Quelles conséquences musicales tirer du fait que,
contrairement au grégorien, le tajwîd ne se thématise pas comme
musique ?
(Séminaire Babel ; École normale supérieure - 12 novembre 2011)
François Nicolas
Argumentaire
Précisions liminaires
Qu’est-ce que le tajwîd ainsi restrictement entendu ?
Ce n’est pas le azan…
Le tajwîd, c’est Abdessamad !
Premier exemple commenté : al-fâtiHah – sourate I:
L’ouverture
Trois versions d’Abdel-Basset
Abdessamad
Texte
Différents types de récitation « correcte » (tartîl)
Différentes écoles
Verset plus détaillé (II.134/141 - Médine)
Contenu
Remarque de langue
Questions d’écriture : un exemple
Questions d’écriture dans le Qur’ân
Phonétique et phonologie du tajwîd
Précision lexicale
Structuration de l’apprentissage du tajwîd
Les points d’articulation (maX-raj) dans la phonétique de la
langue coranique
Les attributs des lettres (Si-fah) dans la phonétique de la
langue coranique
Phonologie : points remarquables
ِEntendre
Différences entre ce tajwîd et le grégorien (aussi restrictivement entendu)
Ce tajwîd ne se développe pas comme musique.
Remarque
Il existe des récitations musulmanes qui s’émancipent
musicalement.
Certaines manières de pratiquer le tajwîd
Autres pratiques religieuses de la voix
Le grégorien
Grégorien/tajwîd
Musicaliser le tajwîd ?
Qu’est-ce qui
m’intéresse en cette affaire ?
Secret
À comparer le simple avant-propos de deux fascicules d’enseignement (respectivement du grégorien [1] et du tajwîd [2]), un écart saute aux yeux : le grégorien se présente comme « chant » doté d’une « musicalité » destinée à servir la spiritualité d’une prière quand le tajwîd se présente comme « embellissement » d’une « récitation » destinée à restituer le plus exactement possible la figure sonore originelle d’une révélation.
Dans le premier cas, le chant est considéré comme doté d’une autonomie relative qui prend la forme immédiate – elle fait l’objet du premier chapitre [3] – d’une notation musicale spécifique (les neumes). Dans le second, l’embellissement sonore qu’apporte la « psalmodie » doit rester en tout point subordonné à la « précision » (taHqîq) « dynamique » (Hadr) d’une élocution correcte (tartîl), le tajwîd étant ainsi étroitement normé par une phono-logique qui constitue la première partie de son apprentissage [4].
Au total, le grégorien se réfléchit comme musique (dotée de son écriture propre) au service d’une prière inventant son adresse personnelle quand le tajwîd se réfléchit comme embellissement sonore (noté phonologiquement [5]) assujetti à la profération du texte sacré et soumis à sa glorification.
Il va de soi que cet écart concerne directement la différence des textes concernés : le grégorien chante des prières que la communauté chrétienne a établies pour mieux l’adresser à son dieu (psaumes, déclarations de foi…) quand le tajwîd restitue une parole qu’un dieu unique a adressé oralement (via la voix de l’ange Gabriel) au premier des musulmans (et qui ne fut transcrite qu’ultérieurement). Le chœur grégorien exprime une foi collective par le chant quand le récitant musulman supporte, de sa voix individuellement cantillée, la descente renouvelée d’une révélation transcendante.
Il va également de soi que cet écart relève de théologies (ou intelligences de la foi) sensiblement différentes : le grégorien est une oraison chantée, ancrée dans une problématique de l’Incarnation (l’homme-Jésus, Fils de Dieu, est Christ-médiateur) quand le tajwîd est une récitation ornée se soumettant à la Révélation, nécessairement claire-obscure, d’une Transcendance absolue.
Le chant grégorien invente ainsi la prière d’un chrétien qui monte vers un dieu incarné quand la récitation coranique actualise une parole descendue en se soumettant à la matérialité opaque d’une divulgation transcendante.
Force est de constater que cet écart subjectif se matérialise (« s’objective ») en d’importants contrastes acoustiques.
D’un côté, il est vrai que grégorien et tajwîd, ne pratiquant pas de la même manière la musicalisation du sonore, n’engendrent pas les mêmes « objets » acoustiques.
Voir à ce titre la différence de mélismes auxquels donne lieu la profération respective des mots formellement apparentés « Alléluia » et « Allah » : le tajwîd interdit explicitement un allongement excessif de la seconde voyelle « a » du mot allâh [6] quand le grégorien ne se prive pas de laisser, dans le mot alleluia, la même voyelle s’allonger ad libitum, au risque assumé que sa contribution à la signification lexicale se dissolve au fil d’arabesques sans limites…
D’un autre côté, une appréhension positiviste pourra toujours en appeler d’une même transcription musicale des deux flux sonores – et singulièrement du tajwîd – pour arguer qu’il s’agit bien là, dans les deux cas, de musique, et ce quoiqu’en disent et surtout qu’en veuillent ceux qui le pratiquent [7].
N’ayant nulle envie de m’engager, en ce point, dans des débats aussi académiquement scolastiques ou inutilement érudits [8] que musicalement stériles (du type : « qu’est-ce que la musique ? » [9]), je m’attacherai à deux questions de musicien, plus précisément de compositeur (plutôt que de musicologue).
— Peut-on faire entrer dans la musique contemporaine le tajwîd comme on a pu y faire entrer le grégorien mais sans pour autant brutaliser cette cantillation (en la soumettant à une musicalisation exogène), en préservant plutôt son autonomie (syntaxique et sémantique) de profération textuelle ?
— S’il ne s’agit pas pour moi de mobiliser la récitation du Coran comme telle mais plutôt de cantiller une langue arabe classique énonçant des considérations « profanes » sur notre temps présent, jusqu’où est-il musicalement possible de suivre le modèle phonologique du tajwîd en sorte de composer une cantillation « tajwidée » susceptible d’être incorporée comme telle – comme flux sonore organisé de façon non musicale - dans une œuvre musicale contemporaine ?
D’où un programme d’exposition en trois temps :
— d’abord présenter en détail (écriture et exemples sonores à l’appui), à des non-familiers de la langue arabe [10], la logique spécifique du tajwîd ;
— se demander ensuite ce qui, de cette phono-logique du tajwîd, reste irréductiblement attaché à la spécificité du texte coranique et ce qui, a contrario, en serait « exportable » ou généralisable à des textes et contextes non religieux ;
— enfin préciser ce que faire entrer dans la musique contemporaine une langue arabe classique ainsi « tajwidée » pourrait vouloir musicalement dire (pourquoi ?, comment ?…)
On engagera tout ceci sous le signe d’une maxime d’inspiration adornienne qui acquiert une pertinence toute particulière dans les très sombres temps [11] qu’engagent cette seconde décennie du XXI° siècle : « La musique a aujourd’hui besoin de quelque chose qui lui est hétérogène pour rester art. » [12]
Il s’agit, en l’occurrence, de faire entrer l’hétérogène sonore de la grande langue arabe classique dans la musique contemporaine en sorte d’en fertiliser un nouveau cours artistique susceptible de se tenir à hauteur des exigences que ces nouveaux temps prescrivent à la pensée.
On comprend qu’un tel projet implique ultimement de clarifier comment autonomies relatives de la musique (contemporaine) et de la langue (arabe) sont susceptibles de coexister au sein d’une même œuvre musicale (qu’on nommera, de ce fait, composite) c’est-à-dire sous la responsabilité d’ensemble de la seule pensée musicale.
*
[Notes d’exposé]
Ma question : quelles conséquences musicales tirer
du fait que, contrairement au grégorien, le tajwîd ne se thématise pas comme
musique ?
Que veut dire ici « conséquences musicales » ?
Je vise, comme compositeur, à « faire entrer la langue arabe dans la musique contemporaine » (entendue comme « la musique que je compose », « ma » musique) et je me demande : comment l’étude du tajwîd peut-elle m’aider à m’orienter musicalement dans cette tâche ?
J’examinerai donc la question musicale du tajwîd – appelons ainsi la question : quel rapport le tajwîd entretient-il à la musique ? – sous cet angle : non pour en faire le tour, mais sous l’angle très restrictif qui est le mien comme compositeur pensif : qu’est-ce que l’étude du tajwîd peut m’apprendre quand à un traitement d’une langue arabe susceptible d’entrer dans la musique contemporaine.
Je ne traiterai pas aujourd’hui ds le détail de ce que peut vouloir dire l’expression « faire entrer la langue arabe dans la musique contemporaine » : à quelles fins, en particulier proprement musicales ?, de quelles manières ?, que veut dire ici « entrer » ?
Je me suis déjà exprimé sur ce point, en particulier lors de journées organisées en avril dernier au conservatoire du XIX°. J’ai également déjà exprimé à différentes reprises une théorie de ce que j’appelle l’œuvre musicale composite (pour ne pas dire « mixte »). Je n’y reviendrai pas et me centrerai aujourd’hui sur un point précis : en quoi le rapport tajwîd-musique peut-il éclairer le rapport langue arabe / musique contemporaine c’est-à-dire éclairer la manière dont la musique contemporaine peut ou non s’emparer de la langue arabe pour « la faire entrer dans son lit »…
Précision : je vais entrer dans ce sujet par une comparaison du tajwîd et du grégorien.
La difficulté est d’y entrer d’une manière instruite sans pour autant s’y perdre dans une érudition sans fin c’est-à-dire dans l’accumulation de savoirs qui n’existeraient que pour eux-mêmes, soit cette érudition gaiement inutile dont parlait Foucault et qui systématise (il est vrai unilatéralement) « le gai savoir » nietzschéen.
Je rappelle à ce titre cette citation (7 janvier 1976) qu’il importe de mettre en exergue de tout exercice de ce type :
« Que le travail que je vous ai présenté ait eu cette allure à la fois fragmentaire, répétitive et discontinue, cela correspondrait bien à quelque chose qu’on pourrait appeler une “paresse fiévreuse”, celle qui affecte caractériellement les amoureux des bibliothèques, des documents, des références, des écritures poussiéreuses, des textes qui ne sont jamais lus, des livres qui, à peine imprimés, sont refermés et dorment ensuite sur des rayons dont ils ne sont tirés que quelques siècles plus tard. Tout cela conviendrait bien à l’inertie affairée de ceux qui professent un savoir pour rien, une sorte de savoir somptuaire, une richesse de parvenu dont les signes extérieurs, vous le savez bien, on les trouve disposés en bas des pages. Cela conviendrait à tous ceux qui se sentent solidaires d’une des sociétés secrètes sans doute les plus anciennes, les plus caractéristiques aussi, de l’Occident, une de ces sociétés secrètes étrangement indestructibles, inconnues, me semble-t-il, dans l’Antiquité et qui se sont formées tôt dans le christianisme, à l’époque des premiers couvents sans doute, aux confins des invasions, des incendies et des forêts. Je veux parler de la grande, tendre et chaleureuse franc-maçonnerie de l’érudition inutile. » [13]
Pour éviter le double écueil de l’érudition et de l’ignorance, je poserai ceci :
— j’appelle ici tajwîd un certain tajwîd: celui qu’on nomme tel ici (en France) et maintenant [14] et qui entre en rapport avec une acceptation aujourd’hui courante du terme (voir par exemple son usage sur la Toile). Quel est le rapport entre « ce » tajwîd et d’autres, pratiquées ailleurs et surtout à d’autre époques ? Je n’aborderai ce point que très marginalement, non point qu’il ne serait pas intéressant en soi ou même pour mon propos mais il me faut fortement couper dans la matière si je ne veux pas m’y perdre comme compositeur pensif. C’est déjà tout un travail d’apprendre les rudiments de l’arabe littéraire [15], c’en est encore un autre que d’apprendre la récitation coranique (ce qui pour un non-arabophone – qui plus est pour un non-musulman peut familier du Coran - n’est pas immédiat [16]) : je ne saurai m’enfermer pendant dix années dans l’étude systématique de cette tradition, sauf à y perdre mon âme de compositeur. Il me faut donc trancher, délimiter, circonscrire en accordant le plus grand sérieux à ce que j’examine tout en laissant de côté des développements que je déclare, pour mon propos, latéraux.
— j’appelle de même ici grégorien un certain grégorien: celui que j’ai pu connaître dans mon enfance chrétienne – le grégorien du Paroissien Romain (celui des messes d’avant Vatican II) et de l’Antiphonæ Monasticum (voir ces offices bénédictins que j’ai connus à l’abbaye de Saint-Wandrille, celle-là même où Dom Pothier – figure décisive du renouveau grégorien sur laquelle on va avoir l’occasion de revenir - a fini ses jours). Là encore le grégorien suffirait à lui seul à remplir toute une vie : il va de soi qu’il s’agit là de pratiques et théories variées, diversifiées selon les époques, les lieux et les écoles. Je taillerai dans cet épais tissu sans fin quelques mélodies et quelques propos pour nourrir le contraste qui va m’intéresser ici : celui du grégorien chrétien et du tajwîd musulman.
tajwîd [17] تَـجْوِيـدٌ
أَذَانٌ ’azân
Appel public à la prière commençant par le fameux takbîr [تَكْـبِيرٌ] [18] « ’al-lâ-hu ’ak-bar » :
اَللَّـٰـهُ أَكْـبَـر « Dieu est plus grand ! » [19]
Deux exemples sonores :
http://www.entretemps.asso.fr/Babel/tajwid/azan1.mp3
http://www.entretemps.asso.fr/Babel/tajwid/azan2.mp3
Le second « fleurit » le chant du mot « allâh »
Ici les mots peuvent prendre leur envol sonore et le chant s’émanciper (lâcher la main linguistique qui le guidait et s’aventurer, pour son propre compte, dans la musique).
On se rapproche ici de l’Alléluia chrétien (emprunté au Halleluyah hébreu qui veut dire « Priez Dieu ! » [20]).
Abdel-Basset Abdessamad [21] (1927-1988, Égypte) عَبْـد الْـبَاسِط عَبْـد
الصَّـمَد
Le voici récitant la sourate 93 Le jour montant اَلضُّـحَىٰ : vidéo
ٱلْفَاتِـحَـةُ
ñ HafS plus travaillé vocalement
اَلْإِسْـتِـعَاذَةُ] أَعُـوذُ بِٱللَّـٰـهِ مِـنَ ٱلشَّيْـطَـٰـنِ ٱلرَّجِيـــمِ]
١ بِسْـمِ ٱللَّـٰـهِ ٱلرَّحْـمَـٰـنِ ٱلرَّحِيــمِ
٢ اَلْـحَمْـدُ لِـلَّـٰـهِ رَبِّ ٱلْعَالَـمِيــنَ
٣ ٱلرَّحْـمَـٰـنِ ٱلرَّحِيــمِ
٤ مَـلِـكِ يَوْمِ ٱلدِّيـنِ
٥ إِيَّاكَ نَعْـبُـدُ وَإِيَّاكَ نَسْـتَـعِيــنُ
٦ اَهْـدِنَا ٱلصِّـرَاطَ ٱلْـمُسْـتَـقِيــمَ
٧ صِـرَاطَ ٱلَّذِيـنَ أَنْـعَمْـتَ عَـلَيْـهِمْ غَيْـرِ ٱلْـمَغْـضُوبِ عَـلَيْـهِمْ وَلَا ٱلضَّـــآلِّيــنَ
[La recherche de
refuge al-’is-ti-εâ-zah] Je me réfugie auprès de Dieu contre Satan le
maudit.
[I.1] Au nom de Dieu, le Clément,
le Miséricordieux.
[I.2] Louange à Dieu, Seigneur de
l'univers,
[I.3] le Clément, le Miséricordieux.
[I.4] Maître du jour de la
rétribution.
[I.5] C'est toi [Seul] que nous
adorons, et c'est toi [Seul] dont nous implorons secours
[I.6] Guide-nous dans le droit
chemin,
[I.7] le chemin de ceux que tu as
comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru ta colère, ni celui des
égarés.
أَعُوذُ بِٱللَّـٰهِ مِـنَ ٱلشَّيْـطَـٰـنِ ٱلــرَّجِيـــمِ
بِسْـمِ ٱللَّـٰهِ ٱلــرَّحْـمَــٰـنِ ٱلــرَّحِــيـــمِ
اَلْـحَمْـدُ لِـلَّـٰهِ رَبِّ ٱلْعَالَـمِــيـــنَ
اَلــرَّحْـمَــٰـنِ ٱلــرَّحِــيـــمِ
مَـلِـكِ يَوْمِ ٱلدِّيــنِ
إِيَّاكَ نَعْـبُـدُ وَإِيَّاكَ نَسْـتَـعِــيـنُ
اَهْـدِنَا ٱلصِّــرَاطَ ٱلْـمُسْـتَـقِــيـــمَ
صِــرَاطَ ٱلَّذِيـنَ أَنْـعَمْـتَ عَـلَيْـهِمْ غَيْـرِ ٱلْـمَغْـضُوبِ عَـلَيْـهِمْ وَلَا ٱلـضَّـــآلِّــيـــنَ
’a-εû-zu bil-lâ-hi mi-na_ch-chay-Tâ-ni_r-ra-jîm
ñ
bis-mi/l-lâ-hi/r-raH-mâ-ni_r-ra-Hîm
ñ
al-Ham-du
lil-lâ-hi
rab-bi/l-εâ-la-mîn
ñ
ar-raH-mâ-ni/r-ra-Hîm
ñ
ma-li-ki
yaw-mi/d-dîn
ñ
’î-yâ-ka naε-bu-du wa ’î-yâ-ka nas-ta-εîn
ñ
ah-di-nâ/S-Si-râ-Ta/l-mus-ta-qîm
ñ
Si-râ-Ta/l-la-zî-na ’an-εam-ta εa-lay-him Ray-ri/l-maR-Dû-bi εa-lay-him wa lâ/D-Dâl-lîn
’è-εû-zu bil°-lê-hi mi-nè/ch°-chèy°-Tô-nè/r°-ro-jî:m
bis°-mi/l°-lê-hi/r°-roH°-mê-ni/r°-ro-Hî:m
èl-Ham°-du
lil°-lê-hi
rob°-bi/l°-εâ-la-mî:n
ar°-roH°-mâ-ni/r°-ro-Hî:m
ma-li-ki
yaw°-mi/d°-dî:n
’î-yê-ka naε°-bu-du wa ’î-yê-ka nès°-tè-εî:n
ih°-di-nâ/S°-Si-rô-To/l°-mus°-tè-qî:m
…
اَلتَّرْتِيـلُ
Le tajwîd est
l’embellissement du tartîl
(c’est-à-dire de la récitation correcte et précise).
ñ La
récitation précise (taHqîq) اَلتَّحْـقِيـقُ - lente
et surarticulée
ñ La
récitation dynamique (Hadr) اَلْـحَدْرُ - rapide
et fluide
ñ La
récitation intermédiaire (tadwîr) اَلتِّدْوِيـرُ
- normale
Il y a essentiellement sept [22]
manières de bien lire le Coran dont les deux plus répandues sont le HafS [23] (Égypte) et le warch [24] (Maghreb)
وَرْش حَفْـص
Dans cette sourate, la
différence porte par exemple sur l’entame du 4° verset: maliki/mâliki…
Je l’ai retenu car il fait partie des versets qui se répètent à l’identique, et ici à quelques versets d’intervalle (sans constituer pour autant une litanie comme on en trouve dans la sourate LV où le même verset - « Lequel des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous? » - est répété 31 fois sur 78 versets au total…).
Allâh s’adresse aux Juifs et aux Chrétiens, qui se réclament de leur longue tradition et de leurs ancêtres et leur dit:
« Cette
communauté de vos ancêtres [25] est
passée. À elle ce qu’elle a fait, à vous ce que vous aurez fait; vous ne serez
pas interrogés sur ce qu’ils ont fait. » [26]
Autres traductions
« Cette communauté là est révolue. À elle ses acquis, à
vous les vôtres. Vous n’avez pas à répondre de leurs actions. » (Berque)
« [Les membres
de] cette communauté ont passé. À eux ce qu’ils se sont acquis et à vous ce que
vous vous êtes acquis. Vous ne serez point/pas tenus pour responsables de ce
qu’ils faisaient. » (Blachère)
« Cette patrie
[Voici une matrie qui] est déjà passée. À elle son acquis. À vous votre acquis.
Vous ne serez pas questionnés sur ce qu’ils faisaient. » (Chouraqui)
« Une telle
génération est disparue. À elle ce qu’elle a acquis et à vous ce que vous avez
acquis. Vous ne serez point tenus pour responsables de ses actes. » /
« Ils appartiennent à des générations révolues. À elles leurs acquisitions
et à vous les vôtres. Vous n’aurez pas à rendre compte de leurs actes. » (Boubakeur)
« Cette
matrie/communauté est certes révolue. À elle ce qu’elle a acquis et à vous ce
que vous avez acquis. Vous ne serez pas questionnés sur ce qu’ils faisaient. » (Gloton)
Incroyable stabilité de la langue! Il s’agit d’une parole du VII° siècle, dont la transcription fut arrêtée vers le X°-XI° siècle. Pour comparer au français, voici par exemple ce que Montaigne écrivait à la fin du XVI° siècle (le français n’était devenu langue administrative que depuis peu) :
« J’en veoy qui estudient et glosent leurs almanacs, et
nous en alleguent l’auctorité aux choses qui se passent. A tant dire, il fault
qu’ils dient et la verité et le mensonge. Je ne les estime de rien mieulx, pour
les veoir tumber en quelque rencontre. » (Essais,
Livre I, chapitre 11).
Avec une orthographe contemporaine:
« J’en vois qui étudient et glosent leurs almanachs, et nous en allèguent l’autorité aux choses qui se passent. À tant dire, il faut qu’ils disent et la vérité et le mensonge. Je ne les estime rien de mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre. »
En français contemporain:
« Je vois des
gens qui étudient et annotent leurs almanachs et nous en allèguent l’autorité
pour tout ce qui se passe. À dire tant de choses, il est inévitable qu’ils
disent et la vérité et le mensonge. Je ne les estime nullement mieux parce que
je les vois parfois tomber juste. »
Si on écrit ces trois lettres-consonnes :
نعم
tout arabisant comprend immédiatement qu’il s’agit là de naεam = « Oui ».
À quoi bon alors voyeller ce mot, ce qui impliquerait de l’inscrire ainsi
نَعَمْ
puisque le contexte suffit largement à le décrypter!
Remarquons d’abord que ces mêmes trois consonnes peuvent se voyeller tout autrement.
Daniel Reig (racine 5471) avance ainsi 7 modalités différentes :
vivre confortablement |
naεama |
نَعَمَ |
naεima |
نَعِمَ |
|
être moelleux, confortable |
naεuma |
نَعُمَ |
un confort |
naεamun |
نَعَمٌ |
oui |
naεam |
نَعَمْ |
[être] excellent |
niεma |
نِعْمَ |
des délices |
niεamun |
نِعَمٌ |
Pour sa part, Kazimirski (2 volumes) y ajoute les 7 suivantes :
plaisir |
naεmun |
نَعْمٌ |
des plaisirs |
nuεmun |
نُعْمٌ |
quelquefois |
naεamu |
نَعَمُ |
certes |
niεamu |
نِعَمُ |
bravo |
naεma |
نَعْمَ |
niεima |
نِعِمَ |
|
niεama |
نِعَمَ |
à quoi on pourrait encore ajouter
ñ les formes syntaxiques se concluant en « a », « i », « an » et « in » pour les substantifs ici suffixés en « un » (cf. cas direct et indirect, formes déterminées/indéterminées),
ñ d’autres formes propres à la conjugaison (active/passive) des verbes concernés,
ñ et même la forme II du verbe de base (s’il est vrai que certaines notations abrégées n’inscrivent même pas le chadda) :
lisser, ramollir |
naεεama |
نَعَّمَ |
Bref, parmi les 84 formes a priori concevables (3*4*7) pour la racine à 3 consonnes
n |
u, a, i |
ε |
u, a, i, ° |
m |
u, a, i, un, an, in, ° |
on peut d’ores et déjà en décompter 28 (sans compter les conjugaisons et la forme II avec chadda) qui ont un sens répertorié et qui peuvent donc se trouver employées, dans un contexte ou dans un autre.
Les voici classées selon l’ordre alphabétique latin :
naεama,naεami,naεamu,naεaman,naεamin,naεamun
naεam
naεima
naεuma
naεma,naεmi,naεmu,naεman,naεmin,naεmun
niεama,niεami,niεamu,niεaman,niεamin,niεamun
niεima
niεma
nuεma,nuεmi,nuεmu,nuεman,nuεmin,nuεmun
Notre naεam de départ s’y trouve bien isolé!
Qu’en conclure?
Que, si la notation simplifiée (sans voyelle – celle, aujourd’hui, de bien des SMS…) suffit le plus souvent pour le langage courant (l’usage de cette racine pour dire simplement « oui » - naεam - doit représenter plus de 95% des cas ordinaires), un rapport soutenu au langage - non comme simple moyen de communication mais comme (un des) moyen(s) de penser - ne saurait se passer de préciser le sens donné à la racine trilitère.
On répondra: il suffit alors, pour les quelques % restants, de voyeller la racine en sorte cette fois d’en spécifier le sens non ordinaire.
C’est précisément ce point que je critique: l’idée qu’il faudrait partager le langage en deux volets - un volet de communication banale (« Passe-moi le sel! » - pire : « Le sel!! », et pourquoi pas : « Sel!!! ») et un espace de pensée propre – est une conception obscurantiste, caractéristique de notre temps, un obscurantisme qui se cache derrière des arguments « modernes » (la technologie, la rapidité, l’économie de signes…).
Au total, la ligne de partage me semble être la suivante :
ñ d’un côté la langue telle que le journal la promeut: un espace de communication des opinions, qui privilégie alors les lieux communs et fait propagande constante pour la paresse (de pensée, de langue, d’écriture) ;
ñ d’un autre côté la langue telle que la pensée (de manière privilégiée - en langue arabe - la pensée religieuse ou poétique) entreprend de s’y inscrire et qui spécifie soigneusement le sens des mots qu’elle emploie car précisément il n’y s’agit plus, à ses yeux, de banalités et de simples automatismes de langue.
Ainsi, l’habitude bien compréhensible prise d’abrévier l’écriture me semble une mauvaise habitude, tout du moins en matière d’écrit imprimé. Que l’on sténographie les échanges manuscrits est bien sûr une tout autre affaire qui cette fois n’appelle pas de commentaires particuliers.
Scriptio defectiva
تلك أمّة قد خلت لها ما كسبت ولكم ما كسبتم ولا تسألون عمّا كانوا يعملون
tlk ’mmt qd Xlt lha ma ksbt wlkm ma
ksbtm w la ts’lwn
εmma
kanwa yεmlwn
sans
voyelles: « ctt cmmnt crts st
pss ll c qll rls t vs c q vs vz rls t vs nts ps ntrrgs sr c qls fsnt »
sans accents:
« cette communaute certes est passee
a elle ce quelle a realise et a vous ce que vous avez realise et vous netes pas
interroges sur ce quils faisaient »
Scriptio plena
تِلْكَ أُمَّةٌ قَدْ خَلَتْ لَهَا مَا كَسَبَتْ وَلَكُمْ مَا كَسَبْتُمْ وَلاَ تُسْأَلُونَ عَمَّا كَانُواْ يَعْمَلُونَ
tilka ’ummatun qad Xalat lahâ mâ kasabat wa lakum mâ kasabtum wa lâ tus’alûna εammâ kânû yaεmalûn
[ + syllabisation et espacement des groupes de
mots = notation d’un phrasé…]
تِـلْـكَ أُمَّــةٌ قَدْ خَــلَتْ / لَــهَا مَا كَــسَــبَتْ وَلَــكُمْ مَا كَــسَبْــتُمْ / وَلاَ تُسْــأَلُونَ عَــمَّا كَانُواْ يَعْــمَــلُونَ
til-ka ’um-ma-tun qad Xa-lat
/ la-hâ mâ ka-sa-bat wa la-kum mâ
ka-sab-tum / wa lâ tus-’a-lû-na εam-mâ kâ-nû yaε-ma-lû-na
warch وَرْش
+ coloration des timbres
(consonnes nasalisées [27]
et emphatiques, voyelles prolongées et non prononcées) & pauses [ص]
تِلْـكَ أُمَّــة ٌ قَـدْ خَـلَتْ ص لَـهَا مَا كَـسَـبَتْ ص وَلَـكُـم-مَّــا كَـسَــبْــتُمْ ص وَلاَ تُسْـأَلُونَ عَــمَّــا كَانُواْ يَعْـمَـلُـــون َـ
til-ka ’um-ma-tun qod Xo-lèt / la-hâ mâ ka-sa-bat / wa la-kum_mâ ka-sob-tum / wa lâ tus-’a-lû-na εam-mâ kâ-nû yaε-ma-lûn
Même
réalisation sonore dans les deux cas : cf. elle dépend de la structure
phonétique, non du sens des mots (exception pour l’emphase du nom d’Allâh)
HafS حَفْـص
Ici la différence est minime : cf. différence de phrasé par
suppression d’une pause (la troisième), au demeurant facultative…
Rappel du point de
départ :
تلك أمّة قد خلت لها ما كسبت ولكم ما كسبتم ولا تسألون عمّا كانوا يعملون
Cinq interprétations
ñ
Récitation : Mahmoud Khalil Al-Husary [28]
(1917-1980, Égypte) مَحْـمُود خَـلِيل الْـحُـصَـرِي
Variation des pauses, plus subtile du phrasé des groupe de
mots :
ñ
Invocation : Abdel-Basset Abdessamad [29] (1927-1988, Égypte) عَبْـد الْـبَاسِط عَبْـد
الصَّـمَد
Même structure rythmique du phrasé mais légères variations des
inflexions et intonations :
- « Mélodistes » bien rythmés (verset 141)
ñ
Simple : Mishari ibn
Rashid Alafassy [30]
(1976, Koweit)
مِـشَارِي بن رَاشِد الْـعَـفَاسِي
ñ
Mélodique : Saad (ibn Saïd) Al Ghamdi [31]
(1968, Arabie Saoudite) سَـعَد بن
سَـعِيد الْـغَامْدِي
-
Sprechgesang (verset 141) : Ali Al-Huzaifi [32]
(Somalie) عَـلِي الْـحُـذَيْـفِي
J’utilise ici les termes de phonétique et phonologie (d’où phono-logique) aux
sens suivants :
ñ La phonétique étudie la matérialité physiologique
(instrument) et acoustique (résultat) des sons de la langue.
ñ La phonologie étudie la logique proprement langagière
de la phonétique.
Quatre grandes
parties :
Les deux premiers points concernent plutôt la phonétique de l’arabe coranique (littéraire). Le troisième concerne la phonologie.
Rapide balayage ci-suit…
Le tajwîd distingue 17 points d’articulation, répartis en 5 lieux (palais, gorge, langue, lèvres, nez) pour un alphabet de 28+1 lettres…
Pour ressentir en
français la circulation du point d’articulation à l’intérieur du palais, prononcer
successivement (aller et retour) ba
fa sa ta na la ya ka
Les traits distinctifs de la langue vont mobiliser une double logique de contraste :
ñ
les 18 attributs en forme d’oppositions (couples de
contraires) ainsi décrites : lourdeur/légèreté, élévation/abaissement,
adhésion/séparation, vigueur/atonie, assourdi/sonore…
ñ
les 7 attributs sans contraires : sifflement, douceur,
déviation, répétition, propagation, allongement, vibration résonante.
Quelques brèves remarques…
ñ
La
signification des mots n’importe guère (à l’exception du nom d’Allâh): par exemple même prononciation, dans
la première sourate, du mot « le Miséricordieux » (ar-ra-jîm) appliqué à Dieu et du mot « le
Maudit » (ar-ra-Hîm) appliqué au Diable dans al-’is-ti-εâ-zah.
ñ
L’important
est moins le phrasé que le rendu des syllabes. La segmentation est indiquée par
des signes de pause. Rappel: la plupart des musulmans apprennent le Coran sans
le comprendre (un peu comme les chrétiens savaient leur credo latin par cœur
sans bien comprendre le détail de ce qu’ils disaient là).
Remarque
Ce
point n’est pas une idiotie mais cela relève d’une orientation concevable pour
la pensée: celle que Badiou appelle « orientation de pensée
transcendante ». L’idée est que toute transcendance véritable véhicule des
voies divines humainement impénétrables, et donc des directives que je dirai
claires-obscures. Un théorème mathématique (celui de Lindenbaum) éclaire la
rationalité de cette orientation: du point d’un cardinal extrêmement
transcendant, une famille d’ensembles constructibles (donc éminemment ordonnés
à une transparence de construction) peut apparaître dans un monde subalterne
comme ensembles génériques donc indiscernables (« les voies parfaitement
rationnelles de Dieu nous apparaissent incompréhensibles »).
ñ
Les
prolongations des syllabes longues sont strictement mesurées: x2, 3 ou 4. Soit,
la syllabe longue valant 2 syllabes brèves, des durées 4, 6 ou 8 (si l’on
retient la brève à la croche, on a une noire pour la longue ordinaire, et pour
les longues prolongées une blanche, une blanche pointée, et au maximum une
ronde).
ñ
Grande
importance, dans le rendu des lettres à l’intérieur du découpage syllabique, du
sukun ;
d’où une dialectique du flux et de l’entrave, du coulé et du blocage, de la
voyelle et de la consonne. Deux problèmes « musicaux »
différents : la voyelle et la consonne.
ñ
La
voyelle : problème de son timbre dynamique (évolution temporelle de ses
formants). Ex. le rendu différencié du « â » de Allâh qui se
différencie en « è » ou « ô » selon la voyelle
« i » ou « a/u » qui précède :
i : ي ـــِـــ |
u : و
ـــُـــ |
a : ا ـــَـــ |
أَعُـوذُ بِٱللَّـٰـهِ بِسْـمِ ٱللَّـٰهِ اَلْـحَمْـدُ لِلَّـٰهِ |
وَمُـحَمَّـدٌ رَسُولُ ٱللَّـٰهِ! |
لَا إِلَـهَ إِلَّا ٱللَّـٰهُ! قُلْ : هُـوَ ٱللَّـٰهُ
أَحَـدٌ. اَللَّـٰهُ
ٱلصَّـمَـدُ. إِنْ شَاءَ ٱللَّـٰهُ! بَارَكَ ٱللَّـٰهُ فِيـكَ! |
ñ Allongement naturel des voyelles dites longues ? Étude d’Omran Allatif : Le poids perceptif de la voyelle face à sa qualité acoustique dans la discrimination des voyelles longues et brèves (Grenoble, 2007). Cf. : à quels traits phonétiques reconnaît-on les voyelles longues (par rapport aux brèves) ? Durée, hauteur, timbre, intensité ? L’étude en question porte sur le seul paramètre durée. Réponse nuancée, variable selon les trois voyelles. En résumé : pour « a », la durée semble prépondérante (différence du simple au double) ; pour « i », la durée n’intervient guère (c’est plutôt l’affaire des autres paramètres) ; « u » est intermédaire…
ñ La consonne : attaque/extinction.
Travail original sur
ñ
son attaque : ainsi la hamza ء
inscrit la consonne (implicite en français) qu’il y a dans l’attaque d’une
voyelle, au début (’Avale !
– mais
’Il avale. - ’Ici !, ’Où ?) ou pour séparer deux phonèmes (’en’hardi,
’un ’hasard, ’en ’haut) ou d’arrêt net (Tac’ !) : أَعُـوذُ
ñ son entretien : cf. le sukun sur une double consonne (chadda) ; cf. différence en français entre « il a fait » et « il l’a fait » dans ’ilah ’il-la : إِلَـهَ إِلَّا
ñ son extinction : cf. la nasalisation sur un sukun terminal… - قُلْ
Exemple : le Coran = al-qur’ân : اَلْـقُرْءَانُ
à prononcer
comme « elle court, Anne ! » (el’ qour,
Âne !)
Grandes variétés de consonnes 26 sur 28+1 (dont
le très spécifique Dâd : ض)
ñ Incidente : l’attention portée aux voyelles ou aux consonnes partage sensiblement – à mes oreilles du moins – les prononciations féminine et masculine, et les prononciations chrétiennes et musulmanes. D’où des parentés phonétiques respectivement avec le russe et l’allemand :
consonnes |
voyelles |
musulmans |
chrétiens |
masculin |
féminin |
allemand |
russe |
ñ Nizar Qabbani (1923-1998, syrien)
نِـزَار قَـبَّانِي
Un mélange de Carco et de Prévert…
Ne t'inquiète pas! Ô la douce des douces, |
لَا تَقْــلِــقِي! يَا حُلْـوَةَ ٱلْـحُلْـوَاتِ |
Tant que tu es dans ma poésie et dans mes mots, |
مَا دُمْـتِ فِي شِعْـرِي وَفِي كَـلِـمَاتِي |
Tu vieillis peut-être avec les ans… mais |
قَدْ تَكْـبِـرِيـنَ مَـعَ ٱلسِّـنِيـنِ… وَإِنَّـمَا |
Tu ne vieilliras jamais… sur mes pages. |
لَنْ تَكْـبِـرِي أَبَـدًا… عَـلَىٰ صَـفَـحَاتِي |
***
Ton amour, [femme] aux yeux profonds, |
َحُبُّـكِ يَا عَـمِيـقَـةَ ٱلْـعَيْـنَيْـن |
est excès, |
تَـطَرَّفٌ |
mysticisme, |
تَـصَوَّفٌ |
dévotion. |
عِـبَادَةٌ |
Ton amour, comme la mort et l’accouchement, |
ِحُبُّـكِ مِثْـلُ ٱلْمَوْتِ وَٱلْـوِلَادَة |
est difficile à reproduire une seconde fois. |
صَعْـبٌ بِـأَنْ يُـعَادُ مَـرَتَيْـنَ |
ñ Chrétien : Abel Azrié
ñ
Allemand/Russe :
cabaret / poésie…
Lied einer deutschen Mutter (Brecht/Eisler) par Gisela May
Mandelstam / Akhmatova (par elle-même)
Il n’est pas pratiqué, conçu, thématisé comme musique.
Et ceci ne relève pas que d’une intention, que d’un effet de discours qui serait inadapté à la réalité dont il parle.
Cette proposition repose bien sur une base matérielle : il n’y a pas d’autonomie (relative) de la dimension potentiellement musicale du texte.
Cf. les paramètres essentiels de la réalisation sonore restent sous tutelle de la loi phonologique.
On est dans un schème équivalent à celui de la scolastique thomiste :
« Parmi les sciences, il en est de deux espèces. Certaines s’appuient sur des principes connus par la lumière naturelle de l’intelligence : telles l’arithmétique, la géométrie et autres semblables. D’autres procèdent de principes qui sont connus à la lumière d’une science supérieure […] comme la musique [le fait] de principes qu’établit l’arithmétique. […] Comme la musique s’en remet aux principes qui lui sont livrés par l’arithmétique, ainsi la doctrine sacrée accorde foi aux principes révélés par Dieu. » [33]
Ici la matérialité sonore s’en remet aux principes de la langue parlée par Dieu. Elle ne s’émancipe pas musicalement.
Contrairement à ce que l’on entend parfois dire, le Coran n’élève pas la langue arabe à un statut exceptionnel de langue sacrée mais la présente simplement comme celle des interlocuteurs : « Nous avons fait descendre un Coran en langue arabe afin que vous compreniez. » (XII.2) « Nous n’avons envoyé de messager qu’avec la langue de son peuple. » (XIV.4) « Nous avons rendu le Coran facile à comprendre en ta langue. » (XIX.97) « Si nous avions fait [du Livre] un Coran en une langue autre que l’arabe, ils auraient dit : “Pourquoi ces versets n’ont-ils pas été exposés clairement ?” » (XLI.44) « Nous avons fait [du Livre explicite] un Coran arabe afin que vous raisonniez. » (XLIII.3) « Nous n’avons facilité [la récitation du Coran] dans ta langue qu’afin qu’ils se rappellent ! » (XLIV.58)[1]
Voir ainsi la différence entre Damas et Alger dans l’étude La récitation coranique à Damas et à Alger de Jean Cantineau et Léo Barbès (1942-1947).
À Damas, la cantillation reste clairement syllabique.
À Alger, entre deux guerres, le récitant s’autorise apparemment des mélismes conséquents (quoique restant, si l’on en croit les transcriptions qui suivent, dans le cadre des bornes précédemment décrites : pas de dépassement de la ronde).
Il y a par ailleurs un usage musulman des chants sacrés : voir l’azan…
Il y a sans doute une gradation quasi-continue entre parole et pur chant.
Cf. la gradation de François Picard dans Parole, déclamation, récitation, cantillation, psalmodie, chant (2008). Étude musicologique d’anthropologie musicale généralisée : « Qu’est-ce que le chant ? » Exploration des modes de vocalisation par le contraste récitation-parole/chant. D’où des entre-deux (ceux qui m’intéressent) : la déclamation (d’essence théâtrale), le chantonnement, la récitations modulée, la cantillation (définie, de manière intéressante par Solange Corbin, comme une « manière de chanter sans chanter ») - la psalmodie serait renvoyée non à un type de vocalisation mais à un contenu : celui des psaumes (« Il n’est de psaume que de David »). [34]
Le point - « mon » point – n’est pas là. Mon point tient à un intérêt spécifique pour la langue arabe cantillée de manière non musicale, pour « ce » tajwîd que j’apprends aujourd’hui en France.
Qu’ils existent des chants musicaux sur des textes religieux, fut-ce même sur le Coran, dans l’espace de l’Islam est avéré mais ceci ne m’intéresse pas ici, car c’est la langue arabe qui m’intéresse, non la musique arabe.
2 voies
dans le grégorien (début XX° siècle : cf. les éditions vaticanes suite à la
restauration de Solesmes à partir du milieu du XIX°) : Dom Pothier,
1835-1923 (le texte commande le
rythme - rythme prosodique) / Dom Mocquereau, 1849-1930 (la mélodie commande le
rythme => rythme musical : « Musica non subjacet regulis Donati - La
musique n'est pas soumise aux règles de Donatus » - maxime du grammairien
latin Priscien du VI° siècle mentionnant l'évêque schismatique du IV° siècle
Donat le Grand ou Donatus Magnus
Noter
que le rythme est l'enjeu car
ñ il est le facteur commun aux deux flux sonores
temporels
ñ et le rythme est une synthèse (d'un côté de
durées et d'accents ou de moments et d'instants, de l'autre de hauteurs,
d'intensités et de timbres).
L'enjeu
est: qui, du texte ou de la musique, dirige le rythme et sa synthèse ?
1. Le
débat se concentre en particulier sur la question de l'accentuation du
phrasé : accents de mots dans la
langue - arsis/ictus dans la mélodie. L'opposition est majorée en
latin car "l'accent tonique latin, ne se trouvant jamais sur la dernière
syllabe du mot, appartient plutôt à l'arsis" quand le phrasé de la mélodie
grégorienne se joue surtout dans cette "fin de pas" qu'est l'ictus. D'où la notation d' "épisèmes
verticaux" indiquant des ictus musicaux décalés par rapport aux accents
normaux de langue :
2.
Concernant la synthèse rythmique, arsis/ictus deviennent protase/apodose.
D'où
une synthèse feuilletée et hiérarchique ainsi figurable selon Mocquereau :
Différence
Paroissien Romain (le
"800" de 1962) et Antiphonæ Monasticum (le "818" de 1934).
Ce
n'est pas une différence d'éditeur : les deux relèvent de Dom Mocquereau [35].
Le PR
comporte de nombreux mélismes qu'on ne retrouve guère dans le AM qui est assez
systématiquement syllabique.
Lexique
:
ñ psalmodique : une syllabe partage la
même note que d'autres syllabes (cf. le recto tono)
ñ syllabique : une syllabe = une note
ñ neumatique : une syllabe = un neume de 2
ou 3 notes (petite ornementation)
ñ mélismatique : une syllabe = plusieurs
neumes et donc notes.
Le PR
est mélismatique pas seulement sur Alleluia mais aussi sur Domine (l'équivalent du rabbun arabe)
Quelques
rapides éléments de comparaisons
Similitudes
:
ñ vocalisation d'un texte fixé,
ñ psalmodie/cantillation (avec hauteur :
transcriptible comme mélodie)
ñ monodique (une seule voix)
ñ a cappella
ñ modal…
ñ Les deux apparaissent à la même époque :
VI°-VIII° pour le grégorien / VII° pour le tajwîd (qui semble originaire)
Différences
:
ñ le grégorien est souvent responsorial
(soliste/collectif), le tajwîd est uniquement soliste (peut exister des approbations
collective à la fin : "Amen" ou plus spontanées…).
ñ Et voir bien sûr toutes les différences
« théologiques » rappelés dans l’argumentaire de cet exposé…
S’agirait-il alors de musicaliser le tajwîd non pas dans l’espace de la musique arabe traditionnelle (modale, métrée – ce qui n’est pas exactement dire mesurée) mais dans celui de la musique dite contemporaine ?
Musicaliser le tajwîd est une pratique aisée : cela passe par une transcription musicale comme celles que j’ai montrées ci-dessus, un passage à l’écriture qui autorise alors un travail sur le texte et des réinterprétations musicales. Rien là de mystérieux, d’impossible, d’ineffable. La difficulté n’est pas d’ordre technique. La difficulté est : quel intérêt ?
D’où la question : mon projet de faire entrer la langue arabe dans la musique contemporaine implique-t-il de musicaliser cette langue, et alors de musicaliser le mode d’expression qui porte cette langue à son potentiel maximal, à sa grandeur extrémale de langue, c’est-à-dire de musicaliser le tajwîd ?
Faire entrer dans la musique une langue arabe qui soit à hauteur du tajwîd, est-ce nécessairement la musicaliser, c’est-à-dire la chanter comme on chante en musique, singulièrement en musique contemporaine ?
Ma réponse est ici clairement : Non !
C’est cela que je voudrais argumenter maintenant pour terminer.
Je ne prétends pas qu’il n’y ait pas d’autre voie que la mienne. Je cherche simplement à tracer une voie singulière, une voie que je ne connais pas encore, une voie à inventer (et dont une étape de réalisation sera notre atelier-concert de juin prochain sur le thème de Babel).
Mon orientation est celle-ci : il s’agit de faire entrer dans la musique contemporaine une langue arabe non pas strictement tajwîdée mais ayant le tajwîd pour modèle phono-logique et ce sans pour autant la musicaliser.
Qu’est-ce à dire ?
Il s’agit de mettre cette langue sous tension : dans l’écartèlement entre un versant signifiant soutenu (il faut comprendre ce qu’elle dit et il faut que ce qu’elle dit dise vraiment quelque chose et qu’il ne s’agisse pas seulement de balbutiements, de glossolalies ou de cris) et un versant sonore se frottant à la musique.
Il s’agit non pas de chanter stricto sensu cette langue, non pas de soumettre la courbe vocale à une logique musicalement mélodique, mais d’explorer ce que je ne saurai pour l’instant mieux nommer que comme Sprech-Gesang (expression que j’inscris volontairement avec la séparation d’un trait d’union pour marquer la synthèse « disjonctive » qu’elle nomme ici, expression dont à ma connaissance n’existe aucun équivalent en langue arabe).
J’appelle ici Sprech-Gesang une ligne de crête de la musique, une frontière instable du monde-Musique, une ligne de frottement et une ligne de faille.
Une telle ligne, un tel Sprech-Gesang suppose un tracé propre à chaque langue, une logique spécifique plutôt que générale.
On voit, à ce titre, qu’elle va mobiliser, concernant la langue arabe classique et du seul côté phonologique, la dialectique des consonnes et des voyelles, celle des syllabe brèves et longues, celle du flux et du blocage, celle des appuis et des élans de la voix (ce rythme fait de pas irréguliers enveloppés dans une respiration ample qui est si intéressant à mettre en bouche et en corps).
Il s’agit donc d’inventer un Sprech-Gesang de l’arabe littéraire.
Remarques
À ce titre, il me semble essentiel de se concentrer d’abord sur le rythme plus que sur les hauteurs comme Schoenberg l’a malencontreusement fait : le point à absolument éviter est le train de croches ou de doubles croches ! Il faut ici renouer avec une notation souple comme celle des neumes qui épouse le phrasé de la voix (même si, comme on le voit bien dans le tajwîd, ce rythme n’est nullement celui de la parole ordinaire, de la communication banale).
Le point est alors : pourquoi un tel Sprech-Gesang ? Pourquoi en fin de compte faire entrer une telle langue dans la musique contemporaine s’il s’agit de tenir cette langue à l’écart du chant proprement dit ? Le Sprech-Gesang arabe ainsi visé aurait-il quelque intérêt musical d’envergure ou s’agit-il simplement de décorer une partition de quelque guirlande un peu exotique ?
S’agirait-il plus simplement de renouer avec la tradition du mélodrame ?
Ma réponse tourne ici autour de l’idée de secret. Mon hypothèse est la suivante : je crédite la langue arabe de détenir un secret que la musique pourrait – seule, peut-être - entreprendre d’avouer, du moins d’avouer à sa manière (disons : d’une autre manière que poétique – la musique en ce sens rivaliserait avec la poésie quant à l’aveu du secret d’une langue…).
Cette orientation se déploie sous l’axiome lacanien :
[2][3][4]« Ce n’est pas parce qu’on l’avoue qu’un secret cesse d’être un secret. » [36]
En effet, ce qui constitue le secret comme secret ne tient pas tant à un rapport extérieur, au fait par exemple de le dissimuler, qu’à sa constitution immanente, à son propre mode de repli sur soi, repli qui peut ainsi se voir avoué sans pour autant s’y voir défait.
Un secret n’est pas à proprement parler ce qu’on cache. Étymologiquement, secret vient du participe passé (adjectivé) du verbe latin secerno : séparer, mettre à part. Le secret est ainsi ce qui est séparé, mis à part. D’où deux manières de le comprendre : comme séparation et mise à part extrinsèque (le secret touche alors en effet au caché : à ce qui est séparé du reste, à ce qui est mis à part du rangement ordinaire) ou intrinsèque : le secret est ce qui est, de quelque manière, séparé de lui-même.
C’est ce secret intrinsèque qui m’intéresse, en particulier ici, c’est-à-dire concernant la langue arabe : la langue arabe ne cache pas et elle n’est pas cachée. Par contre elle s’organise autour d’un retrait intérieur, d’une séparation endogène.
La meilleure image d’un tel type de secret me semble celle du pli, et l’on comprend alors pourquoi avouer un tel secret n’est pas l’effacer : car déplier un pli n’efface pas pour autant le fil du repli.
Il y aurait un secret endogène de la langue arabe car il y aurait un repli ineffaçable de la langue arabe, un repli qui touche à la séparation-articulation entre sa logique sonore (sa phono-logique) et sa logique signifiante, deux logiques pour moi en tous points fascinante (j’ai commencé de m’expliquer dans un texte antérieur sur l’intérêt de la façon dont la langue arabe présente la pensée commune [37]).
Mais pourquoi alors entreprendre d’avouer un tel secret, plus encore de l’avouer musicalement ?
À mesure cette fois d’un autre axiome, venu non plus de la psychanalyse la plus contemporaine mais – heureuse rencontre - de la pensée musulmane la plus originelle et qui plus est formulée en langue arabe. Il s’agit là d’un hadith du VIe Imâm, l'Imâm Ja'far, qui déclare:
« Notre cause est un secret que seul un autre secret peut enseigner. » [38]
Soit l’idée suivante : si la musique contemporaine peut entreprendre d’avouer le secret de la langue arabe qu’elle accueille en son lit, c’est parce que cette musique compte y puiser l’énergie pour reconstituer son propre secret de musique.
Ou encore : avouer musicalement les secrets exogènes de la langue arabe, c’est travailler à reconstituer le secret endogène dont la musique contemporaine est capable, doit être capable pour rester un art.
Il ne s’agit nullement là de cacher quoi que ce soit (réaction infantile) mais de creuser un espace musical séparé de lui-même apte à composer de nouvelles écoutes. Ultimement, il s’agit donc, pour la musique contemporaine, de tirer parti d’un secret musicalement hétérogène (en l’avouant sans le dilapider [39]) en sorte de cultiver son propre secret.[5][6][7]
[1] Première Année de Chant Grégorien, Dom Eugène Cardine (Institut pontifical de musique sacrée, Rome, 1975)
[2] Les règles du tajwîd simplifiées (Manuel d’apprentissage destiné aux élèves des écoles coraniques), Yahia al Ghoutani (Sana, 2009)
[3] « Chapitre I : La notation grégorienne dans nos livres. »
[4] « Les règles du nûn et du mîm non vocalisés, du tanwîn et du râ, … » (où « nûn », « mîm », « râ », « tanwîn » nomment des lettres de la langue arabe).
[5] Dans les publications contemporaines, cette notation se fait selon un code de couleurs affectant certaines lettres : le rouge pour l’allongement, le bleu pour l’emphase, le vert pour la nasalisation, le gris pour la non-prononciation…
[6] Elle ne saurait durer plus de 8 fois la valeur brève (soit une ronde si la brève vaut une croche)
[7] L’intérêt de ces transcriptions – on en présentera durant la séance – est patent pour mieux saisir les différents mélismes ainsi produits. Mais une chose est de comprendre la structuration musicale possible de la cantillation coranique, une autre est de la prôner comme autonomisation de ce chant, comme prescription venant violenter la logique non musicale de cette cantillation.
[8] Michel Foucault (7 janvier 1976) : « Que le travail que je vous ai présenté ait eu cette allure à la fois fragmentaire, répétitive et discontinue, cela correspondrait bien à quelque chose qu’on pourrait appeler une “paresse fiévreuse”, celle qui affecte caractériellement les amoureux des bibliothèques, des documents, des références, des écritures poussiéreuses, des textes qui ne sont jamais lus, des livres qui, à peine imprimés, sont refermés et dorment ensuite sur des rayons dont ils ne sont tirés que quelques siècles plus tard. Tout cela conviendrait bien à l’inertie affairée de ceux qui professent un savoir pour rien, une sorte de savoir somptuaire, une richesse de parvenu dont les signes extérieurs, vous le savez bien, on les trouve disposés en bas des pages. Cela conviendrait à tous ceux qui se sentent solidaires d’une des sociétés secrètes sans doute les plus anciennes, les plus caractéristiques aussi, de l’Occident, une de ces sociétés secrètes étrangement indestructibles, inconnues, me semble-t-il, dans l’Antiquité et qui se sont formées tôt dans le christianisme, à l’époque des premiers couvents sans doute, aux confins des invasions, des incendies et des forêts. Je veux parler de la grande, tendre et chaleureuse franc-maçonnerie de l’érudition inutile. » (Il faut défendre la société, 1976 ; Hautes Études / Gallimard-Seuil, p. 6)
[9] Redisons-le : un musicien (soit, par définition, celui qui fait de la musique) ne se soucie nullement de définir la musique, pas plus que l’amant (faisant l’amour), le militant (faisant de la politique), le working mathématician ne se soucient respectivement de définir l’amour, la politique ou la mathématique…
[10] Rappel. En matière de langue arabe, il convient de distinguer trois (et non deux) types de situation : la langue arabe classique (ou littéraire) qui est exemplairement celle du Coran ; la langue arabe moderne (ou standard) qui est exemplairement celle des médias ; les arabes dialectaux (leur décompte dépend des critères retenus en matière de « compte-pour-un ») qui constituent les seules langues maternelles effectives.
[11] Leur caractère profondément troublé concerne aussi bien la musique (entendue ici comme art universel, non comme émiettement de cultures particulières) que plus largement l’humanité en son destin politique commun…
[12]
Cet « adornisme » est démarqué de la réflexion suivante d’Adorno : « L’art a besoin de quelque chose qui
lui est hétérogène pour devenir art. » ‘Kunst bedarf eines ihr Heterogenen, um es zu
werden.’ (L’art et les arts, 1966).
Paul
Celan a, pour son propre compte, remarqué lui aussi cet énoncé (voir le relevé
minutieux de sa bibliothèque : La bibliothèque philosophique de Paul
Celan – Catalogue raisonné ; éditions rue d’Ulm, 2004 - p. 263).
[13] Il faut défendre la société, 1976 ; Hautes Études / Gallimard-Seuil, p. 6
[14] J’étudie le tajwîd à la Mosquée de Paris avec Cheykh Tahir.
[15] Louis Massignon disait qu’il fallait cinq ans de travail (et l’on sait ce que pour lui travail voulait dire comme concentration acharnée) pour connaître un peu d’arabe : je commence ma troisième année d’arabe à la Mosquée de Paris à raison de trois heures par semaine ; autant dire que je ne connaîtrai « un peu d’arabe » que dans vingt ans…
[16] Je dois ici rendre hommage aux musulmans qui acceptent si généreusement de m’accueillir pour me transmettre leur savoir, un savoir qui pour eux est d’autant plus précieux qu’il est au cœur de leur foi. En ces temps d’islamophobie, où ridiculiser les musulmans et leur religion l’Islam est devenu un fond de commerce nauséabond, tant journalistique qu’électoral, il m’importe de relever la grandeur de cette foi, de ceux qui la soutiennent, et d’un livre sacré – le Coran – qui n’a rien à rendre à celles de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Parole d’athée !
[17]
Racine : جَادَ = être
excellent, parfait => forme II : جَـوَّدَ = améliorer
[18] masdar (substantivation) de la forme verbale II de la racine exprimant l’idée du grand : ك ب ر
[19] comparatif (et pas superlatif)
[20]
Le mot Dieu (YHWH) intervient ici en fin
de mot, et l’écho du mot Allah
peut s’y entendre (tout de même que Babel = la porte de Dieu : babu
’ilah بَـبُ إِلَـهِ).
Les arabes chrétiens utilisent halilûyâ ou
halîlûyâ ( هَـلِـلُويَا /
هَـلِيـلُويَا ) où le mot dieu/Dieu ne
s’entend pas.
[21]
εab-du/l-bâs-iT εab-di/S-Sa-mad
[22] ou 10, ou 14…
[23] † 860, Bassora
[24] 728-812, Médine
[25] La communauté de vos ancêtres…
[26] traduction personnelle
[27] en raison de leur redoublement (cf. chadda)
[28]
maH-mûd
Xa-lîl al-Hu-Sa-rî
[29]
εab-du/l-bâs-iT εab-di/S-Sa-mad
[30]
mi-châ-rî
ibn ra-chid al-εafâ-sî
[31]
sa-εad ibn sa-εîd al-Râm-dî
[32]
εa-lî
al-Hu-zay-fî
[33] Sicut musica credit principia sibi tradita ab arithmetico, ita sacra doctrina credit principia revelata sibi a Deo (Somme théologique ; Dieu ; Question 1, article 2)
[34] Au passage, ce point relève le caractère hétéroclite de ce catalogue se voulant universel : ses critères sont forcément disparates et l’inventaire prend un petit tour analogue à celui par lequel Michel Foucault ouvre Les mots et les choses…
C’est sans doute le prix à payer d’une musicologie se présentant comme impériale (lors même que son cadre propre de pensée est singulièrement sans transcendantal) et ambitionnant somme toute (c’est là la conclusion de l’article, soit un projet de généralisation – tenant lieu d’universalisation- qui prend figure de fuite en avant) de « documenter tout son comme musical, toute musique comme objet sonore » (p. 13).
[35]
Cf. les deux préfaces, longue en
français, plus courte en latin…
[36] Séminaire VIII (Le transfert, 1960-1961, Seuil), p. 16
[37] Pourquoi s’intéresser en musicien à la façon dont la langue arabe présente la pensée commune (ou les secrets de la langue arabe qu’une musique pourrait entreprendre d’avouer…) - Hypothèses de travail pour les rencontres musique contemporaine & langue arabe des 13-15 avril 2011
[38] Cité par Henri Corbin dans son Histoire de la philosophie islamique (p. 68)
[39] La directive est : « Violenter musicalement la langue arabe (en la forçant parfois à dire ce qu’elle ne veut pas dire, en la contraignant parfois à une manière de dire qui la prend à rebrousse-poil) ? Sans doute, mais ne jamais la brutaliser ! »
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