ircam

mamuphi

mathématiques - musique – philosophie

Description : mamuphi

Chaîne Youtube

 

(org. M. González, G. Laplante-Anfossi, F. Nicolas)

 

Le séminaire se tient à l’Ircam (1 Place Igor Stravinsky, 75004 Paris), normalement en salle Shannon.

 

Entrée libre dans la mesure des places disponibles.

Une diffusion simultanée est assurée sous Zoom.

 

***

 

Saison 2023-2024

 

Pour cette vingtième saison, le laboratoire mamuphi se déploie en :

·       Un séminaire

avec des raisonances et retentissements

-      mathématiques

-      musicaux

-      autres

-      philosophiques

·       Un atelier

·       Une école

·       Des rencontres

 

 

(10h-13h)

(14h30-17h30)

14 octobre 2023

Atelier

Les équations abéliennes

Ivan Marin

18 novembre 2023

Pierre Carré

Matt Earnshaw et Thomas Holder

16 décembre 2023

Éric Brunier

Le Tango

(C. Ruiz, A. Schwarz, L. Lévy-Bencheton et Y. André)

13 janvier 2024

École

Abel et Arnold

Grégory Panosyan

3 février 2024

Rencontre

Faire face au nihilisme ?

4 mai 2024

(salle Stravinsky)

L’oratorio Petrograd 1918

(François Nicolas et Jean Seban)

25 mai 2024

Matias Tripodi

Jean-Pierre Marquis

 

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Pour tout contact :

   Martin González : martin.gonzalez [at] irt-systemx.fr

   Guillaume Laplante-Anfossi : glaplanteanfossi [at] gmail.com

   François Nicolas : fnicolas [at] ircam.fr

 

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Samedi 14 octobre 2023

 

François Nicolas  Atelier [1] sur les équations abéliennes [2]

Une image contenant personne, habits, Visage humain, homme

Description générée automatiquement  Une image contenant personne, habits, Visage humain, présentation

Description générée automatiquement

© É. Thomas, 2023

 

Résumé Diapositives Vidéo

 

Ivan Marin - Remarques sur le système ontologique et logique d’Alain Badiou [3]

Diapositives Vidéo

 

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Samedi 18 novembre 2023

 

Pierre Carré - De la bibliothèque à la partition, devenir d’un objet-trouvé mathématique dans Pithoprakta [a] de Iannis Xenakis [4]

Une image contenant habits, Visage humain, personne, mur

Description générée automatiquement  Une image contenant habits, mur, tableau blanc, personne

Description générée automatiquement

© É. Thomas, 2023

 

Diapositives Vidéo

 

Matt Earnshaw et Thomas Holder Warlpiri [b] kinship from a neo-Riemannian point of view [5]

Diapositives Vidéo

 

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Samedi 16 décembre 2023

 

Éric Brunier : Vers une théorie des couleurs [6]

Diapositives Exposé Vidéo

 

Yves André : Une invitation au Tango [7]

Céline Ruiz et Alejandro Schwarz : Une brève introduction au tango [8]

Léon Lévy-Bencheton : Le Tango, une chanson à texte poétique qui se danse ? [9]

Diapositives Vidéo

 

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Samedi 13 janvier 2024

 

Martin Gonzlez : La raison topologique (V.I. Arnold) du théorème d’impossibilité d’Abel [10]

Diapositives Vidéo

 

Grégory Panosyan : Gilles Deleuze et la Jurisprudence, au prisme de Lautman, Riemann et Weierstrass [11]

Exposé Vidéo

 

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Samedi 3 février 2024

Rencontre franco-tunisienne : Faire face au nihilisme ?

 

(org. H. Ben Charrada, F. Nicolas, A. Rallet et R. di Stefano)

 

 

·      François Nicolas : Qu’est-ce qu’un point à tenir ? [12] : le point de l’amour entre un homme et une femme

Diapositives Texte Vidéo

·      Alain Rallet et Rudolf di Stefano : Défier le nihilisme ? [13]

Vidéo

·      Hayet Ben Charrada : Le point de la Tunisie à la croisée des langues : le tunisien, le français et l’arabe

Texte Vidéo

·      Reine Cohen : Le point de l’énonciation dans la psychiatrie

Vidéo

·      Valérie Lozac'h-Legendre : Le point de l’école comme possible lieu d’émancipation

Vidéo

·      Guillaume Nicolas : Le point de l’architecture vernaculaire ?

Diapositives Texte Vidéo

·      Gabriel… : Le point de l’étude pour la jeunesse intellectuelle d’aujourd’hui

Vidéo

 

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Samedi 4 mai 2024

 

Avant-première

Coffret 2 CD & 1 DVD

François Nicolas : Petrograd 1918 (2021) et Duelle (2001)

Jean Seban : Cantus firmus (2024)

 

Au programme

·      Projection du film Cantus firmus (2024 ; 25 mn) de Jean Seban

·      Diffusion de l’oratorio Petrograd 1918 (2021 ; 80 mn)

Six mouvements (d’après le poème Douze d’A. Blok) pour piano, disklavier, IKO et récitant

Commande de l’Ircam

Enregistrement

-      Piano : Florence Millet

-      Récitante : Inès Nicolas

-      Assistant musical : Carlo Laurenzi

-      Ingénieur du son : Sylvain Cadars

-      Direction artistique : Cécile Lenoir

 

10h-13h

[ Buffet ]

15h-18h

Cantus firmus (première projection)

Petrograd 1918 (première partie)

1.     Nuits de Petrograd (15 mn)

2.     Soulèvements (13 mn)

3.     Paroles (12 mn)

Petrograd 1918 (seconde partie)

4.     Longue marche (18 mn)

5.     Aube (16 mn)

6.     Postlude (6 mn)

Cantus firmus (seconde projection)

 

Lien Zoom :

https://us06web.zoom.us/j/81781117190?pwd=aJ8BN63pZOxtcuavtGuwkkVN90K8Hn.1

ID de réunion : 817 8111 7190

Code secret : 307310

 

***

 



[a] https://www.youtube.com/watch?v=nvH2KYYJg-o

[b] https://en.wikipedia.org/wiki/Warlpiri_people



[1]

Principes de l’atelier mamuphi

 

1       Cet atelier est disposé sous l’axiome d’une « égalité des intelligences » qui, selon la thèse de Joseph Jacotot (1770-1840) interprétée par Rancière dans Le maître ignorant (1987), pose en substance que toute production de pensée est intelligible par n’importe qui, pour peu bien sûr qu’il veuille se donner la peine de se l’approprier.

2       Cet atelier est l’affaire de mathématiciens aux pieds nus : mathématiciens non-professionnels, amateurs de la pensée mathématique, qui l’étudient très lentement, en évitant que son indispensable formalisation ne se replie en un formalisme clos sur lui-même, et mesurant ainsi patiemment chacun de leurs pas formels à différentes interprétations.

3       Les théories mathématiques ici examinées sont susceptibles de trois types d’interprétation : intra-mathématique (du type interprétation géométrique d’une formalisation algébrique), intra-scientifique (du type application aux sciences physiques) et extra-scientifique (interprétation plus intellectuelle, vers des domaines non scientifiques, structurés autour de procès explicitement subjectifs, d’un type qu’on nommera raisonance pour indiquer le travail ici de résonance entre raisons disparates).

4       Le troisième type d’interprétation – la raisonance donc - constitue la motivation essentielle de cet atelier. Sa mobilisation pour comprendre et par là apprendre les jeux formels de la mathématique reste motivée par des enjeux outrepassant ceux de la mathématique : il s’agit de tracer des diagonales interprétatives qui circulent librement (de manière non strictement applicative) des mathématiques vers des domaines (artistiques, militants et philosophiques…) dont la rationalité propre diffère de celle, démonstrative, des mathématiques.

5       Ce type de diagonale fait alors cheminer la lumière mathématique (vers des domaines qui en sont spontanément séparés) selon une lumière rasante (quand celle des applications est zénithale) qui révèle les reliefs par des ombres portées (indiquant corrélativement ce qui, du domaine considéré, n’est pas mathématisable).

6       L’évaluation d’une telle diagonale dépendra alors d’une fécondité de l’imaginaire ainsi levé (imaginaire dont le nouage à une symbolisation inattendue vient ombrer quelque réel insaisissable) sans strictement se mesurer, comme dans les logiques applicatives, à l’exactitude des enchaînements formels.

7       Pour engager tout ceci, il importe préalablement de sélectionner soigneusement la théorie mathématique susceptible d’une telle lumière rasante sur des enjeux qui l’outrepassent. En effet, rien là de mathématiquement nécessaire s’il est vrai que toutes les théories mathématiques n’ont pas, au même degré, un tel potentiel de raisonances par ombres et lumières au-delà de leur univers propre.

 

[2]

François Nicolas – Atelier sur les équations abéliennes

 

Après avoir démontré l’insolubilité algébrique de l’équation quintique générale (1824-1826), Abel examine (1828-1829) les conséquences algébriques de la résolubilité pour les équations irréductibles, dégageant ainsi les propriétés spécifiques de ce que Kronecker appellera (1853) « les équations abéliennes ».

L’enjeu de cet atelier sera de s’approprier cette théorie en dégageant, par contrepoint de l’approche galoisienne (1831), ses possibles enjeux intellectuels (ses « raisonances ») en termes de composition des collectifs tant musicaux que militants.

Ce faisant, on s’intéressera à la dialectique de la définition et de l’identification nominale qui conduit en particulier à discerner le cas, finalement le plus général, d’innommables parfaitement définis.

 

[3]

Ivan Marin - Remarques sur le système ontologique et logique d’Alain Badiou

 

Je passerai en revue divers aspects du système ontologique et logique qu’a construit Alain Badiou, en lien serré avec des théories mathématiques, la théorie des ensembles et celle des catégories, dans les trois tomes de son triptyque L’être et l’événement.

Je mettrai ensuite en question l’utilisation qu’il fait de ce que l’on appelle en théorie des ensembles l’axiome d’existence de cardinaux dits "inaccessibles", dont il fait une sorte de fil d’Ariane parcourant ces trois volumes.

On terminera par une analyse de ce que cette mise en question à la fois apporte et retire à l’articulation logique du système philosophique.

 

[4]

Pierre Carré - De la bibliothèque à la partition, devenir d’un objet-trouvé mathématique dans Pithoprakta de Iannis Xenakis

 

Largement commentées par Xenakis et ses exégètes, véritable cas d’école de l’application d’un modèle extra-musical à la composition dans l’avant-garde d’après-guerre, les célèbres mesures 52-59 de Pithoprakta puisent leur matérialité dans la théorique cinétique des gaz de Maxwell-Boltzmann. Toutefois, cet emprunt cache en réalité une pratique bien plus nuancée que celle présentée par le compositeur, ce que révèle un examen approfondi de différentes sources issus du fonds d’archives Xenakis. Nous proposerons donc une analyse détaillée de ces quelques mesures à partir d’un triple éclairage croisé : celui de la bibliothèque du compositeur et de ses carnets d’esquisses ; celui de la partition publiée ; et celui du premier chapitre de l’ouvrage théorique Musiques Formelles dans lequel Xenakis expose ses outils compositionnels.

À partir d’une confrontation critique entre la pratique du compositeur et son discours théorique, nous verrons ce que l’analyse de l’artisanat mathématique révèle des processus compositionnels chez Xenakis, et par là même interroge le statut des emprunts musicaux à des modèles scientifiques.

 

[5]

Matt Earnshaw et Thomas Holder - Warlpiri kinship from a neo-Riemannian point of view

 

We give an overview of the tradition of mathematical anthropology that originated with Lévi-Strauss’ structuralist approach to kinship (Lévi-Strauss/Weil 1949, Courrège 1966, Lawvere/Schanuel 1997). Focusing on the kinship system and culture of the Warlpiri people from Australia (Meggitt 1962, Laughren 1982, Glowczewski 1987, Lucich 1987) as a running example will allow us to bring out parallels with recent developments in transformational music theory.

 

[6]

Éric Brunier - Vers une théorie des couleurs

 

Delacroix dans son Journal appelait à « l’entente de la couleur dans la peinture » selon la double contrainte d’un principe harmonieux des couleurs entre elles (d’une interaction immanente des couleurs) et de l’accident créé par la lumière qui bouleverse cette harmonie mais crée du relief. Il remarquait bien ainsi que la couleur en peinture s’avère contradictoire avec les théories qui avaient alors cours, celles de Newton et de Goethe, puisque le tableau moderne les tient pour unies, alors que l’idéologie de l’époque, d’accord avec les principes classiques, les considère opposées.

Fidèle à l’exigence de Delacroix, il s’agira donc d’une part d’exposer ce qui peut paraître contradictoire entre Newton et Goethe, d’autre part de tenter de formuler une théorie des couleurs propre à la pratique des peintres.

 

[7]

Yves André - Une invitation au Tango

 

Au vu des archives, les contacts de l’Ircam avec le tango ne semblent guère franchir les bornes du répertoire « classique » d’évocations et de réminiscences, souvent réduit à des compositions pour piano solo.

À l’occasion de la vingtième saison du séminaire mamuphi, il nous a paru intéressant d’organiser une rencontre entre l’Ircam et le tango authentique, avec ses trois composants indissociables : la danse, la musique et la poésie

- en compagnie de Céline Ruiz, danseuse professionnelle de tango, d’Alejandro Schwarz, compositeur et guitariste de tango, et de Léon Lévy-Bencheton, écrivain, traducteur et chanteur de tango, organisateur de milonga.

 

[8]

Céline Ruiz et Alejandro Schwarz - Une brève introduction au tango

 

Cette danse qui cumule les oxymores : extrêmement raffinée mais venant des bas-fonds, fascinante de sensualité mais extrêmement codifiée ; cette danse qui jaillit du « corps-accord » de l’abrazo (l’enlacement) ; qui interprète toutes les nuances d’une musique et non pas un simple rythme ; mais qui l’interprète en restant improvisation permanente, tissée à deux dans une écoute réciproque de chaque instant.

Ensemble, Céline R. et Alejandro S. nous proposent une brève introduction à cette danse et à sa musique : ni tout à fait conférence, ni concert ni démonstration, mais présentation exemplifiée, suivie – ce serait le sens qu’ils souhaitent donner à cette rencontre – d’un vrai dialogue avec les Mamuphiques, illustré d’exemples.

 

[9]

Léon Lévy-Bencheton - Le Tango, une chanson à texte poétique qui se danse ?

 

Le Tango est une musique populaire dansée, surgie en quelques décennies (1850 à 1930 pour l’essentiel) dans le prolongement d’une immigration massive.

L’objectif de cet exposé est de montrer que cette culture populaire urbaine du Rio de la Plata, après des débuts focalisés sur la danse, au demeurant dans des lieux mal famés (notamment à Buenos Aires), a donné naissance à un véritable genre de chansons à texte d’un niveau poétique et musical remarquable, créées par un petit nombre de poètes et musiciens de haut niveau, et interprétées par des chanteurs et chanteuses d’exception, en premier le légendaire Carlos Gardel, le plus souvent avec des arrangements et accompagnements d’orchestres magistraux, œuvres d’anthologie qui sont encore chantées et dansées de nos jours dans le monde entier.

L’exposé introductif sera illustré par une promenade thématique à travers une dizaine de tangos d’anthologie : le thème, les paroles dans les deux langues, écoute d’une interprétation historique, chant par le conférencier d’une ou deux strophes en français (ses propres traductions « chantables ») en live sur des playbacks de guitare.

 

[10]

Martin Gonzlez : La raison topologique (V.I. Arnold) du théorème d’impossibilité d’Abel

 

Pendant l’année scolaire 1963-1964, V.I. Arnold s’attaqua à expliquer le théorème d’impossibilité d’Abel à des étudiants du secondaire. Il approcha le problème géométriquement en renversant la question à poser : au lieu d’étudier ce que regroupe l’ensemble des solutions, il construira une fonction multivaluée F d'une variable complexe avec autant de valeurs-images qu’il y a de solutions. À cette fonction multivaluée, il associera une surface (justement dite de Riemann car elle est faite de coupures décidées en des points dits de ramifications, notions évoquées par Riemann dès sa dissertation inaugurale de 1851) qui revêt le plan et dont l’étude topologique des monodromies dévoilera la preuve d’impossibilité d’Abel.

L’approche d’Arnold nous dit plus que ce que les preuves d’Abel nous disent. Non seulement elle exclut de nouvelles fonctions à être candidates-solutions d’une équation algébrique mais elle montre que l’argument d’impossibilité est de nature fondamentalement topologique : aucune fonction dont la surface associée a même type de branchement topologique que celle de F n’est résoluble algébriquement.

Dans cette école, nous présenterons l’arithmétique géométrique élémentaire qui opère dans cette approche d’Arnold du théorème d’Abel et nous éluciderons quelques interprétations intra-mathématiques (théorie des obstructions et des singularités) ainsi qu’extra-mathématiques que cette approche autorise.

 

[11]

Grégory Panosyan : Gilles Deleuze et la Jurisprudence, au prisme de Lautman, Riemann et Weierstrass

 

La jurisprudence est dans un sens large la coutume des tribunaux créée pour résoudre un problème juridique nouveau. Chez Gilles Deleuze, la jurisprudence exprime, grâce au soutien serré des mathématiques, les problèmes que le droit rencontre. Règle immanente et réfléchissante au sens kantien, la jurisprudence chez Gilles Deleuze nécessite toutefois un juge immanent pour conserver toute sa pertinence, juge qui appartient au milieu considéré, autrement dit juge intrinsèque au milieu jugé.

La jurisprudence est dans son mécanisme la manière pour le droit de se singulariser. « Invention du droit » selon les termes de Gilles Deleuze, elle peut être utilisée dans d’autres domaines, en particulier, comme nous y invite Gilles Deleuze, en politique dans le traitement des situations révolutionnaires. Il est par conséquent important en 2024, au regard d’un capitalisme mondialisé et très gravement inégalitaire, de s’intéresser au lien unissant l’œuvre de Gilles Deleuze et le concept de jurisprudence.

Le droit n’est pas qu’un habillage de soutien du capitalisme, une superstructure du capitalisme en terme marxiste – même si cette lecture est évidemment pertinente et très actuelle. C’est la force de Gilles Deleuze de s’être aperçu dès 1953 dans Empirisme et Subjectivité, de la positivité du droit, de l’aspect créateur de la jurisprudence et de son utilité pour le groupe, indépendamment d’une forme capitaliste que le groupe pourrait prendre. Le droit et la jurisprudence n’ont pas toujours été capitalistes. Il n'y a pas de raison qu’ils le restent - c’est un point très important. Alors que la norme juridique se définit essentiellement comme règle de conduite et que fondamentalement « la discipline est la seule arme de ceux qui n’ont rien » (A. Badiou), il nous faut nous intéresser de près à cette source normative révolutionnaire telle que pensée par Gilles Deleuze.

 

[12]

François Nicolas : Qu’est-ce qu’un point à tenir ?

 

L’enjeu sera de clarifier ce que point à tenir veut dire.

On y procèdera en avançant dix caractéristiques formelles du type subjectif de point qui va nous occuper aujourd’hui. On examinera ces caractéristiques à la lumière des mathématiques – celles de l’analyse complexe (Cauchy-Weierstrass), de la théorie des topos (Grothendieck) et de la géométrie différentielle synthétique (Lawvere) - et à l’ombre de la philosophie (celle de Badiou dans Logiques des mondes).

Précisons : à proprement parler, une telle formulation ne se déduit aucunement des mathématiques et de la philosophie mais son déploiement peut se clarifier et s’assurer en s’y adossant.

 

1.     Un point, au sens moderne, a une intériorité et une épaisseur ; il n’est donc plus, comme le point classique (euclidien), sans dimension. [Grothendieck…]

Un point moderne est doté d’une composition interne.

2.     Un tel point est constitué par l’espace particulier (la situation, le monde) dont il va devenir le point ; il n’est donc plus constituant d’un espace abstrait général comme l’était le point classique (euclidien).

Tout point moderne est point d’un espace préalablement donné dont il procède.

3.     Un tel point émerge d’un « intérieur », de « son » intérieur (ou micro-situation incluse dans l’espace de départ) comme une sorte de limite « consciente » d’un mouvement brownien infinitésimal et « inconscient » (d’un microscopique « voisinuage »), comme l’extrémité affleurante d’un iceberg. [Lawvere…]

Le point moderne est une pointe, faisant percée exceptionnelle dans la régularité de l’espace dont il procède.

4.     Le type de point qui nous occupe s’affirme comme un point de vue, c’est-à-dire comme point couplé à un vecteur : comme micro-flèche précisément localisée dans l’espace concerné.

Dans notre acception, un tel type de point est subjectivement investi. Ce faisant, il mute d’une existence objective dans l’espace (la situation, le monde) concerné à une ek-sistence subjective qui se tient (sistere) au-delà (ek) de cette existence objective en l’excédant de manière immanente.

5.     Ce faisant, un tel type de point engage de strictes alternatives : celle de ses existence et ek-sistence effectives et celle du sens de son vecteur. [Badiou…]

Un tel type de point est un point de bifurcation subjective, de décision binaire.

6.     On fait sien un tel type de point – ce point devient « son » point - en s’embarquant avec lui (pour intervenir dans la situation donnée selon la prescription formulée par ce point) et non pas en prétendant le maitriser selon quelque examen objectif en surplomb de la situation concernée.

Un tel type de point, qui sollicite l’engagement d’un sujet, constitue une cause subjective.

7.     Tenir ce point comme « son » point initie une dynamique : celle de le faire travailler dans la situation qui l’a constitué. Le tenir ne consiste donc pas à y camper, s’y retrancher ou s’y fortifier mais à se déplacer dans la situation concernée selon la direction localement prescrite par son vecteur initial en sorte de tracer un parcours que le point n’aura pas prédéfini mais qu’il saura « inventer » au fur et à mesure de son travail en situation. [Cauchy-Weierstrass]

Un tel type de point est un point d’intervention orientée, non pas selon un but a priori auquel parvenir (à proprement parler, on ne sait où l’on va même si l’on sait parfaitement dans quel sens on avance) mais selon une direction engageant le mouvement.

8.     Rétroactivement, le parcours tracé selon ce point sera l’enveloppe des points de vue (des « vecteurs ») successivement soutenus, pas après pas, dans la situation.

Tenir son point – autrement dit « tenir bon » dans la situation concernée - se mesurera au parcours qui aura été ainsi tracé.

9.     Tenir son point de proche en proche autorisera de relier deux localisations spatio-temporelles distinctes et initialement disjointes (dans la situation concernée) selon un même fil rouge, un même fil conducteur.

Tenir son point pourra ainsi ambitionner de constituer une région, orientée selon une même idée directrice : celle que le point aura indiquée à l’entame et que son trajet aura inventivement et souplement matérialisée.

10.   Arriver à produire un tel type de région constituera alors une victoire subjective contre le confinement (i.e. l’enfermement dans un « agir localement » ayant renoncé à toute véritable ambition globale) et matérialisera une espérance : le point, ainsi tenu d’un bout à l’autre de la région qu’il aura inventée, matérialisera en effet la promesse matérialiste que ce parcours (régional) pourra être inventivement prolongé à échelle globale du monde concerné.

Un tel type de point, d’origine infinitésimalement locale, s’avère ainsi la chance, subjectivement offerte, d’ek-sister dans une situation donnée en ambitionnant légitimement une transformation globale de cette situation : en l’étendant, par adjonction d’une nouvelle région matérialisant le travail persévérant et créateur d’une idée, à portée d’ensemble, courageusement soutenue d’un bout à l’autre de cette région.

Au total, l’ek-sistence subjective ainsi engagée par ce type de point en situation reposera sur le courage de tenir bon sur son point !

 

[13]

Alain Rallet et Rudolf di Stefano : Défier le nihilisme ?

 

Cette journée constitue le prolongement de rencontres ayant eu le même objectif et tenues en Tunisie, à Nabeul début mars 2023. L’enjeu commun de ces rencontres : que dire, comment se positionner et que faire face à l’emprise du nihilisme contemporain ?

 

Chacun fait chaque jour l’expérience douloureusement ressentie de cette emprise. Chaque jour apporte en effet son lot de dévastations subjectives. Le nihilisme n’est plus seulement un horizon philosophique ; c’est aussi une expérience vécue face à un déferlement d’événements négatifs mettant en question jusqu’au destin de l’humanité : pandémie, destruction de la planète par une course sans fin au profit, guerres locales annonciatrices d’une guerre mondiale entre puissances, bouleversements géopolitiques, politiciens courant sans tête, inégalités croissantes… Dans ce contexte menaçant, le nihilisme prospère, faute d’une capacité politique collective à formuler et mettre en œuvre une voie émancipatrice.

Le nihilisme prospère sous deux formes repérées par Nietzsche. La forme passive du nihilisme (ne rien vouloir) a pour ressort la simple survie animale, se contenter de l’existant, de ce qu’il y a, en faisant le gros dos dans les tempêtes sans même forcément y croire. La forme active (vouloir le rien) a pour ressort la fascination pour la destruction, la guerre, l’anéantissement et la jouissance morbide qui peut en être tirée. Quelle que soit sa forme, le nihilisme entretient une méfiance généralisée dans la capacité de l’humanité à dépasser ses instincts primitifs, à construire une puissance collective émancipatrice.

Il n’est cependant pas possible aujourd’hui de mener un combat global contre lui : cela impliquerait une force collective qui fait aujourd’hui défaut depuis les échecs des politiques émancipatrices au siècle dernier. D’ailleurs le déferlement nihiliste n’a été rendu possible qu’à raison de ces échecs.

 

Cela ne nous condamne pas pour autant à l’impuissance et à l’inaction.

« Tenir à distance le nihilisme », « faire un pas de côté » désignera alors une position subjective se tenant hors de l’emprise du nihilisme, capable pour cela de reconstituer, pas à pas, point après point, les perspectives d’une confiance retrouvée dans l’humanité à partir de déclarations singulières, inventives, subjectivement enracinées dans la vie de ceux qui les énoncent.

L’enjeu sera ici, non pas de formuler quelques principes généraux, mais d’assumer, dans une situation donnée, une prise de position subjective faisant l’objet d’un engagement prolongé, tenant courageusement à distance les impasses du renoncement, du « à quoi bon ? », développant pour cela concrètement l’image d’alternatives possibles à l’existant, même si ces possibles apparaissent minuscules au regard du paysage dévasté du monde contemporain : il n’y a pas de petites victoires dans un monde accablé par le nihilisme. Car la force de telles prises de position est de pouvoir être reconnues par d’autres, non pour qu’ils fassent la même chose mais pour qu’à leur tour ils soient encouragés, soit à manifester leur propre point subjectif dans le domaine et la situation qui sont les leurs, soit à partager le ou les points qu’ils tiennent déjà.

Notre objectif n’est donc pas de constituer un « programme » qui serait l’addition de tous les points subjectivement tenus mais de créer autour d’eux un réseau d’amitié et de fraternité qui travaille à se connaître et se reconnaître en acquérant une confiance mutuelle. L’enjeu est ainsi de constituer une confiance collective qui permette de passer de la grandeur de l’isolement, la grandeur de celui qui, dans son travail, dans son art, dans son activité scientifique, dans ses relations, dans sa vie quotidienne et ses passions, tient la force affirmative d’un point - et il y en a beaucoup, nous le savons -, de passer donc de cette grandeur à l’émergence d’une force collective qui, certes, ne sera pas immédiatement capable de transformer la situation générale mais qui saura cependant se dresser comme force subjective, capable de déminer en quelques points l’atmosphère plombée du nihilisme ambiant, de secouer cette ambiance mortifère.

Ce faisant, il s’agit de projeter cette force commune en inspirant une confiance collective au travers des exemples pratiqués, des exemples limités et circonscrits certes mais forts d’une modestie créatrice et de son potentiel émancipateur.