Jumeaux Infos (n°16, novembre 2001) : le magazine des parents de jumeaux, triplés, quadruplés et plus

 

Multiples multiples

François Nicolas

 

 

 

De la pluralité des situations rassemblées sous le nom générique de familles « multiples ». Le couple, le double, la meute, le clone, la marée d’enfants…, autant de questions différentes relevant de situations diverses.

 

Les familles « multiples » s’avèrent d’une grande diversité. Si, par définition, elles sont toutes confrontées à la naissance simultanée de plusieurs enfants, la variété des situations est en fait très grande. Esquissons une petite typologie.

Il y a d’abord une distinction évidente par le nombre d’enfants nés d’un même accouchement : jumeaux proprement dits, triplés, quadruplés, etc. Les situations, à chaque fois, semblent bien contrastées : dans notre cas, quand l’un des trois petits se trouve absent et que nous nous retrouvons avec seulement deux d’entre eux, la situation nous paraît idyllique. À l’inverse, nous n’imagions même pas ce que peut être la situation avec des quadruplés ! Bref, le nombre fait ici beaucoup à l’affaire.

Il y a ensuite une autre distinction évidente selon que les enfants sont monozygotes ou dizygotes, semblables (leur apparence étant proche) ou dissemblables. S’ils sont semblables (ce qui ne préjuge bien sûr en rien de leur différence véritable d’être et non plus d’apparaître), les parents sont confrontés à une série de problèmes bien connus : comment les différencier, comment ne pas les traiter comme des copies. S’ils sont dissemblables de naissance (dans notre cas, une fille et deux garçons, l’un grand costaud, l’autre petit et maigre), les parents n’ont guère le souci de dégémelliser, ayant à faire à une diversité manifeste des enfants.

Le croisement de ces deux premiers critères permet déjà d’esquisser cinq types :

- Deux enfants semblables : la question prioritaire serait celle du double. Comment éduquer deux enfants apparemment doubles l’un de l’autre mais en vérité singuliers ?

- Deux enfants dissemblables : la question devient celle du couple. Comment se rapporter à une paire d’enfants formant couple c’est-à-dire étroitement apparentés en un ensemble où les dissemblances forment complémentarité ?

- Trois enfants semblables : la question apparaît celle des clones. Comment éduquer une pluralité d’enfants quand rode la sensation d’un modèle commun, d’un « patron original » indifféremment appliqué à chacun ?

- Trois enfants dissemblables : l’allure immédiate des multiples est ici celle d’une meute. D’où le problème, que je connais bien : comment éduquer en masse un tel groupe d’enfants quand on ne peut plus le faire exactement un par un ?

- Au-dessus de trois enfin, la prolifération me semble devenir la dimension immédiatement la plus flagrante. Appelons cette situation celle d’une marée d’enfants.

Le double, le couple (d’enfants), les clones, la meute, la marée, autant de configurations très différentes à vivre, à pratiquer, à penser. Si toutes se démarquent sans doute de l’ordinaire des familles, à quel titre cependant sont-elles récollectables sous le nom commun de multiples ? Et l’on pourrait – on devrait d’ailleurs — prolonger la différenciation : le cas des familles multiples à naissance spontanée et celui où cette naissance découle d’une procréation médicalement assistée (les différences subjectives sont ici considérables) ; le cas des naissances multiples sans autres enfants et celui où les multiples s’insèrent dans une fratrie plus large (là encore il faudrait différencier les cas où ces autres enfants sont moins nombreux que les multiples de ceux où les autres enfants sont majoritaires). Etc, etc.

La prolifération des cas est patente. À chaque fois, une nouvelle situation se dessine, que les parents concernés doivent apprendre à traiter en sa spécificité irréductible. Les familles multiples s’avèrent multiples !

Ce multiple des multiples me semble précieux : il rassemble des singularités plutôt qu’il ne fait proliférer un type commun. C’est cela qui fait d’ailleurs le charme de nos échanges, dans ce journal, dans les réunion d’associations : moins la reconnaissance de problèmes partagés qui nous distinguent de l’ordinaire que la découverte de nouvelles situations, inattendues, affrontées et traversées avec des ressources subjectives à chaque fois nouvelles.

N’est-ce pas cela notre trésor, à nous multiples familles multiples, que d’avoir sans cesse à inventer une ligne de conduite avec nos enfants, en dialogue avec notre conjoint ? Et cette sensation d’être ainsi convoqués quotidiennement à une situation sans égale requérant le génie de chacun et générant la fatigue pour tous n’est-elle pas, au bout du compte, le sel même de notre existence, ce qui l’intensifie et la fait rayonner ?

 

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