ircam cnrs

mamuphi

mathématiques - musique – philosophie

Description : mamuphi

Chaîne Youtube

 

(org. C. Alunni, M. Béjean, M. González, G. Laplante-Anfossi, F. Nicolas)

 

Le séminaire se tient à l’Ircam (1 Place Igor Stravinsky, 75004 Paris) en salle Shannon.

 

Entrée libre dans la mesure des places disponibles.

Une diffusion simultanée est assurée sous Zoom.

 

***

 

Saison 2022-2023

 

 

10h-13h

14h30-17h30

1° octobre 2022

François-Bernard Mâche

La musique : comment, pourquoi ?

[ vidéo ]

 

5 novembre 2022

Alexis Jacquemin

Perspectives du théâtre romantique

[ texte ]

François Nicolas

Le « romantisme révolutionnaire » d’Henri Lefebvre à la lumière de la mathématique différentielle et intégrale

[ vidéo et texte ]

3 décembre 2022

Bruno Moysan

Actualité du romantisme lisztien ?

[ vidéo ]

Éric Brunier

Delacroix, Baudelaire : la chimère fauve

[ vidéo ; diapos ]

7 janvier 2023

Frédéric Patras

Classicisme et romantisme

[ vidéo ]

Anne-Françoise Schmid

L’obscur cogito de l’écrivant-compositeur

[ vidéo ; texte ]

4 février 2023

Loïc Merel

La théorie des nombres comme “projet romantique” ?

[ vidéo ]

Lawvere & Hegel II :

Guillaume Laplante-Anfossi

[ vidéo ; texte ]

Alain-Patrick Olivier

[ vidéo ; texte ]

4 mars 2023

Jean-Jacques Szczeciniarz

En quel sens peut-on dire qu’Abel est un romantique ?

[ vidéo ]

Mirna Dzamonja

Un retour à l’infini potentiel

[ vidéo ; texte ]

1° avril 2023

Frédéric Barbaresco

« L'esthétique des structures de feuilletage symplectique du mouvement et de la chaleur »

ou le romantisme fulgurant de(s) Souriau

[ vidéo ; diapos ]

 

6 mai 2023

Benoît Timmermans

Questions de forme et de musique chez Andreas Speiser : entre romantisme et classicisme

[ vidéo ; texte ]

Discussion générale

sur les perspectives 2023-2024 du séminaire

 

 

 

 

 

Y a-t-il aujourd’hui une actualité

(partageable par les mathématiques, la musique et la philosophie)

des différents romantismes ?

 

Le rapport des modernités aux romantismes s’est longtemps partagé entre deux positions extrêmes : reconnaître dans les romantismes un courant anticlassique et par là prémoderne (voir par exemple les références à Novalis déclarant que « romantiser, c’est algébriser ») ou à l’inverse se constituer ouvertement contre lui (voir par exemple Boulez se réjouissant que Klee « appréciait Hindemith et Stravinsky qui symbolisaient la haine du romantisme ») même si, bien sûr, romantisme ne désigne pas exactement la même orientation dans ces différentes prises de position.

Puis les « postmodernités » sont venues à leur tour se réclamer, à leur manière, d’un certain romantisme (celui de l’artiste désœuvré performant l’inexistence des précédentes ambitions…) pour mieux déconstruire les modernités du XX° siècle.

Mais s’il s’agit désormais pour ces modernités de prolonger au XXI° siècle leurs théories mathématiques, leurs œuvres musicales et leurs concepts philosophiques en inventant quelques nouveaux gestes de continuation, ne leur faut-il pas alors disputer à ces postmodernités la référence positive aux romantismes en sorte de relocaliser leur source génératrice en amont du XX° : dans un XIX° dont la productivité ne se serait pas tarie ?

Il en va sans doute ici de notre capacité à renouveler des raisonances contemporaines entre mathématiques (mais s’il y a bien eu des mathématiciens romantiques, y a-t-il jamais eu des mathématiques romantiques ?), musiques (qu’en est-il d’une expressivité contemporaine qui se voudrait héritière de celle du romantisme ?) et philosophies (comment les finitudes s’avèrent-elles les déchets d’infinités premières et constituantes ?).

 

 

***

 

Pour tout contact :

   Charles Alunni : alunni [at] ens.fr

   Mathias Béjean : mathias.bejean [at] u-pec.fr

   Martin González : martin.gonzalez [at] live.fr

   Guillaume Laplante-Anfossi : glaplanteanfossi [at] gmail.com

   François Nicolas : fnicolas [at] ircam.fr

 

***

 

Samedi 1° octobre 2022

 

François-Bernard Mâche : La musique : comment, pourquoi ?

[ vidéo ]

 

 

Samedi 5 novembre 2022

 

Alexis Jacquemin : Perspectives du théâtre romantique [1]

[ texte ]

 

François Nicolas : Le « romantisme révolutionnaire » d’Henri Lefebvre à la lumière de la mathématique différentielle et intégrale [2]

[ vidéo et texte ]

 

 

Samedi 3 décembre 2022

 

François Nicolas – Introduction : les enjeux du séminaire sur le romantisme

[ vidéo ]

 

Bruno Moysan : Actualité du romantisme lisztien ? [3]

[ vidéo ]

 

Éric Brunier : Delacroix, Baudelaire, la chimère fauve [4]

[ vidéo ; diapos ]

 

 

Samedi 7 janvier 2023

 

Frédéric Patras : Classicisme et romantisme [5]

[ vidéo ]

 

Anne-Françoise Schmid : L’obscur cogito de l’écrivant-compositeur [6]

[ vidéo ; texte ]

 

 

Proposition à mi-parcours…

 

De la pluralité manifeste des romantismes, il semble possible d’extraire un noyau pouvant rester fécond pour les modernités du XXI° siècle.

Caractérisons pour cela une certaine orientation romantique, constituée bien sûr contre les classicismes qui l’ont précédée, par le faisceau coordonné de quatre dimensions (faisceau qu’on interprètera mamuphiquement comme quaternion romantique intriquant un vecteur à trois dimensions et une dimension scalaire) :

1.     une promotion de l’imagination (contre le réalisme classique) et par là des possibles (plutôt que des seules factualités attestables) ;

2.     une mise au jour d’un inconscient (contre la transparence classique de la conscience réflexive) et par là d’un sujet constitué d’affects qui le divisent (plutôt que d’un sujet constituant d’une raison qui assure son unité) ;

3.     une valorisation du fragment (œuvre ouverte contre la complétude classique) et par là d’une espérance inhérente à l’action restreinte (plutôt que d’une totalisation garantie) ;

(4)   un parti pris de dynamique dialectique (contre la stabilité classique) et par là d’un déséquilibre vers le futur (plutôt que d’une symétrie résolutive rétroagissant sur le passé).

 

Le tableau suivant résume alors la manière dont, à partir de 1830, ce « quaternion » romantique a trouvé des équivalences (des « raisonances ») dans le romantisme musical et dans la modernité mathématique alors émergeante.

 

Orientation classique

Orientation romantique

Romantisme musical

Modernité mathématique (1)

Réalisme des effectivités

Imaginaire des possibles

Fantaisies

Analyse complexe (2)

Conscience constituante et unifiante

Inconscient constituant d’affects divisés

Nachtstücke

Groupes de Galois (3)

Un-Tout

Fragments

Albums

Géométrie locale riemannienne (4)

Équilibre symétrique

Dynamique dialectique

Fins ouvertes irrésolues

Calcul différentiel et intégral (5)

(1) Les raisonances s’établissent moyennant les interprétations extra-mathématiques qui suivent :

        (2) et sa dialectique de l’effectif (nombres réels) et du possible (grandeurs imaginaires) ;

        (3) d’où l’inconscient mathématique structuré comme un groupe (groupe discret de Galois pour l’inconscient algébrique et groupe continu de Lie pour l’inconscient topologique) ;

        (4) et sa dialectique des cartes locales et de l’atlas global ;

        (5) ici, la différentialisation et l’intégration d’une position subjective viennent correspondre à sa subjectivation et à son procès subjectif.

 

On remarquera qu’au XXI° siècle les post-modernités prétendent accaparer la référence à cette figure romantique en jouant de sa division interne pour :

·       rabattre la composition délibérée de fragments ouverts en la fragmentation de totalités préexistantes (découpe dans des unités déjà-là qui conduit aux patchworks et aux collages de déchets) ;

·       réduire l’imagination à l’exhibition d’images narcissiques (d’où des artistes dandy faisant œuvre d’un confinement dans une finitude plaintive) ;

·       s’autoriser de l’inconscient pour déresponsabiliser des spontanéités inconséquentes (d’où la prolifération relativiste des zappings) ;

·       aplatir la dynamique dialectique en un vitalisme de la finitude (d’où des performances désœuvrées).

 

A contrario, rien n’interdit aujourd’hui qu’une modernité renouvelée et non-antiromantique dispute à ce nihilisme postmoderne la référence créatrice à cette orientation.

 

 

Samedi 4 février 2023

 

Séance dédiée à la mémoire de William Lawvere, mort le 23 janvier 2023.

 

Loïc Merel : La théorie des nombres comme “projet romantique” ? [7]

[ vidéo ]

 

Lawvere & Hegel II [8] :

Guillaume Laplante-Anfossi : La dialectique au cœur de la géométrie différentielle synthétique

[ vidéo ; texte ]

Alain-Patrick Olivier : Beethoven-Hegel-Adorno - dialectique et libre improvisation

[ vidéo ; texte ]

 

 

Samedi 4 mars 2023

 

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© Édouard Thomas, 2023

 

Jean-Jacques Szczeciniarz : En quel sens peut-on dire qu’Abel est un romantique ? [9]

[ vidéo ]

 

Mirna Dzamonja : Un retour à l’infini potentiel [10]

[ vidéo ; texte ]

 

 

Samedi 1° avril 2023

 

Frédéric Barbaresco : « L'esthétique des structures de feuilletage symplectique du mouvement et de la chaleur » ou le romantisme fulgurant de(s) Souriau [11]

[ vidéo ; diapos ]

 

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© Édouard Thomas, 2023

 

 

Samedi 6 mai 2023

 

Benoît Timmermans - Questions de forme et de musique chez Andreas Speiser : entre romantisme et classicisme [12]

[ vidéo ; texte ]

 

Discussion générale sur les perspectives 2023-2024 du séminaire mamuphi [13]

 

***



[1] Initialement, j’avais intitulé cette intervention « Scénographie » du théâtre romantique ; mais le concept de Perspectives me semblait permettre plus de recul, afin d’englober plus largement la spécificité du théâtre romantique, qui n’est évidemment pas que scénique. D’ailleurs, l’art de la scénographie était déjà décrit par Vitruve comme « le retour des côtés par le concours de toutes les lignes qui aboutissent à un centre », ce qui est l’une des fonctions de la Perspective : faire entrer dans un espace à partir du centre qui déploie, de façon rétrospective, les côtés par lesquels on y est inclus – c’est en général le propre du théâtre : inclure dans l’espace de la représentation. Plus précisément, le théâtre romantique pourrait être caractérisé d’emblée comme un mode de l’espace, ou plutôt un agencement modal de l’espace car il contient en réalité plusieurs modes – comme nous allons le découvrir.

En effet, le romantisme au théâtre est perçu par beaucoup de commentateurs et commentatrices comme une époque charnière, où une tentative de réconciliation s’essaie au carrefour de différentes aspirations ; et ce moment a ceci de particulier qu’il est une crise des tentatives précédentes, sans être pour autant le côté Négatif d’une dialectique qui se transformerait en un relèvement, un dépassement. Parce que le théâtre romantique – et c’est là ma thèse audacieuse – n’a pas trouvé de relève à même de lui donner un aboutissement dans une forme bien définie – s’est au contraire diffusé, prolongé, sans arrêt sur image, car, dès ses débuts, ses contours n’étaient pas vraiment disposés à l’effet d’une Figure.

 

[2] Au tournant des années 50 et 60 du XX° siècle, Henri Lefebvre élabore le projet d’un nouveau romantisme : un « romantisme révolutionnaire » susceptible de réactiver, cent trente ans plus tard, cette modernité d’un premier romantisme dont Lefebvre fixe le paradigme dans le romantisme littéraire français de Stendhal.

Un projet

Le projet de ce second romantisme se dessine selon douze caractéristiques qui varient celles du premier romantisme.

1)     Romantisme désigne un projet qui, début 1960, n’a guère plus de réalisation à son actif que le projet de Stendhal n’en avait en 1825.

2)     Il s’agit d’un romantisme de type artistique (« révolutionnaire » ne concerne donc pas ici directement la pensée politique).

3)     Ce nouveau romantisme esthétique aura plus de difficulté que le premier à se disposer à l’école d’une musique affirmative de son temps puisque « la musique actuelle [1963] se définit de façon seulement négative par rapport à l’ancienne : atonale, athématique ».

4)     Comme le premier, ce second romantisme émerge dans l’entre-temps d’une révolution passée (forclose par une Restauration contre-révolutionnaire) et d’un nouvel horizon d’avant-garde : « un passé disparaît ; un horizon nouveau monte devant nous. »

5)     Ce nouveau projet s’oppose aux néoclassicismes (néoclassicisme à l’Ouest et réalisme socialiste à l’Est) tout de même que le premier s’opposait aux classicismes de son temps.

6)     Contre l’équilibre statique classique, romantisme veut dire : primauté donnée à une dynamique expressive de l’effet subjectif.

7)     Contre la problématique classique de l’unité totalisante, le romantisme met l’accent sur le fragmentaire.

8)     Dans le premier romantisme, les unités de type nouveau (non classiques) se pensaient sous le signe de l’Harmonie. Dans les années 60, la reprise de ce point est encore incertaine.

9)     Le premier romantisme corrélait « Harmonie » et « Nature » selon deux acceptions opposées de ce que « Nature » veut dire : une conception cosmologique (allemande) et une conception anthropologique (française). La réactivation de ce point n’est guère détaillée dans le nouveau projet d’Henri Lefebvre.

10)   Point essentiel : cette orientation romantique se fait selon les possibles, non les effectivités (« le possible fait partie intégrante du réel » ; « il faut explorer le possible et ne pas se borner à enregistrer l’accompli. »). Par là, elle mobilise le Principe espérance (Ernst Bloch : « ce que nous sommes vient au-devant de nous. ») et motive en première ligne la jeunesse (« la jeunesse est une école des possibles ; elle s’offre en proie au possible. »).

11)   L’opérateur cardinal dans l’exploration des possibles est l’imagination.

12)   L’enjeu de ce nouveau romantisme est de relancer les modernités, « de donner une signification nouvelle à ce mot si vague et dont on a tant abusé : le moderne ».

Une interrogation

Comment ressaisir l’unité de ces douze caractéristiques ? Comment remonter de ces douze projections au noyau même du projet comme on remonte d’un problème à sa problématisation, d’une subjectivité à sa subjectivation constituante ? Quelle Idée princeps produit et coordonne ces douze dimensions ?

C’est en ce point que nous proposons de convoquer la mathématique de la dynamique, autrement dit la mathématique différentielle et intégrale qui remonte (par différenciation) d’une fonction à la fonction dérivée qui la soutient en amont, puis caractérise (par intégration) la fonction primitive qui la subsume en aval.

Mathématique différentielle et intégrale

Trois moments

La mathématique différentielle et intégrale a enchaîné trois grands moments selon trois types de révolution (voir schéma) : prémoderne (XVII° : Newton-Leibniz), moderne (XIX° : Cauchy-Weierstrass), et contemporaine (fin du XX° : Ehresmann-Grothendieck-Robinson-Lawvere).

État contemporain

Dans son état contemporain, cette mathématique prend quatre formes principales :

·       différentielle locale sans infinitésimaux (analyse traditionnelle héritée de Cauchy) ;

·       différentielle locale avec nombres infinitésimaux inversibles (analyse non standard de Robinson) ;

·       différentielle locale avec grandeurs infinitésimales nilpotentes (géométries différentielles d’Ehresmann et de Grothendieck) ;

·       différentielle ponctuelle avec grandeurs infinitésimales nilpotentes (géométrie différentielle synthétique de Lawvere).

Au total, la mathématique différentielle et intégrale contemporaine entrecroise d’un côté arithmétique (des nombres bien ordonnés) et algèbre (des grandeurs nilpotentes), de l’autre analyse (des limites et inégalités) et géométrie (des linéarités et égalités).

Ce faisant, la dialectique local/global s’étend pour embrasser un spectre plus étendu :

ponctuellocalrégionalglobal

Géométrie différentielle synthétique [GDS]

On s’intéressera d’abord à la géométrie différentielle synthétique de Lawvere pour en dégager la puissance intellectuelle sous-jacente : ressuscitant la problématique lucrétienne des clinamens et la problématique newtonienne des différentielles ponctuelles, cette géométrie transforme tout point en « gros point » (par adjonction d’un micro-nuage plat – un « cirrus » ! - de différentielles infinitésimales linéaires : appelons-le voisinuage) en sorte qu’en émerge un micro-plan tangent (par colimite d’un mouvement brownien de micro-déclinaisons génériques) qui dote chaque « point » d’un infime méplat et intègre ainsi ce micro-plan tangent… à la surface !

Il s’avère ainsi qu’en divisant zéro en deux (√0≠0 !), la GDS s’affronte à bras le corps à la problématique nihiliste (« vouloir le rien est un vouloir minimum, maximalement intensifié ») pour le retourner en puissance affirmative universalisante (toute fonction devient ici infinitésimalement continue, dérivable et lisse !).

Calcul différentiel et intégral

On entrera ensuite dans le détail du calcul différentiel et intégral traditionnel qui s’attache à résoudre les équations différentielles ordinaires par quadratures en enchaînant trois opérateurs fonctionnels 𝒢, ℋ, ℐ venant progressivement concentrer l’équation différentielle sur la seule fonction f :

𝒢 [f’(x), f(x), F(x), x] = 0

f’(x) = ℋ [f(x), x]

f(x) =  [f(x), x)]

Ceci nous guidera pour interpréter « l’équation différentielle » implicite du romantisme révolutionnaire.

Interprétation et conséquences intellectuelles

Notre interprétation en conclura que ce projet de romantisme révolutionnaire se soutient dynamiquement de l’in-stress (in-tension) suivante : à partir de points, linéairement tenus (dans leur voisinuage) et localement soutenus (selon quelques voisinages), le projet affirme des possibles en constituant des régions (reliant les voisinages d’au moins deux points séparés) d’où émergent des promesses de mondes globalement révolutionnés. En résumé, l’hypothèse sera que le fragment romantique consiste en un point, dynamiquement doté d’une capacité locale, créatrice de régions globalement prometteuses. Ainsi, le romantisme révolutionnaire, loin d’être un nihilisme de la finitude, s’avèrera la subversion infinitésimale [2] de ce nihilisme selon une rigoureuse action restreinte !

On se demandera alors comment un tel type « romantique » de projet, affrontant au plus près les menaces de l’anéantissement, peut donner, soixante ans plus tard, quelque pertinence militante à de victorieux corps-à-corps avec le nihilisme postmoderne.

 

[3] La réception sociale et historique de Liszt est assez différente de celle de ses contemporains Chopin, Schumann ou Mendelssohn. Si le virtuose a fait presque d’emblée l’unanimité, en tout cas a rencontré dès 1830 un franc succès, le compositeur a eu plus de mal à s’imposer et d’une certaine manière pâtit encore d’un manque de crédit comparé à Wagner ou à Chopin et Schumann par exemple. Longtemps, le génie lisztien a été mesuré à l’aune de sa conformité aux canons du romantisme allemand. Liszt ne serait vraiment génial que lorsqu’il ressemble à Beethoven ou à Wagner et devient de moins en moins intéressant et fréquentable au fur et à mesure qu’il s’éloigne des standards de l’art sérieux à l’allemande. Liszt lui-même sera complice de cette réception fracturée en dénigrant constamment la virtuosité et ses œuvres virtuoses comme ses fantaisies sur des thèmes d’opéras au profit de ses œuvres plus sérieuses comme la Sonate ou ses poèmes symphoniques, œuvres qui d’ailleurs ne se sont pas imposées si facilement que cela. Assez curieusement, c’est après la 2e guerre mondiale qu’on assistera progressivement à un renouveau lisztien dû d’abord à des interprètes comme Cziffra, mais qui souffrira des mêmes procès en virtuosité et en mauvais goût que ceux qui furent faits à Liszt puis, pour le compositeur sérieux, catégorie qu’il faudra questionner, Aldo Ciccolini ou France Clidat ou encore Georges Bolet, cela jusqu’à en arriver à la figure de Liszt telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le renouveau lisztien sur le plan de la musicologie suit à peu près les mêmes étapes que celui des interprètes avec une génération de pionniers nés dans les années 1920-1930, Serge Gut par exemple ou encore Rémy Stricker, puis ensuite une génération intermédiaire, née aux alentours de 1960, et enfin une jeune génération.

L’abondance, chez Liszt, des œuvres de seconde main, transcriptions, paraphrases, fantaisies, arrangements divers et variés, plus de la moitié de son catalogue, déconcerte. Son catholicisme assumé, à une époque où, dans les milieux éclairés, être catholique, apostolique et romain était une forme d’infériorité mentale, n’a pas fini de nous étonner et de nous questionner. Son nomadisme, surtout ses dix-sept dernières années partagées entre Weimar, Rome et Budapest, s’il rappelle celui du Wanderer romantique n’est peut-être pas sans suggérer, de par sa nature même, des résonances plus contemporaines.

Autant de bizarreries sur lesquelles il va bien falloir se pencher…

Que nous dit, en définitive, de notre monde d’aujourd’hui, ce renouveau lisztien qui est d’ailleurs à peu près contemporain chronologiquement du renouveau de la musique baroque, même si les deux sont difficilement comparables et superposables au moins en apparence ?

Enfin, peut-on analyser sa musique avec les outils habituels, avec les conceptions normées qui sont celles de la scientificité du discours musicologique académique habituel ?

 

[4] Je proposerai les fragments d’une composition chimérique. Delacroix et Baudelaire en constituent le matériau. Même s’ils se sont connus, même si le dernier a beaucoup écrit sur le premier, j’ai rêvé une autre rencontre, moins historiquement constituée, que poétiquement constituante. Je veux m’emparer, par-delà ce qu’ils ont pu eux-mêmes reconnaître, de la teneur d’art qui encore fait écho.

C’est une chimère que j’invente, et ses matériaux ont la verdeur d’une mer enfermée dans un gouffre profond ; elle est rugueuse pour qu’elle inspire encore quelque répulsion à son apprivoisement ; l’intelligence qui la sert enfin est son opiniâtre captive. Ce qui m’intéresse est la persévérance solitaire, pas encore maudite, que Delacroix et Baudelaire ont déployée.

Entre eux, dit-on, se tient le romantisme français, commençant presque avec la gloire de l’un et se terminant par le crépuscule de l’autre. Décidant de voir Delacroix par les yeux de Baudelaire, je dis que le dernier annonce l’aube moderne et y intègre le romantisme.

Avec l’exigence répétée qu’imposait à chacun l’Idée de son art, ils ont dû affronter le réalisme, cette objective illusion qui limite l’imaginaire. À rebours du temps, et parfois même aux dépens de leurs amis, ils ont défini une fonction nouvelle de l’imagination.

Le souci qu’a le poème de la peinture, et le souci du tableau pour la poésie n’ont pas été pour eux une curiosité, ni même vraiment une source d’inspiration. C’est surtout Baudelaire qui aura trouvé dans la peinture une forme plus immédiate, plus sensible aussi, un accord en fait des sensations avec le désir. Mais c’est Delacroix qui jour après jour aura noté dans ses carnets de quoi orienter ses tableaux, faisant entendre dans la langue toute écriture par laquelle un chemin d’invention est possible.

Enfin au cœur de leur œuvre, il y a la composition nouvelle qu’appelle un temps nouveau. Là encore les écarts de traitement, les lois différentes de l’unité, par comparaison, auront servi de guide et de renfort à leurs décisions.

 

[5] Jusqu’où peut-on appliquer aux mathématiques et aux mathématiciens une catégorisation comme celle de "romantique" ? C’est le sujet de cette saison mamuphi. L’exposé l’abordera au travers de l’opposition du romantisme au classicisme, commençant donc par réfléchir sur l’idée de "classique" en mathématiques (est-ce une catégorisation pertinente, que nous dit-elle sur les mathématiques et les mathématiciens, sur leur rapport à la rationalité ? Y-a-t-il au fond des "mathématiques classiques", et si oui, quelles seraient-elles ?) pour aborder, par contraste, et essayer de cerner ce que pourrait être un "romantisme mathématique", hier et aujourd’hui.

 

[6] Les aventures russes et françaises du romantisme entre littérature, philosophie et musique ont dans cet essai pour fonction de révéler l’obscur cogito de l’invention romantique. Est-ce que ces aventures ont quelque pertinence ou importance pour celui qui écrit et compose ? Il y a une difficulté à caractériser de façon conceptuelle le romantisme. Cet exposé présente quelques hypothèses sur la question de l’invention de l’individu romantique et de son rapport à ce qu’on appelle le classicisme.

 

[7] La théorie des nombres a connu un tournant en Allemagne, autour de 1800, avec les travaux et l’influence C.F. Gauss. Ce sont là précisément le pays et la période dans lesquels on identifie la naissance du mouvement romantique. Y a-t-il un lien ?

La réponse à cette question n’est pas nécessaire pour qu’on entende ce qu’ont dit quelques figures marquantes sur la spécificité de la théorie des nombres dans l’ensemble du paysage mathématique et quelles affinités cette théorie entretient avec ce qu’est, selon nous, le romantisme.

 

[8] Cet après-midi mamuphique consacré à Lawvere & Hegel fait suite à la journée éponyme tenue le 9 octobre 2021. Nous avions alors commencé à explorer certaines situations mathématiques qui étaient selon le théoricien des catégories William Lawvere (1937-) une incarnation de la dialectique hégélienne. Le but de cette journée sera d’approfondir le sens de cette philosophie « à l’œuvre » dans le cas spécifique de la géométrie différentielle synthétique, déjà abordée cette année dans le séminaire (séance du 5 novembre 2022), et d’ouvrir un deuxième pan mamuphique d’investigations, parallèle, en suivant le compositeur et philosophe Theodor W. Adorno (1903-1969) qui dans un projet de livre longtemps travaillé mais jamais abouti intitulé « Beethoven : une philosophie de la musique », voyait à l’œuvre dans la musique de Beethoven la Logique de Hegel elle-même.

 

[9] Je ferai une présentation de certaines des œuvres d’Abel et j’essaierai de construire à leur propos un ensemble de notions pour la constitution d’une histoire et d’une esthétique de la pensée mathématique.

 

[10] L’infini des anciens était un infini potentiel, la limite du fini. Il se présentait seulement comme une utopie, où l’importance portait sur l’existence de la limite, plus encore que sur la valeur de cette limite. Les travaux en théorie des ensembles et d’autres avancées subséquentes ont découvert la nature de l’infini actuel, un infini qui est donné et n’est pas seulement atteint à la limite.

Depuis quelques années, on repense la nature potentielle de l’infini, en se rendant compte qu’une structure infinie est plus malléable à l’analyse si on connait son histoire : si on connaît comment elle a été construite à partir de morceaux plus petits. Le cas peut-être le plus intéressant est quand il s’agit de morceaux finis. On y retrouve naturellement des constructions d’objets infinis dénombrables à partir de leurs morceaux finis mais également, plus inattendu, des constructions d’objets qui ne sont pas dénombrables, tels les morasses, les graphons ou les ultra-produits.

L’exposé va présenter quelques-unes de ces constructions et leur intérêt en mathématiques, aussi bien qu’en informatique. On verra également des parallèles avec la théorie de grands cardinaux.

 

[11] J’emprunte le terme « fulgurant » aux romantiques (« Cieux infinis où fulgurent des clartés » - Albert Béguin, L'âme romantique et le rêve, 1939), terme qui résonne avec la citation de Henri Poincaré dans La valeur de la Science : « La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une longue nuit, mais c'est cet éclair qui est tout. »

Le livre Structure des systèmes dynamiques de Jean-Marie Souriau a été écrit à Carthage où il habitait quand il était à l'Institut des Hautes Études de Tunis, avant qu'il ne rejoigne le laboratoire de physique théorique de Marseille (Massilia). C'est une œuvre « méditerranéenne » en quelque sorte.

J’insisterai sur les idées philosophiques derrière ce modèle de Souriau, qui rejoignent des idées de la Physique d'Aristote sur la notion de « mouvement ».

J'ai inscrit un « s » à Souriau car je ferai allusion

·       à son grand-père Paul Souriau, normalien et agrégé de Philosophie, qui a certainement influencé son neveu avec ses ouvrages Motus Perceptione (cette thèse latine visait à déterminer l'importance de la vision pour la perception des mouvements – son titre initial était De visione motus), L'esthétique du mouvement, La Beauté rationnelle, Histoire du romantisme et Théorie de l'invention ;

·       mais aussi à son grand-oncle Etienne Souriau, également normalien, agrégé de philosophie et professeur à la Sorbonne, avec son ouvrage Les structures de l'œuvre d'art et Vocabulaire d'esthétique.

 

[12] « La raison a un cœur que le cœur ne connaît pas » écrivait en 1955 le mathématicien suisse Andreas Speiser (1885-1970).

Élève de Minkowski et de Hilbert, spécialiste de la théorie des groupes finis, Speiser était passionné par l’histoire de sa discipline et par les liens entre les mathématiques, la philosophie, la musique, et la culture en général.

Je me demanderai ce qu'il a pu vouloir dire en détournant ainsi la célèbre formule de Pascal, et si la référence aux schèmes romantique et classique permet d'éclairer cette question.

 

[13] Orientations pour la saison mamuphi 2023-2024

 

L’année prochaine verra la vingtième saison du séminaire mamuphi.

Samedi 6 mai après-midi, nous voudrions, avec tous les participants qui le souhaitent, discuter les propositions qui suivent.

 

La singularité du séminaire mamuphi (dans le paysage des nombreux séminaires traitant de manière plus ou moins simultanée de mathématiques, de musique et/ou de philosophie) s’attache à la coexistence de deux désirs : un désir de mathématiques (plus précisément de penser avec les mathématiques) chez des non-mathématiciens (plus spécifiquement des musiciens), et un désir d’intellectualité (plus ou moins étendu aux champs littéraires et artistiques) chez des mathématiciens. Dans notre séminaire, ces deux désirs dialoguent en mobilisant, peu ou prou, quelque disposition philosophique apte à ombrer les échos des notions intellectuelles en partage. D’où le projet, diagonal à la division disciplinaire des savoirs universitaires, d’un séminaire circulant entre trois pensées : mathématiques-musique-philosophie.

 

Lors de cette vingtième saison 2023-2024, nous voudrions embrasser les différentes mises en œuvre de ces deux désirs et de leur fécond colloque à l’ombre de la philosophie, en diversifiant nos pratiques selon trois composantes, aptes à composer un petit laboratoire mamuphi.

1)     Un atelier consacré à des exposés de mathématiques (modernes et contemporaines) donnés par quelques « mathématiciens aux pieds nus » (issus des participants au séminaire qui ne sont pas des mathématiciens professionnels) entendus au sens où les paysans chinois des Communes populaires parlaient de « médecins aux pieds nus » pour désigner ceux d’entre eux qui, après formation resserrée, allaient assurer dans les campagnes une médecine de base au service de tous.

Au contraire des conseils dispensés pour les leçons d’agrégation [1], ces « auto-leçons » prendront le risque d’intervenir aux limites mêmes de nouvelles compétences tout juste acquises et oseront s’approprier en temps réel les notions et théorèmes d’une théorie mathématique dont on pressent 1a fécondité intellectuelle par-delà son strict domaine mathématique de constitution et de déploiement, fécondité qu’à ses risques et périls l’intervenant mettra à l’épreuve de quelque interprétation extra-mathématique hétérogène et de quelque modèle intellectuel inattendu pour la théorie mathématique concernée.

En quelque sorte, il s’agira de disposer cet atelier sous le signe d’un rapport émancipé (i.e. « se prenant par la main ») aux mathématiques : cette émancipation intellectuelle jadis prônée par Joseph Jacotot [2] en répercussion d’une Révolution française ayant mis à l’ordre du jour « l’égalité des intelligences ».

2)     Notre séminaire plus proprement dit où d’un côté des mathématiciens professionnels viennent exposer telle ou telle raisonance intellectuelle de leur propre recherche mathématique, et d’un autre côté des musiciens et des philosophes viennent exposer tel ou tel retentissement [3] intellectuel de leur propre recherche artistique ou philosophique.

3)     Enfin des rencontres avec ceux qui mettent autrement en œuvre leur propre désir de mathématiques pour quiconque et pour tous : par publications, revues, cafés, interventions de tous ordres… On n’est en effet jamais de trop pour consolider aujourd’hui nos désirs affirmatifs face au déferlement contemporain d’un nihilisme qui s’acharne à les déconstruire pour ne laisser place qu’aux négations liquidatrices.

 

[1] Voir ceux de Marcel Berger tels que rapportés dans le beau livre de Jean-Michel Salanskis Vivre avec les mathématiques : « veiller à ne pas atteindre son niveau d’incompétence et à n’exposer des contenus de niveau n que si l’on a des connaissances jusqu’au niveau n+1 ou même n+2 ; éviter de parler à la limite de son savoir ; ne pas traiter de notions ou théorèmes que l’on vient tout juste de comprendre. » (p. 67).

[2] « Tout homme peut tout apprendre sans maître explicateur ». Pour une présentation générale de l’émancipation intellectuelle selon Jacotot, voir Le maître ignorant de Jacques Rancière.

[3] Voir chez Bachelard (Poétique de l’espace) la dialectique des résonances (qui se dispensent horizontalement) et des retentissements (qui s’approfondissent verticalement).

 

 

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