Jumeaux Infos (n°14, septembre 2001) : le magazine des parents de jumeaux, triplés, quadruplés et plus

 

Famille « nombreuse » ?

François Nicolas

 

 

Suffit-il de trois enfants pour composer une famille dite « nombreuse » (voir la SNCF) ?

Et comment nommer alors celles qui en comportent le double, voire huit telle la nôtre ?

 

Les vacances, pour nous, se déroulent désormais à dix, deux adultes et huit enfants (tous les nôtres ne sont pas forcément là mais des copains viennent se substituer aux absents) répartis en trois groupes d’âges : trois ans, les petits ; onze ans, les moyens ; et quinze ans, les grands. D’où une variété des activités, des rythmes quotidiens (heures du lever et du coucher, siestes…). Gérer cette collectivité revient à harmoniser plusieurs temporalités simultanées, aux durées et scansions différentes, aux logiques hétérogènes, tantôt indifférentes les unes aux autres (les moyens jouent quand les petits dorment), tantôt complémentaires (les grands travaillent quand les moyens rangent), tantôt rivales (les grands se promènent quand les petits les voudraient pour eux), mais toujours superposées pour ne se regrouper véritablement qu’autour des repas partagés.

Chaque jour compose un contrepoint à trois voix, se croisant et se décroisant, se rencontrant un moment pour ensuite diverger, les adultes constituant une quatrième voix dévolue à la basse fondamentale, celle qui fixe le ton général et tente vaille que vaille d’harmoniser l’ensemble : résoudre les dissonances, animer les rencontres, soutenir l’expression autonome de telle partie, voilà de quoi occuper les vacances de n’importe quel père ou mère de famille nombreuse !

Mais curieusement, notre ensemble n’est pas identifié comme « famille nombreuse » puisqu’il suffit de trois enfants pour légitimer en France cette appellation, la SNCF donnant ici le la… Conception un peu étriquée, me semble-t-il.

Je tends à croire qu’il n’y a pas vraiment de famille en dessous de trois enfants car pour qu’il y ait vraiment famille, il faut me semble-t-il qu’il y ait d’un côté deux adultes (non un seul) et de l’autre plus d’enfants qu’il n’y a d’adultes (ce qui implique trois enfants au moins).

S’il y a un seul adulte et beaucoup enfants, la collectivité ne constitue guère une famille mais une micro-colonie de vacances dont l’adulte est le moniteur.

S’il y a deux adultes et deux enfants, le quatuor ainsi constitué se répartit naturellement en une double relation, chaque adulte formant paire avec un enfant.

Pour qu’il y ait famille, il faut qu’il y ait un excès d’enfants par rapport au couple adulte en sorte que cet excès compose un monde d’enfants à lui seul. Et nous voilà avec, a minima, nos trois loustics.

Pour qu’une famille soit alors vraiment nombreuse, il ne faut pas seulement qu’il y ait plus d’enfants que d’adultes (loi générale de la famille), mais que le monde des enfants domine quantitativement l’ensemble. Or un monde, c’est essentiellement un ensemble de relations. La famille devient donc vraiment nombreuse lorsque le monde des enfants est suffisamment vaste pour se fragmenter en plusieurs groupes d’enfants, chaque groupe ayant alors ses propres relations internes et externes. Bref, la famille est vraiment nombreuse lorsqu’on peut compter non plus trois enfants mais plusieurs classes différentes d’enfants. Que ceci change notablement les tâches du couple adulte est une évidence quoiqu’il ne soit pas vrai que ceci uniformément les complique : cela facilite les activités séparées où chaque groupe s’autosuffit.

Cette réalité de la famille vraiment nombreuse est devenue en France une singularité, bien vite étiquetée et socialement registrée (famille d’origine étrangère, famille à convictions religieuses, etc.). Or un pays qui trouve que trois enfants pour deux adultes, c’est déjà nombreux, tend à penser que cinq enfants et plus, c’est vraiment « trop ». Quand à huit enfants…

Il me semble qu’on peut concevoir ce nombre tout autrement, mettre l’accent non sur le trop mais sur le peu (dans le cas de l’enfant unique ou du couple d’enfants), se mesurer au grand plutôt qu’au petit, et, sans imposer une formule à quiconque, tenir que l’abondance qui vous échoit est un beau monde plutôt qu’une prolifération un peu monstrueuse et sourdement menaçante.