UN CINƒMATOGRAPHE HƒTƒROPHONIQUE

 

PROGRAMME

Ouverture : AujourdĠhui le cinŽmatographe ? RŽponse ˆ une phrase de Bazin

1. Pas une histoire : cinŽma muet / cinŽma parlant / cinŽma sonore

2. Un Žclairage du cinŽmatographe par la musique : lĠhŽtŽrophonie ?

Entracte dŽmonstratif : Projection dĠun film : Ç Annoncer le cinŽmatographe È

3. Tenir ensemble le sŽparŽ : exemple dĠun film ˆ venir

Final en forme dĠouverture : Vive le cinŽmatographe !

 

 

 

Ouverture :

 

Il faut ds le dŽpart clarifier un point, cinŽmatographe pour moi ne sĠoppose pas ˆ cinŽma, il est le nom dĠune certaine faon de penser le cinŽma. Si je devais faire une comparaison avec la musique, je dirais que le cinŽmatographe est au cinŽma ce que la musique savante  est aux autres musiques, mais il vaut mieux pour la musique, diffŽrencier comme le fait Franois Nicolas, Musique-art de Musique-culture. Il me semble que personne nĠobjecte ˆ la musique dĠavoir un champ de recherche spŽcifique. Nous sommes bien obligŽs de constater que pour le cinŽmatographe cela para”t moins Žvident. JĠespre par cette intervention pouvoir clarifier ce point et contribuer ˆ ouvrir un espace dans le cinŽma pour faire entendre encore une fois lĠidŽe du cinŽmatographe.

Pour ma part je ne choisis pas le mot cinŽma-art, le mot art me semble problŽmatique, il est je crois, un mot du philosophe et pas celui du cinŽaste. Au moment de faire un film, je ne me pose pas la question de savoir si je fais de lĠart ou pas, je fais un film et puis cĠest tout.

Le cinŽaste peut aprs-coup se demander ce quĠil a fait, cĠest alors ce quĠon peut appeler son intellectualitŽ. Plusieurs cinŽastes ont cherchŽ ˆ identifier la singularitŽ de leur pratique par des mots, et tenter de nommer leur dŽcouverte, de lui donner un nom. ƒvidemment en premier lieu Bresson, mais bien dĠautres aussi, avant et aprs lui. Quand je dis quĠil y en a dĠautres, je pense par exemple ˆ Pasolini qui, lui, a eu une autre faon de dŽsigner cette singularitŽ, il ne lĠa pas appelŽ cinŽmatographe mais cinŽma de poŽsie quĠil diffŽrencie du cinŽma de prose. Prose et poŽsie sont des catŽgories littŽraires, qui peuvent tre utiles pour apprŽhender ce quĠest le cinŽmatographe, mais elles me paraissent aussi, trop ŽloignŽes, trop extŽrieures au cinŽma.

Le terme CinŽmatographe choisi par Bresson me semble plus appropriŽ et invite ˆ penser dans les catŽgories internes ˆ cette discipline. Entre cinŽma et cinŽmatographe, il nĠy a quĠune diffŽrence infime, quĠun lŽger dŽplacement, un dŽcadrage, voire une extension.                                                                                                                                                                                          i

­Ce qui chez Bresson mĠintŽresse beaucoup dans la faon quĠil a de nommer sa pratique, cĠest quĠil assigne le cinŽmatographe ˆ la jeunesse, ˆ ce qui commence, au nouveau, voire ˆ lĠinconnu. La t‰che du cinŽaste, est avant tout, de faire avancer sa discipline, de la pousser dans des territoires inconnus, Ç dans ses retranchements È comme dit Straub et par lˆ ouvrir de nouveaux champs de connaissances. Le cinŽaste au regard de son film se dit ˆ chaque fois : pourquoi ai-je fait a ? Et donc dĠune certaine manire aussi : quĠest-ce que le cinŽmatographe ?

CĠest en dŽfinitive ce que je vous propose que nous fassions ensemble, une enqute sur cette question.

 

Je voudrais aussi que cette intervention soit une sorte de rŽponse ˆ la phrase dĠAndrŽ Bazin que lĠon trouve dans son ouvrage majeur : QuĠest-ce que le cinŽma ?

La voici : Ç En attendant que la couleur ou le relief rendent provisoirement la primautŽ ˆ la forme et crŽent un nouveau cycle dĠŽrosion esthŽtique, le cinŽma ne peut plus rien conquŽrir en surface. Il lui reste ˆ irriguer ses rives, ˆ sĠinsinuer entre les arts dans lesquels il a si rapidement creusŽ ses gorges, ˆ les investir insidieusement, ˆ sĠinfiltrer dans le sous-sol pour forer des galeries invisibles. Le temps viendra peut-tre des rŽsurgences, cĠest-ˆ-dire dĠun cinŽma indŽpendant du roman et du thŽ‰tre.È.

 

Il semble que le cinŽma actuel dans sa grande majoritŽ en est lˆ, dans ce que les gens de la revue LĠart du cinŽma appellent un cycle nŽoclassique. Il est vrai que le cinŽma aujourdĠhui nĠhŽsite pas ˆ sĠinfiltrer dans les autres arts, ˆ les utiliser, voire ˆ les totaliser. Il est vrai que le cinŽma a une capacitŽ de synthse extraordinaire et que cela lui donne potentiellement la puissance dĠun art total. JĠose penser pourtant, comme le suggre Bazin, quĠil est possible que le cinŽmatographe ait une autre vocation, quĠil trouve en lui de nouvelles forces pour rŽaliser de nouveaux films. Je crois dĠailleurs quĠil existe dŽjˆ de nombreuses tentatives, mais que simplement elles ne sont pas majoritaires dans la production de notre dŽbut du XXI me sicle. Mais le cinŽmatographe nĠaspire pas ˆ lĠhŽgŽmonie, il a existŽ, il existe et il existera certainement, mais toujours rarement et de faon sŽquentielle.

Je voudrais encore prŽciser quĠil ne sĠagit pas pour moi de revendiquer un cinŽma pur, dĠavant-garde, qui fait table rase du passŽ. Simplement je crois que le cinŽmatographe se dŽfinit par un faire singulier, des exigences singulires et quĠil procde de synthse en synthse pour tenter de faire de nouvelles dŽcouvertes. Ce qui dŽcide au final de la vivacitŽ du cinŽmatographe, cĠest toujours les films eux-mmes et non pas des idŽes abstraites revendiquŽes de faon plus ou moins pŽremptoire.

Je laisse aussi de c™tŽ les catŽgories dĠart pur et dĠart impur inaugurŽes par Bazin et  poursuivies par Badiou et les gens de LĠart du cinŽma. Ces catŽgories, personnellement, ne mĠaident pas ˆ penser mon travail, et jusquĠˆ aujourdĠhui ne mĠont pas apportŽ beaucoup dĠŽclaircissements. Cela est certainement liŽ ˆ lĠapproche qui me para”t lˆ encore, trop gŽnŽrale.

 

 

1. CinŽma muet / cinŽma parlant / cinŽma sonore

 

Je ne prends Žvidemment pas le parti de vous faire une histoire du cinŽma, de son Žvolution jusqu'ˆ nos jours. Je voudrais simplement vous dire quelques mots sur lĠidŽe que je me fais sur le fameux passage du cinŽma muet au cinŽma sonore. Vous verrez que cette sŽquence historique risque dĠtre dŽterminante pour notre propos dĠaujourdĠhui. Il est Žvident, tout dĠabord, que le mot muet est une faon de dŽsigner un manque a posteriori, qui nĠŽtait pas obligatoirement ressenti comme tel quand le cinŽma Žtait dŽpourvu de bande-son. 

Je voudrais ds le dŽpart, et pour cette occasion, considŽrer que la notion de voix musicales peut tre matŽrialisŽe au cinŽmatographe, par deux ŽlŽments minimums qui le constituent, celui de lĠimage et celui du son. Deux voix qui, ˆ mon avis, existaient dŽjˆ dans le cinŽma des premiers temps. Je voudrais montrer quĠau tout dŽpart, le cinŽma nĠŽtait finalement pas si muet que cela et que la seule chose qui Žtait vraiment muette, cĠŽtait lĠŽcran sur lequel Žtaient projetŽes les images.

Le cinŽmatographe primitif, sorti directement des foires, Žtait le lieu de plusieurs expŽrimentations. Il nĠa durŽ que quelques annŽes, jusquĠen 1914 o les salles ont commencŽ ˆ se spŽcialiser. Il y avait donc ˆ cette Žpoque, des prises de parole en direct, des musiciens jouant ˆ c™tŽ de lĠŽcran, des confŽrences en parallle, le bruit des spectateurs qui nĠhŽsitaient pas ˆ parler, ˆ faire des commentaires en direct plus ou moins bruyants. Il y avait aussi le bruit des rues environnantes, parce que les salles Žtaient mal insonorisŽes. On trouve des tŽmoignages relatant que, parfois lors de la projection dĠun film, des lions rugissaient dans la mŽnagerie dĠˆ c™tŽ. Je vous propose de lire un tŽmoignage de lĠŽpoque que lĠon trouve dans un livre trs intŽressant Žcrit par Martin Barnier et ŽditŽ par les presses universitaires de Rennes : Ç Bruits, cris, musiques de films, les projections avant 1914 È page 65.

Comme on peut lĠentendre dans ce texte, une grande multiplicitŽ de propositions sĠentrechoquait, autant dans la composition gŽnŽrale des sŽances que lors des projections elles-mmes. On ressent quelque chose de lĠatmosphre dĠun commencement, qui tŽmoigne de la naissance dĠune discipline. En passant, je voudrais dire que les sŽances Qui-vive que nous organisons Franois Nicolas et moi au CinŽ 104 ˆ Pantin tous les trimestres, ont quelque chose ˆ voir avec cet enthousiasme des dŽbuts. Par les diffŽrentes expŽriences que nous y faisons : le doublage en direct des images ˆ lĠŽcran, les films avec une partie de lĠaction se dŽroulant dans la salle, le rapport sans mŽlange entre musiques et images, les confŽrences de mathŽmatique au pied de lĠŽcran, lĠŽcoute de la musique sur Žcran noir, les scnes dĠamour dans le publicÉ

 

Il me semble donc que le cinŽma des premiers temps, nĠŽtait donc pas rŽellement muet mais que simplement les sons, les bruits nĠŽtaient pas synchronisŽs avec la bande-image. 

Il y a eu trs vite aprs cette pŽriode bouillonnante, des cinŽastes qui ont su faire arriver, malgrŽ lĠabsence de bande-son, le sentiment du son. Le son Žtait dĠune certaine manire intŽgrŽe dans les plans. Je tiens cette idŽe des travaux de mon ami et camarade, Emmanuel Soland, qui fait la phonographie des films que nous rŽalisons Sol Suffern-Quirno et moi.

Il y a par exemple dans la sŽquence dĠun film de Chaplin, au second plan, un vendeur de journaux qui crie aux passants, alors quĠau premier plan une action, qui nĠa rien ˆ voir, se dŽroule. Cette disposition a pour effet de produire un son quĠon pourrait appeler son visuel. Il y avait aussi dans les films de cette Žpoque, des images sonores qui venaient sĠintroduire entre deux actions. Pensez aux images de sirnes dĠun bateau dans les films soviŽtiques de cette pŽriode qui surgissent comme un bruit. Les cinŽastes connaissaient bien sžr aussi ce que produit la valeur dĠun plan sur le son. Un gros plan donne une sonoritŽ plus forte quĠun plan dĠensemble, qui lui, a une sonoritŽ plus faible, plus diffuse. Bref, le cinŽma des dŽbuts nĠŽtait pas du tout muet, et les cinŽastes avaient une pratique du montage et du cadrage qui leur permettait que le son ne soit jamais absent de leurs films. 

Enfin les Žvolutions techniques ont permis aux films de se munir dĠun son synchrone et cĠest ainsi que finalement les Žcrans se sont mis ˆ parler. La salle de cinŽma a alors ŽvoluŽ vers une acoustique qui ressemble ˆ celle dĠaujourdĠhui, rigoureusement insonorisŽe. Le cinŽma dans sa grande majoritŽ est devenu plut™t parlant que sonore.

Ce qui mĠintŽresse dans ce cinŽma des dŽbuts, cĠest que tout Žtait lˆ potentiellement depuis le dŽpart. Le cinŽmatographe contenait finalement en lui deux dŽveloppements possibles : la capacitŽ dĠtre une discipline Žminemment originale par sa faon de faire travailler lĠhŽtŽrogŽnŽitŽ qui existe entre son et image, ou bien produire des paroles, redoublŽes par des images projetŽes sur lĠŽcran.

CĠest pour cela quĠil faut, il me semble, sŽparer le cinŽma sonore du cinŽma parlant. Le cinŽma parlant a eu tendance ˆ unifier les deux voix, son et image, en une voix principale organisŽe autour de la parole. On pourrait dire que la direction horizontale a prŽdominŽ sur la direction verticale, comme en musique on dit que la mŽlodie peut dominer lĠharmonie. Nous pouvons considŽrer alors que le cinŽma parlant a une tendance homophonique, une seule voix principale qui rŽduit les autres voix ˆ un r™le dĠaccompagnement. CĠest ainsi que la linŽaritŽ du rŽcit ou que lĠintrigue psychologique, matŽrialisŽe par les dialogues sont devenues le point central de la plupart des films. 

 

Mon point de dŽpart rŽel pour penser le cinŽmatographe est celui que mĠoffre Bresson. Il est le premier ˆ vŽritablement formuler lĠidŽe dĠun cinŽmatographe sonore ŽmancipŽ du cinŽma parlant. Et dans ces conditions, le cinŽmatographe de Bresson poursuit dĠune certaine manire le cinŽma sonore des premiers temps. Il radicalise lĠidŽe que le cinŽmatographe comporte deux voix absolument distinctes, et fait de lui la discipline qui compose avec deux dimensions : image et son. Si le cinŽma primitif nĠŽtait pas muet mais bien sonore, le cinŽmatographe lĠest aussi. Bresson y ajoutera un ŽlŽment essentiel, inconnu du cinŽma des dŽbuts : le silence.

Je vous rappelle la note de Bresson : Ç LE CINƒMA SONORE A INVENTƒ LE SILENCE È

Cette conception des voix au cinŽma permet quĠune direction verticale puisse exister, une conception harmonique des films. Bresson ouvre une nouvelle lignŽe de cinŽastes et surtout une nouvelle faon de rŽaliser des films, Godard et Straub/Huillet sont ˆ mon avis, les premiers vŽritables successeurs de cette idŽe du cinŽmatographe.

 

2. ƒclairage du cinŽmatographe par la musique 

 

Dans mon programme, je livre une phrase de Pessoa que je vous lis : Ç CĠest la qute de qui nous sommes, menŽe au lointain / De nous-mmes È. Il me semble intŽressant ˆ lĠoccasion de ce sŽminaire de mettre ˆ lĠŽpreuve le cinŽmatographe par la musique. Je ne suis pas musicien, mais la collaboration avec Franois Nicolas, depuis presque trois ans dŽjˆ, mĠa rapprochŽ de toutes ces questions, et mĠoblige ˆ avancer de faon nouvelle dans ma manire de penser le cinŽma. La musique est finalement loin de ma pratique, mais cĠest cela qui semble intŽressant, confronter sa discipline ˆ une autre, et voir les Žtincelles que cela produit.

Je voudrais donc que lĠon rŽflŽchisse sur quelques ŽlŽments dŽterminants de la pratique de Bresson, Godard et Straub/Huillet, en sĠinspirant de trois notions musicales : le contrepoint, la polyphonie, la dissonance et lĠhŽtŽrophonie.

 

Bresson et le contrepoint

 

Bresson, comme je le disais, est celui qui va radicaliser lĠidŽe que le son et lĠimage sont deux voix distinctes, deux bandes absolument sŽparŽes, une sĠadressant ˆ lĠoreille et lĠautre ˆ lĠÏil. Il apporte lĠidŽe que le son et lĠimage doivent tre chacun dans une dimension diffŽrente. LĠimage doit assumer dĠtre en deux dimensions, pour que le son fasse la troisime. LĠidŽe de Bresson est que le son est celui qui donne le relief ˆ lĠimage, qui lui donne une perspective paradoxale.

Pour cela il va, comme il dit lui-mme, Ç aplatir les images È, bien montrer quĠil est question dĠimage en deux dimensions, rŽduire les effets de perspective, par diffŽrents procŽdŽs. Celui par exemple du plan serrŽ qui limite considŽrablement le second plan dans lĠimage. Il va aussi, par un travail de lumire et par lĠutilisation dĠun objectif unique, le 50 mm, Žviter que lĠimage ait une profondeur de champ, ce qui fait que les images sont souvent nettes au premier plan et floues au deuxime. Il va aussi procŽder ˆ une unification des couleurs, ou des noirs et blancs. Les couleurs sont peu saturŽes, les noirs et blancs sont peu contrastŽs, un gris gŽnŽral rŽsulte des images. 

Le son en revanche donne lĠespace, le volume dĠune gare ou dĠun champ de courses dans Ç Pickpocket È par exemple. Le son se dŽploie dans lĠespace et matŽriellement remplit la salle de cinŽma. Il est dĠailleurs projetŽ par les enceintes, vers nous, dans un mouvement inverse aux images, qui elles, sont projetŽes depuis lĠarrire pour sĠaplatir devant nous, contre lĠŽcran.

Je vous rappelle aussi que Bresson enregistre aprs-coup les voix de ses modles, dans un lieu o rgne une pŽnombre, et surtout sans quĠils aient la possibilitŽ de voir les images qui ont ŽtŽ tournŽes prŽalablement avec eux. Ce nĠest pas une postsynchronisation classique, mais un travail trs singulier, loin de tout naturalisme. Les voix des modles ne cherchent pas ˆ imiter ce qui se passe ˆ lĠimage comme on peut lĠentendre dans les films doublŽs au cinŽma. Lˆ, il sĠagit au contraire de mettre en valeur la sŽparation, les deux voix du cinŽmatographe : les images et les sons.

Cela produit une sorte de libŽration des voix sonores, celles des bruits et des paroles, qui ne sont plus du tout lˆ pour accompagner, ou pour doubler lĠimage. Les sons et les images des films de Bresson sont donc pensŽs comme une Žcriture en contrepoint, le dŽcalage est obtenu par le jeu dĠune ou de plusieurs voix en Ç contre chant È, comme en musique on superpose des lignes mŽlodiques.

Il est Žvident que dans ces conditions, le montage pour Bresson nĠest pas simplement entendu comme un montage des images entre elles, mais aussi comme un montage entre images et sons, un montage qui fait entendre le phrasŽ de deux voix, qui nous fait vivre simultanŽment et de faon sŽparŽe ce qui est destinŽ ˆ lĠoreille et ce qui est destinŽ aux yeux. Entre ouie et vue, il y a un montage, qui produit une Žcoute et une vision perues sŽparŽment malgrŽ leur simultanŽitŽ.

 

LĠunitŽ chez Bresson ?

 

Il est intŽressant dans ces conditions de savoir comment Bresson rŽussit ˆ faire que ses films trouvent une unitŽ. Il est Žvident quĠils contiennent en eux du rŽcit, quelque chose nous est racontŽ, mais il me semble pourtant que ce nĠest pas cela qui donne lĠunitŽ qui se dŽgage si fortement des films.

Ce qui me semble que plus dŽterminant, cĠest la faon quĠil a de composer en vis-ˆ-vis ces deux voix, image et son, quĠil sĠest appliquŽ ˆ constituer sŽparŽment. Il leur trouve un ordre pas ˆ pas, plan par plan comme pour le contrepoint musical. La polyphonie rŽsulte dĠun tressage prŽcis des voix entre elles, et constitue une pluralitŽ homogne. Comme Bresson le dit lui-mme : Ç dans un film, le son et lĠimage avancent paralllement, se devancent, reculent, se retrouvent ensemble et repartent la main dans la main. Ce qui mĠintŽresse ˆ lĠŽcran cĠest le contrepoint. È   

Bresson a menŽ si loin cette pratique du contrepoint au cinŽma — qui en dŽfinitive est une faon singulire de faire du montage — que cela lui a donnŽ lĠidŽe peut-tre quĠil Žtait possible de baptiser sa pratique dĠun autre nom. Les films quĠil a rŽalisŽs enfermaient en leur sein le germe dĠune transition vers une possibilitŽ renouvelŽe du cinŽmatographe. Godard a bien compris le message de cette note de Bresson, Ç Images et sons se fortifient en se transplantant È.

 

 

Godard et la polyphonie dissonante

 

Pour parler du travail de Godard jĠaimerais prendre pour point de dŽpart lĠŽvŽnement esthŽtique que jĠai vŽcu devant son avant-dernier film : Film socialisme. JĠai entendu et vu dans ce film quelque chose que je nĠavais jamais entendu et vu au cinŽma ˆ ce point. Je veux dire, la mise en Žvidence du dispositif singulier du cinŽmatographe : un Žcran avec des enceintes derrire. Dans ce film, les sons sont localisŽs derrire lĠŽcran de faon extrmement matŽrielle, ils donnent parfois le sentiment de dŽchirer lĠŽcran par le traitement sauvage des bruits et la faon violente quĠils ont de passer dĠune enceinte ˆ lĠautre. Il y a dans ce film une barbarie du traitement de la stŽrŽo, les sons passent par exemple, de droite ˆ gauche ou de gauche ˆ droite en plein milieu dĠun dialogue. LĠŽcran et les enceintes deviennent des objets palpables, et le montage devient un agencement de toutes ces surfaces : surface de lĠŽcran et surface des membranes des enceintes.

Dans Film socialisme il y a une superposition des bruits, de la musique, des voix et des images, plus radicale que ce qui existait dans les films prŽcŽdents de Godard. Il y a de nombreux passages o des parties indŽpendantes se meuvent sans se soucier de savoir si leur superposition produira ou non quelque chose de comprŽhensible.

Cette faon de traiter le son et lĠimage produit ce que lĠon pourrait appeler des dissonances cinŽmatographiques. Il y a bien donc, lˆ aussi, Žmancipation des images et des sons. Mais lĠintroduction de la dissonance propose au public dĠavoir une intelligibilitŽ nouvelle sur ce quĠest un film de cinŽma. En dŽfinitive les films de Godard proposent une extension de lĠintelligibilitŽ du cinŽmatographe, comme ce fut le cas en musique avec Schoenberg qui donna ˆ la dissonance la mme intelligibilitŽ quĠˆ la consonance.

Le travail des films de Godard devient celui de crŽer des accords nouveaux entre des plans sonores et des plans images pris dans leur autonomie. Ils ne sont plus simplement agencŽs dans leurs continuitŽs, mais dans un rapport vertical et cela sur plusieurs niveaux. Il a une faon de relier les voix-images et les voix-sons sans vouloir les commenter, il y a comme une libre association des voix. Il les lie les uns aux autres sans utiliser les modes traditionnels dĠarticulation, les objets sont sŽparŽs de leurs sons et vivent dans leur autonomie. De nouvelles physionomies cinŽmatographiques apparaissent, de nouvelles textures de plans sonores et images, superpositions dĠimages, superpositions de paroles/bruits/musiques et donc de nouvelles  faons de les monter entre elles.

Il me semble quĠAdieu au langage mne encore plus loin la faon de construire des plans et dĠassurer leurs liens de parentŽ, leurs articulations, leurs combinaisons. Les paroles sont hachŽes, sŽparŽes des corps qui les Žnoncent ˆ lĠimage, les successions des sons sont dŽconcertantes, les agrŽgats de bruits sont Žtranges. Il y a des coupes et des ellipses toujours plus marquŽes et plus inattendues qui sont proposŽes sans cohŽrence apparente, ainsi que des ŽlŽments toujours plus lointains liŽs entre eux. Il y a des sauts temporels et spatiaux jusque-lˆ encore inemployŽs, des progressions dĠintervalles insolites, des changements de rythme et des changements dĠambiance dans le mme plan. On pourrait dire quĠAdieu au langage est une sorte de catastrophe rythmique.

­

Alors lĠunitŽ chez Godard ?

 

Avec ces deux films de Godard, incontestablement est nŽe la possibilitŽ de faire tenir un film de manire nouvelle. De lui donner un Žquilibre par des moyens qui Žtaient jusque-lˆ inconnus.

Le montage devient prŽdominant, il est celui qui ordonne une succession dĠaccords consonants et dissonants, produits par les sons et les images superposŽs. Le montage est celui qui en dŽfinitive organise le phrasŽ. Je dirais que chez Godard le montage est une composition-improvisation, comme on peut la trouver dans le jazz.

Dans Adieu au langage, le titre est lĠŽlŽment dŽclencheur, le thme que Godard se donne, et cĠest ˆ partir de lui quĠil va organiser le film. Le mince argument narratif ne contribue pas ˆ lĠunitŽ du film, tout comme il ne construit pas son film par tableaux comme il a pu le faire ailleurs. Le titre Ç Adieu au langage È contient toutes les possibilitŽs dĠun film, comme un thme condense des possibilitŽs infinies de dŽveloppement. Le dŽploiement de ce titre cĠest cela le film de Godard et cĠest cela en mme temps qui donne son unitŽ. Il est une prŽsentation dans le temps de la faon quĠa Godard de parcourir ce titre. Adieu au langage du point de vue de sa composition, est un film fait ˆ la main, de proche en proche qui ne donne jamais accs ˆ une vision globale. Le film se joue entirement ˆ lĠendroit du montage et dans sa  puissance rythmique.

                                                                                                                                                                                 autre, ou par composition ˆ partir de lieux de tournage spŽcifique.

Ce film est finalement le plus avancŽ dans sa filiation dŽclarŽe avec le cinŽma de Dziga Vertov. Dans Adieu au langage, Godard atteint de faon radicale ce que Vertov prŽconisait dans son cinŽ-Ïil. Je vous lis un passage du manifeste de 1923.

 

 

Straub/Huillet : lĠhŽtŽrophonie

 

Pour Straub/Huillet, je voudrais me concentrer sur une notion bien spŽcifique de leur travail, celle du direct, cĠest-ˆ-dire le principe inviolable chez eux de toujours enregistrer son et image en mme temps. Dans leur cas, il sĠagit dĠenregistrer trois voix autonomes au mme moment, celle des images, celle des bruits et celle de la voix humaine, voire de la musique. Les bruits, lĠespace, la lumire, la parole des acteurs se tiennent ensemble dans le mme plan. Je voudrais montrer que bizarrement ce procŽdŽ dĠunification ˆ lĠenregistrement, ouvre peut-tre une voie ˆ lĠhŽtŽrophonie cinŽmatographique.

Il faut pour comprendre cela, faire rapidement un tour sur les exigences que demande chaque ŽlŽment de la composition du film :

- Tout dĠabord le travail sur le texte quĠils ont choisi pour leurs films et la diction des acteurs. Le texte est volontairement arrachŽ de la page Žcrite et rythmŽ indŽpendamment des ponctuations de sens et de syntaxe. Il y a un travail avec la personne pendant plusieurs mois sur le phrasŽ, travail qui sĠappuie sur la respiration, tout autant que sur la matire des mots et sur le sens des phrases.   

- Deuximement un travail sur lĠespace, la place de la camŽra et du micro, en fonction du lieu dans lequel il vont tourner, dŽcision abstraite  ˆ laquelle ils se tiendront tout le temps du tournage.

- Finalement le jour de lĠenregistrement, du Ç filmage È comme ils disent, les conditions particulires, bruits environnants, lumire, soleil ou pas, vent ou pas, ne seront pas ŽvitŽes, mais au contraire seront des ŽlŽments dŽterminants pour constituer les diffŽrents plans du film.

Le direct pour eux cĠest rassembler au tournage tous ces ŽlŽments hŽtŽrognes. La parole, lĠimage, les bruits environnants, sont enregistrŽs en mme temps, pour constituer des plans hermŽtiques dont les ŽlŽments qui les constituent ne pourront plus jamais tre sŽparŽs. Ce qui est enregistrŽ a ŽtŽ minutieusement prŽparŽ en amont, dans des lieux diffŽrents, mais leur assemblage se fait dans le temps du tournage, avec tout ce quĠil a dĠimprŽvisible.

Un tressage serrŽ dĠŽlŽments hŽtŽrognes se constitue en direct, se rŽunit dans lĠunitŽ dĠun plan quĠils appellent Ç bloc È, et que lĠon pourrait qualifier de bloc hŽtŽrophonique.

Chez Straub/Huillet, et cĠest ce qui les rend si radicaux, lĠharmonie est remplacŽe par une pensŽe hŽtŽrophonique. Certains de leurs plans, la faon quĠils ont de les faire se succŽder, donne ˆ certains de leurs films une dimension barbare. Il y a dans leur faon de constituer chacun des plans son-image, autre chose quĠune superposition des voix comme chez Godard ou Bresson. Ë travers le dispositif quĠils crŽent, se produit une sorte de synthse hŽtŽrophonique dĠŽlŽments disjoints, que Straub appelle lui-mme : Ç un tissu dialectique dĠŽlŽments hŽtŽroclites È .

 

LĠunitŽ chez Straub/Huillet ?

 

CĠest pourquoi  chez Straub/Huillet ce qui est le plus dŽterminant pour obtenir lĠunitŽ dĠun film, est moins le montage, que le dŽcoupage. DŽcoupage du texte dĠabord et ensuite, dŽcoupage du texte en plans. Ce travail en amont sur les plans va impliquer des places prŽcises de camŽra et de micro, comme le choix rigoureux des objectifs qui vont tre utilisŽs. Toutes ces dŽcisions prises avant le tournage sont ce qui produit lĠunitŽ du film. CĠest une dŽmarche plus globale, qui fait cette fois plus penser ˆ Eisenstein quĠa Vertov, dans sa faon de concevoir chaque plan comme un ŽlŽment participant ˆ une structure plus gŽnŽrale.

Mais ˆ la diffŽrence dĠEisenstein, qui considre que chaque plan du film doit dŽtenir potentiellement lĠintŽgralitŽ du film, un tout considŽrŽ sous un angle particulier, les blocs montŽs des films de Straub/Huillet dŽtiennent en eux une diversitŽ infinie. Chaque plan est hŽtŽrogne dans sa composition interne et de ce fait, les plans sont radicalement hŽtŽrognes entre eux. La composition gŽnŽrale du film nĠannule pas ce qui dans chaque plan a fait ŽvŽnement, ce qui est irrŽpŽtable et qui le rend radicalement singulier. 

 

 

Entracte dŽmonstratif :

Projection du film : Annoncer le cinŽmatographe de Sol Suffern-Quirno et Rudolf di Stefano, 2015, 16 minutes.

 

 

3. Tenir ensemble le sŽparŽ : exemple dĠun film ˆ venir

 

AujourdĠhui gr‰ce aux films de Bresson, Godard et Straub/Huillet, par la prŽcision de leur enqute dans le cinŽmatographe, une voie semble ouverte. Il nĠy a pas de raison de penser que cĠest une excentricitŽ de cinŽastes isolŽs.

LĠimage et le son se sont ŽmancipŽs lĠun de lĠautre et par lˆ ils se sont ainsi ŽmancipŽs de la contrainte narrative. Le cinŽmatographe peut tre maintenant mieux utilisŽ dans la totalitŽ de ses capacitŽs. Les images et les sons peuvent tre employŽs de faon tellement multiple, quĠil ne sĠagit pas seulement de nouvelles combinaisons, mais de la possibilitŽ de faire exister plusieurs parties indŽpendantes ˆ la fois.

Leurs recherches nous ont prouvŽ que lĠunitŽ dĠun film est possible sans que ne soit annulŽe lĠhŽtŽrogŽnŽitŽ des ŽlŽments qui le constituent, lĠautonomie des diffŽrents ŽlŽments convoquŽs. Il est donc Žvident quĠil est possible de faire un film en se passant de scŽnario, de rŽcit, de narration. En dŽfinitive, gr‰ce ˆ eux, nous sommes dŽgagŽs de lĠobligation de raconter des histoires, sans pour cela sortir du cinŽmatographe.

Le cinŽma  dans sa grande majoritŽ tient ˆ respecter le rapport des sons et des images en respectant les lois naturelles des sens humains. Il tient ˆ lĠassociation sans Žquivoque de ces deux dimensions. Le cinŽmatographe lui obŽit ˆ dĠautres lois, celles de constructions complexes qui mettent ˆ ŽgalitŽ les diffŽrentes composantes cinŽmatographiques, o chaque ŽlŽment est pris dans son autonomie et sa dimension propre. Il sait donc faire tenir un film autrement que sur la succession logique de situations visuelles et sonores.

Il est vrai que cela peut rendre les films parfois obscurs et difficiles, voire Žnigmatiques, mais cela ne veut pourtant pas dire quĠils sont dŽpourvus de logique, voire dĠidŽes. On est en droit de se dire que ce qui para”t aujourdĠhui difficilement intelligible sera peut-tre demain, une manire de comprendre un film normalement. Je pense en tous les cas que ce qui Žtait jusque-lˆ inacceptable dans un film, est rentrŽ dans le domaine du possible pour le cinŽma.

Ce qui est sžr, cĠest que par les films que nous rŽalisons aujourdĠhui, nous comptons travailler fermement ˆ Žlargir et prolonger cette orientation. Sans pour autant sĠenfermer dans des limites strictes, des rgles prŽdŽfinies ˆ lĠavance. Bien au contraire, nous comptons rester en qute de quelque chose dĠinconnu et de nouveau.

 

 

Exemple dĠun film ˆ venir

 

Aprs cette enqute sur toutes ces questions, je me rends compte que notre travail cinŽmatographique contenait en germe cette possibilitŽ hŽtŽrophonique. Nos films depuis Vies parallles en sont des tentatives.

Un nouveau film est en marche, il part dĠune intuition simple qui associe sans justification logique, trois situations qui constituent la matrice du film : 1. le voyage dĠun homme 2. un jardin et deux jeunes 3. un lieu clos comme un thŽ‰tre o se joue une situation collective. Vous me direz que cĠest assez peu pour commencer un film, mais pourtant cela ouvre beaucoup de possibilitŽs pour que sĠembo”tent de vŽritables situations cinŽmatographiques. 

Il y a pour ce film lĠenvie de travailler ˆ partir de deux ŽlŽments architecturaux rencontrŽs dans la cathŽdrale de Chartres, celui du labyrinthe au sol ˆ lĠentrŽe de la cathŽdrale, et celui de la rosace situŽe sur la faade occidentale. LĠun Žtant comme une projection de lĠautre dĠun genre particulier.

Comme vous le savez peut-tre ˆ Chartres le labyrinthe en pierre au sol, construit au XIIme sicle, propose un parcours qui serait inspirŽ du labyrinthe grec, o ThŽsŽe sĠaventura pour tuer le Minotaure. Pour les moines du Moyen-ċge, il sĠagissait par ce labyrinthe de faire une sorte de voyage initiatique en rŽsumŽ, qui conduisait  ˆ une conversion.

La rosace montŽe en 1215 tournŽe vers le soleil couchant est de son c™tŽ comme une vue ouverte, comme un kalŽidoscope dĠimages, qui peut sĠapprŽhender en un seul temps, sĠembrasser dĠun seul regard. Elle ne propose pas comme le labyrinthe une traversŽe du temps o lĠon ne peut jamais avoir une vue globale, mais au contraire creuse la paroi en plusieurs endroits, se tient ˆ lĠŽcart et varie selon la lumire du soleil.

Il sĠagirait donc de quelque chose comme le temps au sol et lĠespace au mur. Tout cela est en question bien Žvidemment, mais il est possible quĠentre ces deux figures se trouve un film qui tienne en son sein une possibilitŽ hŽtŽrophonique.

Description : labyrinthe de chartres

 

 

 

 

 

Description : le-labyrinthe-de-la-cathedrale-de-chartres

 

 

 

 

 

 

 

Trois consŽquences tirŽes du labyrinthe-rosace:

Description : labyrinthe de chartres

Un film de films

 

Ce qui caractŽrise ce nouveau projet, cĠest que nous avons rŽalisŽ dŽjˆ plusieurs films qui sont une manire toujours diffŽrente dĠexplorer chacune des orientations. Nous avons fait des films o un homme traverse diffŽrents pays, nous les appelons gr‰ce ˆ Jacques-Henri Michot Ç les HomŽriques È. Nous avons filmŽ et fait un film avec deux jeunes dans le jardin du parc de Sceaux, nous pourrions dire que cĠest un film ovidien. Reste encore ˆ faire un film ˆ partir de la situation collective, il est possible que cela se fasse ˆ partir dĠun texte de thŽ‰tre classique, alors ce film serait peut-tre shakespearien.

Mais lĠimportant est que nous avons rŽalisŽ des films qui tous Žtaient pensŽs comme des films pour un autre film, mais qui en mme temps, se devaient dĠtre des films ˆ part entire, au moment de leur fabrication et de leur projection.

Dans ce film de films, il y a ds le dŽbut une importance accordŽe ˆ lĠordre du travail et de la recherche. Du local, chaque film, au global, film ˆ venir, ces films dans un premier temps autonomes seront dans un deuxime temps rapprochŽs. Comme les parties de la rosace de Chartres constituent un ensemble ˆ part entire.

Cela ne nous interdira pas de fabriquer dĠautres sŽquences aprs coup et de les rajouter ˆ lĠintŽrieur de chaque film existant, comme des nouveaux morceaux de verre du vitrail ˆ construire. Non pas pour aider ˆ lier superficiellement les films entre eux ou pour justifier leur rapprochement, mais au contraire pour travailler sur leur disjonction.

La question pour nous est de savoir comment ces films peuvent trouver une cohŽrence nouvelle et devenir un film unique sans faire appel ˆ un thme unificateur. Il est donc encore question dĠune synthse particulire qui prŽserve lĠhŽtŽrogŽnŽitŽ des parties.

Nous voyons plusieurs possibilitŽs. Le tressage qui en dŽfinitive au cinŽma sĠappelle le montage alternŽ, qui par lĠentrelacement des parties et le retour rŽgulier dĠŽlŽments constituants du film, donne une cohŽrence. Il remet en permanence le public face ˆ des intersections qui lui permettent dĠembrasser globalement le film et de le compter pour un. CĠest le principe du nÏud borromŽen qui entrelace sans confondre des boucles autonomes. Notre film Vies parallles avait ce type de structure. Mais nous voulons pour le pochain film procŽder autrement.

Nous pourrions envisager pour ce film ˆ venir, de suivre ce que nous propose la rosace de Chartres qui rŽunit des sŽquences disjointes, des bouts de vie assemblŽs, sans obligatoirement sĠordonner chronologiquement. Un rapprochement de singularitŽs, qui constituent une forme plus globale par les limites et les espacements crŽŽs entre les uns et les autres. Il sĠagit lˆ, non pas du plomb entre les morceaux de verre, mais cette fois de la pierre qui sŽpare les diffŽrents vitraux de la rosace de la faade. Un dŽploiement interne organisŽ et tournoyant qui amplifie chacune des parties.

 

Son-image /labyrinthe-rosace

 

La pratique du son et de lĠimage de ce film peut tre aussi rapprochŽe des formes du labyrinthe et de la rosace. LĠun Žtant sur le plan horizontal et lĠautre vertical. Ces deux figures ne sont pas en miroir, face ˆ face, et pourtant elles semblent tre en rapport. Un rapport qui serait comme le dŽpliage dĠune feuille qui fait dĠune ancienne union, deux plans diffŽrents ŽmancipŽs lĠun de lĠautre. Ce dŽpliage constitue un espace possible, une architecture pour le cinŽmatographe.

Le son se dŽploie dans un temps autonome, dans un mouvement labyrinthique, et les images dans un espace dŽcoupŽ, kalŽidoscopique. Les yeux et les oreilles embarquŽs dans des rapports qui ont ˆ voir avec une nouvelle faon de vivre simultanŽment lĠespace et le temps.

 

Les gŽnŽriques comme synthse

 

Je voudrais finir cette question par lĠimportance ˆ mes yeux des gŽnŽriques pour ce type de film, autant le gŽnŽrique de dŽbut que celui de fin. Je prends exemple pour cela sur les gŽnŽriques des sŽances Qui-vive que nous organisons. Il mĠest apparu de faon Žvidente que les gŽnŽriques dans ces soirŽes tiennent une place importante.

Le gŽnŽrique dŽbut ouvre une question, tout en proposant dŽjˆ un ordre qui dŽpasse largement lĠŽnumŽration des diffŽrentes sŽquences qui constituent la sŽance. Il y a lˆ, me semble-t-il, comme une promesse qui se prŽsente dĠemblŽe comme un tout hŽtŽrogne, qui fait le pari par cette forme ramassŽe, que tout cela peut tenir ensemble.

Il me semble que le gŽnŽrique dĠun film, ainsi entendu, se rapproche de ce quĠun titre peut contenir en lui de condensŽ. CĠest pour cela que le gŽnŽrique ne doit pas tre une faon de dŽnombrer un savoir exact de ce qui va avoir lieu dans le film, mais expose une inconnue.

CĠest le cas des gŽnŽriques de Qui-vive qui annoncent ce qui, ni Franois, ni moi, ni a fortiori le public, ne connaissons avant que la sŽance se soit entirement dŽroulŽe. La sŽance est lĠŽpreuve de ce pari, voir sĠil est possible de vivre ensemble, lĠhŽtŽrophonie qui nous a ŽtŽ annoncŽe dans le gŽnŽrique.

Ce qui suit le gŽnŽrique dŽbut est une proposition labyrinthique, une faon de parcourir lĠespace et le temps sans se perdre gr‰ce au fil dĠAriane que le public doit saisir, ou plut™t se constituer et vivre pourquoi pas, lĠŽpreuve dĠune conversion.

Le gŽnŽrique final lui aussi, est une proposition cinŽmatographique trs importante faite au public, qui va lui permettre dĠembrasser cette fois la totalitŽ du film, lĠintŽgralitŽ du parcours quĠil a effectuŽ, en lui proposant de le revivre de faon synthŽtique. Cela correspond ˆ la forme de la rosace qui ramasse en prŽservant la pluralitŽ des parties, mais aussi ˆ celle du labyrinthe qui se propose comme un voyage condensŽ.

Le gŽnŽrique final et le gŽnŽrique dŽbut, labyrinthique-rosace, seront pour ce film ˆ venir des sŽquences aussi importantes que celles qui constitueront le cÏur mme du film. Les gŽnŽriques seront comme le sceau en cire qui fait tenir lĠenveloppe ou le papyrus. Des sceaux de part et dĠautre du film qui rŽunissent en laissant une marque, celle qui est la preuve de lĠintŽgritŽ et de l'originalitŽ de chacune des parties du film.

 

Alors pour finir, je rŽpondrais donc ˆ la phrase de Bazin par ces simples mots :

 

 

Vive la rŽsurgence du cinŽmatographe !