin, c’est toujours la mort qui gagne ». Voilà ce qu’aurait été la sentence de Staline. Ce n’est pas ce que dit Mao ! A la fin c’est toujours la mort qui gagne veut dire : vous pouvez être dans un camp ou dans l’autre, à la fin c’est la mort qui gagne, l’anonymat universel qui recouvre et indistingue les différences. Mao dit le contraire : à la fin ce qui gagne, ce n’est pas la mort, c’est l’orientation de l’existence. C’est l’orientation de l’existence, et la mort elle-même sera spécifiée, qualifiée, différenciée par l’orientation de l’existence. Il y aura des morts qui seront célébrées comme ayant la puissance et la force du mont Tai Chan et des morts insignifiantes, et cela aura été décidé par l’existence et non pas la mort elle-même. Il dit après : désormais, quand qln mort parmi nous, il faut absolument faire une réunion, parler de lui, et faire un cérémonie en son honneur. Il dit il faut faire ça qu’il soit cuisiner ou soldat. Qd qln meurt nous devons nous réunir, parler de ce qu’il a fait, et quelle a été l’orientation précisément de l’existence de cet homme. J’aime bcp le qu’il soit cuisiner ou soldat : c’est l’anonymat reconnu. Devant la mort on  peut juger de l’orientation de l’existence. Et l’orientation de l’existence, ça ne dépend pas de la position sociale, des talents etc… Elle est intrinsèque, c’est à même l’existence : quand vous regardez une existence, vous devez y lire son orientation essentielle, ça inclut le poids spécifique de la mort et c’est ce dont on doit parler ensuite, qu’il s’agisse d’un générale, d’un maréchal, d’un soldat ou d’un cuisiner, égalitairement.

 

Je voudrais reprendre l’opposition que j’avais instruite la dernière fois entre cette figure, qu’il soit cuisinier ou soldat, et la figure du guerrier de l’épopée classique, dont je vous avais dit que c’est un nom propre (c’est pas cuisiner ou soldat, c’est Achille, Jason, Hercule), c’est une exception épinglée au nom propre, le contraire du soldat anonyme, du soldat inconnu (il doit être connu comme inconnu, célébré dans son anonymat lui-même, sans l’autorité du nom propre). Le guerrier va se faire un nom dans les combats, et d’autre part c’est un destin : lien, connexion entre exception et destin, se faire un nom propre et accepter ce qui arrive dans la figure que dès qu’un nom propre a un destin, après tout on a quelque chose de singulier et d’héroïque. J’opposais exception et destin à confiance et constance. Je vous disais : la figure révolutionnaire du soldat a succédé à la figure aristocratique du guerrier construite dans la corrélation entre exception et destin et non pas construite dans la corrélation entre csq et capacité ou confiance et constance. Et alors il me semble, idée supplémentaire que je voudrais introduire aujourd’hui, que le monde contemporain, qui a raturé le soldat dans ce monde (le soldat figure qui s’éloigne à une vitesse exceptionnelle), il a tendance à se nourrir d’une légende noire du guerrier. C’est frappant au cinéma : il est rempli de guerrier pseudo-médiévaux. Moins il y a de soldats réels, plus il y a de guerriers imaginaires. Quand la figure du soldat est raturée, la figure du guerrier prolifère. Et il y a aussi le « guerrier » (de caricature en vérité) de la légende urbaine contemporaine : mafieux, trafiquant, faux rebelle, tout ce matériau de la fiction contemporaine, où on voit le chef de bande, le jeune guerrier roulant des mécaniques et qui lui aussi se fait un nom, dans l’espace de la querelle urbaine et de son anarchie. Quelle est cette tentative d’appropriation complètement décalée de la figure du guerrier ? Je pense qu’elle vient là où le soldat s’absente. Si vous permettez une interprétation métaphorique ou poétique de la question de l’islamisme (ce n’est pas qu’elle me passionne), je dirais que la proposition islamique est : vous n’avez pas besoin de faire semblant d’être des guerriers car nous allons vous proposer d’être des soldats. Je cherche à comprendre pourquoi elle peut marcher, et je pense que c’est pour cela. Socialement on dira c’est la lutte entre le fondamentalisme islamique et la figure de la légende urbaine du bandit, mafieux, trafiquant, du chef de gang, du rappeur rebelle etc… qui dans leur nom propre, costume, apparat sont des caricatures de guerriers. Ie des choses qui se tiennent dans la corrélation entre exception et destin. Mon destin, que je traite comme une exception. En fin de compte, il peut très bien y avoir un moment où on propose comme alternative à cette figure fictive du guerrier des trottoirs la possibilité du retour de la figure du soldat, soldat de l’islam par exemple, mais peut-être de n’importe quelle autre figure du soldat aussi bien. Il me semble que ce qui se joue là n’a rien à voir avec ces fariboles sur le retour des religions, la guerre des civilisations etc… et tout cet emphatisme qui ne tient pas compte du fait précis et essentiel que Dieu est mort depuis longtemps, et qu’il ne ressuscitera pas (il ne peut pas ressusciter en dépit de ce qu’il nous a raconté pendant longtemps). C’est une fausse piste, une idéologie de guerre. Par contre le fait que ça ait à voir avec la subjectivité de la jeunesse ça je veux bien le croire, la subjectivité de la jeunesse en tant que lieu privilégié du partage et du conflit entre la figure du guerrier et celle du soldat, de la jeunesse masculine. Car il y a un pb de la masculinité : on parle toujours des femmes, mais les hommes après tout ? C’est aussi assez compliqué ! Et il ne faut pas sous estimer le rapport historique profond qui a existé entre des millénaires pendant des figures de la masculinité et les figures successives du guerrier et du soldat. Et ce n’est pas vrai que la disparition de ces figures se fait sans trace. Personne ne peut imaginer ça subjectivement. On sait très bien que en effet ces figures restent absolument omniprésentes dans l’imaginaire de la jeunesse d’aujourd’hui (regardez le moindre jeu vidéo, c’est l’histoire de guerrier qui extermine les monstres, est dans la quête du graal). C’est ça le matériau, et ce matériau est prégnant. Je ne prends pas position pour savoir si c’est bon ou si c’est mauvais et si on les habituait à autre chose ce serait meilleur etc… c’est comme ça. Et à travers ça ce qui chemine c’est le remplissement de la place ide du soldat par l’imaginaire du guerrier. Là où venaient la confiance et la constance viennent en réalité l’exception et le destin. C’est ça qui remplit et structure cet imaginaire. Il ne faut pas s’étonner su qln vient et dit « patiemment écoutez finalement il n’y a pas de raison d’être dans l’imaginaire nihiliste du guerrier car vous pouvez être dans la figure positive du soldat », que qln puisse être entendu quand il dit ça. Pour une raison d’autant plus fondamentale que la figure du guerrier aujourd’hui est une figure inappropriable. Donc elle est vouée à l’imaginaire nihiliste. Elle y est vouée, elle n’a pas de substance, de soutien, c’est réellement une figure de cinéma, de jeu vidéo. C’est une figure de légende. Et comme figure de légende, elle ne porte que le nihilisme à la fin des fins. Comme toute figure idéelle ce qu’elle véhicule dans le monde tel qu’il est, c’est en réalité 2 choses : la marchandise et la combustion de l’existence. La marchandise dans le pire des cas, le guerrier est alors une figure de trafiquant, ou alors c’est une figure de rebelle véritable mais alors elle se réalise dans l’incendie et la combustion suicidaire de l’existence. Il faut conclure aujourd’hui qu’il n’y a pas de figure à proprement parler. C’est peut-être la définition la plus radicale de ce qu’est un temps intervallaire : c’est un temps où il n’y a pas d’orientation, où elle est forgée dans la désorientation, et ça se donne à même l’imaginaire, en particulier dans l’imaginaire de la jeunesse, à la fin des fins de la jeunesse masculine, dans la figure de l’absence de figure, ou dans l’opposition d’un faux guerrier et d’un faux soldat. Cette figure qui fonde la subjectivité sur le faux guerrier et le faux soldat, c’est le pb subjectif de cette jeunesse, et c’est un pb dévastateur. Il faudra bien en venir à une proposition d’orientation qui outrepasse ces figures. Nous avons à aller au-delà de ces figures, nous avons à figurer autre chose. Pour cela, il faut reprendre tout. Il faut reprendre tout, et reprendre pour ce qui nous concerne ici, reprendre au ras de la question de l’existence pour commencer. Le progrès essentiel réalisé par la figure du soldat sur la figure du guerrier, en tant que paradigme de ce qu’est une existence absolument orientée, ça a été le progrès tenant à ceci qu’il n’y avait pas la médiation du nom propre, il y avait qch à même l’existence. Cela pouvait se dire en effet qu’il soit cuisinier ou soldat, ie qu’il soit personne, cela n’a pas d’importance, il n’a pas à se faire un nom, il est là, dans l’existence orientée comme telle et elle doit être saluée à ce titre. Nous devons sans doute garder contre la figure du guerrier l’anonymat égalitaire essentiel, nous devons aussi concevoir que contrairement à la figure du soldat ce n’est pas dans le paradigme de la guerre. Voilà les 2 exigences du moment, difficiles à concilier et réaliser.

 

Repartons de la question de l’existence, du rapport entre la mort et l’existence du point de vue de l’orientation. Ce que j’ai à dire dans l’immédiat  n’est qu’un commentaire du papier que vous avez. La dernière fois c’était de la poésie, aujourd’hui qch qui s’apparente aux mathématiques, la philosophie embrassant leur connexion, c’est sa radicalité.

Il s’agit de savoir ce qu’on va appeler existence, de se mettre d’accord sur une définition puisque la question de l’orientation c’est se mettre à même l’existence. Prenons dans l’ordre et partons de l’être comme tel dans la figure que nous retenons de la multiplicité indifférente. Cette multiplicité indifférente on dira qu’elle est sans existence ni inexistence. L’être pur est indifférent à la différence entre existence et inexistence. Il est, et être se suffit à soi-même. Nous sommes dans une intuition fondamentale de Parménide, notre père à tous (comme dit Platon), qui est que pour autant qu’on s’ouvre à l’accès à l’être, ie qu’il y a un penser de l’être, alors ce penser est nécessairement indiscernable de l’être lui-même. Parménide le dit : « être et penser sont la même chose ». Et cela c’est l’expérience que nous faisons des maths elles-mêmes, si en fin de compte le 1er disciple de Parménide, ie le 1er infidèle, le 1er hérétique aussi, à savoir Platon, a posé les mathématiques comme condition radicale de la philosophie, c’est car dans les maths nous faisons l’expérience d’une indistinction effective entre la pensée et l’être. Ie ce qui est pensé en maths n’est pas séparable de cette pensée elle-même. Il n’y a pas d’existence séparée du cercle de la pensée du cercle. Ça vous pouvez l’expérimenter. Il n’y a pas de figure séparable. Donc l’expérience mathématique c’est d’abord et avant tout l’expérience d’une indistinction entre être et penser et par csqt d’une inséparabilité de l’existence  de ce qui est pensé de la pensée, ie de l’être.

Ce qui nous amène sur une réflexion entre existence et identité. Ça va être tout à fait important : quelle est la relation entre existence et identité ? Quand je pense l’identité du cercle, son identité math, ie l’identité qui n’est pas qch de rond, de tel cercle etc... mais du cercle en soi, du cercle comme tel, je ne peux pas séparer son existence (car elle n’a pas de lieu autre comme pensée), quelle est son identité si elle n’est pas séparable de son existence ? Il faut trancher sur la question de l’identité dans l’être. Pour ça on va revenir sur l’idée que l’être c’est à la fin des fins la multiplicité quelconque, dont le cercle en soi n’est qu’un des avatars. On dira, 1ère version, ce que c’est que l’identité d’une multiplicité : ce sont ses éléments, qui sont eux-mêmes des multiplicité. On représentera dans une indistinction entre pensée et être l’identité d’une multiplicité comme identité de ses éléments. Par csqt on dira que 2 multiplicités quelconques sont les mêmes, ie la même, quand elles ont les mêmes éléments. cf schéma. On dira que l’identité pure des multiplicités quelconques est purement extensionnelle, ie c’est une affaire de composition élémentaire. Une multiplicité c’est l’ensemble de ses éléments, ces éléments sont eux-mêmes des multiplicités, et quant à l’identité elle est extensionnelle (dès qu’un élément est dans l’un et pas dans l’autre, c’est différent). Remarquez de ce point de vue que la différenciation peut se tester localement, toujours. Si on dit que 2 choses sont différentes, on peut montrer qu’un élément est dans l’une et pas dans l’autre. La différence est extensionnelle, pas qualitative (rouge / jaune). Toute différence est extensionnelle dans l’être pur.

Pour récapituler, au niveau de l’être pur, ie au niveau du systèmes des multiplicités mathématiques pensables, nous retenons 2 caractères essentiels :

- il n’y a pas de question d’existence formulable comme telle, car il n’y a pas de séparation de l’existence d’avec l’être de la chose, pas de différence entre l’être et la pensée

- l’identité est extensionnelle, ce qui veut aussi dire qu’il n’y a que 2 cas : ou 2 multiplicités sont la mêmes, ou elles sont différentes. Il n’y a pas de possibilité intermédiaire. Le fait que la différence soit extensionnelle entraîne que la logique est binaire : ou c’est la même chose, ou ce n’est pas la même. C’est identique ou c’est différent. Il n’y a pas de médiation entre identité et différence. Ce qui veut dire aussi que l’identité de ce point de vue est non dialectique (la médiation entre identité et différence est le ressort de toute dialectique). Voilà ce qu’on peut dire pour l’identité dans l’être.

 

Nous pouvons dériver de cela le point que l’instruction de la séparation entre la pensée et l’être, dès qu’on sort de la prescription de Parménide (la pensée et l’être c’est la même chose), ce n’est pas au niveau de l’être pur comme tel. En fin de compte, Parménide a raison à sa manière : si on est dans la pure pensée des multiplicités indifférentes comme support et constituant ontologique de tout ce qui est, il est bien vrai qu’il n’y a pas de différence entre la pensée et l’être. Encore une fois, c’est l’expérience math comme telle. Il est vrai aussi qu’il n’y a ni changement ni mobilité ni quoi que ce soit de ce genre. Car une mobilité quelconque telle qu’elle est représentée là dans son identité stricte n’est pas susceptible de devenir autre qu’elle n’est. Du point de vue de la différence extensionnelle, rien ne peut devenir autre qu’il n’est. La chose est ce qu’elle est, ou elle est une autre, mais il n’y a pas de figure de transition. Pour qu’il y ait des figures de transition, il faut naturellement qu’il y ait une figure de médiation entre l’identité et la différence. Cela suppose qu’il y ait une dialectique de la différence et de la non différence, une philosophie de l’histoire, du devenir, comme chez Hegel. Pourquoi ? Parce que pour lui, au cœur de tout, il y a des figures de médiation entre l’identité et la différence, il y a de la différence dans l’identité elle-même, simplement il y a une identité de la différence de l’indifférence. C’est anti-parménidien par excellence. Si on est dans la strate de l’être en tant qu’être, de la multiplicité sans prédicat, de la multiplicité pure, définissable exclusivement comme multiplicité de multiplicité, alors il n’y a rien de tout cela, il n’y a pas de médiation entre identité et différence. Donc nous soutiendrons, avec Parménide, que l’être pur est absolument immobile. Absolument immobile dans l’identité indiscernable entre être et pensée. C’est d’ailleurs le substrat de la joie mathématique. C’est aussi un facteur d’épouvante et de terreur. Mais au-delà de cette terreur il y a la joie qui est la joie de l’immobilité éternelle de l’être dans sa figure d’identité entre être et pensée. Pas besoin d’aller chercher Dieu pour ça. Le cercle suffit ! Le cercle ou le nombre est bien aussi grand que Dieu : que nul n’entre ici s’il n’est géomètre. Ce n’est pas : que nul n’entre ici s’il n’a été au catéchisme. L’être dans la splendeur de sa commutabilité avec la pensée, mais il faut un peu d’effort pour y arriver. Ça vaut la peine ! C’est l’inséparabilité.

Mais alors qu’est-ce qui sépare ? Ce qui sépare, c’est évidemment toujours la question du lieu, quand quelque chose doit venir en un lieu. Tout change, tout change car l’être pur assigné à un lieu introduit un élément de contingence. Car s’il est vrai que l’être pur comme multiplicité indifférente est commutable à l’immobilité de la pensée, rien en lui-même n’indique qu’il est assignable à tel ou telle localisable. Cependant il est en définitive de l’essence de l’être en tant que réel de se localiser et donc un élément de perturbation est introduit dès que vous le pensez non pas en tant qu’il est mais en tant qu’il est là. C’est pourquoi je vous dirai que la difficulté fondamentale de la pensée est toujours le lieu. Il n’y a pas d’autre difficulté pour la pensée que l’espace, je prends ici espace en un sens très très vaste, l’espace en tant que figure topologique de l’être, l’espace en tant qu’en définitive il est de l’essence de l’être d’être là (ce que demande déjà Platon). C’est là que les choses deviennent difficiles, c’est là qu’on sort des mathématiques, qu’on sort de la mathématicité pure, de la mathématicité comme telle qui elle vous présente la multiplicité hors lieu. La mathématique c’est le nom du lieu du hors lieu.

 

Alors l’être en tant que localisé, en tant qu’assigné à un lieu, je propose de l’appeler son apparaître, l’être en tant qu’il apparaît en un lieu ou qu’il apparaît là. C’est lui-même qui apparaît : il n’apparaît pas pour un sujet, pour une conscience, pour un regard, l’apparaître est un mouvement immanent de l’être lui-même en tant qu’il est localisé. Ce n’est donc pas autre chose que le multiple pur tel qu’il est mathématiquement pensable qui advient en un lieu. C’est lui qui advient là. Il ne faut pas considérer que l’apparaître est une espèce de surface ou de falsification phénoménale de l’être en soi, comme chez Kant par exemple. L’apparaître n’est pas ce qui nous apparaît en tant que cette apparition soustrairait l’être véritable derrière le rideau d’une apparence. Apparaître (le verbe) est simplement la localisation de l’être comme tel et c’est lui en personne qui est localisé, ie une multiplicité indifférente vient à être localisée en un lieu.

Que veut dire être là ? C’est assez complexe dans son articulation générale. Que veut dire qu’on ne soit plus dans l’être pur mais dans l’être là ? ça veut dire que sa structuration interne cesse d’être réductible au principe extensionnel. Il n’est plus vrai dans l’ordre de l’apparaître, et ça nous le savons d’expérience, que 2 choses soient semblables, ressemblantes, identiques, différentes, exclusivement pour la raison qu’elles ont des éléments que l’autre n’a pas. On sait très bien que 2 choses identiques peuvent apparaître dans des mondes distincts, que 2 choses identiques peuvent ne pas se ressembler dès qu’elles sont là dans un monde etc… Il faut donc bien admettre que lorsqu’on localise une figure de multiplicité, le principe extensionnel pur qui régit les identités et les différences cesse de valoir. En réalité, ce qui se passe, c’est qu’un élément par rapport à un autre entre dans un champ de nuance d’identité. C’est cette métamorphose qui est l’assignation à un lieu, c’est l’entrée dans des nuances identitaires que la mathématique comme telle ignore (elles ne sont pas extensionnelles). Il y a des profils, intensités distinctes, le jeu du monde n’est pas réductible à la différenciation extensionnelle. Il faut penser cela. L’assignation à un lieu, l’être là est un opérateur de mesure des identités et des différences. Puisque les id entrent dans des nuances, cessent d’être au régime binaire de ou identité ou différence, alors il faut qu’il y ait un espace de mesure de ce qu’est l’identité. Il faut admettre qu’il y ait des identités plus ou moins grandes. C’est la métamorphose immanente, j’y insiste, des multiplicités quand on est dans l’ordre de l’apparaître ou l’être là et non plus seulement dans l’ordre de l’être pur. Ce qui est affecté là, laissant subsister à l’arrière plan la mathématicité même, ce qui est affecté là c’est le régime de l’identité et de la différence dans son interprétation en termes de nuances d’apparaître et non pas de différenciation pure dans l’être.

 

Alors 2ème partie du schéma : on reprend une même multiplicité A et on suppose que cette fois elle est affectée à un lieu. Cette affectation va vouloir dire que étant donnés les éléments x et y de la multiplicité A vont se trouver mesurer quant à leur identité. Ie il va y avoir un degré d’identité assigné à l’identité de x et de y l’intérieur de A, et là j’ai noté que id (x,y) ie identité de x et de y est égale au degré p. Qu’est-ce que ce degré p ? On dira qu’un lieu, ie un monde, est un système d’affectation de degré aux identités des éléments qu’il affecte. Ie un lieu, être là, appelle nécessairement la possibilité que les identités soient mesurables par des degrés différents et non plus coincées si je puis dire entre identité et différence. Ces degrés, ce système de degré est le transcendantal du lieu, le transcendantal du monde. Qu’est-ce que le transcendantal ? C’est simplement le système de degrés qui sont affectés à la mesure des identités à l’intérieur des multiplicités qui figurent dans le lieu considéré. Donc l’être là de la multiplicité A, non pas son être, le système de ses éléments, mais son être là, ça va être une nouvelle mesure de l’identité interne des éléments de A en termes de degré. Je ne rentre pas dans la logique du transcendantal. On va dire simplement qu’il y a un degré minimum, noté μ, et un degré maximum, noté M, et en général les transcendantaux peuvent différer selon les mondes, il y a des degrés intermédiaires. Comment on va interpréter tout ça ? C’est extrêmement simple finalement : si l’identité de x et de y est égale au maximum, on dira que dans ce monde là, dans ce lieu là, x et y sont absolument identiques. Mais ils peuvent être ontologiquement différents. Il ne faut pas confondre la distinction entre existence et être : ils peuvent être différents au niveau de leur être, mais la mesure de leur identité par le transcendantal les déclare identique, c’est le décollage entre l’être et l’être. Ce qui est identique dans l’ordre de l’être pur, dans l’ordre de Parménide, peut s’avérer différer dans l’ordre de l’assignation à un lieu particulier, dans l’être là. Si l’identité de x et y est minimum, x et y sont absolument différents dans le monde considéré. Si l’identité de x et y est mesurée par un degré intermédiaire, et bien ils sont identiques au degré près. Ils se ressemblent un peu ou beaucoup, ils sont très proches l’un de l’autre mais pas complètement, ils appartiennent à la même catégorie sans être identiques etc… Il y a une nuance de l’identité dans l’ordre de l’apparaître mondain.

Donc on a 2 schémas très simples :

- l’identité dans l’ordre de l’être est l’identité extensionnelle qui n’admet que 2 hypothèses, identité ou différence selon la composition élémentaire.

- l’identité dans l’apparaître est la mesure d’un degré d’identité dans un lieu déterminé avec un transcendantal déterminé qui peut parcourir toute une série de degrés différents entre un degré minimal d’identité (qui signifie que les 2 entités sont absolument distinctes dans le monde considéré), un degré maximal d’identité (qui signifie qu’on ne peut pas les distinguer dans le monde considéré), et des degrés intermédiaires (on peut les distinguer de tant).

C’est le schéma général de l’identité dans l’être et l’apparaître.

 

Un point fondamental qui va nous introduire à la question de l’existence est de savoir : étant donnée une multiplicité, elle est forcément identique à elle-même. C’est un point majeur dans la réflexion philosophique depuis les origines, la question de l’identité de soi, ie du principe d’identité comme dit Aristote. C’est peut-être la 1ère loi logique à avoir été formulée dans l’histoire de la pensée universelle, à savoir que A est identique à A. Aristote prend bcp de précautions pour expliquer que c’est A sous le même rapport, dans les mêmes conditions, dans le même contexte… Formellement, on dira que A est identique à A et toute une partie de l’histoire de la philosophie est l’histoire de l’identité et des avatars de l’identité. Toute une partie de la critique contemporaine de la métaphysique s’en prend à l’identité précisément : elle dit que l’identité a été un fétiche philosophique. Donc il y a une histoire dramatique de l’identité en philosophie. Nous la prenons dans nos propres catégories ici. Ce qui est certain, c’est que au niveau de l’identité dans l’être, il est évident qu’un multiple est identique à lui-même. Puisque on ne peut pas distinguer un multiple de lui-même par un élément qui serait dans lui-même sans être dans lui-même. Il a les mêmes éléments : on n’a pas de test local de la différence au niveau d’un multiple seul. On ne peut pas à la fois avoir et ne pas avoir un élément. Par conséquent, dans l’ordre ontologique pur, celui de la multiplicité indifférente, un multiple est toujours id à lui-même. Il n’en est pas de même dans l’ordre de l’apparaître : rien ne nous le prescrit, rien ne prescrit qu’un élément de l’être là est identique à lui-même. L’identité n’est pas extensionnelle, donc on n’a pas de raison particulière de réclamer que la fonction identité qui compare x à lui-même soit toujours maximale. Et donc l’apparaître va admettre la possibilité qu’une entité ne soit pas nécessaire toujours identique à elle-même. C’est là que nous allons quitter Parménide absolument : dans l’ordre de l’être là il n’est pas vrai qu’il y ait stricte immobilité ou identité de l’être pur puisqu’il n’est pas obligatoire qu’on ait le principe d’id d’un élément à lui-même. Un élément peut différer de lui-même. Par csqt l’ordre de l’apparaître est dialectique, il est dialectique car il entérine le grand principe hegelien d’une différence immanente, d’une différence intérieure. On a la possibilité, non pas la nécessité comme chez Hegel. La fonction identité de (x x) n’est pas nécessairement assignée à un maximum.

 

3ème principe : la flèche circulaire représente id (x, x), et nous appellerons cela existence de x. L’existence de x sera le degré de x à lui-même. L’existence d’un élément dans un monde c’est l’intensité de son id à soi. Ce n’est pas très éloigné de l’expérience, de notre conviction intime que quand nous sommes quelque part, c’est dans la capacité d’une forte identité à nous-mêmes dans ce quelque part que nous y sommes vraiment. Etre égaré, c’est ne pas être vraiment quelque part. On est vraiment quelque part quand on arrive à y être soi-même. Dans ce cas, id (x, x) est proche du maximum. Quand elle est au minimum, le lieu nous est inadéquat, on est sérieusement égaré, on a intérêt à s’en aller. Est-on en état de soutenir l’identité à soi-même, ou se sent-on étranger à soi-même ? Ie dans le vocabulaire de la tradition existentialiste : est-on aliéné ? Aliénation veut dire un certain degré, plutôt important, de différence avec soi-même. La chose même est affectée d’un principe de différenciation avec soi-même qui est élevé. Nous retrouvons finalement la distinction générale de l’être là entre aliénation radicale, ie extrême différence d’avec soi-même, jusqu’à la stabilité identitaire maximale, qui veut dire l’identité absolue avec soi-même. Donc 3 cas dans un monde :

- ou l’identité est max et x existe absolument (là ! ce n’est pas une existence absolue intrinsèque, ça c’est le 1er niveau, ici c’est dans l’épreuve de l’apparaître, ie dans un monde, avec un T déterminé).

- si l’identité est minimale, on dira que x inexiste. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas. Il est, mais dans le monde considéré il inexiste. Si id (x, x) est égale à un degré, x existe au degré p, il existe ni maximalement ni minimalement, il n’est ni dans une existence absolue, ni dans une existence minimale, mais il est dans une existence moyenne comme on est souvent (on est là mais pas totalement). C’est variable, il y a une marge de fluctuation de l’existence elle-même. Elle ne va pas être une catégorie absolue, coincée entre existence et inexistence mais elle va être un degré. C’est le point essentiel sur lequel je voudrais conclure :

1° exister est différent de être (l’épreuve absolue en est qu’on peut être et inexister). L’existence est dans une dialectique tendue : toute existence est soutenue par un être mais il n’y a pas identité entre l’être et l’existence

2° exister est toujours coextensif à un degré d’existence. Toute existence est un degré, ie est une intensité. Exister, c’est toujours être là avec une certaine intensité. C’est l’être là dans son intensité. Il s’agira au point de départ pour l’an prochain : si exister est un degré d’intensité, la mort fait partie de l’existence. Elle va être elle-même un degré d’existence, peut-être minimal. Elle ne sortira pas de la logique générale de l’être-là. L’être là est un degré d’existence, la mort  sera peut-être inflexion minimalisante de l’existence mais elle ne sera pas le contraire de l’existence. Ie en réalité comme l’existence est un degré, elle n’a pas de contraire. Inexister veut dire qu’on existe au minimum, ça ne veut pas dire qu’on est dans le contraire de l’existence. Donc on a un sol de proposition concernant l’orientation de l’existence qui inclut cette donné majeure qu’il n’y a pas de contraire de l’existence, car l’existence a une définition strictement intensive. L’existence est une intensité, c’est une intensité de l’être là. Voilà pourquoi nous pourrons, comme la figure du soldat (la mort est emblématique de ce qu’a été le poids et l’intensité de l’existence), cette immanentisation de la mort à l’existence est absolument interne à la figure du soldat et c’est ce qui va commander la position exacte de la question de la mort dans le pb général de l’orientation de l’existence. Nous opposerons naturellement ce que c’est que l’orientation de l’existence à l’hypothèse heideggerienne d’un être pour la mort.

24 janvier 2007

Je vous salue de façon plus sonore pour le commencement ici d’une nouvelle année, et en espérant que cette année soit féconde et qu’elle recèle pour nous des éléments de pensée plus consistants que ceux qui font l’affiche, nous y reviendrons peut-être tout à l’heure. Je vous rappelle les dates : 14 février, 14 mars, 25 avril, 9 mai, 13 juin. Pour la question toujours erratique de la permanence, j’en tiendrai une de 10h à 18h ce vendredi.

 

Entrons sans plus tarder dans le cœur des choses qu’on va discuter aujourd’hui. Mon point de départ sera une chose déjà dite mais qui est de la plus extrême importance et dont la compréhension n’est pas simple, et qui est que tout conflit véritable, et par csq toute incertitude et tout choix est un conflit d’orientation dans la pensée. Et donc, c’est ce dont nous allons parler plus particulièrement aujourd’hui, ce n’est jamais un conflit d’opinions. Un des enjeux d’aujourd’hui est de clarifier cette distinction majeure entre orientation dans la pensée et opinion. Si on rattache cela à l’objectif du séminaire, ie fixer une morale provisoire dans un temps intervallaire ou dans un temps d’essence confuse, on peut dire ceci que, c’est l’avis de Descartes et sa métaphore favorite, fixer une morale provisoire c’est fixer un principe de désorientation. C’est pour cela que la métaphore de Descartes est qu’est-ce qu’on fait si on est perdu dans une forêt. Si on est perdu dans une forêt, le point est de savoir ce qui est le plus raisonnable en matière d’orientation. Si on est par définition désorienté, à quelle maxime doit-on obéir pour que dans une situation inaugurale de désorientation on puisse s’éclairer avec un principe d’orientation (même si l’orientation doit faire sa preuve ensuite). On a déjà esquissé que dans cet ordre de choses, une des difficultés c’est de bien savoir qu’il faut se gouverner en fin de compte non pas sur ce qui existe principalement mais peut-être plus essentiellement sur ce qui inexiste. Ou si vous voulez, s’orienter dans l’être, car à la fin des fins c’est de cela qu’il s’agit, de se tenir dans un rapport possible entre l’indifférence de l’être et la certitude des vérités éternelles, c’est ça une orientation, donc quant à se tenir dans la proximité avec une vérité, le guide n’est pas nécessairement ce qui apparaît. Mais aussi là où ça apparaît, importe ce qui inapparaît, ce qui inexiste. Ce qui fait qu’en matière d’orientation, ceci est particulièrement vrai dans les instants de confusion où l’apparaître devient autoritaire, où il fonctionne ou s’énonce comme une exigence unique, il est particulièrement important de se souvenir de cette maxime : gouverne toi aussi d’après ce qui inexiste. Cette leçon vaut de manière absolument générale, elle n’est pas seulement politique. Mais le point est illustré de façon très frappante par Marx, quand il a faut de l’orientation dans l’espace pratique et politique, qu’il a organise à partir d’un inexistant clé, le prolétariat, étant le nom de l’inexistant canonique. Pour nous tenir près et en hommage à un des derniers livres de Derrida, si Marx dit qu’un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme, cela signifie d’abord que ce qui hante l’Europe, c’est le prolétariat comme spectral. Spectral pourquoi, car il est de l’ordre de l’inexistence et donc le surgir de l’inexistence à l’existant est comme la concrétisation du spectral. Il y a toute une branche des mathématiques qui s’appelle analyse spectrale. Il y a une intuition linguistique prodigieuse des maths : une espèce d’ontologie claire qui se dit uniquement dans la langue, dont les maths n’ont aucun besoin d’avoir conscience –ils décident en fonctions de leur pb propre). On peut dire que Marx nous propose une analyse spectrale de la société sous le régime du capital.

Simplement à titre d’exemple, pour ponctuer quelque chose que vous connaissez bien, qu’en est-il dans les sociétés riches contemporaines, où d’une certaine manière qch du capitalisme est parvenu à son extension à son emprise véritablement maximale ? Je crois que l’inexistant clé de cet espace en tant que tel est le prolétaire sans papier de provenance étrangère. C’est pour cela qu’il est au centre des orientations. Son destin est la mesure des principes, comme Marx disait que le destin du prolétariat était la mesure des principes. Ce n’est pas une importance statistique, quantitative, objectivable dans la loi du monde : il y a va de l’orientation dans la pensée, et ceci peut s’attacher à des points qui peuvent paraître minimes selon la loi du monde. Marx ne disait pas que le pb c’est les ouvriers (vision objectiviste et pauvre), mais que quant à l’orientation de la pensée, et quant au devenir de notre pensée et de nos principes, c’est là qu’il y a le point. Je pense que c’est la même chose aujourd’hui, mais avec cette qualification particulière que pour des raisons qui tiennent au flux mondiaux des populations prolétaires qui au lieu de venir de Savoie et d’Auvergne viennent d’un peu plus loin progressivement, avec d’autres couleurs, d’autres langages, d’autres coutumes, c’est le prolétaire de provenance étrangère dont le destin mesure nos principes et notre liberté (j’y reviendrai), et de la liberté de tous.

Que ce prolétaire là soit compté parmi nous selon une norme égalitaire prescrit ce dont nous sommes capables en fait de liberté. Vous remarquerez que nous sommes là dans une instance où la subordination de la liberté à l’égalité est frappante. C’est une dépendance normative, pas objective. Il faut compter sur une norme égalitaire et ceci indique ce dont nous sommes capables en termes de liberté. Non seulement de liberté, mais de capacité à la liberté, son bornage, son inscription. Indique clairement que la liberté n’est pas un état mais une capacité. Je voulais rappeler tout ça parce qu’on y voit ce qui distingue une orientation d’une opinion : l’exemple est destiné à entrer dans cette question. Qu’est-ce qui distingue une orientation d’une opinion ?

Et bien c’est que en définitive, je l’ai déjà dit, 2 orientations dans la pensée et dans la pratique aussi (qui n’est jamais qu’une instance de la pensée), 2 orientations diffèrent par des assertions d’existence, tandis que des opinions diffèrent en tant qu’interprétations internes à une distribution déjà entérinée des existences. Nous appellerons opinion une interprétation qui peut tout à fait être en conflit avec une autre, mais dans un espace normé par une distribution des existences qui leur est commune. Cet espace est commun aux opinions qui s’affrontent, alors que les orientations diffèrent par leurs assertions d’existence elles-mêmes.

Alors dans mon exemple, si vous êtes dans une discussion qui portent sur les conditions de reconnaissance des droits des prolétaires étrangers, avec ceux qui proposent des conditions drastiques et d’autres plus souples. C’est un débat d’opinion, car il accepte comme donnée commune qu’il y a une différence réelle entre français et étranger. Ça c’est une assertion d’existence à proprement parler : c’est l’assertion d’existence d’une différence réelle. On peut soutenir évidemment un tout autre point de vue, ie qu’il n’y a aucune différence sinon organisée par des décisions formelles, mais qu’il n’y a pas de différence réelle, ie des différences de telle sorte qu’on puisse dire : « voilà l’existence de cette différence ». Si est formelle, ie si elle relève de qui a des papiers qui n’en a pas, qui est naturalisé qui ne l’est pas, qui est né là, qui ne l’est pas etc… alors ce n’est pas une question d’existence mais une question symbolique (juridique, normative). Or aujourd’hui on voit hélas de plus en plus s’introduire la thèse d’une différence réelle, qui est contenue dans le mot d’ordre d’intégration. Ie quand tel ou tel politicien énonce que pour avoir des droits (logement opposable, être soigné, ie droits élémentaire de survivance), il faut faire la preuve qu’on est « intégré », et même « parfaitement intégré » a dit l’un d’eux, même si on est en situation régulière, donc même si l’ordre de l’identité symbolique est établi, alors il procède à une assertion d’existence concernant la différence entre français et étranger comme différence réelle. Je soutiens que ce n’est pas en substance extraordinairement différent du travail fait par les juristes sous Vichy pour établir qu’il y avait des différences réelles et qu’on pouvait signaler selon leurs critères explicites entre les juifs et les autres. La question est uniquement là : qu’en est-il de l’assertion d’existence de la différence ? Existe-t-elle comme différence objectivement assignable ? Si on commence à dire c’est différent à cause de telle ou telle coutume, des manières de vivre, de la couleur de peau, et puis la figure du visage, tel langage, tel habitus etc… quelque soit le point convoqué il concerne une assertion d’existence qui est une assertion d’existence qui fait de la différence entre français et étrangers une différence substantielle, ie une différence qui renvoie à des proférations de différences effective. Alors s’impose une atmosphère de discussion blafarde sur cette différence censée exister réellement qui se substitue à la question purement formelle et symbolique, dont on sait bien qu’en définitive elle renvoie à une distinction arbitraire. Il s’agit de remplacer l’idée que la distinction est arbitraire, réglée par des décrets formelles, par une conviction qui est une orientation sur le pb, concernant l’existence effective de différenciation. Le mot d’ordre de cela c’est l’intégration, qui est un processus formel et non réel. S’intégrer c’est s’intégrer aux supposées pratiques moyennes qui représentent dans la réalité objective le type moyen du français. On dira des choses comme « il ne faut pas être polygame ». « Etre polygame c’est contraire à la République française ». Ceux qui disent ça sont en général des polygames. Mais apparemment le trait polygamique comme trait différenciant ne les concerne pas, il est introduit en réalité ad hoc, à partir de considérations empiriques qui pourraient concerner un tout autre point afin de créer quoi ? de créer le sentiment de la différence réelle. Car la vérité c’est qu’il n’y a pas de différence réelle. Il n’y en a pas.  Si vous commencez à entrer dans cette logique là vous êtes dans une logique racialiste inéluctable. Vous ne pouvez pas substantialiser la différence comme existence effective, et donc si vous voulez le faire vous êtes toujours obligés de créer comme instrument de création de subjectivité différenciante réelle, ie comme orientation dans la pensée comme assertion d’existence, les traits qui constituent cette différence. Par csqt là vous avez un conflit d’orientation qui consiste et qui porte sur l’existence ou la non existence de la différenciation comme différenciation réelle ou substantielle entre les français et les étrangers, dont l’aboutissement, si nous laissons faire, il a déjà beaucoup été laissé faire sur cette question, sera qu’il revient à l’Etat de décider qui est son peuple, dans la fiction que c’est le peuple qui décide qui est son Etat. Mais en réalité, à partie du moment où on introduit des facteurs de différenciation réelle, disant qui existe en tant que français et qui existe ici en tant que non français, vous aurez le vieux rêve étatique qui est que c’est l’Etat qui décide qui est le peuple. C’est en route, sous des formes larvées mais explicites, de telle sorte que ça fonctionne comme une orientation dans la pensée, comme assertion d’existence. De l’autre côté on a le fait que les gens qui sont ici existent ici comme les autres. On introduit une norme égalitaire, quant au lieu : celui qui vit ici, travaille ici, qui est là depuis 10 ans, 30 ans,  « intégré » ça ne veut rien dire, il est au milieu des autres,  il est différent comme tout le monde, au milieu des autres, de lui-même au cours de sa vie etc… La différence n’a aucun intérêt. Mais spéculer sur l’identité c’est autre chose, c’est entrer toujours dans une logique d’assertion d’existence qui constitue une orientation dans la pensée. Par csqt aujourd’hui nous avons 2 orientations dans la pensée sur ce point, et on voit que d’un côté on a la reconnaissance qu’il y a des différences réelles, donc on est dans un régime d’assertion d’existence, orientation dans la pensée de la liaison organique entre peuple et Etat, l’Etat décidant en dernier ressort de la configuration populaire, et d’un autre côté vous avez une orientation qu irefuse catégoriquement cette vision des choses, refuse l’existence de différences réelles pour les déclarer formelles, ie j’y insiste, contingentes, dépourvues de nécessité dans l’ordre de l’existence.

Quand vous êtes à l’intérieur d’une orientation, il peut y avoir de larges débats d’opinion. Une fois que vous avez reconnu qu’il y a des différenciations réelles, alors vous pouvez être pour l’intégration universaliste républicaine ou au contraire pour le communautarisme différenciant. Ce sont des débats d’opinion car ils assument une certaine assertion d’existence. Par contre il y a un conflit d’orientation entre les 2 bords, qui n’est pas monnayable en débat d’opinion. Car une orientation ça n’est pas une opinion, c’est une décision quant aux assertions d’existence. De ce point de vue, les débats entre orientations sont, n’ayons pas peur de le dire, des débats antagoniques, ce que ne sont pas évidemment les débats d’opinion. Le débat d’opinion est structuré par une orientation commune, et inversement le conflit entre orientation n’est pas un débat d’opinion car il n’est pas interprétatif mais existentiel. Voilà.

 

Si maintenant on s’élève à un niveau plus abstrait, on voit qu’il y a 4 termes, notions, concepts :

- opinion (et débat)

- orientation (et conflit)

- interprétation

- existence

De ce point de vue la liberté d’opinion ne délivre pas le principe de la liberté véritable, car elle suppose une communauté d’orientation, implicite ou explicite. Il faut communauté pour qu’il ait débat. Et s’il y a cette communauté, on voit que la liberté n’est pas parvenu à son stade véritable qui est l’engagement dans une orientation de la pensée. Autrement dit le débat d’opinion est en réalité non orienté, car sous la prescription autoritaire et commune d’une orientation généralement implicite. Donc le thème de la liberté d’opinion est le plus bas degré de la liberté comme aurait dit Descartes, ie en deçà de la liberté véritable dans l’ordre de la pensée et de l’existence. Nous reviendrons sur ce point. Pour l’instant travaillons sur les notions : opinion, orientation, interprétation, existence. Je voudrais soutenir que ce qui nous éclairer là dessus c’est de considérer ces notions comme une matrice platonicienne. Donc nous allons faire un pas ne arrière platonicien autour de l’opposition entre opinion et orientation.

 

Platon, et c’est mon point de départ, c’est une chose connue à revisiter, inscrit l’opinion (qu’il a isolée comme concept et comme réalité) dans 2 oppositions distinctions. Il y a une opposition classique entre opinion et savoir, entre opinion et science (mais science introduit une confusion). C’est doxa / episteme. Il y a une autre opposition, de caractère nettement plus ontologique, entre opinion et existence, opinion et être, opinion et réalité, opinion et vérité. Ça tire opinion vers un statut ontologique et pas seulement pratique cognitive. L’opinion s’oppose au régime de l’existence. C’est en explorant cette double opposition qu’on va faire un détour intéressant pour nous sur l’opposition opinion / orientation.

Permettez moi une parenthèse à propos de ce détour : certains d’entre vous ont peut être lu un article dans Libération qui me concernait mais qui après tout vous concernait aussi (il était aussi question de vous). Il n’était pas d’une exactitude et d’un intérêt transcendant, mais enfin les choses du journalisme sont ce qu’elles sont, personne n’en attend de miracle. Je regardais ça, et en haut de l’article il y avait une fresque. J’étais intéressé par ceci que vous et moi on appelait la fresque et pas la photo ! ça c’est un éloge. Et alors dans cette fresque on me reconnaissait vaguement, mais ce qui m’a frappé, c’est que j’étais avec Platon, Alexandre le Grand, Hegel, Lénine, Mao. C’était une bonne compagnie, et pour vous aussi car vous étiez dans la même galère quand même. Puisque nous étions, vous et moi, la preuve d’un phénomène inquiétant. Tant mieux ! Inquiétons les. A défaut d’autre chose c’est déjà un 1er pas. ça a confirmé une idée que j’ai depuis quelques temps, c’est l’idée qu’il faudrait et que c’est mon désir maintenant (puisque après tout j’ai écrit les livres essentiels) il faudrait que la philosophie se montre au cinéma. Vraiment. Mon projet est de faire un film. Ce film aurait pour titre, en tout cas, ça c’est sûr, la Vie de Platon. Ce serait un film qui ferait circuler la philosophie dans son histoire et sa géographie, ce serait un film largement sur le contemporain mais avec un côté peplum avec des batailles navales, Platon capturé comme esclave, une vision un peu décalé du procès de Socrate etc…). Il faudrait parvenir à ce que la philosophie se prodigue ou se montre dans l’espace de la grande prodigalité des images, qu’elle accepte cela, dans une figure qui serait destinée à montrer qu’elle est constitutive de ce que l’image contient de déception. La philosophie depuis toujours est à bord de cette question ; la déception par l’image. C’est une question originaire, de Platon, mais il instruit cette question de la déception par l’image dans l’image elle-même (auteur de mythe, fables, théâtre). Sa grande polémique contre le théâtre après tout est elle-même théâtrale. je me suis dit : la philo doit assumer comme telle (pas seulement philo indirecte présente dans de nombreux films) d’être expressément un film exhibant la figure contemporaine et éternelle de la philosophie. Je voulais vous dire ça. Du coup, c’est la retombée sur vous, je ferai mon séminaire l’année prochain, et il s’appellera : Pour aujourd’hui, Platon.

 

Je reviens au détour : qu’est-ce qu’une orientation dans la pensée pour Platon ? qu’est-ce qu’être orienté ? Il appelle ça justice. C’est un autre nom après tout, d’une orientation qui éclaircisse le monde. Il appelle ça justice ou vraie justice ou justice en réalité. République, IV, 443 d, définition d’une orientation : « cette justice en vérité relève non de la pratique extérieure, mais de celle qui est intérieure en tant qu’elle engage le sujet en vérité ainsi que tout l’articule ». C’est quelque chose de très proche de l’idée qu’une orientation dans la pensée c’est l’orientation d’un corps de vérité ou s’articule le sujet. C’est à peu près ce qu’il dit : d’abord c’est de l’ordre de l’immanence, ce n’est pas normé de l’extérieur, et ça engage le sujet en vérité ainsi que tout ce qui le compose, l’articule. Plus radicalement encore, en tant que telle la justice est le devenir un, elle est le devenir un, là où devient un l’individu dispersé est multiple. On assume que l’individu est multiple (l’animal humain est une multiplicité), et une orientation (dans la pensée et dans l’existence), c’est un devenir un, la seule instance du devenir un de cette multiplicité singulière qu’est l’animal humain. Ça m’intéresse beaucoup, car on a dit que tout se joue entre l’espace de l’ontologie des multiplicités indifférentes d’un côté (dont l’animal humain  participe comme tout ce qui existe) et de l’autre la question des vérités éternelles. Et on a dit finalement le processus de vérité ou l’orientation dans la pensée ou processus de vérité est quelque chose qui permet de comprendre, d’avoir l’intelligence de la relation possible entre l’indifférence des multiplicités, la constitution indifférente ou neutres de l’être, et la surrection des vérités comme telles. Ça, Platon dit que si on est entre multiplicités indifférentes et vérités éternelle, alors on est dans un devenir un de la multiplicité elle-même. En effet, pour une vérité, il y a une unité du sujet de vérité. Il y a une composition du multiple qui permet de l’identifier comme ce multiple qui porte une vérité, qui est précisément ce que j’appelle son corps. Et Platon va dire que la justice c’est ce devenir un lui-même, c’est ça l’orientation en tant que justice : « l’homme juste, en tant que saisi par cette orientation, il est dans un devenir un tiré du multiple ». Moi je dirais : il est dans un devenir un extorqué au multiple, comme figure radicale de ce qu’est l’orientation, véritablement.

Donc  je récapitule

1° on appelle justice l’orientation dans la pensée en tant qu’elle engage le sujet en vérité

2° ce processus de l’orientation ontologiquement c’est la seule instance du devenir un de la multiplicité animale de l’animal.

3° ce sujet est orienté selon son incorporation aux vérités, celui qui est dans le devenir un de sa multiplicité, il dispose d’un principe qui précisément disqualifie l’opinion. ON retombe sur l’opinion. Dans ce processus du devenir un extorqué au multiple, un principe apparaît ou se donne qui disqualifie l’opinion.

Je vous lis la suite : l’homme juste « tiens pour sagesse le savoir qui instruit cette action affirmative » sur l’opposition opinion / savoir « action qui est le devenir un » et pour injustice l’action qui la détruit, désigne comme ignorance l’opinion qui instruit cette destruction.

Opinion est opposé à savoir, doxa et episteme, l’opinion désignée par l’homme juste comme opposée au savoir. L’opinion est désignée comme ignorance. Mais cette désignation du couple opinion / ignorance n’est possible que de l’intérieur du processus affirmatif lui-même. Ie c’est celui qui est dans la justice qui peut prononcer ce point, qui appelle sagesse le savoir de l’action affirmative et opinion ou ignorance ce qui s’y oppose ou vise à la détruire. Ce n’est pas une affirmation en surplomb c’est de l’intérieur du devenir un. On voit se profiler à ce niveau purement épistémologique, cognitif, l’idée que le fdt de ce qui s’oppose à l’opinion comme orientation ne peut pas se trouver dans le multiple lui-même, mais toujours dans une instance du devenir un du multiple. C’est du point où qch saisit la multiplicité de telle sorte que elle est dans le devenir un de sa capacité que peut être prononcée la distinction entre savoir et ignorance. Et donc il y a qch du devenir, du devenir un, qui prescrit la distinction cognitive elle-même. On pourrait dire là que Platon soutient qch comme la thèse matérialiste de l’antériorité de la pratique, il la soutient à sa manière. Il soutient que qch comme la praxis unificatrice de la multiplicité humaine est ce à partir de quoi, en tant qu’orientation on peut disqualifier l’opinion en tant que ignorance. Sagesse, instruire, ignorance, il faut regarder de près. Instuire, c’est présider, gouverne, proche de arkhein. Ce qui instruit, l’instruction que donne le procès de la justice est principielle au sens du prince, ce qui régit la distinction entre opinion et ignorance. Sophia c’est sagesse. Ignorance c’est amathian. Mathian, mathème, mathématique, mathesis, avec le a privatif dedans. On dirait absence de mathème pour une traduction lacanienne. L’opinion c’est l’absence de mathème.

Tout ce développement construit chez Platon, à l’enseigne du devenir un de la multiplicité vivante, construit la 1ère opposition, l’opposition entre opinion et savoir. Tout cela est dit dans une phrase, longue, très longue, sinueuse, dont j’ai donné des bouts. J’ai eu envie de la retraduire entière, à ma manière. C’est un travail dont j’espère qu’il sera cité dans le film ! Je vous lis cette traduction de cette page. Tout est dit avec des ramifications extraordinaires. C’est une seule phrase en grec, j’ai donc un peu pcontué :

« La justice n’a pas trait à la pratique extérieure mais à celle purement immanente qui dispose le sujet en vérité ainsi que tout ce qui l’articule, si bien que ledit sujet assume l’interdit opposé par tout ce qui le compose à la renégation comme à la confusion susceptible de désorienter l’organisation de son âme. La maintenance du sujet qui va conduire à la possibilité de s’écarter ou de se distancer des opinions, est une maxime qui se présente comme un interdit de céder soit au retournement de veste, soit à la confusion ». Le total contemporain est fait de l’addition des 2 : confusion et retournement. « Et affirmant au contraire dans le réel un ordre intime, le sujet prend le commandement de son propre être, invente une discipline et devient ami de lui-même ». C’est magnifique, cette corrélation entre l’invention de la discipline et la possibilité d’être ami de soi-même dans l’élément de la vérité qui petit à petit va vous distancer de l’opinion. « Les 3 étants dont se fait son être (tripartition entre désir courage et nous) il les harmonise sans artifice comme les 3 degrés de l’échelle musicale, installant entre l’aigu le medium et le grave la subtile infinité des nuances, organisant toutes ces nuances le sujet extorque au multiple un devenir un rigoureux ». On est au cœur de la choses : le sujet a réussi à organiser sous la juridiction évidemment de la justice, ie en tant qu’il se laisse prendre par une orientation de la pensée, à partir du moment où il arrive à harmoniser le système de multiple qui le compose, où il fait rendre et unifie les nuances possibles de la tonalité, alors il extorque au multiple un devenir un rigoureux. « et le voilà, à la fois complet et discipliné, en sorte que dans le domaine de son acte, qu’il soit trésorier ou membre du service d’ordre (qu’il s’occupe d’argent ou de gymnastique !), amoureux ou activiste, il sait discerner et nommer juste autant que belle l’action qui fait vivre et déploie l’immanence initiale, tout comme il nomme sophia, « philosophie », le savoir qui gouverne cette action, et contradictoirement il nomme « perte de tout mathème » l’action qui voudrait détruire l’immanence disciplinée et « opinion » l’état d’esprit qui gouverne ce type d’action ». C’est une page de Platon !

Finalement, nous pouvons conclure là que l’opinion est principe de destruction du savoir principiel. C’est vrai que à ce stade, opinion est couplée à savoir, oui mais c’est couplé dynamiquement : ce n’est que de l’intérieur du devenir un du sujet extorqué à la multiplicité spontanée qu’on peut dire que en effet l’opinion se laissera désigner comme contraire contrarie, veut détruire la figure du savoir, laquelle est en réalité la figure du devenir un lui-même. C’est ça l’action. L’opinion est donc un principe de destruction du savoir principiel, telle est sa fonction dans son couplage avec savoir.

Pour revenir à notre langage ici, on dira que toute opinion est désorientation, et qu’il y a contradiction en ce sens entre opinion et orientation, l’opinion est désorientation mais par adoption en réalité d’une orientation destructrice latente, tenue pour unique, et qui défait toute tentative d’extorquer de l’un à la multiplicité immédiate. Vous voyez bien que ce à quoi l’opinion sert, c’est en définitive à organiser une orientation masquée unique, qui rend elle-même, en tant que telle, impossible l’unification principielle que Platon nomme « justice ». Voilà pourquoi opinion s’oppose à savoir et, on peut le dire, s’oppose aussi à principe. C’est le 1er sens, clarifié par Platon avec une extraordinaire subtilité.

Il y a aussi un 2nd sens, plus tourné vers l’ontologie. On peut dire que en termes subjectifs, doxa cette fois ne s’oppose plus à episteme mais à noesis. On peut traduire noesis par pensée. Opinion, même en terme de faculté mentale, subjective, s’oppose à penser, pas à savoir. Autrement dit, cette fois on a l’idée que le registre de l’orientation est celui de la pensée, tandis que le registre de l’opinion ne l’est pas. L’opinion ne fonctionne pas dans l’élément de la pensée, ce qui est distinct de dire qu’elle ne fonctionne pas dans l’élément du savoir. Penser est plus enveloppant et plus proche de la question de l’être que savoir. On est au bord de dire que l’opinion est de l’ordre de l’inexistant strict, de l’inapparaissant, ce qui n’est qu’imaginaire, tandis que son opposé, la pensée, est ce qui s’accorde naturellement à la figure de l’être. Pour comprendre pleinement cette opposition entre opinion et pensée, qui vient doubler la 1ère opposition, opinion et savoir, il faut renvoyer au couple ontologique du devenir et de l’être. Pour comprendre en quel sens l’opinion s’opposer à la pensée, il faut comprendre en quel sens le devenir s’oppose à l’être proprement dit. Les mots grecs sont genesis et ousia. L’opposition genesis / ousia est mieux traduite par la genèse, d’un côté, car devenir a pris un sens exorbitant, genèse ie la chose pensée selon son histoire, et ousia c’est la chose pensée selon son exposition à la vérité. Donc genèse et être-exposé. Autrement dit, la corrélation ou opposition opinion / pensée est en réalité l’opposition entre ce qui est attribué à une genèse et ce qui est attribué à l’exposition même de la figure d’être de la chose. Par conséquent, ça fonctionne selon un principe d’existence. C’est une différenciation selon l’existence, et non pas, comme la 1ère, selon qch entre l’éthique et la question de la connaissance. Cette fois c’est carrément la question de l’existence qui entre en jeu : l’existence selon la genèse, et l’existence selon ce qu’elle expose de son être. Alors ça c’est travaillé dans plusieurs textes de Platon. Par exemple, République, VII 534 a : la formule est ramassée et élémentaire : « l’opinion (doxa) concerne la genèse (genesis), la pensée (noesis) concerne l’être-exposé (ousia) ». C’est une autre opposition. Et ce qui est pour nous essentiel, c’est d’arriver penser en termes contemporains la corrélation des 2 oppositions. Comment opinion, terme devenu majeur du monde contemporain (opinion, débats d’opinion, liberté d’opinion, sondage d’opinion, votre opinion…), qu’est-ce que c’est l’opinion, à la fin des fins ? On a là une élucidation complexe d’une grande puissance. L’opinion est opposée au savoir, on peut parler sans savoir, dire son opinion sans savoir. ça n’affecte pas le fait que c’est une opinion. Et là opinion est tirée dans un autre sens : c’est la chose appréhendée non selon son exposition effective, mais uniquement selon sa genèse. Ce couple est aussi bien d’ailleurs le couple opinion / vérité. Ce n’est pas vraiment distinct. L’opposition de l’opinion au savoir (1er couple) doit être distinguée du 2nd couple (opinion / pensée), mais c’est aussi opposition opinion / vérité, recoupant le fait que vérité et savoir n’est pas la même chose. Ce n’est pas la même chose de dire que l’opinion s’oppose au savoir, donc qu’elle est ignorante, et qu’elle s’oppose à la vérité, ie qu’elle est hors pensée, qu’elle n’est pas dans l’élément normatif de la pensée.

Là-dessus il y a un très beau texte, qui dans le Banquet, en particulier à partir de 218 e. Comme toujours dans le Banquet, il faut comprendre à quel moment de cette fable ahurissante ça se situe. C’est vers la fin, quand Alcibiade entreprend son gigantesque éloge de Socrate, éloge ambigu, proche d’un éloge qu’un analysant pourrait faire de son psychanalyste, après le transfert. Il énumère toutes les vertus de Socrate, et à l’intérieur de cet éloge, Alcibiade cite Socrate (il y a une partie de l’éloge est composée de souvenirs d’Alcibiade : voilà ce que j’ai dit, voilà ce qu’il m’a répondu). C’est dans une riposte de Socrate à Alcibiade que ça se trouve. Alcibiade a proposé une sorte de marché à Socrate (c’est ce qu’il raconte), qui était en somme : « moi j’ai la beauté visible et extérieure, toi tu es laid comme un poux. Mais j’ai bien vu que tu avais une beauté invisible et intérieure. Alors on pourrait échanger, beauté contre beauté ». Socrate lui répond : « oui, beauté contre beauté,  mais là tu médites un sacré bénéfice à mes dépens ». C’est un marché inégal, commerce inégal, c’est du trafic, c’est un marché de dupe. C’est « troquer du cuir contre de l’or ». Et pourquoi ? Eh bien parce que c’est, c’est la formule qui m’intéresse, c’est « entreprendre de saisir une vérité en échange d’une opinion de beauté ». Cuivre, or, vérité, opinion : il est clair que ce qui est mis en couple c’est opinion et vérité (aletheia). C’est dans le même défilé que celui qui organise le couplage de l’opinion avec la pensée, et non plus avec savoir. Car le couple qui définit l’opinion devient le couple de ce qui existe vraiment, contre ce qui a un statut imaginaire ou irréel d’une simple opinion. Dans le Banquet, ce qui existe vraiment est ce à quoi l’opinion s’oppose. Donc on est bien en route vers l’orientation comme assertion d’existence et non pas simplement de l’orientation comme fermeté organisatrice du savoir comme dans le 1er point.

Je rappelle ce que beaucoup d’entre vous savent : la 1ère partie du Séminaire VII de Lacan, prononcé en 1960-61, titré le Transfert, est une remarquable analyse du Banquet, à laquelle je vous renvoie. C’est une analyse merveilleuse du Banquet, qui occupe à peu près un tiers du Séminaire, qui est une analyse tout à fait textuelle, littérale. On y trouve, comme souvent chez Lacan, une traduction libre du passage qui nous intéresse. Je vais vous la lire, quand même ! Je vous ai lu ma traductiin de la République, je vous lis la traduction du Banquet par Lacan :

« après qu’Alcibiade s’est vraiment expliqué et a été jusqu’à lui dire : « voilà ce que je désire, et j’en serais certainement honteux devant les gens qui ne comprendrais pas, je t’explique à toi Socrate ce que je veux », Socrate lui répond : en somme, tu n’es pas le dernier des petits idiots s’il est vrai que justement tu veux ce que moi je possède, si en moi il existe un pouvoir grâce auquel tu deviendrais meilleur, oui c’est cela, tu as du apercevoir en moi qch d’autre, une beauté d’une autre qualité, une beauté qui diffère de toutes les autres, et l’ayant découverte tu te mets dès lors en posture de la partager avec moi, ou plus exactement de faire un échange beauté contre beauté, et en même temps tu veux échanger ce qui est, dans la perspective socratique de la science, l’illusion, la fallace, la doxa, la tromperie de la beauté, tu veux échanger tout cela contre la vérité, en fait mon dieu cela ne veut rien dire d’autre que de  troquer de cuir contre de l’or ». Il a changé un peu l’ordre des phrases mais c’est une traduction forte et vivace de ce passage. Alors donc nous pouvons dire que ce qui intéresse Lacan, c’est le processus psychanalytique comparé à ce troc. Il est bien en ce sens transfert, transfert, ie jeu de dupes organisé, c’est bien ce que va finalement dire Lacan. C’est un jeu de dupes organisé, car si on traduit la traduction que Lacan propose de Platon : l’analysant parle et dit : « toi, psychanalyste, mon sujet supposé savoir, je vais te donner ma surface symptômale et désirante, et aussi de l’argent, et tu vas faire en sorte que je subjective ma vérité ». Socrate a dit il y a très longtemps que c’était un jeu de dupe, cette affaire. Et Socrate ne veut pas prendre Alcibiade en cure, il lui dit qu’il fait semblant de transférer sur lui et qu’il transfère sur Agathon, il l’aiguille sur une fausse piste et va s’en aller. Il aura été celui qui trouve le moyen élégant de refuser de prendre Alcibiade en psychanalyse. Il n’a pas envie, ce qui est le métier de la psychanalyse, d’échanger de la vérité contre du semblant. C’est ce qu’il dit : « Tu es un petit malin, tu veux échanger de la vérité contre du semblant, mais moi je ne marche pas ». La seule sagesse du psychanalyste, c’est de dire : « donne moi aussi de l’argent ». Il faut le reconnaître, il l’a bien mérité ! La somme devrait être calculée par la différence entre vérité et semblant, c’est pas facile de calculer le prix de ce genre de choses, combien vaut l’échange. Le point de vue de Socrate c’est que ça coûte si cher que Alcibiade n’y arriverait pas. Il faudrait beaucoup de cuir pour l’or qu’il demande !

Le point où nous en sommes maintenant, c’est le suivant : opinion, opinion d’un côté est couplée à savoir (episteme), dans une figure qui permet d’avoir un principe de disqualification de l’opinion, dès lors qu’on est engagé sous le nom de justice pour Platon, sous le nom de procédure de vérité dans mon lexique à moi, dans une procédure telle que la pensée étant orientée est en état de se prononcer sur l’opinion elle-même, en état de la distinguer, différencier, de l’écarter du savoir. sur un bord.

Sur l’autre bord, l’opinion est couplée à pensée, vérité (aletheia), être-exposé, être en tant qu’exposé (ousia) et là je dirais que ce dont il s’agit c’est le répondant ontologique de l’orientation elle-même. C’est l’orientation en tant qu’elle convoque en effet non pas seulement du savoir mais de l’existence. Comment le dire ? On peut le dire ainsi : en tant que liberté vide, revenons à notre contemporain, le conflit des opinions s’oppose en effet au savoir. C’est la 1ère strate. Comme le dit Platon, il est ignorant, il est inscient peut-on dire plutôt. On peut opiner sans rien savoir. C’est même recommandé, c’est même recommandé ! C’est la 1ère strate. Mais plus essentiellement, dans cette voie, c’est là où tentons de nous orienter, l’opinion s’oppose à la pensée. Alors pourquoi ? Et bien (c’est pour ça u’il est question de vérité face au semblant), on peut dire que l’opinion s’oppose à la pensée car elle ignore l’orientation dans laquelle elle se meut. Elle l’ignore non pas au sens de l’ignorance du savoir, mais elle l’ignore en tant qu’elle fonctionne de sa forclusion. Elle vient à la place forclose de l’orientation qui la régit. C’est en ce sens qu’elle n’est pas une pensée. Nous définissons un trait particulier d’une pensée : une pensée réelle, c’est une pensée qui est en état d’assumer son orientation. C’est une pensée qui est homogène à une orientation qu’elle peut prononcer, déclarer. Elle déclare son orientation. Elle n’est pas un débat interprétatif sur des distributions d’existences dont on ne connaît pas les règles. Elle prononce et déclare les existences à partir de quoi elle se structure comme orientation. On peut appeler cela pensée. On peut appeler pensée tout processus subjectif qui peut assumer son orientation, et donc aussi la différence de son orientation avec une autre. C’est pourquoi il y a un élément antagonique dans toute pensée. Il y a cet élément antagonique que dès lors qu’elle assume, qu’elle identifie son orientation, elle identifie aussi d’autres orientations comme incompatibles. Alors que l’opinion fonctionne toujours dans la compatibilité. Je dirais même qu’elle propose un régime de compatibilité, obtenu par soustraction d’une orientation supposée unique. Cette différence entre 2 orientations, assumée par la pensée comme orientation, cette différence elle porte sur l’existence (une orientation est la reconnaissance effective d’un protocole d’existence), et donc il n’y a pas de débat d’orientation. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours été d’accord, j’ai toujours insisté sur le fait que Deleuze disait que la philosophie est incompatible avec le débat. Il y a des propositions antagoniques, mais elle ne peut pas organiser un débat. Elle se prononce sur ce qu’ une orientation, et  comme une orientation, c’est un protocole axiomatique sur l’existence, ça ne peut pas entrer en débat. Il n’y a pas de débat philosophique. Personne n’a jamais vu 2 philosophes débattre, avec à la fin une motion de réconciliation, votée à la majorité des suffrages, en disant finalement, grosso modo etc… Le débat, ça ne veut pas dire que c’est inutile, mais c’est toujours et par définition un débat d’opinion. Le débat est une structure de l’opinion. L’orientation ne débat pas, elle déclare, elle peut se déployer, elle peut développer, rabougrir et disparaître, son destion n’est pas prescrit, mais elle n’est pas dans léélemnt du débat. D’ailleurs c’est intéressant de voir ce qu’est la philosophie quand elle est organisée comme si elle était un débat. Je ne parle même pas de la forme vulgaire, café philo etc… La philosophie se pôrte bien lit-on dans les magazines. Forcément, car toute opinion est déclaré philosophe ! je ne parle pas de ça. L’exemple canonique c’est les objections et réponses de Descartes après la parution des Méditations. Lisez-en un bout, vous verrez que il n’y a pas de débat, il y a autre chose, il y a une réélucidation, une reformulation par Descartes de ses thèses, avec une fonction de l’objection qui est exactement la fonction des interlocuteurs de Socrate chez Platon, ie ils sont là pour faire rebondir la chose permettre un déploiement supplémentaire. Elle structure une autre manière de faire : comment on organise dans un espace mental l’exposition des orientations, de l’antagoniste des orientations, la théâtralisation de l’antagonisme des orientations ? Donc les orientations créent un espace antagonique qui peut être dramatisé, exposé, déclaré théâtralisé mais qui ne prend pas la forme d’un débat. Par contre, le débat d’opinion, lui, est désorientant. Il n’est pas prescriptif de l’orientation, car en tant que débat d’opinion, il a mis de côté l’orientation, il a mis de côté qu’on touche à l’orientation, car si on y touche, on ne peut plus débattre de l’opinion. Donc la question de l’identification de l’orientation et de sa différenciation d’avec une autre est mise de côté, et de ce point de vue le débat d’opinion a une fonction propre qui est une fonction de désorientation. Il faut bien dire, quitte à ce que d’autres journalistes déclarent et fassent publicité sur ma haine de la démocratie, il faut bien dire que le vote dans son essence est désorientant. Ce qui n’est peut-être pas, à vrai dire, une objection véritable. Peut-être n’est-il pas du tout destiné à orienter quoi que ce soit. Il est peut-être tout simplement une procédure de désignation arbitrale entre les différents candidats au pouvoir de manière à ce que finalement au lieu de prendre le pouvoir par la guerre civile contre les autres, ils le prennent par une procédure  réglée précisément par la figure de l’opinion. Car le vote, c’est d’avoir convaincu tout le monde que la politique est une affaire d’opinion. C’est une thèse, une thèse tout à fait particulière, qui est celle de la thèse de Arendt, et de quelques autres : la politique est l’espace du jugement d’opinion. Thèse fondamentale pour que l’ensemble de l’espace plitique soit réglé par la question du vote. Je le dis car l’homogénéité entre débats d’opinion et vote est frappante : c’est pour ça qu’on débat à la TV, on ne pourrait pas le faire sur des orientations. On a une surface de débat qui en vérité forclôt les orientations communes (évidemment, si les candidats se mettent d’accord sur le fait qu’ils ont la même orientation ce sera encore plus désorientant que ça ne l’est au niveau des différences d’interprétations), et on va installer le débat d’opinion comme s’il était une contradiction véritable en dissimulant la strate dans laquelle il est en réalité une orientation désorientante. On peut l’appeler comme ça. Et alors, finalement, penser la situation, ie s’installer non dans l’opinion, mais dans la pensée autant que faire se peut, car on est toujours un peu dans l’opinion, c’est s’extraire de l’orientation camouflée qui règle les débats d’opinion. C’est le geste essentiel, c’est le geste auquel Platon convoque en réalité toujours. Le personnage conceptuel, pour employer le voc excellent de Deleuze, qu’est Socrate dans Platon est un personnage bâti pour induire l’opération qui extrait de son interlocuteur, ou qui tente de les extraire, ou montre qu’on peut s’extraire de la figure du débat en tant que son orientation fdtale est camouflée ou implicite. Si vous regardez bien, les dialogues sont complexes, pour la raison qu’il s’agit d’abord de faire ressortir une orientation, et ensuite seulement, ayant fait ressortir cette orientation camouflée, de s’extraire du débat d’opinion pour orienter vraiment la pensée, la sortir de la désorientation. Il n’y a pas opposition entre la figure aporétique des sialogues et les figures plus dogmatiques ou affirmative. C’est articulé, l’opération  dans son ensemble est une opération d’orientation. Mais pour être orientation, il faut interrompre la désorientation. C’est le geste 1er.Comment interrompre la désorientation constitutive de l’opinio et de ses conflits ? Comment montrer que le conflit n’est pas un conflit d’opinion ? C’est une 1ère figure qui à elle seule suppose des gestes intellectuels absolument singuliers, absolument spécifiques. C’est au fond ça le commencement du processus par lequel on extorque de l’un à la multiplicité indifférente. Le début de cette extorsion de ce ek pollon, c’est précisément le geste par lequel on s’extrait du débat d’opinion, et on montre que la norme dans laquelle on va s’établir est une norme d’un tout autre type, qui à vrai dire est une norme antagonique, c’est une norme proposant la différence des orientations comme différence sans médiation. Entre 2 opinions il y a toujours une médiation qui est le fond commun cachée permettant de les organiser en débat, tandis que dans l’espace de l’orientation il n’y a plus de médiation. Et alors S est le médiateur de la non médiation, ie c’est pour ça qu’il agit par des moyens un peu étranges. Il est celui qui va faire passer de l’espace de la médiation à celui de l’antagonisme. Il doit mettre son interlocuteur face à face avec la nécessité de la discipline. Voilà. Donc c’est en ce sens que la question va être une question de l’existence. Ultimement, l’orientation est une orientation qui se prononce sur existence, et non pas simplement une opposition entre opinion et savoir. les 2 temps de la procédure platonicienne sont les 2 modes d’opposition de l’opinion

L’opinion en un 1er sens s’oppose au savoir en tant que forme d’ignorance (thème des 1er dialogues, ou des 1ers mvts). En un 2ème sens, plus essentiel et plus profond, l’opinion est en réalité ce qui s’oppose à l’être exposé comme tel ou à la vérité comme telle. Ie ce qui s’oppose à la subjectivation du vrai. A ce moment là, il s’agit de l’être de l’existence et plus seulement de la correction du savoir. Il ne s’agit plus d’opposer l’ignorance au savoir mais d’opposer des voies opposées, antagoniques, concernant les assertions d’existence. Il va falloir s’assurer de l’être de l’existence. Qu’est-ce que c’est que l’être de ce qui existe ? Voilà le point qui est le point d’achoppement de Platon. Bien sûr, on sait que tout ce qui est en un certain sens existe. Donc le départ est toujours celui de l’existence de l’être. Tout être existe, ce qui veut dire que tout être est localisé, tout être se propose en un lieu, tout être est explicité dans une mondanité. Mais ça, c’est uniquement le fait que l’être existe. Mais la remontée véritable ce n’est pas de concevoir que l’être existe c’est de concevoir qu’il y a un être de l’existence. Et quand vous vous prononcez sur l’existence, vous vous prononcez aussi sur l’être, et pas seulement sur une figure localisée de l’apparaître. Le mouvement que je dirais platonicien au sens large, retracé ici avec les 2 sens du mots opinion, c’est succint, c’est le passage de l’existence de l’être à l’être de l’existence, c’est s’assurer seulement de l’être de l’existence et non pas seulement de ceci, qui est une évidence inaugurale, que l’être existe, que l’être se donne, qu’il est inscrit dans un monde.

Platon dit qch comme cela, dans le Phédon cette fois : 78 c. C’est une phrase très tendue, qui m’intrigue depuis des décennies. En travaillant bcp, j’ai je crois un peu mieux compris. « cette existence (ousia) dont tressant questions  et réponses nous rendons raison (logos) de son être (einai) ». Le jeu des questions et des réponses, le dialogue, le texte platonicien, i est destiné à rendre raison de l’être de l’existence. Cette existence dont tressant question réponse nous rendons raison de son être. C’est donc einai de ousia qui est la vraie question, l’être de l’existence, et non pas le mode sur lequel l’être existe. L’écart qu’il faut comprendre, dont l’opinion a donné le vestibule, pour comprendre l’orientation, c’est l’écart entre ousia et einai, entre être et existence. C’est cet écart là, dans lequel travaille une orientation de pensée véritable, en tant qu’assertion d’existence, et en tant que assertion d’existence elle rend raison à l’être de ce qui existe, elle en rend raison. Au fond, nous pouvons le dire en concluant sur l’exemple initial : c’est absolument vrai que sous la maxime égalitaire qui fait que vous déclarez l’existence effective du prolétaire de provenance étrangère comme inexistant typique, quand vous prononcez réellement son inexistence, eh bien en réalité vous rendez justice à son être. C’est pour ça que c’est une orientation véritable. Justice est rendue à son être. Et vous n’êtes plus simplement dans l’interprétation de ses droits à exister, vous êtes dans un arrimage de son existence à son être qui rend justice à ceci qu’il est ici, il est ici. Et en ce sens, l’assertion d’existence en tant qu’orientation dans la pensée est justice rendue à l’être. En définitive, oui, justice est bien un nom pertinent pour la procédure de vérité ou pour l’orientation dans la pensée, car à travers et dans l’écart entre être et existence, son but est bien de rendre raison de l’être, ie de rendre justice à ce qui est. Merci.

14 février 2007

Nous voici au  milieu de la trajectoire de cette année. Je rappelle les prochaines échéances : 14 mars, 25 avril et 13 juin. En ce qui concerne les permanences, la formule est une fois par mois, et la permanence de février aura lieu le 2 mars (le vendredi 2 mars), et la suivante le vendredi 30 mars.

 

Je voudrais commencer par un énoncé personnel : j’ai été touché et affecté par la mort de Philippe Lacoue Labarthe. J’ai été très affecté, car c’était vraiment pour moi un point d’existence important - appelons le comme ça - dans le monde contemporain et de longue date. C’était un ami, et un philosophe extrêmement significatif dans le contexte actuel. C’était un ami distant, réservé, comme il l’était mais absolument sûr. Je pense qu’il était explicitement ou implicitement mon interlocuteur fondamental sur en tout cas une question, une question dont vous connaissez ici l’importance pour moi, qui est la question des rapports entre philosophie et poésie, la signification philosophique du poème, et je dirais même plus que cela, la signification historiale du poème, ceci composait une triangulation avec Heidegger : pas un face à face, mais la création d’un espace complexe dans lequel le système des questions du  rapport de la philosophie et poésie était disposé comme une question majeure de ce temps, et pas comme une question intemporelle, d’éclaircie de ce temps, et là il était celui qui soutenait un autre point, quelque chose que nous avions en partage. Non pas la même chose, mais nous avions en partage la conviction que le poème contemporain dans son relatif délaissement, dans le fait qu’il n’est plus aussi évidemment convoqué ou central qu’il a pu l’être en particulier dans la période romantique, précisément aujourd’hui le poème eh bien nous dit quelque chose, anticipe quelque chose. Il est porteur non pas d’un gardiennage (comme c’était l’orientation majeure de Heidegger) mais d’anticipation au contraire : il énonce sur ce temps un point d’impasse naturellement mais aussi un point de capacité. La poésie est capable de dire ce dont le temps sera capable, et non pas seulement d’être enfoncée dans le retour de ce qui a disparu. En ce sens, je crois, je crois que si qch existe qui a une essence prophétique, ce n’est pas la religion mais le poème. Il a une dimension prophétique pourquoi ? parce qu’il puise dans l’infinité de la langue, et puisant dans l’infinité de la langue il est apte à lui faire dire au présent une ressource qui n’est pas d’ailleurs visible que dans cette infinité de la langue. Là dessus Lacoue-Labarthe disait des choses extrêmement précieuses, je vais y revenir.

Pour bien comprendre ce qu’était Lacoue-Labarthe, il faut revenir un peu sur cet horizon singulier de ce qu’aconstitué Heidegger en France. Il y a là-dessus des polémiques récentes, sur Heidegger et la signification de Heidegger en France. Rappelons quelques faits bien connus.

Dès le début, si je puis dire, dès les années 30, Heidegger est présent non seulement dans la filiation de ce qui va être celle des heideggeriens à proprement parler, mais il est présent dans les 2 tendances organiques de la philosophie française, celle de Bergson et celle de Brunschvicg. Disons la philosophie d’orientation vitaliste ou existentielle, d’un côté, et la philosophie d’orientation conceptuelle et mathématisante de l’autre. Ces 2 volets, ces 2 orientations, sont vraiment ce qui constitue la singularité de la philosophie française depuis au moins le début du siècle, sinon depuis la possibilité de donner 2 interprétation différentes de Descartes : une interprétation en subjectivité et une interprétation selon le mécanisme. Ie une interprétation selon la science et une interprétation selon la spiritualité subjective. Donc dès le protocole le plus inaugural de la philosophie française, on trouve ces 2 tendances. Or, dès le milieu des années 30, Heidegger s’installe comme référence dans les 2 tendances, et l’indice le plus complet de cela, on peut le trouver de façon tout à fait factuelle.

En 1938, Cavaillès et Aron, Jean Cavaillès et Raymond Aron, entreprennent de créer une nouvelle collection, les essais philosophiques, et 2 textes essentiels de cette collection créée aux éd. Hermann paraissent en 39 : l’Esquisse d’une Théorie des Emotions de Sartre (c’est le 1er livre de philosophie contemporaine que j’ai lu), et les Nouvelles Recherches sur la Structure Dialectique des mathématiques de Albert Lautman, donc 2 textes fondamentaux en 1939, en même temps dans la même collection, et qui attestent d’une référence à Heidegger, dans leur orientation existentielle et subjective et dans une orientation explicitement platonicienne. Heidegger est là, comme une référence au nouage ou à l’intersection des 2 tendances. Je vous signale à ce propos que les Essais de Lautmann ont été réédités, je vous conseille de les lire pour ceux qui ne l’auraient pas déjà fait. Dans la 1ère partie de ce texte s’appelle la Genèse de l’existant à partir de l’idée : entièrement sur le nouage de la dialectique idéelle et de l’existant comme tel. Et c’est là, dans ce texte, que Lautman entreprend une lecture tout à fait singulière et originale de Heidegger. Ceci pour dire, c’est ma 1ère remarque (nous ne nous éloignons pas de LL, inintelligible en dehors de ce champ de réception), que dès le début, dans le champ complet de la philo française Heidegger est une référence constitutive.

Ensuite nous aurons influence explicite et générale : Heidegger a été traduit par Lacan, discuté par Hippolyte, toujours déclaré essentiel par Foucault (même si c’est une essentialité implicite), comme par Lyotard, et puis, relisant récemment, pour des raisons d’opportunité la 1ère page de l’Etre et l’Evénement (que j’avais oubliée !), j’y trouve ceci : « Heidegger est le dernier philosophe universellement reconnaissable ». Je me mets dans ce panorama général m’inclus dans cette lignée. Cette sorte de verdict qui est que Heidegger comme tel est une pièce constitutive de la philosophie créatrice en France depuis les années en 30 est remis en question sous le chef que faire cela, finalement, c’est installer le nazisme dans la philosophie (un argument de cet ordre). Et puis quelques nabots journalistiques essaient même de dire que Heidegger était un crétin. C’est à ce type de constatation que conduisent ces déterminations idéologiques. Il faut rappeler ici ce que disait Lyotard, auquel je voudrais rendre hommage ici. Il disait : il faudrait sortir de l’alternative : ou bien Heidegger était nazi et n’était pas un grand philosophe, ou bien Heidegger était un grand philosophe et n’était pas nazi. Et il faudrait s’installer dans la question redoutable : il est un grand philosophe et il a été national socialiste. C’est ça qui est le défi propre que la philosophie doit soutenir, naturellement. C’est la question qui lui adressé de l’intérieur de son domaine propre. Ce n’est pas la question d’avoir à choisir entre un heideggerianisme pieux qui tenterait de démontrer contre toute évidence qu’il n’y a eu aucun emballement nazi de Heidegger, il y en a eu un, les pièces sont là, et un anti-philosophisme radical, qui consisterait à dire que puisqu’il y a eu cet emballement, Heidegger doit être jeté à la poubelle.

Lacoue-Labarthe s’inscrit dans cette histoire. On peut ponctuer, au-delà de cette influence générale, on peut construire l’histoire de Heidegger en France avec 3 références essentielles, qui construisent proprement l’horizon de l’heideggerianisme en France :

- Jean Beauffret, le passeur, qui a produit une médiation organique entre Heidegger qu’il connaissait personnellement et le discours philosophique en France.

- Jacques Derrida, qui a donné de Heidegger une interprétation conflictuelle extrêmement sophistiquée

- Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-luc Nancy, appariés en un sens (ils ont écrit plusieurs livres ensemble et ont fondé l’Ecole de Strasbourg, qui a été, un temps, une polarité philosophique exceptionnelle dans notre paysage)

Lacoue-Labarthe c’est le dernier grands temps de l’heideggerianisme créateur en France, sous l’influence de Derrida, qui a constitué la singularité divisée (Nancy n’est pas Lacoure-Labarthe).

 

Lacoue-Labarthe organise sa pensée autour de 2 questions, à mon avis, 2 questions qui sont aussi les nôtres ici. Sa pensée est profonde au sens non pas de pathos, la présomption de profondeur, mais de loyauté absolue. Je suis sensible à cette loyauté radicale de sa question. Il y a 2 questions.

La 1ère grande question, c’est : peut-on inscrire la barbarie politique flagrante au 20ème siècle dans une généalogie spéculative ? La barbarie politique au 20ème siècle est-elle un phénomène dont la singularité est fermée, ou est-ce que l’interlocution philosophique avec cette barbarie doit dessiner une espèce de vaste paysage spéculatif, qui en est la généalogie, de telle sorte qu’il y aurait une responsabilité spéculative proprement dite dans le phénomène lui-même, sans que pour autant on puisse réduire la politique à la philosophie. Mais il y aurait la possibilité que cette politique là, ou ces politique là, se soi(en)t constituée(s) dans un rapport à une généalogie spéculative, qui quoique extérieure n’en est pas moins comme une condition du phénomène politique et étatique lui-même. Il est donc vrai que la question est la question d’Auschwitz, et il demande comme Adorno qu’est-ce qui est possible dans la pensée après Auschwitz, mais il le demande sur un mode très particulier, qui est de quel monde spéculatif (pour employer mes termes à moi) spéculatif peut-on apercevoir que ce phénomène politique a une généalogie dans l’ordre de la pensée pure ? Et alors ce qui est très intéressant c’est que au fond Lacoue-Labarthe refuse les 2 issues naturelles de ce débat (débat dans lequel Heidegger est impliqué en tant qu’il est aux 1ères loges, il es le grand philosophe qui a été et s’est mi lui-même aux premières loges de cette affaire). Il refuse les 2 solutions ordinaires :

- la solution qui consisterait à innocenter la philosophie spéculative de tout rapport, ou de toute relation immanente, à cette barbarie. Ie de déclarer que, y compris en la personne de Heidegger, la philosophie est dégagée de tout engagement véritable dans ce qu’a été le phénomène nazi. C’est ce qu’on pourrait appeler une position d’esquive, qui esquive le fait que précisément il y a eu figure de proximité et d’adhésion, au moins temporaire. Donc il refuse la solution de l’heideggerianisme pieux, ie celui qui tente en définitive par tous les moyens d’innocenter par tous les moyens le dispositif spéculatif heideggerien de toute forme compromission avec le national socialisme. Mais il refuse aussi ce que j’appellerai

- la solution démocratique : à savoir le nazisme est une figure du mal absolu, et pour autant qu’on est compromis avec cette figure, il faut assumer que cette compromission est elle-même absolue. Et donc que il y a une contradiction radicale entre l’humanisme, sous toutes ses formes, l’humanisme démocratique, et la barbarie en question. Sur ce point, il y a une formule à vrai dire foudroyante de Lacoue-Labarthe, comme il en avait souvent (des formules qu’il jetait en attente de leur élucidation, pour lui-même, ce n’était pas le goût de l’énigme, mais le goût de la densité problématique, consistant à poser une figure sans en avoir encore le développement de sa possibilité), ie la fameuse formule « le nazisme est un humanisme ». Le nazisme par excellence a prétendu fonder la politique sur une définition de ce qui était l’humain, une définition de ce qu’était l’homme. Et une fois défini l’homme, on a pour tâche difficile, ingrate mais nécessaire, d’éliminer le non humain. C’est en ce sens un humanisme radical : rendre conforme l’essence historiale de l’Allemagne authentique à la conformité à une pensée de ce qu’est l’humain comme tel. Voilà pourquoi pour Lacoue-Labarthe la voie démocratique qui consistait à s’engager dans des propos sur le totalitarisme de façon ordinaire était une voie en impasse, parce qu’elle ne voyait pas que, en définitive, l’essence profonde du nazisme est le maintien métaphysique de la figure de l’homme, comme figure en surplomb de la détermination politique.

Une fois que vous ôtez ces 2 solutions, vous êtes devant le problème dans sa nudité : si ce n’est ni l’un ni l’autre, d’où procède, dans quel lieu ouvrir à la corrélation entre la généalogie spéculative et la barbarie politique ? La réponse est une réponse extrêmement complexe, à vrai dire, anticipée par d’autres, anticipée notamment par Benjamin et en un certain sens par Brecht. La réponse se trouve du côté de la nature du lien entre la philosophie et l’art. C’est un déplacement complexe et inattendu, mais c’est là que se dessine un horizon généalogique avec lequel la barbarie politique peut entrer en relation, a la possibilité d’entrer en relation, c’est du côté du mode propre sur lequel la philosophie s’est appropriée sa condition artistique. Au fond, c’est dans l’élément d’une suture esthétisante de la philosophie que se crée l’élément possible d’une figure de la politique, elle-même esthétisée, elle-même esthétisée, ou conçue sur le modèle de l’œuvre d’art totale, qui en définitive ne peut se réaliser que dans la figure de la barbarie. La chicane est assez complexe : aux yeux de Lacoue-Labarthe, il est impossible comprendre la corrélation entre l’horizon spéculatif général et la barbarie singulière uniquement dans un vis-à-vis de la politique et de la philosophie. Il y a un élément immanent constitutif qui est le rapport à l’art, qui est l’esthétique, dans la figure de ce qui rend possible philosophiquement l’esthétisation de la politique. Tout cela constitue (je le schématise) la 1ère grande question et la 1ère hypothèse. Et la figure de la mimesis, ie la figure de l’art comme imitation au sens le plus large du terme, ie l’idée que l’art c’est en quelque manière la frappe du réel lui-même et non pas son déplacement symbolique, c’est ça, c’est cette figure de l’imitation, ie de qch qui donnerait à voir la frappe du réel comme tel, qui rend possible que la politique comme action, comme entreprise, comme sculpture de l’Etat si vous voulez, se réalise dans la forme où elle s’est réalisée. Autrement dit, le motif de la critique de l’imitation, qui remonte à Platon (nous voilà reconduit à Platon, de nouveau), est beaucoup plus radical pour Lacoue-Labarthe que Platon lui-même : Lacoue-Labarthe indiquera que chez Platon lui-même, dans la conception oeuvrante de la cité et de l’Etat, demeure quelque chose en réalité du paradigme esthétique. Et que ensuite, toute la généalogie spéculative va être la lutte immanente contre ce paradigme sans finalement arriver à s’en débarrasser, mais en le déployant, en le remaniant, en le maintenant. Et en vérité, pour le dire très simplement, c’est l’idée que la tâche de la politique est de produire une œuvre. C’est ça. Et si elle a à produire une œuvre, ça veut dire qu’elle est dans l’élément paradigme oeuvrant, et elle est dans une esthétisation qui absolutise son processus, non pas seulement dans les figures classiques de l’autorité de l’Etat ou de son caractère sacré, mais plus profondément dans la nature même de l’acte politique, en tant que c’est l’acte de production d’une œuvre. Ou si vous voulez la politique comme configuration, dans le cas du nazisme comme configuration d’un peuple ou d’une communauté. Cette configuration induit une clôture imitative d’un paradigme supposé qui ne peut être, dans sa réalisation, que d’essence criminelle. C’est le 1er groupe de grandes considérations de LL.

Si on en tirait quelque chose pour notre pensée ici, on dirait que LL nous alerte sur le fait qu’il ne faut pas penser l’existence comme un résultat, il ne faut pas la penser comme une œuvre, mais une œuvre c’est toujours qch qui finalement se clôt dans la figure de sa configuration propre, de son résultat, de sa belle forme, de son immanence singulière. Derrière toutes les questions singulières concernant Auschwitz, la barbarie politique et la généalogie spéculative, en définitive il y a une critique subtile et profonde de tout ce qui tourne autour de la conception de l’existence comme une œuvre, dont sans doute la forme la plus contemporaine est l’idée que l’enjeu de la politique, ce sont des formes de vie. Et cette idée, l’horizon que Lacoue-Labarthe nous propose nous permet de diagnostiquer cette idée comme une ultime forme de l’esthétisation de la politique, et donc du lien avec la grande généalogie spéculative de la barbarie. Par csqt, le pb est de passer d’une politique de la forme à une politique du processus, dans lequel le caractère oeuvrant, le résultat en forme d’œuvre de clôture, sont inessentiel. Voilà pour le 1er versant. Ça touche à nos questions, à qu’est-ce que c’est que s’orienter dans l’existence ?  La leçon, c’est que s’orienter dans l’existence ce n’est pas s’orienter selon l’idée d’une forme, ie ce n’est pas inventer esthétiquement une forme de vie par où l’existence authentique peut passer.

 

Le 2nd groupe de questions de LL qui m’intéresse également beaucoup, c’est dans cette affaire, par où, que devient et peut-on sauver l’innocence du poème ? C’est une transposition d’une idée de Heidegger, mais c’est une transposition pas une répétition. Vous savez que Heidegger soutient que le poème, le dire poétique est à certains égards en exception de la souveraineté dévastatrice de la métaphysique. Quelque chose du poème garde encore la corrélation fondatrice de l’étant avec son être propre, et n’abandonne pas l’étant à sa destinée séparée, d’où la formule que « le poète est le berger de l’être ». Le poète est le berger de l’être, ça veut dire que le poème est le gardien de ce qui peut subsister de vivant dans l’étant comme tel, du point de sa relation d’éclaircie avec l’être. Le berger de l’être c’est le poète, ce n’est pas le penseur de l’être : il a l’innocence du berger, il est ce qui détient ou maintient la singularité historiale d’un rapport possible de l’étant à son être au cœur même du nihilisme, au cœur même de l’abandon de tout étant par l’être même. Donc il y a bien chez Heidegger l’idée d’une innocence relative du poème, d’où son interlocution radicale avec le poème tout du long. Ce qu’appelait Roger Pol Droit, dans une charge anti-heidegerienne récente : « il a accordé une importance exagérée au poème ». ça c’est vrai ! il a accordé une importance très exagérée pour Roger Pol Droit ! Et cette interlocution avec le poème, vous voyez qu’elle était fondatrice de l’idée qu’il y a une réserve, il y a quelque part une réserve, le poème constitue une réserve pensante à l’abri, partiellement, de l’historialité générale de l’être lui-même, du devenir nihiliste de la pensée, de l’abîme nihiliste où la pensée s’effondre. Le poème constitue non pas une autre voie, mais une réserve, un gardiennage, une protection dans la langue de ce qui peut encore être protégé.

Je pense que Lacoue-Labarthe cherche quelque chose de plus radical encore dans le poème. C’est une transposition de la destination heideggerienne du poème. Il cherche à dire qu’il y a dans le poème quelque chose qui est non pas simplement gardiennage, de ce qui peut être sauvé ou protégé de l’authenticité de l’étant pensé selon son être, mais qu’il y a dans le poème la production d’une intelligence du devenir de l’être même. Le poème est plus qu’un gardiennage, c’est aussi une pensée. Je ne sais pas s’il dit cela, je n’ai pas tout relu pour ce soir, mais je l’interprète comme menant à son terme l’indistinction du poète et du penseur, contrairement à la maintenance de la distinction par Heidegger (le poète et le penseur  sont en vis-à-vis, et l’un interprète l’autre finalement : le penseur interprète ce qui est simplement gardiennage dans le poème). Lacoue-Labarthe voulait aller plus loin et abolir la distinction, de telle sorte que la dimension proprement pensante du poème lui-même soit dégagée, et pour dégager la dimension proprement pensante du poème, pense Lacoue-Labarthe, il faut concevoir que l’histoire du poème n’est pas sa fermeture, là non plus, ou sa forme, mais que c’est l’histoire de la possibilité immanente de son devenir prose. Telle est non pas du tout la dénaturation du poème, mais la possibilité que la généalogie poétique soit entièrement distincte de la généalogie spéculative. Ie que précisément la généalogie spéculative, prisonnière de la figure du résultat ou de l’œuvre, trouve dans le poème une alternative ou une différence parce qu’elle est le devenir d’une pensée qui précisément (quoi qu’elle soit en un certain sens la plus formelle car le poème c’est le comble de la forme dans la langue) mais précisément parce qu’elle est cela elle porte le devenir historique de sa propre résiliation dans la figure anonyme de la prose. L’idée est très profonde, assez difficile mais je crois extrêmement féconde : le poème, précisément car il puise dans l’infini de la langue selon des protocoles formels extraordinairement sévères et singuliers, est aussi ce qui peut dire comment, dans la langue, passe le générique ou le quelconque. Il est destinalement prose supérieure, en tant que poème, car il est destiné à dire le commun de l’expérience, l’absolument commun, l’absolument générique, l’absolument prose de toute prose. Il peut dire cela par ses ressources singulières, et quand il dit cela, ça veut aussi dire que lui est ce qui met en garde et destine la pensée à autre chose précisément que la barbarie. Ie que le poème c’est la non barbarie dans la langue, mais ne nous trompons pas, c’est la non barbarie dans la langue, non pas par sa puissance formelle, mais car il montre qu’il n’y a de puissance formelle véritable que pour autant qu’elle est destinée au dire du sort universel, du sort commun ; ça évidemment c’est ce que moi par d’autres chemins je pense tout à fait (par exemple pour Samuel Beckett : l’installation d’un rapport de la prose au poème). Si la poésie est si essentielle pour la philosophie aujourd’hui, c’est parce que la poésie est le lieu où la pensée du résultat, où de l’œuvre, se résilie de l’intérieur d’elle-même, et par la puissance formelle elle-même, en dire de l’anonymat et en dire de l’existence nue, de l’existence comme telle, de l’existence qui précisément n’a pas besoin de forme pour exister, n’a pas besoin d’être à la recherche de la forme, mais qui est immédiatement ce qui rend justice à son être. Et ça, rendre justice à l’existence, c’est l’enjeu du poème. Il n’y a pas de contradiction en ce point, mais au contraire complémentarité dialectique immédiate, entre la complexité formelle du poème, son choix de traiter la langue simultanément comme une infinité et comme un matériau, comme le matériau d’une forme, et le fait que tout cela soit destiné en fin de compte à ne rien séparer, ie à ne pas configurer la séparation,  à ne configurer aucune séparation, mais au contraire à être dans l’ordre du générique ou de l’inséparé. On peut dire ça : on pourrait dire que tout grand poème est en réalité un poème de l’ordre de l’inséparation. Ce que aux yeux de LL la gde généalogie spéculative échouait à être, elle restait dans l’élément de la séparation.

Vous voyez la complémentarité et la densité propre des motifs :

- quel est finalement le rapport de la culpabilité de la philosophie ou de la spéculation dans la généalogie de la barbarie contemporaine

- ou est dans cette affaire l’innocence du poème

Cette 2ème question s’est soldé par 2 interlocutions essentielles. L’une avec Holderlin. On pourrait presque définir le désir de LL comme étant d’arracher Hölderlin à Heidegger. Mais arracher H à Heidegger c’est un désir difficile. Ce n’était pas dire banalement il s’est trompé il y a autre chose etc... C’était arracher comme séparer une étreinte, arracher réellement H des bras de Heidegger, de la séduction de Heidegger qui s’exerçait sur LL lui-même. C’est donc sur la tension de cet arrachement séduit que se jouait la question d’une autre écoute de Hölderlin. Les textes de LL sur Hölderlin sont tous admirables, relisez les : la césure du spéculatif, la préface aux Elégies. Et en même temps l’inachèvement de la chose est constalmemnt affirem : je ne suis pas encore arrivé à arracher H à Heidegger, mais je sais que c’est cela qu’il faut faire, c’est le devoir de la pensée. on avait une épreuve bien définie : la pensée d’après la métaphysique, la pensée d’après Heidegger, serait victorieuse quand elle ferait entendre réellement Hölderlin délivré de l’exégèse heideggerienne. Le geste de cette délivrance serait la véritable l’écoute de Heidegger, et non pas la proposition d’un autre Hölderlin. C’était défaire cette étreinte qui était l’émancipation spéculative elle-même.

Pour cela on pouvait s’aider de Paul Celan, c’est l’autre interlocuteur. C’est la question presque inverse : comment comprendre le lien de Celan à Heidegger, le lien paradoxal. Il y a un épisode mythique de la contemporanéité poétique : la visite de Celan à Heidegger. Et il a écrit un poème sur sa visite à Heidegger, qui le moins qu’on puisse dire donne la leçon de cette rencontre dans la figure d’une considérable énigme. Il a écrit un livre presque tout entier consacré àa ç : qu’est-ce qui s’est noué ou dénoué ? Quelle a été la relation du poète juif d’après Auschwitz à Heidegger, hanté ou tenté par la nationalisme socialisme et qui tentait l’appropriation de la poésie. La triangulation Hölderlin, Celan, Heidegger, est constitutive d’une délivrance  pour LL : délivrer la voie du poème, délivrer le fait qu’on puisse entendre le poème dans sone effectivité, ie dans cette historialité qu’il ne partage pas avec la généalogie spéculative dans son ensemble. Tout ça est d’une densité extrême et surtout est constamment laissé en suspens. Il y a l’organisation d’un suspens de la pensée par Lacoue-Labarthe. C’est le mode propre sur lequel il exerçait la pensée : c’est typiquement une pensée au bord du vide, non pas au sens d’un gouffre existentiel abyssal mais qui n’a d’autre sens que de se porter en un point où tout le monde voit qu’il y a qch à franchir, un point doit être franchi, le franchissement est indiqué comme un devoir, mais le travail continue. LL est qln qui n’a jamais arrêté la philo dans l’espace de l’œuvre. Il l’a défait, l’a désorienté lui-même. Je suis dans un double deuil : le deuil de la disparition très tôt de LL (66 ans), et puis le deuil de ce que dans  sa pensée, à ses propres yeux, il n’avait pas encore pensé. Il y avait qch dans sa pensée, on le voyait, on le voit quand on le lit, qui se donnait dans le modalité que ce n’était pas encore pensée, ce n’était pas une quête infinie, c’était le point de conduite ou d’orientation de la pensée, orientation de la pensée vers le point où ce qu’il y a encore à penser clarifié. Qch est comme une éclaircie, mais pas comme un résultat, c’est une éclaircie de ce qui demeure encore à penser. Il étai sous l’impératif du un pas de plus, ou du continuer, de l’intérieur de la pensée philosophique. Hommage lui sera rendu au théâtre de Montreuil, ce samedi 63 rue Victor Hugo. Voilà ce que je voulais dire sur cette disparition de qln qui comptait bcp pour nous tous.

 

Nous revenons maintenant à notre affaire et à notre conclusion de la dernière fois.

Je vous rappelle que nous nous étions demandé la dernière fois - vieille question - qu’est-ce que c’était que l’opinion. Qu’est-ce que c’était que l’opinion, pour éclairer négativement ce que c’est qu’une orientation dans la pensée. Et, tout naturellement, comme il s’agissait de l’opinion, nous sommes remontés à Platon. Nous avons constaté que opinion est pris dans une double opposition :

- une opposition au savoir, c’est la 1ère, la plus classique, opinion est différent de science. Ce qui veut dire que l’opinion ne requiert pas vraiment qu’on sache vraiment pourquoi on donne son assentiment ou pourquoi on manifeste son hostilité. C’est mon opinion ! Elle accepte de ne pas savoir pourquoi elle donne assentiment ou hostilité. En ce sens elle est opposée au savoir. Et la critique traditionnelle de l’opinion c’est qu’elle est non instruite. Qu’elle a besoin d’être éclairée, l’opinion doit être éclairée, ie elle doit être prise dans un champ de savoir si on veut la normer. Donc il y a une 1ère critique de l’opinion, qui consiste à dire : l’opinion n’est pas bonne car elle n’est pas éclairée. Avec toujours la supposition que si l’opinion était éclairée, il n’y aurait pas de conflits d’opinion. C’est une critique unitaire : il y a des différentes opinions, mais c’est en réalité car les différentes opinions ne sont pas réellement éclairés.  Si elles étaient éclairées, elle seraient des bonnes opinion, et des bonnes opinions, en fin de compte il n’y en a qu’une. Donc c’est pourquoi cette critique est en vérité une critique faible, la critique qui se fonde exclusivement sur l’opposition de l’opinion au savoir. En réalité, elle dissout virtuellement l’opinion dans le savoir, justement. L’opinion instruite est une opinion qui ne se dispose plus comme opinion, mais comme connaissance, donc l’opinion est dissoute dans le savoir. On sait pourquoi on donne son assentiment ou son hostilité, on sait pourquoi on vote pour quelqu’un, mais si on le sait vraiment, et s’il s’agit d’un véritable savoir, alors ce n’est plus une opinion. Les savoirs ne sont pas dans l’ordre véritable de la contradiction, ou alors c’est qu’une part de ce savoir reste dans l’obscur de l’opinion elle-même. C’est un 1er champ. Ce que nous avions montré, c’est que Platon assume cette définition de l’opinion comme contraire à la science. Vous savez que c’est qch qui court jusqu’à une certaine version chez Althusser de la théorie de l’idéologie, l’opposition idéologie et de la science. L’opposition telle que chez le 1er Althusser elle est maniée, c’est au fond une mouture de ce qu’on est en train de dire là, l’idéologie c’est le lieu de l’interpellation en sujet, donc le lieu de la formation des opinions. Finalement la seule chose capable de dissoudre cette configuration, c’est la science.

On a vu que Platon construit une opposition plus radicale, qui est

- une opposition de l’opinion à la pensée ou à la vérité. Là, l’opinion est critiquée non pas du fait qu’elle n’est pas un savoir mais du fait qu’elle ignore (d’une ignorance constitutive, qui la fonde) l’orientation de pensée qui la rend possible. Elle ignore son propre être, ce  n’est pas qu’elle ignore ceci ou cela. Elle ignore son propre être, elle ignore l’orientation de pensée qui la fonde. Si on appliquait ça au vote, on dirait que ce n’est pas le fait d’ignorer qch qui constitue éventuellement le caractère d’opinion du vote (d’ailleurs on sait tout, de plus en plus), mais c’est de ne pas savoir quelle orientation fonde cet acte, c’est d’ignorer l’orientation de pensée qui rend possible le choix en question. Une orientation de pensée, Platon le dit à sa manière, c’est une assertion d’existence. Ce n’est pas la connaissance d’un objet. C’est, à la fin des fins : « ceci existe ». Et l’assertion d’existence est ce par quoi une orientation de la pensée touche à l’être, y compris à son propre être. C’est évidemment le noyau fondamental de la chose, qui fait que toute cette affaire s’inscrit dans le rapport existence, être, orientation. Alors le point, je vais donner la légitimité de mon titre général, c’est en ce sens qu’une orientation dans la pensée est une orientation dans l’existence. S’orienter dans la pensée requiert et enveloppe de s’orienter dans l’existence, parce que le réel d’une orientation dans la pensée, c’est d’affirmer une existence, le réel auquel touche une orientation dans la pensée, c’est une assertion d’existence. On peut dire que une orientation dans la pensée, en tant qu’assertion d’existence, elle touche à l’être, elle est un toucher de l’être même. J’avais cité Phédon, 28 c, de Platon. Je rappelle : « cette existence (ousia), dont tressant questions et réponses, nous rendons raison de son être (to einai) ». C’était une définition de la philosophie, une définition de la pensée. La pensée c’est rendre raison de l’être d’une existence. Tressant question et réponse, c’est le dialogue, le processus de la pensée elle-même. De quoi est-il question dans le dialogue ? Il est question de cette existence  dont nous rendons raisons de son être. Existence, être, et entre l’existence et l’être, nous devons rendre raison de l’existence selon son être, par question et réponse, et finalement la pensée c’est ça. Alors on dira pb et solution, question et réponses, construction concept, tout ce qu’on voudra. On peut changer le tressant question et réponse, qui donne la forme dialogique fondamentale de Platon,  mais on aura toujours cette existence dont, faisant ceci ou cela, nous rendons raison de son être. Rendre raison de l’être d’une existence, telle est l’orientation d’une pensée. Et naturellement, pour rendre raison de son être encore faut-il préalablement l’affirmer cette existence. Affirmer l’existence, c’est ce qui ouvre à la possibilité de rendre raison ou justice à son être. Nous avions pris divers exemples, notamment dans le champ notamment politique, mais aussi dans le champ amoureux : c’est toujours d’une déclaration d’existence que s’infère la possibilité de rendre justice à l’être. On pourrait le dire ainsi ; rendre justice à l’être, c’est construire une vérité, c’est combler l’écart abyssal entre les multiplicités indifférentes et les vérités éternelles. C’est ça rendre justice à l’être, c’est occuper l’espace apparemment incomblable entre l’indifférence des multiplicités en tant que figure abstraite de l’être et l’éternité des vérités. Plus abstraitement, rendre justice à l’être, c’est trouver le cadre dialectique (questions et réponse) dans lequel se déplie l’énoncé d’une existence. C’est ça rendre justice à l’être, penser. Ce qui me permet de formuler ce qui sera la 1ère maxime de notre morale provisoire. Puisque nous rivalisons ici avec Descartes. On la dira ainsi : « tire les csq de cette existence dont en l’affirmant tu as orienté ta pensée ». Voilà, c’est ça. En affirmant une existence tu as orienté ta pensée, et à partir de là il faut suivre l’orientation elle-même, il faut suivre les csq de l’assertion d’existence. Vous déclarez que ceci existe, il faut en tirer les csq, pour être immanent à l’orientation de la pensée.

Si on prend l’exemple le plus ordinaire, c’est l’exemple de la déclaration d’amour, mon exemple favori. C’est une assertion d’existence : qch existe qui n’était pas là. Qch existe. Naturellement, tout le monde du dehors ne voit rien de particulier. C’est pour ça que c’est une assertion d’existence. Pour ceux qui sont dans l’affaire, ça existe au sens fort : ça existe autrement, ça n’existe pas de la même manière qu’avant. Qch vient à exister dont la déclaration d’amour est  l’assertion. Après il faut exercer et pratiquer les csq et donc il faut trouver le cadre dialectique d’exercice des csq. C’est pour ça que la 1ère maxime, qui comme nous l’avons vu chez Descartes, est une maxime des csq en même temps qu’une maxime d’existence. On déclare une existence mais après, ce qui vient à l’ordre du jour c’est de tirer les csq de cette existence dont on a, en l’affirmant, orienté la pensée possiblement. Car l’orientation dans la pensée est soutenue axiomatiquement pa la déclaration d’existence, mais son réel ce sont les csq. Voilà pour cette maxime.

A ce point nous voyons bien qu’il s’agit de existence, orientation et être. Il est vrai qu’à notre tour il est possible d’entrer en interlocution avec Heidegger. Car après tout si qln a organisé sa pensée autour de la relation de l’existence et l’être, entre Sein et Dasein, Existenz Dasein Sein, c’est bien lui, ça il faut bien le dire. C’est intéressant, au point nous en sommes, puisque nous avons eu une 1ère étape platonicienne, d’avoir une 2ème étape heideggerienne, comme ça nous sommes aux 2 extrémités de la généalogie spéculative, pour parler comme LL.

Heidegger est celui qui interroge le caractère central de la catégorie d’existence dans le contemporain. Il est celui qui se demande si à partir de l’importance de cette catégorie dans le contemporain il est possible de définir historialement ce qu’est une orientation dans la pensée. On peut se référer de ce point de vue là au texte que j’aime bien, qui n’est même pas un texte mais des sortes notes, Projets pour l’histoire de l’être en tant que métaphysique. C’est dans le tome II du Nietzsche, c’est à la fin du tome II, dans la traduction de Pierre Klossowski, 1971. C’est une constellation aussi, en passant : Nietzsche, Heidegger sur Nietzsche, traduit par Kossowski en France en plein gauchisme ! C’est une mixture. Dans ce texte, Heidegger se pose expressément la question d’écrire une histoire de l’être, mais surtout de se demander pourquoi la catégorie d’existence est devenue si importante à partir d’une certaine période dans l’histoire de la métaphysique. Pour lui, ça commence en vérité avec Schelling, l’assignation du caractère décisif et séparée de la catégorie d’existence dans la généalogie spéculative, ça commence avec Schelling. Heidegger va faire une hypothèse générale. C’est que existence, ça va désigner le séparé de l’homme dans une figure générale d’abandon de l’être. Donc existence ça va être la catégorie à travers laquelle la philosophie en réalité anthropologise l’être lui-même. L’hypothèse générale, je cite Heidegger : « l’achèvement de la métaphysique (après Schelling on est dans la figure de l’achèvement) installe l’étant dans l’abandon où le laisse l’être ». C’est là où l’étant, et ici cet étant privilégié est l’homme, là où l’homme est abandonné, en réalité, car il est délaissé par l’histoire de l’être lui-même, il est abandonné à lui-même du point de vue de son être, alors là où il  y a ce délaissement, là où l’étant est installé dans l’abandon, alors ce qui vient c’est la catégorie d’existence en tant que catégorie précisément séparée de celle de l’être. L’existence, c’est l’être en tant que séparé de l’être, ou c’est l’être dans la figure de l’étant abandonné par son être. C’est l’hypothèse générale. Que peut-on en dire ?

 

Au lieu de la contredire, traduisons là. En un certain sens, cette maxime est la maxime de ce que j’appellerai le matérialisme démocratique. Car le matérialisme démocratique c’est l’abandon de l’étant à la multiplicité indifférente. C’est la maxime : il n’y a que des corps et des langages, mais cela signifie qu’il n’est plus question de combler l’écart entre la multiplicité indifférente et autre chose qu’elle-même. Il m’est apparu que c’est la véritable signification du grand mot d’ordre de la fin des idéologies : il n’y a pas lieu de se soucier combler l’écart entre les multiplicités indifférente et quelque chose qui leur serait extérieur ou qui serait hétérogène à la pure existence des multiplicités indifférentes. Il n’y a pas lieu. Alors ça prend la forme qu’il n’y a pas de vérité etc… Après tout, pourquoi ne pas parler comme Heidegger et dire que là, dans cette figure, l’étant est abandonné à la pure et simple indifférence de la multiplicité ? Et en particulier est installé dans l’idée que tout vaut tout. Mais pourquoi tout vaut tout ? Car tout a un prix, naturellement. En définitive, il n’y a aucune différence d’essence, car la différence entre les choses qui existent est une différence chiffrable, monétaire. Tout est disposé devant le marché : donc tout vaut tout, à savoir son prix, et il n’y a pas de différenciation qualitative, de sorte que vous n’êtes pas dans l’idée que quelque chose puisse relever la multiplicité indifférente. La multiplicité indifférente doit prospérer dans l’équivalence générale qui la détient comme telle. Donc je pense qu’on peut dire que le matérialisme démocratique installe l’étant en effet dans l’abandon où le laisse la multiplicité indifférente, selon son prix. C’est l’hypothèse générale, sur l’émergence dans ce contexte là d’une certaine catégorie de l’existence. Car si c’est comme ça, alors la seule chose qui compte, c’est ma vie. Pourquoi elle compte après tout ? Elle compte uniquement car elle est ma vie, car je suis dans l’obligation de persévérer dans mon être. L’individu, en tant que support de l’existence, en tant qu’il est ce qui existe, en tant que corps (il n’y a que des corps et des langages) devient norme de lui-même, unique norme de lui-même, puisque précisément il est abandonné à la multiplicité indifférente. Donc il est un atome de cette multiplicité et ne peut avoir d’autre norme de son existence. Donc il est vrai que la disjonction ou l’écart incomblable entre l’existence et l’être est une caractérisation particulière du contemporain dans la figure de l’abandon et de la séparation radicale de l’individu au régime de l’indifférence de la multiplicité. Par conséquent dans ce contexte là il est exclu que la maxime de Platon puisse fonctionner, ie rendre raison de l’existence quant à son être. Il n’y a pas lieu car l’existence désigne précisément l’impossibilité de rendre raison de son être, ie le caractère incomblé et incomblable de l’écart entre être et existence dès lors que la figure de l’existence est celle là.

 

La 2nde csq que Heidegger introduit est que l’humanisme (privilège de l’humain ou l’humanité comme telle) ne se comprend que dans ce contexte général : ce n’est que parce que l’achèvement de la métaphysique installe l’étant dans l’abandon où le laisse l’être que qch comme l’humanisme est possible. Il le dit ainsi : « l’homme est le proprement existant, et l’existence se détermine à partir de la manière humaine d’être ». Donc dans la figure du délaissement ou de l’abandon de l’étant par rapport à son être, ou dans l’abandon finalement de l’individu à l’espace du matérialisme démocratique où il est normé par lui-même, en tant qu’unité de comte de la multiplicité indifférente finalement, dans ces 2 cas effectivement on a l’humanisme en tant qu’il n’y a pas d’autre figure de l’existence que cet abandon lui-même. « L’homme est le proprement existant » : il sait qu’il n’est qu’un individu dans l’espace général de la multiplicité indifférente. « l’existence se détermine à partir de la manière humaine d’être » ça veut dire  l’existence n’est rien d’autre que le constat que ce qui est abandonné quant à son être et par conséquent ne se propose que comme existence séparée.

On peut traduire aussi cet énoncé : si l’existence est normée par la figure de l’homme comme étant le proprement existant, alors il n’y a aucune vérité possible, et il n’y a aucune vérité possible parce que la dimension propre de l’incorporation humaine à des vérités nouvelles est d’assumer leur inhumanité essentielle. L’inhumanité essentielle des vérités tient seulement à ceci précisément qu’elles sont éternelles, ie elles sont le mode propre sous lequel quelque chose est en outrepassement de la multiplicité indifférente de l’être. Et si quelque chose outrepasse la multiplicité indifférente de l’être, alors ce quelque chose n’est jamais réductible à la pure manière d’être humaine et on ne peut pas dire que l’homme est le proprement existant. Puisque il n’est plus vrai que n’existent seulement des corps et des langages, mais il est vrai aussi qu’existent aussi des vérités. Mais le mode d’existence des vérités n’est nullement réductible au mode d’existence de la manière proprement humaine d’être dans une situation mondaine particulière. Donc la réduction de toute vérité universelle à la particularité, ie son annulation, est bien le contexte humaniste tel que le définit Heidegger, ie que l’homme est le proprement existant : ce qui outrepasse la figure de l’homme n’a pas lieu d’être pas proprement existant. Et alors vous êtes dans le contexte général d’une irréductibilité de l’existence à son être. C’est le 2nd point.

 

3ème point : ce que j’appellerai les anticipations

Une fois qu’on a décrit cette situation, que peut-on prévoir, anticiper, nous dit Heidegger ? Heidegger définit la situation comme une situation d’indécision. C’est intéressant car c’est assez proche de la définition de la situation comme désorientation : il n’y a pas d’orientation historique lisible ou pré-intellegibile dans la situation telle qu’elle est qui est situation d’indécision. Indécision entre quoi et quoi ? « nous sommes à un moment extrême » (du délaissement ou de l’abandon, de la séparation, moment où l’individu se déclare le seul proprement existant). Il y a 2 possibilités : parce que c’est une situation extrême il se peut qu’elle produise une « éclaircie de l’initial ». C’est la reformulation heideggerienne de la dialectique en réalité : cette reformulation consiste à dire que quand on est au comble de la détresse c’est là que le salut est à l’ordre du jour, le pire est aussi ce qui sauve, la détresse est le moment du retournement natal etc… ce n’est que dans l’expérience de l’approfondissement de la détresse et de l’abandon que la possibilité de l’éclaircie de l’initial se réouvre. Mais pas d’optimisme eschatologique : ce n’est qu’une possibilité. Il ne dit puisque c’est la détresse, alors il y aura retournement qui réaccorde à l’initial. Heidegger dit puisque on est dans l’extrême, la vérité de ce dont procède cet extrême peut éventuellement advenir. Si ce n’est pas ça, alors ça va être la dévastation. La dévastation est une installation, l’installation dans la séparation : c’est le fait que après tout la séparation peut être une figure d’installation de l’étant dans le délaissement de son être. Et cette installation est la vraie figure de la dévastation ou de la destruction. Ie installée dans l’appareillage de la séparation. C’est l’autre hypothèse, hypothèse fermée sur un avenir opaque et incalculable.

Donc indécision entre un retournement qui produirait une éclaircie de l’initial, qu’il appelle parfois la venue ou le retour d’un dieu (nomination comme une autre) et d’autre par ce qu’il appelle l’installation.

 

L’hypothèse 1 de l’éclaircie dans l’initial suppose une rupture avec l’humanisme. Ie il faut laisser de côté la souveraineté de l’essence humaine. « à mesure que à la limite du répit de l’indécision (l’indécision nous accorde un répit car elle n’est pas encore l’installation, ie la désorientation n’est pas encore la victoire installée des opinions de ne pas connaître forclore l’orientation, donc c’est la chance qui nous reste, nous ne sommes pas installés absolument dans l’appareillage du délaissement), la pensée s’avance à tâtons vers une remémoration à l’intérieur de l’être, il lui faut à la fois poursuivre et laisser en dehors d’elle la souveraineté de l’essence humaine ». Voilà donc le diagnostic complet de Heidegger :

- la période est une période d’indécision

- elle est extrême et donc il y a une possibilité d’éclaircie de l’initial

- elle n’est cependant pas déterminée de façon immanente et donc il y a possibilité d’une pure et simple installation

- si on veut l’éclaircie de l’initial, il faudra à la fois poursuivre et laisser en dehors d’elle la souveraineté de l’essence humaine

Que dire de cela ?

 

- il est vrai que l’indécision se distingue de l’installation, que la désorientation se distingue d’un monde atone (où la possibilité même de l’événement est occultée, ie monde installé dans l’impraticable du vrai comme dit Celan, « l’impraticable vrai »). Un monde désorienté il est vrai n’est pas par essence un monde atone, il ne prononce pas l’impossibilité de tout corps subjectivable, de toute vérité. Donc il y a un répit dans une installation inachevée.

- il est vrai que dans le lieu de cette différence installation / indécision, il y a la possibilité d’une éclaircie. Mais là il commence a y avoir divergence : je n’ai aucune raison de penser que c’est une éclaircie de l’initial, ie que ce à quoi serait réouvert la situation indécise serait ce dont nous procédons, un inaugural ou auroral de l’être lui-même. Mais je suis d’accord avec l’idée que le processus de l’éclaircie (vérité postévénementielle) doit assumer un abandon de l’humanisme, ie une dimension humaine.

On peut équilibrer la lecture en disant que l’hypothèse générale est soutenable, les csq en sont admissibles, les anticipations sont formellement constituées, mais ce qui ne va pas c’est qu’il s’agit nécessairement d’un retournement, c’est l’idée que l’éclaircie soit nécessairement une remémoration comme il le dit (remémoration à l’intérieur de l’être). Il faut sans doute se distancer de l’injonction à la remémoration. Pourquoi ? Est-ce à dire qu’il n’y a aucun rapport au passé ? Pour moi le rapport au passé est le rapport à un autre monde, et je ne pense pas qu’il y ait une historialité générale, il y a des séquences des discontinuités, donc pas de remémoration à l’intérieur de l’histoire de l’être car il n’y a pas d’histoire de l’être. Le rapport au passé est pour moi celui d’une résurrection. J’appelle résurrection le fait que l’être là d’une vérité en cours, ie situation de construction d’un corps subjectivable en cours convoque une vérité issue d’un autre monde, qui a été créée et déployée dans un autre monde (un autre monde spatial, temporel etc…). Et alors qu’est-ce que c’est que cette convocation ? C’est une mise au présent de l’éternité de la vérité. L’être-là effectif d’une vérité dans un monde est capable de convoquer la vérité d’un autre monde en tant que mise au présent de l’éternité. Seule l’éternité peut etre mise au présent. Le passé comme tel ne peut pas être mis au présent. Seule l’éternité peut être mise au présent. Ce qui du passé peut être mis au présent doit y avoir été éternel. Donc si vous mettez qch au présent d’une vérité qui fut créée au passé dans un autre monde, c’est par le détour de son éternité. J’appelle ça résurrection : c’est comme quand les révolutionnaires convoquent des figures, des idées du passé, c’est non car elles sont passées qu’elles sont convocables mais car elles ont une valeur éternelle. On peut les manier, les introduire, à condition d’être dans un processus original. C’est le débat très intéressant entre résurrection et remémoration. C’est le débat le plus profond avec Heidegger, je peux m’entendre sur le reste après tout avec Heidegger, au prix de quelques distorsions langagières.

C’est bien vrai que existence dans le monde contemporain est soumis à une loi de séparation et à une loi humaniste. Premièrement, ce qui existe c’est l’individu et deuxièmement, l’individu est sous le principe général des droits de l’homme, de l’humain de l’homme. Il est vrai que les csq de cela c’est une situation indécise du point de vue de l’être de l’existence. Mais par contre, après, il y a une discussion essentielle entre une vision remémorante qui convoque l’historialité de l’être pour retrouver la frappe de l’initial, et puis une orientation différente, que j’appelle résurrection, et qui convoque la figure d’éternité de la vérité ancienne dans le mouvement propre de la vérité au présent. C’est pour ça que je pense que chez Heidegger, parce qu’il y a une histoire de l’être, il y a constamment une espèce de face-à-face du présent et du passé, ou du présent de l’origine. Ie que le passé ne peut se présenter que comme origine. C’est ça le prix à payer pour toute vision historiale de l’être. Alors que dans la disposition que je propose, qui encore une fois est en interlocution avec Heidegger, sans chercher à l’annuler, au contraire, le rapport du présent au passé n’est pas sous le signe de l’origine mais sous celui de l’éternité. C’est un déplacement essentiel, de passer de l’origine  l’éternité. C’est la convocation de l’éternité dans la figure de présent dont elle est capable qui institue véritablement un rapport à un autre monde, entre autre chose un monde passé, mais un autre monde en général. On peut de ce point de vue là entrer dans une discussion un peu plus technique. Je vous lis un passage, qui nous ramène vraiment à la question de l’existence. Une fois que vous avez tout ça : diagnostic général, hypothèses d’anticipation, le désaccord sur remémoration résurrection, on peut entendre. H dit ceci : « existence, en tant que caractère de l’être là ». ça oui, absolument : l’existence c’est bien un prédicat de l’apparaître, de l’être là, c’est une donnée par laquelle l’être de la multiplicité indifférente est saisie dans son apparaître mondain, ie dans son être là. C’est ce qu’il dit sur lui-même, Heidegger. Heidegger affirme ici que l’existence en tant que caractère de l’être là, c’est ce qu’il a dit dans ET. Dans l’histoire de la catégorie d’existence, Heidegger se situe comme celui qui assume l’existence comme figure générale ou caractère de l’être là. Il va décrire sa singularité : « ici ne sont en jeu ni le concept de Kierkegaard, ni celui de la philosophie de l’existence ». Ce concept de l’existence  s’oppose à tout existentialisme, ie à toute humanisme existentiel. « L’existence y est bien plutôt conçue dans le retour à l’extatique de l’être là à partir de l’intention visant à nterpéter l’être là dans son rapport insigne à la vérité de l’être ». Le propre de la catégorie d’existence pour Heidegger lui-même c’est d’être un caractère de l’être là visant à raccorder l’être-là à la vérité de l’être. Le point capital, aux yeux de Heidegger, c’est que existence, il le réintroduit comme une notion de l’inséparation, et pas comme une notion de la séparation. L’existence dans la figure du mat démo où les individus sont des atomes de la multiplicité indifférente, c’est l’existence comme absolument séparé de tout ce qui pourrait faire vérité de l’être. H réclame une catégorie d’existence comme caractère de l’être là qui se fait à partir de l’intention visant à interpréter l’être là dans son rapport à la vérité de ‘petre. Il restaure, restitue, existence dans l’élément de l’inséparé, ie dans l’élément dont Platon parlait dans le Phédon, à savoir la destination de la pensée c’est de rendre justice à l’existence quant à son être. Heidegger prétend que lui, contre la dérive existentialiste contemporaine, il a ramené l’existence dans la juridiction de la question de l’être. « Ce n’est qu’à cette question qu’est réservée l’application provisoire du concept d’existence ». Lui aussi fait une morale provisoire, une discipline provisoire du concept d’existence, concept contemporain, mais on va le réordonner à la question de son être. « La question ne soit servir qu’à préparer une réduction de la métaphysique, tout ceci situé en dehors de l’existentialisme, et demeure séparée par un abîme du fond théologique de Kierkeagaard ». C’est le passage essentiel dans lequel Heidegger réaffirmer les données constitutives de sa catégories d’existence.

Quel est le bilan ? Je dirais que en effet, c’est une tâche essentielle de la philosophie de réintroduire la catégorie d’existence dans l’élément de l’inséparé. Pour le faire, il faut penser l’existence comme une catégorie de l’être là. Sur ce point, l’accord avec Heidegger est tout à fait net. Si vous réintroduisez l’existence comme catégorie de l’être là, alors vous avez quelque espoir de le réaccorder à la pensée de son être, ie finalement à la logique générale de l’existence des vérités.

Quelle est la discordance ? La discordance quant au rapport au passé, c’est la discordance entre remémoration contre résurrection. Ici, la discordance, c’est sur ce qui dans l’être là nous réouvre à la pensée de son être. Parce que Heidegger dit : c’est le retour à l’extatique de l’être là. C’est quoi ? Eh bien, c’est le temps. La proposition de Heidegger, c’est que pour réouvrir l’existence à son être, il faut la penser selon son ouverture temporelle à l’être même. Les dimensions extatiques de l’existant, du Dasein, sont fondamentalement les dimensions de l’éclatement temporel : être et temps, c’est dans l’éclatement temporel, c’est dans les extases temporelles que l’existant peut être réapproprié à la vérité de son être. Vous voyez bien le bien : il pense que ce sont les extases temporelles qui sont constitutives du rapport de l’étant à la vérité de son être, car tout ça est sur le fond d’une histoire de l’être, car tout ça historial, tout ça est le mode propre sur lequel l’être en vérité est le temps. Et l’existence est la forme extatique du temps, ie la forme, le point où le temps se donne dans le complexe conflit de ses dimensions passée présente et future, mais on est encore dans ce rapport temporel eet donc historial à la vérité de l’être. La disposition que je propose n’est pas temporelle : pour la raison que, en définitive, la création temporelle post-événementielle, la création d’un temps n’est pas le point fdtal de l’être là. Le point fdtal de l’être là, c’est une donation topologique. Ce n’est pas une donation extatique mais c’est une donation topologique. On pourrait dire là que c’est une querelle esthétique, au sens de l’esthétique de Kant : quel est entre temps et espace le paradigme primordial ? Si on admet que la topologie a sens large est une théorie du lieu et si on admet que les intensités de l’être là sont de nature topologique, alors on dira ce ne sont pas des extases temporelles de son existence qui l’ouvrent à son être mais ce sont les figures de sa localisation. C’est le 2ème conflit.

On peut récapituler :

- il est vrai que la catégorie d’existence est aujourd’hui ans une orientation de pense dominante et idéologisée réduite à la figure de la séparation.

- il est vrai qu’il s’agit de restituer la catégorie d’existence à la possibilité de sa vérité, ou à la possibilité de la vérité de son être.

- il est vrai que ceci suppose une rupture majeure avec l’humanisme sous toutes ces formes.

- il est vrai que ceci instaure une nouvelle dimension d’un rapport au passé.

Sur tous ces points, on peut s’accorder.

Par contre, il va y avoir 2 points de dissemblance majeurs, et en particulier aux csq politiques :

- le 1er c’est que il n’y a pas d’histoire de l’être, d’historialité générale de l’être, ce qui enjoint l’impossibilité d’une figure remémorative du salut. Le salut ne peut pas être un retournement ou une remémoration (bis). Le salut procède dans un monde et rend possible la résurrection des vérités du passé. Autrement dit, la création de la possibilité d’une résurrection doit être absolument distinguée du processus historial d’une remémoration. Ce sont 2 orientations de pensée intra-philosophiques majeures.

- à titre de csq, et dans un élément plus technique, de même que résurrection s’oppose à remémoration, on peut dire que la topologie de l’existence s’oppose à son extase, ou que la localisation s’oppose à la temporalisation, ou que la localisation subsume la temporalisation.

On dira donc que rendre justice à l’être, puisque c’est le propos de notre maxime (assume les csq de l’existence que tu as déclarée, et quand tu l’as déclarée tu as orientée ta pensée, et ce faisant tu vas rendre justice à ce qui existe), rendre justice à l’être, mais ce n’est pas se remémorer son histoire, et ce n’est donc pas en particulier cette forme humanisée de la remémoration qu’est le devoir de mémoire. C’est Heidegger repassé au moulinet de l’humanisme, ça. On ne peut pas réapproprier l’étant à son être par remémoration, mais il faut déclarer l’existence, et déclarer l’existence, ça suppose une topologie : déclarer l’existence en un lieu, déclarer que ceci existe ici. Vous déclarez l’existence ici, en tant qu’ensuite vous vous orientez par les csq de cette déclaration. Sous ces conditions, des résurrections sont possibles, des résurrections du passé sont possible. Et alors les csq de la déclaration d’existence en tant que localisation, elle va rendre justice à l’être, elle va rendre justice à l’être car elle va légiférer sur l’existence, elle va légiférer sur l’existence en tant qu’elle assume les csq de sa déclaration. Ce faisant, ce que nous aurons, ce n’est pas une histoire, il faudra accepter que ce ne soit pas une histoire, au sens de l’historie monumentale, de l’histoire de l’origine, on ne pourra pas remonter à l’origine de l’histoire, mais on pourra montrer que qch de l’éternité peut exister au présent. Et ça, nous expérimenterons ce que Spinoza proposait, ie de sentir et d’expérimenter que nous sommes éternels. Nous pouvons être les agents d’une résurrection au présent de ce qui fut créé dans un autre monde, et on ne peut pas espérer mieux. Merci.

Mars 2007

 

Prochaines date : 25 avril et 30 mai (elle avait été déplacée au 9, c’est 2 déplacements qui s’annulent !) et maintien du 13 juin.

En ce qui concerne les permanences, celle du 2 mars a été déplacée et lieu ce vendredi 16 mars. La suivante est maintenue 15 jours après, donc le 30 mars (puisque celle du 16 mars est la permanence de février !).

Ensuite je voulais faire 2 annonces, l’une sur la journée d’amitié avec les étrangers le 22 mars, et une autre de caractère tout à fait différent concerne le samedi 24 mars. Ce samedi 24 mars, il y a la projection du 2ème film du réalisateur israélien Oudi Aluni, qui est par ailleurs un ami, après son 1er film, Local Angel. Ce n’est pas un film usuel propalestinien, il tente de saisir le lieu dans les catégories du Oudi Aluni, son point de vue est immanent (il est israëlien). Local Angel était documentaire, partiellement fiction, un des meilleurs sinon le meilleur sur cette situation, avec une approche en partie théologique d’ailleurs mais pas au sens vulgaire de luttes des religions. Son 2nd film s’appelle Forgiveness, une fiction enchevêtrée et subtile, qui montre les ramifications de la situation d’Israël et de la Palestine dans le monde entier. En particulier entre un père et un fils. Le film est construit par strates de signification, mais autour de la même question que Local Angel. J’espère que la version sera sous-titrée en français. Il est projeté dans le cadre du festival des films israéliens, à 15h40 au Gaumont Marignan. Juste après, j’interviendrai, à 17h15, dans un débat avec Oudi Aluni. Il considère qu’il se pourrait que la situation conflictuelle, ie qu’une partie du public n’aime pas ce film. Voilà les paramètres : un fim de fiction sophistiquée et intéressant, avec des acteurs isaéliens et palestinien, qui a déjç créé des incidents. Il avait été décidé que ce film serait le film d’ouverture mais l’ambassade d’Israël s’y est opposée catégoriquement. Je l’ai déjà vu 3 fois, il est remarquable et différent de Local Angel.

 

Revenons à notre mouvement. La dernière fois nous avions élaboré le point suivant : l’impératif d’une morale provisoire pour le temps contemporain, ça consiste à circuler de l’existence à l’être, selon une vérité, selon une vérité possible, et c’est dans cet écart entre existence et être, et selon les directions potentielles d’une vérité que se situe la question d’un impératif aujourd’hui. Lus spécifiquement avec Heidegger mais aussi contre lui, nous avions conclu que finalement il s’agit toujours de déclarer une existence. Il s’agit toujours de déclarer une existence, en tant que la pensée s’oriente ou la pensée tente de s’orienter selon les csq de cette déclaration. La pensée trouve ou tente de trouver son orientation selon les csq de cette affirmation. Il ne s’agit pas de déclarer une interprétation de l’existence ou une vision du monde, mais il s’agit de déclarer une existence en elle-même. C’est toujours d’une existence qu’il s’agit finalement.

Le point que je voudrais traiter aujourd’hui aura 2 volets. L’existence est une catégorie de l’apparaître, une catégorie logique (ce n’est pas directement une catégorie ontologique, de l’être). Ce qui veut dire qu’elle est solidaire de l’existence d’un monde. C’est une catégorie mondaine, de l’être là. Exister, c’est toujours exister dans un monde et donc relativement au transcendantal de ce monde. Et donc, c’est un peu ça le mouvement aujourd’hui, il faut traiter  l’impératif qui est de déclarer une existence, on traite toujours cet impératif selon le monde, quant au monde. Toute déclaration d’existence est une déclaration située dans l’horizon transcendantal d’un monde, de ce point de vue là tout impératif est aussi un impératif relié ou portant sur le monde comme tel. Il faudrait interroger cette remontée possible de l’idée formelle qu’un impératif c’est toujours déclarer une existence, au mouvement de cet impératif relativement à ceci que comme toute existence est située dans un monde, l’impératif  enveloppe qch qui concerne le monde lui-même. Sinon on reviendrait inévitablement à une confusion de l’existence et de l’être, si on ne prenait pas en compte de l’intérieur même de la déclaration d’existence une sorte de principe ou de jgt quant au monde.

D’où 2 volets aujourd’hui :

1° pour reprendre les catégories essentielles, ie al question de la relation exacte entre existence et monde, et revenir tout de même, reclarifier, repréciser, réarticuler la théorie de l’existence (qu’est-ce que l’existence), comment le monde est impliqué dans une existence.

2° formuler la maxime de la morale provisoire en direction du monde où il y a, où procède l’existence. Dans les conditions du présent, elle sera extrêmement simple, elle sera : il y a un monde.

Donc un volet sur l’existence, un autre sur le monde. Ou aussi, justifier que aujourd’hui puisse être une maxime ou un principe de la morale provisoire l’énoncé particulière simple il y a un monde.

 

Sur l’existence, le problème est de distinguer aussi clairement que possible l’être en tant qu’être et l’existence, tâche qu’assumait ce que précisément on a appelé l’existentialisme. Si nous sommes débiteurs de qch concernent l’existentialisme, au sens un peu flou de cette école ou de ce mouvement de pensée, c’est précisément de s’être attaché à montrer que l’existence était une catégorie qui était distincte de la catégorie d’être, et que donc le vrai couplage n’est pas existence et essence (comme dans la métaphysique classique) mais existence et être. La difficulté, c’est que dans la tradition existentialiste, ou phénoménologique à inclinaison existentielle, c’est que l’existence en définitive est quand même un type d’être. L’existence est distinguée de l’être mais elle est aussi en même temps pensée comme comprise ou incluse dans ce qu’on pourrait appeler le destin de l’être. On peut prendre 2 exemples, celui de Heidegger et celui de Sartre.

Dans le cas de Heidegger, le couple est Dasein et Sein : la catégorie d’existence comme Dasein est une catégorie topologique, une catégorie de l’être au monde ie on va bien penser le monde comme lieu existentiel de ce qui est. Mais à la fin des fins, en réalité, pour Heidegger, ce nom topologique, cette localisation de l’être comme être au monde dans la figure du Dasein, cette topologie est réabsorbée comme figure du destin de l’être de lui-même. Le destin historial de l’être réabsorbe d’une certaine façon sa propre scission immanente, sa propre topologie, sous ce qu’on pourrait appeler la réalité transhumaine de l’homme, l’homme a une figure située mais cette figure située est aussi en réalité un point de concentration du destin historial de l’être. Alors que ce que je vais tenter de dire, assumant que l’existence est en vérité la puissance du lieu de l’être, de localisation, je vais essayer d’assumer que les catégories d’être là et d’existence sont purement relationnelles : elles n’ont pas de sens historial ou de destination particulière, elles ne sont pas liées à l’histoire d’une révélation de l’être à soi même ou qch comme ça. En réalité la relation de l’être là ou de l’existence à l’être, ou la différence entre existence et être, c’est simplement l’infime distance qui existe entre une multiplicité et elle-même telle que dans un monde. C’est la différence à soi d’une multiplicité et d’une multiplicité située ou localisée. C’est dans cette infime distance que se loge l’existence comme telle, qui d’ailleurs n’est pas du tout une catégorie de la réalité humaine en tant que telle, mais c’est une catégorie de n’importe quelle multiplicité, l’existence n’est pas un attribut du Dasein en tant que Dasein de l’histoire de l’être au monde de l’homme, c’est une catégorie générique qui concerne toute multiplicité en tant que figure de l’être localisable. C’est un type d’être singulier qui réabsorbe dans cette tradition l’existence elle-même.

Chez Sartre, l’existence est l’existence du pour soi comme liberté pure, ie en fin de compte, l’existence c’est ce type d’être particulier qu’est le néant. L’être est le néant. Et le néant est un type d’être, c’est une figure parasitaire qui ronge l’être en tant qu’elle est la figure non étante de l’être. Chez Sartre plus précisément on dira l’existence c’est la néantisation (la figure de la liberté est projective et active, et la néantisation est ce qui a précisément son être hors de l’être en tant qu’être). Là aussi je pose que la distance inaugurale entre existence et être est réabsorbée dans un type d’être singulier, au lieu d’être strictement tenue dans la figure topo de l’être là, ie strictement déductible des paramétrages de l’être là dans un monde.

Pour reprendre synthétiquement cela, on va traiter 3 questions ;

- qu’est-ce que l’être comme tel ? Qu’est-ce que l’être si je puis dire en amont de l’existence, l’être tel qu’il est donné et pensable antérieurement à toute localisation singulière dans un monde. Vous connaissez la réponse : l’être, c’est la multiplicité pure, indifférente telle qu’elle se compose du vide, et telle qu’elle n’est pensable que mathématiquement.

- qu’est-ce que l’être là ? La réponse sera : l’être là, c’est la multiplicité dans un monde, inscrite dans un monde, ie multiplicité inscrite dans un monde, ie dans un champ transcendantal sans sujet. Tout ça restera absolument asubjectif, non corrélé comme dirait QM. Il n’y a pas de liaison constituante à un sujet quelconque dans toute cette affaire. Ce n’est pas justement le Dasein au sens du destin historial de l’homme comme figure de la pensée interne au destin de l’être. C’est la multiplicité là, située sous la condition d’opérateurs transcendantaux sans sujets.

- qu’est-ce que l’existence ? la réponse sera que l’existence est le degré d’identité d’un être à soi-même, d’une multiplicité à soi même, relativement à un monde dans lequel elle apparaît. Une multiplicité est là, et le fait d’être là permet de se demander à quel degré elle est effectivement là, et donc ce degré selon lequel elle est effectivement là, elle appartient plus ou moins à ce monde déterminé sera mesurable par le degré d’id à soi-même de la multiplicité. On retrouve une idée assez ancienne mais renouvelée, l’existence c’est la variation ou la précarité du principe d’identité. L’existence c’est ceci que le principe n’est pas absolue, c’est la vacillation du principe d’identité. A est identique à A, seulement dans une certaine mesure, et cette mesure selon laquelle A est identique à A est précisément l’existence. Depuis le début de la méditation là-dessus, il y  a eu une corrélation entre la question de l’existence et al question de l’identité : ce qui existe est donné dans la singularité de son être. L’existentialisme, comme forme terminale de cette méditation, a toujours consisté à dire que l’existence était irréductible à la généralité de l’être car elle était la singularité absolue. Exister c’était à ce point être là que c’était irréductible à toute généralité. Originairement, il est vrai qu’il y a un lien entre la question de l’existence et la question de l’identité. Là on tente de passer au fond d’une identification ultime entre existence et identité (j’existe, je suis identique à moi en tant que j’existe, j’exprime ma singularité existentielle en tant que identité à moi-même), on va passer de ça à une idée différente qui est : il y a une corrélation mais ce n’est pas l’identité de l’existence et de l’identité, c’est au contraire la non identité de l’existence et de l’id. l’existence est ce qui mesure un écart à soi-même dans le champ de l’apparaître mondain. Il se peut que id soit maximale, ce n’est qu’une possibilité mais parmi d’autre. On ne définira pas l’existence par l’id, mais par la mesure de l’identité, ie par sa variabilité. L’existence c’est la variabilité de l’identité. C’est non pas l’absoluité mais l’incertitude du principe d’identité.

C’est ces 3 choses là que je voudrais reprendre.

 

1er point : qu’est-ce que l’être comme tel ? je n’y reviens pas, l’être c’est la multiplicité pure, la composition du vide etc…

2nd point : qu’est-ce que l’être là ? C’est un point central. Supposons que nous suivions le destin ou la figure d’une multiplicité pure. Appelons cela une chose, une chose car finalement c’est un terme préobjectif (la chose, c’est l’indifférence de l’objet). Donc une chose, une multiplicité. Nous voulons comprendre exactement ce que c’est que son apparaître, son être là dans un monde déterminé. C’est l’enjeu. L’idée, l’idée c’est que quand la chose, ie le multiple, est localisée dans un monde, et quand on peut dire la chose, le multiple, est là dans un monde, c’est parce que les éléments de cette multiplicité, ce qui compose cette multiplicité, sont inscrits dans une évaluation nouvelle de leurs identités. C’est là qu’on va avoir le nœud construit entre, finalement, à la fin des fins, existence et identité. Mais dès la figure de l’être là, on dira qu’une multiplicité est inscrite dans un monde, car les composantes de cette multiplicité sont en quelque manière réévaluées quant à leur identité, dans la figure du monde où cette multiplicité apparaît. Il devient possible, et c’est ça la localisation, il devient possible de dire que tel élément, d’une multiplicité donnée, est plus ou moins identique à un autre élément (x et y). Il devient possible de donner sens à ceci que x, qui appartient à la multiplicité considérée, a un degré d’identité mesurable à un autre élément de la multiplicité, y. Et que on donnera sens à des choses comme x est le même que y, ou x est un peu différent, ou x n’est pas du tout identique à y, ou il ressemble mais est différent etc… Ontologiquement, ie en termes de multiplicité pure, ceci n’existe pas : une multiplicité, et un élément de cette multiplicité, est ou identique ou différente, absolument identique ou absolument différente, mais il n’y a pas de tiers terme. Entrer dans la mondanité, c’est entrer dans la nuance de l’identité. Cela peut être plus ou moins identique. Et on peut dire que la caractéristique fondamentale d’un monde, qu’est-ce que c’est qu’un monde d’un point de vue abstrait, c’est de distribuer les degrés d’identité possibles sous toutes les multiplicités qui apparaissent dans ce monde. Si qch apparaît dans le monde on peut avoir une distribution possible des identités élémentaires d’apparition dans le monde, qui vont constituer précisément la loi interne de ce monde. Un monde, c’est une distribution d’intensités différentielles, c’est ce qui distribue des intensité différentielles, ie ce qui précisément fait vaciller ou module les identités. On peut dire ça : un monde, c’est un système de modalisation de l’identité, ie c’est qch qui introduit dans l’identité, au-delà de son apparence binaire, l’univers de la nuance et de la flexibilité. Par csqt, dans un monde, on va avoir 2 choses (il faut bien comprendre le régime de l’être là) :

- nous avons d’abord un système de degré, ie un système d’évaluation possible, mesurable des degrés d’identité et de différence, ie nous avons des structures élémentaires du mode (// structures élémentaires de la parenté) qui autorisent la comparaison des degrés d’identité. Ce qu’on appellera la structure d’un monde, son T, c’est une structure élémentaire qui rend possible la comparaison des degrés d’identité. On peut donc dire, au fond, un monde c’est un appareil à troubler l’identité. C’est pour ça soit dit en passant qu’il y a une signification tout à fait particulière des énoncés, par exemple politiques, voulant restituer des identités sans trouble. C’est une discussion aujourd’hui : qu’est-ce qu’une identité non troublée ? Que doit être le monde pour que les identités ne soient pas troublées, s’il est vrai en fin de compte que l’essence de l’être-là, ie l’essence d’un monde, c’est précisément un appareil structuré destiné à perturber et nuancer les identités. On voit bien que si vous voulez restituer des identités strictes, à tout le moins, vous devez tout particulièrement rigidifier le transcendantal du monde, qui en règle générale a une signification tout à fait différente voire opposée, qui est d’introduire le monde dans la variabilité et le trouble dans la question des identités. Un monde est une machine à perturber les identités, à introduire des degrés, des nuances, distribuer des évaluations ou des mesures d’identités différentielles. Faisons plus abstrait : c’est une machine dialectique, un monde, au sens particulier où c’est qch qui corrompt l’identité par la différence. L’identité est mêlée de différence, puisque le degrés d’identité introduisent des différences dans l’identité elle-même. Employons un vocabulaire hegelien : un monde en définitive c’est une machination dialectique anti-identitaire. Ça n’empêche pas qu’il y ait des mondes rigides, puisque la machine peut être extrêmement variée, il y a des mondes très différents. Mais dans le principe général de la mondanité ou de l’être là, il s’agit d’introduire le trouble dans l’identité élémentaire des multiplicités. A partir du moment où elles sont là, et pas seulement pensable dans leur pureté intrinsèque, qui est la transparence,  elles sont soumises à une machinerie qui introduit en réalité des différenciations élémentaires et perturbe le jeu originaire des identités. Cette machine c’est le transcendantal du monde. L’idée générale est assez simple même si sa technique est un peu plus compliquée. Nous avons donc l’appareil à distribuer les degrés, 1ère composante d’un monde.

- la 2ème composante c’est la relation entre les mult qui sont là et l’appareil T. Un monde, c’est une chose assez simple : il y a une appareillage sous-jacent, structural, qui distribue des degrés d’identités différenciés, on l’appellera son T, et puis il y a des multiplicités qui sont là dans le monde, exposées de façon relationnelle à cette perturbation. Un monde, c’est à la fois l’être là des multiplicités et l’exposition de ces multiplicités à la perturbation de leur identité interne ou id élémentaire. Alors si on prend un cas simple, pur, on dira : étant donnés 2 éléments x et y, ils vont être dans la disposition de possibilités identitaires qui vont aller de « ils sont absolument différents » à  « ils sont absolument identiques », en passant par le système de degrés intermédiaire (« ils se ressemblent ou pas, ils sont de la même famille »). Ça va dépendre de la structure de distribution des intensités de l’identités par l’appareil T du monde. Il y aura des monde qui proposent des infinités du nuances dans l’identité et des mondes plus rigides. Les mondes limites de la rigidité sont ceux qui reviennent aux catégories de l’être, qui n’admettent que 2 types, l’identité et la différence. Un exemple d’un tel monde est le monde de la pensée ontologique. Dans la pensée ontologique, on n’a que ces 2 virtualités.

Ceci est clair, et vous voyez que vous allez avoir un système de possibilité très ramifié quant à ce qu’est un monde pour 2 raisons différentes : puisque il y a ces 2 composantes d’un monde que sont d’une part le T d’un monde et d’autre part les multiplicités qui composent le réel même de ce monde. Vous allez avoir une gamme de possibilités énormes, car vous avez

1° la possibilité de très nombreuses structures d’ordre dans le monde. Les différentes manières de pouvoir comparer les identités, les différentes manières de pouvoir structurer les degrés représente déjà une multiplicité T exceptionnelle. Des structures d’ordre il en existe une infinité d’infinité. Déjà la possibilité que 2 mondes diffèrent par leur organisation T, par la manière dont ils autorisent la comparaison des identités est déjà l’ouverture d’une multiplicité infinie de possibilités.… 2° d’autre part vous savez différentes manières dont les multiplicités qui composent un monde sont corrélées au système T de distribution des id, qui composent à son tour une multiplicité infinie de virtualités. Si vous combinez ces 2 multiplicités l’horizon de possibilité des mondes non seulement est mult mais est même infiniment multiple, il y a tout lieu de penser qu’il existe une infinité de mondes distincts par leur composition multiple mais distinct par la structure T elle-même. La forme d’ordre permet de dire voilà quelles sont les nuances de l’identité.

Alors voilà, et sur cet horizon nous pouvons introduire la 3ème question, c’est la question de l’existence, une fois rappelé ce monde extraordinairement mouvant et infiniment nuancé de l’être là, on peut faire comparaître la question de l’existence. La question de l’existence, elle va se ramener à un cas particulier de l’action du T. Le T je l’ai dit distribue des évaluations ou des degrés possibles à l’identité de 2 éléments distincts, mais il distribue aussi des degrés à l’identité d’un élément à lui-même, c’est un cas particulier. De même que x est plus ou moins identique à y, de même x est plus ou moins id x. Nous sommes dans la perturbation de l’id dans son caractère formel, aristotélicien. Il n’est pas vrai  dans l’être là que A soit abslt id à A. A est identique à A dans la mesure où il est absolument  là dans le monde. Mais s’il y est obliquement, un peu, pas bcp, avec nuances, etc… ça va se manifester par toute une gamme de différenciations dans l’identité à lui-même. C’est très important de mesurer qu’il y a un rapport dans le degré d’identité à soi-même et la  fermeté ou la force de la présence dans le monde. Plus qch apparaît dans un monde dans une  puissance de l’identité à lui-même, plus on a des raisons de dire qu’il apparaît réellement dans ce monde, plus son identique est évasive et fuyante dans un monde déterminé, plus on dira qu’il apparaît faiblement dans ce monde. C’est ça qu’on va appeler existence. On va appeler existence le degré d’identité à soi même d’une mult qui apparaît dans un monde. C’est une définition très simple et extraordinairement objective.

On dira : comme l’existence est un degré, degré d’identité à soi-même, on voit très bien que l’existence est une intensité. Que l’existence soit une vieille idée, c’est une vieille idée en réalité. J’existe, oui mais en réalité  j’existe plus ou moins. La conviction où je suis de mon existence et la force affirmative de cette existence est dépendante du mode propre sur lequel je me déploie dans le monde. Au fond, c’est une idée assez intuitive, assez intuitive sauf qu’il faut en tirer les csq sur la déf de l’existence. Si vos rabattez l’existence sur l’identité, vous ne comprenez plus ce qu’est l’existence. C’est pour ça que je propose de prendre la chose dans l’autre sens (selon des intuitions qu’on trouve déjà chez N, K, et même chez Rousseau – il y a une longue généalogie), ie de dire directement que l’existence est une intensité. L’existence sera définie par l’intensité de l’identité. Et donc on n’aura pas à se soucier de l’intensité de l’existence puisque c’est l’existence qui est une intensité. Naturellement, il y aura une variabilité possible de l’exitsence, puisqu’elle est coextensive à sa propre intensité. On ne peut différencier l’existence et l’intensité de l’existence. Il y a une identification des 2, c’est à certains égards un thème nietzschéen. Le voc est différent (voc de la vie chez Nietzsche) mais l’idée que l’existence est une intensité, que l’intensité affrimative de l’exister est l’exister lui-même et non un attribut ou un prédicat de l’exister, c’est qch qu’on peut trouver dans une tradition philosophique spéculative de caractère existentiel au sens large du terme. C’est ce qu’on va soutenir. On va soutenir que l’existence est identique à l’intensité de l’identité, et que de ce fait même, toute existence est un degré T, toute existence se ramène à un degré T. Alors vous voyez bien que c’est évidemment écarter considérablement l’existence de l’être, car l’être lui est multiplicité pure, et en tant que multiplicité pure il est collé à l’id. L’être pur est ce qu’il est et ne peut pas être autre que ce qu’il est. Du point de vue de l’ontologie, on proposera une ontologie parménidienne. C’est ce que j’ai souvent dit ici même. La multiplicité est ce qu’elle est, et pour autant que qch de sa composition immanente lui est retiré, elle devient autre qu’elle n’est. Ie une autre multiplicité. Une multiplicité comme telle ne devient pas autre qu’elle n’est, elle devient une autre multiplicité. C’est donc une altération fondamentale. Derrière tout ça, nous avons le fait que le T du monde n’a que 2 poss : identité ou différence, monde classique. Ici on s’écarte absolument de cette coalescence de l’être et de l’identité, puisque au contraire on affirmera que l’existence, c’est la virtualité infinie des degrés de l’identité, c’est ce qui travaille ou corrompt l’id du point de l’être là. Apparaître ou être là dans un monde c’est ne plus être sous la juridiction du principe d’i, mais être sous la juridiction d’un principe d’existence qui est par et en lui-même la corruption du principe d’identité. Une fois ceci admis, une fois admis que l’existence est par elle-même dans la figure d’un degré ou d’une intensité, on voit très bien ce que signifie l’adhérence de l’existence à la notion de monde. On voit que l’existence est une catégorie de l’apparaître, ou de l’être là. C’est une catégorie topologique, ce n’est pas une catégorie ontologique. C’est un point dont l’intuition est assez difficile et essentielle. Difficile pourquoi ? pour les raisons que j’ai dites au début : même dans la tradition existentialiste ou phénoménologique, en réalité, l’existence est pensée comme distincte de l’être, mais finalement comme un type d’être intérieurement distinct de l’être lui-même. Soit dans la figure du dasein et du destin historial de la pensée humaine, soit dans la figure du néant, soit encore, chez K, dans la figure du choix pur, du choix radical. Dans tous les cas, la figure de l’existence, quoique en effet distinguée, arrachée à son destin d’être, reste tout de même typifiée si je puis dire comme un registre de l’être. Ici il en va tout autrement : l’existence ici est réellement une catégorie du monde, de l’être là. En particulier, le même être, le même multiple peut exister de façon absolument différente selon le monde où il est inscrit, selon le monde dans lequel il accède à son être là. On en a fait plusieurs fois la rq, en réalité, l’intensité d’existence d’une multiplicité est à de point dépendante du monde qu’elle peut varier considérablement d’un monde à l’autre. Dans notre propre vie, notre propre manière d’être, nous avons l’expérience de cela, notre intensité d’existence n’est pas la même selon les mondes et l’intensité où nous nous déployons. Ce n’est pas la même chose si on est dans le monde de l’amour ou pas. L’existence comme intensité est soumise à la multiplicité des mondes. Et donc la catégorie de l’existence est une catégorie entièrement liée au monde. La catégorie de l’existence, c’est une catégorie liée au monde, une catégorie de l’être là.

Alors la question est la suivante : si je dis que une maxime de l’action ou de l’existence, qch qui nous oriente (c’est notre pb ici, l’orientation dans la pensée), si qch qui nous oriente est toujours dans la forme d’une déclaration d’existence, cela veut dire qu’à certains égards, c’est aussi une déclaration sur le monde, puisque il y a une solidarité organique entre l’existence comme intensité et le monde qui est précisément la distribution des intensités elles-mêmes. Il faut bien concevoir que toute déclaration d’existence, toute institution qui consiste à proclamer qu’un existence déniée ou occultée doit être affirmée, prend position sur le monde. C’est une prise de position sur le monde. C’est là le 2ème volet que je voulais explorer avec vous aujourd’hui. En quoi consiste exactement et en particulier aujourd’hui cette déclaration sur le monde. En quoi consiste cette déclaration sur le monde ? Qu’est-ce qu’une déclaration sur le monde ?

 

Je vais prendre un exemple tout à fait abstrait, pour introduire, abstrait et banal. Par exemple, si on se demande en quel sens une religion (christianisme, ou islam), en quel sens ils inscrivent les déclarations d’existence sur l’horizon du monde. Une religion de cet ordre a toujours pour essence de déclarer que il y a 2 mondes, fondamentalement. Et l’existence précisément est entièrement déterminée du point de vue immanent par le destin qui est le sien, la variation d’intensité qui est la sienne dans l’espace de 2 mondes distincts (monde sensible et monde supra sensible, monde de la finitude et survie paradisiaque etc…) ce que vous voulez, mais il y a 2 mondes. On peut même se demander si on n’appelle pas religion d’un point de vue immédiat ce type d’assertion, l’assertion qu’il y a 2 mondes. Ça entraîne des tas de csq, qui concernent en particulier directement ce qu’est une déclaration d’existence. Par exemple, s’il y a 2 mondes on peut déclarer son existence en mourrant (c’est pour ça que la figure du martyr a été une figure apologétique majeure : la figure du martyr consiste à dire que je peux affirmer l’existence en mourant parce qu’il a 2 mondes précisément, sinon ça n’a aucun sens). Je vous donne ça comme exemple élémentaire du fait que la possibilité et les csq de la déclaration d’existence sont liés à une assertion fondamentale sur ce qu’il en est du monde. C’était pour introduire.

Où en est-on aujourd’hui ? où en sommes nous des assertions sur le monde aujourd’hui ? C’est d’autant plus important que, comme vous savez, une bonne partie du discours étatique ou politique traditionnel consiste à expliquer que toute assertion d’existence est en effet relative au monde. Les contraintes du monde sont telles que les assertions d’existence sont elles-mêmes contraintes. Il est donc intéressant d’interroger l’état actuel de la question des relations entre assertions d’existence et proposition sur le monde. Comme vous le savez, le capitalisme vante sa qualité mondiale, il se vante d’être mondial. Pendant un temps le fait qu’il soit mondial a été un élément de sa critique. Quand Marx développait la théorie du marché mondial, c’était dans la critique de l’économie politique du capitalisme, mondial était un élément de la critique, la critique de l’économie politique mettait en évidence comme un trait nouveau et singulier la mondialisation marchande. Aujourd’hui la qualité mondiale du capitalisme est vantée par lui-même comme un point d’aboutissement de son destin. Il y a bien une thèse sur le monde, plus que jamais. La thèse, c’est qu’il y a un processus objectif de mondialisation de la situation. Or comme vous le savez les ennemis de cette mondialisation là disent qu’il veulent un autre monde, ils sont dans une figure d’altermondialisation, ils veulent une figure altermondialisée, ie une mondialisation différenciation. C’est intéressant car ça prouve que le monde n’est pas seulement le lieu d’existence des corps, des existences, des discours, des vérités ou des sujets, mais c’est l’enjeu de la bataille idéologico-politique. Le monde : mondialisation, altermondialisation. Il y a une question du rapport entre existence et monde, il est question du monde quant aux assertions d’existence elles-mêmes. La question est quel monde ? La question du monde est une question explicite. C’est intéressant ça. Et la question du monde, ça contient 2 questions différentes, depuis toujours, la question du monde :

- une question analytique, descriptive : dans quel monde vivons-nous ? quel est le monde, quels sont les mondes ? Il y a la description des mondes.

- la question normative : dans quel monde désirons-nous, dans quel monde voulons-nous précisément déclarer notre existence ?

On peut appeler politique - c’est une des significations possibles de ce mot compliqué - on peut appeler politique le lien pratique entre la question analytique du monde et sa question normative, ie le lien entre quel est le monde (dans quel monde vivons-nous ?) et puis dans quel monde voulons nous, devons-nous vivre, pouvons-nous vivre ? Le lien réel entre la question analytique et la question normative, c’est une définition possible de la politique, ie trouver les moyens de passer du monde tel qu’il est au monde tel que nous voulons qu’il soit. C’est une fonction élémentaire de la politique du point de vue des assertions quant au monde, et qu’elle commande, constitue l’horizon des assertions d’existence. L’altermondialisme, l’écologie, le développement durable, la défense des droits de l’homme, la démocratie, toutes ces pratiques définissent des politiques en ce sens là : de l’intérieur du monde tel qu’il est, qu’est-ce qu’il faut faire pour parvenir au monde tel que nous désirons qu’il soit ? Voilà. C’est très clair en apparence, pour autant qu’on puisse dire aujourd’hui qu’un monde existe. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce que c’est vraiment le cas ? L’ensemble de ces politiques en réalité suppose implicitement et même la plupart du temps explicitement qu’un monde existe, ie il y a un accord possible sur le versant analytique des choses (voilà comment est le monde) et puis de l’intérieur de ça on propose des dispositifs de mesure e sorte que le monde tel qu’il est s’oriente ainsi ou  autrement. C’est ce que j’appellerais les politiques mondaines ordinaires. Mais y a-t-il un monde ? Moi je pense que non. Aujourd’hui, du point de vue du devenir historique de l’espèce humaine, il n’existe pas un monde. A tout le moins, il en existe 2, voire plusieurs, et donc la question politique n’est pas : comment bâtir le monde que nous désirons dans et contre le monde que nous n’aimons pas ? ça, ça suppose qu’on partage au moins une thèse qui est la thèse de l’unité du monde. Mais précisément il y a une assertion d’existence portant sur le monde lui-même. Le monde est l’horizon des assertions d’existence, mais l’assertion d’existence induit finalement la question de l’existence du monde lui-même. La question me semble-t-il est : comment faire exister un monde ? un monde des sujets vivants, appelons le comme ça, là où en vérité un tel monde n’existe pas. Pourquoi est-ce que je dis qu’un monde des sujets vivants n’existe pas ? Alors qu’on peut dire qu’un certain monde existe, par exemple le monde de la mondialisation, le monde de l’altermondialisation. Eh bien, le monde qui existe, le monde de la mondialisation, je dis que c’est uniquement un monde des objets et des signes, plus précisément un monde des objets et des signes monétaires, ie un monde de la libre circulation des produits et des flux, ça ça existe, et ça existe virtuellement et ça existe virtuellement de plus en plus. C’est le monde du marché mondial, le monde du marché en fin de compte prévu par Marx. C’est un monde, sauf que dans ce monde il n’y a que des choses et des signes, si vous voulez il n’y a que des marchandises et des flux financiers, ou il n’y a que des objets et des signes monétaires, ou en fin de compte il n’y a que des corps et des langages (dans la version démocratique sublimée). Il n’est pas vrai que dans ce monde en tant que unité du monde existent librement des sujets humains. Je ne le pense pas, je ne le pense pas. Pour commencer, les sujets humains n’ont pas le droit élémentaire de circuler et de s’installer où ils veulent (contrairement soit dit en passant aux flux financiers). ça c’est un point empirique, mais dont les csq sont importantes Tt. Dans leur écrasante majorité, les hommes et les femmes du monde en question, du soi disant monde, du monde des produits et des signes, eh bien ils n’ont nullement accès à ce monde lui-même, ils ne sont pas en état de le parcourir, ils ne sont pas en état d’y tracer le trajet de leur propre existence, ils ne peuvent même pas y déclarer leur existence, car ils sont sévèrement enfermés à l’extérieur. C’est quoi l’extérieur d’un monde défini par les objets et les signes ? L’extérieur, c’est les zones de l’espace où il y a très peu de marchandises et pas du tout de monnaie. Voilà ! Si le monde est défini par la circulation des objets et des signes, là où se raréfient signes et objets, on tend à être à l’extérieur, puisque l’identité du monde est définie par cette circulation. Là, enfermement c’est très concret. Comme vous le savez, aujourd’hui, on est dans l’époque de la construction des murs. Partout dans le monde on construit des murs. C’est une dimension du monde lui-même. Le mur qui sépare palestinien et israélien, américain et mexicains, le mur électrique qui sépare les africains d’Espagne, et il n’y a pas si longtemps le maire d’une ville italienne a proposé de construire un mur entre le centre de la ville et la banlieue. Bonne idée ! Bonne idée ! Comme ça, on sera sûr qu’ils ne brûleront que leur propre voiture ! Ces murs, c’est quoi ? Tous ces murs sans exception sont des murs pour que les pauvres restent enfermés chez eux. On fera passer ceux dont on a besoin au compte-goutte, on fera des trous dans le mur. C’est intéressant cette affaire des murs, l’histoire des murs comme histoire des mondes, comme guide de l’histoire des mondes. L’histoire des murs, elle est la lisibilité de l’histoire des mondes : les forteresses, les châteaux, murailles fortifiées… ça continue. Vous savez que il y a presque 20 ans le mur de Berlin est tombé, tout le monde a pris ça comme le symbole de l’unité du monde, enfin retrouvée, la chute du pur, après 50 ans de séparation des mondes. Pendant 50 ans, il y avait 2 mondes (monde communiste et monde capitaliste, on a dit monde totalitaire et monde démo a-t-on dit après). Ce qu’on voit aujourd’hui (ils revendiquaient chacun le fait qu’il y avait 2 mondes), nous voyons que le mur s’est seulement déplacé, il s’est tourné : il était entre Est et Ouest et il est maintenant nord sud. Réorientation du mur. Il était entre Est communiste ou totalitaire et Ouest capitaliste ou démocratique, il est aujourd’hui entre Nord capitaliste  riche Sud pauvre. On le construit à toute allure, on l’électrifie de mieux en mieux. Et à l’intérieur des pays eux-mêmes, la contradiction revendiquée, l’impact de la division des mondes dans l’intérieur de cette localisation, elle opposait classe ouvrière et bourgeoisie dominante qui contrôlait l’Etat, marxisme le plus élémentaire. Et aujourd’hui il y a côte à côte les riches bénéficiaires du trafic mondial et un nb considérable de parasites petits bourgeois et puis de l’autre la masse énorme et grandissante des exclus, exclus c’est le nom qui en réalité ne sont pas dans le vrai monde. Ils sont dehors, même s’ils sont dedans. Ils sont dehors dedans. Peut-être qu’on va faire un mur aussi pour marquer que ce dedans est dehors. Ceux qui sont derrière des murs et des barbelés. On peut dire ça sur l’histoire du monde : jusque vers 1990, il y avait un mur idéologique, un rideau de fer politique, comme on disait, et il y a maintenant un mur grandissant et multiforme, interne et externe, qui sépare la jouissance des riches, et même celle des semi-riches, des moyens riches, du désir des pauvres et des ultra pauvres. Je pense que tout se passe comme si, pour qu’existe le monde unique des objets et des signes monétaires, il fallait séparer durement les corps vivants, selon leur provenance et leur ressources. Comme si c’était une loi : si le monde de la mondialisation est celui des objets et des signes, alors il faut séparer les corps vivants. Je dirais, je conclus, que aujourd’hui il n’y a pas de monde. Le monde unifié du capital a pour prix la violente division de l’existence humaine en 2 régions séparées, par des murs, des chiens, des patrouilles navales, des barbelés, des expulsions. C’est notre histoire. C’est pour ça que la question appelée d’un nom qui est très mauvais l’immigration, la question des migrants, est devenue dans le monde entier une question fondamentale. C’est très frappant, elle est devenue une question américaine, alors que l’Amérique se présentait depuis des décennies comme la terre d’accueil et d’immigration par excellence, et maintenant elle aussi c’est mur, contrôle aujourd’hui. Pourquoi cela ? car tous ces étrangers qui arrivent, vivent et travaillent dans les pays riches, eh bien ils sont la preuve que la thèse de l’unité démocratique du monde est entièrement fausse. Ils en sont la preuve effective, la preuve installée, la preuve vivante. Parce que si la thèse de l’unité démocratique du monde était vrai, si la thèse que après la division du monde en 2 zones idéologiques opposées, on était passé dans l’unité démocratique du monde, si cette thèse était vraie, nous devrions accueillir ces étrangers comme des gens du même monde que nous. Nous devrions les apprécier comme on apprécie un voyageur qui fat halte près de votre maison, demander des nouvelles etc.... Ce n’est pas du tout ce qui se passe. Massivement, nous, malheureux habitants sédentaires et héréditaires des régions auxquelles il est arrivé la catastrophe d’être riche, nous pensons qu’ils viennent d’un autre monde et nous les traitons comme tel. Voilà le pb. S’ils viennent d’un autre monde, c’est qu’il y a un autre monde. Ils sont la preuve vivante que le monde démocratique et développé n’est pas ce qu’il prétend être, à savoir le monde unique des sujets vivants. Il existe des hommes et femmes considérés comme venant d’un autre monde. La monnaie, elle, elle est partout la même. La monnaie ne connaît 2 mondes. Ils sont partout chez eux, le dollar et l’euro. Les dollars et les euros sont partout chez eux. Il n’y a qu’eux qui sont partout chez eux. Les dollars et les euros que possède celui qui vient d’ailleurs, nous les acceptons volontiers, mais lui, lui, ou elle, dans sa personne, dans sa provenance ou dans sa façon d’exister, nous dirons qu’il n’est pas de notre monde, nous le contrôlerons, nous lui interdirons le séjour et nous nous demanderons avec anxiété : « combien il y en a chez  nous ? ». « Combien de ces gens qui viennent d’un autre monde chez nous ? » C’est une question horrible, c’est une question horrible, c’est question qui prépare forcément la persécution, l’interdiction et l’expulsion en masse, quand on commence à se demander : combien il y en a chez nous, de ces alien. On peut dire ceci : si l’unité du monde est celle des objets et des signes monétaire, alors pour les corps vivant il n’y a pas d’unité du monde, il y a des zones, des murs, des voyages désespérés et des morts. C’est pourquoi la question centrale, T, aujourd’hui est celle du monde, de l’existence du monde, et cette question de l’existence du monde est la question politique T.

Bcp disent : oui c vrai, il faut élargir la démocratie, il y a qu’à étendre au monde entier la bonne forme du monde, celle qui existe dans les démo occidentales ou au Japon. C’est vrai, il faut un seule monde, c’est malheureux c’est pas le cas, mais il n’y a qu’à étendre les vertus du bon monde au mauvais monde. Cette vision est absurde, cette vision est absurde et nous le verrons de plus en plus, terrible, parce que notre monde, le monde démocratique occidental, il a pour base matérielle absolue, comme structure transcendantale, la circulation imposée des objets et des signes monétaires. C’est cela qui constitue son unité principielle, et la csq fatale, c’est la séparation des corps vivants, par et pour la défense acharnée des privilèges de la richesse grande ou moyenne. Du reste, c’est un point à souligner, nous connaissons parfaitement la forme concrète de l’élargissement de la démocratie : c’est la guerre, la guerre en Afghanistan, en Irak, en Somalie, en Afrique, des guerres terribles pour que la démocratie s’élargisse au reste du monde. Entre parenthèses, je le dis une fois de plus, c’est un objet de méditation que pour organiser des élections au loin, dans l’autre monde, il faille faire des guerres terribles, ça doit nous amener à réfléchir non seulement sur les guerres mais aussi sur les élections. A quelle conception, à quelle théorie du monde est liée aujourd’hui la démocratie électorale, c’est une vraie question. C’est une vraie question quand on voit que des guerres entières ne sont légitimées que par le fait d’installer des élections. On voit ce que ça donne : c’est la guerre de telle sorte qu’elle détruit le pays où enfin on organise des élections. Le pays disparaît la fièvre électorale. Finalement, on pourrait dire : après tout, la démocratie électorale impose la loi du monde, c’est une loi de compte, une loi de compte, ce n’est pas une opposition la concernant directement, mais c’est un élément analytique qu’on perd souvent de vue, que la démocratie électorale c’et la loi du nombre, exactement comme le monde unifié par la marchandise impose la loi monétaire comme loi du monde, comme prix des choses. Imposer par la guerre le nombre électoral comme à Bagdad ou à Kaboul, on a ça sous les yeux, ça nous ramène à notre pb, qui est que si le monde est celui des objets et des signes, c’est un monde où tout est compté, c’est un monde où tout relève du compte, et en politique aussi on doit compter, on doit sonder. Ceux qui ne comptent pas, ou ceux qui sont mal comptés, on leur imposera par la guerre nos lois comptables, exactement en réalité comme on leur a imposé de longue date et on leur impose par la guerre le prix des produits. Là, c’est le prix du nombre. Ce qui prouve à mon avis que le monde ainsi conçu n’existe pas ou n’existe artificiellement que par la violence. Je crois qu’il faut renverser le pb, il faut affirmer comme un axiome ou comme un principe, l’existence du monde, l’existence d’un seul monde. Il faut dire une phrase très simple, qui semble triviale mais ne l’est aucunement, qu’il y a un monde des sujets vivants. Il y a un monde des sujets vivants. J’insiste sur le fait que cette phrase n’est pas une conclusion objective. Nous savons bien que sous la loi monétaire, il n’y a pas un monde unique des sujets vivants. Il y a le mur qui sépare, et il y a des gens venus d’un autre monde. Donc cette phrase, cette phrase « il y a un monde », est en réalité performative. Ce n’est pas du tout un constat, c’est une prescription. Nous décidons qu’il en est ainsi pour nous, nous décidons que nous serons fidèles à cette phrase,  « il y a un monde des sujets vivants ». Il ne s’agit pas du tout de dire qu’on veut créer tel autre monde à l’intérieur du monde tel qu’il est, ce n’est pas les politiques immanentes dont j’ai parlé : prendre le monde comme il est et tenter de l’orienter dans une direction déterminée. C’est un principe, une décision affirmative, c’est une prescription. Il y a un monde. Il s’agit de tirer les csq très dures et très difficiles de cette phrase très simple. Et en particulier, naturellement, du système d’assertion d’existence que cette phrase prescriptive, il y a un monde, que cette phrase entraîne.

La 1ère csq fdtale je crois pour tout le monde concerne les gens d’origine étrangère qui vivent parmi nous. 1ère csq qu’on peut examiner tout de suite. S’il y a un seul monde des sujets vivants, eh bien les gens d’origine étrangère qui vient parmi nous sont du même monde que nous. Evidemment puisqu’il n’y a pas d’autre monde, il y a un monde. Il y a un seul monde. C’est simple, cet ouvrier africain que je vous dans la cuisine du resto, une femme voilé gardant des enfants dans un jardin, l’ouvrier marocain creusant un trou ans la rue, ils sont du même monde que moi. C’est tout. Point capital, qui n’a l’air de rien, car là c’est là dans notre déclaration transcendantale (il s’agit de faire vaciller les identités) que nous renversons la thèse de l’unité du monde par les signes la monnaie et les élections. L’unité est celle des corps vivants et actifs, et je dois soutenir absolument l’épreuve de cette unité. Ces gens qui sont là, différents de moi, ils sont là, au sens de l’être là, ils existent là, ils sont différents de moi par la langue, les costumes, la nourriture, l’éducation, eh bien ils existent dans le même monde. Ils existent dans le même monde. Donc ils existent en tant qu’ils existent comme moi. Ils n’ont pas, il n’est pas possible de registrer une différence qualitative dans le principe de leur existence. Puisqu’ils existent comme moi, je peux discuter avec eux, on est du même monde. Je peux parler avec qln d’autre, et comme avec tout le monde il peut y avoir des accords ou des désaccords, mais  l’accord ou le désaccord n’ont pas du tout le même sens quand on est sous l’hypothèse que les gens sont du même monde et quand on est sous l‘hypothèse qu’il sont d’un autre monde. Ce n’est pas le même système de distribution des intensités, car c’est la condition absolue y compris de l’accord et du désaccord qu’ils existent exactement comme moi, ce qui veut dire dans le même monde. Alors évidemment on fera ici des tas  d’objections. L’objection principale comme vous le savez, celle dont on parle tous les jours est celle de la différence des cultures. Ils sont du même monde que moi ? Mmmm… Après tout, notre monde c’est l’ensemble de ceux qui ont les mêmes valeurs que moi, ceux pour qui les valeurs valent réellement, ceux qui sont démocrates, respectent les femmes, les droits de l’homme. Pour cela il y a un même monde, pour les autres qui ont une culture différent ou opposée, ils ne sont pas vraiment de notre mondes, il ne sont pas démocrates, ils oppriment les femmes, ils ont des coutumes barbares. La conclusion, c’est qu’on leur reconnaîtra le droit d’entrer dans notre monde (on n’est pas féroce quand même) mais pour y entrer il faut qu’ils partagent nos valeurs. Le mot pour dire ça c’est l’intégration. C’est un mot dont valeur spéculative est tout à faut forte. Intégration, ça veut dire que pour rentrer dans le monde qui est le nôtre, il faut qu’une éducation transcendantale transforme le principe d’existence. Il faut que les gens existent de telle sorte qu’ils soient dans une conformité transcendantale à mon existence. Ils n’existent pas comme moi au départ, car l’éducation transcendantale n’est pas une formalisation de l’existence du même type que la mienne. Ça veut dire ça intégration. C’est une assertion sur la relation entre existence et monde. Il faut que celui qui vient d’ailleurs s’intègre à notre monde. Pour que le monde de l’ouvrier africain et de tous autres, ce monde soit le même, il faut qu’il devienne lui le même que nous en un certain sens. S’il est du même monde, il est le même que nous originairement ou axiomatiquement. Sinon s’il doit apprendre nos valeurs, on maintient qu’il vient d’ailleurs, et pour être le même il faut qu’il devienne le même. Il faut qu’il aime et pratique les mêmes valeurs. Un des candidats à la présidence,  a dit sous de nombreux applaudissements, que les étrangers en France, qu’ils aiment la France sinon qu’ils s’en aillent. A prendre cet énoncé au pied de la lettre j’en ai conclu que je devrais m’en aller. Je ne l’aime pas du tout, je ne partage pas les valeurs de celui qui a dit ça. Je ne suis pas intégré. Si vous posez des conditions pour qu’il soit du même monde que vous, vous avez ruiné le principe il y a un seul monde des sujets vivants, car pour qu’il puisse y avoir des conditions au partage du monde, ça suppose que certains viennent d’un autre monde : vous avez déjà abdiqué sur le principe performatif du il y a un seul monde.

 

L’objection ultime, un peu différente de celle de l’intégration, c’est qu’il y a des lois d’un pays. On ne peut pas nier qu’il y a des lois. Peut-être le dira t-on dans le communisme généralisé et la dissolution de l’Etat, mais on n’en demandera pas tant. Mais une loi, c’est fondamental aujourd’hui, une loi n’est pas une condition subjective. On ne s’intègre pas à une loi. Une loi ça vaut égalitairement pour tous, mais une loi ça ne fixe pas une condition pour appartenir au monde. Une loi, c’est un règle provisoire qui existe dans une région du monde supposé unique. Et Dieu merci on ne demande pas d’aimer une loi, on demande juste de lui obéir. En ce sens, une loi n’est pas une condition subjective. Et donc le monde unique des sujets vivants, tel que nous le posons de façon axiomatique, peut bien avoir des lois, il ne peut avoir de conditions d’entrée ou d’existence en son sein. On ne peut exiger que pour y vivre il faille être comme ceux qui y sont déjà. Car ça voudrait dire que ne sont du monde à proprement parler que ceux qui y sont déjà. C’est la thèse implicitement soutenue. Encore mois peut on exiger qu’ils soient comme une minorité de ceux qui y sont déjà, par exemple qu’ils soient strictement identiques aux petits bourgeois blancs civilisés. S’il y a un seul monde tout ceux qui existent existent comme moi, tout en n’étant pas comme moi. Car l’existence ce n’est pas l’être. Ils ne sont pas comme moi, ils sont différents, mais ils existent comme moi. Il faut la différence entre l’être et l’existence pour aller jusqu’au bout de la question. Le monde unique est le lieu où existe l’infinité des différences. Le monde est le même car les vivants de ce monde sont différents quant à leur existence. Si on demande à ceux qui vivent dans le monde d’être les mêmes, c’est le monde qui se ferme, c’est ce qu’on voit. Le monde se ferme et devient en tant que monde différent d’un autre monde. Si vous décrétez qu’il y a des conditions pour être le même que vous dans le monde, vous décrétez du même coup que ce monde est différent d’un autre, ce qui prépare les murs, la séparation, le mépris, les morts et finalement la guerre

Tout ceci amènerait à des spéculations sur l’identité. On peut les résumer ainsi. Le monde est peuplé d’identités, mais elles sont soumises au principe d’existence qui est précisément leur variabilité. Si vous admettez qu’il y a un seul monde, vous allez admettre du même coup que tout identité est susceptible d’être inscrite dans des distributions d’intensité différentes. Vous ne pouvez pas catégoriser les identités, les identités vont être dans un devenir flexible, qui en réalité composent toujours 2 choses. Il y aune dimension affirmation et créatrice, qui est le développement immanent au monde de son invariance. Et il y a une dimension négative ou défensive, séparer l’identité de son autre. Evidemment le 1er aspect, c’est le désir que mon devenir reste intérieur au même, qu’il y ait une figure du même à l’intérieur de laquelle le devenir peut s’inscrire. C’est un peu comme Nietzsche quand il dit :  « deviens qui tu es », il s’agit du développement immanent de l’identité dans une nouvelle situation. Je prends un exemple tout à fait élémentaire : l’ouvrier marocain n’est pas tenu d’abandonner ce qui fait son identité individuelle, familiale et collective, s’il y a un seul monde. Ce qu’il va faire c’est approprier cela peu à peu de façon créatrice au lieu où il se trouve dans le monde, comme n’importe qui, il va inventer ce qu’il est, ie un ouvrier marocain à Aulnay sous Bois, il va inventer ça, qui n’existait pas antérieurement à sa propre existence. Il va se créer lui-même en fait comme mouvement subjectif, il va passer depuis le paysans marocain du Nord du Maroc jusqu’à l’ouvrier installé en banlieue parisienne. Il est d’une injustice redoutable d’exiger de lui qu’il fasse ça sous la forme d’une cassure intime, sous la forme d’un bris subjectif, sous la forme d’une rupture intérieure. Pourquoi, pourquoi lui demander ça ? Il va approprier et créer cette nouvelle figure de l’existence par ce qu’on peut appeler une dilatation de l’identité : il yva y avoir dilatation de telle sorte qu’elle intègre les déplacements possibles dans le monde unique. C’est la dimension créatrice de l’identité dans l’horizon de l’id du monde.

L’autre façon d’affirmer l’identité est négative, c’est vrai : elle consiste à défendre de façon acharnée que je ne suis pas l’autre. C’est le refus de l’intégration. C’est une nécessité, c’est souvent indispensable, l’identité négative, par exemple quand les gouvernements réactionnaires exigent une intégration autoritaire. Vous êtes fondés à ne pas l’accepter. Une partie négative de l’identité consiste à refuser ce qu’on exige de vous, à savoir le bris intérieur, qui va rendre impossible la dilatation créatrice. Peut-petre que l’ouvrier et ses enfants vont affirmer avec force que ses traditions et ses usages ne sont pas ceux des bourgeois européens. Ils vont renforcer des traits identitaires religieux ou coutumiers, ils  s’opposer fantasmatiquement au monde occidental. Dans l’identité conçue comme principe d’existence, il y a dans l’identité un double usage de la différence. Tout identité est la proposition d’un double usage de la différence : un usage affirmatif, le même se maintient dans sa propre puissance différenciante, dans ce cas c’est une création, ce sue j’appelle la dilatation d’identité dans le T unique, et un usage négatif, le même se défend contre sa corruption forcée et autoritaire par l’autre. Il veut préserver en effet ce qu’on peut appeler sa pureté. Tout identité transcendantalement constituée comme existence est toujours le jeu dialectique d’un mouvement de création et d’un mouvement de purification. Elle est toujours cela, quelle que soit l’identité concernée, elle est toujours le mouvement dialectique d’une dilatation créatrice et d’une contraction purifiante. C’est inéluctable. Ça nous permet de nous acheminer vers l’intelligence du rapport entre les identités et les formes d’existences identitaires et le grand principe il n’y a qu’un seul monde. Au fond l’idée générale est simple, si on soutient axiomatiquement, principiellement, qu’il y a un seule monde, si on soutient le principe de l’unité du monde des sujets vivants, alors les identités feront prévaloir la création sur la purification, feront prévaloir la dilatation la création sur les formules défnesives. Quans c’est le contraire, c’est qu’il n’est pas assumé prescriptivement qu’il y a un seule monde et qu’il est signifié qu’il y en a 2. C’est dans ces conditions l et toujours qu’on voit se constituer le primat de la purification sur la création. C’est pour cela que la politique des murs, persécutions, contrôles, expulsions est un désastre. Elle est un désastre, un grave désastre, car bien sûr elle crée 2 mondes, elle affirme dans son dvlpt propre qu’il y a 2 mondes ce qu irevient à nier l’existence de l’humanité et à préparer guerres infinies. Mais cette politique en plus pourrit la situation de l’intérieur de nos société car les marocains, les maliens, les roumains et tous les autres viendront quand même, et viendront en gd nombre et la persécution va renforcer non la création et la dilatation mais la purification. En face des gvts exigeant l’intégration autoritaire immédiate, c’est sûr qu’on aura des jeunes islamistes prêts à mourir pour la pureté de la foi. Par contre-effet cela transformera et transforme nos sociétés en sociétés répressives et policères. C’est en cours. Le seul moyen de lutter contre ça c’est de déclarer il y a un seul monde. Il faut soutenir tout ce qui fait que l’identité créatrice l’emporte sur l’identité purifiée, même quand on sait que la 2ème ne peut jamais disparaître. Il faut dire il y a un seul monde. Les csq interne à cet axiome sont des actions politiques qui ouvrent l’aspect créateur de l’aspect créateur des identités, ou de leur aspect dilaté. Je peux discuter avec un ouvrier marocain, une mère de famille venue du Mali pour affirmer que nous existons ensemble dans le même monde.

Par exemple, c’est la 2ème annonce, il y a ici un appel à faire du jeudi 22 mars une journée d’amitié avec les étrangers. Je voudrais simplement dire que amitié est ici un mot politique, un mot à la fois politique et transcendantal. Un ami, c’est en tout cas qln qui existe en égalité avec vous dans le même monde que vous. Déclarer que c’est un ami c’est déclarer cela prioritairement. Il est là comme vous dans le même monde. Ce jour là on va ouvrir des identités à leur dilatation créatrice. On va dire les différentes façons d’être dans le monde, les différentes façons d’être dans le même monde, l’énoncé commun étant précisément qu’il y a un seul monde. C’est un processus de dilatation des identités en tant qu’existence c’est justice rendue aux existences de tsq que l’id n’y fait pas obstacle mais au contraire est le medium de leur affirmation. Je vous invite à faire une exploration transcendantale de la question de l’existence le 22 mars à 15 à Jaurès. On aura une situation expérimentale philosophique sur la relation du principe l’existence au principe d’unité du monde.

On peut résumer cela en 4 points :

- posons que le monde du capitalisme déchaîné est un faux monde, il ne reconnaît que l’unité des produits et des signes, et donc il rejette la majorité de l’humanité dans un autre monde dévalué, dont il se sépare, par les murailles et par la guerre. En ce sens, aujourd’hui, il n’y a pas un monde du point de vue de l’objectivité.

- affirmer il y a un seul monde est un impératif d’action, un impératif politique. Ce principe, c’est le principe de l’égalité de existences en tout lieu de ce monde unique

- le principe de l’existence d’un seul monde ne contredit pas le jeu des identités et des différences, mais il entraîne seulement que les identités subordonnent leur dimension négative à leur dimension affirmative, subordonnent l’opposition à l’autre au développement du même.

- en ce qui concerne la présence dans nos pays de centaines de milliers d’étrangers, il y a 3 objectifs conjoints. S’opposer à l’intégration persécutoire forcée, limiter la purification réactive, développer, dilater l’identité créatrice. S’opposer, limiter développer : je pense que l’articulation de ces 3 objectifs définit ce qu’on peut appeler une politique, ce qu’on peut appeler une politique quant au monde, une politique de l’existence quant au monde. S’opposer à l’intégration persécutoire et aux lois qui l’incarnent, limiter la purification réactive qu’elle suscite, et développer par dilatation l’identité créatrice.

Sur ce lien intime entre la politique et la question des étrangers, axe majeur, la question des étrangers est la pierre de touche. Il y a comme toujours un texte étonnant de Platon là-dessus, comme toujours, sur lequel j’aimerais conclure, comme toujours. C’est à la fin de République, fin du livre IX. Adimante et Glaucon, qui ont écouté tout ça bouchée bée, lui disent en gros : ce que tu nous as raconté, Socrate, c’est absolument formidable (on a applaudi et dit oui oui tout du long) mais absolument impossible. Socrate répond : « oui dans la cité où l’on est né c’est peut être impossible, mais ce sera peut-être possible dans une cité étrangère », comme si toute politique vraie supposait un élément d’expatriation, d’exil, d’étrangeté. On peut se souvenir de ça quand on va faire de la politique avec des étudiants étrangers, des ouvriers étrangers, des jeunes des banlieues etc.. Si Socrate a raison, le fait qu’ils soient étrangers ou que leur culture soit différente n’est pas un obstacle. Au contraire. Sous l’hypothèse du monde unique, la réalisation d’une politique vraie suppose dans sa possibilité même ceux qui viennent d’un autre lieu du monde, non pas d’un autre monde, ceux qui sont donc étrangers au sens où Socrate là l’entend. Au début des années 80, un 1er ministre socialiste a dit : les immigrés sont un pb, il avait même dit : c’est la preuve que Le Pen pose les vrais pb (mais il propose de mauvaises solutions). Sous l’horizon de la question du monde unique, il faut renverser ce verdict : les étrangers sont une chance radicale, pas une chance simplement empirique ou secondaire, mais comme le dit Platon une chance qui touche à l’essentiel de la politique vraie possible. La masse des ouvriers étrangers et de leurs enfants de 2, 3, 4ème génération, elle témoigne de la jeunesse du monde, de son infinie variété, et non pas d’histoire absurde de clôture, culture, intégration. C’est avec eux que s’invente la politique à venir. La politique est toujours qch qui passe par des figures d’étrangeté. C’est la variabilité d’existence est le milieu naturel de la créativité dans tous les ordres de la pensée. Sans cette hypothèse, nous sombrerons, nous sombrerons dans l’appariement de la consommation nihiliste et de l’ordre policier, dualité constitutive. Que les étrangers nous apprennent au moins à devenir un peu étranger à nous même, si l’existence c’est l’écart de l’id de l’id, la diff de l’id, que nous ne soyons plus prisonnier de cette longue histoire occidentale et blanche, qui s’achève, sachons-le. Nous sommes dans son achèvement, son achèvement immanente : nous sommes en train de discuter partout du nb d’étrangers chez nous, s’il en faut plus ou moins etc…. L’histoire occidentale et blanche est terminée, et ne donnera que la stérilité et la guerre si on veut la continuer. C’est une attente catastrophique. La thèse il y a des gens d’un autre monde est une thèse de désastre. Le moindre film catastrophe sait cela. Je pense que la relation, l’hypothèse qu’il y a un seul monde, de l’existence et de l’identité, doit conduire à saluer l’étrangeté comme telle, ie l’existence telle qu’elle est par nous-même réévaluée. C’est la réévaluation de l’existence. Ainsi conçue, dans l’élément de l’étrangeté, toute politique véritable est à travers cela, cette figure nouvelle de la distribution des identités, c’est comme une espèce de matin d’existence. Plutôt que devoir remâcher interminablement la défensive de la longue histoire en train de s’achever, saluons ce matin. C’est vraiment le matin de l’existence. Merci.

Avril 2007

Je répercute 2 annonces contradictoires :

- il y a ce samedi un colloque sur théâtre et philo sous l’angle de la question du dialogue, examiné du point de la situation contemporaine.

- samedi 15h, marche d’amitié avec les étrangers, à belleville, située délibérément dans l’entredeux des tours.

Avec un opportunisme flagrant, je vais qd même commencer par parler du vote, la pression de l’opinion publique m’y contraint, mais je vais en parler aussi abstraitement que possible.

Je commence par un rappel : j’ai prononcé et publié sur cette question du vote un texte de Circonstances 1, titré sur l’élection présidentielle d’avril /mai 2002, on trouve une série de choses réappropriables, et d’autres qui ne le sont pas. on y trouve des considérations sur le vote et les émotions, des émotions publiques, des affects publics. Quelle est la signification exacte du fait que le vote s’inscrit dans un affect public très fort (en 2002 c’était la présence de Le Pen au 2nd tour) et déjà je disais que ce type d’affect très souvent est fondamentalement de l’ordre de la peur. J’interrogeais ce lien entre la procédure électorale, juridique et politique, et cet affect politique de peur, comme il arrive quelque fois comme en 81 (on a gagné, c’était la satisfaction des gens dans la rue, mais ensuite ils ont vu !). Cet affect politique de peur a une gde tradition, au-delà du vote, c’est un épisode de la Révolution Française elle-me^me, la grande peur, qui a été la modalité subjective la présence de l’affect révolutionnaire dans les campagnes, c’est qch qui a saisi une masse de ruraux et à l’occasion de laquelle ils ont en réalité pris l’initiative de se révolter contre les châtelains, mais l’affect n’en était pas moins au départ celui de la peur (complot, égorgement général, répression). Donc c’est une donnée particulière de l’histoire que cette question des affects de peur, violents ou modérés, il y a une gradation de cela. En 2002, la séquence de la peur a été la peur de Le Pen, et j’analyse à quoi est corrélé cette peur. Non pas son score mais par la venue à une place où il n’aurait pas du venir. S’il avait été 3ème avec autant de voix, il n’y aurait pas eu d’affect. C’est la fonction des places, du placement. Où en est-on aujourd’hui ? Cette élection est dominée par un enchevêtrement de 2 peurs, ce qui en fait une conjoncture particulièrement négative. La 1ère, c’est la peur générique, réactionnaire ou conservatrice générique qui est  la peur du peuple, la peur des étrangers, la peur des gens différents, des banlieues, des islamistes, de son ombre qui en définitive soutient massivement le vote pour S. Le vote pour S ne peut pas être vraiment le vote pour des propositions particulières puisqu’on sait qu’il en a fait de toutes sortes et sans aucun souci de cohérence d’aucune sorte, il avait parfaitement raison, l’affect qui le soutient est un affect négatif devant la situation du pays. Mais comme toujours cette situation est dérivée vers une série de boucs émissaires fantasmatiques qui coïncide grosso modo avec la masse des pauvres dans un sens ou dans un autre. Et au fond cette peur crée un désir d’avoir comme maître un flic agité. Avoir comme maître un flic agité semble être le tamponnoir de cette  peur indistincte, qui en réalité est une peur de classe, mais qui est une peur conservatrice sous sa forme dégradée, ie une forme qui n’est même pas la représentation claire d’un ordre, mais qui est une rétraction finalement sur une vision absolument policière du comportement étatique. On a vu déjà pointé les csq de ce système de dispo, les extensions possibles du côté des différences générales a pointé son nez, y compris dans l’assertion américaine selon laquelle les pédophile ont une origine génétique. J’ai déjà dit y compris ici même que cette situation des pédophiles est un symptôme important de la situation subjective, et que le procès d’Outreau développe peu à peu les csq de ces symptômes, que l’élection de Sarkozy accentue. Il y a là un symptôme concernant la relation de la population à la fois à l’enfance à la sexualité, corrélées là à tort ou à raison, qui indique toujours les infrastructures les plus basses ou les plus abjectes de ce type de peurs ou de suspicion. Là le flic agité a aussi donné son opinion sur le sujet. On sait que déjà des rapports divers et variés ont été prodigués sur l’interpellation des délinquants dès l’âge de 3 ans. On soignera aussi si on peut les pédophiles dès l’âge de 6 mois, autant les soigner quand ils sont encore enfants ! On voit bien que cette peur là, qui est la peur passive, et que j’appelle réactionnaire générique, de l’ennemi intérieur sous toutes les formes qu’il peut revêtir, ie en réalité les formes de l’altérité populaire, crée ce désir d’un flic agité, celui qu’un ami à moi appelle l’aboyeur de Neuilly, et qui promet à chacun de le protéger. Ça a été son maître mot le soir des élections. Ça veut dire je vais faire une police rigoureuse contre les adversaires, la canaille, la racaille, selon une promesse extraordinairement antique de la vie étatique politique qui est la promesse de résumer l’Etat dans la figure de la police. Ça c’est le système des effets de cette peur primordiale qui indique que le pays est malade, qu’il n’a pas de dynamique véritablement propre, de projet, de vision de lui-me^me, il est strictement plié dans le désir de conservation de ce qu’il y a, et comme cette conservation ne se manifeste pas vraiment, il faut dériver l’insatisfaction et la transforme en peur monnayable qui est la peur de ce qui est intérieurement étranger. Cette 1ère peur se cristallise dans l’importance indubitable du vote de Sarkozy, et si on ajoute le vote pour le Pen ça fait bcp, presque la moitié de la population. Et ce qui fait face à ça, c’est là que la situation est périlleuse, ce qui lui fait face n’est pas une affirmation claire mais une autre peur. C’est la peur précisément que la 1ère peur provoque le type de maître qu’elle destine, à savoir le flic agité. Ce qui fait face à la peur générique est une peur 2nde, qui est la peur que des larges fractions de la population, les jeunes, les salariés éprouvent de voir venir au pouvoir le maître que la 1ère peur suscite. Le contenu de ce qui fait face à S est la peur de S. Mais la peur n’est pas forcément bonne conseillère en politique. Développons cette dialectique des 2 peurs, la peur 1ère et la peur 2nde. Notons que massivement ni les uns ni les autres n’ont la moindre vision positive. La peur, dans sa négativité (avec des calculs savants : comme j’avais peur de celui là, il fallait que je vote pour un autre que celui pour qui j’aurai voulu voter). On m’a mentionné l’histoire d’un partisan d’un FN votant pour Ségolène Royal en supputant que si c’était Bayrou, Bayrou barrerait Sarkozy, et que lui voulait voter S. Pour avoir S il votait R ! C’était bien vu. Tout le monde connaît ces calculs. Ceci indique que ni les uns ni les autres n’ont une vision positive car finalement au regard de l’existence aujourd’hui massive d’une pauvreté irréductible, de la prolétarisation inéluctable de paysans venus d’ailleurs, de la féroce persécution où on les tient et des effets du libéralisme déchaîné, les gens qui sont terrorisés par tout ça et qui vont voter de ce fait Sarkozy n’ont pas d’autre idée que de se cramponner à leur maigre bien et d’appeler la police. Ils n’ont aucune idée positive y compris concernant l’objet de leur propre peur. Une idée de la transfo de la situation faisant que l’objet de la peur,  ie le grand motif d’insécurité, pourrait changer sur le fond. Ils pensent qu’il faut créée barrière, polices, chiens de garde, pour garder le peu qu’ils ont (ce qui ont bcp peuvent même se payer le luxe d’être plus libéraux). Mais les autres n’ont plus n’ont pas d’idée positive. Les autres, en terme de masse, n’ont pas de vision politique d’alliance avec ceux qui sont l’enjeu de cette peur, les classes prolétarisées. Il n’ont pas désigné l’alliance avec les ouvriers étrangers, ceux qu sont segmentés, précarisés dans ce pays. Ils n’ont rien fait contre cette peur et ne proposent rien contre cette peur que la peur de cette peur, d’engranger les bénéfices de la peur de cette peur. Enfin pour les 2 camps, chose frappants, pour les politiciens, le monde n’existe pas. Les discours ont été d’une étroitesse qui fait que sur l’axiome de la dernière fois, il y a une monde, et non pas 2 ou plusieurs, ils sont bien d’accord pour ne pas le manier, au point que sur des questions aussi périlleuse et brûlantes que la situation en Palestine, les préparatifs de guerre contre l’Iran, l’engagement des troupes de F en Afghanistan etc.. le consensus est total. Personne n’a fait de cela une discussion fondamentale alors qu’une part de l’avenir des peurs dépens de ces facteurs. Il y a un indice subjectif frappant de cette négativité omniprésente incapacité affirmative à traiter la peur dans son objet et non à simplement l’instrumenter et l’utiliser, c’est le clivage du sujet électoral. Lacanisons un peu. Comme vous le savez le vote a été massif, et massif au point qu’il fonctionnait comme une forme légèrement surmoïque, comme un impératif vraiment, en même temps que l’indécision était massive. C’est une corrélation très intéressante : le vote a été massif, pas du tout car la conviction était massive, pas du tout car il y avait clarté, visibilité et adhésion fdtal à un des partenaires de cette histoire. Il y a un clivage entre l’impératif du vote d’un côté, massif, surmoïque et la conviction affirmative. Il n’y a aucune connexion claire entre l’un et l’autre. Il faut aller voter, mais pour qui, c’est ce que aucune positivité ne peut dire. De sorte que ce sont aussi les peurs qui vont s’infiltrer en lieu et place de la conviction puisque la conviction fait défaut. Si on admet que la politique c’est l’organisation collective, organisé, conforme à des principes ou conforme à quelques principes, et visant à développer dans la situation réelle les csq d’une possibilité refoulée par l’état dominant des choses (prenons cette définition provisoire), si on pense que la politique c’est cela (définition minimalement acceptable), alors il faut conclure que ce vote est une pratique essentiellement non politique. Ce vote est une pratique apolitique, parce que précisément elle est dans l’ordre de l’affect et de la négativité, qu’elle est de ce fait même sans principe (ce que montrent les opportunités tactiques compliquées de tout à l’heure) et que ce soit une pratique non politique est à mon avis démontré par l’évidence du clivage cette fois ci. Evidence du clivage entre le caractère impératif du vote et l’incertitude totale de toute conviction affirmative, de sorte que ce qui se manifeste est un affect négatif qui a le plus grand mal à trouver son symbole, sa figure, à trouver qu’il a une figure pertinente dans les acteurs qui se présentent. De ce point de vue là je voudrais signaler que la peur 2nd est en un certain sens encore plus éloignée du réel que la peur générique 1ère. Parce que la peur 1ère est une réaction, elle est réactive à un certain nb de phénomènes réels dont elle déclare qu’elle a peur. L’affect réactionnaire, réactif, voire qui peut devenir criminel, mais au regard et à proximité du réel. Mais la peur des effets de réels, comme tout ce qui est 2nd, s’éloigne d’un cran du réel, ou plus exactement fait comme si le réel c’était non pas ce qui provoque la peur mais les effets de la peur. c’est ça : la peur 2Nde est dans les effets de la peur 1ère sous le nom en la circonstance de S. la peur des effets de la peur. c’est compliqué car la peur des effets de la peur, manquant le fait que la peur est articulée au réel et qu’elle n’est que secondairement productrice de l’effet particulier qui est celui de l’aboyeur de Neuilly, la peur des effets de la peur est elle-même sur fond de peur. Ie la peur générique constitue le fond de la peur de la peur. Et en vérité si on y regarde de près, nombre de gens qui ont peur de la peur partagent nb des motifs de la peur générique 1ère. Comme le prouvent les campagnes contre l’islamisme, le consensus non rompu par personne autour des guerres où est engagée la France etc…

Donc peur générique réactionnaire et peur des effets de cette peur dans un éloignement grandissant du réel, qui conduit à ceci que la négativité de gauche a cette faiblesse d’être une négation oppositive, d’être dans un partage du réel avec ce à quoi elle s’oppose : c’est le me^me affect (la peur), sauf qu’au lieu d’être la peur du jeune banlieusard c’est la peur de S, le contenu est aussi désert, et l’élément général dans lequel le contenu se développe est dominé par la peur génétique. Que se passe-t-il quand le régime général est celui d’une peur de la peur décrochée du réel, et en même temps baignant dans la peur générique pour autant qu’elle y a rapport.  Comment elle va se fixer, se symboliser ? Elle va se fixer sur le vague : les parages du vague où toute réalité se dissout. C’est une disposition fantomatique c’est la raison pour laquelle elle peut accueillir en effet, recueillir, symboliser la négativité elle-même en tant que négativité vide, ie peur de la peur. si votre motif ultime d’action aujourd’hui est la peur de Sarkozy, après tout Royal est pertinente (c’est un conseil électoral). On aurait le théorème suivant : toute chaîne de peurs conduit au néant (autre définition possible de Royal). Mais au néant dont le vote est l’opération. Le caractère de néant, le fait que le vote soit l’opération du néant, est illustré très significativement cette fois ci. La chaîne des peurs conduit au néant dont le vote est l’opération. Cette opération, donc l’opération peur de la peur conduisant à la figure indistincte, on ne sait pas ce que c’est, si cette opération n’est pas politique, elle est quoi ? je pense qu’il faut soutenir qu’on a pour une fois la visibilité de ce que c’est qu’une opération de l’Etat. On peut distinguer opération de l’Etat et opération politique. C’est une opération de l’Etat, et en vérité le clivage électoral est intéressant et positif (contraste saisissant entre la massivité du vote et massivité de l’indétermination), c’est un clivage intéressant car inconsciemment et juste en dessous on a le clivage entre opération politique et simple opération de l’Etat. Opération de l’Etat, je la définirais comme l’incorporation à l’Etat de la peur comme substrat de sa propre séparation, de sa propre indépendance. C’est la peur qui va valider l’Etat, quel que soit le résultat de l’élection. La légitimité vient de la peur et lui donne autorité d’agir de façon séparée et indépendante, car il n’a pas d’autre mandat que d’être légitimé par la peur, et la peur, comme la peur de la peur ne demande rien d’autre que d’agir en csq. Autrement dit dès lors que l’Etat a été investi par la peur, il peut librement faire peur. Mandat lui est donné de librement faire peur, car la chose unique qu’on lui demande c’est de faire peur à la peur, c’est sa fonction désormais. La dialectique ultime, je pense, qui n’est pas à l’ordre du jour, est celle de la peur et de la terreur. Si l’on admet que virtuellement, avec des degrés infiniment divers, un Etat qui est légitimé par la peur est habilité à être terroriste car son mandat est de faire peur à a peur, et ceci est valable qu’il s’agisse de la peur ou de la peur de la peur. si c’est cet affect qui le légitime, l’Etat est habilité à être virtuellement terroriste. Y a-t-il une terreur contemporaine ? on connaît les grandes dictatures. Mais y a-t-il une terreur démocratique ? La terreur contemporaine est rampante pour l’instant, rampante par nécessité. Mais si l’opération étatique est celle de l’incorporation de la peur dans le substrat de la séparation de l’Etat, alors la mission conférée à l’Etat est de trouver des formes démocratiques d’une terreur d’Etat, de surcroît je dirais à hauteur de la technique. La technique permet une terreur plus rampante et omniprésente que les bonnes vieilles méthodes archaïques et préindustrielles. Nous sommes dans un horizon étatique de terreur virtuelle s’il se confirme que le vote se limite à une opération étatique d’incorporation de la peur sous sa forme primitive ou sa forme 2nde. Pourquoi cela ? Tout dépend des circonstances, il se peut que des formes organisées ou inorganisées, cohérentes ou émeutières,  d’intervention dans la situation dérèglent le simple principe étatique. Si ça se passe dans la simple opération étatique, nous aurons cette virtualité de façon nécessaire. s’il y a des perturbations importantes, comme elles ne sont pas prévisibles, il se peut que nous ayons un devenir autre, ie qch d’affirmatif venant en quelque manière contraindre du dehors et autrement le mécanisme de la peur de la peur. la dose d’affirmation collective injectée dans la situation peut modifier les choses, mais pas la procédure électorale ou étatique. Je pense que ce qu’il faut bien comprendre c’es que la vérité de tout cela c’est la guerre. La conjoncture n’est pas une conjoncture de paix. Ce qui est à l’horizon c’est la guerre, ce n’est pas résumable dans les guerres qui ont lieu, fort nombreuses, et qui engagent progressivement des parts de plus en plus significatives des appareils étatiques occidentaux (ça vaut le coup de se renseigner). C’est partiellement explicite, partiellement caché : il faut savoir que ils sont engagés de façon de plus en plus prégnantes dans des opérations de plus en plus considérables, et les supplétifs ne suffisent pas (comme les éthiopiens). Ils n’ont pas toujours envie de faire la guerre des autres avec l’ardeur nécessaire. L’horizon est la guerre pourquoi, car la maintenance de l’ordre existant en a besoin. La simple maintenance de l’ordre existant est guerrière, car cet ordre est absolument pathologique et en tant que tel, avec des disparités inimaginables, des types de vie sans commune mesure, ces disparités d’une violence incroyable ne sont maintien que par la force. La guerre est la vérité mondiale de la démocratie. Toute une partie de la logique, y compris électorale, consiste à faire croire aux gens que la guerre est ailleurs et que par ces guerres on les protège eux de la guerre. La violence exercée et grandissante se présente comme une violence qui protège les gens de la guerre elle-même. De façon interne c’est la même chose : le traitement policier des questions est censé protéger les braves gens des horreurs qui les bordent. La logique générale est une violence guerrière supposée telle que les gens à qui on s’adresse seront mis en protection ou en exception de cette guerre qui va ravager des secteurs entiers de la planète dans des conditions abominables, mais cette abomination on dire : rendez vous compte on vous en protège, vous n’êtes à Bagdad, vous avez de la veine. Mais la dialectique de la chose est l’horizon fondamental de la détermination étatique. Vous voyez que le point clé c’est qu’il y a une dialectique de la peur et de la guerre, qui fait que on fait la guerre aussi pour que les gens aient peur de la guerre, puisque cette guerre est présentée comme une guerre destinée à les protéger de la guerre. Et vous ne pouvez leur faire croire qu’il n’est intéressant de les protéger de la guerre par des guerres considérables qu’en créant chez eux la peur de la guerre. Donc on a l’horizon de la guerre et la peur de la guerre comme motif, la guerre étant guerre externe et interne finalement, et cette dialectique peur guerre est fondamentale. Or en F il y a une histoire particulière de ça qui fait le terrain est favorable pour ce genre d’opérations malheureusement, qui est le pétainisme. Le pétainisme, c’est l’idée qu’on allait protéger les F de la guerre mondiale, ils allaient sans doute être occupés par les Allemands, il allait sans doute falloir livrer quelques milliers de juifs, faire ceci cela, fusiller quelques résistants, mais on serait à l’écart de la guerre mondiale. Naturellement, pour que cette opération réussisse, il fallait que les gens aient suffisamment peur de la guerre, et cette peur suffisante leur venait en vérité de la guerre 14-18, qui avait été une boucherie si abominable qu’à simplement en maintenir un peu le souvenir, on pouvait organiser une peur décisive de la guerre chez les gens. Donc pétainisme c’est le nom d’une politique d’Etat qui prépare des répressions et trahisons innommables, au nom de la peur de la guerre, laquelle rend possible de proposer au gens de les laisser à part de la guerre (ni dans un camp ni dans l’autre etc…). malheureusement aussi, le pétainisme vaincu a en partie réussi. Finalement les français ont traversé la guerre assez tranquillement. Ce n’est pas comparable à ce qui est arrivé aux russes ou aux anglais. C’est une politique d’Etat praticable tant que l’affect négatif constitue la masse fondamentale de l’opinion. Voilà pourquoi nous devons faire attention à faire en sorte que cette logique ne soit pas la logique unique. Qu’il n’y ait pas simplement l’opération étatique de confrontation de la peur et de la peur de la peur, sur horizon de guerre, avec une mentalité finalement partagée : « somme toute si nous pouvons conserver à peu près le degré de tranquillité dans lequel nous sommes, ce ne sera déjà pas si mal ». Cette subjectivité là est celle du pétainisme de masse. Les gens qui applaudissaient Pétain dans les rues jusqu’en 45 étaient des gens qui savaient gré à Pétain de les avoir mis dans la marge de l’histoire. Or je suis frappé de voir que premièrement aujourd’hui nous avons peur et peur de la peur avec une indétermination affirmative complète quant à la structure étatique du conflit, et d’autre part nous avons un horizon de guerre dont personne ne parle, qui n’entre pas en jeu dans la discussion, et qui cependant est la motivation fdtale de tout car les politiques font comme si on allait protéger les gens de la guerre par des méthodes purement étatiques et policière. Le mélange des 2 fait que nous avons une ambiance pétainiste, analogiquement. Possibilité d’un pétainisme de masse qui est autre chose que le fascisme, conquérant, affirmatif, de l’espace vital et de la race supérieure. On n’a rien de ça aujourd’hui. On a cette singularité française d’avoir les abominations du fascisme sans le fascisme, ie la délation partout, l’innommable policier, mais pour rien d’autre que essayer de rester tranquille, être dans la marge de l’historicité. Qui nous promet autre chose ? Personne. La directive c’est déployer autant que faire se peut l’alliance des sans peur, sans papiers, sans logis… A propos de la guerre, qui est un mot qui change de sens, ce n’est pas forcément la guerre classique entre Etats militarisés, mais une ambiance générale de violence avec des zones dont on déclare que par la guerre elles seront protégées de la guerre. Je pense à 2 maximes de Mao sur la guerre. Mao disait : « Sur la guerre nous devons dire 2 choses : premièrement nous n’aimons pas la guerre, deuxièmement nous n’en avons pas peur ». c’est très frappant : ça veut pas dire qu’on aime la guerre o qu’on la veut, mais nous ne nous laisserons pas organiser subjectivement dans la relation à la guerre par la guerre de la guerre. C’est le jeu fondamental de l’Etat aujourd’hui. Et sur la 2nde maxime : « ce qu’il faut c’est rejeter ses illusions et se préparer à la lutte ». L’illusion c’est quoi ? L’illusion c’est que finalement on pourrait tout de même faire minimalement confiance à la peur pour avoir moins peur que ce qu’on a peur. Ce n’est pas bon conseiller. Je ne prends ici aucune position électorale particulière. La maxime subjective a de l’importance. « Si malgré tout nous arrivons à cristalliser dans le vague qui lui convient a peur de la peur nous serons protégés des effets de la peur primitive ». c’est l’illusion, il faudra pas longtemps pour qu’elle soit dissipée.

Rejeter ses illusions, et en particulier l’illusion selon laquelle la peur de la peur nous extirperait de la situation pétainistes.

Alors, rejeter ses illusions, ça nous ramène à notre sujet. Rejeter ses illusions, c’est toujours s’orienter ou se réorienter. Et ça nous permet de revenir sur le vote, sur ce vote, j’ai dit c’est machine d’Etat, qui en en la circonstance vise à incorporer la peur comme substrat de l’indépendance active et policière de l’Etat. Sur l’orientation je dirais ceci : le vote est une figure de l’Etat qui présente la désorientation elle-même comme un choix, ie qui donne figure de choix à la désorientation elle-même. On le voit dans le clivage électoral dont j’ai parlé. Aucune orientation ne provoque une conviction décelable, il y a une désorientation essentielle, la seule opposition est entre 2 peurs, mais ceci est structuré comme si c’était un choix véritable. Je dirais que l’Etat au fond dans le vote mais aussi dans toutes sortes d’autres procédures, l’Etat présente la désorientation comme un choix, de façon à avoir les mains libres, il a les mains libres car il sera mandaté car il résulte de ce choix. Et le fait que ce choix est en réalité un choix désorienté, et désorientant, est camouflé au nom du fait que l’Etat est mandaté par un choix. Il est de ce point de vue là le producteur d’une illusion, l’illusion qu’il proposerait un véritable choix. Il est producteur d’une illusion singulière, qui en réalité fait passer la désorientation constitutive de la situation contemporaine par un filtre illusoire qui serait l’illusion d’un choix alors que ce chois n’a rien à voir avec la politique (2 peurs), mais le résultat est qu’il a les mains livres dans son mandat. Donc l’illusion, il faut en avoir conscience, l’illusion c’est spécifiquement l’illusion qu’il y ait là un choix véritable. Il faut au moins faire ce choix entre les 2 dans l’élément subjectif que ce n’est pas un choix, au sens de choix politique authentique, si on admet qu’un choix c’est quand le réel se décline dans la forme d’un nouveau possible. Il y a l’illusion d’un choix, la production de l’illusion formelle de choix, existante comme illusion, alors qu’il s’agit de donner forme au clivage subjectif entre impératif et indétermination (je dois voter mais je sais pour qui ou par peur de l’autre), on va donner forme subjective au clivage dans l’élément de l’illusion de la chose. J’y insiste, on peut voter ou non, ce n’est pas la question. Le point c’est de savoir que c’est une illusion, et comme le dit Mao de rejeter l’illusion. Rejeter l’illusion ne veut pas dire que vous n’êtes pas dedans, mais rejeter l’illusion veut dire que vous vous orientez ailleurs. L’illusion, c’est l’illusion qu’il s’agit là d’un choix qui vous oriente. Mais ce n’est pas un choix qui vous oriente, c’est la résultante d’un affect, rien à voir. Donc en tant que vous avez à faire un choix qui vous oriente, il se fera ailleurs que dans l’élément de cette scène illusoire, même si sur cette scène vous avez des raisons, empiriques et tactiques, de procéder ainsi ou autrement. Alors donc pour récapituler, dans une situation qui, sur l’horizon de la guerre, au sens où j’en ai parlé, généralise une subjectivité pétainiste, ie dans laquelle la question d’être protégé de sa propre peur devient le seul élément subjectif prétendu politique, il est clair que la figure du vote ait l’illusion spécifique du vote, et quelle que soit l’attitude que l’on prend par rapport à cette illusion, dans laquelle on est de toute façon en raison de sa potentialité structurante, il faut rejeter cette illusion au sens o il faut savoir que c’est ailleurs qu’on s’oriente. Ce qui veut dire se préparer à la lutte dans la phrase Mao. Avant d’entamer les 2 dernières séances, la figure de la recherche abstraite de tout cela, une procédure de vérité sur la quelle le vote nous aurait instruit. Le clivage électoral est très frappant, il indique que l’opération étatique et l’opération politique sont présentes dans la subjectivité comme disjointes. C’est la 1ère fois que ce vote est à ce point un impératif formel. Je l’ai moi-même ressenti ! Il m’a vaguement touché. On a une figure surmoïque considérable. Il faut le prendre en compte. La distinction entre l’impératif et l’absence de substance affirmative, la domination de la négativité (au mieux je légitime par la peur ou la peur de a peur, je n’adhère affirmativement à rien), le contraste indique  la non unité de plan entre ce que c’est une qu’une conviction politique et ce qu’est un impératif étatique. On a une leçon de chose sur la disjonction. On voit comment se dessine l’horizon de cela. Ce qui m’intéresse c’est de trouver la figure abstraite de cela, et qui concerne quoi ? ça concerne la relation entre différents thèmes.

- il y a le réel d’un monde, ie la situation et comment on nomme ce réel. Aujourd’hui je dirais que le réel du monde contemporain c’est la guerre. C’est le 1er terme.

- la maxime qui oriente : quelle est la maxime qui peut orienter, la maxime générale qui a puissance d’orientation ? c’est il y a un seul monde (cf dernière fois), elle est prescriptive et pas analytique.

- ensuite il y a illusion et rejet de l’illusion. Là je dirais que l’illusion c’est l’illusion que c’est l’Etat qui construit le choix politique. C’est ce qu’on peut appeler l’illusion du vote car ici on vote, mais c’est plus général. C’est l’idée que c’est l’Etat qui fournit la forme du choix politique, ses échéances etc… l’Etat structure en réalité des affects négatifs. Le rejet de l’illusion, c’est savoir qu’on ne peut pas s’orienter dans cette figure de choix. Elle est elle-même désorientée. Il s’agirait de généraliser l’articulation entre le réel d’un monde, la maxime qui oriente et l’illusion et son rejet. Réel, symbolique, imaginaire, pour lacaniser. A partir de ça on peut avoir une processus d’incorporation ie une orientation effective qui construit qch dans le réel et le devenir sujet.

Si on récapitule comme leçon abstraite et formelle :

- on est dans un horizon de guerre

- l’illusion spécifique à notre situation à nous c’est le pétainisme comme illusion étatique de la protection guerrière contre la guerre, la guerre contre le peuple comme protection contre la guerre général

- la maxime qui oriente c’est il y a un seul monde, et ses déclinaisons successives dans les situations

- le processus d’incorporation, c’est la possibilité de bâtir une orientation collective dont l’origine n’et pas toujours calculable, peut-être que nous aurons quelques émeutes, pour nous inspirer.

- le devenir sujet qui enveloppe tout cela.

C’était les leçons immédiates concernant ce que m’avait inspiré ce 1er tour des élections.

 

Pour passer à une étape plus conceptuelle, qui restera près de l’expérience, je voudrais vous proposer la lecture d’un texte qui est la partie finale du roman de Crane, la Conquête du Courage, qui se lève contre la triste conjoncture électorale.

Quelques mots sur Crane : écrivain américain né en 1871 dans le New Jersey, et le roman a été publié en 1895, quand Crane avait 24 ans. Ça a été un assez grand succès, ensuite il a mené une vie de journalistes aventurier, comme d’autres américains, témoignant avec loyauté des situations (c’est un talent américain). Il faut reconnaître le talent américain quand il existe. Il a suivi pour les journaux la guerre greco-turque de 1897, et puis la révolte de Cuba contre l’Espagne, a attrapé la malaria, la fièvre jaune et est mort de tuberculose avant 29 ans. Il a écrit des journaux, récits d’enquête, des nouvelles extraordinaires et ce roman (le bateau ouvert et l’hôtel bleu, 2 nouvelles que je vous signale). C’est un écrivain important car il a inventé une narration neuve. Il a inventé une narration neuve et le point frappant c’est que sa langue semble à la fois pressante et claire, elle suscite un accrochage immédiat, elle a une espèce de rapidité singulière, et le paradoxe est que dans le détail elle est très complexe, difficile à traduire, et elle a en particulier qch de difficile à faire passer, des changements de rythme internes à la phrase novateurs. De même il y a une combinaison entre un anonymat du personnage, un côté générique. Le héros est appelé le jeune homme, le garçon, il y a un côté presque anonyme du héros, soustrait au nom propre, et le destin pourtant anonyme nous concerne, fortement et vigoureusement. Il y a un suspens subjectif très fort dans la prose de Crane obtenu par des moyens formels. Il y a comme ça un mélange de simplicité et d’intensité, simplicité apparente obtenue par des moyens complexes, et cette simplicité porte une intensité d’investigation et d’expérience tout à fait forte. Il est à l’origine à ce titre d’une grande partie du roman américain du 20ème siècle, il est le fondateur de la tradition qui conduit à Hemingway (même complexe de simplicité apparente extrême comme résultat d’un travail prosodique). C’est le Rimbaud américain de la prose y compris par l’intensité proxime entre l’expérience immédiate qui est la sienne et sa transcription artistique novatrice, complexe et d’une parfaite clarté, au sens de la clarté de la lumière.

La conquête du courage c’est le récit de la métamorphose subjective d’un jeune homme pendant la guerre de sécession. Nous sommes en écho à la figure du soldat, que nous avons traité. Ce jeune homme qui devient soldat dans le contexte de la guerre de sécession va supporter une sorte de Phéno de l’Esprit, ie un devenir de séquence subjectives en transformation rapide, et cette phénoménologie est déplacée de figure en figure, à travers le rapport entre  l’anonymat du héros et la situation, dans le contexte de la guerre civile (1ère gde guerre moderne, qui à sa manière a anticipé les grandes guerres continentales : 800 000 morts, sauvagerie extraordinaire, moyens considérable). C’est aussi le lieu de la figure du soldat, de création, expérimentation, constitution de cette figure du soldat avec cette férocité supplémentaire que c’est une  guerre civile. L’idée générale, de ce jeune homme saisi par la guerre, est dans un 1er temps la découverte d’une désorientation essentielle. ie se repérer dans ce chaos guerrier, se repérer dans le chaos de la violence et du déchaînement le déstabilise, le désubjective et l’installe dans une espèce de désarroi quasi ont, et l’histoire du livre est la découverte que au cœur de cette désorientation guerrière, sauvagerie informe, on peut découvrir une possibilité affirmative. Qu’est-ce que la découverte d’un possibilité affirmative, au cœur même de la désorientation guerrière présentée comme telle. C’est ce qui est appelé conquête du courage. C’est pas seulement avoir peur puis ne plus avoir peur. A l’intérieur de la désorientation sauvage de la guerre, qui est aussi dévastation sauvage de l’espace, de la nature, au-delà du simple affrontement des hommes, comme la création d’un chaos terrestre, comment à l’intérieur de cette situations là, le sujet peut s’incorporer à l’émergence d’une  possibilité affirmative et comment ainsi  il va au-delà de lui-même, et va au-delà de l’animal qu’il a été tout particulièrement dans ce chaos. Je vous lis le texte. Je ne vais pas faire un commentaire ce soir, juste 2-3 ponctuations en liaison avec ce que j’ai dit avant

« s’ouvrirent différemment sur ses visions » : c’est essentielle, il ne s’agit pas que ses yeux voient autre chose, il s’agit qu’ils s’ouvrent différemment sur ses visions, ie il s’agit d’une transfo du regard qui s’étend au regard qu’on porte sur ses idées de naguère. C’est ce qu’il faut faire. Rejeter ses illusions c’est ça, s’ouvrir différemment sur ses visions.

« la camelote criarde des idées de la guerre », nous les méprisons.

Ce que je voudrais ponctuer, c’est le gd §. On pourrait le lire comme ça : la procession lasse des électeurs, avançant, se traînant avec effort sous un ciel vague… ça c’est les soldats du pétainisme que nous cherchons à éviter ! Mais pourquoi il sourit ? car il voit que ce monde est un monde fait à sa taille. Il n’a plus peur. La conquête du courage c’est passer d’un monde qui est un chaos de faux choix, dans lequel on ne peut que traîner une vie misérable à un monde qui est le même, mais vu de telle façon qu’il est à notre taille, ie où en tout cas il y a la possibilité de faire qch, et faire qch qui sont inscrit dans le monde en tant que monde à votre taille. Et c’est vrai que à bcp d’entre nous et à moi aussi souvent le monde apparaît comme fait de jurons et de béquilles, seulement quand vous pensez ça alors il n’y a aucun sens à dire qu’il est à notre taille. Donc finalement il n’y a pas d’autres ressources que de se protéger e tant que peur native de ce monde lui-même, on se traîne misérablement sous le ciel. Par csqt je dirais : le point, la métamorphose essentielle c’est de ne pas être un animal, fût-ce un animal électoral. On peut être électeur mais on n’est pas obligé d’être un animal, d’être conduit à l’abattoir étatique par la peur. on n’y est pas contraint et si on n’y est pas contraint on peut toujours habiter le monde comme un monde à votre taille. Encore faut-il penser qu’il y a un monde, c’est la maxime qui oriente (dernière fois), et sous cette maxime il est possible de ne pas se traîner avec effort, de ne pas se décourager, de se tourner vers autre chose. C’est fdtal : il se tourne avec un désir… ce n’est pas car il choisit dans un monde dévasté de se tourner vers une illusion (ce serait un ontre sens), il ne se console pas imaginairement de la boue où se traînent les soldats, il se tourne réellement vers ce type d’existence car le monde étant à sa taille il sait qu’il ne l’habite plus comme un animal, sa vision fait partie du monde et elle est ce qui va l’orienter en tant que possibilité nouvelle. Au cœur même de ce monde dévasté, il est possible de se tourner vers la possibilité immanente quoique antérieurement invisible dont ce monde est porteur à partir du moment où on a conquis le courage, ie n’être plus un animal humain.

16 mai 2007

La dernière séance aura lieu le mercredi 13 juin, pour une présentation du séminaire de l’année prochaine. Partons du sacre de notre nouveau président. Je ne sais pas si nous sommes réunis pour cela ! Le sentiment que j’ai, c’est un sentiment limité. Si je considère ce qu’anime  minimum de vraie pensée, de conviction, de mémoire historique etc… il me semble qu’il y a une subjectivité légèrement dépressive. Comme si, malgré tout, on avait reçu un coup. Un coup attendu, finalement, mais un coup quand même. Je voudrais commencer par une tentative de ce que c’est ce sentiment que là il s’est passé quelque chose. Ce n’est pas parce qu’un président est élu qu’il se passe quelque chose, entre nous. Donc s’il s’est passé qch, c’est en un autre registre que celui de la stricte succession électorale.

 

Cela me permet une 1ère méditation sur ce que c’est que d’être frappé par un coup, d’avoir le sentiment un peu étourdi, un peu aveugle, un peu incertain et en même temps un peu dépressif qu’un coup a été frappé qu’on a reçu un coup. On dit souvent que les coups les plus terribles sont ceux qui sont le plus inattendu (catastrophe subite, mort qu’on n’attend pas). Il y a quand même quelque chose de particulièrement pénible dans les coups attendus. C’est quand on se dit, vous savez, si je fais ça, celui-là tel que je le connais, il va faire ça. C’est souvent très déplaisant de voir qu’il le fait. On préférerait l’exception, mais c’est l’exception qui est inattendue. Donc là on a la structure d’un coup attendu : celui qui était en tête, depuis le début, comme une course de chevaux ou un cheval part 1er et arrive 1er : c’est très attendu mais c’est déprimant. C’est déprimant surtout si on a le goût du pari, de la rupture. Donc quelle est la nature de ce coup ? Je voudrais commencer par là.

J’avais proposé la dernière fois l’analyse du contexte préélectoral, avant que la décision n’ait été prise (la décision numérique), en disant que la situation était celle d’un conflit entre 2 peurs, une peur primitive et une peur dérivée. La peur primitive, c’était la peur de cette population que qch arrive qui la précipiterait dans le déclin (de nombreux théoriciens nous racontent toujours la France décline et il faut se redresser vite fait nous explique-t-on). Sur cette peur incertaine et primitive il y a des boucs émissaires traditionnels et d’autres un peu nouveaux : les étrangers, les pauvres, les pays auxquels on ne veut pas ressembler etc… Cette peur primitive, rassemblée, fait que, longtemps emblématisée dans le vieux discours du FN, elle s’est trouvée une articulation nouvelle. C’est le 1er point : au niveau de l’Etat, il y a une articulation de la peur primitive et de la volonté de remonter la pente au regard de cette pulsion. Et puis il y a une autre peur, la peur seconde, la peur de l’autre peur, qui est la peur de ce que la peur primitive va donner comme résultat. Voilà le conflit entre la peur primitive et la peur dérivée s’est soldé par la victoire de la peur primitive, ce qui somme toute ne manque pas de logique. Quitte à avoir peur, autant avoir peur d’autre chose que de la peur. Donc la peur 1ère l’a emporté. La 1ère composante du coup, c’est qu’on est dans une logique de pulsion, pour employer une métaphore. Ie il y a dans le succès du vote pour Sarkozy un élément numérique pulsionnel. Je l’appellerai comme ça. Ça se voyait très bien dans les images de ce succès : il y a qch comme un excès pulsionnel. Et cette peur primitive, on pense que ce personnage va la conjurer. Moi si j’avais peur, je ne penserais pas du tout que ce type personnage va la conjurer ! Mais c’est comme ça que ça fonctionne. Donc un 1er élément pulsionnel.

Et ceux qui étaient dans la peur de la peur également ont été servis : ils sont effectivement dans le dépressif de cette pulsion générale réactive qui a constitué l’horizon des choses et à laquelle ils sont eux purement et simplement eux renvoyés. Ce qui s’est passé en tant que prévisible, attendu, précisément, les a renvoyé à la structure pulsionnelle inaugurale dans laquelle ils se trouvaient. C’est le 1er élément.

 

Le 2nd élément, c’est un élément nostalgique. Ie un vieux monde s’écroule. Ce vieux monde c’est au fond tout simplement celui de la gauche et de la droite. A la fin des fins je dirais même que nous avons un effondrement du vieux monde de la gauche, qui était déjà très malade. Mais là c’est comme si d’une certaine manière on l’avait un peu achevé, un peu achevé quand même. Déjà dans les années 60 Sartre disait : « la gauche est un cadavre tombé à la renverse et qui pue ». C’était précis ! Mais c’était il y a 40 ans. Grosso modo, ça ne s’est pas arrangé. Mais là, une composante des composantes du coup est que l’espace symbolique est atteint. Non pas seulement l’affrontement réel, majorité / opposition, mais quelque chose de la configuration symbolique en jeu dans cet affrontement réel.

Evidemment c’est une longue histoire : tout a commencé en vérité probablement dès les années 60, au commencement de l’effondrement du Parti Communiste. Bien entendu, l’effondrement de l’URSS, à l’échelle du monde etc… Et puis la dissolution progressive  dans sa figure en quelque manière organique de la disposition idéologique de tout ça.

Mais c’est quand même une marque, un coup frappé sur ce vieux monde symbolique qui structurait la vie politique et dans lequel la thématique de la gauche, de sa victoire possible, et de ses recompositions constantes, et du débat interne qui l’animait, constituait la familiarité du débat électoral. C’est cette familiarité qui est un peu atteinte, défaite. C’est l’aboutissement d’un long processus. Et évidemment à partir du moment où un vieux monde symbolique est atteint de cette manière, prend un coup, on retombe dans ce qui est notre thème principal ici, à savoir la désorientation. Il y a une fonction désorientante du coup frappé en ce qu’il a frappé les paramètres du repérage lui-même. Et que cet affaiblissement du système des repérages manifeste la désorientation. Je crois que ce qui caractérise cette élection, c’est qu’elle est dans l’élément de la désorientation, en tant qu’elle en révèle finalement le caractère obsolète s’agissant des repérages qui constituaient le thème ou le mythe de l’orientation. Je crois que ce que cette élection manifeste, met en scène, c’est le fait que la désorientation va jusqu’au point où le système même de l’orientation est défait ou atteint.

Alors un symptôme, c’est les transfuges, n’est-ce pas. C’est le phénomène des rats qui courent partout, les navires sont abandonnés de tous côtés, des consultations très étranges se déroulent dans la coulisse. C’est le côté des transfuges spectaculaires, qui voit des gens qu’on croyait être des représentants un peu droitiers, un peu corrompus, mais des représentations quand même de la gauche, s’embaucher chez le vainqueur, c’est un signe subjectif de la dissolution des repères et donc de la désorientation parvenue à un stade nouveau, plus symbolisée.

Alors la logique sous-jacente serait celle du parti unique. C’est d’ailleurs ça qu’il a en tête : rassembler tout le monde sous sa houlette ! Mon collègue et philosophe Slavoj Zizek a dit quelque part que ce qu’on n’avait pas compris, quand on a monté en scène l’opposition du stalinisme et de la démocratie parlementaire, c’est que le stalinisme était l’avenir de la démocratie parlementaire. Alors il est difficile de se représenter notre président dans ce rôle, de le comparer au géorgien. Mais dans un genre plus sautillant, plus clientélaire, moins secret, moins compact, moins caché, on pourrait après tout lui faire jouer ce rôle aussi, de grand bâtisseur de notre parti unique. Il suffirait que les ralliés, les transfuges, les rats qui détestent les navires en perdition constituent petit à petit un flot. Et en vérité, ça ne se produira sans doute pas empiriquement mais c’est déjà là symboliquement. C’est déjà là symboliquement dans un certain nb de personnalités qui représentent cette posture, cette possibilité. Vous avez sans doute remarqué que le vainqueur a insisté énormément sur le fait qu’il était maintenant le président de nous tous. Moi je ne lui ai rien demandé ! C’est lui qui le dit. Tu l’as dit, moi j’ai rien dit. En tout cas il est le président de nous tous. Mais il peut représenter l’emblème du parti de nous tous.

Alors tout ça compose l’étage nostalgique, après l’étage pulsionnel : le fait de l’asthénie, du coup, est pour part une nostalgie du vieux monde, de son repérage traditionnel et de ses balises d’orientation subjectives.

La 3ème composante est une composante d’impuissance, ie une mise en scène ou une subjectivation d’impuissance. Ce n’est pas la surgie d’une nouvelle impuissance particulière, il n’y a pas plus d’impuissance qu’avant à vrai dire, mais il y a une représentation très consciente de l’impuissance. L’impuissance est avérée, et je crois qu’elle est avérée cette fois comme dimension intrinsèque de la démocratie électorale. Ie que là, et c’est aussi un des éléments du coup frappé, la démo électorale avère à quel point elle est un lieu où l’impuissance est la règle, en réalité. L’impuissance pour ceux naturellement qui se gouvernent sur le principe, sur l’idée. A quel point ce n’est pas un espace de choix réel mais qch qui enregistre, comme un sismographe passif, des dispositions qui sont tout à fait étrangères au vouloir, en réalité, qui sont tout à fait étrangères aux représentations qu’une volonté clarifiée peut avoir des objectifs qu’elle poursuit. Il est très frappant de voir que les commentateurs ont immédiatement souligné comme un élément décisif l’abondance de la participation. Ils n’ont pas simplement dit : les gens ont beaucoup voté, demandons-nous pourquoi. Ils ont dit : grande victoire de la démocratie, la démocratie a remporté une grande victoire, remarquable, qui est que quantité de gens ont voté. Mais supposez que dans le passé (je prends la comparaison exprès, qui est bouffonne et usée) une masse de gens ait voté pour Hitler, ce qui est arrivé d’ailleurs, qu’ils se soient déplacé en masse pour le faire. C’est une grande victoire de la démocratie en un sens très particulier : si c’est ça, ça veut dire que la démocratie est strictement indifférente à tout contenu, et qu’elle ne représente rien d’autre que sa propre forme mise en scène dans l’élément numérique. Et enfin de compte, la vraie question qui est « qu’est-ce que les gens sont allés faire là ? » est escamotée. Elle est escamotée, et je pense que y compris cette abondance participe de la dépression générale, car on ne peut même pas dire : « ah ! il y a toute une série de gens qui ne sont même pas aller voter, c’est pour ça qu’on a ce qu’on a ». Non, non : ils sont allés voter, et on a ce qu’on a ! C’est comme ça, et donc il faut l’enregistrer comme ça. Il n’y a pas de réserve, si je puis dire, il n’y a pas un stock de gens qui aurait du comprendre la situation etc… Non non, ils y sont allés et ont eu ce qu’ils voulaient majoritairement. C’est ce que les politiciens unanimes se sont empressés de raconter : nous respectons la victoire de notre adversaire. Moi je dois dire que je ne respecte absolument pas le suffrage universel. Ça dépend de ce qu’il fait ! Le suffrage universel serait la seule chose qu’on aurait à respecter indépendamment de ce qu’il produit. C’est quand même extraordinaire si vous y réfléchissez bien. Dans aucun autre domaine de l’action ou du jugement sur les actions on ne considère qu’une chose est valide à ce point indépendamment de ce qu’elle produit. Le suffrage universel a produit quantité d’abominations dans l’histoire, donc en lui-même il n’a aucune innocence, aucune particularité innocente, et donc l’encenser 1° car les gens sont allés voter indépendamment de savoir ce que ça a donné 2° l’encenser, le respecter, respecter sa décision dans une indifférence complète à son contenu, est une chose qui participe de la dépression générale. Non seulement il y a un résultat qu’on n’espérait pas, mais en plus on doit le respecter. Non seulement il faudrait l’enregistrer, mais en plus il faudrait avoir pour lui le plus grand respect. En réalité, ce qui est là pressenti, sans que les gens veuillent réellement faire le pas, c’est que comme on sait, l’élection est très traditionnellement, très ouvertement un élément de répression, au moins autant qu’un élément d’expression. Il faut le raccorder à des exemples très précis : rien ne produit plus la satisfaction des oppresseurs et des puissants que d’installer les élections partout. Et notre président n’a pas manqué de dire que pour la grève, on allait voir ce qu’on allait voir, ça allait être terriblement électoral la grève (il faudrait une majorité absolue aux bulletins secrets). Cette disposition répressive de l’élection, certains en ont été marqués historiquement d’une façon toute particulière. Il faut se souvenir qu’en mai 68 (mai 68 j’y reviendrai, il faut en finir – en réalité il faut plutôt commencer !) : des millions de grévistes, des manifestations tous les jours, une alliance sans précédent entre des jeunes dans des trajets différents, un élément de nouveauté massive (on voyait des drapeaux rouges chez les habitants des beaux quartiers !). Mais il a suffit que les gens au pouvoir arrivent à organiser des élections et on a eu la chambre la plus réactionnaire qu’on ait jamais eu : bleus horizon. Là l’élection a été le recours essentiel pour la dissolution et l’écrasement du mouvement. Il faut l’avoir en tête. Je ne dis pas que l’essence de l’élection est d’être répressive, mais que la dimension répressive des élections est évidente. Et alors je pense que ça ça provoque un sentiment agrandi d’impuissance, qui est en effet que si l’espace de décision étatique est celui là, alors on ne voit plus très bien ou sont les points de passage pour, disons, une politique d’émancipation. Donc je dirai que finalement, le coup porté est un mélange de pulsion négative, de nostalgie historique et d’impuissance avérée. D’où le sentiment pour l’instant plutôt asthénique et frappé, comme il est normal.

 

Là c’est le moment de s’appuyer sur une maxime de Lacan, et plus précisément sur la définition qu’il donne de la cure. Après tout si nous sommes tous déprimés, la cure s’impose. Et Lacan disait que l’enjeu d’une cure est d’élever l’impuissance à l’impossible. Elever l’impuissance à l’impossible Nous pouvons dire ça, même si c’est mystérieux pour l’instant. Si nous sommes dans un dispositif ou un syndrome dont l’élément dépressif fondamental est impuissance avérée, qui se montre, qui est organisée et symbolisée, alors nous pouvons élever l’impuissance à l’impossible. Qu’est-ce que ça veut dire ? ça veut dire beaucoup de chose : trouver des figures de symbolisation par exemple, mais ça veut dire en fait trouver le point réel sur lequel tenir coûte que coûte, ie n’être plus dans le filet vague de l’impuissance, de la nostalgie historique et de la composante dépressive, mais trouver, construire et tenir un point réel dont nous savons que nous allons le tenir coûte que coûte en tant que nous savons que c’est un point ininscriptible dans la loi de la situation. Evidemment un point inscriptible dans la loi de la situation va tomber dans le syndrome général, il va être lui-même atteint par le coup porté. Mais si vous avez un point, un seul, qui est tel que ininscriptible, on peut déclarer qu’on va le tenir coûte que coûte, alors vous êtes en état d’élever l’impuissance à l’impossible pour une raison très simple, c’est que ce point ininscriptible est représenté par cette situation comme impossible et énoncé comme tel. Si vous tenez ce point réel ininscriptible, vous êtes dans la tenue et les csq d’un point symbolisé comme impossible, et si vous déclarez le tenir coûte que coûte, vous vous constituez vous-même en exception à la dépression. Toute la question est : que veut dire un point réel de ce type, à supposer qu’on le trouve, qu’on puisse s’y incorporer. Tenir un point de ce genre, c’est être dans la subjectivité qu’on va en organiser les csq (c’est l’ordre des csq) on va être csqt avec lui, organiser les csq telles qu’on les voit, ie qu’on va construire une autre durée, une durée distincte de celle dans laquelle on a été acculée par la symbolisation étatique générale.

La maxime abstraite serait la suivante : dans une situation où on ne peut pas se dire « on va attendre le prochain tour » (discours ambiant général ! mais c’est dans 5 ans, c’est pour ça qu’il y a tant de rats, pour qui 5 ans c’est très très loin : il est grand temps, on vieillit un peu, on est un peu ridé, on va pas attendre encore 5 ans ! le rat, lui, il veut pas mariner dans l’impuissance, et encore moins dans l’impossible : « tout le possible tout de suite » dit le rat, c’est sa philosophie spontanée, la philosophie du rat. Et après tout on pourrait définir celui qui supervise ça comme l’homme aux rats, c’est le nom que je lui donne aujourd’hui : l’homme aux rats, c’est lui qui a gagné !). Le rat est un symptôme très important : c’est celui qui a besoin de se précipiter dans la durée qu’on lui offre, si je prends ça de façon plus conceptuelle. Se précipiter dans la durée qu’on lui offre, ie ne pas être du tout en état de construire une autre durée.

Et alors, élever l’impuissance à l’impossible, ça a voir avec la philosophie de la cure, trouver des symbolisations, finalement trouver le point réel sur lequel tenir, le point du sujet qui doit être tel qu’on puisse y indexer une durée différente. On va construire un temps autre que celui qui va nous être dicté par ailleurs. Donc un temps impossible mais qui sera notre temps réel.

Ça m’amène à faire une parenthèse concernant mai 68 : c’est très intéressant la déclaration de notre président sur mai 68. Dire que l’échéance là c’est la possibilité d’en finir une fois pour toutes avec mai 68, c’est une déclaration très saisissante. Elle est même obscure à vrai dire. Quelque chose de profond a été dit. D’abord, entre nous, on avait le sentiment qu’on en avait fini avec mai 68 depuis longtemps. Qu’avait-il en tête lui l’homme aux rats, pour considérer que l’objectif fondamental de son propos était d’en finir avec mai 68, 40 après ? 40 ans après c’est encore là pour lui ! C’est une bonne nouvelle, ça. On pourrait changer la maxime de Mao. Mao avait l’habitude de dire : « l’œil du paysan voit juste ». Il faudrait dire « l’œil de l’homme aux rats voit juste ». S’il faut en finir avec mai 68, c’est que c’est très puissant, très fort dans la conjoncture, merci monsieur on n’avait pas vu ça.

Essayons d’interpréter ce que ça veut dire : pourquoi mai 68. Mai 68, il dit « c’est le moment où a cessé de se représenter clairement la distinction entre le bien et le mal ». Définition nietzschéenne de Mai 68, par delà le bien et le mal. Mais ce n’était pas ça du tout, mai 68. Mai 68 disait : le mal, c’est l’ensemble des gens qui ressemblent à l’homme aux rats, c’est lui le mal ! Et le bien, c’est les ouvriers, les jeunes, le peuple etc… C’était au contraire une division très claire et très forte dans le champ politique du bien et du mal. Donc de n’est pas ça, ça c’est de la propagande moralisante (on verra le rôle de la morale, pays en crise morale etc… c’est un discours pétainiste à analyser de près).

Qu’est-ce qui est visé dans ce spectre de mai 68 ? Quand Marx dit en 1848 « un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme » (Derrida fait des commentaires brillants dessus), c’est une assertion risquée : en 1848 le communisme ne s’est pas encore constitué comme un spectre terrible qui menace l’ordre des choses. C’était une anticipation formidable. Quand Sarkozy dit « mai 68 est le spectre qui nous hante, nous réactionnaires, et avec lequel nous avons besoin d’en finir », qu’est-ce qu’il veut dire ? Je crois qu’il veut dire « nous devons éradiquer définitivement l’idée qu’on peut tenir un point réel hors de la loi de l’état des choses ». En fin de compte, on peut ramener 68 à : là en tout cas des gens ont dit qu’il fallait tenir un point réel et autant que faire se peut le tenir jusqu’au bout. On peut discuter ensuite : qu’est-ce que c’était que ce point, est-ce que c’était le bon point, le mauvais point etc… c’est une discussion entre nous. Mais c’est sûr que c’était ça, qch qui se dépliait déployait dans ses séquences vers 73-74 dans un ordre qui était celui du point réel tenu dans une indifférence à la loi étatique de la situation telle qu’elle était par ailleurs prodiguée. C’est intéressant la conviction que cette subjectivité, il faille l’éradiquer, la mettre hors la loi. Hors la loi, prenez le au sens fort, pas simplement au sens où elle serait policièrement persécutée, ce qui ne manquera pas d’arriver, mais au sens où elle serait de l’ordre de l’irreprésentable absolu. Ie faire qch qui ne serait pas de l’ordre de ce qui nous est proposé, et de la temporalité qui nous est proposé, deviendrait hors la loi au sens le plus total au le plus complet du terme. Une fois ce point éradiqué, il y a effectivement la tentation de la soumission. Car ce point est en réalité le seul qui soit en dialectique authentique avec la pulsion. Ie que s’il n’y a pas de point réel, alors la seule issue est la soumission la plus abjecte à la réalité. Et là j’utilise la dialectique lacanienne du réel et de la réalité : si rien ne vient trouer la réalité, si rien n’est en exception d’elle, si aucun point n’est isolable qu’on puisse tenir, alors il n’y a que la réalité et ses lois et la soumission à cette réalité. Ie à ce que Lacan appelait le service des biens. Donc la violence contre mai 68, aux applaudissements déjà d’un certain nombre d’anciens 68 tards, qui étaient là dans la salle et menaient grand tapage pour leur propre hara-kiri, cette violence concerne en réalité l’hégémonie sans réserve du service des biens. Il n’y aurait plus que le service des biens. Et comme nous le savons, dans une structure comme la nôtre, le service des biens, c’est le service de ceux qui ont des biens. Parce que service des biens veut dire service de qui a des biens. La fameuse escapade de l’homme aux rats dans un yacht pour fêter son triomphe après le Fouquet’s, elle n’est pas du tout une faute, un impair, un à côté comme on l’a un peu présenté (il a pas fait attention, il était tellement content qu’il est allé voir les commanditaires, les parrains  - c’est un peu vrai !). Il a énoncé que c’était normal : le service des biens, c’est normal, c’est la seule règle, c’est la seule loi. Qu’avez-vous à dire contre ? Quiconque n’a pas un point réel au nom duquel il parle dans l’universalité de sa propre dimension n’a rien à répondre à ça. Le service des biens, c’est la loi : pourquoi il ne se servirait pas ? Et donc il a expressément montré qu’il se servait et que c’était comme ça, et ceux qui ne sont pas en état de le faire, tant pis pour eux (ils n’avaient qu’à pas accepter le service des biens comme règle et comme maxime de la situation).

Donc 1ère conclusion : la cure, élever l’impuissance à l’impossible, c’est délimiter, faire choix d’un point qui soit vôtre et dont direz contre l’hégémonie du service des biens que vous le tiendrez coûte que coûte. Donc vous direz : « oui mais quel point ? ». N’importe lequel, pourvu qu’il tienne fonction d’appui pour la construction d’une autre durée. Je vous en donne 10. N’y voyez pas un programme ou une liste.

 

- 1er point : il n’y a qu’un seul monde. Imaginez que vous êtes là où vous êtes, avec ceux que vous connaissez, et vous décidez de tenir ce point. Il a des csq considérables et vous allez trouver des tas de choses à faire. Pas de pb ! et je peux vous garantir que ça construira une durée qui n’est pas celle qu’on nous promet. C’est un vaste point celui-là ! C’est le point des points, mais on peut lui trouver aussi des toutes petites csq précises sur telle situation dans le monde (s’il y a un seul monde, que se passe-t-il à Haïti, qui est dans mon monde, dont je suis contemporain…).

- 2nd point : les ouvriers de provenance étrangère : grande cible, grand thématique de tout le monde (renvoyer les gens chez eux, contrôler l’immigration, qu’ils apprennent le français 3 ans à l’avance, regroupement familial interdit, élèves scolarisés chassés). Le point est que les ouvriers doivent être reconnus par l’Etat comme de libres sujets, et même honorés comme tels. Forçons un peu le point : non seulement on ne doit pas les persécuter, mais on devrait les honorer comme tels. Et on peut se mettre en quête de l’ensemble des procédures visant à mettre en place le fait que non seulement on les protège, on les organise, ils s’organisent, mais aussi qu’ils soient honorés comme tels. Parce que, entre nous, il y a qd même bcp de raisons rationnelles de les honorer que d’honorer l’homme aux rats. Alors il faut aussi faire montre d’une capacité (transvaluation des valeurs : il faut savoir affirmer, retourner la chose). Ceux qui sont persécutés et chassés, il se pourrait bien que ce soient eux qu’il faille considérer et honorer. N’oublions pas qu’après tout ça a été un des aspects du geste fondamental de Marx lui-même : les ouvriers qui sont déconsidérés, moi je vais dire, je vais œuvrer pour qu’ils soient le moteur de l’histoire à venir et les bâtisseurs, les constructeurs d’une société de justice authentique. Quelle que soit l’échelle où on se trouve, on peut renverser le verdict. Ce verdict d’après lequel cet homme là est tout juste toléré ici, nous allons construire une durée à l’intérieur de laquelle on aura non seulement sa reconnaissance comme libre sujet, mais il sera particulièrement honoré, et nous déclarerons que nous sommes honorés qu’il soit chez nous, parmi nous.

- 3ème point : l’art comme création vaut mieux que la culture, ou est supérieur, à la culture comme consommation. Il y a quantité de lieux pour en affirmer la validité et la pertinence.

- 4ème point : la science qui est intrinsèquement gratuite l’emporte absolument sur la technique, même et surtout profitable. S’organiser et lutter sur ce point a une grande pertinence dans le monde contemporain. Affirmer la valeur universelle et générique de l’invention scientifique et le fait qu’elle ne soit pas commensurable à la profitabilité technique est un point qui doit être réaffirmé, stt aujourd’hui. Vous connaissez sans doute les déclarations de notre président sur la littérature ancienne. Littérature ancienne est métaphorique de tout. Vous pouvez faire si vous voulez des études de littérature ancienne, mais vous n’allez quand même pas demander au contribuable de vous les payer, alors nous on va faire aller l’argent des contribuables à l’informatique et à l’économie. C’est une des innombrables déclarations du personnage. Ça veut dire : ce qui n’a pas de profitabilité n’a pas de raison d’être. Il n’y a que quelques hurluberlus qui continuent à être attachés à ce genre de choses, qu’ils se débrouillent tout seul. Ce thème va devenir capital : ce qui a valeur n’est pas du tout homogène à ce qui a valeur marchande. Il est important que ce qui a valeur universelle soit restitué. De même que la gratuité pensante doit être soutenue contre la technicité profitable, les ouvriers qui viennent en prenant des risques considérables, dans des considérations effroyables, en parlant 4 langues, pour nettoyer le sol ou laver dans les restaurants, creuser des trous dans les rues, on va les honorer.

 

- 5ème point : envisager la circonstance du point de vue d’une maxime égalitaire. On peut le faire à n’importe quel moment de l’existence, pour une situation personnelle, limitée, générale, collective. Que dois-je faire si je dis que les gens sont égaux ? Quelles conséquences ça a ?

- 6ème point : tout malade doit être soigné le mieux possible, compte tenu de l’état de la médecine, ceci sans condition d’aucune sorte (c’est déjà dit dans le serment d’Hippocrate, c’est une maxime grecque complètement déniée : il faut d’abord considérer l’état de l’économie, les crédits de l’hôpital, la hiérarchie des services, la provenance du malade, s’il est noir ou blanc, après quoi on va peut être prendre une décision rationnelle. Il sera peut-être mort entre temps mais c’est pas grave. La raison d’abord). Il faut restituer ce point avec énergie.

- 7ème point : l’amour a besoin d’être constitué comme un point qu’on soutien avec vigueur. Il est menacé de toute part. Il est menacé si je puis dire sur sa gauche par la pornographie commerciale, et sur sa droite par le contrat. Il est coincé entre sa destination contractuelle d’un côté (finalement, l’amour c’est un contrat entre 2 personnes qui mesurent soigneusement les avantages et les inconvénients de leur appariement, c’est le côté démocratique des choses) et de l’autre côté malgré tout il est pris dans un bourbier sexuel et pornographique légèrement obscur et indéchiffrable. On peut le tenir comme un point, un point qui n’est réductible ni à l’un ni à l’autre car il est un point du processus sur la vérité de la dialectique du 2.

- 8ème point : soutenir qu’une politique d’émancipation ou un fragment de politique d’émancipation est supérieur à toute gestion. C’est un très point vaste mais on peut lui trouver des assignations locales. Ie que les idées qui supportent les actions qui se fait au nom de l’émancipation de l’humanité, fût-ce localement, doit être considérée comme supérieure aux nécessités gestionnaires, stt quand cette gestion se présente comme rationnelle et moderne. Ce sont les 2 arguments au nom desquels elle est levée ou dressée précisément contre toute politique d’émancipation.

- 9ème point : un journal qui appartient à de riches managers n’a pas à être lu par quelqu’un qui n’est ni l’un ni l’autre. Ça c’est applicable sans délai ! Regardez à qui sont les journaux, y compris les journaux télévisés bien entendus. S’ils appartiennent à des gens du CAC 40 qui en plus prennent Sarkozy sur leur yacht etc… et bien qu’ils restent entre eux, qu’ils le fassent circuler entre eux, leur journal.

Voilà, c’était comme un dispositif anarchique mais subjectivement ça me ramène à la question du courage. Car en réalité, cette cure, cette élévation de l’impuissance à l’impossible, c’est subjectivement la question du courage. Dans le Séminaire, Livre I, il y a un passage que j’aime beaucoup où Lacan se demande si la cure analytique ne devrait pas se terminer par de grandes discussions sur la justice et le courage, comme avec Socrate et Platon. Il pose la question : est-ce que notre pratique, qui consiste à élever l’impuissance à l’impossible, est-ce qu’elle ne devrait pas se terminer par des questions dialectiques sur la justice et le courage ? Vous voyez le courage est convoqué là dans une connexion à ce processus de l’élévation de l’impuissance à l’impossible. Ça suppose quelle définition du courage ? Finalement c’est quoi le courage ? Lisez le Lachès de Platon sur ce point : on cherche une définition du courage, et on interroge pour ça un général. Général, dis moi ce que c’est que le courage. Le général répond : le courage, c’est quand je vois l’ennemi et que je cours dessus. C’est peut-être un peu plus compliqué ! Moi j’appellerai courage, en lui conservant son statut de vertu (on est dans une morale provisoire, soyons vertueux !), j’appelle courage la vertu qui se manifeste par l’endurance dans l’impossible. C’est pour ça que ça a à voir avec l’élévation de l’impuissance à l’impossible : ce n’est pas simplement expérimenter l’impossible (ça ça peut être l’héroïsme ou un moment de l’héroïsme : l’héroïsme, c’est quand on fait face à une posture, c’est pour ça que l’héroïsme a toujours été représenté comme une posture, éventuellement sublime, mais toujours comme une posture. On se tourne vers l’impossible, ie le réel requis, et on lui fait face). Le courage de ce point de vue est distinct de l’héroïsme, c’est la vertu qui se construit (on ne l’a pas déjà), qui se manifeste par l’endurance dans l’impossible. Sans égard aux lois du monde et sans égard aux opinions qui supportent ces lois.

Alors le courage de ce point de vue là c’est aussi une vertu particulièrement liée à la construction d’une autre durée. C’est ça qui demande du courage : de se tenir dans cette durée différente de la durée imposée par la loi du monde. Vous voyez bien que le courage intervient ici au point où, pour se sortir de la figure de l’impuissance, on sait qu’il va falloir une durée propre, qui ne se laissera pas convoquer subjectivement par les réquisitions du monde. C’est bien de courage qu’il s’agit, là, dans la situation dépressive eu égard à ce qui s’est passé et qui se déploie dans un 1er temps comme dépression. Mais attention ! ce courage ne peut pas être le courage comme certains l’envisagent au sens de courage de recommencer. Parce que ça, le courage de recommencer, n’est pas un courage véritable. C’est un point subtil si on l’examine dans sa dialectique complète. Le courage est quand même envoyé par un héroïsme. Je refuse absolument à …. Il faut d’abord se tourner vers le point (il peut être petit, il peut être grandiose comme offrir sa poitrine aux balles !), mais il faut se tourner, accepter de se tourner, c’est un retournement (c’est une conversion au sens de Platon : c’est un retournement vers le réel qui est héroïque au sens où il s’inscrit comme rupture dans le tissu impuissant de la réalité). En ce sens, il n’y a pas de courage qui soit la réinstallation dans la répétition. Le courage n’est jamais le courage de recommencer comme avant, fût-ce avec des améliorations. Je dis ça car j’ai été frappé par le grand titre du magazine Marianne (vous voyez on a des sources variées !). Le titre du magazine Marianne c’était « n’ayez pas peur ! ». Evidemment ça m’a intéressé comme on avait traité de la peur. L’idée c’était n’ayez pas peur après, un titre légitime à sa manière, d’abord car il énonçait la peur comme élément générique de la situation et ensuite car il appelait au courage finalement. Donc il y avait une légitimité du titre. Mais le contenu ne l’était pas, car c’était quand même en définitive le retour indéfini de la proposition : puisqu’on a pris une tarte on va pouvoir refaire la bonne gauche, la vraie, il va falloir liquider les idées libertaires (donc mai 68 aussi finalement !). Le courage en question, c’était ne lâchons pas. Mais l’essence du courage n’est pas de ne pas lâcher. Ce n’est pas d’être buté sur la chose de sorte que d’accord vous avez pris une claque mais vous restez sur place. Le courage tel qu’on l’entend ici c’est dans la dimension consécutive à une conversion minimalement héroïque qui fait que vous vous tournez ailleurs, vers un point qui d’une certaine manière n’était pas là, n’était pas le vôtre (vous faites une découverte, vous changez de terrain), ce qui est héroïque (car il faut abandonner quelque chose, cisailler les opinions, renoncer sans nostalgie à tout un dispositif du vieux monde auquel on était habitué). Donc le retournement héroïque va saisir le point, mais le courage c’est de tenir, c’est la construction de la durée. C’est une durée qui n’est pas réductible à l’idée : on a perdu, et bien on va gagner la prochaine fois, au prix de réforme, de transformations, de rénovations du PS etc… etc…, ce qui a toujours été ce qu’on a dit (c’est pour ça que c’est un recommencement absolu, c’est gouverner par la nostalgie). Ça se présente comme novateur et courageux, mais c’est gouverné par la nostalgie.

Dans ces conditions, j’insiste sur ce point, le courage est toujours local. Ie il commence, il commence en un point. Quand qch commence en un  point, il faut accepter de ne pas le mesurer aussitôt à la situation totale. Vous construisez une durée qui s’origine en un point, et vous n’êtes pas dans la confrontation de cette localisation avec la situation globale. Car il faut bien voir que le coup reçu, lui, est global. Il est d’ailleurs indistinct, on ne sait pas très bien quels sont ses ingrédients, ses localisations prioritaires (où ça va se passer etc…). Il y a un sentiment global d’impuissance et de coup reçu. Il n’y a rien à faire, dans le global il n’y a aucune espèce possible de cure de cette impuissance. Parce que ce serait retourner aux anciennes catégories (refonder, transformer, rénover) et donc de préparer la réitération sans courage en vérité du vieil appareillage.

Donc c’est une grande loi de la morale provisoire : quand on reçoit un coup global, le courage qui y répond est local ? C’est en un point que vous allez constituer la possibilité de survivre, je ne dis pas de ne pas perdre son âme, survivre à cette dépression du coup reçu. On pourrait dire ceci, autre définition du courage : le courage oriente localement, dans la désorientation globale. Je décrirais les choses ainsi : il y a une désorientation globale qui a été enfin symbolisée, bien qu’on en parlait depuis longtemps, là elle est ressentie, et la nécessité est de s’orienter localement, point par point, de telle sorte que soit reconstitué le courage. Et le courage sera reconstitué point par point, dans une désorientation générale. On peut dire aussi, c’est une parenthèse pour reprendre les catégories de la dernière fois, que la désorientation à laquelle nous sommes confrontés là, sa globalité, son historicité, son intelligibilité aussi, méritent de remonter jusqu’à son transcendantal pétainiste. Je l’ai déjà dit et je voudrais le redire de façon détaillée. Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de dire que ça répète Pétain. C’est absurde. Mais le transcendantal, ie le mode de constitution historique et national singulier de cette affaire mérite d’être nommé pétainiste, et ce pour éviter de qualifier trop vite de fasciste ou antidémocratique. C’est plus précis que ça et c’est plus de chez nous. Je pense que pétainisme est le nom en France des forces étatisées et catastrophique de la désorientation. Ie c’est une désorientation majeure, qui se présente comme événement (je ne dis pas qu’elle en est un, on dit qu’il s’est passé quelque chose), étatisée (ça c’est passé au niveau central, de l’Etat). De ce point de vue là il y a une tradition natoinale pétainiste qui est bien antérieure à Pétain. Le pétainisme commence en réalité en France avec la restauration de 1815 où un gouvernement contre-révolutionnaire se réinstalle dans les fourgons de l’étranger, avec l’acquiescement des émigrés et des classes renversées etc… On peut en trouver bien d’autres formes, dans une figure étatisée et catastrophiste, avec une désorientation majeure (gouvernement national installé par les étrangers, gouvernement des riches et des oligarques qui se présente comme le réparateur d’une crise morale, un aventurier homme de main des grands capitalistes qui se présente comme le sauveur de l’énergie nationale). C’est une désorientation majeure, la chose se nomme selon le contraire de ce qu’elle est, mais c’est une désorientation majeure dans une figure concentrée, ramassée (c’est ça que j’appelle la figure catastrophiste). Alors donnons-en des signes, des repères formels.

- d’abord, premièrement, dans ce type de situation, la capitulation et la servilité se présentent comme rupture, révolution et régénération. C’est un point clé. Il est tout à fait essentiel que notre président ait fait campagne sur le motif de la rupture. On a appris tout à fait à la fin que c’était la rupture avec mai 68 (c’était pas clair au début ! on a appris à la fin avec quoi il s’agissait de rompre). Régénération : il va surmonter la crise morale de la France, il va la remettre au travail (ça c’est quand même formidable !). Et donc c’est une révolution : rupture, régénération, révolution, dont le contenu est en fait évidemment la capitulation sans condition devant les exigences des puissants de ce monde, la servilité à l’égard des américains etc… Donc une politique de la courbette ininterrompue qui va se présenter comme une politique de révolution et de régénération. C’est le 1er élément symptômal de ce type de désorientation (le type pétainiste). On en a la forme mineure ici, mais la matrice c’est Pétain en personne. Pétain a aussi dit la même chose en appelant sa politique la « révolution nationale ». Il y est allé carrément ! On avait capitulé, on était occupé par les Allemands, on avait négocié avec eux dans des conditions absolument honteuses etc… donc on était dans le comble de la capitulation et de la servilité, et c’était une révolution nationale et une entreprise de régénération. Pour trouver plus désorientant il faut se lever de bonne heure. C’est une figure qui nous est propre je crois, dont je ne vois pas tellement l’équivalent dans les autres nations (ce n’est pas un motif de fierté patriotique majeur).

- 2nd point : il y a un abaissement national (auquel on va remédier immédiatement par la rupture et la révolution) et cet abaissement est imputable à une crise morale. Il y a une crise morale, le bien et le mal, le travail, la famille, la patrie sont en crise, on va les restaurer. Il y a une crise morale, et donc le redressement ne suppose en aucune façon l’énergie et la mobilisation politique des gens (dont on va au contraire se garder autant qu’on pourra). La morale est à la place de la politique : on va en appeler au redressement moral, terminologie exactement pétainiste, qui permet de dire que politiquement l’Etat est chargé de tout  (car les gens, eux, sont en état de crise morale), donc il faut (c’est la didactique de notre président) leur redonner confiance, récompenser le mérite, leur donner des médailles etc… Cette dialectique de la morale et de la politique est pétainiste dans son essence. C’est la faute des gens en réalité, de mai 68, mais mai 68 n’existe que parce que les gens ont continué à y croire plus ou moins après, d’après l’homme aux rats. Les gens sont porteurs d’une crise morale grave, le pays décline, il va s’abîmer d’un moment à l’autre, et l’Etat lui va être chargé de l’ensemble de l’opération de régénération et de rupture de sorte que la situation de crise morale, c’est toujours un énoncé qui prétend donner au gouvernement les mains libres. C’est sa destination fondamentale (comment réparer une crise morale ? c’est pas clair ! ce qui est clair c’est qu’il faut prendre des mesures énergiques et qu’on va les prendre). Donc cette dialectique de la morale et de la politique est centrale.

- 3ème point : l’exemple du redressement vient de l’étranger, ie ils font que mieux et se sont déjà redressés depuis longtemps. Dans le cas de Pétain, c’était les fascistes sont paradigmatiques : l’Allemagne s’est redressée, l’Italie s’est redressée, l’Espagne s’est redressée (faut voir comment !), et nous il faut qu’à l’exemple de ces grands modèles on fasse pareil. C’était absolument obsédant dans le discours électoral que cette référence constante à l’exemple étranger comme matrice de notre redressement. C’est parce que d’une certaine manière il y a une logique politique du modèle : on doit modeler la situation de façon à sortir par configuration ce modèle, la société, de sa terrible crise morale. Or cette figure du modèle sur laquelle mon ami  mort LL avait dit des choses remarquables, cette esthétique du modèle (dont on a là des versions misérables, mais qui n’en a pas moins sa logique propre) traite la situation dans la figure d’une reconfiguration (passive, sans en appeler à l’énergie de ses acteurs).

- 4ème point : il s’est passé quelque chose de néfaste. La propagande pétainiste consiste à dire qu’à l’origine de la crise morale il y a un événement néfaste. Dans le cas du pétainisme, c’était le Front Populaire. Ça avait eu lieu 4 ans avant, et ça avait flanqué une trouille mémorable (et à mon avis largement injustifiée) aux puissants de ce pays, ils en tremblaient encore, et ils préféraient de loin les Allemands, les nazis n’importe qui au Front Populaire. Et donc ils ont tenu le propos que le Front populaire avait été l’origine et le symbole d’une grave crise morale qui exigeait une révolution nationale. Transposons : mai 68 est l’origine d’une grave crise morale qui nécessite également une reconfiguration, sur le modèle de Buch ou Blair, de notre malheureux pays en voie de décomposition accéléré. Cette articulation est très importante car elle est l’historicité de la chose. Dans le pétainisme il y a un élément très important qui est l’historicité, et qui consiste à lier 2 événements : un événement négatif (toujours généralement de structure ouvrière et populaire) et un événement positif (de structure étatique et militaire pour Pétain qui est le redressement de la crise morale induite l’événement négatif). Donc il y a une lisibilité de l’histoire qui est proposée là, avec une arche assez grande pour notre nouveau président (40 ans d’histoire), une arche historique dans laquelle le gouvernement installe sa légitimité : il se représente et se fait représenter comme un acteur historique de 1ère importance, puisque qu’il est celui qui enfin prend la mesure du redressement nécessaire par rapport à l’événement néfaste inaugural.

- 5ème point : un élément sourdement racialiste, qui est nous ne sommes pas une race inférieure. Ça prend des formes explicites dans le pétainisme et masquée dans la situation actuelle, mais il y a une réitération de la thématique « la France n’a de leçons à recevoir de personne, tout ce qu’a fait la France a toujours été bien » (il est allé très loin dans cette voie). Et ceux qui sont misérables chez eux peuvent le rester, nous nous avons nos propres tâches, nos propres valeurs, notre propre destinée et notre propre essence, et c’est à cela que nous nous dévouerons.

 

Donc pour récapituler ces traits qui me font parler de pétainisme en un sens transcendantal :

- la négation explicite du contenu réel de ce qui se passe (révolution là où il y a réaction noire)

- la thématique de la crise morale comme responsabilisation du peuple et libération des activités de l’Etat

- l’événement néfaste, originaire, où s’origine la crise morale

- la fonction paradigmatique et configurante de l’étranger

- les différentes variantes de la supériorité de civilisation

 

Tout ça couvre quoi ? Tout ça va couvrir

- une guerre insidieuse cintre le peuple et particulièrement ses couches les plus exposées, les pauvres

- la servilité à l’extérieur

- la protection des fortunes

1° que le peuple se tienne tranquille, à sa place, parce que chacun mérite la place qu’il a. L’apologie du mérite, c’est cela et rien de plus : chacun mérite la place qu’il a. S’il est là, c’est qu’il méritait ça.

2° j’ai trouvé ça magnifique, Sarkozy le soir de l’élection : les américains sont nos grands amis, nos chers amis, mais enfin on peut parler librement aux amis et donc on va leur dire qu’on n’est pas d’accord, et on va leur dire (et là on attendait l’Irak, vous faites quand même des choses abominables) de faire attention à la couche d’ozone.

3° c’est l’alpha et l’omega

 

On pourrait être tenté de la formule suivante : si pétainiste peut désigner le transcendantal réactif de notre pays, on pourrait dire finalement que tout courage est le courage de ne pas être pétainiste. C’est la définition la plus restreinte. Après tout ça a été la définition du courage de la résistance elle-même, en 40, 41, 42 jusqu’en 44. Le choix d’entrer dans la résistance était le choix d’entrer dans le point réel que le courage faisait tenir dans un élément qui était l’hétérogénéité au pétainisme. Le pétainisme a toujours une dimension de masse. Les caractères que je viens de dire font qu’il a une dimension de masse. Ce n’est pas une petite clique, c’est une subjectivité générale. Le contenu réel c’est autre chose.

Mais cette définition est peut-être trop négative, trop du côté de la négativité résistante, elle est trop commandée par la situation elle-même (et là on entrerait dans l’analytique de l’adversité dont nous avons montré toutes les chicanes l’année dernière). Au fond on pourrait dire que résistance est peut être un mot qu’il faut dédialectiser ou en tout cas dont il faut retirer la prévalence négative (je résiste à, et donc je suis structuré ou conditionné par le contenu de ce à quoi je résiste). On pourrait dire de façon plus limitée : le courage de tenir un point hétérogène au pétainisme. On a un petit guide avec les caractérisations !

Premièrement, par exemple, sur la réaction présentée comme rupture, il faut tenir un point de rupture effective, qui n’est d’aucune manière praticable comme le masque de la continuité. Le test est que tout point va se présenter comme un vrai commencement. Il y aura un retournement inaugural.

Deuxièmement, sur l’abaissement moral, la question de tenir un point n’a rien à voir avec la moralité : c’est une discipline des csq, et dans cette discipline il n’est pas question de grille morale ou de régénération, mais où il est question d’exister comme sujet, d’exister comme sujet dans un corrélat à un point réel qui évite de basculer ou de se dissoudre dans la réalité.

Troisièmement, il y a un événement néfaste à l’origine de la crise, je dis moi qu’il est intéressant, au moins à titre d’allégorie personnelle, de soutenir fermement tel ou tel événement faste. Que chacun ait l’événement créateur faste dont il se réclame. Que la discipline immanente, subjective, ne soit pas celle qui prétend réparer les csq d’un événement néfaste, mais celle qui affirme être créativement fidèle à l’événement faste (Mai 68 par exemple, ou un autre). Le courage est toujours un courage dont les emblèmes sont affirmatifs. Il faut se méfier de quelqu’un qui se présente sous les emblèmes de la décadence, et qui dit vouloir réparer la décadence. Ses intentions ne sont pas pures. Après tout si quelqu’un prétend être dans l’élément de l’affirmation et du devenir créateur, il doit plutôt présenter ce qui a eu déjà cette dimension là. Moi je suis pour les drapeaux ornés de l’allégorie des événements fastes.

Quatrièmement, l’exemple du redressement vient de l’étranger, je n’en dirai pas davantage. C’est un des plus tristes aspects de cette campagne électorale que les 2 protagonistes se réclamaient de Blair. Un blaireau. Il y a une expression chinoise que j’aime beaucoup pour parler de 2 personnes qui sont complices. Les chinois disent : ces 2 là c’est des blaireaux de la même colline. Blair et Buch, c’était des blaireaux de la même colline.

Cinquièmement, nous retrouvons nos origines : il y a un seul monde, et pas de civilisation supérieure.

 

Ce n’est pas aujourd’hui qu’on reviendra sur le texte, mais j’aurais voulu terminer en situant ça dans un horizon plus vaste, dans une vision hegelienne, une fresque hegelienne de l’historie mondiale qui nous intéresse. Situer notre moment dans cette histoire gigantesque. Je l’introduirai ainsi. Je pense que depuis la révolution française, et son écho universel, progressivement universel, et depuis les développements les plus radicalement égalitaires de cette révolution (Babeuf etc…) nous savons (l’humanité générique, c’est un savoir disponible) que le communisme est la bonne hypothèse. Que veut dire communisme ? C’est le communisme en son sens générique, détaché de (naturellement) les partis communistes etc… ça veut dire des choses assez précises : le dispositif des classes peut être surmonté (il n’est pas inéluctable), que par csqt le pouvoir oligarchique de ceux qui détiennent la puissance et la richesse n’est pas inéluctable (il peut être surmonté), et que l’organisation de la société avec un Etat séparé (appareil policier, militaire) séparé de la société civile n’est pas non plus inéluctable. Le communisme ne désigne en son sens générique que cet ensemble. C’est une hypothèse ayant valeur régulatrice pour parler comme Kant, à l’intérieur de laquelle peuvent s’inscrire des séquences politiques tout à fait diversifiées et même tout à fait contradictoires. Mais c’est une hypothèse en quelque sorte inaugurale pour notre historicité en ce qu’elle ouvre le 19ème siècle, elle ouvre la modernité politique. Elle met fin aux structures traditionnelles des anciens régimes. Qch est ouvert là, et ce qui est ouvert là, de l’ordre de la prescription idéalisante, du principe, c’est que le communisme est la bonne hypothèse : on peut s’y installer quels que soient les variations que le contexte lui fait subir et qui sont naturellement incomparables. Il y a un texte où Sartre dit : si l’hypothèse communiste n’est pas la bonne, s’il faut renoncer à l’hypothèse (pas à la chose), alors ça veut dire que l’humanité n’est pas une chose en soi très différente des fourmis, ou des termites. Que veut-il dire ? Si cette hypothèse générique ouverte est fausse, au sens où il faut l’abandonner, et en finir avec mai 68 c’est ça (non seulement reconnaître que le communisme s’est effondré en URSS, non seulement reconnaître que le PC est misérablement défait etc… mais il faut abandonner l’hypothèse). Mai 68 était une invention hypothétique, personne ne savait ce que c’était, ce que ça faisait ni où ça allait, simplement c’était dans l’hypothèse. S’il faut abandonner l’hypothèse, alors ça veut dire qu’une société humaine est une société de gens qui poursuivent leurs intérêts et puis c’est tout. C’est ça l’alpha et l’omega de la construction sociale, étatique et politique. Les riches poursuivent leurs intérêts de riches, les pauvres peuvent très bien être riches etc… C’est comme ça que ça se passe et ça sera toujours comme ça. Donc quand je dis le communisme est la bonne hypothèse je dis : il n’est pas inéluctable que ce soit toujours comme ça. Il n’y a pas de nécessité immanente d’une nature humaine prédéterminée qui ferait que en fin de compte nous ne sommes pas bcp autre chose que des animaux qui vivent en groupe. C’est le 1er point. A partir de ce point se dessine une fresque historique particulière, qu’on peut récapituler ainsi. Je pense qu’il y a eu 2 grandes séquences de tentatives d’effectuation de l’hypothèse.

La 1ère va de la Révolution à la Commune de Paris, et inclut des tas de phénomènes dans bcp de pays du monde : elle lie pour la réalisation de l’hypothèse le mouvement populaire et une thématique de l’insurrection. Elle organise le mouvement populaire qui existe sous des formes multiples (manifestations, mouvements, grèves, soulèvements paysans, jacqueries etc…) autour de la thématique d’un renversement. Ce renversement est insurrectionnel et on l’appelle la révolution, ie l’ordre ancien va être abattu par la combinaison d’une pression éventuellement armée du mouvement populaire et de sa propre insurrection. C’est une séquence où apparaît aussi la dimension du mouvement ouvrier, ie où aux vieilles catégories des paysans et du petit peuple s’adjoint la catégorie des ouvriers. Cette séquence est close par la Commune de Paris : la combinaison du mouvement populaire et de son insurrection montre sa vitalité (le pouvoir est pris pendant 2 mois) mais aussi son incapacité organique. C’est la 1ère séquence historique de l’existence de l’hypothèse.

La 2nde va de 1917 (révolution russe) jusqu’à 1967-68 (révolution culturelle en Chine). Elle dure une cinquantaine des années, la 1ère dure 80 ans. Cette séquence n’est plus dominée par la combinaison du mouvement populaire et de l’insurrection, elle est dominée par la thématique du parti, à travers des tas d’aventures. Ie par une figure de l’organisation victorieuse.

Le point de vue de Lénine était : nous devons maintenant réunir les moyens de la victoire. Le problème n’est plus que le mouvement populaire existe, qu’il se lance dans des entreprises insurrectionnelles, mais qu’il puisse être victorieux. Cette question de la victoire s’est concentrée dans la question de l’organisation. Finalement, la discipline c’est la seule arme de ceux qui n’ont rien. Et comme la discipline est la seule arme de ceux qui n’ont rien, la question fondamentale est celle de l’organisation. Et nous avons une longue séquence qui est structurée explicitement ou souterrainement par cette question.

Donc la 1ère séquence est sous le signe du mouvement, la 2nde séquence sous le signe de l’organisation. Avec les ultimes soubresauts des états socialistes, cette séquence s’achève, elle a donné ce qu’elle pouvait donner. J’insiste sur ce point : on traite pb par pb l’hypothèse inaugurale, sur laquelle on tient. On a traité pensant la 1ère séquence la question de l’existence d’un mouvement politique populaire, de l’existence affirmée, répétée, tenace et obstinée d’un mouvement. On a traité pendant la 2nd séquence l’existence obstinée et pertinente d’une organisation politique éventuellement apte à s’emparer du pouvoir.

Remarquez qu’entre les 2 séquences il y a 40 ans d’impérialisme triomphant (de la répression de la commune à 1917 grosso modo), c’est l’apogée de l’impérialisme européen qui occupe la planète entière, dévaste des régions entières, se subordonne des populations entières. C’est une séquence où ce qui l’emporte en termes d’équilibre et de stabilisation, ce n’est pas du tout l’hypothèse. C’est la contre-hypothèse, ie la volonté de déclarer que l’hypothèse est intenable, il faudrait y renoncer.

Où en sommes nous ? Si on admet que la 2nde séquence s’est achevée dans les années 60-70, il faut admettre que nous avons derrière nous une trentaine d’année de stabilisation réactive. Il faut inscrire là dedans ce qui se passe maintenant et en France, ie la réapparition de concrétions du pétainisme transcendantal. Ce n’est pas au fond un phénomène aberrant ou discordant, c’est une cristallisation locale du fait que nous sommes dans une période intervallaire , comme il y en a eu une fort longue à la fin du 19ème siècle. Et nous savons que ce qui va s’ouvrir, c’est une 3ème séquence qui ne sera pas la répétition ou la réitération de la 2nde. La 2nde est close. Ce qui veut dire que notre pb n’est ni celui du mouvement populaire ni celui du parti. Notre pb stratégique pour qu’il y ait cette 3ème séquence, c’est autre chose. Cette autre chose, je ne vais pas vous dire ce que c’est, je ne le sais pas vraiment, mais la direction générale me paraît perceptible. Je pense que ce dont il s’agit c’est d’un nouveau rapport entre le mouvement politique réel et l’idéologie, ie une nouvelle manière pour l’hypothèse elle-même d’habiter, d’être présente, dans l’intériorité des mouvements, étant donné qu’ils cumuleront le principe d’existence de la 1ère séquence et le principe de discipline de la 2nde. Si ce n’est ni mouvement ni discipline, c’est qch qui a rapport entre les 2, c’est le mode propre sur lequel la pensée est présente dans la figure de la séquence politique. C’est certainement un nouveau rapport, très difficile à se représenter (puisqu’il est nouveau) du subjectif et de l’objectif. C’est un nouveau rapport de ce qui matérialisme l’hypothèse dans la séquence de sa matérialisation. En particulier je crois que ça ne peut pas être dans la figure d’une étape. On peut considérer que la 1ère séquence, de constitution existentielle du mouvement populaire dans la figure mythique d’un renversement pur, cette séquence a mis à l’ordre du jour l’existence du mvt, mais on voit que quand on passe à la 2nde séquence on a autre chose, un autre mode de présentation de l’hypothèse. Je dirais ceci : l’hypothèse communiste au 19ème siècle a été travaillée par la question de son existence. « Un spectre hante l’Europe ». ça voulait dire « l’hypothèse communiste est là ». Et puis la 2nde séquence, du parti révolutionnaire, de la discipline et de la militarisation aussi, de la guerre, tout ça a été la séquence de représentation de la victoire de l’hypothèse. Mais cette victoire a toujours été en même temps sur le mode insurrectionnel, on n’a pas modifié l’idée d’un renversement. On a gardé la catégorie de révolution dans le sens du renversement. Donc c’était l’idée de la victoire de la 1ère séquence. Donc on peut dire que la 2nde séquence a été la thématique de la victoire de la l’hypothèse dans l’élément ou dans les paramètres de l’existence de l’hypothèse qui étaient ceux du 19ème siècle. Et je pense que (c’est pour ça que c’est si compliqué, si errant, si expérimental) c’est l’existence de l’hypothèse sur un autre mode que son mode originaire. L’hypothèse communiste reste la bonne. Si elle doit être abandonnée ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit. Que chacun s’occupe de ses affaires et puis voilà. S’il faut l’abandonner, il est bien vrai à la fin des fins que l’homme aux rats aura raison, quand il dit précisément qu’il faut l’abandonner (c’est ça qu’il dit). Mais s’il faut la garder, ce n’est pas dans la formulation de la victoire de la forme d’existence ancienne. Par csqt s’il faut la garder, c’est dans une nouvelle forme, nouvelle par le type d’expérimentations politiques auxquelles cette hypothèse donne lieu, qui ne peut plus se résoudre dans la combinaison mouvement / insurrection ni dans la construction d’une organisation disciplinée et puissante. C’est un autre mode d’existence de l’hypothèse elle-même. C’est pour ça que je pense que nous sommes dans une phase d’exercice local, d’exercice local du courage (pour reprendre mon expression vertueuse). Cet exercice est une expérimentation locale de cette nouvelle modalité. Ie qu’est-ce que c’est que soutenir aujourd’hui l’hypothèse stratégique du communisme dans l’expérimentation locale qui nous permet tout simplement de maintenir un point dans sa durée propre et dans sa consistance singulière, c’est là qu’est la matrice où le maintien de l’hypothèse va apparaître comme étant aussi la transformation de son existence. C’est pour ça que j’ai souvent le sentiment que bcp de choses nous ramènent au 19ème. A certains égards nous sommes plus proches de toute une série de situations du 19ème siècle que de la grande histoire des révolutions du 20ème siècle. Le 20ème j’ai écrit dessus il faudrait le faire pour le 19ème. On a affaire à des capitalistes de plus en plus cyniques, pour qui il n’y a que la richesse qui compte, que les pauvres c’est de leur faute. On va on est déjà là dedans. Marx a dit : les gouvernements sont les fondés de pouvoir du capital. C’est une anticipation géniale, là on le voit. Ils sont explicites et visibles. Donc des phénomènes du 19ème vont réapparaître : des zones de misère extraordinairement profondes, une coupures radicale entre une fraction du peuple et les classes intermédiaires, la dissolution complète du pouvoir politique dans le service des biens. On est très proche de ça. Autre point de proximité : ce n’est pas de la victoire de l’hypothèse qu’il est question aujourd’hui, tout le monde le sait bien, mais des conditions de son existence, et ça c’était le pb du 19ème. Faire exister l’hypothèse, c’est nôtre tâche : comment, dans des expérimentations particulières, pouvons-nous nous assurer d’un nouveau mode d’existence de l’hypothèse communiste ?

13 juin 2007

Aujourd’hui on va proposer cette sorte de récapitulation, je voudrais vous présenter 2 échéances, une longuement car elle entre dans la récapitulation, et vous introduire au séminaire de l’année prochaine, suite à quoi on fera une récapitulation proprement dite.

1ère chose : journée organisée par le CIEPFC, anticipant une activité de l’année prochaine, qui est de faire aujourd’hui un bilan des années 60. L’année 2007-2008 est le 40ème anniversaire de mai 68, et comme l’homme aux rats a déclaré vouloir en finir une fois pour toutes avec lui, il faut ne pas en finir avec lui ! Mais il s’agit des années 60, et de leur intensité particulière : Foucault, Lacan, Althusser, le 1er Deleuze… Ceci prendra la forme de journées mensuelles, allant des mutations dans la pensée politique, des rapports entre psychanalyse et philosophie... La journée de samedi anticipe ces journées, elle est sur la nouvelle vague, Truffaut, Godard etc…,  qui s’inscrit dans ces années 60, elle aura lieu ce samedi 16 juin à 10h salles Ferry. Elle s’intitule : « la nouvelle vague dans l’œil des philosophes ». Il y a des gens des Cahiers du Cinéma, du Centre, ie discussion entre critiques et philosophes sur l’intérêt en pensée de la nouvelle vague.

2nde chose : le lundi 18, il y a une journée d’un autre type, qui est consacrée à un énoncé mathématico-logique qui s’appelle le lemme de Yoneda. Je voudrais introduire un petit peu la chose pour vous persuader que cette affaire est philosophiquement importante, et significative, même si les aspects techniques peuvent impressionner mais sont en réalité assez limités si on y regarde de près. Ce lemme appartient à la branche des mathématiques qui est la théorie des catégories. C’est un énoncé qui porte sur certains caractéristiques des relations formelles possibles entre une catégorie quelconque et la théorie des ensembles. Alors si on admet qu’une catégorie quelconque est qch comme de façon très générale disons un univers logique, ie un univers abstrait ou on se donne des objets et des relations, ie la présentation formelle d’un univers pour la pensée logique d’un objet quelconque, et si on admet que la théorie des ensembles est l’ontologique proprement dite, ie la théorie rationnelle des multiplicités quelconques, on peut dire que le lemme de Yoneda exprime des caractéristiques fondamentales de la relation entre logique et théorie du multiple sous une forme extraordinairement générale. Ce qui est intéressant dans ce lemme de Yoneda, c’est qu’il exprime le fait que la relation entre une catégorie quelconque, ie un univers quelconque, et la théorie des multiplicités comme telles, ie la théorie des ensembles, les relations entre ces 2 choses obéissent à des contraintes ou une singularité qui les distinguent d’une relation indifférente entre 2 catégories quelconques. On peut le dire comme ça : il porte sur la relation entre ce qu’on peut appeler un site logique, ie un lieu de pensée opératoire de la relation quelconque, une représentation abstraite de la théorie des relations d’une part, et une théorie rationnelle des multiplicités d’autre part. Alors c’est un résultat démontré, résultat intra mathématique dont je ne vous donne pas la forme précise pour l’instant (elle sera expliquée et commentée lors de cette journée). Mais on peut en percevoir l’extraordinaire importance : car il porte, si on le transcrit brutalement en mon langage propre, sur la relation entre les structures logiques en général et l’ontologie comme telle. Donc n énoncé logico-ontologique qui indique que la relation entre la théorie des multiplicités et les univers logiques possible  est soumise à des contraintes singulières. On peut aussi l’interpréter comme le fait que dès lors qu’on entre en relation avec la théorie des multiplicités, les liaisons entre la logique et cette théorie ne sont pas quelconques. C’est comme si vous aviez un résultat formel qui indique le type de contrainte ou de pesée que l’ontologique exerce sur la logique. C’est un résultat qui d’un certain point de vue rappelle les propositions d’Aristote dans le Livre Gamma de la Méta. Car le Livre Γ de la Métaphysique est un livre où Aristote tente d’expliquer que l’être en tant qu’être exerce des contraintes particulières sur la logique qui fait qu’il y a des principes logiques (contradiction, tiers exclu, id) qui d’une certain façon exprime dans l’univers rationnel la pesée propre de la question ontologique elle-même. Vous avez un long parcours, une question philo majeure des liens intrinsèques entre onto et logique, la pesée ou la contrainte d’une forme onto sur l’univers logique dans lequel on l’exprime. Le Lemme s’inscrit dans cette perspective. Je veux détailler un peu. On peut considérer que la question philosophique majeure est la question du multiple, enraciné dans un phénomène historial ou historique, qui a une longue histoire lui-même, et qu’on pourrait appeler le phénomène de la défection de l’Un, de l’absentement de l’Un comme tel de l’espace général de la pensée d’ l’être. La variante générale est la défection du Dieu de la métaphysique, ie la défection de ce que Heidegger appelle l’onto-théologie, ie l’emprise sur la question de l’être de la question de l’un. C’est le schéma fondamental de la métaphysique classique. On peut dire que la contemporanéité est définie en la matière comme la défection de cette entreprise, autrement nommé mort de Dieu (mais finalement c’est un autre nom pour la même chose), et qui signifie que le multiple est libéré de l’emprise de l’un du point de vue de sa détermination intrinsèque. Et alors, ce que je voudrais dire, c’est que ce moment philosophique qui est épocal, qui couvre une longue histoire, ce moment de la défection de l’un ou de l’émancipation du multiple de l’emprise onto de l’un, peut être interprété de 2 façons différentes, qui définit l’espace polémique ou conflictuelle de la philo contemporaine.

On peut d’abord l’interpréter de façon critique, à la façon de Kant : dès lors que le multiple est soustrait à l’emprise de l’Un, il devient dans son être inaccessible. Ie la détermination ontologique ou en soi de l’être multiple nous échappe dès lors qu’elle n’est plus transitive ou éclairée par la détermination de l’Un. Ça c’est l’ouverture de la tradition critique qui aborde l’émancipation du multiple de façon négative, finalement, et qui enregistre que dès lors que la déliaison du multiple s’affirmer dans son essence même, alors il n’y a pas d’accès rationnel ou cognitif véritable au réel du multiple. C’est une tradition critique dont on trouve de nombreuses variantes : positivisme, sceptique, et même une variante déconstructionnisme. Tout un pan de la pensée de Derrida reste rattachée à cette dimension critique, ie on ne peut venir à bout de la dissémination. La dissémination ou différence comme tel ne se laisse pas aborder dans le champ rationnel précisément car elle est déliée de l’un. Et donc c’est la thèse selon laquelle il n’y a de compréhension rationnelle de la multiplicité comme telle ou de ce qui apparaît comme tel que sous la souveraineté de l’un, et comme cette souveraineté est destituée, en réalité qch de définitivement énigmatique surgit du côté du multiple. C’est la 1ère interprétation, très forte et présente : la défection de l’un se paye d’une énigme de l’être.

Il y a une autre façon d’interpréter : elle consiste au contraire à dire que la rationalité nouvelle est affirmation de l’intelligibilité du multiple comme tel. Au contraire, il faut en finir avec le négatif qui frappait depuis toujours le multiple, puisqu’il était soumis à la souveraineté de l’un en réalité, il faut en finir avec ce lien entre négativité et multiplicité, et il faut dans l’élément de la défection de l’un procéder à l’affirmation du multiple. C’est un geste nietzschéen dans sa provenance historique 1ère, qui est que la mort de Dieu est l’élément dans lequel, enfin, le multiple peut être affirmer, dans lequel l’affirmation du multiple le libère de sa perception toujours négative tant qu’il était enchaîné au pouvoir de l’un. Au fond sous des formes très complexes, la philosophie contemporaine est tramée par cette question de savoir sous quel angle ou quel est notre accès à la défection de l’un. On peut dire quelles sont les leçons à tirer de la mort de Dieu. Mais on peut aussi plus abstraitement quelle sont les leçons à tirer de l’émancipation du multiple, émancipation dans le champ de l’accès rationnel à son existence même. Ceci dit, à l’intérieur de la 2nde tendance, ie tendance post-nietzschéenne, mais aussi post-spinoziste comme dit Deleuze, qui déclare affirmer le multiple selon sa multiplicité elle-même, à l’intérieur de cette tendance il y a un pb qui fait différence. A supposer qu’on affirme la multiplicité comme tel, ie que l’élément même de la pensée soit cette affirmation, ie que la pensée s’inaugure ou commence en acceptant l’affirmation pure du multiple, comment éviter en réalité une installation de la pensée dans l’élément du chaos ? Comment la pensée va-t-elle faire pour affirmer le multiple sans se perdre dans cette affirmation elle-même ? sans se disséminer, se briser s’épuiser dans l’affirmation du multiple ? Comment se trouvent être compatibles, ou minimalement compatibles, l’affirmation de la multiplicité sauvage, de la multiplicité déliée de l’un, qui n’est plus sur l’horizon de sa construction propre, comment soutenir à la fois cela, et en même temps qu’il y a fut-il variable, un ordre de la représentation, ie que le monde est donné comme monde et non pas seulement comme chaos ? Comment affirmer la multiplicité dans un élément de rationalité tel qu’on puisse à la fois concevoir la puissance de la multiplicité sauvage, qui n’a pas de compte immédiat à rendre au pouvoir de l’un, et cependant affirmer aussi l’intelligibilité de la légalité du monde, ie du fait que qch consiste tout de même dans l’expérience, qu’elle n’est pas dans l’épreuve constante du chaos ? C’est le pb fondamental de cette 2nde tendance. On voit comment Foucault, Deleuze, Lacan et moi-même répondons en réalité, en définitive, à une telle question, avec des dichotomies de type l’être et l’événement, le virtuel et l’actuel, le réel et le symbolique, qui sont toutes destinées si on regarde de près à proposer une solution à ce pb, ie à libérer la multiplicité sans dissoudre la pensée dans le chaos, sans rendre la pensée purement chaotique, ie à maintenir une pensée conjointe de la puissance dissémine de la multiplicité et néanmoins de la consistance du monde. Les choses dans leur être sont multiplicité sans un mais néanmoins qch dans l’expérience consiste sans être pour autant constitué par un sujet transcendantal au sens idéaliste du terme. Si on aborde ce pb, dont on voit le caractère décisif, et la discussion continue sur ce point, on est dans le travail des solutions possibles de ce pb, on peut le formuler de la façon suivante : quel est le rapport entre relation et objet ?

Admettons qu’on appelle objet les différentes variantes de la stabilité ou de la consistance mondaine. On appellera objet et plus généralement objectivité la donation d’une stabilité minimale de l’expérience mondaine, ou la forme non chaotique de la donation du il y a. Appelons relation ce qui circule entre les objets de telle sorte que c’est aussi ce qui les défait, contrarie, annule etc.. Admettons provisoirement qu’on découpe dans le il y a de la multiplicité objet principe de stabilité et relation principe de variation ou de mouvement. Deleuze n’hésite pas à affirmer que l’être est relation et que l’objet est une forme dérivée, une stabilité secondaire qui finalement relève toujours d’un processus achevé d’actualisation. Cette question du rapport  chaotique entre la multiplicité sauvage et stabilité régionale de l’expérience du monde peut se dire selon la question du rapport entre objet et relation.

Alors ce que le Lemme de Yoneda, pour revenir à lui, porte, c’est qch de tout à fait remarquable, et qui est que à certains égards, objets et relation, de l’intérieur d’une théorie logique du multiple, c’est que objet et relation sont 2 modes d’existence ou d’expression de la même chose. En définitive, objet et relation, peuvent, dans le rapport entre théorie des multiplicités et théorie des catégories, être pensées dans un rapport de dualité (pas séparation ou contradiction) : c’est la même variation pensable dans 2 figures distinctes. Ce n’est pas non plus une perspective, c’est réellement la même chose mais qui se donne dans une figure plus objective ou dans une figure plus relationnelle. La figure relationnelle va être donnée dans une catégorie logique quelconque, et la figure plus objective va être donnée dans la théorie des ensembles, théorie du multiple. Et ce que le lemme va signifier, c’est que en un certain sens, cette relation exprime que relation et objet peuvent se transcrire l’un dans l’autre. Il y a une expressivité objective de la relation, mais aussi une possibilité dissolutive de l’objet dans la relation. La relation consiste dans l’objectivité et l’objectivité se dissémine dans la relation, mais de façon telle que en définitive on a une équivalence de ces 2 figures expressives. Au cœur, il va y avoir ceci que la relation (en l’occurrence de foncteurs et de relations entre foncteurs) va pouvoir être exprimée par une multiplicité. Les relations ne concernent pas que les relations entre multiplicités, mais les relations entre univers logique et univers ontologique peuvent se représenter sous la forme objective d’une multiplicité. Ceci est fondamental : c’est décisif dans la totalité de l’expérience et des pb posés de façon contemporaine. La question de savoir si finalement l’univers mobile des relations, l’univers dissolutifs des relations peut néanmoins s’exprimer sous la forme d’une multiplicité provisoirement stable est fondamental. C’est le pb de l’organisation en politique par exemple, c’est le pb de l’œuvre dans la pratique artistique. C’est la question de savoir comment l’élément relationnel, la multiplicité mais sous sa forme dissolutive et sauvage peut néanmoins en un certain sens être exprimée sous la forme d’une multiplicité effective. Le Lemme transite dans ce type de pb. Lundi 18, 10h, Salle Dussanne, on a mélangé philosophes et mathématiciens.

 

3ème point : l’année prochaine le séminaire s’appellera « pour aujourd’hui : Platon », en un an. C’est un séminaire sur Platon à ma sauce. Je vous lis sa présentation. Lecture du texte de présentation du séminaire. Cf annonce du séminaire.

« butée subjective sur le cadavre des dieux » : comme en trouve des anticipations puissantes mais inorganisées chez Nietzsche, les variantes du nihilisme contemporain sont des variations sur le cadavre des dieux, ie de la défection de l’un. Il apparaît de ce point de vue que le consumérisme occidental, la loi de comparution devant la marché, d’un côté, et le terrorisme absolutisé, se font face à face… C’est la raison pour laquelle ce sont 2 puissances de mort qui n’ont d’autre issue à leur pulsion propre que la guerre.

Un accès à l’absolu nous soit ouvert, ni car un dieu vérace nous surplombe ni car nous appartenons à un devenir sujet de l’absolu mais car le sensible qui nous tisse participe, au-delà de la corporéité individuelle….

39 min

L’orientation suppose en dernier ressort que nous ayons quelque accès à l’absolu, ie que tout ne soit pas allongé dans la relativisation des corps et des langages, ie que nous ne soyons pas voués au matérialisme démocratique, mais pas au sens de Descartes, ni au sens de Hegel ou Heidegger, dans la figure de la totalité accomplie ou du sujet du savoir absolu. Donc le Platon que je présenterai a dit cela, ie nous avons besoin d’un accès à l’absolu, mais qui l’a pensé comme participation. Ce motif central, assez énigmatique, signifie que l’accès à l’absolu nous est ouvert dans le sensible lui-même. Le platonisme vulgaire propose une séparation entre le sensible et l’intelligible. Mais ceci est absolument inexact, puisque l’essence du platonisme, et sa difficulté, est que le sensible participe à l’intelligible. C’est le motif de la participation qui est essentiel. Le motif de la séparation n’a aucun intérêt et conduit à la théologie. Ce qui est essentiel, c’est de concevoir le sensible lui-même tel qu’il tisse notre expérience est dans une relation de participation à la construction de vérité éternelles, et ceci engage suppose la …

« ce motif de la participation dont on sait qu’il fait énigme, nous le reprendrons de telle sorte qu’il permette d’aller au delà des contraintes du matérialisme démocratique, ie de l’affirmation qu’il n’existe que des individus et des commun avec entre eux quelques contrats, dont nos modernes chiens de garde prétendent nous faire espérer qu’ils soient équitables ». Equité s’oppose à l’égalité : l’équité est la norme d’existence des corps…

Cette équité n’offre en réalité au philosophe l’intérêt que qu’elle se propose comme injustice intolérable. Ce qui à mon sens est un diagnostic d’impasse du matérialisme démocratique lui-même. Equité a nommé cela, comme droits de l’homme : sous la thèse que en définitive il n’y a que des corps et des langages, ou des individus et des communautés, on peut proposer des normes effectives. Le constat est que ceci n’est pas réalisable. En réalité ce type de convictions qu’est le matérialisme démocratique impose de plus en plus l’affirmation cynique qu’il n’y a pas de norme autre que la puissance. C’est ce que nous verrons de plus en plus dans la période qui s’ouvre. Equité est le nom de la pseudo norme dont on diffère constamment… En réalité le processus n’est pas normatif, c’est un processus de désorientation. Désigne ce qui se passe du point de vue de…. Ou du principe. La conclusion c’est qu’il faut soutenir qu’outre les corps et les langages il y a les vérités. Et que corps et langage, individu et communauté, peuvent participer dans le temps à l’élaboration combattante de ces vérités. Et qu’elles peuvent donc participer dans le temps à l’élaboration de l’éternité elle-même, si on admet que vérité et un nom de l’absolu. C’est ce que Platon n’a cessé de vouloir faire entendre aux sourds, et c’est pourquoi nous nous tournerons vers lui. Avec des tentatives nouvelles de traduction : nous serons dans le texte et le ferons jouer dans le temps présent.

Ça aura lieu à 20h ici. Je vous donne les dates provisoires : 24 octobre, 28 novembre, 5 décembre, 16 janvier, 20 février, 19 mars, 9 avril, 14 mai et 11 juin.

 

Ceci étant dit, je voudrais pour le temps qui nous reste donner une synthèse des points importants discutés cette année. Je vous propose une récapitulation en 5 points, en retraversant des thèmes déjà développés mais d’une façon un peu variée.

 

1er point : point analytique.

La caractérisation du temps présent est qu’il est un temps désorienté ? Le temps considéré comme subjectif et épocal est un temps de désorientation, un temps désorienté. Je voudrais lier cela à une thèse générale, c’est que toute politique d’oppression et en particulier toute séquence réactionnaire s’accompagne d’une pratique idéologique de la désorientation. C’est un élément structural des politiques réactives. Et il y a dans cette politique de désorientation une opération spécifique, fondamentale, qui est de rendre illisible la séquence antérieure. C’est un point d’une grande importance. A titre d’exemple, j’ai écrit sur ce point un article sur Thermidor (qu’est-ce qu’un thermidorien ?). Dans cet article, avec des citations du personnel thermidorien, je montre qu’un des objectifs de cette séquence a été de rendre illisible la séquence robespierriste. Pas seulement de la commander, de dire qu’elle était horrible etc… mais de la rendre indéchiffrable littéralement. Ce n’est pas la même chose. Un élément constitutif de la désorientation c’est toujours de rendre illisible la séquence antérieure, ie la séquence orientée. Orientée ne veut pas dire forcément que tout tétait bon et formidable. Ce n’est pas car il y a une orientation qu’elle vole de succès en succès et que le monde est radieux, ce n’est pas ce que je veux dire ; Mais ce n’est pas la même chose d’être dans une situation de désorientation et dans une situation orientée, même si cette orientation est discutée dans ses figures propres, dans ses figures empiriques, dans ses figures historiques. Mais le motif fondamental est qu’il y a une orientation. Or ce motif qu’il y a une orientation, il est nécessaire pour les périodes réactives de le rendre illisible, ie de le transformer en une pathologie. La rendre illisible, pourquoi ? Parce que quand on la rend illisible, on interdit d’y trouver les principes de sa rectification éventuelle, de sa continuation ou de sa rectification, de sa transformation, même radicale. On a affaire à une opacité qui est un facteur très important d’impuissance : quand la séquence antérieure est illisible, l’impuissance s’aggrave d’autant. Et donc il faut connecter absolument le fait qu’on est dans un temps désorienté et cette opération particulière qui consiste à rendre illisible la séquence antérieure, ce qui va bien au-delà du point de vue de la pensée, du simple fait de la condamner. Car vous pouvez condamner quelque chose qui est parfaitement déchiffrable ou lisible, qui n’est pas une pathologie mais qui est une entreprise. Par contre, lorsque la chose est manifestement une pathologie, on dit qu’il n’y a rien à en tirer pour l’orientation elle-même. Et donc on retire des ressources essentielles au processus de l’orientation. C’était le 1er point que je voulais recadrer. Pour le conclure, je dirai qu’il est nécessaire, même si c’est souvent difficile, de conserver de la séquence antérieure la conviction qu’elle est lisible, et que c’était une séquence d’orientation lisible. Ce qui encore une fois est distinct de toute valorisation intrinsèque. Dire qu’elle était lisible ça veut dire que quels qu’aient été ses résultats, en tout cas, en tant qu’orientation, elle demeure dans la lisibilité. Sur ce point il y a des précédents paradoxaux. Il y a eu une discussion de ce genre sous la 3ème République à propos de la Révolution Française : pour savoir si elle était dans son entier déchiffrable ou lisible comme processus politique. Et certains dirent déjà que en tout cas la séquence terroriste, elle, ne l’est pas, elle doit être retirée comme dimension pathologique de l’élément générique de la révolution. Donc il y avait des tas de révolutionnaires qui allaient jusqu’en 92 mais pas bcp plus loin. De même, à la commémoration sous François Mitterrand on est allé jusqu’à la déclaration des droits de l’homme mais personne n’est allé regarder ce qui s’est passé après, ce qui était tout de même un peu plus compliqué. Ce débat a déjà eu lieu et était sur : quand on parle de la RF de quoi parle-t-on ? de quelle figure de lisibilité parle-t-on ? toute une partie de l’opinion modérée, réactive ,arrêtait la révolution en 92 et en exceptait la séquence terroriste. Cette tendance a persisté longtemps mais elle a été combattue à l’époque, en particulier par Jaurès, les socialistes mais aussi par Clémenceau (il a eu la phrase fameuse : « la RF forme un bloc). Il voulait dire qu’on ne pouvait assumer l’élément de cette séquence politique sans d’une certaine façon déclarer qu’elle était intégralement lisible du point de vue du présent. Ça ne veut pas dire qu’il en approuve assume toutes les articulations ou toutes les séquences. Mais quels qu’aient été les éléments gravement négatifs qu’on peut imputer à tel segment il est essentiel de maintenir la thèse de sa lisibilité politique intégrale au présent, ce qui encore une fois n’est pas une valorisation. Alors moi je serais tenté de dire finalement, le communisme est un bloc. Je le dirai au sens simplement de la lisibilité de la maintenance de la lisibilité organique de cette expérience politique, à distance de toute idée de sa répétition ou de sa valorisation, mais contre la thèse qu’il s’agit d’une pathologie opaque. Je le dis parce que cela fait partie de la contradiction autour du thème de l’orientation. Un des mécanismes d’imposition de la désorientation est précisément la thèse de la pathologie et de l’illisibilité, contre laquelle il ne s’agit pas de réclamer la répétition des jugements du passé, mais de réclamer la thèse de la lisibilité séquentielle de ce qui s’est passé là.

 

2nd point, qui cadre cette question du temps désorienté, c’est de se demander quel est le contexte ou l’élément générique d’une orientation véritable dans les temps contemporains. Moi je soutiens que ce qui constitue encore aujourd’hui cet élément véritable d’une orientation, c’est la grand et fondamentale nouveauté de la RF ou du 19ème siècle, à savoir ce que je propose de nommer l’hypothèse communiste. Hypothèse qui a été scellée en 1848 par Marx dans le Manifeste du PC. Pourquoi ça a été un texte canonique fondamental et ça le demeure clandestinement ? ça a été un texte fondamental car il a proposé cette hypothèse comme l’hypothèse générique de l’historicité contemporaine. « un spectre hante l’Europe, le communisme », phrase commentée de manières assez forte par Derrida, ça veut dire l’historicité contemporaine (là il s’agissait de l’Europe, mais on a vu que c’était planétaire) l’historicité contemporaine est sous l’hypothèse communiste. Il s’agit de savoir si on maintient cela ou pas. ça décide en réalité assez fondamentalement des questions d’orientation. Ça veut dire quoi l’hypothèse communiste ? il faut être clair, la désorientation rend illisible cette hypothèse, en en éliminant par exemple le contenu effectif. On peut le ramener à 3 principes, axiomes, ou assertions :

- l’idée égalitaire : au fond, l’hypothèse communiste n’est pas seulement l’assertion de l’égalité comme norme mais c’est l’idée que le principe égalitaire est praticable. L’égalité peut être maxime d’action et pas seulement principe abstrait et inaccessible. Il fonctionne cintre l’idée réactive et dominante d’une nature humaine vouée à l’inégalité. Ce qu’on a appelé un temps l’idéologie bourgeoise et qu’on peut appeler comme on veut aujourd’hui, c’est essentiellement cela : c’est l’idée que la nature de la pratique humaine est vouée à l’inégalité. C’est très dommageable mais c’est essentiel en même temps. Donc la maxime égalitaire, dit le communisme, est praticable. On ne dit pas à quelle échéance ni même qu’elle est réalisable absolument. Ce sont des objections pour réduire le communisme à l’hypothèse d’une utopie maladive. On dit qu’elle est praticable, ie qu’elle peut être un principe de l’action collective. La maxime égalitaire peut être la maxime de l’action collective.

- l’existence d’un Etat coercitif séparé n’est pas nécessaire. C’est la formule appelée un temps la formule du dépérissement de l’Etat. Elle peut être généralisée là aussi : l’existence de l’Etat comme figure séparée et coercitive est indubitable mais elle n’est pas intrinsèquement nécessaire. Il n’est pas vrai que l’organisation collective requiert absolument et nécessairement un appareil coercitif séparé. C’est le 2nd élément de l’hypothèse communiste. C’est un principe qui signifie essentiellement que l’action politique n’est pas normée par la question du pouvoir d’Etat. L’action politique est polymorphe, elle rencontre la question du pouvoir d’Etat, mais elle n’est pas normée par elle. Car l’existence d’un tel Etat n’est pas une nécessité intrinsèque de l’organisation collective : il y a eu des sociétés sans Etat, et il peut y avoir de nouveau des sociétés sans Etat. C’est une question d’historicité singulière et de détermination politique.

- l’organisation de la spécialisation des tâches n’est pas non plus nécessaire : la polymorphie créatrice peut être la règle. C’est une grande idée de Marx, le travailleur polymorphe. Le fait qu’il y ait une division organique du travail et que tout le monde soit assignée à une position sociale définie et que ces positions soient fixes et invariables, et bien Marx annonce que ce n’est pas une nécessité intrinsèque de l’organisation collective.

On appellera hypothèse communiste le total de ces 3 principes :

- l’axiome égalitaire est praticable

- l’existence d’un appareil coercitif séparé n’est pas une nécessité organique du collectif

- et la division du travail non plus car la polymorphie créatrice peut être la règle de l’organisation générale

Ce ne sont pas des descriptions d’Etat ce n’est pas un programme, mais ce sont des principes, des orientations, des maximes d’orientation.

 

Mon 2nd point consiste à dire que la formulation de ces maximes a été la grande innovation historico-intellectuelle du 19ème contre les sociétés d’ordre, de classe, etc… et il n’y a aucune raison légitime de revenir dessus. Telle est ma conviction. Car les arguments de réalité ne sont pas des arguments pertinents contre les principes. On dira : « oui mais dans la situation actuelle l’existence d’un Etat séparé est nécessaire ». Mais personne n’a jamais dit le contraire ! La question, le pb est de savoir si l’existence de l’Etat séparé est la norme de l’action politique. C’est une autre question. Donc nous assumerons que en définitive toute orientation politico-historique se fait dans l’élément de cette hypothèse, des 3 principes. Ça ne veut pas dire qu’elle s’y réduit, mais que son horizon historique général est dans la configuration de ces 3 principes, à savoir l’axiome égalitaire, la non nécessité d’un Etat séparé, la polymorphie créatrice comme fonction de l’organisation de la production collective.

 

3ème point : j’ai proposé une histoire périodisée de cette hypothèse, sa configuration historique.

Il y a une préhistoire qui gravite autour de la RF et des premiers révolutionnaires égalitaristes, en particulier Babeuf et ses amis. C’est la préhistoire de l’hypothèse, après quoi on découperait les séquences ainsi :

1848-1871 : c’est la 1ère installation de l’hypothèse. Ie depuis le Manifeste du PC jusqu’à l’écrasement de la Commune de Paris. Entre 48 et 71 on a l’installation de l’hypothèse comme horizon principiel de l’action émancipatrice. Cette installation se fait dans quel contexte ? d’une part la naissance des Etats nationaux bourgeois modernes et d’autre part la figure internationale des insurrections ouvrières. Dès le début on a qch comme un figure nationale de l’étatique séparé, et qch comme une figure internationale de l’insurrection, qui va se maintenir tout du long. Parmi les principaux dirigeants de la Commune de Paris il y avait des polonais il faut le rappeler, c’était pas simplement la figure abstraite de l’organisation internationale, c’était réellement que à la figure nationale de l’organisation du pouvoir dans sa forme bourgeoise moderne s’opposait une figure de l’insurrection ouvrière qui était internationale dans sa figure même.

1871-1917 : nous avons une séquence où domine la réaction impériale, une séquence de domination avec en même temps un travail intellectuel, théorique, politique, d’organisation, tendant à résoudre le problème de la séquence précédente. C’est le rythme que je vous propose pour penser le temps présent, naturellement. Nous avons des séquences qui sont des séquences affirmatives ou constructives ou historiquement orientées, et puis il y a des séquences intervallaires qui sont des séquences ou dominent les forces réactives et ou c’est la figure de l’intellectualité problématique qui domine, ie la recherche des pb non résolus de la séquence affirmative. Ici, la question est de savoir qu’est ce que c’est qu’une insurrection ouvrière victorieuse. Dans la séquence précédente il y a eu des insurrections internationales ouvrières qui se sont opposées au pouvoir mais elles ont été constamment écrasées. Donc le problème chemine. Certains disent ça ne peut pas exister, on va se rallier au processus électoral et parlementaire et on va faire un parti ouvrier installé dans l’Etat bourgeois et dans sa règle naturelle. D’autres disent : non c’est qu’on n’a pas résolu le pb de la centralisation de l’insurrection, ou d’une organisation effective de l’insurrection, ce qui était un vaste débat, et ce débat caractérise les périodes intervallaires. Dans ces périodes on se demande pourquoi la période précédente a du être close, ie sur quoi elle a buté qui a rendu possible le triomphe des forces réactives.

1917-1976 : entre la révolution bolchevique et fin de la révolution chinoise, séquence d’effectuation de l’hypothèse sur la base de la solution du pb de la séquence précédente. L’insurrection victorieuse est possible, elle a été réalisée en Russie, et d’autres formes de prise de pouvoir sont également possibles, par exemple la guerre révolutionnaire en Chine. Donc la insurrection ou la guerre révolutionnaire (plutôt paysanne) sont des méthodes effectives de réalisation ou d’incarnation de l’hypothèse au niveau du pouvoir d’Etat. Donc on a entre 1917 et 1976 une effectuation matérielle de l’hypothèse, mais ça se fait sur la base de solution concernant les pb de la période précédentes.

1976-aujourd’hui, et pour un temps dont je ne peux pas vous dire la clôture : nous avons ce que j’appelle une 2nde restauration, ie une 2ème séquence à l’intérieur de laquelle les forces réactives l’emportent à l’échelle globale (ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des expérimentations locales intéressantes, mais il y a une domination consensuelle de la figure) et il y a, peut-être pour la 1ère fois, une tentative radicale de déclarer le caractère intenable de l’hypothèse elle-même. J’y avais insisté la dernière fois et j’y réinsiste. Ce n’est pas la même chose de déclarer qu’une hypothèse est fausse ou impraticable et de déclarer qu’en tant qu’hypothèse elle est déjà pathologique et obsolète. Donc nous sommes dans une séquence om les forces réactives tentent de déraciner l’hypothèse et pas seulement de la combattre. Elle est largement déracinée, il y a un doute très fort et très répandu sur la validité même de l’hypothèse communiste comme telle, il y a une pragmatique capitaliste installée. Le temps actuel du point de vue de l’hypothèse je le caractérise comme les travaux préliminaires pour la réinstallation de l’hypothèse, étant entendu qu’elle est déracinée en partie naturellement car les pb de la séquence précédente n’ont pas été résolus. Il s’agit de la réinstaller contre son déracinement réactif, en s’appuyant sur des travaux intellectuels de grande envergure et des expérimentations locales de type nouveaux ou des pratiques de type nouveaux dans les procédures de vérité (en général même si les points de contact sont politique). Je voudrais conclure en disant que notre temps désorienté nous propose une désorientation originale par rapport à 1871-1917. Les désorientations ne se ressemblent pas. Le caractère nouveau de la désorientation contemporaine c’est qu’elle n’est pas ce qui propose une orientation différente à l’orientation émancipatrice. On tente de déraciner l’existence même de l’orientation, ie d’installer la désorientation comme loi du réel lui-même, et en vérité de…  On tente de disqualifier non seulement l’hypothèse communiste, déjà extrêmement malade, mais toute orientation et de dire que la désorientation est l’orientation véritable. Ie c’est la seule compatible avec quoi ? La propagande nous dit qu’elle est compatible avec la liberté. La liberté dans son essence est désorientée, ou désorientation. C’est pourquoi nous sommes amenés à une grande suspicion envers la catégorie de liberté. Non pas qu’on puisse s’en passer, c’est les préliminaires d’une réinstallation d’une notion nouvelle de la liberté. Mais son maniement actuel dans sa forme mat démo est lié à la promotion de la désorientation, c’est absolument clair, c’est la liberté de l’animal individuel dans la figure qui le cheville à ses intérêts réactifs. C’est cette figure qui est choyée, et petit à petit, on insinue, puis on déclare puis on installe que toute orientation est ennemie de cette figure de liberté là. Ce qui est vrai, parce que la figure de l’orientation est une figure de la liberté comme discipline naturellement, sous une firme ou une autre. Ceux qui n’ont rien ne peuvent être dans le processus d’émancipation que sous la forme d’une discipline minimale et donc il est vrai que si la liberté est celle de l’animal intéressé, de l’animal humain intéressé, alors elle n’est compatible qu’avec la désorientation. Donc la réinstallation de l’hypothèse, si c’est le sens de la séquence, réinstaller la figure de l’émancipation c’est combattre la désorientation, et combattre la désorientation au présent c’est manifester quand même une suspicion éclairée sur le maniement contemporain de la catégorie de liberté. Donc en tout cas puisque mon 4ème point est l’existence d’une morale provisoire, cette morale n’est pas comme telle une morale de la liberté.

 

4ème point : une morale provisoire pour temps désorientés. ça veut dire quoi ? Ça veut dire tenir minimalement une figure subjective consistante, alors même que l’hypothèse générique est très affaiblie. C’est notre pb. On ne peut pas se soutenir de l’hypothèse générale du communisme comme garantie en quelque sorte de la consistance subjective car elle est bcp trop affaiblie pour cela. Et donc on est livré à la désorientation dans une figure qui suppose des actions locales et une morale provisoire qui permet de tenir une consistance minimale sans l’appui de l’hypothèse générale sous sa forme installée. Alors ça ce sont des temps très intéressants, il y a un peu une circularité, nous l’éprouvons tous en réalité dans notre expérience, ie il faut sortir de la situation qui est extrêmement pénible mais il faudrait des moyens extérieurs à la situation pour en sortir. Comment faire ? Pour réinstaller l’hypothèse, on ne peut pas compter sur le fait qu’elle est installée, et il ne faut pas faire comme si elle l’était, comme si on était dans la séquence précédente. L’hypothèse n’est pas installée sous la forme novatrice qu’elle doit revêtir inéluctablement. Donc morale provisoire, c’est d’ailleurs très proche du sens que Descartes lui donnait, ça veut dire tenir une consistance subjective dans des conditions qui ne sont pas celles de l’existence acquise de ce qu’on peut appeler une orientation générale. Comment tenir une consistance subjective quand l’hypothèse n’est pas réinstallée. Je rappelle, en choisissant dans ce que j’ai dit : d’abord il faut tenir un point, et tenir un point c’est toujours finalement déclarer une existence là où le monde tel qu’il est déclare que ça n’existe pas, que ça inexiste, et être fidèle aux conséquences de cette déclaration. Oui mais qu’est-ce qui inexiste ? Il y a une définition assez générale que je vous propose : ce qui inexiste dans le monde tel qu’il est est toujours la marque immanente dans notre monde local de ceci qu’il y a un seul monde. La maxime suprême de la morale provisoire est il y a un seul monde. Nous sommes contemporains et avons de l’amitié pour tous ceux de ce monde là. Nous sommes de ce monde là. Mais ce qui est déclaré ne pas exister est une marque de ce fait qu’il y a un seul monde. D’où le caractère crucial de la question des étrangers. Pourquoi cette question des étrangers est-elle cruciale ? Cette question est cruciale car la grande majorité des étrangers est simplement le marquage dans notre situation de ceci qu’il y a un seul monde, et qu’il est déclaré par la situation dominante que ce n’est pas vrai, qu’il y a plusieurs mondes, un bon et un mauvais. Or la marque immanente qu’il y a un seul monde c’est simplement le fait que ces gens sont ici, avec nous, parmi nous, et ils marquent intérieurement la situation locale qu’en réalité il y a un seul monde, mais au prix qu’on les déclare ne pas exister.

De ce point de vue, je voudrais faire un commentaire : c’est très important, la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. C’est le ministère de la séparation en réalité. C’est le ministère de la séparation. La création de ce ministère indique en réalité exactement ce dont on est en train de parler. Les gens qui sont supposés ne pas être de notre monde vont si je puis dire disposer d’un ministère à eux. Et donc à l’intérieur même de l’Etat on va constituer une section étatique singulière destinée à traiter le cas des gens qui sont à l’intérieur de notre situation le marquage du faut qu’il y a un seul monde alors qu’i lest soutenu qu’il y en a au moins 2, celui des riches et celui des pauvres. Et donc on va s’occuper d’eux par l’intermédiaire d’un Etat dans l’Etat. Car si vous regardez bien ce ministère cumule des compétences qui auparavant étaient dispersées dans 5 ministères différents. Donc c’est une concentration des pouvoirs considérables à l’intérieur d’un ministère singulier. En outre il va pratiquement disposer d’une police propre, car il va diriger la police des frontières, la police des aéroports. Donc il est pratiquement assuré que ce ministère va devenir spécialisé, en résonance en réalité avec le ministère des affaires juives qui a existé sous Pétain (là ce sera le ministère des affaires africaines). C’est matériellement comme ça, ce n’est pas une rêverie idéologique, c’était la constitution d’un appareillage administratif centralisé, réunissant des compétences autrefois séparées qui va en faire un ministère de la séparation, des 2 mondes, qui traite dans notre monde des gens comme n’étant pas de notre monde. Et donc vous voyez bien que la maxime il y a un seul monde va donner lieu à des points à tenir qui ont  finalement être la déclaration que existent des gens qui sont de notre monde et qui néanmoins sont traités comme n’existant pas dans notre monde, et la meilleure preuve c’est qu’ils ont un ministère spécial pour eux. C’était le 1er point : déclarer cette existence, en tenir les csq au point de ce qui inexiste.

Le 2nd, traitement du 1er, c’est élever l’impuissance à l’impossible (formule de L) : là où on a le sentiment de l’impuissance, affirmer ou tenir le point réel comme point impossible ou déclaré impossible par le monde dominant, et le traiter fidèlement comme possibilité Elever l’impuissance globale à l’impossible local. Ie tenir le point d’impossibilité locale tel que les csq en soient praticables lors même qu’on est dans la subjectivité de l’impuissance globale.

 

5ème point : affirmer que la vertu primordiale dans ce genre de séquence est le courage. C’est un traité des vertus. Ce n’est pas toujours le cas, les vertus dominantes changent. Ce n’est pas toujours vrai que la vertu principale soit le courage, ça peut à un moment donné être l’abnégation, la patience. Quand vous êtes dans la figure de ce que Mao appelait la guerre prolongée la patience stratégique est la vertu principale, ie savoir que ça va être long, prolongé et qu’il faut organiser la temporalité en csq. Là ça peut être long aussi ! Mais d’une autre manière. J’ai proposé une définition du courage : je proposais de dire que le courage, c’est l’endurance de l’impossible. Ie la capacité à tenir le point en tant que point d’exception, qui n’a pas à rendre raison de sa possibilité du point de vue de l’ensemble justement. C’est une méthodologie très importante : il faut un point de vue d’ensemble puisqu’il faut l’assertion qu’il y a un seul monde. Mais le courage est une vertu locale, c’est toujours la vertu de l’endurance du point comme tel, du traitement du point, point d’impossibilité, tel qu’on le tient et au fond on ne peut pas tenir un point déclaré déclaré impossible si vous l’immergez aussitôt dans la totalité (à ce moment là vous allez le faire retomber dans l’impuissance). La morale provisoire est toujours une morale du lieu, de la particularité locale, sur horizon d’un principe. Donc ce qui a en charge l’ensemble c’est le principe (il y a un seul monde, ou l’hypothèse communiste sous sa forme abstraite pus généralement), ça prend en charge la totalité, mais le lieu du courage n’est pris en charge inauguralement que comme point d’impossibilité locale, traité selon ses conséquences. C’est pourquoi le titre de Stefen Crane, la conquête du courage, nous est une maxime. Ce que nous avons à conquérir c’est cela, conquérir le courage au sens ou je le dis. Car les temps ne sont pas à la déploration, bien qu’ils soient déplorables. Car la déploration est la figure subjective de l’impuissance (c’est épouvantable… d’accord). La déploration n’élève pas l’impuissance à l’impossible, la déploration c’est l’installation subjective dans l’impuissance comme telle. Conquérir le courage c’est précisément ça l’élévation de l’impuissance à l’impossible, ie accepter de saisir et d’être saisi en même temps par un point local déclaré impossible et qu’on va traiter comme ce qu’il faut tenir à tout prix. Il y en a bcp de possibles, dans des ordre tout à fait différents. C’est la maxime vertueuse contemporaine. Là il faut aussi bien se dire qu’être attaqué par l’ennemi est une bonne chose et pas une mauvaise. Ce n’est pas si facile que ça mais ça va de pair avec la conquête du courage.

Je voudrais pour finir ponctuer quelques passages de Crane en relisant le texte une dernière fois, c’est l’extrême fin du roman.

 

Nous sommes dans un moment où le héros du livre, jeune homme anonyme, a été dans la mêlée du combat, de la guerre et de l’atrocité de la guerre, et om il est dans une subjectivité impuissante, défaillante. Crane tente de cerner le moment où il va conquérir le courage.

« peu à peu… repousser au loin la hantise de sa défaillance » :

L’ennemi n’est pas tant la défaillance que sa hantise. Qu’est-ce que la hantise ? C’est l’anticipation de l’impuissance, c’est la maladie mortelle de tout combat, quand avant même de saisir le point que vous devez saisir, vous avez 1000 raisons de vous convaincre que vous êtes impuissants. Il y a toujours 1000 raisons puisque la situation est une situation précisément d’impuissance.

« ses yeux lui semblèrent s’ouvrir différemment sur ses visions ». C’est essentiel, nous l’avions déjà commenté. La saisie d’un point est toujours une modification du regard, c’est une autre manière de voir ce qu’on voir. On le voyait dans le contexte de l’impuissance et on va le voir dans le contexte de l’impossible, comme point réel. On va regarder autrement. Pas autre chose, mais autrement la même chose.

« il se découvrit le pouvoir de contempler d’un regard de juge la camelote criarde des idées de naguère, et sa joie fut grande de savoir qu’il les méprisait ». La conquête c’est largement la conquête du mépris des idées qu’on avait la veille, et en particulier les idées qui ne sont rien d’autre que l’intériorisation des idées dominantes, la camelote criarde des idées de naguère est la camelote de celui qui espérait la victoire du PS.

« Cette conviction, le mot est essentiel s’accompagna d’un assurance, d’un aplomb calme sans fausse assertion de soi mais nourri d’un sang généreux et vivifiant ». Aplomb : face à la situation, du point de vue de la tenue d’un point, une espèce de verticalité nouvelle. Calme : l’hystérie déplorative est éliminée. Pas de fausse assertion : pas de mégalomanie ou de la conviction qu’on est devenue formidable. Sang généreux et vivifiant : une vitalité nouvelle, qui est une vitalité d’un autre ordre.

« il sut qu’il ne tremblerait plus » : quand il sera confronté au pb de l’orientation, il ne sera pris du tremblement de la désorientation.

«il avait touché du doigt la grande mort, il était un homme, il avait conquis le courage ».

« au sortir de la région de sang et de colère » : figure de désorientation et de défaillance dans laquelle la guerre a plongé le héros anonyme

« son âme changea » : la tenue du point, la possibilité de l’orientation, le mépris des idées de naguère, c’est une modification subjective. La conquête du courage se fait dans la modalité de la conversion, conversion dont nous aurons à parlée l’année prochain (après tout la conversion est le grand motif platonicien concernant les effets subjectifs de la philo).

« il s’en retournait hors des labours fumants encore, pour pénétrer dans un tranquille champs de trèfle, et les labours fumants n’existaient plus ». Quand vous traitez un point d’impossible, quelque chose qui existait antérieurement cesse d’exister. Qch qui était la loi du monde est oblitéré.

« les cicatrices se fanent comme les fleurs » : et nous en resterons là, ça veut dire que ce qui vous marquait au fer du vieux monde peut disparaître, il ne faut jamais croire que le marquage par le vieux monde est irréversible. Il ne faut jamais croire que qch est installé de telle façon que nous n’y puissions rien. Bien sûr nous sommes marqués, notre corps est la cicatrice de l’histoire mais cette cicatrice peut se fermer, elle peut se faner. Et nous pouvons par csqt être installés dans la conviction que localement au moins, dans l’élément d’une morale provisoire, nous sommes en train de réinstaller l’hypothèse de l’émancipation. C’est à quoi nous travaillons ici.

 

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