Jumeaux Infos (n°1, mai 2000) : le magazine des parents de jumeaux, triplés, quadruplés et plus

 

L’effet-triplés : quand trois diffère de 1+1+1

François Nicolas

L’arithmétique que nous avait enseignée le maître d’école est dépassée par “l’effet triplés”. Avec trois enfants du même âge, ce n’est pas trois fois plus de bonheur, ni trois plus de problèmes, ce serait trop simple ! Non, les événements sont amplifiés de manière exponentielle par cette “hydre” particulière…

 

L’effet-triplés, c’est lorsque la meute des trois enfants l’emporte sur les individus qui la composent : quand vous êtes confronté à une hydre dotée de trois bouches criant et parlant à la fois, de six jambes rendant son corps extensible d’un bout à l’autre de l’appartement, capable à la fois de vous uriner sur le pantalon, de tripoter la prise électrique là-bas, au fond du salon, et d’ouvrir la porte d’entrée pour partir se promener.

Cette hydre — ce n’est pas son moindre atout — a soixante doigts (quel soulagement quand l’échographiste, vérifiant le contenu du ventre maternel, achevait son décompte : 57, 58, 59 et 60, le compte est bon !). Avec une telle capacité de préhension, les possibilités sont inépuisables et fortement imprévisibles.

Cette bande, il vous faut apprendre à la diriger et, plus étrange, à l’éduquer en bloc, comme le fait un trappeur avec la meute qui tracte son traîneau ; car il vous est impossible, dans l’instant même, de la décomposer pour intervenir successivement auprès de chacun, espérant agréger ensuite les comportements individuels ainsi

disciplinés. Il vous faut traiter avec la meute comme telle, ou perdre la partie.

L’effet-triplés, c’est la frustration de ne pouvoir bercer longuement chacun car vous le faites toujours sous la surveillance de quatre petits yeux vous fixant froidement en attendant leur tour. Et d’ailleurs, vous n’aimez guère être observé quand vous câlinez.

L’effet-triplés, c’est un dilemme : si vous ne les traitez pas en masse (et comment feriez-vous pour embrasser à la fois trois enfants ?), vous êtes condamné à la répétition, toute caresse générant sa réitération en chapelet. Le dilemme-triplés, c’est la meute ou la série, le traitement en bloc ou le travail à la chaîne.

L’effet-triplés, ce n’est pas trois plus de bonheur, car le bonheur qu’apporte la meute est singulier : il n’additionne pas trois bonheurs individuels, il n’intensifie pas le bonheur propre à un enfant mais il vous frappe par surprise en ces moments-triplés où la grâce d’un monde d’enfants, séparé du vôtre, vous est gratuitement offerte, où la joie débordante d’un tel surcroît de vitalité vous époustoufle, où vos petits sommeillant paisiblement, vous prenez soudain conscience qu’ils sont bien là, chez vous, à demeure, et qu’ils sont trois.

L’effet-triplés, ce n’est pas à proprement parler trois fois plus de problèmes. Certains sont simplifiés : les jeux ne sont plus à inventer — pour combattre un ennui rampant — mais à discipliner. D’autres acquièrent une ampleur sans commune mesure avec le nombre 3 : quand l’excitation s’embrase, elle le fait exponentiellement !

Bref, l’arithmétique que vous avait enseignée votre vieux maître d’école bute ici sur un excès sans mesure : 3 ne vaut plus 1+1+1.

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