Jumeaux Infos (n°12, juin 2001) : le magazine des parents de jumeaux, triplés, quadruplés et plus

 

Convaincre les trois petits d’aller à l’école ?

 

François Nicolas

 

 

De l’embarras, pour un père voulant se faire obéir, d’avoir à convaincre la meute de bien vouloir approuver ses directives et accepter d’entreprendre ce qu’on exige de chacun illico presto…

 

Emmener chaque matin vos trois petits à l’école vous pose un singulier problème : si l’un d’eux s’y refuse, les autres s’engouffrent aussitôt dans la brèche, greffent leur revendication sur la protestation du premier, et vous voilà dans l’impossibilité radicale de partir. Vous pourriez sans doute en prendre deux par la main mais il vous faudrait alors l’accord du troisième pour tenir la main agitée d’un des récalcitrants. Autant dire : la situation est bloquée.

Avec un seul enfant, vous n’aviez jusque-là guère connu de difficultés : vous tentiez d’expliquer les bonnes raisons qu’a un enfant d’aller à l’école, et si le vôtre ne se ralliait pas à cet avis, vous n’exigiez pas son adhésion. Vous demandiez qu’il vous obéisse sans imposer qu’il vous approuve. S’il n’obtempérait pas, vous l’entraîniez d’une main ferme. Bref, vous n’aviez nulle obligation de le convaincre de l’intérêt pour lui d’aller à l’école si tel ne lui paraissait pas la meilleure occupation pour sa matinée : vous fixiez la directive et saviez la mettre en œuvre, contre son gré si nécessaire. Vous tenez qu’un enfant doit obéir mais qu’il n’est nullement exigible qu’en plus il pense comme vous : un enfant a le droit de voir les choses à sa manière et de trouver que le jeu vaut mieux que l’école.

Notez bien : sur ce point, hommes et femmes procèdent souvent différemment. Un père tiendra de préférence la main de son enfant dans la rue, l’entraînant doucement mais fermement là où il a décidé d’aller. Une mère, dehors, tient rarement la main de son enfant et tente plutôt de le convaincre de la suivre où elle seule pourtant à décider d’aller. Elle voudrait que « son » enfant approuve sa vision des choses, partage sa manière de faire, s’accorde à la nécessité d’aller chercher le pain dans cette boulangerie plutôt que de vagabonder sur le trottoir. Une mère désire que son enfant concorde à ses jugements et pense comme elle. Un père assume plus ouvertement la coupure entre lui et son enfant : il explique ses décisions, tente de les faire comprendre, mais ne subordonne pas leur application au bon vouloir de l’enfant. Il tolère que l’enfant ne soit pas rallié, se trémoussant au bout du bras, pourvu que les actes soient là ; et pour le reste, à chacun sa conscience !

Avec une meute de triplés, plus guère d’espoir de pouvoir procéder ainsi : il vous faut convaincre puisque vous ne pouvez plus imposer votre décision aux trois à la fois, lesquels le savent bien, connaissant parfaitement le pouvoir de la meute et ne se privant pas d’en user.

Et vous voilà donc obligé de recourir aux subterfuges : faire valoir l’agrément de passer sur le chemin de l’école devant une boulangerie pleine de délicieux bonbons qui n’attendent qu’à être achetés, relever le plaisir sans égal de chanter Pierre et le loup à tue-tête en pleine rue, promettre ces jeux ambulants (le tennis-barbe) dont personne ne saurait se lasser… Mais cette manière de procéder vous disconvient : elle vous semble grosse, pour un père du moins, d’une « brutalité » à l’égard des petits : autant vous assumez la « violence » potentielle d’une position de force où vous contraignez l’enfant à vous obéir sans lui contester la liberté intérieure d’être en désaccord avec votre ordre, autant vous récusez la brutalité qui tend à briser cette liberté intérieure sous couvert d’un consensus bénéfique entre adultes et enfants. D’ailleurs la nécessité d’obtenir une telle adhésion conduit facilement le père à proférer des bobards (vous savez que ce jour-là la boulangerie est fermée mais vous ferez semblant de le découvrir une fois sur place) ce qui signe à vos yeux la nature néfaste de cette manière d’opérer.

Que vous reste-t-il alors à faire ? Vous ne connaissez d’autre voie que celle-ci : se débrouiller chaque matin ! Vous franchissez ainsi les périls, bricolant jour après jour. Et, vous retournant parfois sur vos pas, vous vous demandez alors : « Mais comment ai-je bien pu faire ? »