La Volonté

Cours d’agrégation d’Alain Badiou (2002-2003)

 

(notes de François Nicolas)

 

I. 10 octobre 2002                                                                                                                        1

Corneille                                                                                                                                    2

Descartes                                                                                                                                   3

L’être et le néant (extraits)                                                                                                         3

II. 17 octobre 2002                                                                                                                      4

Récapitulation                                                                                                                           4

1. Une construction de la pensée classique............................................................................. 4

2. Dualisme métaphysique..................................................................................................... 4

3. Nécessité comme loi fondamentale de l’univers................................................................. 5

4. Scission du Moi................................................................................................................. 5

5. Le plus propre du sujet...................................................................................................... 5

6. Volonté pose la question de l’unité du sujet....................................................................... 6

Sartre : L’être et le néant                                                                                                           6

III. 12 décembre 2002                                                                                                                  6

Sartre                                                                                                                                         7

Les arguments de Sartre........................................................................................................ 8

IV. 13 mars 2003                                                                                                                         9

Usage classique de la catégorie :                                                                                               9

1) Repérage........................................................................................................................... 9

2) Problématique pratique..................................................................................................... 9

3) Statut métaphysique.......................................................................................................... 9

Critique de la conception classique                                                                                          10

1. Critique de la volonté comme catégorie psychologique (Sartre)...................................... 10

2. Critique de la volonté comme catégorie morale (Nietzsche)............................................. 10

3. Critique de la métaphysique du dualisme......................................................................... 11

Programme possible d’une volonté impure en 4 propriétés                                                      12

Première propriété............................................................................................................... 12

Deuxième propriété............................................................................................................. 12

Troisième propriété............................................................................................................. 12

Quatrième propriété............................................................................................................ 12

Question : volonté & politique                                                                                                 12

Bilan (septembre 2003)                                                                                                              13

 

I. 10 octobre 2002

Rapports entre volonté et liberté ?

Trois leçons :

1) Constitution classique du problème : cf. la première moitié du 17° siècle (Descartes…)

2) L’analytique de la volonté dans L’Être et le néant de Sartre

3) La question de la volonté chez Kant. [1]

 

Commençons par le 17° siècle car c’est au 17° siècle que culmine un emploi absolu du mot volonté.

Cf. une thèse relative au nouage entre volonté et infini : cf. l’infinité formelle du vouloir. Cf. homothétie avec la construction de la monarchie absolue. Ainsi Corneille est un accompagnement de Descartes.

Cela touche à la question de la décision ; connexion donc entre volonté et décision : cf. qu’est-ce que décider ?

Ainsi dans la monarchie absolue, la forme de l’État et du pouvoir est dans la figure d’une volonté. Voir la décision en tant que sa forme est un vouloir : cf. la constitution au 17° siècle d’un lien entre une théorie, une psychologie des facultés et des passions et une métaphysique de la liberté dont la décision est représentable dans la forme d’un vouloir. Ce lien va se poursuivre jusqu’à Sartre inclus. Soit le paradoxe du concept de liberté : c’est une médiation entre ces deux domaines hétérogènes : psychologie et métaphysique. C’est au 17° siècle qu’est monté ce dispositif.

On trouve une résonance de cela dans la théorie de la Fronde chez le Cardinal de Retz mais surtout chez Corneille.

Corneille

Cf. actes 4 et 5 de Cinna : exhibition de la nouvelle figure du vouloir quand Auguste apprend le complot de ses amis. Cf. IV.2 : nécessité de la répression (« Il faut unir… »). Cf. nécessité du crime d’État qui est de l’ordre de la règle, du devoir. D’où ordre-nature-devoir, où le devoir est assigné à la nécessité des règles naturelles. La volonté est construite sur le fond d’une théorie de la nécessité. D’où la volonté comme ce qui est capable d’interrompre la vengeance.

Est-il possible d’interrompre la vengeance ? C’est la question fondamentale au théâtre : voir Orestie d’Eschyle. Réponse d’Eschyle : ce qui interrompt, c’est la loi, l’institution d’un tribunal.

Pour Shakespeare : on ne peut pas interrompre. Cf. son pessimisme tragique.

Pour Corneille : par la volonté. Cf. V.3 : volonté comme capacité de s’élever au-dessus de la nécessité naturelle du crime d’État. La volonté est construite comme qui est susceptible d’une certaine transcendance au regard de l’ordre naturel. Voir le thème des rapports entre volonté et solitude : la trahison crée la solitude.

« Je suis maître de moi comme de l’univers ; / Je le suis ; je veux l’être. » [2] : cf. mise en place du triplet volonté / moi / univers. Ainsi la volonté peut faire s’équivaloir le moi et l’univers. Vouloir connecte à un dualisme d’être : Moi / univers. La volonté ne suit pas l’instruction de l’univers ; c’est exemplairement ce qui n’est pas cosmique. La volonté, c’est quelque chose de disjonctif (du Moi par rapport à l’univers). L’idée d’autonomie (qui est kantienne) chemine ici.

Le vouloir n’est pas transitif à l’être : « je le suis ; je veux l’être ». Le « je veux l’être » corrige le « je le suis » : je le suis pour autant que je veux l’être, je le suis parce que je veux l’être.

Qu’est-ce que vouloir être ? Cf. capacité constituante de la volonté, caractère constituant du vouloir. La volonté est transcendante aux passions : « Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux » [3]. La passion ici, c’est la subjectivation de la nécessité. Moi / univers : dans le Moi, il y a :

• le marquage de l’univers (comme subjectivation des lois de l’univers),

• la volonté pure, indépendante de la subjectivation des nécessités.

D’où une scène interne au Moi : le moi y est divisé. La volonté est ce qui reste du Moi quand on a retiré ce qui subjective l’univers.

Problème : si la volonté est ce qui du Moi est irréductible aux lois de l’univers, alors quel en est le contenu, quel en est l’efficace ?

D’où un dilemme : soit la volonté est pure donc inefficace, soit elle est inefficace, et alors elle n’est pas ce reste.

Notre concept de volonté est donc formel. Quel en est donc le réel ?

Pour Corneille, l’efficace de la volonté est interne au Moi : le Moi peut s’affirmer contre son inscription dans l’univers. Formellement la volonté est ce qui du Moi est intransitif à l’univers, ce qui n’exprime pas l’univers. Et comme toute définition formelle, elle est négative. Quant à son efficace réel, la volonté s’exerce sur le Moi : elle peut dominer ce qui du Moi exprime l’univers. Soit la volonté comme victoire sur soi-même.

Pour Spinoza par contre, le moi est entièrement expressif de l’univers, et il n’existe donc pas de volonté.

L’hypothèse dualiste entraîne alors la scission d’un des deux termes.

La question de la volonté est celle de la domination des passions, celle de l’action sur les passions. Ainsi le grand éducateur éthique d’Auguste, c’est la trahison. Chez Corneille, il y a donc des circonstances de la volonté : l’affirmation de soi dans la plus extrême solitude. Il y a ainsi une soudaineté du vouloir (ce n’est donc pas une donnée structurelle) : voir le moment théâtral… Ainsi il ne faut souhaiter le vouloir à personne !

La volonté agit alors comme s’il ne s’était rien passé, en l’occurrence comme s’il n’y avait pas eu trahison. Il y a donc des circonstances de l’action qui mobilisent le vouloir, mais le vouloir ne doit pas en tenir compte ! C’est le paradoxe de la volonté pure où l’acte de la volonté n’est que dans on auto-affirmation. On retrouve ce paradoxe de la clémence cornélienne dans l’impératif catégorique kantien.

Descartes

Article 41 des Passions de l’âme : « La volonté est tellement libre de sa nature, qu’elle ne peut jamais être contrainte » [4]. Ceci fonctionne en fait comme une définition implicite de la volonté : la volonté, c’est ce qui est extérieur au régime de la contrainte.

La liberté est-elle alors une propriété de la volonté ? « Liberté » veut simplement nommer l’hétérogénéité à l’univers de la contrainte.

Voir des paragraphes de la première partie des Principes de la philosophie : les paragraphes 34 à 43, surtout les numéros 34, 35, 37 et 39.

• § 34 : la volonté est une pièce essentielle du jugement dans la modalité du consentement. La volonté est interne au connaître et pas seulement à l’agir. Soit la question du consentement au savoir. La volonté est une puissance d’affirmation ou de négation ; la volonté est ce qui dit « oui » ou « non ».

• § 35 : « la volonté en quelque sens peut sembler infinie » (ce qui est une conséquence de ce qu’elle est puissance de dire « oui » ou « non »). Ainsi la volonté est dans l’âme une figure de l’excès, car pour Descartes, l’âme est finie (d’où sa preuve de l’existence de Dieu) : la volonté comme infinité formelle et pas réelle (virtuelle et pas actuelle). Cf. la volonté est peut-être toujours en excès sur le sujet !

• § 37 : la volonté est la principale perfection de l’homme sous le nom de libre arbitre. D’où que la volonté est une valeur. Alors que la connaissance est restreinte, la volonté, elle, est étendue.

« Agir librement, c’est agir par le moyen de la volonté. » L’action libre nous est imputable, elle est « notre » action. Ainsi l’identité de l’âme est dans la volonté. L’essence subjective du sujet, c’est la volonté.

Cf. la générosité (Traité des passions, article 153) comme liée à la volonté : la générosité est une figure de l’estime de soi, la figure légitime de l’estime de soi. Cf. la conception cornélienne de la gloire : la reconnaissance que ce qu’il y a de mieux en nous, c’est la volonté. D’où une générosité de l’identité entre soi-même et la volonté. Le caractère normatif de la volonté est lié à son caractère identifiant.

• § 39 : la volonté, c’est une évidence d’expérience. Cela n’a pas à être prouvé, démontré, construit. La volonté, c’est un fait, c’est une de nos plus communes notions. Ainsi on peut consentir ou ne pas consentir. La volonté est une dimension transparente du sujet.

L’essence de la volonté, c’est la transparence, l’excès, l’affirmation et la négation. La volonté, c’est cette partie de l’âme qui côtoie les passions en leur étant étrangère.

D’où la question de l’unité du sujet, de l’unité de l’âme. La volonté n’est-elle pas dislocation du concept même d’âme ? La volonté est-elle compatible avec la substantialité du sujet ?

C’est ce que va nier Sartre.

L’être et le néant (extraits)

Nous devons nous demander comment un motif (ou un mobile) peut être constitué comme tel. (512)

Le mobile ne se comprend que par la fin, c’est-à-dire par du non-existant ; le mobile est donc en lui-même une négatité. (512)

Il est impossible de trouver un acte sans mobile mais il n’en faut pas conclure que le mobile est la cause de l’acte. Car c’est en un seul surgissement que se constituent le mobile, l’acte et la fin. (513)

La liberté n’a pas d’essence. Cf. en elle l’existence précède l’essence. (513)

Le sens profond du déterminisme, c’est d’établir en nous une continuité sans faille d’existence en soi. (515)

Motif, acte, fin constituent un « continuum », un plein. Ces tentatives avortées pour étouffer la liberté sous le poids de l’être (516)

Tirer au clair les rapports de la liberté avec qu’on nomme la « volonté ». (516-517)

Loin que la volonté soit la manifestation privilégiée de la liberté, elle suppose, au contraire, le fondement d’une liberté originelle. (519)

La liberté étant assimilable à mon existence ne saurait se limiter aux actes volontaires. (520)

La liberté n’est rien autre que l’existence de notre volonté ou de nos passions. (520)

Il ne suffit pas de vouloir : il faut vouloir vouloir. (521)

La volonté n’apparaît-elle pas comme la décision qui succède à une délibération au sujet des mobiles et des motifs ? (522)

Nous appellerons motif la saisie objective d’une situation déterminée en tant que cette situation se révèle, à la lumière d’une certaine fin, comme pouvant servir de moyen pour atteindre cette fin. Le mobile, au contraire, est un fait subjectif. (522) Reste à expliquer la relation des motifs aux mobiles. (523) le motif est objectif. (524)

Loin que le motif détermine l’action, il n’apparaît que dans et par le projet d’une action. (524)

La conscience qui découpe le motif dans l’ensemble du monde a déjà sa structure propre, elle s’est donné ses fins, elle s’est projetée vers ses possibles et elle a sa manière propre de se suspendre à ses possibilités. (525)

La délibération volontaire est toujours truquée. […] Motifs et mobiles n’ont que le poids que mon projet leur confère. Quand je délibère, les jeux sont faits. Et si je dois en venir à délibérer, c’est simplement parce qu’il entre dans mon projet originel de me rendre compte des mobiles par la délibération plutôt que par telle ou telle autre forme de découverte. Il y a donc un choix de la délibération comme procédé. […] Quand la volonté intervient, la décision est prise et elle n’a d’autre valeur que celle d’une annonciatrice. (527)

Si la volonté est par essence réflexive, son but n’est pas tant de décider quelle fin est à atteindre puisque de toutes façons les jeux sont faits, l’intention profonde de la volonté porte plutôt sur la manière d’atteindre cette fin déjà posée. (528)

Il faut se défendre de l’illusion qui ferait de la liberté originelle une position de motifs et de mobiles comme objets, puis une décision à partir de ces motifs et de ces mobiles. Bien au contraire, dès qu’il y a motif et mobile, il y a déjà position des fins et, par conséquent, choix. (539)

Contre le sens commun, la formule « être libre » ne signifie pas « obtenir ce qu’on a voulu », mais « se déterminer soi-même à vouloir (au sens large de choisir) par soi-même ». Autrement dit, le succès n’importe aucunement à la liberté. (563)

II. 17 octobre 2002

Récapitulation

Récapitulation en 6 points de la logique générale du discours sur la volonté tel que tenu de l’âge classique jusqu’à Sartre. Cf. ceci constitue un cadre structural général. « Volonté » est un mot décisif pour Descartes. Sartre fait une critique explicite de ce concept. Cette trajectoire-opposition est interne à un cadre général qui porte sur la catégorie de liberté.

1. Une construction de la pensée classique

« Volonté » est une construction de la pensée classique. Le mot, certes, existe avant : cf. il y a un débat chez les stoïciens. Mais le concept est construit à l’âge classique. Cela est contemporain d’une théorie politique : cf. la théorie classique de la souveraineté est une théorie du vouloir.

2. Dualisme métaphysique

Cette construction suppose un dualisme métaphysique dans la figure première d’une disposition séparée du Moi et de l’univers. Cf. Corneille : deux royaumes, donc deux questions de souveraineté. Voir l’apparition du royaume du Moi. Là où ce dualisme est ontologiquement réduit (cf. Spinoza), le concept de volonté est déconstruit.

3. Nécessité comme loi fondamentale de l’univers

Il faut aussi que la nécessité soit la loi fondamentale de l’univers. Le concept de volonté est coextensif à la naissance de la physique moderne, du paradigme mécaniste. Cf. le caractère constituant de la dualité liberté / nécessité.

Pourquoi ? Cette thèse de la nécessité s’oppose à des thèses finalistes : la catégorie de volonté se construit contre la vision finaliste du monde (causes finales…). Si vous avez un principe de finalité, alors vous n’avez pas besoin d’un concept indiquant la rupture avec la finalité car le vouloir peut être simplement un accompagnement dans la finalité. Le concept de volonté n’a plus alors de radicalité.

Cf. position stratégique pour Descartes de la liberté d’indifférence : celle de consentir ou de ne pas consentir.

Le paradoxe pour Descartes est que la liberté d’indifférence serait coextensive à la volonté et que cette liberté d’indifférence est le plus bas degré.

La liberté d’indifférence est non qualifiée en termes de fin, de valeur, car pour Descartes, l’univers n’est pas finaliste.

Soit la liberté comme possibilité d’interruption de la nécessité causale. À la fois dignité ontologique et indignité normative (elle ne « vaut » rien). Elle est ontologiquement constituante et éthiquement indigne. D’où une substitution de la catégorie des possibles à la catégorie des fins. D’où la liaison volonté-nécessité-possibilité.

4. Scission du Moi

Il y a une scission du Moi selon que le Moi exprime l’univers ou est en position d’autonomie par rapport à l’univers. Cf. scission du Moi entre nécessité et liberté. C’est là que le concept de volonté est constitué dans la psychologie. Il est constitué sur la scène du Moi (et non plus seulement dans la dualité Moi / univers). Il va désigner la capacité du Moi à se soustraire à la nécessité. Volonté comme concept psychologique c’est-à-dire détermination du Moi.

Il y a toujours dans ce concept quelque chose de combattant : la question du triomphe de la volonté (cf. film fasciste !). Il n’y a pas de vision pacifiée de l’acte volontaire. Cf. aussi le paradigme de la souveraineté : la volonté comme capacité à être souverain de son propre royaume. Son être actif est combattant, conflictuel.

Il faut pouvoir vouloir et ensuite le vouloir est à l’épreuve du monde. Cf. pour entreprendre, il n’est pas nécessaire d’espérer mais de vouloir. Entreprendre, c’est d’abord pouvoir vouloir et ne nécessite pas l’examen des fins. « Il n’est pas nécessaire de réussir pour persévérer » : ceci est très étranger à la position finaliste.

Être dans le coup, c’est être finaliste. Ne pas être dans le coup : c’est la maxime classique de la volonté. Cf. le concept de volonté est déconnecté de la question des résultats ; le « volontarisme », c’est une indifférence aux résultats.

Voir la différence entre les philosophies indifférentes aux résultats (« résultat » voulant désigner ce sur quoi il peut y avoir souveraineté) et les philosophies astreintes aux résultats (il y a s’agit de rendre compte de la possibilité des positivités) c’est-à-dire pragmatisme, accommodement au monde…

D’où la possibilité d’une souveraineté absolue, même si elle est sans résultats.

La volonté est très souvent un concept tragique, au sens d’une confrontation d’un sujet avec l’impossible. Ce n’est pas par hasard que la volonté rencontre du possible et non pas d’essence. Sinon, elle serait une volonté naturelle dans un espace finalisé (cf. conception pré-classique). Car pour les classiques, ce possible, c’est le nécessaire ! D’où qu’il s’agisse de vouloir l’impossible ! (cf. un « on n’a jamais vu ça ! »). Cf. le plus propre du sujet est connecté à l’impossible.

Volonté est un concept tragique jusqu’à Nietzsche.

5. Le plus propre du sujet

Cette scission aboutit à ce que « volonté » désigne ce qu’il y a de plus propre au sujet, ce qu’il y a de plus subjectif du sujet. Voir la thèse cartésienne sur « le plus propre de l’âme ». Cf. le plus propre du sujet n’est pas le connaître mais le vouloir. Certes le connaître est le propre de l’homme générique, de l’humanité ; l’accès cognitif à l’univers est le propre de l’humanité. Mais la volonté est le plus propre d’un sujet. Le connaître est le même pour tous, mais pas le vouloir ! Le sujet universel, son propre est de connaître. Le sujet singulier, son propre est de vouloir. La singularité est dans le vouloir.

L’unité synthétique du sujet dans la Critique du jugement de Kant : personne n’y comprend rien !

La psychologie est la science de la singularité subjective. Il peut y avoir un transcendantal neuronal c’est-à-dire matériel.

6. Volonté pose la question de l’unité du sujet.

Dans le montage classique, l’unité de la spontanéité et de la réceptivité est la synthèse de l’actif et du passif. « Volonté » désigne quelque chose toujours tendanciellement en excès sur cette unité. Car quelque chose du vouloir est en exception de la finitude. Dans « volonté », la métaphysique tend à déborder le psychologique. C’est difficile de faire de volonté une simple faculté (cf. une potentialité naturelle).

Sartre : L’être et le néant

Voir sur volonté et liberté p. 477… et surtout 485.

La thèse générale : « volonté » n’est pas plus le nom de la liberté que son contraire. Cf. la conscience est tout aussi libre dans la passion que dans la volonté. La volonté est une simple modalité possible de la liberté. Sartre détache « volonté » de « liberté » et donc le psychologique du métaphysique : « volonté » est trop étroit pour penser « liberté ».

Sartre est un maître en rhétorique. Cf. son style dissertationnel (en copie d’agrégation…).

4 arguments de Sartre :

1. L’impossible, si la volonté est le nom de la liberté, de l’unité psychique.

2. Montrer que la liberté est constitutive de ce qui a l’apparence de la passivité et pas seulement de la volonté. La liberté est aussi présente dans la passion

3. L’analyse de la délibération volontaire (mobiles et motifs de l’action). Ces mobiles et motifs ne sont pas déterminants de l’action. Cf. « quand je délibère, les jeux sont faits ! » : c’est la décision qui crée le motif.

4. Critique de la délibération. La délibération est une modalité et non la substance même de la volonté et de la décision.

« Volonté » est ici pris en un sens très étroit, réduit à la question de la décision délibérative : cf. volonté, d’où acte volontaire, d’où délibération. En ce sens, Sartre reste un rationaliste classique (cf. lien entre volonté et raison). Sartre se maintient sur l’horizon de la psychologie classique.

III. 12 décembre 2002

La volonté est une construction discursive du classicisme, dans la dialectique volonté / liberté autour de la notion de décision.

« Volonté » ne surgit pas d’abord comme une faculté. « Volonté » surgit comme un opérateur d’identification subjective. Cette construction repose sur une hypothèse métaphysique de type dualiste — je / univers —, sur l’arrière-plan du mécanisme (cf. les figures de nécessité pour l’univers).

« Volonté » est une catégorie de l’époque du sujet de la science, de l’époque où il y a une physique rationnelle déterministe, de la nécessité, des lois de l’univers.

C’est au regard de cet idéal mécaniste que surgit « volonté » comme désignation de l’espace de la liberté possible du lieu du libre arbitre.

Cf. nécessité de désigner un lieu de la liberté car il n’y a pas de lieu pour elle, car le lieu, c’est le règne de la nécessité. Il faut donc un lieu retranché, soustrait. Il y a un lieu soustrait aux lois du lieu : le sujet, l’âme. Ceci ouvre une histoire de la catégorie de volonté, catégorie qui n’est pas que philosophique, catégorie opérant comme question de ce qui est soustrait aux lois de la nécessité. Il s’agit ici de jalonner cette histoire.

 

Autre manière : puisque la nécessité est la loi de l’extériorité, l’exception à la nécessité va s’indiquer comme intériorité, comme figure d’intériorité. D’où progressivement une théorie de la conscience : la conscience comme débat avec elle-même de ses propres fins. Cf. l’espace intérieur d’une délibération.

La polarité intérieur / extérieur est plus profonde que celle entre pensée et étendue, ou entre âme et corps (qui sont des échos de l’ancienne métaphysique).

La conscience est le nom moderne de l’intériorité. « Volonté » est l’indicateur par excellence de l’intériorité. D’où le concept kantien d’autonomie

Cette longue histoire de la volonté commence par une valorisation du volontaire : cf. « volonté » est un concept normatif positif. Il y a une positivation, jusqu’à Kant inclus, dans le nouage volonté-liberté.

Chez Descartes, « généreux » désigne qui reconnaît en lui-même la capacité du vouloir. Or à l’autre bout, il y a une dépréciation de la volonté au XX° siècle en même temps qu’en existe un usage hyperbolique : la volonté comme figure radicale de la puissance, c’est-à-dire de la liberté pensée comme puissance (voir « Le triomphe de la volonté » de Riefenstahl). Heidegger, dans son discours du Rectorat, crédite le nazisme de la capacité à la « décision résolue ». Cf. aussi Carl Schmidt et son « décisionnisme ». Cf. Nietzsche et sa « volonté de puissance » (là c’est beaucoup plus compliqué).

Voir le fascisme : figure typique du vouloir comme constitutif du peuple politique. Derrière cela, il y a une précompréhension de la liberté comme puissance.

Il existe une interprétation heidegerienne de tout cela : l’usage hyperbolique de la volonté n’est que l’ultime figure métaphysique de la subjectivité inaugurée par Descartes (dualisme cartésien) ; l’histoire de la volonté serait l’histoire de son déchaînement, de son hyperbole. D’où une dépréciation de la volonté corrélative de son hyperbole. Cela fait de la volonté une catégorie du nihilisme, du nihilisme de la puissance : la puissance comme puissance ne veut rien d’autre que la puissance ; et alors il n’existe pas de raccordement à l’être…

Mais ce n’est pas la seule critique de la volonté. Il en existe deux autres :

1. Une critique heidegerienne de son hyperbole contemporaine, des usages fascistes de la volonté. De fait « volonté » a été une catégorie du fascisme sous la condition de la liberté comme puissance.

2. Cf. Sartre mais pas seulement : la volonté n’est pas l’indicateur de la liberté. « Volonté » n’est qu’une modalité ; d’où une modalisation de la volonté. On a ici un démontage du classicisme (cf. sa scission du moi, du sujet). La catégorie de volonté exige en effet une compréhension scindée du sujet entre la part qui relève de la nécessité et la part qui relève de la volonté. Il faut bien alors une communication entre intérieur et extérieur. « Psychologie » va désigner les manières de penser le clivage entre nécessité et liberté. Cf. l’époque de la psychologie comme celle de la scission du sujet…

La deuxième dépréciation de la volonté va soutenir que cette scission est en elle-même un montage indéfendable et va tenter de mettre fin à la psychologie. D’où le régime d’être du sujet doit être unique et pas double (selon le vouloir et les passions) car il est incohérent.

Donc l’histoire de la volonté s’achève par un double procès : politique et psychologique.

 

À supposer qu’on assume ces critiques, quelles conséquences ?

Cf. aujourd’hui réhabilitation massive de la passivité ! On est dans une époque historique post-volonté. La maxime paradoxale est : « je dois pouvoir faire ce que je veux », « mais ne me demandez pas de commencer quoi que ce soit ! ». Ce que je veux = ce que je désire ; je ne suis pas astreint à commencer quoi que ce soit. Or vouloir = commencer.

Sartre

Pour Sartre, il n’y a pas de plus de liberté dans la volonté que dans la passivité, dans les passions. Il y a tout autant de liberté dans les passions que dans la volonté. La liberté, c’est aussi la liberté de ma passivité.

Cf. la quatrième partie de L’être et le néant. « La condition première de l’action, c’est la liberté » [5]. C’est dans cette section que se situe la déconstruction de la catégorie de volonté. Ce texte, donc, achève un cycle si le montage classique construit la possibilité du repérage de la liberté par la catégorie de volonté.

Il faut défaire l’équation « acte libre = acte volontaire ».

Première conséquence : « volonté » sera pris dans le contexte du montage classique. Sartre ne déplace donc pas le concept de volonté !

Deuxième conséquence (cf. p. 485) : la discussion assume l’opposition liberté-déterminisme. Sartre opère une saturation critique car il reste dans l’espace classique.

Cf. il existe deux types de critique :

— assumer la localisation et montrer que le dispositif n’est pas capable de ce dont il se dit capable. ;

— sortir le concept du dispositif et produire une autre catégorie de volonté.

Les arguments de Sartre

L’argument fondamental : il est impossible dans ce dispositif de penser l’unité du sujet, de penser une conscience comme juxtaposition d’une détermination et d’une spontanéité. Il est impossible que « série de faits déterminés les uns par les autres » et « spontanéité se déterminant à être » coexistent. Derrière le mot « volonté », il y a toujours eu un malaise de l’unité subjective.

Cf. la catégorie de volonté est mise à l’épreuve de la psychanalyse  Chez Freud, il y a l’instance du Sur-Moi : « quand je veux, c’est que ça veut ! ». D’où un déplacement vers l’origine de la loi. Quel est l’enjeu du commandement ? C’est-à-dire comment je fais avec la loi ?

La volonté est un malaise de l’Un car il y a alors un régime de l’exception intérieure à ce que je suis. Pour Sartre, l’unité psychique doit être axiomatiquement déclarée. Il ruine la psychologie comme psychologie d’un conflit des facultés. La scène subjective, c’est le conflit des facultés. La psychologie vient du théâtre, non l’inverse. Le théâtre est le transcendantal de la psychologie. Le théâtre est sa constitution transcendantale.

Sartre déthéâtralise la psychologie car il y a reconnaissance axiomatique de l’unité de la conscience. Et cette unité, c’est la liberté !

Pour Sartre, « liberté » est ce à partir de quoi on peut élucider la scission elle-même. Il renverse la problématique : il s’agit désormais d’expliquer pourquoi il y a l’opposition volonté/passions au regard de l’unité de la liberté. Il faut expliquer le deux alors qu’il était l’expliquant. Le deux, de réponse, devient la question.

Cf. le deuxième argument de Sartre : la liberté est constituée aussi bien des passions que des actes volontaires ; Ce dont la psychologie ne rend pas compte, c’est sa propre existence, la scène elle-même, le lieu de ce conflit. « La liberté n’est rien d’autre que l’existence de notre volonté et de nos passions ». « Liberté » nomme l’existence pure du lieu, du conflit. Sinon, c’est entièrement délié.

La psychologie ne peut expliquer l’être de la psychologie. « Existence » et la même chose que « liberté » pour Sartre. « Existence » nomme une autre figure que l’être. La volonté, c’est la modalité de la liberté, non son indicateur ; c’est un de ses modes possibles.

Dans le montage classique, la volonté est ce qui atteste qu’il y a liberté et non pas un mode de la liberté. La preuve : y compris en Dieu, la volonté est libre. Cf. pour Descartes, la volonté en l’homme égale la volonté en Dieu.

Dans Sartre, la volonté est une des figures de la liberté.

• Pour les classiques, la volonté entraîne la liberté : cf. l’acte volontaire a une existence indubitable.

• Pour Sartre, la liberté entraîne la volonté. Il va donc falloir une théorie particulière de l’acte libre comme acte volontaire. Il lui faut expliquer l’acte volontaire comme illusion classique.

Intervient ici la réflexivité. Pourquoi ?

Si l’acte volontaire n’est pas plus libre que l’acte passionnel (tout acte humain est libre), alors le caractère volontaire de l’acte est une illusion si l’on admet que ce caractère volontaire ferait la liberté. Cf. la méprise car je ne me rapporte pas à la fin de l’acte de la même manière. Dans un acte volontaire, je me représente la fin, je me rapporte à la fin de manière réfléchie. Dans un acte passif, il y a par contre irréflexivité.

Parce que je me représente la fin, je m’imagine que c’est par le biais de cette réflexivité que je l’ai décidée. Là est l’illusion : cette représentation de la fin n’est possible que parce que je l’ai déjà décidée ! Cf. p. 527 : la volonté comme annonciation ; la volonté, c’est l’ange de mon acte. La volonté m’annonce cette fin que je poursuis dans mon acte. Et je prends cette annonciation pour une décision. Cf. « la manière d’atteindre la fin déjà posée » […] « non pas décider quelle fin atteindre ».

Il y a donc bien des actes volontaires qui se distinguent par leur modalité. La volonté n’est plus la cause de l’acte mais l’effet de l’acte ! D’où la question de la puissance d’illusion de la réflexivité. La volonté est une modalité réflexive de la décision et non pas le choix de la fin. Soit l’illusion de croire qu’une représentation peut avoir une puissance causale. Car la volonté est ici une représentation.

La réflexivité est l’instrument d’une lucidité supérieure pour les classiques. La réflexivité est une opérateur d’illusion pour Sartre. Cf. Bergson, Deleuze…

La réflexivité n’est pas ce qui donne clarté à la décision. La réflexivité dispose les choses comme si j’étais en train de décider alors que j’ai déjà décidé. Toute réflexivité est après-coup. Il n’y a pas, dans la liberté, de réflexivité au présent. Elle est toujours dans l’après-coup de ce qu’elle représente.

 

Mais est-il vrai que la volonté est réflexive ? Oui si on est dans la psychologie classique : un acte volontaire est alors un acte qui examine sa maxime.

En fait il s’agit chez Sartre d’une tentative désespérée, héroïque donc. Tentative désespérée car trop interne à ce qu’elle critique. Sartre est le dernier des grands psychologues. Sartre opère de l’intérieur de connexions maintenues. Mais il n’y a pas de sortie !

IV. 13 mars 2003

Existe-t-il un usage non classique de la notion de volonté ? En effet, « volonté » est exemplairement une construction du classicisme français du XVII° siècle appropriée aux mutations de la science. « Volonté » était une catégorie nécessaire pour identifier ce qu’est un sujet dans un monde post-galiléen. Un sujet ne peut plus être une figure d’intégration vivante dans un cosmos harmonieux (comme il l’était pour les Grecs) ; il y a une inhumanité du monde naturel (cf. la mécanisation entraîne la physique moderne). Parmi les nouveaux opérateurs pour construire le concept d’homme, le nouvel humanisme, la volonté intervient comme un identificateur subjectif.

Cette construction classique est loin d’être exclusivement philosophique : cf. le théâtre. Ainsi, dans la catégorie de volonté, convergeaient différentes procédures intellectuelles.

Usage classique de la catégorie :

1. Son repérage

2. Sa problématique pratique

3. Son statut métaphysique ou le destin d’être de la catégorie de volonté.

1) Repérage

La catégorie de volonté est repérable à la fois comme catégorie psychologique et comme catégorie morale. Elle intervient à la jointure des deux.

• Catégorie psychologique ? car la volonté est une faculté de l’esprit parmi d’autres. On la définit par différence d’avec d’autres facultés. Cf. pour Descartes : la volonté est essentiellement infinie là où la faculté de connaissance est finie.

• Catégorie morale ? Cf. Descartes et sa corrélation de la volonté et de la liberté. Cette dimension morale connaîtra son apogée chez Kant. « Rien n’est absolument bon qu’une volonté bonne ».

2) Problématique pratique

Cf. quel usage descriptif et concret de cette catégorie ? Tout se joue ici dans la corrélation entre volonté et liberté. Cf. article 41 des Passions de l’âme de Descartes : « La volonté est tellement libre de nature qu’elle ne peut jamais être contrainte ». Il y a donc une réciprocité entre volonté et liberté : la volonté, c’et la liberté comme faculté de l’âme, non comme détermination abstraite. La volonté, c’est une localisation de la liberté comme faculté ; la volonté, c’est l’être-là de la liberté ; la volonté, c’est l’exercice localisé, la praticabilité de la liberté.

3) Statut métaphysique

La volonté, c’est ce qui identifie un sujet car elle est ce qui sépare le Moi de la détermination extérieure, du monde. C’est l’opérateur qui sépare et donc identifie.

Il existe ici une métaphysique dualiste (ontologique) dernière : cf. Spinoza, qui refuse le dualisme, refuse cette catégorie. Pour lui, la volonté appartient à l’imaginaire ; la volonté est ainsi la preuve par l’absurde du lien !

La catégorie de volonté s’inscrit donc dans l’espace d’une ontologie dualiste. Les autres facultés n’attestent pas la séparation (par rapport à la détermination) du Moi dans le monde.

Ceci va entraîner que la volonté, c’est l’être du sujet par scission du Moi lui-même (et pas simplement par séparation du monde). Cf. la volonté est séparée des autres facultés ; la volonté, c’est la part propre du Moi, c’est le propre du Moi dans le Moi. Cf. le roman au XIX° s’interroge sur : quel est le propre du sujet ? La part irréductible du Moi est traquée par recensement des déterminations. La part propre du Moi se trouve ultimement concentrée par la décision volontaire. La volonté désigne alors ce qui du Moi n’est pas approprié au monde, la désappropriation du monde quand pour les déterministes, la volonté est une fiction.

Critique de la conception classique

Derrida me déclarait que le concept de volonté est celui dont il a le moins usage. Cf. la fonction métaphysique de ce concept ; ainsi la déconstruction de la métaphysique entraîne celle du concept de volonté.

Il existe trois grandes critiques de cette conception classique de la volonté :

1. critique de la psychologie

2. critique de la moralité

3. critique de la métaphysique

1. Critique de la volonté comme catégorie psychologique (Sartre)

Cette critique est celle de Sartre. Pour lui, le choix libre est toujours quelque chose de plus radical que ne peut l’être une faculté. Il y a dans le motif de la décision libre quelque chose qui n’est pas localisable dans une faculté, dans le psychologique. Il y a une dimension ontologique de la liberté (l’être du néant) qui se subordonne toute localisation : “quand je veux quelque chose, quand quelque chose se présente comme un vouloir, en fait je l’ai déjà décidé”. Ainsi le vouloir n’est pas le lieu mais la présentation même.

Cette critique est-elle dévastatrice ?

Sartre suppose qu’il y a une immédiateté ontologique de la volonté : la volonté, c’est l’immédiat de l’existence, et il y a le dispositif psychologique des facultés. Il admet, lui aussi, une scission entre immédiat et médiat ; d’où que la volonté est une production factice : les facultés sont toutes médiates.

Sartre contourne en fait l’hypothèse que la liberté elle-même serait une construction et non pas l’immédiat subjectif, qu’elle aurait alors des conditions de construction. Pour Sartre, la liberté est inconditionnée ou n’est pas. Pour lui, la liberté, si elle est sous conditions, n’est pas libre.

Mais on peut résister à cette thèse : l’opposition d’une détermination intégrale et d’une liberté absolue est un proto-dualisme de Sartre. Et si la liberté était constructible ? Et s’il y avait des conditions de liberté ? Ainsi en France on n’a jamais été aussi libre que sous l’Occupation, et le prisonnier à la veille de mourir est le plus libre ! Or pour Sartre, il n’existe pas de combat pour la liberté. La liberté est pour lui la condition de tout combat.

La critique de Sartre (et d’autres) est qu’il n’est pas vrai que la liberté puisse se localiser dans une opération particulière.

Sortir de cette critique, c’est donc tenir la liberté pour une construction, tenir que la liberté est médiate.

2. Critique de la volonté comme catégorie morale (Nietzsche)

C’est la critique nietzschéenne (cf. Généalogie de la morale). Là aussi il y a critique de l’étroitesse de la localisation : la volonté morale, c’est un type d’être réactif. Elle exprime un ressentiment, la volonté d’imposer la culpabilité. Ce qu’il s’agit de culpabiliser selon Nietzsche, c’est l’affirmation : la volonté, c’est une localisation d’un type d’être anti-affirmation.

Nietzsche va proposer une autre volonté. Il va scinder la volonté et poser qu’il y a la volonté pour la puissance, qu’il y a l’affirmation intégrale de la vie. Le vrai vouloir pour lui ne s’installe pas dans la mutilation de l’affirmation. La volonté pour Nietzsche est évaluante (créatrice de valeurs) et pas évaluée. La volonté morale, par contre, est une mutilation de l’affirmation.

Pour Nietzsche, « la valeur de la vie ne peut pas être évaluée » : la valeur de l’affirmation ne peut pas être évaluée car elle est l’évaluation elle-même.

La volonté morale, c’est ce qui prétend faire comparaître la vie devant le tribunal de l’évaluation. Pour Nietzsche, la volonté localiserait la vie dans l’espace des valeurs : avoir la vie est ce par quoi il y a des valeurs.

La catégorie de volonté apparaît ici comme une localisation insuffisante de l’affirmation ontologique majeure :

·       la liberté (Sartre),

·       l’affirmation de la vie comme puissance (Nietzsche).

Le présupposé de cette critique, c’est qu’il y a un régime univoque de la vie, qu’il y a une unité originaire de l’affirmation. Ainsi l’axiome majeur de cette univocité est : « la vie est inévaluable ».

Cela suppose que ce qui est inévaluable, c’est ce à partir de quoi il y a valeur. D’où qu’il n’y a pas alors de doctrine praticale du possible : cf. la critique du possible par Bergson ou Deleuze. Le possible supposerait en effet une potentielle division de l’unité affirmative de la vie. Ainsi pour Bergson, le possible n’est que le nom de baptême rétroactif du réel.

Et s’il n’y a pas doctrine du possible, que signifie le vouloir ? Vous ne pouvez alors vouloir que ce qu’il y a. Cela laisse de côté qu’il y ait une pure neutralité du vivant, que le vivant ne soit pas puissance affirmative.

La conception classique de la volonté s’avère ainsi trop étroite au regard du dynamisme vital car déjà normée. Mais on peut maintenir qu’il y a une question de la possibilité du possible : s’il y a l’unité de la substance (Spinoza) ou l’unité de l’élan vital (Bergson), alors il n’existe pas de possible !

« Volonté » est alors à reconstruire non comme ce qui traite du choix du possible mais de l’affirmation du possible : ce qui affirme la possibilité du possible. La volonté se prononce alors sur la possibilité du possible ; elle est une faculté non pas sélective mais constituante.

3. Critique de la métaphysique du dualisme

• Cette critique existe dès Spinoza.

D’accord : il n’y a pas de dualisme métaphysique ; la volonté n’est pas une localisation séparée de l’instance de l’Esprit. En ce sens, notre époque est plutôt spinoziste : un spectre hante la métaphysique : Spinoza ! On est des héritiers de Spinoza : « Spinoza est le Christ de la philosophie » (Deleuze). Il annonce en effet que désormais l’incarnation est radicale ; on ne peut être dans l’élément de la séparation. Il n’existe pas de régimes distincts de l’être ; en règle générale, il y a la détermination ; en règle générale, il y a la répétition.

Cependant, ne peut-on admettre des interruptions dans les séries répétitives ? On n’admettra alors pas des dualismes globaux mais des lacunes locales. « Volonté » pourrait alors nommer l’artifice d’un enchaînement non enchaîné ; « volonté » pourrait nommer le sujet au point d’une coupure de la répétition, d’une répétition qui n’a pas « été crée par le sujet (qui n’est donc pas une souveraineté).

« Volonté », c’est alors le sujet convoqué à la césure, le sujet convoqué comme maillon manquant, le sujet convoqué involontairement. « Volonté », c’est ce qui se passe lorsque l’involontaire est lacunaire. Cf. cette expérience de la volonté comme réquisition, d’où l’angoisse. L’angoisse est le signe de la réquisition du vouloir, c’est l’angoisse de la lacune : on ne peut plus faire confiance à l’involontaire, les déterminations du monde ne nous portent plus ; il va donc falloir vouloir c’est-à-dire faire être une possibilité. D’habitude, on est dans la sélection des possibles. Au point d’un vouloir, il s’agit de se faire être soi-même comme possibilité nouvelle. On ne peut donc souhaiter à personne d’être convoqué au point de vouloir

Si on admet qu’il peut y avoir de la lacune dans les séries répétitives, alors vouloir, c’est passer là où ça ne passe pas, c’est décider une possibilité inexistante, c’est créer une possibilité et non pas choisir.

• Deuxième critique : il y a une unité ontologique de la conscience. Or la volonté, c’est toujours une théorie de la scission subjective, c’est le propre du Moi contre son impropriété qui est son appropriation au monde, c’est ce qu’il y a de plus subjectif dans le sujet.

Sartre soutient ainsi une unité : il n’y a pas pour lui d’arène fictive pour cette scission. Autant dire que le sujet, pour lui, est liberté.

Cf. Proust : la volonté comme masque d’une détermination ; la volonté n’est qu’un discours, c’est un mode d’expression, un camouflage mondain.

On en retiendra que la présupposition ontologique de la volonté ne peut pas être celle de l’un. Ainsi l’ontologie du sujet ne peut être celle de l’un (l’un du sujet…).

Or, si dans la conception classique de la volonté, soit on est intégralement libre, soit on est intégralement déterministe, on peut cependant identifier le sujet à une ontologie du multiple et non plus de l’un, l’identifier alors dans une complexité du sujet. On n’est pas en effet acculé au choix entre l’un ou le deux !

• Voir ainsi chez Lacan l’hésitation entre le trois (RSI : Réel / symbolique / Imaginaire) et le quatre (RSI + son nouage…).

• Voir de même chez Hegel : l’objectif est de penser l’Absolu comme sujet. Cf. la Préface à la Phénoménologie de l’Esprit et la fin de la Logique : l’apparence dialectique, c’est la triplicité, mais la réalité, c’est le 4, non le 3, car le terme surnuméraire assure la pensée récollective du mouvement triple.

Il s’agit donc d’échapper à l’unité du sujet et à la dualité métaphysique. La volonté serait une composante d’une complexité : on n’exigera plus qu’elle soit transparente à elle-même. Ceci est une réponse à la critique psychanalytique de la volonté.

Pour la psychanalyse, la volonté est une catégorie de la conscience ; elle peut dissimuler du désir inconscient. Mais attention : il n’y a pas de dualisme dans la psychanalyse ; il y a toujours du trois : cf. conscient / inconscient / préconscient.

S’il y a une complexité structurale, la volonté serait une instance de cette complexité sans qu’on exige d’elle qu’elle soit transparente.

Il existerait ainsi des actes volontaires mais pas transparents à eux-mêmes. La volonté, en effet, n’est pas forcément transparente ou intégralement délibérative. La volonté resterait articulée au symptôme. Ce serait une volonté symptomale qui resterait distincte de l’involontaire.

Ceci impose d’accepter que le sujet est complexe. D’où le concept de la volonté impure.

Programme possible d’une volonté impure en 4 propriétés

Première propriété

La volonté serait liée à une doctrine constructive de la liberté et non pas ontologique : l’être libre est sous conditions.

Deuxième propriété

La volonté serait liée, non à la sélection des possibles, mais à une instauration d’un possible. Elle ne traiterait pas essentiellement de la réalisation d’un possible mais de la possibilité d’un possible. Elle aurait donc affaire à l’impossible : la volonté aurait quelque chose de réel et pas de formel. La conception classique, c’est la volonté comme forme de l’acte. Ici la volonté serait réelle : en proie à l’impossible.

Troisième propriété

La volonté serait liée à des points de lacune des séries déterminées, à des points d’interruption de la répétition qu’elle ne déciderait pas. Elle aurait à faire être le sujet dans l’interruption, à faire du corps du sujet la nouvelle connexion, à réorienter ainsi la répétition. Cf. tout sujet est un corps.

Quatrième propriété

La volonté serait sur fond de complexité subjective et ne serait pas nécessairement transparente à elle-même. Il y aurait toujours plus en elle que ce qui est immédiatement représentable. Il aurait toujours un surplus, un reste inaltéré. La volonté pourrait être le vecteur du désir sans que ce soit une catégorie vaine. Il peut y avoir en effet collage d’un désir à une volonté sans que pour autant la volonté soit le désir.

Ainsi, la volonté, ce n’est pas routinier, ce n’est pas pur. L’impureté du vouloir ne le destitue pas comme activité singulière mais il y a une rareté du vouloir : il existe pour cela des conditions.

Question : volonté & politique

Ce système de conditions ne fait-il pas qu’un espace naturel de la catégorie de volonté serait la politique ?

Ce ne serait cependant pas le seul espace pour la volonté : cf. il existe bien une volonté amoureuse. Mais il est vrai qu’il n’y a pas de politique sans volonté : la politique est subordonnée à une volonté. Ainsi :

·       Pas de politique sans que la liberté soit construite. La politique est confrontée à une liberté réelle et pas formelle. La politique est confrontée à un point d’impossible.

·       Il faut être convoqué à une interruption.

·       Articulation complexe : le vouloir politique est impur ; il a toujours fallu accepter qu’il le soit. Cf. complexité immédiate du collectif !

Il y a donc bien une destination particulière à la politique de la catégorie de volonté. Ceci est présent dès Rousseau sous le terme de « volonté générale » : l’existence d’une volonté générale est la condition de la politique. Cf. les paradoxes de la politique de Rousseau : « J’aime mieux être un homme à paradoxes qu’être un homme à préjugés ».

Donc chez Rousseau :

— Aucune psychologie collective

— La volonté n’est pas une catégorie morale (disant le Bien).

— La volonté institue la politique, crée la politique. Elle est moderne en ce sens.

— La liberté civile est l’exercice de la volonté générale.

— La volonté est une décision sur le possible (voir Le Contrat social…)

— La volonté touche aux interruptions , aux discontinuités avec l’existence naturelle. La complexité de cette volonté générale se donne chez Rousseau dans le vote.

Bilan (septembre 2003)

• Parler de « vouloir » plutôt que de « volonté » (faculté…). Donc de « vouloirs » : un vouloir, et un autre, et un autre…

• Desceller le « vouloir » de cette décision qui intervient après une délibération, un relevé du « pour » et du « contre », un examen des motifs et mobiles. Vouloir n’est pas à proprement parler trancher un indécidable.

• Desceller de même le vouloir de la liberté : être libre, c’est se tenir pour responsable de ses actes (et dires), qu’ils soient « volontaires » ou involontaires… Être libre n’est pas essentiellement vouloir. « Vouloir » n’est donc qu’une forme parmi d’autres d’une liberté.

Délier donc le « vouloir » de volonté, décision et liberté.

 

— Le vouloir est conditionné, non pas inconditionné. Ce n’est pas une possibilité permanente, perpétuellement disponible et convocable à la demande (cf. ce n’est pas une faculté). Il y a des conditions pour vouloir. Le vouloir n’est donc pas une capacité formelle, logique mais dépend de conditions « ontologiques ». Il y a un « ici et maintenant » pour chaque vouloir.

— Un vouloir est une assignation à un point de réel, donc à un point d’impossible. Vouloir, c’est toujours vouloir un impossible donné, apparu ; c’est vouloir rendre possible un impossible. Vouloir, c’est forcer un point d’impossible pour le rendre possible.

— Vouloir est requis en un point d’angoisse. N’étant pas sélection parmi des possibles disposés et offerts mais étant réquisition au point où un réel prend forme d’interruption (en sorte d’instaurer un nouveau possible), vouloir va avec angoisse.

— Vouloir implique d’engager son corps, le corps du sujet. Forcer un point d’impossible se fait en y engageant son corps. Vouloir, c’est engager en un point d’impossible « son » corps comme nouvelle connexion au point même d’interruption. Cette nouvelle « connexion », bien sûr, n’est pas « du même type » que celle qui manque : il ne s’agit pas de répéter ce qui a cessé de répéter. Il s’agit de commencer en ce point autre chose.

— Vouloir, c’est commencer quelque chose (plutôt que continuer, qui est plutôt la fidélité).

 

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[1] Ce programme ne sera pas tenu. Kant ne sera pas traité.

[2] Scène V.3 (p. 905 – Pléïade I)

[3] (id.)

[4] Pléïade, p. 715

[5] p. 508