Jumeaux Infos
(n°16, novembre 2001) : le magazine des parents de jumeaux, triplés,
quadruplés et plus
Multiples multiples
De la
pluralité des situations rassemblées sous le nom générique de familles
« multiples ». Le couple, le double, la meute, le clone, la marée
d’enfants…, autant de questions différentes relevant de situations diverses.
Les familles « multiples »
s’avèrent d’une grande diversité. Si, par définition, elles sont toutes
confrontées à la naissance simultanée de plusieurs enfants, la variété des
situations est en fait très grande. Esquissons une petite typologie.
Il y a d’abord une distinction évidente
par le nombre d’enfants nés d’un même accouchement : jumeaux proprement
dits, triplés, quadruplés, etc. Les situations, à chaque fois, semblent bien
contrastées : dans notre cas, quand l’un des trois petits se trouve absent
et que nous nous retrouvons avec seulement deux d’entre eux, la situation nous
paraît idyllique. À l’inverse, nous n’imagions même pas ce que peut être la
situation avec des quadruplés ! Bref, le nombre fait ici beaucoup à
l’affaire.
Il y a ensuite une autre distinction
évidente selon que les enfants sont monozygotes ou dizygotes, semblables (leur
apparence étant proche) ou dissemblables. S’ils sont semblables (ce qui ne
préjuge bien sûr en rien de leur différence véritable d’être et non plus
d’apparaître), les parents sont confrontés à une série de problèmes bien
connus : comment les différencier, comment ne pas les traiter comme des
copies. S’ils sont dissemblables de naissance (dans notre cas, une fille et
deux garçons, l’un grand costaud, l’autre petit et maigre), les parents n’ont
guère le souci de dégémelliser, ayant à faire à une diversité manifeste des
enfants.
Le croisement de ces deux premiers
critères permet déjà d’esquisser cinq types :
- Deux enfants semblables : la
question prioritaire serait celle du double. Comment éduquer deux
enfants apparemment doubles l’un de l’autre mais en vérité singuliers ?
- Deux enfants dissemblables : la
question devient celle du couple. Comment se rapporter à une paire d’enfants
formant couple c’est-à-dire étroitement apparentés en un ensemble où les
dissemblances forment complémentarité ?
- Trois enfants semblables : la
question apparaît celle des clones. Comment éduquer une pluralité d’enfants quand
rode la sensation d’un modèle commun, d’un « patron original »
indifféremment appliqué à chacun ?
- Trois enfants dissemblables :
l’allure immédiate des multiples est ici celle d’une meute. D’où le problème, que
je connais bien : comment éduquer en masse un tel groupe d’enfants quand
on ne peut plus le faire exactement un par un ?
- Au-dessus de trois enfin, la
prolifération me semble devenir la dimension immédiatement la plus flagrante.
Appelons cette situation celle d’une marée d’enfants.
Le double, le couple (d’enfants), les
clones, la meute, la marée, autant de configurations très différentes à vivre,
à pratiquer, à penser. Si toutes se démarquent sans doute de l’ordinaire des
familles, à quel titre cependant sont-elles récollectables sous le nom commun
de multiples ?
Et l’on pourrait – on devrait d’ailleurs — prolonger la différenciation :
le cas des familles multiples à naissance spontanée et celui où cette naissance
découle d’une procréation médicalement assistée (les différences subjectives
sont ici considérables) ; le cas des naissances multiples sans autres
enfants et celui où les multiples s’insèrent dans une fratrie plus large (là
encore il faudrait différencier les cas où ces autres enfants sont moins
nombreux que les multiples de ceux où les autres enfants sont majoritaires).
Etc, etc.
La prolifération des cas est patente. À
chaque fois, une nouvelle situation se dessine, que les parents concernés
doivent apprendre à traiter en sa spécificité irréductible. Les familles
multiples s’avèrent multiples !
Ce multiple des multiples me semble
précieux : il rassemble des singularités plutôt qu’il ne fait proliférer
un type commun. C’est cela qui fait d’ailleurs le charme de nos échanges, dans
ce journal, dans les réunion d’associations : moins la reconnaissance de
problèmes partagés qui nous distinguent de l’ordinaire que la découverte de
nouvelles situations, inattendues, affrontées et traversées avec des ressources
subjectives à chaque fois nouvelles.
N’est-ce pas cela notre trésor, à nous
multiples familles multiples, que d’avoir sans cesse à inventer une ligne de
conduite avec nos enfants, en dialogue avec notre conjoint ? Et cette
sensation d’être ainsi convoqués quotidiennement à une situation sans égale
requérant le génie de chacun et générant la fatigue pour tous n’est-elle pas,
au bout du compte, le sel même de notre existence, ce qui l’intensifie et la
fait rayonner ?
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