ircam cnrs

mamuphi

mathématiques - musique – philosophie

Description : mamuphi

(org. C. Alunni, M. Andreatta, M. Béjean, A. Cavazzini et F. Nicolas)

 

 

Saison 2018-2019

 

Toutes ces activités ont lieu à l’Ircam

un samedi par mois

de 10h à 13h et de 15h à 18h en salle Shannon

 

·       13 octobre 2018

-      François Nicolas : La solidarité de groupe dans la théorie galoisienne

-      M.-J. Malis, R. di Stefano, F. Nicolas : Douze d’Alexandre Blok

·       17 novembre 2018 – Sur le livre de Fernando Zalamea Philosophie synthétique de la mathématique contemporaine

·       12 janvier 2019 – Moreno Andreatta : Popular Music

·       9 février 2019 – Mathias Béjean et Nicolas Misdariis : Design, science et création sonore

·       16 mars 2019 – Andrée Ehresmann et René Guitart : De l’incomplétude nécessaire

·       6 avril 2019 : Stéphane Dugowson : Les espaces connectifs [salle Stravinsky]

·       7-8 juin 2019 – Journées d’étude : L’Immanence des vérités d’Alain Badiou (Y. André, F. Madlener et F. Nicolas) [salle Stravinsky]

 

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Pour tout contact:

   Charles Alunni : alunni [at] ens.fr

   Moreno Andreatta : andreatta [at] ircam.fr

   Mathias Béjean : mathias.bejean [at] u-pec.fr

   Andrea Cavazzini : andreacavazzini [at] libero.it

   François Nicolas : fnicolas [at] ircam.fr

 

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13 octobre 2018

 

·       François Nicolas - La solidarité de groupe dans la théorie galoisienne [1]

[ pdf ]

 [a]

 

·       Marie-José Malis, Rudolf di Stefano & François Nicolas : Douze d’Alexandre Blok

[ Poème ]

-      Rudolf di Stefano : Notes pour une nouvelle apocalypse [2]

[ film ]

-      François Nicolas : D’une espérance bolchévique en des temps d’apocalypse [3]

 

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17 novembre 2018

 

Séminaire

Sur le livre de Fernando Zalamea Philosophie synthétique de la mathématique contemporaine

(Hermann, 2018)

 

·       Charles Alunni : Réécrire la philosophie à la lumière des mathématiques grothendieckiennes

[ pdf ] [ diapos ]

·       Pierre Cartier : Fernando Zalamea, mathématicien-philosophe de la mathématique contemporaine

·       François Nicolas : Du partage moderne/contemporain dans le livre de Zalamea

[ pdf ]

 

 

Atelier

Adjonctions entre différents arts ?

 

·       François Nicolas : Propositions

·       Rudolf di Stefano : Du montage cinématographique comme adjonction entre différents types de discours ?

 

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12 janvier 2019

 

Séminaire

PhiloMath&Pop

Démarches créatives et regards philosophiques sur l'« art musical pop » [4]

 

·       François Nicolas et Moreno Andreatta : Présentation de la journée

[ vidéo ]

·       Agnès Gayraud : La pop comme art musical : ontologie et esthétique. Les musiques circulent mais on entrevoit une forme.

[ vidéo ]

·       Alessandro Arbo : Entre oralité, écriture et phonographie : quelques réflexions sur les statuts de la chanson.

[ vidéo ]

·       Philippe Gonin : Une expérience pop ? Un décryptage du processus de composition du Floyd Chamber Concerto.

[ vidéo ]

·       Moreno Andreatta : Les maths au service de la pop : quelques réflexions sur une démarche mathémusicale.

[ vidéo ]

 

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9 février 2019

 

Séminaire

Design, science et création Sonore [5]

 

·       Nicolas Misdariis : Musique, design et processus de créativité

·       Mathias Béjean : La formalisation en design (avec Laure Garreau)

·       Pierre-Damien Huygue : Présenter formellement un problème [6]

·       Roland Cahen : De l’espace sonore à la musique cinétique [7]

·       Frank Pecquet : L’ambivalence de la relation entre création et design [8]

 

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16 mars 2019

 

Séminaire

De l’incomplétude nécessaire [9]

 

·       René Guitart : Les problèmes eux-mêmes sont les solutions idéales des calculs impraticables et des figures intraçables [10]

·       Évelyne Barbin : Le monde des courbes entre complétude des écritures et incomplétudes des productions et des problèmes [11]

·       Andrée Ehresmann : Incomplétude et Multiplicité, à la source de la redondance flexible et de l'émergence [12]

(Vidéos de la journée)

 

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6 avril 2019

 

Séminaire

L'instant, la durée, l’intemporel : enjeux d’interaction [13]

 

·       Stéphane Dugowson : Lax-Dynamiques Ouvertes en Interaction (une brève introduction) [14]

·       Pierre Michel Klein : En deux temps et trois mouvements : une théorie de l'instant de naître et de l'instant de mourir [15]

·       HyeYoung Kim : Visualisation de la musique dans l’espace : pour une compréhension de la spatialité et de la temporalité de la musique [16]

·       Nils Thornander et Géraldine Ros : Tic-Tack-Tic

·       Stéphane Dugowson : Connectivité et topologie des relations multiples et des interactions [17]

(Vidéos de la journée)

 

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Vendredi 7 et samedi 8 juin 2019

 

Pour le vingtième anniversaire (1999-2019) du séminaire mamuphi

Journées d’étude

 

Festival Manifeste, Ircam

[salle Stravinsky]

 

À l’ombre d’une lecture (L’Immanence des vérités - Alain Badiou), quelles hypothèses sur le contemporain ?

(org. Yves André, Frank Madlener et François Nicolas)

 

Après deux journées (1° et 2 octobre 2018, théâtre La Commune, Aubervilliers) accompagnant la sortie du livre L’Immanence des vérités d’Alain Badiou et consacrées à sa présentation générale [18], ces deux journées mamuphi voudraient discuter plus en détail ses propositions et conclusions.

 

Il s’agira tout spécialement d’examiner sa théorie des « œuvres-en-vérité » - troisième et dernière grande partie de l’ouvrage - qui formalise une alternative émancipée à l’oppression par la finitude en dégageant comment des « œuvres » peuvent se distinguer des « déchets » et accessoirement des « archives ».

 

Esprit mamuphi oblige, on en traitera selon trois dimensions :

-       mathématique : qu’en est-il des œuvres mathématiques entendues comme « œuvres-en-vérité dotées de leur propre index » et non plus comme conditions pour telle ou telle philosophie ?

-       musicale : qu’en est-il de l’hypothèse d’un index d’absolu dans les œuvres musicales, en particulier contemporaines ?

-       philosophique : qu’en est-il des rapports de la philosophie aux « œuvres selon le devenir » (politiques et amoureuses) et « selon l’objet » (scientifiques et artistiques) ? En particulier ne pourrait-on soutenir une hypothèse qu’on propose de nommer « l’hypothèse du contemporain » qui poserait qu’au XXI° siècle, la partie se joue selon trois dispositions contraires et non plus seulement deux orientations contradictoires (œuvres/déchets), et dans ce cas comment caractériser et nommer le tiers non exclu ?

 

avec

-       Mathématiques : Yves André, Mirna Dzamonja, René Guitart, Michael Harris, Vladimir Tasic, Fernando Zalemea

-       Musique : Antoine Bonnet, Frank Madlener, François Nicolas

-       Philosophie : Elie During, Nick Nesbitt, et Alain Badiou

 

Alain Badiou : Sur ces journées mamuphi

 

Programme

[ pdf ]

 

Vendredi 7 juin 2019

   Frank Madlener & François Nicolas : Introduction

[ vidéo ]

   François Nicolas - Toucher à l’absolu en un point : index d’absoluité et moments-faveur dans les œuvres musicales [19]

[ pdf ] [ vidéo ]

   Fernando Zalamea - Universels relatifs et topos de faisceaux sur des modèles de Kripke : autour des coupures/recollements de l’infini dans L’Immanence des vérités [20]

[ vidéo ]

   Nick Nesbitt - Penser les œuvres-en-vérité ‘simples’ : improvisation et axiomatique vernaculaire chez John Coltrane [21]

[ vidéo ]

   René Guitart - Immanence de l’exactitude, écriture de la transcendance [22]

[ vidéo ]

   Antoine Bonnet - “Index d’absolu” dans la musique, aujourd’hui : l’œuvre “simple” (ou pure) en question [23]

[ vidéo ]

   Michael Harris - Ce qu'il faut comprendre afin de distinguer les travaux d'Andrew Wiles des “déchets”[24]

[ vidéo ]

 

Samedi 8 juin 2019

   Elie During - « Presque tout » : le sublime mathématique à l’épreuve de l’« ultra-filtre » [25]

[ vidéo ]

   Mirna Dzamonja - Alain Badiou et la théorie des ensembles : les mathématiques pures ou les mathématiques appliquées [26]

[ vidéo ]

   Vladimir Tasic - La mathématique “est auprès de nous” ? [27]

[ vidéo ]

-      Yves André - Le dialogue MaMuPhi et la question contemporaine des œuvres et de leur recouvrement. Un point de vue mathématicien.

[ vidéo ]

   Frank Madlener - Il faut qu’une foule (une multiplicité) se déclare[28]

[ pdf ] [ vidéo ]

   Alain Badiou : Conclusions

[ vidéo ]

 

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[a] photos de Patrick Saint-Jean



[1]

François Nicolas : Théorie galoisienne de la solidarité de groupe

 

Deux cents ans après Galois, Alain Connes déclare en 2011 qu’il lui a fallu « beaucoup de temps » et « énormément de travail » pour arriver à « comprendre la pénétration de la pensée de Galois » et prendre conscience de ce que « sa pensée garde son potentiel de mise en mouvement » et cette « fulgurance qui montre la voie à suivre ». [1] Pour mieux rétablir l’idée galoisienne d’ambiguïté, Connes délaisse provisoirement les structures algébriques abstraites que la modernité bourbakiste a retenues (groupes de symétrie des k-automorphismes, anneaux des polynômes, corps de résolution, espaces vectoriels et k-algèbres des extensions…) pour réactiver l’étonnement premier : il existe des relations rationnelles (combinaisons rationnelles à valeurs rationnelles) entre racines non nécessairement rationnelles d’une même équation polynomiale, et ce sont ces relations qui rendent compte du type de solidarité qui « groupe » les racines. La théorisation galoisienne (qui n’est pas encore devenue « la théorie de Galois » officielle) s’ancre donc dans l’étude systématique de ces relations.

Ce retournement rétablit une continuité Lagrange-Galois (sous le signe des « résolvantes » auxiliaires) pour mieux mettre en évidence le pas gagné par Galois : la lettre x ne symbolise plus tant une inconnue individuée (déterminée par les relations à soi que formalise l’équation polynomiale) que l’élément générique d’un collectif solidaire, l’enjeu de l’équation n’est plus tant sa résolution (c’est-à-dire la nomination algébrique de chaque racine au moyen de « formules par radicaux ») que la caractérisation de son groupe si bien que les structures algébriques (dégagées dans la seconde vague de la modernité algébrique par Steinitz, Artin…) se réassurent ainsi dans leur capacité à formaliser le modèle polynomial.

Ce réancrage de la théorie dans son modèle constituant invite à repenser ce que modernité algébrique veut dire et par là, les raisonances envisageables avec d’autres modernités : musicale, cinématographique, politique…

 

[2]

Rudolf di Stefano : Notes pour une nouvelle apocalypse

 

À la naissance d’une œuvre collective sur Douze de Blok, qui convoque trois arts dans leur autonomie — musique, théâtre, cinéma — il paraît nécessaire pour le cinéma de tenter un regroupement des éléments qu’il peut mettre en jeu dans un tel projet, et produire un film préparatoire, une organisation de notes cinématographiques, qui préfigure ce que pourra être la part du cinématographe dans une aventure comme celle-ci. 

Je propose donc à l’occasion de cette séance de soumettre un montage qui se donne comme objectif, par des images et des sons, une mise en jeu effective des points contradictoires que le poème de Blok établit : résurrection du Christ / révolution russe ; destin individuel / épopée collective ; futur inquiétant / passé de la victoire ; nuit noire / neige blanche. Donner une intelligibilité cinématographique de ces fractures, en faisant le pari encore une fois, que le cinéma peut convoquer la dimension mythique pour faire ce travail, mythe pensé comme Levi Strauss le propose, c’est-à-dire comme une opération qui a pour vocation de réduire la fracture entre deux éléments contradictoires, sans pour autant jamais la résorber complètement. Mais tenir ensemble des contradictions sans les annuler, n’est-ce pas une opération éminemment cinématographique que l’on appelle montage ?

 

[3]

François Nicolas : D’une espérance bolchévique en des temps d’apocalypse (Douze, poème d’Alexandre Blok)

 

Le poème Douze d’Alexandre Blok subjective l’épopée bolchevique saisie dans une nuit glacée de Petrograd en plein janvier 1918. Coup de théâtre final : le poème dispose Jésus-Christ à la tête du cortège des douze Gardes Rouges qui, tout au long du poème, avancent bravement vers les combats de la guerre civile qu’une coalition anticommuniste hétéroclite (tsaristes, mencheviks, propriétaires, bandits, occidentaux…) va soutenir pendant quatre ans pour tenter de noyer dans l’apocalypse la révolution léniniste. Le poème reconnaît ainsi Jésus-Christ comme nom recevable du nouveau collectif bolchévique.

Comment comprendre une telle nomination poétique ?

 

Après la Pentecôte, de quoi le collectif chrétien des douze Apôtres est-il le témoin ? Leur collectif témoigne que, depuis Pâques, il leur est arrivé quelque chose, qui a portée universelle.

Et que leur est-il arrivé ? Que leur foi, morte le Vendredi saint, a ressuscité et que cette foi est ce qui désormais (Pentecôte) les regroupe en église - de cela, des vies vont témoigner, jusqu’à la mort (sous les coups du nouveau mal qui vient persécuter ce surgissement).

Comment leur foi a-t-elle donc ressuscité ? En reconnaissant Jésus en différentes personnes ordinaires (un jardinier, un randonneur, un pécheur…) à des gestes ordinaires (corporels, vocaux, langagiers…). L’église des apôtres va nommer Jésus-Christ l’enjeu de cette reconnaissance fidèle : leur foi ressuscitée soutient qu’il est désormais possible de reconnaître le Christ en tout homme. Ainsi, pour les Apôtres, Jésus-Christ ressuscité s’incarne en tout homme : l’Incarnation est donc l’affaire de Pâques, non de Noël.

Comme Kierkegaard n’a cessé d’y insister, Noël viendra proprement recouvrir l’événement-Pâques quand l’Église, étatisée sous Constantin, viendra reclouer le Christ sur la Croix pour en faire son nouvel emblème et prêcher que notre monde est celui du Vendredi saint plutôt que de la Résurrection…

Pour eux, cette nouvelle possibilité témoigne d’une Victoire, d’autant plus majuscule qu’elle est paradoxale puisqu’elle n’a pas l’apparence indubitable d’un fait mais plutôt celle d’une reconnaissance rétroactive. D’où que cette foi ressuscitée s’avère de type nouveau : elle convertit l’espoir antérieur (espoir, du temps de la vie de Jésus, en des victoires factuelles et irréversibles) en une espérance fondée sur la conviction qu’il existe désormais, ici et maintenant, des accès immanents à l’éternité. Notons : cette espérance convertit l’espoir antérieur sans le combler puisque la victoire, secrètement remportée à Pâques, ne s’aligne nullement sur le type escompté de victoire triomphale – et d’ailleurs, la victoire n’est plus à attendre mais à reconnaître.

Le type nouveau de cette victoire est attesté par ce point : si la victoire attendue par l’espoir était imaginée comme un triomphe écrasant le mal antérieur, la victoire remportée, celle qui fonde l’espérance, s’avère plutôt engager un temps de renouveau du mal (témoigner d’un tel type de victoire expose en effet à la persécution de qui s’acharne à la recouvrir du grossier principe réaliste : « il n’y a pas eu réellement de victoire ; il n’y a que ce qu’il y a manifestement là ! »). Le type nouveau de victoire renverse ainsi les ordres : ce n’est plus un mal avéré (les défaites) qu’on souhaite suivi d’un bien (la victoire de lendemains qui chantent…) mais c’est un bien, en partie secret, qui engendre l’évidence d’une réaction maline.

D’où l’espérance que la traversée affirmative de ces temps post-victoire (faire face aux agressions sans nombres en tenant le pas gagné : « il n’y a pas que ce qu’il y a ! ») témoigne de la portée globale de la victoire (paradoxalement secrète et apparemment restreinte) déjà remportée.

L’église des apôtres va nommer Apocalypse (« révélation ») ce type de victoire en lui assignant un berceau (Jérusalem) et une date de naissance (le dimanche 9 avril 30). Cette conception émancipatrice de l’Apocalypse (elle n’est pas dévastatrice , « apocalyptique ») se distingue de la conception oppressive qui prévaudra plusieurs siècles plus tard (à partir de l’ère étatico-constantinienne) en affirmant que la grande bataille contre l’ancien monde a déjà eu lieu et qu’elle a bien été gagnée (l’Armageddon date du Samedi saint, donc du 8 avril 30) ; ce faisant, cette orientation introduit non à l’accomplissement repus d’un triomphe intégral mais à un long temps de conflits (trois siècles de sauvages persécutions…) face au nouveau mal qui se constitue en déficit du nouveau bien. L’enjeu de ces temps ?: la victoire d’apparence circonscrite a-t-elle bien la portée globale qu’on lui prête ou va-t-elle être recouverte sous le voile démobilisateur des arguments réalistes (empiristes – quelles expériences irréfutables ?- ou pragmatiques – quels effets certifiables ?)

 

Le poème Douze reconnaît ce type nouveau d’espérance propre aux temps apocalyptiques dans la geste propre de la Révolution d’Octobre : substituant la nuit du 24-25 octobre 1917 à celle du 8-9 avril 30, le poème suggère ainsi un nouveau modèle apte à réinterpréter la forme chrétienne.

Remarquons qu’un tel bolchevisme chrétien n’est pas l’exclusivité de Blok : on le trouve également à l’œuvre à la même époque chez certains militants chrétiens tel Pierre Pascal ou plus tard, en un sens étendu, chez le philosophe Ernst Bloch quand, aujourd’hui, Zizek s’attache à le réactiver [Voir en particulier sa confrontation avec John Milbank, théologien de la Radical Orthodoxy, dans The Monstruosity of Christ. Paradox or Dialectic ? (MIT Press, 2011)]

 

Outre la relecture attentive des années 1917-1922 à quoi tout ceci nous incite (« pas plus que la ‘Révélation’, la Révolution n’est un diner de gala ! » : une révolution, bien plus qu’un point d’arrivée, est un point de départ politique), notons l’intelligence renouvelée de la dialectique entre victoires subjectives et défaites objectives (« Toujours battus, mais invincibles ! » Bernanos, 1941) à quoi tout ceci invite : en ces temps où l’on nous accable d’« Apocalypses sans royaume » [Jean-Paul Engélibert (Classiques Garnier, 2013). Voir aussi Pierre-Henri Castel, Le Mal qui vient (Cerf, 2018)] qui veulent recouvrir de nihilisme toute espérance possible, notre tâche est de réactiver inventivement les victoires refoulées que ces nihilismes veulent forclore : ces victoires, d’autant plus réelles qu’apparemment paradoxales, constituent l’enjeu effectif des désorientations qui se déploient actuellement sous des horizons d’angoisse « apocalyptique ».

 

[4]

Démarches créatives et regards philosophiques sur l'« art musical pop »

 

Cette séance est consacrée à la pop, terme qui englobe le spectre des « musiques populaires enregistrées », comme le suggère Agnès Gayraud dans son ouvrage récent Dialectique de la pop (Collection « culture sonore », éditions de la Philarmonie de Paris, 2018). Le terme, équivalent à l'appellation « musiques actuelles » qui relève - elle - d'une classification institutionnelle et académique, désigne à la fois le blues, le rock, la pop en tant que genre, le jazz et la chanson. Cette séance, qui représente le deuxième volet d'un cycle consacré à la popular music, vise à montrer à nouveau que - loin de s'opposer ou, pire, de s'ignorer - philosophie analytique et philosophie continentale peuvent trouver dans la pop un objet d'étude singulier sur lequel comparer leurs propres méthodes avec un double regard, à la fois sur l'acte créatif mais aussi sur la réflexion théorique, analytique et épistémologique. La journée proposera à la fois des analyses de démarches créatives ainsi que des réflexions théoriques inspirées d'approches issus de la philosophie analytique et d'une activité de recherche centrée sur la formalisation mathématique des processus analytiques et compositionnels. Quelle-est la composante rationnelle sous-jacente aux musiques populaires enregistrées et comment s'articule-elle avec l'intuition du musicien ? Quels traits distinctifs peut-on associer à l'« art musical pop » et quelles sont les possibilités qui s'ouvrent à lui dans son dialogue permanent avec le répertoire savant et folklorique ? Quelle orientation philosophique multiple se dégage-t-elle in fine de l'analyse de la pop ? Et, inversement, quelle est la place de la pop dans la pensée philosophique contemporaine ?

 

[5]

L’une des questions centrales du séminaire MaMuPhi est : comment la musique raisonne-telle avec d’autres modes de pensée ? Le séminaire du 9 février s’intéressera à un mode de pensée particulier, celui du « design ». Il fait suite à trois séances organisées sur les rapports entre Design, Science et Création, dans le cadre d’un partenariat entre le Séminaire MaMuPhi et le projet ANR Descitech (Design, Science, Technologie).

Cette quatrième séance tentera de prolonger les pistes ouvertes précédemment, en revenant notamment sur la question de la formalisation en design : la question de la formalisation se pose depuis plusieurs années dans MaMuPhi, principalement dans le cadre mathématique de la Théorie des Modèles. Il s’agira ici d’entendre la formalisation dans un sens non restreint à la définition mathématique, en vue d’explorer d’autres voies de caractérisation des pratiques de formalisation en design, ainsi que leur fonction.

La séance du 9 février visera aussi à ouvrir le champ de la création sonore : partant du postulat de Bruce Archer du design comme d’une discipline en tant que telle, de plein droit (« in its own right », Archer, 1979), il est possible d’explorer la forme d’articulation art-science que le design propose de manière relativement singulière. Appliquée au sonore, cette approche peut amener à s’interroger sur la relation entre musique et design ou sur la différence entre « création musicale » et « création sonore » appliquée au design.

 

[6]

« Présenter formellement un problème », cette formule m'est venue du fait que je m'adressais à des étudiants concernés par le design mais attirés aussi par l'idée, chère à Bruno Latour, de controverse. Cette idée se lie, comme on sait, à celle de parlements, c'est-à-dire, littéralement, d'espaces de et pour paroles capables de s'opposer les unes aux autres. Comment les susciter, ces paroles, sans se substituer à elles ? Telle est la question en jeu dans l'adverbe de ma formule. Cet adverbe n'entend pas désigner une opération langagière, mais bien, comme il est dit, une « présentation » dans le registre de la forme. Pour expliquer cette expression, je parlerai de rythme.

 

[7]

L’objectif de cette intervention est de réfléchir un itinéraire de compositeur électroacoustique. En détaillant le passage par des notions de « navigation sonore », de « topophonie », puis de « spatialisation électroacoustique », l’exposé tentera de montrer l’intérêt de passer de la vision conceptuelle et de la possibilité technique à l’invention et à la formalisation musicale de nouveaux paradigmes expressifs. Il s’appuiera sur des exemples issus de la conception/création sonore (muséographie, scénographie, urbanisme, réalité virtuelle et augmentée…), ainsi que des exemples musicaux (approche et méthodes d’expérimentation vers une musique cinétique).

 

[8]

L’ambivalence de la relation entre création et design met en avant des objectifs disjoints de l’art au design et réciproquement. La présente intervention en illustre ce paradoxe dans le contexte du design sonore (et/ou musical). Les designers sonores participent de méthodes et pratiques de création polymorphes pour produire des artefacts et prototypes sonores, sans véritable lien avec la création artistique. Deux questions se posent : la mise en parallèle de la création et du design relève-t-elle de l’oxymore ? Comment considérer, à la lumière des pratiques, méthodes et productions du design sonore, qu’il s’agisse de création ? En adoptant un point de vue certes plus théorique sur ces sujets en première partie, commentant à l’occasion deux initiatives technico-scientifiques, la deuxième partie de cette intervention met en parallèle design et création musicale à l’occasion d’une œuvre prototype « Transpiano » dans laquelle se justifient trois caractéristiques reconnues du design, faisabilité, ingéniosité et empathie.

 

[9]

INTRODUCTION

 

Dans cette journée, le terme d'incomplétude ne sera pas pris au sens très-précis qu'il a pour Kurt Gödel en 1931 pour qui une théorie est dite incomplète si elle comporte des énoncés indécidables, et que l'on peut donc lui “ajouter” des axiomes vraiment nouveaux exprimables de façon interne, c'est-à-dire dans son propre langage. Par exemple, par des résultats de Kurt Gödel en 1938 et Paul Cohen en 1963, on peut, comme on veut, compléter la théorie des ensembles par l'axiome du choix ou bien par la négation de l'axiome du choix.

Ce dont il s'agira ici, ce sera simplement l'aspect dynamique créatif de l'incomplétude, celui d'une situation de travail mathématique où un problème est à résoudre dans une théorie ou un modèle donné, où donc il faut compléter la situation en une nouvelle situation où une solution sera apportée. La situation d'une théorie incomplète au sens de Gödel est juste un exemple d'une telle situation, où donc une complétion interne, sans renforcement du langage, est possible.

Mais, dans le travail mathématique, il est tout à fait permis, et souvent nécessaire, de compléter les outils et le langage lui-même, d'introduire un langage nouveau, transcendant en quelque sorte, de nouveaux objets et opérateurs, et partant de créer une situation plus complète où l'on réussira ou pas, à conclure, à répondre au problème. Au plus près de sa situation initiale, espère-t-on.

Ce que nous voulons illustrer, c'est que ce schéma pour découvrir fonctionne à au moins quatre conditions nécessaires : que la situation initiale soit effectivement incomplète - on dira aussi problématique ; que la complétion mise en œuvre préserve la  singularité de la présentation des entités premières - ce qui demande de ne pas compléter sur certains points ; que la complétion ne soit pas systématique et aveugle - ce qui demande qu'elle soit économique ; et que la complétion  soit féconde - ce qui demande en fait qu'elle soit susceptible de relance, qu'on puisse y trouver ultérieurement quelque aspect sous lequel elle serait à nouveau incomplète.

Ces conditions signifient donc paradoxalement que, en plusieurs sens, la complétion doit être incomplète. Mais bien entendu, chaque pas de cette sorte est en lui-même précis et provisoirement terminé, comme une preuve est terminée.

Il s'agit donc ici d'une nécessité distincte de la nécessité formellement établie d'une incomplétude comme dans la preuve du premier théorème de Gödel de 1931, et d'une incomplétude distincte aussi de l'ouverture indifférenciée. On peut dire qu'il s'agit plutôt de la nécessité pour toute œuvre créatrice de se concevoir comme “travail en cours”, à l'instar du non finito de Michel-Ange, découvrant son mouvement, avec la plus grande exactitude ; une pulsation entre l'incomplétude et la complétion, tant au niveau des objets et relations qu'à celui des outils. De nos jours, ces mouvements de complétions successives peuvent être représentés en termes d'extension d'opérations, de constructions d'objets limites projectives et inductives, de diagrammes.

On essaiera de montrer en trois exposés que sous cet angle, on peut, en mathématique, comprendre la résolution des calculs et la construction des figures, l'invention des courbes, transformations et fonctions, la modélisation des systèmes naturels (sociaux, biologiques ou cognitifs).

 

[10]

On examinera deux questions : la résolution des équations polynomiales impraticables par les opérations de l'algèbre, la construction des figures intraçables en géométrie euclidienne sur le tableau noir.

Dans les deux cas, on verra que la résolution passe par l'élaboration d'un espace imaginaire, de calcul ou de figuration, où les nouveaux “points” idéaux sont les problèmes eux-mêmes. Les problèmes, qui signifiaient de l'incomplétude, viennent, une fois bien posés, compléter l'espace de travail initial, pour permettre, ensuite, la mise en place de protocole de résolutions.

Dans le premier cas, on obtient la clôture algébrique, ou divers sous-corps de celles-ci, suivant la complétion envisagée ; dans le second cas, on obtient le plan projectif, ou bien, pour une complétion moindre, le plan euclidien.

Dans l'espace étendu où les outils initiaux sont prolongés, on cherche ensuite à introduire de nouveaux outils pour résoudre effectivement les problèmes, passer éventuellement de solutions idéales à des solutions économiques et plus réelles, représentables dans l'espace initial.

 

[11]

L’histoire des courbes peut être lue comme une succession de moments où la conception d’un monde complet de courbes éclate par raison d’incomplétude pour se refermer sur une nouvelle complétude. Nous proposons d’examiner quatre de ces moments pour montrer l’importance jouée par la nature licite ou non de produire des courbes et par la résolution de problèmes, que l’on se doit de résoudre ou pas. Les constructions de la géométrie grecque se font par intersection de droites, de cercles et de coniques, objets inclus dans la théorie. D’autres lignes sont inventées, elles font partie d’un monde sans contour. Au xviie siècle, Descartes étend le monde des courbes géométriques à une infinité de courbes qui ont à la fois une écriture spécifiée, une équation, et un mode de production, décrite à l’aide de mouvements bien réglés. Ce monde est vite considéré comme incomplet, aussi bien du côté des problèmes qu’il est urgent de résoudre, que des productions licites. D’autres écritures sont admises, comme les séries infinies. Le monde leibnizien des courbes est à la fois ouvert et rêvé. Ses héritiers le ferment avec des courbes de nouveau identifiées à leurs écritures. Au point que l’étude des courbes se trouve subsumée par une théorie des fonctions fermées, qui sera elle-même rouverte puis complétée à plusieurs reprises.

 

[12]

La Théorie des Catégories permet-elle de modéliser des situations d'incomplétude tout en préservant leurs spécificités et leurs développements ultérieurs ?

Ce problème sera abordé dans le cadre des Systèmes Évolutifs à Mémoire (MES) qui modélisent des systèmes naturels hiérarchiques autonomes (sociaux, biologiques, cognitifs) développant une mémoire avec 'redondance flexible', les rendant donc adaptatifs.

Catégoriquement, un MES est un semi-faisceau de catégories hiérarchiques sur le Temps, dont les transitions entre instants sont générées par des processus de complexification. Un résultat essentiel est le Principe de Multiplicité (MP) qui exprime la redondance flexible (ou ‘dégénérescence’ en Biologie) par l'existence de composants 'multi-facettes' et qui entraîne l'existence de 'liens complexes' entre eux. Un MES sans MP relèverait d'un pur réductionnisme.

Les MES permettent une étude des phénomènes d'émergence tant 'verticaux' (formation de composants d'ordre de complexité croissant) que 'diachroniques' (changement de logique entre niveaux via les liens complexes). Ces phénomènes sont à la base de créativité et d'imprédictibilité à long terme.

 

[13]

Présentation

 

L’instant est le lieu paradoxal de notre expérience de la durée :  si la durée contient en quelque sorte les instants qui la composent ou la bordent, elle n’est elle-même perçue que depuis l’unique instant --- maintenant ! --- où se déroule toute notre existence. En lui se réalisent dès lors des dynamiques aux temporalités des plus variées qui, lorsqu’elles entrent en interaction mutuelle, y trouvent en outre le moyen concret de leur nécessaire synchronisation. Or, dans le jeu des interactions, voici que, paradoxe supplémentaire, se révèle parfois, où la durée s’annule, comme une essence intemporelle de l’instant.

Chacun des intervenants de la matinée --- un mathématicien (Stéphane Dugowson), deux philosophes (Pierre Michel Klein et Kim HyeYoung), un musicien (Nils Thornander) et une cantatrice (Géraldine Ros) --- est alors appelé à interpréter librement, avec ses références et sa sensibilité, les termes de ce double paradoxe : l’instant, la durée et l’intemporel y seront ainsi les enjeux d’une “conférence-performance” issue des interactions réelles ou imaginaire qu’ils noueront avec eux-mêmes, avec les disciplines où ils évoluent, travaillent et s’expriment, avec le public et les participants du séminaire Mamuphi, mais aussi avec tout élément visible ou invisible de l’Univers susceptible de s’y trouver.

Après une courte présentation par S. Dugowson de sa théorie mathématique des “lax-dynamiques ouvertes en interaction”, le métaphysicien P. M. Klein présente sa théorie de l’instant en considérant tout particulièrement l’instant de naître et l’instant de mourir. Kim H.Y. aborde ensuite plus spécifiquement la question de la musique, là encore du point de vue d’une réflexion métaphysique sur le temps. Dans le dernier et court exposé de la matinée, S. Dugowson revient sur sa théorie pour quelques commentaires philosophiques. Avant et après chacun de ces exposés, N. Thornander et G. Ros interviennent musicalement, selon le programme précisé ci-après.

A la fin de chaque exposé de cette matinée au timing plutôt serré, quelques minutes seulement sont prévues pour répondre aux questions, mais un espace plus important de discussion est inscrit au programme de l’après-midi, qui débute par un exposé mathématique de S. Dugowson consacré aux aspects connectifs de l’interactivité, thème étroitement lié à ceux du matin.

 

[14]

Élaborée depuis plusieurs années, il s’agit d’une théorie systémique dans laquelle l’interaction entre des dynamiques en général non déterministes possédant chacune son propre moteur catégorique (une petite catégorie quelconque dont les flèches représentent les durées) et son horloge (une dynamique déterministe dont les états représentent les instants) produit de nouvelles dynamiques qui les englobent et qui peuvent à leur tour entrer dans de nouvelles interactions. L’aspect “lax” de ces dynamiques a été rendu nécessaire pour des raisons techniques, il a pour conséquence inattendu de rendre intéressantes, car “influençables”, les dynamiques dont le moteur est réduit à zéro, que nous dirons intemporelles.

 

[15]

L'histoire de tout être humain dure depuis l'instant d'une instauration singulière jusqu'à l'instant d'une disparition singulière : de la naissance d'un soi-même jusqu'à sa propre mort.

Or naissance et mort paraissent sous l'allure d'événements instantanés, lesquels inaugurent et achèvent une durée. La nature de ces instants peut-elle éclairer la nature de ces événements ? Une théorie de l'instant ouvrirait-elle à une théorie de la naissance et de la mort ?

 

Références : Métachronologie, Editions du Cerf, Paris (2016) (en collaboration avec S. Dugowson : Chronon, Editions de la Route de la Soie, Paris - 2019)

 

[16]

Comment la musique crée-t-elle l’espace ? Quels types de structures spatiales la musique construit-elle ? Ces questions sont liées à la visualisation de la musique dans l’espace, mais il nous faut d’abord nous demander : « quelle est le τέλος de la musique ? » Autrement dit, quel est le sens de la musique ? Comment la musique peut-elle être la musique ? La musique est-elle encore la musique lorsque nous ne l'écoutons pas ? À cet égard, interroger la musique invite à nous interroger nous-même : comment comprenons-nous la musique ? Or, la compréhension et la perception de la musique supposent celles des relations entre durées et instants, c’est-à-dire celles du temps. La musique, l’espace, le temps, l’instant, la durée, la perception et la compréhension seront ainsi les concepts cruciaux de notre discussion.

 

[17]

Dans cet exposé, nous rappelons d’abord la notion d’espace et de structure connective, puis nous définissons la structure connective d’une relation multiple quelconque --- exemple saisissant : l’addition (des entiers relatifs, des réels, etc…) s’avère borroméenne --- et, de là, d’une interaction d’une famille de dynamiques ouvertes. Finalement, grâce à la notion de topos de Grothendieck, nous associons un espace topologique fini à toute relation multiple finie, par exemple à toute interaction d’une famille finie de dynamiques. Dans le cas d’une relation borroméenne, cela conduit à un espace bien représenté par la fractale de Newton.

 

[18] http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/Immanence-verites/

 https://www.youtube.com/playlist?list=PLfaS0zIQOD6Sd4hf0_b78CSsLFnzZpsOG

 

[19]

Toucher à l’absolu en un point : index d’absoluité et moments-faveur dans les œuvres musicales

 

Pour parachever l’examen, entamé en octobre 2018, des concepts philosophiques de ce livre en les confrontant, à l’écart du philosophème et de l’antiphilosophie, aux catégories musicales d’une intellectualité particulière, demandons-nous : de quelle manière le concept philosophique d’index d’absoluité peut-il ombrer la catégorie musicale de moment-faveur ?

Pour ce faire, on repartira de deux démarcations essentielles :

-      Le solfège, en recouvrant de notes le monde acoustique des sons, structure la musique en torsion intérieure de deux infinités : celle des discours et celle de leurs expressions (soit une figure musicale de la torsion langagière des énoncés et des énonciations) ; ainsi, l’écriture musicale finitise la Nature (physique) pour mieux infinitiser la Musique (discursive).

-      Sur cette base, l’œuvre musicale se distingue du simple morceau de musique (ce faisceau des exécutions d’une partition donnée) par l’existence supplémentaire d’un point secret – « intension » ou instress – qui l’anime et qu’une interprétation viendra avouer en un moment particulier de son cours appelé moment-faveur.

On se demandera alors si la figure philosophique d’un index d’absoluité à l’œuvre peut ombrer la question suivante : comment le point avoué lors du moment-faveur va-t-il, au fil de l’œuvre, être musicalement tenu jusqu’à sa fin en sorte de devenir transmissible, par-delà son terme, comme point musicalement irrémédiable (autant dire comme propriété essentielle de la musique et non pas comme problème, résolu ou à résoudre), comme témoignage relayable de ce dont la musique est absolument capable ?

Où l’impératif « continuer jusqu’au bout » s’avèrera mobiliser l’immense orgueil au principe d’une telle action restreinte : tenir ce qui vous tient (et que fait d’autre ce livre quand il ressaisit ultimement ses conditions constituantes ?), en sorte qu’en cette singularité minuscule, il en aille d’une puissance où se joue le destin de la Musique comme telle, autrement dit d’un point d’absolu.

Une fois précisé, à la lumière des mathématiques, en quel sens le point ici en jeu doit être un « gros point » (doté d’une micro-dialectique interne) et ce que « tenir » un tel point veut dire, on avancera ce principe : tenir subjectivement un point qui vous tient – à ce titre « votre » point – avec l’assurance persévérante qu’en cette puissance microscopique se joue quelque chose du destin de l’Humanité tout entière, c’est se hisser à hauteur de l’une de ses capacités et par là tutoyer sa grandeur.

 

[20]

Universels relatifs et topos de faisceaux sur des modèles de Kripke : autour des coupures/recollements de l’infini dans L’Immanence des vérités

 

Nous présentons la notion d’“universel relatif”, ubiquitaire dans l’œuvre de Grothendieck, et notre notion TFK (“topos de faisceaux sur des modèles de Kripke intuitionnistes”), où se superposent l’histoire, la phénoménologie et la métaphysique, pour aider à “sauver la catégorie de vérité” selon Badiou (absolue et localisée, éternelle et événementielle, générique et existentielle, a-subjective et subjective).

En outre, nous explorons quelques tensions entre niveaux d’infini grâce au TFK, en contrepoint avec les “croisements opératoires” de Badiou dans L’Immanence des vérités.

 

[21]

Penser les œuvres-en-vérité ‘simples’ : improvisation et axiomatique vernaculaire chez John Coltrane

 

Pour mon intervention je voudrais interroger l’absoluité de l’œuvre-en-vérité ‘simple’ qu’est l’improvisation dans le jazz, poussée à son degré le plus haut de structuration conceptuelle sonore. De ce fait, je me concentrerai sur la construction d’une axiomatique vernaculaire dans les œuvres de maturité de John Coltrane.

L’élaboration systématique ‘des protocoles formels strictement puisés à la ressource artistique’ (IdV 546) qu’on retrouve chez Coltrane relève tout compte fait d’une coupure épistémologique, d’un événement, autrement dit d’un break qui serait - selon les mots de Coltrane - ‘Out of This World’ et qui opèrerait dans la musique de Coltrane à partir de 1960. Tout en refusant catégoriquement la réduction identitaire dominante qui verrait dans le jazz l’expression immédiate d’une identité culturelle quelconque, il s’agira au contraire de suivre l’incorporation d’une puissance informe à une série de formalisations vernaculaires (procédé préalable, par ailleurs, à toute compréhension adéquate du contenu politique de l’événement Coltrane).

Ces indexifications vernaculaires de l’absolu présentent, effectivement, un degré d’absolutisation très poussé, ‘portant sur l’universalité de la perception’ (546). Ce sont des processus improvisés qui exigent la conceptualisation par des analyses rapprochées de la production sonore matérielle, aussi bien internes que par rapport aux matériels musicaux hérités et retravaillés.

L’exemple de cette musique improvisée servira donc de contrepartie non-écrite, face à l’exemple-clé de Badiou qu’est la partition (relativement ‘impure’) du Merle noir de Messiaen (IdV 551-59). Nous verrons que ces improvisations-événements épousent à maints égards l’analyse de Badiou du Merle noir, tout en produisant des procédés d’absoluité tout à fait singuliers.

 

[22]

Immanence de l’exactitude, écriture de la transcendance

 

Pour ma part, je pose que le nom de la vérité dans le monde des mathématiciens qui travaillent à leurs inventions, est l’exactitude ; d’où je propose l’exactitude comme aussi — en sus d’une notion multiforme en mathématique --- un concept philosophique, distinct de celui de vérité : l’exact est une possibilité effective de forme d'un vrai virtuel. Le mathématicien au travail déploie son intuition en guise d’index pointant vers le devenir de son calcul.

Depuis ce point, je relirai Alain Badiou sur l’infinitude et les cardinaux, et sur l’indexation ou la non-indexation des œuvres mathématiques, sur l’écriture algébrique ou transcendante desdites œuvres. 

 

[23]

“Index d'absolu” dans la musique, aujourd’hui : l’œuvre “simple” (ou pure) en question

 

Pourquoi Alain Badiou a-t-il choisi le Merle noir de Messiaen comme exemple d’œuvre musicale dans L’Immanence des vérités ? S’efforcer de le comprendre, de faire parler ce choix, sera l’occasion de petits détours dans son entreprise philosophique et le point de départ d’une réflexion sur “la solitude de l'intervalle” où se trouve aujourd’hui livré le musicien. S’en suivront quelques hypothèses sur le contemporain.

 

[24]

Ce qu'il faut comprendre afin de distinguer les travaux d'Andrew Wiles des “déchets”

 

Au-delà de leur application à la résolution du problème célèbre de Fermat, les travaux de Wiles sont universellement considérés, par ceux qui ont eu la possibilité de les étudier, comme un événement dans l'histoire des mathématiques — événement dans le langage courant des mathématiciens, et aussi, peut-être, dans le sens que Badiou a donné à ce mot.

En même temps, les arguments qu'on lit dans les papiers de Wiles sur le problème de Fermat, et sur la modularité des courbes elliptiques, étaient déjà dépassés quelques années après leur publication.

Pourquoi, alors, insister sur la division de l'histoire des mathématiques (une parmi beaucoup d'autres) entre l'avant-Wiles et l'après-Wiles ?

La réponse se trouve dans l'impossibilité de séparer les œuvres mathématiques de la communauté de ses praticiens.

 

[25]

« Presque tout » : le sublime mathématique à l’épreuve de l’« ultra-filtre »

 

Guidés par l’intuition selon laquelle il n’est de créativité collective ou individuelle qui ne se réalise à travers un complexe d’œuvres – autrement dit, des variations locales ou des multiplicités en devenir –, nous tâcherons de voir comment l’appareil conceptuel déployé par L’Immanence des vérités permet de réactualiser, mais aussi de compliquer, l’affaire du sublime mathématique évoquée par Kant dans la troisième Critique.

Pour ce faire, nous mobiliserons sur un mode informel le concept central de cet ouvrage, celui de l’« ultra-filtre » (chapitre C14). Nous le mettrons au travail en envisageant des configurations de l’art contemporain exemplairement liées à la puissance du générique (Sol LeWitt, Morellet, Ikeda…), en relation avec les thèses sur l’« index de l’absoluité d’une œuvre » (chapitre C22). Il s’agit dans tous les cas de faire apparaître ce qui atteste, dans un complexe de « grandes parties » enveloppées par une multiplicité, la poussée intérieure de l’infini – la pression exercée de manière immanente par une contrainte infinitisante.

Cette opération fait simultanément transparaître une limite inframince – mais active, sans cesse déplacée, et donc finalement inassignable – entre un Tout (potentiellement infini) auquel s’égale tendanciellement chaque grande partie, et la donnée d’un ensemble (effectivement infini) de telles parties totales – ou presque totales : c’est tout le problème. Cet inframince, on le verra, n’est plus celui de Duchamp. Il n’a pas affaire à cette différence infime et singularisante qui rejoue sur le terrain de l’art les discussions suscitées par le principe leibnizien des indiscernables. Il ne fait plus écho à cette conception « fractale » et expressive de la pars totalis popularisée par un certain bergsonisme fin-de-(XXe)-siècle. Mais il n’est pas exactement non plus celui des pratiques du générique qu’une première lecture de Badiou permettait d’identifier dans le champ de l’art contemporain, là où des artistes font l’épreuve des limites de l’infini constructible et des procédures constructives en général. Il manifeste, à la manière d’un éclair, le frottement des infinis les uns contre les autres et l’impossibilité de tout recouvrement de l’œuvre par un ensemble constructible.

Du point de vue d’une philosophie de l’art, l’enjeu est donc de comprendre comment une pratique artistique organise activement son rapport à l’infini sous les espèces de l’œuvre ou de la constellation d’œuvres, mais aussi du projet ou de la performance. Une telle réflexion débouche finalement sur un approfondissement de l’idée de l’œuvre comme prototype – prototype dont on pourrait dire, en reprenant une formule de l’ouvrage, que « le réseau de ses efficacités locales est à la mesure de la procédure tout entière » précisément lorsqu’il offre, dans « la production d’œuvres finies », le « résultat hors finitude du croisement d’infinités disparates ».

Alors le sublime touche véritablement à l’absolu. Invoquer la résistance de la matière ou de l’« informel », reporter indéfiniment le moment de la clôture en multipliant les traces ou les « déchets » du mouvement infini de l’Idée (« processus », « œuvre totale », « œuvre à venir »…) n’en donnera jamais qu’une pâle approximation.

 

[26]

Alain Badiou et la théorie des ensembles : les mathématiques pures ou les mathématiques appliquées

 

Alain Badiou a fait de la théorie des ensembles une ontologie qui relie les piliers de son œuvre : l’art, les sciences, la philosophie et l'engagement politique.

Dans cet exposé, je voudrais rendre hommage à son travail en l’examinant du point de vue d'une mathématicienne qui travaille en théorie des ensembles, tout en m’interrogeant sur l'idée que les finitudes de notre vie quotidienne sont dirigées par les vérités ensemblistes.

 

[27]

La mathématique “est auprès de nous” ?

 

The work of Alain Badiou, while praising mathematics and attributing to it an important role in a philosophical system of Hegelian immensity, confronts mathematics as a practice located in a world with profound and difficult questions regarding its role in the world.

Can mathematics consider itself at a remove from politics, ethics, or the truth procedures of art?

I will argue that mathematics should take up this challenge, and responsibility assigned to it, in a way that goes beyond strictly technical points. There is something like an ethos of mathematics, a sort of manifesto of affirmationism, unwritten or implicit, too often concealed by the philosophical hesitations of the proverbial working mathematician.

 

[28]

Il faut qu’une foule (une multiplicité) se déclare.

 

Faire œuvre, l’une des injonctions du 20ième siècle ou faire dispositif, l’un des traits du contemporain, c’est-à-dire pratique et discours, relation et immersion : ces deux approches éloignées semblent marquer ou borner l’environnement actuel de la création artistique. Une hypothèse opérante pour notre présent, stimulée par quelques voies d’accès d’Alain Badiou, ses via ferrata ascensionnelles contre l’idéologie de la finitude, consisterait à dépasser autant l’ancienne religion de l’œuvre emphatique, une et édifiante (création, annonciation, réception par les fidèles muets) que l’autoritarisme dissimulé du dispositif « horizontal » qui encense le sujet artistique « performant », si mal nommé. 

Cette double perspective sur le 20ième siècle monumental comme sur les expériences musicales et technologiques les plus récentes et les plus imprévisibles, médite la possibilité d’une situation nouvelle : ni œuvre, ni déchet, mais l’index d’une aventure collective échappant à l’oppression du productivisme et à la conscience déchirée du minoritaire. Pour qu’un présent (artistique) soit, il faut d’une certaine façon, qu’une foule puisse se déclarer.