Jumeaux Infos (n°2, juillet
2000) : le magazine des parents de jumeaux, triplés, quadruplés et plus
Le
moment-triplés,
ou la grâce d’un monde d’enfants Quand, à rebours
des énervements et cris sans nombre, l’abondance paisible de vos enfants vous
émerveillent… Moment magique qui vous surprend à contempler leur univers. C’est le matin.
Vous vous levez. Il est tôt, car il faut préparer le dur week-end qui vous
attend (le week-end est le cauchemar des pères de famille, coincés au logis).
Vous somnolez encore et soudain vous tombez sur trois paires alignées de
toutes petites chaussures, celles que vos derniers ont déposées hier soir
devant leur porte. D’un coup, vous vous dites : « ils sont bien
trois ! »,
vous en avisant non plus dans le stress, dans les cris et les débordements
coutumiers, mais dans la tranquillité et l’attendrissement que procure cette
cohorte de modèles réduits. Vous n’êtes pas Blanche-Neige découvrant la
maison des sept nains — vos petits ne sont pas des hommes infantilisés, et
d’ailleurs vous avez toujours pris au sérieux les enfants, ce qui leur
arrive, leurs peines, leurs peurs, leurs réflexions — mais vous avez sous les
yeux la signature de leur pluralité rassemblée, de leur diversité regroupée,
en un abandon paisible au monde que, seul, à cette heure, vous veillez :
c’est un moment-triplés. Le moment-triplés, ce peut être aussi
le soir. Avant d’aller vous coucher, vous rentrez dans leur chambre, pour
contrôler s’ils dorment bien. Il vous arrive en effet d’en trouver un étendu
sous le sommier d’un autre : vous le retirez alors doucement et, sans le
réveiller, le rallongez dans son lit. Mais ce soir, rien d’anormal :
trois respirations paisibles, trois postures différentes étalées en travers
des draps. Vous détaillez : c’est bien Inès et sa manière de se lover
dans un coin ; c’est bien Marc, et toute son étendue jetée d’un bout à
l’autre du lit ; c’est bien Louis, et sa panthère lui servant
d’oreiller. Et puis d’un coup, leur présence réunie, la récollection de leurs
existences variées vous émerveillent. Et vous vous redites : « ils
sont bien trois ! » Vous
n’avez jamais aimé le thème de L’enfant : l’enfant unique,
l’enfant-roi, celui dont Victor Hugo écrivait que lorsqu’il paraît,
« la famille applaudit à grands cris ». Vous aimez les enfants, leur
abondance, leur diversité, leur appétit et leur jubilation. Vous aimez
l’aptitude des enfants à déployer un monde qui leur est propre, et vous tenez
que votre rôle de père est aussi de protéger cet univers qui est le leur, non
le vôtre. Pour autant vous ne goûtez guère « l’esprit
d’enfance » : ce qui vous sied, ce sont les enfants, non l’enfance. Dans le moment-triplés, ce monde des enfants
vous apparaît en un éclair, comme une profusion tranquille, sereine,
confiante, et sans les contraintes qu’il impose d’ordinaire aux adultes. Ce
n’est plus la violence d’un excès (trois, dans la vie pratique, c’est
toujours un de trop) mais l’harmonie d’un pluriel, l’apaisement d’une variété
qui se complète elle-même. Et tout cet abandon a ceci d’incroyable qu’il est
chez vous, à demeure, et que vous en avez désormais la garde. Le moment-triplés, ou ce ravissement
inattendu de sentir que trois petits sont ici, face à vous, différents et
paisiblement assemblés, composant ce microcosme d’humanité : le petit
peuple des enfants. |
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