Jumeaux
Infos (n°12, juin 2001) : le magazine des
parents de jumeaux, triplés, quadruplés et plus
Convaincre les trois petits d’aller
à l’école ?
De l’embarras,
pour un père voulant se faire obéir, d’avoir à convaincre la meute de bien
vouloir approuver ses directives et accepter d’entreprendre ce qu’on exige de
chacun illico presto…
Emmener chaque matin vos
trois petits à l’école vous pose un singulier problème : si l’un d’eux s’y
refuse, les autres s’engouffrent aussitôt dans la brèche, greffent leur
revendication sur la protestation du premier, et vous voilà dans
l’impossibilité radicale de partir. Vous pourriez sans doute en prendre deux par
la main mais il vous faudrait alors l’accord du troisième pour tenir la main
agitée d’un des récalcitrants. Autant dire : la situation est bloquée.
Avec un seul enfant,
vous n’aviez jusque-là guère connu de difficultés : vous tentiez
d’expliquer les bonnes raisons qu’a un enfant d’aller à l’école, et si le vôtre
ne se ralliait pas à cet avis, vous n’exigiez pas son adhésion. Vous demandiez
qu’il vous obéisse sans imposer qu’il vous approuve. S’il n’obtempérait pas,
vous l’entraîniez d’une main ferme. Bref, vous n’aviez nulle obligation de le
convaincre de l’intérêt pour lui d’aller à l’école si tel ne lui paraissait pas
la meilleure occupation pour sa matinée : vous fixiez la directive et
saviez la mettre en œuvre, contre son gré si nécessaire. Vous tenez qu’un
enfant doit obéir mais qu’il n’est nullement exigible qu’en plus il pense comme
vous : un enfant a le droit de voir les choses à sa manière et de trouver
que le jeu vaut mieux que l’école.
Notez bien : sur ce
point, hommes et femmes procèdent souvent différemment. Un père tiendra de
préférence la main de son enfant dans la rue, l’entraînant doucement mais
fermement là où il a décidé d’aller. Une mère, dehors, tient rarement la main
de son enfant et tente plutôt de le convaincre de la suivre où elle seule pourtant
à décider d’aller. Elle voudrait que « son » enfant approuve sa
vision des choses, partage sa manière de faire, s’accorde à la nécessité
d’aller chercher le pain dans cette boulangerie plutôt que de vagabonder sur le
trottoir. Une mère désire que son enfant concorde à ses jugements et pense
comme elle. Un père assume plus ouvertement la coupure entre lui et son
enfant : il explique ses décisions, tente de les faire comprendre, mais ne
subordonne pas leur application au bon vouloir de l’enfant. Il tolère que
l’enfant ne soit pas rallié, se trémoussant au bout du bras, pourvu que les
actes soient là ; et pour le reste, à chacun sa conscience !
Avec une meute de
triplés, plus guère d’espoir de pouvoir procéder ainsi : il vous faut
convaincre puisque vous ne pouvez plus imposer votre décision aux trois à la
fois, lesquels le savent bien, connaissant parfaitement le pouvoir de la meute
et ne se privant pas d’en user.
Et vous voilà donc
obligé de recourir aux subterfuges : faire valoir l’agrément de passer sur
le chemin de l’école devant une boulangerie pleine de délicieux bonbons qui
n’attendent qu’à être achetés, relever le plaisir sans égal de chanter Pierre
et le loup à tue-tête en pleine
rue, promettre ces jeux ambulants (le tennis-barbe)
dont personne ne saurait se lasser… Mais cette manière de procéder vous
disconvient : elle vous semble grosse, pour un père du moins, d’une
« brutalité » à l’égard des petits : autant vous assumez la
« violence » potentielle d’une position de force où vous contraignez
l’enfant à vous obéir sans lui contester la liberté intérieure d’être en
désaccord avec votre ordre, autant vous récusez la brutalité qui tend à briser
cette liberté intérieure sous couvert d’un consensus bénéfique entre adultes et
enfants. D’ailleurs la nécessité d’obtenir une telle adhésion conduit
facilement le père à proférer des bobards (vous savez que ce jour-là la
boulangerie est fermée mais vous ferez semblant de le découvrir une fois sur
place) ce qui signe à vos yeux la nature néfaste de cette manière d’opérer.
Que vous reste-t-il
alors à faire ? Vous ne connaissez d’autre voie que celle-ci : se
débrouiller chaque matin ! Vous franchissez ainsi les périls, bricolant
jour après jour. Et, vous retournant parfois sur vos pas, vous vous demandez
alors : « Mais comment ai-je bien pu faire ? »