François Nicolas
51 ans - Compositeur
Paris 10 ème
Père de 5 enfants (dont des triplés de 1 an) + beau père de 2 enfants

Ma femme a 3 enfants d'un premier mariage : Simon 17 ans, Paul 15 ans et Andréa 9 ans. De mon côté, j'en ai également 2 d'un premier mariage : Guillaume 18 ans, Bruno 13 ans.

Il y a 1 an, on a décidé de compléter la collection d'un dernier bébé, une fille de préférence puisque je n'en avais pas. Et nous voilà avec des triplés, Louis, Marc et Inès. Dès la première échographie, le médecin nous a annoncé la nouvelle. On a éclaté de rire. On ne s'y attendait pas du tout (Les triplés sont spontanés). J'ai le sentiment que soit on éclate de rire, soit on éclate en sanglots.

On a refusé toute réduction du nombre de foetus. On avait décidé dès le départ qu'une naissance allait arriver dans la famille. On n'allait pas, ensuite, faire le tri, en se disant : je veux bien 1 enfant, mais pas 3, comme on pourrait se dire : je veux bien un beau brun, mais pas un mongolien, un bec de lièvre, une fille...

Les problèmes
Bien sûr, ça a posé divers problèmes dans cette famille, déjà compliquée. Il faut déjà dire que le fils aîné de ma femme, Simon est autiste. Il y a 1 chance sur 10 000 d'avoir des triplés spontanément, comme il y a 1 chance sur 10 000 d'avoir un enfant autiste. Ma femme met toujours dans le mille.

A cette époque, chaque famille vivait séparément, dans son propre appartement. Même avec la naissance du bébé, on ne pensait pas changer notre manière de vivre. Mais avec 3 bébés, ça devenait différent. On a choisi de déménager dans le plus grand des appartements ; et on a aussi décidé de se marier. On ne croit pas au mariage, mais administrativement, ça nous sécurisait. C'était une décision en cas d'éventuels problèmes à l'accouchement. On a donc véritablement recomposé une nouvelle famille.

Ce changement n'était pas simple à nos âges. J'avais 50 ans, et ma femme 38 ans. Habituellement, à cet âge, on se met à profiter du temps libre, d'une plus grande aisance financière. C'est sûrement mon vieux penchant anti-conformiste.

Les aînés
La grossesse de ma femme s'est passée sans complication. Elle a quand même été hospitalisée environ 2 mois avant. Pendant cette période, j'avais les rennes de la maison. Pour nous tous, c'était une période assez gaie. Pour les enfants, c'était un peu la liberté ; je menais ça différemment de leur mère. Il n'y a pas eu de véritables problèmes. Nos enfants se sont toujours ralliés à notre décision, ont toujours été très fiers. Ils passaient leur temps à en parler aux copains. Ils étaient fous de joie.

Guillaume, mon aîné, a peut-être été le plus inquiet. Il a 18 ans, il devait sentir que c'était à son tour d'être père. Il a trouvé à un moment, qu'à mon âge, c'était de la folie de reconstruire une nouvelle vie, mais ça n'avait finalement pas grand chose à voir avec les triplés. Aujourd'hui, il est lui aussi très fier, il voit qu'effectivement, ça comporte beaucoup d'inconvénients au quotidien, mais finalement, lui n'a que les avantages. ( Guillaume et Bruno habitent la moitié de la semaine chez leur mère ).

Le papa
Ma femme a voulu reprendre le travail assez rapidement. Je me suis donc retrouvé à gérer le quotidien, puisque en tant que compositeur, je reste travailler à la maison. Je me trouve pris, trop souvent à mon gré, dans les tâches domestiques sans pouvoir continuer à travailler mon oeuvre. Généralement, les pères sont contents de passer leur journée à l'extérieur. Moi, à l'inverse, je dois gérer mon temps et mon espace de travail à l'intérieur même du cercle familial. J'essaye de me créer mon propre espace, mais c'est difficile. Je consacre forcément beaucoup de temps aux triplés.

C'est très difficile pour le papa de devoir s'occuper des bébés. Avec un seul enfant, la mère fait face ; mais avec des multiples, c'est chacun dans le même bateau, et tout le monde doit s'y mettre. Je trouve que les problèmes ne sont pas pour les enfants, mais pour les parents. (sauf si les bébés sont malades, mais les nôtres étaient en pleine santé)

Pour ma part, j'ai l'impression que l'épreuve croît au fur et à mesure. J'en attendais l'inverse. Dans ma tête, le plus dur allait survenir dans les premiers temps (les biberons de nuit, les nourrissons qui pleurent...) En fait, aussitôt qu'un tunnel est franchi, on s'enfonce dans un autre. Je n'ai pas de mot pour nommer notre quotidien. Le plus proche serait pour moi de dire que cela ressemble à une guerre. A cause de l'urgence, qui fait que chaque moment est lourd de tensions, et que l'esprit n'a jamais le temps de se préparer à d'autres présents. Les soucis sont immédiats. Et chaque moment porte le sentiment qu'il s'y joue une survie. C'est " à la guerre comme à la guerre ".

Tout cela me semble plus dur pour le papa, parce qu'il n'a pas l'intuition du bébé, comme l'a la maman. Je ne dis pas qu'un homme n'est pas capable de donner le biberon, ou de changer le bébé. Mais j'ai tendance à penser que ma femme comprend mieux les bébés que je ne les comprends. Je perçois ça quand je l'entends les appeler " mon bébé ", alors que je n'emploie jamais ce terme. Pour moi, c'est " mon fils ", ou " ma fille ". Et quand l'un d'entre eux pleure, je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Je me tourne vers ma femme pour lui demander ce qu'il a , alors que l'inverse n'arrive jamais. Elle possède donc, en tant que mère, une intuition que je n'ai pas. La solution la plus simple est donc que la femme s'occupe des bébés. Mais dans le cas de naissances multiples, le père a un rôle forcément plus important. Et ça devient difficile à gérer.

Je comprends que certains couples ne résistent pas. Nous, c'est vrai qu'on avait de l'expérience avec nos aînés. Ca a dû nous aider.

Propos recueillis par Catherine Sambardier