
Jumeaux Infos
(n°1, mai 2000) : le magazine des parents de jumeaux, triplés, quadruplés
et plus
 
| L’effet-triplés : quand trois
  diffère de 1+1+1 L’arithmétique que nous avait
  enseignée le maître d’école est dépassée par “l’effet triplés”. Avec trois
  enfants du même âge, ce n’est pas trois fois plus de bonheur, ni trois plus
  de problèmes, ce serait trop simple ! Non, les événements sont amplifiés
  de manière exponentielle par cette “hydre” particulière…   L’effet-triplés, c’est
  lorsque la meute des trois enfants l’emporte sur les individus qui la
  composent : quand vous êtes confronté à une hydre dotée de trois bouches
  criant et parlant à la fois, de six jambes rendant son corps extensible d’un
  bout à l’autre de l’appartement, capable à la fois de vous uriner sur le
  pantalon, de tripoter la prise électrique là-bas, au fond du salon, et
  d’ouvrir la porte d’entrée pour partir se promener. Cette hydre — ce n’est pas
  son moindre atout — a soixante doigts (quel soulagement quand
  l’échographiste, vérifiant le contenu du ventre maternel, achevait son
  décompte : 57, 58, 59 et 60, le compte est bon !). Avec une telle
  capacité de préhension, les possibilités sont inépuisables et fortement
  imprévisibles. Cette bande, il vous faut
  apprendre à la diriger et, plus étrange, à l’éduquer en bloc, comme le fait
  un trappeur avec la meute qui tracte son traîneau ; car il vous est
  impossible, dans l’instant même, de la décomposer pour intervenir
  successivement auprès de chacun, espérant agréger ensuite les comportements
  individuels ainsi disciplinés. Il vous faut
  traiter avec la meute comme telle, ou perdre la partie. L’effet-triplés, c’est la
  frustration de ne pouvoir bercer longuement chacun car vous le faites
  toujours sous la surveillance de quatre petits yeux vous fixant froidement en
  attendant leur tour. Et d’ailleurs, vous n’aimez guère être observé quand
  vous câlinez. L’effet-triplés, c’est un
  dilemme : si vous ne les traitez pas en masse (et comment feriez-vous
  pour embrasser à la fois trois enfants ?), vous êtes condamné à la
  répétition, toute caresse générant sa réitération en chapelet. Le
  dilemme-triplés, c’est la meute ou la série, le traitement en bloc ou le travail
  à la chaîne. L’effet-triplés, ce n’est
  pas trois plus de bonheur, car le bonheur qu’apporte la meute est
  singulier : il n’additionne pas trois bonheurs individuels, il
  n’intensifie pas le bonheur propre à un enfant mais il vous frappe par
  surprise en ces moments-triplés où la grâce d’un monde d’enfants, séparé du
  vôtre, vous est gratuitement offerte, où la joie débordante d’un tel surcroît
  de vitalité vous époustoufle, où vos petits sommeillant paisiblement, vous
  prenez soudain conscience qu’ils sont bien là, chez vous, à demeure, et
  qu’ils sont trois. L’effet-triplés,
  ce n’est pas à proprement parler trois fois plus de problèmes. Certains sont
  simplifiés : les jeux ne sont plus à inventer — pour combattre un ennui
  rampant — mais à discipliner. D’autres acquièrent une ampleur sans commune
  mesure avec le nombre 3 : quand l’excitation s’embrase, elle le fait
  exponentiellement ! Bref, l’arithmétique que
  vous avait enseignée votre vieux maître d’école bute ici sur un excès sans
  mesure : 3 ne vaut plus 1+1+1. | 
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