mamuphi
mathématiques - musique – philosophie
(org. C. Alunni,
M. Andreatta, M. Béjean, A. Cavazzini et F. Nicolas)
Saison 2019-2020
Toutes
ces activités ont lieu à l’Ircam (1 Place Igor Stravinsky, 75004 Paris)
un
samedi par mois de 10h à 13h et de 15h à 18h en salle Shannon
5 octobre 2019 |
François Laruelle : Tétralogos |
16 novembre
2019 |
François Nicolas : Atelier Analyse
complexe |
Tom Johnson :
Soirée-concert |
|
7 décembre 2019 |
Du projet collectif Douze (poésie-musique-cinéma & théâtre) |
25 janvier 2020 |
Exposés divers |
29 février 2020 |
Andrea Cavazzini & Mathias
Béjean : Mathesis du vivant |
14 mars 2020 |
ANNULÉ « Journée internationale des
mathématiques » Mirna Dzamonja & Thomas Tulinski :
le Forcing, un demi-siècle après son invention par Paul Cohen |
25 avril 2020 |
ANNULÉ Andrée Ehresmann & René Guitart : Structures
locales ehresmaniennes |
9 mai 2020 |
ANNULÉ Fernando Zalamea : Grothendieck |
· 5 octobre 2019 – Matinée François Laruelle : Tétralogos. Un opéra de philosophies (org. Terence Blake)
· 16 novembre 2019
– François Nicolas : Atelier Analyse complexe
– Soirée-concert Tom Johnson
· 7 décembre 2019 – Du projet collectif Douze (poésie-musique-cinéma & théâtre)
· 25 janvier 2020 – Journée Libres exposés
· 29 février 2020 – Journée De la mathesis du vivant aux mathématiques dialectiques (org. Andrea Cavazzini & Mathias Béjean)
· 14 mars 2020 – Forcing, un demi-siècle après son invention par Paul Cohen avec Mirna Dzamonja & Thomas Tulinski
· 25 avril 2020 – Journée Structures locales ehresmaniennes avec Andrée Ehresmann & René Guitart
· 9 mai 2020 – Journée Grothendieck avec Fernando Zalamea (& Bruno d’Amore, Frédéric Jaeck, Giuseppe Longo, Frédéric Patras…)
***
Pour tout contact:
–
Charles Alunni : alunni [at] ens.fr
–
Moreno Andreatta : andreatta [at] ircam.fr
–
Mathias Béjean : mathias.bejean [at] u-pec.fr
–
Andrea Cavazzini : andreacavazzini [at] libero.it
–
François Nicolas : fnicolas [at] ircam.fr
***
5
octobre 2019
François Laruelle : Tetralogos [1]
- Terence Blake – Tétralogos et
la science-fiction
- Michel Filippi – L’homme
sensori-moteur visite le Tétralogos
- Anne-Françoise Schmid – Tétralogos,
opus et opéra
***
16 novembre 2019
-
Atelier mamuphi : Analyse
complexe (François Nicolas [2])
-
Soirée-concert Tom Johnson [3]
***
7
décembre 2019
Du projet collectif Douze (poésie-musique-cinéma & théâtre)
- François Nicolas - Questions
modernes d’orientation : musique « et » communisme
- Rudolf Di Stefano - Du montage
cinématographique comme 4ème dimension [4]
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25
janvier 2020
-
François Nicolas : De la puissance propre de l’action
restreinte [5]
-
François Viallefond : Le design par la géométrie : cohérence, type et logique
borroméenne [6]
***
29
février 2020
Synthèse,
genèse, mathèse. Pour une approche dialectique des mathématiques [7]
(org.
Andrea Cavazzini & Mathias Béjean)
·
Mathias Béjean et Andrea Cavazzini : Introduction
·
Alessandro Sarti - Dialectique du
différentiel : des géométries riemanniennes à l’hétérogènese
·
Giuseppe Longo : Les enjeux du temps et
de l'aléatoire, entre mathématiques et biologie
·
Mathias Béjean et Andrea Cavazzini : Fragments,
éclats, structures. Vers une épistémologie synthétique
***
ANNULÉ
14 mars
2020
Journée internationale des mathématiques
Le Forcing, un demi-siècle après son
invention par Paul Cohen
(10h-13h) :
Mirna Dzamonja – L’indice
d’absoluité en mathématiques
Dans son livre inspirant « L’immanence
des vérités », Alain Badiou découvre l’index d’absoluité, tout en
soulignant qu’il s’agit là d’une mesure philosophique et artistique qui ne
s’applique pas en mathématiques, en raison de leur absoluité
quasi-définitionnelle. Néanmoins, il est stimulant de se demander si l’on peut
interpréter un tel indice mathématiquement, interrogation qui a engendré la
réflexion dont il sera question dans cet exposé.
Si l’on se base sur la théorie du forcing et
que l’on définit l’absoluité comme étant une mesure de la résistance au
forcing, on peut effectivement parler d’un indice d’absoluité, ce qui est bien
connu depuis le travail de Cohen mais qui se manifeste de nouvelles façons dans
la logique contemporaine.
L’exposé sera basé d’une part sur mon livre
« Fast Track to Forcing » (à paraître chez Cambridge
University Press) et d’autre part sur des réflexions philosophiques concernant
les pratiques de changements d’univers en mathématiques.
On parlera également de « Logical
Dreams » (Saharon Shelah [a])
et de l’état actuel du programme visant à réaliser ces rêves.
(15h-18h) :
Thomas Tulinski – Réalisabilité
classique et ontologie intrinsèque
La condition mathématique de la philosophie a
connu, ces dernières années, une transformation radicale, au point de la
théorie des ensembles, en particulier du forçage, dans son rapport à une autre
théorie, une certaine extension du lambda-calcul, de statut égal en généralité
à la théorie des ensembles et à la théorie des catégories. S'ensuit une foule
de conséquences sur le système d’Alain Badiou, en particulier sur la théorie du
sujet dans son rapport aux vérités.
En effet, sous condition d’une telle
modification des données fondamentales de l’intellectualité mathématicienne,
logicienne et informaticienne, se produit une interprétation renouvelée des
structures de base implicites à la théorie des ensembles. Ces structures sont,
en un certain sens, généralisées, constructives et calculatoires.
Il ne s'agira donc pas tant de faire jouer une
ontologie, tirée de quelque fragment bien choisi de la théorie des catégories,
contre l'ontologie intrinsèque effectuée par la théorie des ensembles, mais bel
et bien de suggérer une autre version de l'ontologie intrinsèque elle-même.
***
François Laruelle œuvre depuis quarante
ans à sortir la philosophie de ses limites auto-imposées et à instaurer de
nouvelles pratiques de pensée et de nouvelles alliances de la philosophie
(devenue non-philosophie, philosophie non-standard, et
philosophie « forcée ») avec d’autres disciplines (les
sciences et les arts).
Dans son nouveau livre Tétralogos :
Un opéra de philosophies (Éditions du Cerf, 2019), Laruelle propose une
alliance de la philosophie avec la musique sous la coupe d’une science-fiction
générale.
Cet atelier (2019), consacré à l’analyse
complexe fondée par Cauchy, fait suite à celui consacré (2017-2018) à la
théorie de Galois. Il sera suivi (2020) d’un atelier consacré à la théorie des
quaternions établie par Hamilton.
Une même idée mamuphi préside à ces
trois ateliers : réétudier de très près comment la modernité mathématique
s’est constituée (remarquons-le : dans la même séquence historique
1830-1848 que la modernité politique marxiste) en sorte de dégager les gestes
de pensée qui l’ont engagée dans sa « longue marche » au-delà du
classicisme et, par-là, clarifier ce que rester « absolument
moderne » peut vouloir dire en ces temps qui nous prêchent les avantages,
paresseusement liquidateurs, d’une « postmodernité » faisant table
rase des acquis modernes.
En rapprochant ainsi les trois noms de Galois,
Cauchy et Hamilton, il ne s’agit cependant pas d’avancer une théorie
systématique et complète de ce que « mathématiques modernes »
voudraient dire ; il s’agit plus simplement d’une « action restreinte »,
retenant, dans les mathématiques inventées à partir du début du XIX°, ce qui
peut encourager le musicien et le militant d’aujourd’hui à continuer de penser
activement par lui-même, en fidélité aux modernités musicales et politiques qui
constituent ses orientations prolongées de travail.
Cauchy (les
complexes), Hamilton (les quaternions) et Galois (les groupes)
peuvent mathématiquement éclairer ce que comprendre, (s’)orienter et
(s’)organiser en situation veulent dire pour une intellectualité contemporaine.
-
Comprendre
vraiment une situation implique de ne pas seulement examiner ce qu’il y a effectivement
dans la situation en question mais d’y incorporer ses possibilités
propres (« il n’y a pas que ce qu’il y a ») en sorte d’étendre
la dimension des effectivités par adjonction d’une seconde dimension
orthogonale : celles des possibilités. Interprétée en ce sens, la manière
dont l’analyse complexe diffère radicalement de l’analyse réelle fournit un
ensemble de questions et de résultats précis qui sera l’enjeu même de l’atelier
du 16 novembre.
-
Orienter une
situation et corrélativement y orienter ses interventions (s’y orienter donc)
impliquent tout de même de ne pas s’y enfermer mais de la plonger dans un
espace de dimension supérieure en sorte de l’examiner en retour comme une sorte
de projection réduite. On étudiera, l’année prochaine, comment Hamilton résout
ainsi des problèmes d’orientation, insolubles dans l’espace empirique ordinaire
à 3 dimensions ℝ3 ; ainsi, orienter le 3D ne peut se faire que
par adjonction d’une quatrième dimension dotée d’une double fonction :
dimension supplémentaire équivalente aux trois autres et dimension
spécifiquement globale qui paramètre toutes les dimensions (dont elle-même).
C’est à ce titre que l’espace ℊ diffère de ℝ4 (et donc que le nouvel
espace n’est pas un simple 4D).
-
L’interprétation
mamuphi de la théorie de Galois nous a montré qu’en général, on ne peut rassembler
les éléments aptes à s’acquitter d’une même tâche prédéfinie [polynôme ∑aixi=0]
en cumulant des identifications séparées [∏(x-rj)=0] mais seulement
en dégageant les différentes manières d’effectuer la tâche en question puis en
analysant les relations d’équivalence (entre ces manières) qui en découlent
[groupe G des symétries : ∇G⇔∆K]. Ainsi – principe significatif d’organisation
-, c’est le groupement (le plus souvent subconscient ou immergé) des relations
internes découlant du projet fondateur qui oriente la compréhension de ce que solidarité
veut dire, et non pas une simple récollection d’identités individuelles.
Le 16 novembre 2019, nous étudierons en détail
l’analyse complexe avec pour fil rouge l’articulation des deux questions
suivantes : en quoi le plan ℂ diffère-t-il radicalement du plan ℝ*ℝ=ℝ2 ?
En quoi l’analyse complexe diffère-t-elle radicalement de l’analyse
réelle ?
On verra que la clef de voûte de la nouvelle
structure complexe tient à la mise au jour d’un type nouveau d’opération
multiplicative : la multiplication complexe qui, algébriquement,
autorise le passage d’une structure d’anneau à une structure de corps et, géométriquement,
organise le passage du plan ℝ2 statique au plan ℂ intrinsèquement
dynamique.
On suivra les effets de cette opération
successivement sur la structure algébrico-géométrique du plan complexe (doté
d’une semi-négation ou négation½ qui
« dynamise » le plan complexe par « rotation » endogène),
sur la division complexe (essentielle pour que les complexes fassent
« corps »), sur la différenciation complexe (par usage local de la
division complexe df/dz), sur l’intégration complexe (par usage régional –
chemin entre deux points - de la multiplication complexe ∫f.dz) jusqu’au
développement en séries entières (polynômes infinis) des fonctions complexes
différentiables, développement qui les dotent d’une rigidité algébrique
exceptionnellement féconde (voir les « prolongements analytiques »).
On interprètera ce faisant les grands résultats
de l’analyse complexe élémentaire selon un fil interprétatif conduisant
à différents théorèmes de l’intellectualité moderne, tels le
théorème de l’action restreinte (c’est-à-dire ni locale ni globale
mais régionale) et celui de la transmission (d’un point tenu jusqu’au
bout).
Où l’on conclura que l’action restreinte,
s’attachant à tenir la dynamique d’une possibilité entre deux effectivités
locales, autolimitant donc son affirmation à une région (ce qui la
distingue aussi bien de l’action globale du classicisme que de l’action locale
du postmodernisme) et rendant ainsi possible la transmission de ses résultats
et de sa dynamique, constitue le noyau même de l’action moderne.
Ouvrages de référence :
Ian
Stewart & David Tall, Complex Analysis [https://b-ok.cc/book/3559849/035bc4]
Tristan
Needham, Visual Complex Analysis [https://b-ok.cc/book/974187/196adc]
séance organisée par Franck Jedrzejewski et
Moreno Andreatta
avec le soutien du Collège International de
philosophie et de l’université de Strasbourg
Chef de file du courant minimaliste en France
et en Europe, le compositeur Tom Johnson aura 80 ans le 18 novembre 2019.
Élève du compositeur Morton Feldman et du
théoricien Allen Forte, il s’est installé à Paris en 1983, aux côtés de son
épouse, l’artiste Esther Ferrer.
Les éditions MusikText de Cologne viennent de
publier l’ensemble de ses textes sous le titre Finding Music.
Writings/Schriften (1961-2018) dans une édition bilingue allemand/anglais.
On trouvera dans ses textes une réflexion sur l’art et la création artistique.
Pour Tom Johnson, l’art n’est ni une quête
d’identité comme chez Schelling, ni un type de connaissance intuitive comme
chez Schopenhauer, mais plutôt le dévoilement d’une vérité plus originaire que
la vérité scientifique qui l’a suscitée. Car il s’agit d’abord pour le
compositeur de « trouver la musique » inscrite non dans la nature
mais dans toutes les structures abstraites qui l’entourent et en premier lieu
dans des dessins d’artistes ou des structures mathématiques. Ce sont ces
dernières qui, comme le triangle de Pascal, le crible d’Ératosthène ou les
nombres de Mersenne, ont inspiré bon nombre de ses œuvres.
Des Mélodies auto-similaires aux Vaches
de Narayama, la musique de Tom Johnson se fonde toujours sur un argument
structurel qui l’organise. L’enjeu est parfois terrifiant comme dans son Opéra
de quatre notes, allusion explicite à l’œuvre de Bertolt Brecht, où il
s’agit, non sans humour, de déconstruire l’opéra.
Nous nous interrogerons donc sur cette
ontologie singulière de l’œuvre musicale, avant de conclure le forum par un
concert de l’Ensemble Dedalus, qui, sous la direction de Didier Aschour, jouera
quelques œuvres du compositeur et de nouvelles petites pièces spécialement
composées par ses amis pour ses 80 ans.
Rudolf Di
Stefano : Du montage cinématographique comme 4ème dimension
– Les
menines de
Velázquez : éloge de l’écran
– Fenêtre
sur cour
d’Hitchcock et Le livre d’image de Godard : le son 3D
– Ébauche
d’un film-annonce La tempête : le montage et l’enfant
– La
salle de cinéma comme camera obscura mentale : vers une 4D ?
– Douze, l’œuvre collective future
De la
puissance propre de l’action restreinte
À Frank
Madlener…
Je voudrais réexaminer, dans tous ses détails techniques
et ses dédales interprétatifs, un des principaux résultats de l’enquête mamuphi
menée sur l’analyse complexe [5] :
celui que j’ai proposé d’appeler le théorème de l’action restreinte.
En ces temps millénaristes gorgés d’angoisse,
nos raisons matérialistes d’espérer sont plus que jamais précieuses. À la
lumière de la mathématique moderne, l’action restreinte, que Mallarmé a
inscrite au cœur de l’intellectualité contemporaine comme puissance
affirmative, non comme renoncement, nous en fournit une de première importance.
Mais en quoi l’action restreinte
organise-t-elle une telle puissance et laquelle exactement ? En quoi une
telle puissance, matériellement inscrite dans la constitution d’une région
reliant a minima deux localisations différentes, fonde-t-elle une espérance
(qui ne trompe pas) dans une possible prolongation globale de l’action
régionalement restreinte ? Sur tout ceci, cette partie de la mathématique
moderne constituée par l’analyse des grandeurs complexes (Gauss, Cauchy,
Weierstrass, Riemann) peut nous éclairer et nous guider rationnellement :
ses victoires dans la pensée (Ian Stewart : « Beaucoup de
batailles ont déjà été gagnées. » [5])
constituent des socles pour les intellectualités contemporaines.
L’argumentation mathématique s’enchaînera selon
les six étapes suivantes.
1)
Soit
f(z) une fonction complexe.
Cette
fonction, transformant une grandeur complexe en une autre, va formaliser le
type d’action susceptible d’être restreinte : une action qui, dans une
situation donnée, transforme les rapports entre effectivités et possibilités et
non pas seulement, comme le fait une fonction réelle (c’est-à-dire sur
ℝ), les seules effectivités. On posera en effet que les grandeurs complexes
intriquent effectivités « réelles » et possibilités
« imaginaires » et qu’une fonction complexe formalise l’action
suivante :
xeffectif
⨁ ypossible
→ x’effectif ⨁ y’possible
Une
action restreinte s’inscrit ainsi dans ce type d’action qui prend acte que dans
une situation donnée, il n’y a pas que ce qu’il y a effectivement car il
y a aussi les possibilités et les potentialités propres de cette situation.
On
rappellera au passage que cette algèbre des grandeurs complexes repose sur leur
capacité de faire corps, capacité qui s’attache essentiellement à la
possibilité de se multiplier entre elles (c’est-à-dire de s’auto-affecter).
2)
Supposons
maintenant que cette fonction f(z) soit différentiable sur une région donnée
D du plan complexe ℂ.
La
propriété de différenciation veut dire que, localement en α∊D, le résultat df de l’action f sera
commensurable, selon f’(α), à son origine dz : dz→df=f’(α).dz
On va en
déduire des propriétés tout à fait extraordinaires de la fonction, propriétés
qui n’ont nul équivalent pour les fonctions réelles agissant sur ℝ2
c’est-à-dire sur un plan apparenté au plan ℂ.
3)
En tout
point de la région où f intervient, on peut construire une intégrale de
contour telle
que l’action discrète de f en ce point équivaut à son action continue
en faisant le tour de ce point.
Ainsi
agir en un point équivaut à agir sur un des tours que l’on peut en faire.
4)
Ce bond
gigantesque du discret au continu autorise une redescente vers l’infini
dénombrable : on en déduit en effet que, sur la région de départ, la fonction
f est extensible de proche en proche selon une formulation désormais
algébrique, dite en série entière, qui la structure en polynôme
infini et la dote ce faisant d’une rigidité cristalline proliférante. On dira
que la fonction est analytique.
Cette propriété
cristallographique est la clef des propriétés sans égal des fonctions complexes
différentiables.
5)
La série
entière précédente s’avérant la série de Taylor de la fonction f, on en déduit
que toute fonction complexe différentiable l’est indéfiniment (ce qui
n’est aucunement le cas pour les fonctions réelles).
Ainsi
analyser une situation donnée en termes de grandeurs complexes impose certes
une plus grande rigueur d’intervention (assurer la différenciation de l’action
implique de respecter des contraintes spécifiques, plus exigeantes que dans le
cas réel - voir les conditions dites de Cauchy-Riemann) mais cette rigueur gage
en retour une plus grande maniabilité extensive de l’action en question.
6)
D’où se
démontre finalement le point pour nous essentiel : une telle fonction
s’avère analytiquement prolongeable au-delà de sa région de
constitution sur tout le plan complexe et ce de telle manière que, comme le
métaphorise Tristan Needham, « si deux
fonctions analytiques ont des effets identiques sur la courbe dessinée par un
simple cil tombé d’un œil dans une rue de San Francisco, alors elles ont des
effets identiques sur toute la Californie ! » [5].
Rendue en ce point, l’action, initialement
restreinte à une région où constituer un ferme trajet d’intervention entre deux
points, révèle sa puissance globale selon ce théorème de l’action restreinte :
-
Posons
que dans une situation donnée, l’action dite « complexe » ambitionne
de transformer les rapports internes à cette situation entre effectivités,
possibilités et potentialités (sans se contenter donc, comme le fait l’action
« réaliste », de gérer les effectivités existantes, c’est-à-dire ce
qu’il y a bien déjà là, au vu et au su de tous).
-
Pour ce faire,
une telle action doit assurer la délicate cohérence de son intervention
transformatrice (sa « différentiabilité ») : cette cohérence est
en effet plus difficile à assurer pour une action « complexe »
(c’est-à-dire intervenante) que pour une action dite « réaliste » ou
« pragmatiste ».
-
Mais si
elle y parvient, une telle action « complexe » peut avoir
légitimement l’ambition d’opérer à échelle globale de la situation concernée
(sans se limiter donc au seul « agir localement ») à condition de
restreindre d’abord son intervention à une région reliant a minima deux
localisations différentes : sa réussite régionale fondera alors de manière
matérialiste l’espérance de son extension globale.
Le design par la géométrie : cohérence, type et
logique borroméenne
Nous présenterons quelques
résultats d’une recherche en cours à propos de l’usage des diagrammes, une
forme d’écriture efficace aidant à définir nos concepts avec leurs relations
pour former un modèle de composants. Pour ce faire nous utiliserons la géométrie
et construirons des graphes de multiples formes par brisures des symétries d’un
graphe générateur. Nous utiliserons une technique hamiltonienne, les points
définis par des boucles. Ceci nous permettra de définir des classes de
points-de-vue. Nous utiliserons ensuite des opérations classiques de la
géométrie pour obtenir les générateurs en partant du simplex. Nous utiliserons
une approche constructiviste pour construire les graphes en n’utilisant que de
constructeurs récursifs. Enfin, en passant par la logique, on arrivera à des
graphes de Cayley. Dans cette approche, la notion de basepoint est
remplacée par celle de baseline ce qui fait qu’in fine on n’a que
des ‘gros’ points, les vertices des graphes ne représentant que des flèches.
L'usage de la logique fait
intervenir un foncteur qui est l’équivalent de la règle des trois doigts
permettant de s’orienter dans l'espace, la convention de la main droite
correspondant à un état de chiralité du lien borroméen. Ce foncteur est une
flèche entre une petite catégorie et un graphe de Cayley, effectivement entre
une surjection au-dessus des éléments du groupe de symétrie S_4. Nous
arriverons par là à démontrer que nous avons construit, entre autres, un type
et des équivalences homotopiques.
Ce passage par la logique
nous donnera aussi un éclairage sur pourquoi la logique borroméenne est un
outil efficace pour construire et organiser nos concepts dans l’espace. Par
l’approche constructiviste, il devient ainsi possible de prouver qu'un design
est cohérent.
Synthèse,
genèse, mathèse. Pour une approche dialectique des mathématiques
Dans les séances précédentes, nous avons essayé
d’explorer des usages des mathématiques qui échappent aux limites de leur
compréhension habituelle : en particulier, nous avons interrogé la
possibilité d’exprimer par les idéalités mathématiques certaines propriétés du vivant (ex. : émergence,
multiplicité, instabilité, normativité propre), mettant à mal un usage dominant
des mathématiques pour lequel la référence à une invariance fondamentale est
constitutive du geste de théorisation (cf. A. Cavazzini, Sciences de la vie, mathésis, infini, Hermann, 2016).
A partir des travaux menés par Andrée Ehresmann,
Giuseppe Longo et Alessandro Sarti aux frontières des mathématiques et de la
biologie, nous avons fait l’hypothèse que l’expression mathématique de la
variance et de la singularité du vivant représentait un paradigme d’un usage
des mathématiques visant moins la théorisation « positive » que la
problématisation, moins la constitution d’un champ balisé de connaissances et
d’objets que l’ouverture d’un espace virtuel de « stratagèmes
allusifs » (au sens de Gilles Châtelet), moins finalement les régimes déductifs de la
formalisation et de la formulation en sciences, que leurs régimes immersifs, c’est-à-dire où l’effort de pensée ne se
comporte plus vis-à-vis du réel, mais
dans le réel, permettant de
« réarticuler l’intuition et l’opération » (cf. G. Châtelet, Les enjeux du mobile) et de donner ainsi
une forme à des relations
rationnelles non systématisées, toujours mêlées aux ressources
« figuratives » de l’intuition et du discours ordinaire ».
Nous avons proposé de qualifier de
« romantique » cet usage des mathématiques, qui nous a semblé
caractériser les philosophies des sciences d’auteurs tels que Schelling, Hegel
et Novalis. Compte tenu du fait qu’un tel usage est déjà esquissé chez des
penseurs stoïciens et néoplatoniciens, qu’il est aussi reconnaissable chez des
auteurs comme Wittgenstein et Jean Toussaint Desanti, et que Hegel n’est pas à proprement
parler un « romantique », il nous semble aujourd’hui qu’il vaudrait
mieux parler d’usage « dialectique » des mathématiques (en reprenant
une suggestion d’Alain Badiou dans Théorie
du sujet).
L’adjectif « dialectique » fait d’ailleurs
allusion aux procédures et aux structures internes
à ce style de pensée mathématique, et non plus seulement à ses champs
d’application (tel le vivant, qui est en effet un « lieu » critique de la pensée romantique).
C’est bien à ce regard dialectique sur les mathématiques
que nous voulons consacrer cette séance du Séminaire mamuphi.
Nous voulons interroger les formes et les possibilités
que les objets mathématiques contiennent et qui sont susceptibles d’en
entraîner le sens au-delà des frontières de ce qui est susceptible de
vérification et de preuve.
Si l’on se réfère à l’histoire des mathématiques, on
voit aisément que, au XXème siècle, deux manières de penser leur statut et
leurs puissances ont été dominantes : la recherche des fondements (Whitehead et Russell) et la
recherche des structures (Bourbaki).
Ces deux programmes de recherches se fondent en même
temps sur des métaphores architectoniques voire architecturales qui véhiculent
une image déterminée de la pensée mathématiques : les objets mathématiques
constituent un édifice dont chaque partie occupe une place déterminée, organisé
en une hiérarchie de niveaux par des structures portantes et unifié par des
procédures homogènes.
Cette image du champ de pensée des mathématiques a été
plus récemment remplacée par une vision nettement moins ambitieuse, centrée sur
l’effectivité des procédures de calcul. Mais cette approche a vite tendu à
réduire l’effectivité à l’efficacité, en finissant donc par évacuer la valeur
des mathématiques en tant que pensée irréductible à ses usages instrumentaux.
Un usage et une vision dialectique des mathématiques
pourraient soutenir la critique du réductionnisme pragmatiste sans pour autant
revenir à la recherche positive d’une norme unifiée et systématique du champ
mathématique, en découplant ainsi l’effectivité de l’efficacité instrumentale.
L’approche catégoriste, la preuve prototypique, le
recours aux diagrammes et au raisonnement inductif, constituent des éléments de
la pratique du working mathematician
qui suggèrent également une vision moins systématique et rigide du champ
mathématique sans pour autant renoncer à la pensée que véhiculent ses
idéalités : une vision où le statut des objets mathématiques relève moins
de leur appartenance rigoureusement définie à un édifice que de la possibilité
de tirer une interprétation et une induction intensives à partir d’un objet
singulier, sans hiérarchie prédéterminée.
Ainsi, au lieu d’être une composante d’une totalité
extensive, une idéalité mathématique déterminée envelopperait intensivement une
totalité présomptive que déploieraient ses usages concrets. Ce rapport entre le
tout et la partie, le local et le global, pourrait donc être qualifié de
« dialectique », au sens où la totalisation qui est visée excède la
définition exhaustive de connaissances positives et ne consiste que dans
l’ouverture d’un horizon ; mais il peut renvoyer aussi, en bouclant en
quelque sorte la boucle, à la pratique de la pensée par « essais » et
« fragments » qui caractérise la pensée romantique et ses
réappropriations au XXème siècle : par exemple chez Wittgenstein.
C’est l’ensemble de ces problèmes que nous souhaitons
commencer à explorer.